Il y a les grands spectacles qui déplacent foules et critiques, cette année les Nozze di Figaro, Written on skin, David et Jonathas, il y a les spectacles bucoliques qui fleurent bon l’été, la nature, le mistral et la poésie, cette année La Finta Giardiniera. Il y a enfin les spectacles de jeunes, fruits de l’enthousiasme, fruits d’ expériences, les spectacles sur lesquels ont travaillé les écoles (pan important de l’activité du festival sur Aix) et cette année, c’est L’Enfant et les sortilèges dans la version adaptée de Didier Puntos (pour piano à quatre mains, violoncelle et flûte) et dans la mise en scène d’Arnaud Meunier, au théâtre du Jeu de Paume.
Le théâtre du Jeu de Paume, qui remonte à 1757, et restauré depuis, a été ouvert en 2000, et depuis est l’un des lieux du Festival, pour des opéras contemporains, pour des classiques du XXème siècle, pour le baroque aussi. En tous cas pour des œuvres qui ne sont pas sensées drainer un public trop important. La salle qui était aussi appelée « L’Opéra » n’est d’ailleurs pas si minuscule qu’on a bien voulu le dire: un orchestre une corbeille, deux balcons relativement hauts, au total à peu près 500 places.
C’est évidemment un espace idéal pour les formes plus intimes, ou des œuvres rares: si Bernard Foccroule s’était souvenu que 2012 était l’année du tricentenaire de Jean-Jacques Rousseau , il aurait pu imaginer au Jeu de Paume la représentation du mélologue Pygmalion, ou même du Devin du Village (imaginable aussi au Grand Saint Jean). Mais c’est sans doute un oubli.
Il reste que cet Enfant et les sortilèges est une réussite, et beaucoup d’enfants se pressaient dans le théâtre, certains même ont été très apeurés (« Papa j’ai peur! ») et pleuraient abondamment: l’atmosphère des contes de fées n’est pas toujours source de quiétude pour les enfants en très bas âge.
Ayant vu la représentation de Lyon il y a quelques mois (Direction musicale Martin Brabbins, mise en scène Grzegorz Jarzyna) dont on retrouve plusieurs chanteurs à Aix (Mercedes Arcuri dans le Feu et le Rossignol, Jean Gabriel Saint Martin dans l’Horloge comtoise et le Chat à Lyon, le Chêne et le Fauteuil à Aix, Majdouline Zerari dans la Chatte, l’écureuil, la bergère à Aix, Maman, la tasse chinoise, la Libellule à Lyon), il est intéressant de mettre en perspective version adaptée et version originale. La version originale impose un orchestre important, Ravel étant un maître de l’orchestration, et la version adaptée est plus intime, plus conforme à une ambiance recluse d’une chambre d’enfant (à Lyon, le décor était un semi-remorque aménagé…), plus exigeante aussi pour les voix, très découvertes, mais pas écrasées par l’orchestre.
Ici, le décor est celui d’un grenier où sont entreposés vieux meubles, vieux jouets, et musiciens – piano, flûte et violoncelle sont sur le plateau dissimulés parmi les objets abandonnés-, dans une ambiance nocturne, à la lumière limitée, qui donne encore plus cette impression de clôture, d’enfermement, et tout à la fois de rêve fantomatique propice à la naissance du conte et à la peur des enfants.
Le spectacle se déroule avec une grande fluidité, le plateau se vide peu à peu de ses objets à mesure qu’ils sont intervenus et l’espace s’élargit lorsqu’on passe dans le jardin, qui est là une forêt décharnée sur fond de lune pâle. La mise en scène d’Arnaud Meunier et le dispositif scénique de Damien Caille Perret ne prétendent aucunement à une « lecture » de l’œuvre au sens prétentieux du terme: ils accompagnent le déroulement de l’opéra, avec bonheur, car ils créent immédiatement un univers, renforcé par les costumes d’Anne Autran. L’univers est celui des albums d’enfants, comme nous en avons tous lus, des monstres qu’on crée avec un rien, des ombres portées. Si l’univers intime de cette boite à joujoux est bien rendu, si le spectacle permet à de nombreux enfants de découvrir l’opéra, ce n’est pas pour autant un spectacle « pour enfants »: deux scènes au moins,
celle de la théière avec son bec « phallus » et la tasse chinoise prête à en recevoir le suc et celle des chats, sont clairement orientées vers une certaine paillardise, ainsi que d’une certaine manière l’horloge comtoise, en slip, sur un mode moins explicite.
C’est justement ce savant mélange qui fait de ce spectacle une réussite totale, un vrai petit bijou, simple et direct, qui fait filer les 50 minutes à une vitesse incroyable. C’est déjà fini quand on en voudrait encore!
Alors, à ce travail de qualité correspond une approche musicale évidemment faite pour un espace réduit, une intimité de bon aloi, qui convient pour un jeu d’enfant. Les musiciens, insérés dans le décor sont comme des poupées abandonnées, Didier Puntos, l’auteur de l’adaptation, qui aujourd’hui a fait le tour du monde, est accompagné au piano à quatre main du chef de chant Michalis Boriakis, de la flûtiste Anne-Lise Teruel et du violoncelliste William Imbert, tous trois participant à la résidence mélodie française de l’Académie Européenne de Musique. Une réussite, avec un son évidemment très particulier, qui correspond à l’ambiance voulue, et qui se fond avec bonheur dans la mise en scène. Évidemment, pas de chœur dans cette version, l’ensemble des chanteurs prend en charge les parties chorales de la scène finale. Et le chant est beaucoup plus présent, beaucoup mieux mis en relief que dans la version « ordinaire »: on sait que Ravel a voulu donner un espace à des types vocaux et à des styles très différents. Dans la salle du jeu de Paume, les voix prennent donc une importance plus grande, leurs qualités et leurs défauts également. La distribution, jeune, fraiche – ils ont tous autour de trente ans- est très honorable dans l’ensemble, avec l’enfant à la fois très naturel et très simple de Chloé Briot, qui réussit donner du relief au rôle sans afféterie ni gnangnan, le chat et l’horloge de Guillaume Andrieux, au joli timbre de baryton, comme le chêne et le fauteuil de
Jean-Gabriel Saint Martin , à la diction exemplaire, tous sont justes. Ils font tous d’ailleurs un bel effort pour bien dire le texte, si bien que ma voisine qui amenait son petit fils et qui se réjouissait de pouvoir lire les surtitres, n’a pas été déçue quand elle a constaté qu’il n’y avait pas de surtitrage (sans doute à cause d’un problème technique): on comprenait en effet tout le texte. Le ténor Valerio Contaldo, la soprano Mercedes Arcuri (malgré des difficultés de gestion des aigus de la Pastourelle) complètent très dignement la distribution, ainsi que la Maman (qui est aussi tasse chinoise et Libellule) terrible de Eve-Maud Hubeaux. Un bon point également pour la chatte (mais aussi l’écureuil) de l’excellente Majdouline Zerari. Quant à Clémence Tilquin elle se sort à peu près de la princesse, et de la Chauve Souris: merci à ce propos à une lectrice qui a signalé une erreur dans la distribution, la Pastourelle étant chantée par Mercedes Arcuri et non par Clemence Tilquin, j’étais tombé dans le piège, je prie de m’en excuser.
Triomphe mérité à la fin, on a tous passé un excellent moment, et cet » Enfant et les sortilèges » de chambre laissera sans doute plus de traces que celui de Lyon il y a deux mois, parce que la poésie était là, au rendez-vous, derrière chaque poussière de ce grenier magique.
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