OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE – LA DAME DE PIQUE, de TCHAÏKOVSKI à L’OPERA DE LYON (Dir: Kirill PETRENKO, Mise en scène: Peter STEIN)

A priori, je n’avais pas prévu d’aller revoir ce spectacle de Peter Stein qui m’avait beaucoup déçu lors des représentations de 2008, et qui ne m’avait pas convaincu au niveau du chant. Mais la joie consécutive à Mazeppa, et la perspective d’entendre les mêmes chanteurs et surtout le même chef dans La Dame de Pique, a eu raison de mon hésitation et j’ai assisté, bien m’en a pris, à la dernière représentation du Festival Pouchkine monté à Lyon pour ce mois de mai. J’aime tellement cet opéra! Il m’a réservé une des émotions les plus fortes de ma vie de mélomane, lorsque sur la scène des Champs Elysées, en 1978, je fus comme foudroyé par l’incroyable comtesse de Regina Resnik – nous nous sommes connus plus tard et sommes aujourd’hui très liés – . Regina, assise en étole de fourrure blanche au milieu de la scène, devant l’orchestre (la représentation dirigée par Rostropovitch avec Vichnevskaia en Liza était une version concertante, donnée à l’occasion de l’enregistrement que l’on connaît chez DG), murmurait cette ariette de Grétry en donnant le frisson à la salle, jamais je n’ai entendu aux Champs Elysées une telle ovation, pour cette scène, pour cette seule scène, cela valait tous les voyages. Regina Resnik outre une voix somptueuse,  avait un sens inné du théâtre, un regard, un geste minimal, une diction unique:  tout est dit.

La représentation lyonnaise est de celles qui donnent pleine satisfaction. La production n’est plus vraiment celle que je vis il ya deux ans, car le décor a été détruit (problème d’amiante) et l’on ne l’a pas reconstruit comme pour Mazeppa, mais on a reconstruit des élements de décor noirs qui finalement sont du plus bel effet: la production assise sur le noir et le rouge, acquiert un style qu’elle n’avait pas il y a deux ans, même si, à part souligner le regard ironique de Pouchkine porté sur le monde  ou sur la  vieille comtesse, la mise en scène de Peter Stein n’a pas gagné en génie ni même en intérêt. Mais c’est la musique qui a transcendé la soirée, avec en premier lieu la direction vibrante, colorée, lyrique de Kirill Petrenko, qui exalte les pupitres de l’orchestre de l’Opéra de Lyon et qui ne couvre jamais les voix. Certes, une fois de plus, on peut déplorer cette acoustique sèche et une salle un peu trop petite pour la générosité de l’écriture de Tchaïkovski,  et c’était encore plus net pour Mazeppa à cause du caractère épique de l’oeuvre. Pour la Dame de Pique, qui laisse une place plus forte à l’intimité du drame, c’est un peu moins gênant, sauf pour l’ouverture, qui nécessiterait une salle plus vaste et surtout plus réverbérante. Mais au total, la prestation musicale est remarquable et on se réjouit de revoir Petrenko l’an prochain pour Tristan et Isolde (encore mis en scène par Peter Stein). Je comprends difficilement que chef remarquable n’ait  n’ait eu “l’honneur” de l’opéra de Paris qu’une seule fois, pour une représentation en 2003. Serge Dorny en revanche a du nez…
La distribution n’appelle que des éloges, à commencer par le Hermann de Misha Didyk, vraiment à sa place dans ce rôle très tendu (il fatigue cependant un peu vers la fin): intensité,puissance, maîtrise technique, il domine vraiment la partie et des rôles qu’il a soutenus à Lyon, c’est vraiment celui qui lui convient le mieux. Olga Guryakova est tout aussi intense en Liza, notzamment dans les deux premiers actes, où elle est bouleversante, dans le troisième, elle déçoit un peu (tout comme Didyk d’ailleurs). La Pauline de Elena Maximova, lyrique, élégante, est l’une des bonnes surprises de la soirée, et la Comtesse de Marianna Tarasova est une très belle composition de sorcière en robe à paniers, et la fameuse scène de l’ariette, très bien chantée (même si ce n’est pas Resnik…) est jouée avec une ironie mordante que le public perçoit. Les autres sont tous à leur place, avec une note particulière pour l’élégant Eletski d’Alexey Markov (qui reçoit les applaudissements du public pour son air « ya vas lioubliou » particulièrement réussi pour la chaleur, l’exactitude, l’émission). Enfin, Nikolaï Putilin est un très beau Tomski, personnage vu ici un peu vieillissant, très modéré, une sorte de sage. Les autres rôles sont tenus très correctement.
Au total, une  belle soirée, de très haut niveau, et l’on se réjouit pour tous les jeunes élèves présents: l’ensemble de ce Festival Pouchkine, par son homogénéité, par les choix très justes de distribution, par la direction musicale remarquable de Kirill Petrenko, était un beau cadeau du joli mois de mai. Serge Dorny à la tête de l’Opéra de Lyon, mène une politique intelligente qu’on aimerait voir appliquée à deux heures de TGV de Lyon…

OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE -MAZEPPA de P.I.TCHAIKOVSKI 6 mai 2010 (Dir.mus:Kirill PETRENKO avec Anatoli KOTSCHERGA, Nikolaï PUTILIN, Olga GURYAKOVA, Mariana TARASOVA)

060520101968.1273313575.jpgDes dizaines et des dizaines de jeunes, partout dans le théâtre, des fauteuils d’orchestre au poulailler, ils circulent, s’interpellent avant le spectacle, se prennent en photo, et puis font silence dès les premières notes: grâce à la très belle initiative de la Région Rhône-Alpes « Lycéens et apprentis à l’Opéra », des dizaines de lycées chaque année fréquentent les opéras régionaux ou les grandes salles dédiées à la danse, financés, transportés,  mais aussi préparés aux spectacles. Cette initiative fait de l’Opéra de Lyon la salle la plus ouverte aux jeunes que je connaisse. Cette soirée n’a pas manqué à la règle: c’est le plus gros effort en France en direction de l’Opéra pour que les jeunes puissent pénétrer ce monde qu’ils fréquentent peu.
Et ils ont de la chance en ce moment, ces jeunes de Rhône-Alpes: car l’Opéra de Lyon propose une programmation de haut niveau, qui renoue avec la qualité grâce à la politique de Serge Dorny. En ce mois de mai, les trois opéras de Tchaïkovski, Mazeppa, Eugène Onéguine, La Dame de Pique, sont repris en un « Festival Pouchkine », fléché dans toute la ville de Lyon, avec la couleur cohérente de trois mises en scènes de Peter Stein, et la garantie de qualité musicale scellée par la présence de Kirill Petrenko au pupitre, et de distributions très homogènes et c’est le cas ce soir, d’un niveau exceptionnel.

060520101967.1273313456.jpgOn connaît peu Kirill Petrenko en France. Ce chef de 37 ans a été directeur musical à Meiningen, théâtre historique de la Thuringe, puis au Komische Oper de Berlin, et en 2013, il dirigera, eh oui, le Ring du bicentenaire de Wagner au Festival de Bayreuth. A chaque fois que je l’ai entendu diriger, ce fut un moment de grâce, dernier en date, l’an dernier, Jenufa à l’Opéra de Munich. Et cette fois-ci de nouveau, on constate la technique, la mise en place parfaite, la dynamique au service de l’action, l’excellente préparation de l’orchestre et une manière toute particulière et séduisante de faire sonner Tchaïkovski, dans une salle malheureusement ingrate pour l’acoustique orchestrale, très sèche, sans aucune réverbération, sans respiration, ce qui pour une oeuvre aussi épique, constitue sans aucun doute une gêne . Je pense que c’est une erreur que d’avoir construit une salle (de Jean Nouvel, rappelons-le) trop petite. C’était sans compter sur l’augmentation régulière des publics.
Petrenko, un nom à retenir, courez l’écouter.

Peter Stein a construit ses trois mises en scène sur des partis pris de fidélité à l’histoire, sans vrai recul, dans des décors de son complice habituel Ferdinand Wögerbauer . Des trois La Dame de Pique m’est apparue de loin la plus décevante , Eugène Onéguine est mieux construit par sa vision d’une société étriquée, vaguement tchékhovienne, mais pour mon goût, c’est Mazeppa la meilleure des trois productions:  un  parti pris qui laisse sa place à l’épopée, mais qui tient compte d’un rapport scène-salle de proximité, et ménage donc aussi des moments d’intimité, avec de très belles images (la bataille de Poltava au troisième acte notamment), et une couleur d’ensemble qui ne manque pas de poésie ( la scène finale est très réussie), avec un traitement pittoresque des costumes et des tapis au premier acte – monde idéal et rêvé d’une Russie d’opérette- qui est lourd d’ironie lorsque l’on considère la suite de l’histoire. Certes, rien de révolutionnaire, il y a longtemps que Peter Stein ne provoque plus de prurit chez le public, mais un spectacle prenant, un parti pris de simplicité et de relatif dépouillement, et une ligne dramatique bien dessinée. J’avais vu ses trois  productions ces dernières années, mais c’est Mazeppa que j’ai voulu revoir, avec une distribution partiellement renouvelée (Nikolaï Putilin en Mazeppa, succédant à Wojtek Drabowicz, disparu en 2007, et Olga Guryakova en Marie succédant à Anna Samuil).

L’ensemble de la distribution réunie n’appelle aucun commentaire négatif. Certes, la voix de Anatoli Kotscherga a vieilli et se montre moins sonore que par le passé (il fut le Boris et le Khovantski d’Abbado), mais elle convient bien au rôle et reste intense, avec une diction absolument impeccable, et l’interprétation est vraiment souveraine. Un très grand Kotchubeï . De même le Mazeppa de Putilin, à la belle voix de baryton, lui aussi doué d’une diction exemplaire, et d’une clarté dans l’émission et d’un timbre séduisant. Il arrive à rendre palpable l’ambiguité du personnage, à la fois un méchant éperdu de pouvoir, mais en même temps un amoureux déchiré entre son ambition et son amour. L’Andreï du ténor ukrainien Misha Didyk réussit lui aussi à rendre  le personnage intense, malgré quelques hésitations au début: il semble avoir plus de difficultés dans le lyrisme, la voix manque de ce velours nécessaire; tout le duo inital avec Marie en effet n’est pas vraiment convaincant. Mais la voix est solide, bien posée, puissante; ce rôle, notamment dans ses parties plus dramatiques lui convient manifestement mieux que celui de Des Grieux, dans ce même théâtre en janvier/février dernier, où il n’était pas vraiment à sa place.

Les deux femmes sont tout à fait convaincantes, la Lioubov de Mariana Tarasova est intense, juste, la voix est puissante, sans aucun problème technique, le timbre est séduisant et le duo avec Marie du second acte est un des sommets de la soirée.La Marie d’Olga Guryakova, est elle aussi vraiment excellente, même si l’on pourrait quelquefois espérer une voix plus modulée dans les parties plus lyriques (on aimerait entendre quelquefois des « piani »): voilà une chanteuse qui est appelée par les plus grands théâtres pour des rôles italiens, elle en a la puissance et l’abattage, il n’est pas sûr qu’elle en ait toujours la subtilité. Mais c’est une vraie voix dramatique, elle aussi intense: l’air final est vraiment bouleversant.

060520101969.1273313632.jpgAu total, voilà un spectacle bien construit, musicalement impeccable ou à peu près, séduisant pour le public qui fait un triomphe à toute la compagnie, et en particulier à Anatoli Kotscherga et au chef. L’initiative de ce Festival est donc une réussite et l’Opéra de Lyon montre une fois de plus l’excellence de ses choix, fondée sur une politique artistique assise sur des artistes de qualité, sur des fidélités, et sur une grande cohérence des choix de répertoire.