Week end à la Scala, un Verdi, Rigoletto le samedi 17 novembre, un Wagner, et pas forcément le plus simple, Siegfried, le 18 novembre. Conformément à la chronique de la Scala ces dernières années, que pensez-vous qu’il arriva? Siegfried est à retenir, Rigoletto à oublier. Une fois de plus, c’est le répertoire identitaire du théâtre qui fait problème.Et pourtant, le public se pressait ce samedi 17 novembre: un de ces rares soirs où il n’y avait pas le moindre billet, où les « bagarini » revendeurs au marché noir était tous partis 30 minutes avant le lever de rideau, une de ces soirées où l’affluence extrême fait penser qu’on va assister à un événement. Un public largement international: beaucoup de touristes se réjouissent d’un Rigoletto à la Scala, Verdi chez lui.
Ce devait être une nouvelle production de Luc Bondy, pour finir, on a repris la production usée de Gilbert Deflo, 18 ans d’âge, mais au pupitre Gustavo Dudamel, une des jeunes stars actuelles de la baguette , et sur scène Vittorio Grigolo, le ténor italien du moment, dans le Duc, Elena Mosuc, qui promène dans le monde entier sa Gilda, et un jeune baryton qui commence une jolie carrière, George Gagnidze (qui alterne avec l’autre baryton verdien qui émerge Zeljko Lucic).
Et c’est une déception. Ce n’est pas scandaleux, pas de quoi siffler, mais pas de quoi applaudir: de rapides applaudissements à la fin des actes, et un lourd silence pour le « Caro nome », à la fin sept minutes d’applaudissements forcés et tout le monde à la maison.
La malédiction de Monterone a frappé ce Rigoletto…
La production évidemment n’aide pas. Gilbert Deflo n’est pas réputé pour être un metteur en scène inventif, mais plutôt un bon faiseur de spectacles. Comme Rigoletto est un titre qui attrape le public comme le miel les mouches, la direction de la Scala (Fontana-Muti) de l’époque avait pensé à une production fastueuse, beaux décors monumentaux tout dorés de Ezio Frigerio et magnifiques costumes de Franca Squarciapino, une production à livrer en pâture aux flashes des japonais, couleur, or, monumentalité: la Scala de toujours quoi! Mais Deflo n’est pas Zeffirelli, capable de faire une Bohème qui dure depuis une cinquantaine d’années. 18 ans c’est déjà la limite et l’état du décor en dit long, par exemple des miroirs monumentaux en toc, tous scandaleusement froissés, sans que la direction technique n’y trouve à redire. Et du point de vue scénique, un lever de rideau sur une fête affligeante et ridicule (petit ballet à faire pleurer). Pour le reste: vide sidéral. Les chanteurs font plus ou moins ce qu’ils veulent et il n’y a pas de mise en scène sauf un tout petit effort au troisième acte, mais vraiment petit. Ce soir, le cerveau est en repos, total.
Musicalement, jamais cela ne décolle, jamais on est ému, jamais un moment de tension sur le plateau. C’est passable.
Vittorio Grigolo dans le Duc nous prouve qu’il est un ténor: il en a tous les tics traditionnels, y compris celui de saluer le public en levant les bras en signe de triomphe, de s’agenouiller pour recueillir et provoquer les applaudissements. Sur scène, il semble nous dire: » hein? vous avez vu, hein, comme je chante bien! » Un vrai adolescent attardé. Sympathique au demeurant.
Et le chant? Incontestablement, un très beau timbre et une très belle couleur italienne lumineuse. Mais il n’était sans doute pas dans une bonne soirée: problème de style, de raffinement (le Duc n’est certes pas un personnage psychologiquement complexe, mais c’est quand même un Prince ), le volume est correct mais l’extension à l’aigu plutôt insuffisante; il m’est apparu court et ses airs très acceptables sans plus, pas de quoi se dire en tous cas « voilà le grand ténor du jour! ». Succès ordinaire.
George Gagnidze est un Rigoletto au chant plutôt stylé, mais au volume très nettement insuffisant, à la personnalité vocale très pâle, sans aucune extension à l’aigu, sans projection, avec la conséquence qu’on ne l’entend pas dans les ensembles. On ne l’entend que lorsque l’orchestre ne joue pas ou joue bas…La voix est engorgée, et il n’a rien vocalement d’un Rigoletto, même s’il sait être émouvant au dernier acte. Pour moi, il s’agit d’une erreur de casting.
Elena Mosuc est une artiste très appliquée, très sérieuse, qui affronte la difficulté, qui sait chanter avec style et qui existe vocalement. Sa Gilda n’est pas exceptionnelle, mais au moins, elle ne triche pas, et même si elle se déjoue des quelques difficultés par quelques artifices, ce n’est jamais hors de propos. Elle chante Gilda un peu dans tous les théâtres et reste l’une des soprano colorature réclamées (c’est aussi une Zerbinetta très demandée). Une prestation très honorable, même si le jeu reste un peu élémentaire.
Dans une distribution où il n’a même pas été possible de trouver une Giovanna italienne, Maddalena (Ketevan Kemolidze) semble avoir un joli timbre . Je dis « semble » parce qu’on ne l’entend pas: elle est vocalement inexistante. Quant à Alexander Tsymbalyuk, basse ukrainienne très jeune et valeureuse, il chante un Sparafucile en place, et au moins on l’entend. Il a cependant été bien meilleur le lendemain dans Fafner.
On le voit, pas de quoi frémir de plaisir. Aucun des chanteurs de la distribution n’est franchement insuffisant (Rigoletto/Gagnidze cependant accuse des faiblesses sérieuses), mais rien que des prestations au maximum honnêtes, avec un bon point pour Elena Mosuc et un doute pour Vittorio Grigolo qui, malgré la gloire naissante, a encore bien des choses à prouver. Sa « Donna è mobile » passe la rampe, mais est loin d’être un modèle du genre.
Le chœur de la Scala, comme d’habitude dans ce répertoire, mérite des louanges, et l’orchestre aussi, mené d’une main très ferme, trop ferme peut-être par Gustavo Dudamel. C’est très précis, très net, cela sonne bien, il y a du rythme, de la tension (des crescendos magnifiques). Bref, tout ce qui est conduite de l’orchestre est vraiment très solide.
Le problème, c’est qu’il en va autrement du suivi des chanteurs et de la conduite du plateau. Dudamel est beaucoup plus soucieux de l’effet d’orchestre que du plateau. Il en résulte l’impression que le chef n’entend pas vraiment les chanteurs, il les couvre, il ne prête pas attention aux voix plus en difficulté pour les soutenir, l’impression est que les chanteurs sont un peu laissés à leur chant, sans construire une véritable homogénéité scène/fosse, ou même simplement de plateau. L’impression musicale est donc assez contrastée: Gustavo Dudamel, lancé par Rattle, Abbado et Barenboim (présent en proscenium et qui lui faisait des « singeries » amicales ) construit essentiellement sa carrière au concert et n’est apparu en fosse qu’à Berlin et Milan. Il n’a pas une expérience lyrique énorme et cela se sent et dans les conditions de ce Rigoletto, cela pèse.
Au total, une déception, et l’amertume que cela tombe encore (on dirait encore et toujours) sur Verdi: la saison 2012-2013, avec ses nombreux Verdi, commence à susciter des doutes, d’autant que commence la valse des changements de distribution, traditionnels quand la Scala hésite, qui sont très commentés par ceux qui sont à l’affût du prochain scandale. Ce week end, c’est Wagner qui a gagné…
[wpsr_facebook]