Troisième production de ce Festival, Le jardin englouti (Sunken Garden), une création de Michel Van der Aa, en coproduction avec l’ENO qui l’a créé en 2013 au Barbican Center a été présentée le 15 mars dernier. Une production externalisée au TNP de Villeurbanne, pour des raisons techniques évidentes, l’alternance serrée créant des problèmes difficiles de mise en place. C’est sans doute de cette création que part l’idée de la thématique des « jardins mystérieux » qui illustre le festival cette année.
Voilà une proposition ailleurs au propre et au figuré, qui va emmener le spectateur dans un autre univers et musical et imaginaire. Cette dernière est-elle motivée par un projet strictement musical ? Préfigure-t-elle de futures retransmissions du MET ou d’ailleurs en 3D ? Est-elle un essai de performance technique mêlant virtuel et réel, dans l’image comme dans le son ?
Elle est tout cela à la fois, avec les qualités et les défauts du théâtre musical, aux livrets abscons, sans vraie dramaturgie : il faut attendre que le héros passe la porte sous l’autoroute pour qu’en enfilant les lunettes 3D on trouve un intérêt renouvelé à cette histoire d’exploration d’une sorte de quatrième dimension, antichambre du paradis, dont on ne revient pas, où ceux qui y séjournent fournissent en fait la vie et l’immortalité à une héroïne sorte de mante religieuse ou moustique géant comme le suggère une image qui va se nourrir de ces corps, sucer leur sang pour rester immortelle. Tout commence comme un thriller avec une histoire d’enlèvement et de disparus, et finit comme un conte de fées à la mode où le héros entre pour se sauver dans le corps de l’héroïne pour survivre, et finit héroïne femme dans un corps d’homme pour illustrer les thèmes à la mode de la théorie du genre.
On y retrouve d’ailleurs le trio orphique avec une méchante (Zenna Briggs) sorte de déesse des Enfers new look, mais Amour (Iris Marinus) et Orphée (Toby Kramer) sont là, et le jardin englouti pourrait bien être ces enfers d’où on ne peut remonter…sauf à risquer son genre. On y retrouve aussi mais en 3D, les personnes enlevées comme Simon Vines ou Amber Jacquemain, et les personnages réels dialoguent et chantent avec les personnages virtuels, en des ensembles techniquement réglés au millimètre et hallucinants de vérité, il faut bien le dire.
Dans une structure métallique où sont projetés des décors très réalistes, puis qui explose pour laisser la place à ce jardin fabuleux où l’on se promène, recevant les branches sous le nez ou des gouttes d’eau qui nous explosent au visage, tout cela est impressionnant, divertissant, techniquement phénoménal. Est-ce pour autant vraiment passionnant ? L’avenir de l’œuvre nous le dira, mais j’ai mes doutes.
Pourtant, d’un strict point de vue technique, l’entreprise est remarquable. Remarquable pour la précision du chef et de l’orchestre, qui doivent compter avec la musique enregistrée, remarquable pour les chanteurs, qui doivent chanter avec des voix enregistrées de personnages virtuels avec qui ils chantent et avec qui ils sont en représentation, remarquable enfin pour les effets 3D. On sort de ce spectacle à la fois réservé sur l’entreprise musicale, et enthousiaste pour la réussite et la précision de toute l’entreprise.
C’est sans doute qu’il faut recevoir l’œuvre dans sa globalité : penser « musique », puis « mise en scène » puis « technique » est sans doute une erreur car les choses sont imbriquées et inséparables. On peut difficilement imaginer une exécution concertante d’un tel travail, c’est même totalement inenvisageable.
Deux parties à cette œuvre, une première partie plus traditionnelle et théâtrale où ce qui se déroule sur scène dialogue avec des évocations par le film (interviews par exemple des proches des personnes disparues) et par la recherche du héros Toby Kramer, lui-même vidéaste. La deuxième partie bascule dans un virtuel qui, il faut bien le dire, fascine. Les prestations des chanteurs sont de très bon niveau : ils défendent le propos avec bonheur, Roderick Williams (Toby Krämer) est peut-être un peu inférieur aux deux femmes. Claron Mc Fadden (Iris Marinus) et Katherine Manley (Zenna Briggs) sont tendues, dramatiques, très présentes en scène, et leur précision dans le chant, nécessaire pour chanter ensemble avec les personnages virtuels, répond à celle de l’orchestre excellent (une petite formation d’une vingtaine de musiciens) dirigée par Etienne Siebens qui doit lui aussi compter avec les interventions virtuelles des voix et de l’orchestre pour lesquelles une erreur de tempo compromettrait lourdement les effets musicaux. Au total, une expérience, une voie nouvelle, une sorte de Gesamtkunstwerk à la mode du XXIème siècle qu’il faut accepter sans barguigner dans sa globalité.
Ainsi ce Festival 2015 offre trois productions très différentes dans leur inspiration, musicalement toutes remarquables : Die Gezeichneten, production de haut niveau, assez classique dans son propos, de David Bösch, une proposition plus « Regietheater » de David Marton, qui ose s’attaquer à l’intégrité de la musique pour donner du sens à la scène, Orfeo ed Euridice et cette voie nouvelle et exploratoire que constitue Sunken Garden : à entendre autour de moi les appréciations d’amis spectateurs, tous les spectacles ont marqué les esprits, de manière diversifiée mais illustrent encore une fois l’intelligence d’une programmation qu’on voit rarement aussi cohérente et aussi foisonnante.
SI le Festival 2015 a vécu, vive le Festival 2016 « Pour l’humanité » , qui va nous ouvrir à des découvertes ou des raretés : La Juive (de J.F Halévy, ms en scène Olivier Py) Benjamin dernière nuit, sur Walter Benjamin (Livret de Régis Debray et musique de Michel Tabachnik), L’Empereur d’Atlantis (V.Uhlmann, Ms en scène Richard Brunel) au TNP et Brundibár (Hans Krasa, Ms en scène Jeanne Candel) au théâtre de la Croix Rousse. [wpsr_facebook]