A priori, je n’avais pas prévu d’aller revoir ce spectacle de Peter Stein qui m’avait beaucoup déçu lors des représentations de 2008, et qui ne m’avait pas convaincu au niveau du chant. Mais la joie consécutive à Mazeppa, et la perspective d’entendre les mêmes chanteurs et surtout le même chef dans La Dame de Pique, a eu raison de mon hésitation et j’ai assisté, bien m’en a pris, à la dernière représentation du Festival Pouchkine monté à Lyon pour ce mois de mai. J’aime tellement cet opéra! Il m’a réservé une des émotions les plus fortes de ma vie de mélomane, lorsque sur la scène des Champs Elysées, en 1978, je fus comme foudroyé par l’incroyable comtesse de Regina Resnik – nous nous sommes connus plus tard et sommes aujourd’hui très liés – . Regina, assise en étole de fourrure blanche au milieu de la scène, devant l’orchestre (la représentation dirigée par Rostropovitch avec Vichnevskaia en Liza était une version concertante, donnée à l’occasion de l’enregistrement que l’on connaît chez DG), murmurait cette ariette de Grétry en donnant le frisson à la salle, jamais je n’ai entendu aux Champs Elysées une telle ovation, pour cette scène, pour cette seule scène, cela valait tous les voyages. Regina Resnik outre une voix somptueuse, avait un sens inné du théâtre, un regard, un geste minimal, une diction unique: tout est dit.
La représentation lyonnaise est de celles qui donnent pleine satisfaction. La production n’est plus vraiment celle que je vis il ya deux ans, car le décor a été détruit (problème d’amiante) et l’on ne l’a pas reconstruit comme pour Mazeppa, mais on a reconstruit des élements de décor noirs qui finalement sont du plus bel effet: la production assise sur le noir et le rouge, acquiert un style qu’elle n’avait pas il y a deux ans, même si, à part souligner le regard ironique de Pouchkine porté sur le monde ou sur la vieille comtesse, la mise en scène de Peter Stein n’a pas gagné en génie ni même en intérêt. Mais c’est la musique qui a transcendé la soirée, avec en premier lieu la direction vibrante, colorée, lyrique de Kirill Petrenko, qui exalte les pupitres de l’orchestre de l’Opéra de Lyon et qui ne couvre jamais les voix. Certes, une fois de plus, on peut déplorer cette acoustique sèche et une salle un peu trop petite pour la générosité de l’écriture de Tchaïkovski, et c’était encore plus net pour Mazeppa à cause du caractère épique de l’oeuvre. Pour la Dame de Pique, qui laisse une place plus forte à l’intimité du drame, c’est un peu moins gênant, sauf pour l’ouverture, qui nécessiterait une salle plus vaste et surtout plus réverbérante. Mais au total, la prestation musicale est remarquable et on se réjouit de revoir Petrenko l’an prochain pour Tristan et Isolde (encore mis en scène par Peter Stein). Je comprends difficilement que chef remarquable n’ait n’ait eu “l’honneur” de l’opéra de Paris qu’une seule fois, pour une représentation en 2003. Serge Dorny en revanche a du nez…
La distribution n’appelle que des éloges, à commencer par le Hermann de Misha Didyk, vraiment à sa place dans ce rôle très tendu (il fatigue cependant un peu vers la fin): intensité,puissance, maîtrise technique, il domine vraiment la partie et des rôles qu’il a soutenus à Lyon, c’est vraiment celui qui lui convient le mieux. Olga Guryakova est tout aussi intense en Liza, notzamment dans les deux premiers actes, où elle est bouleversante, dans le troisième, elle déçoit un peu (tout comme Didyk d’ailleurs). La Pauline de Elena Maximova, lyrique, élégante, est l’une des bonnes surprises de la soirée, et la Comtesse de Marianna Tarasova est une très belle composition de sorcière en robe à paniers, et la fameuse scène de l’ariette, très bien chantée (même si ce n’est pas Resnik…) est jouée avec une ironie mordante que le public perçoit. Les autres sont tous à leur place, avec une note particulière pour l’élégant Eletski d’Alexey Markov (qui reçoit les applaudissements du public pour son air « ya vas lioubliou » particulièrement réussi pour la chaleur, l’exactitude, l’émission). Enfin, Nikolaï Putilin est un très beau Tomski, personnage vu ici un peu vieillissant, très modéré, une sorte de sage. Les autres rôles sont tenus très correctement.
Au total, une belle soirée, de très haut niveau, et l’on se réjouit pour tous les jeunes élèves présents: l’ensemble de ce Festival Pouchkine, par son homogénéité, par les choix très justes de distribution, par la direction musicale remarquable de Kirill Petrenko, était un beau cadeau du joli mois de mai. Serge Dorny à la tête de l’Opéra de Lyon, mène une politique intelligente qu’on aimerait voir appliquée à deux heures de TGV de Lyon…