FESTIVAL d’AIX-EN-PROVENCE 2012: L’ENFANT ET LES SORTILÈGES de Maurice RAVEL le 22 juillet 2012 (Dir.mus : Didier PUNTOS , Ms en scène : Arnaud MEUNIER)

©Henry Ely Aix

Il y a les grands spectacles qui déplacent foules et critiques, cette année les Nozze di Figaro, Written on skin, David et Jonathas, il y a les spectacles bucoliques qui fleurent bon l’été, la nature, le mistral et la poésie, cette année La Finta Giardiniera. Il y a enfin les spectacles de jeunes, fruits de l’enthousiasme, fruits d’ expériences, les spectacles sur lesquels ont travaillé les écoles (pan important de l’activité du festival sur Aix) et cette année, c’est L’Enfant et les sortilèges dans la version adaptée de Didier Puntos (pour piano à quatre mains, violoncelle et flûte) et dans la mise en scène d’Arnaud Meunier, au théâtre du Jeu de Paume.
Le théâtre du Jeu de Paume, qui remonte à 1757, et restauré depuis, a été ouvert en 2000, et depuis est l’un des lieux du Festival, pour des opéras contemporains, pour des classiques du XXème siècle, pour le baroque aussi. En tous cas pour des œuvres qui ne sont pas sensées drainer un public trop important. La salle qui était aussi appelée « L’Opéra » n’est d’ailleurs pas si minuscule qu’on a bien voulu le dire: un orchestre une corbeille, deux balcons relativement hauts, au total à peu près 500 places.
C’est évidemment un espace idéal pour les formes plus intimes, ou des œuvres rares: si Bernard Foccroule s’était souvenu que 2012 était l’année du tricentenaire de Jean-Jacques Rousseau , il aurait pu imaginer au Jeu de Paume la représentation du mélologue Pygmalion, ou même du Devin du Village (imaginable aussi au Grand Saint Jean). Mais c’est sans doute un oubli.
Il reste que cet Enfant et les sortilèges est une réussite, et beaucoup d’enfants se pressaient dans le théâtre, certains même ont été très apeurés (« Papa j’ai peur! ») et pleuraient abondamment: l’atmosphère des contes de fées n’est pas toujours source de quiétude pour les enfants en très bas âge.
Ayant vu la représentation de Lyon il y a quelques mois (Direction musicale Martin Brabbins, mise en scène Grzegorz Jarzyna) dont on retrouve plusieurs chanteurs à Aix (Mercedes Arcuri dans le Feu et le Rossignol, Jean Gabriel Saint Martin dans l’Horloge comtoise et le Chat à Lyon, le Chêne et le Fauteuil à Aix, Majdouline Zerari dans la Chatte, l’écureuil, la bergère à Aix, Maman, la tasse chinoise, la Libellule à Lyon), il est intéressant de mettre en perspective version adaptée et version originale. La version originale impose un orchestre important, Ravel étant un maître de l’orchestration, et la version adaptée est plus intime, plus conforme à une ambiance recluse d’une chambre d’enfant (à Lyon, le décor était un semi-remorque aménagé…), plus exigeante aussi pour les voix, très découvertes, mais pas écrasées par l’orchestre.
Ici, le décor est celui d’un grenier où sont entreposés vieux meubles, vieux jouets, et musiciens – piano, flûte et violoncelle sont sur le plateau dissimulés parmi les objets abandonnés-, dans une ambiance nocturne, à la lumière limitée, qui donne encore plus cette impression de clôture, d’enfermement, et tout à la fois de rêve fantomatique propice à la naissance du conte et à la peur des enfants.
Le spectacle se déroule avec une grande fluidité, le plateau se vide peu à peu de ses objets à mesure qu’ils sont intervenus et l’espace s’élargit lorsqu’on passe dans le jardin, qui est là une forêt décharnée sur fond de lune pâle. La mise en scène d’Arnaud Meunier et le dispositif scénique de Damien Caille Perret ne prétendent aucunement à une « lecture » de l’œuvre au sens prétentieux du terme: ils accompagnent le déroulement de l’opéra, avec bonheur, car ils créent immédiatement un univers, renforcé par les costumes d’Anne Autran. L’univers est celui des albums d’enfants, comme nous en avons tous lus, des monstres qu’on crée avec un rien, des ombres portées. Si l’univers intime de cette boite à joujoux est bien rendu, si le spectacle permet à de nombreux enfants de découvrir l’opéra, ce n’est pas pour autant un spectacle « pour enfants »:  deux scènes au moins,

La théière (Valerio Contaldo)

celle de la théière avec son bec « phallus » et la tasse chinoise prête à en recevoir le suc et celle des chats, sont clairement orientées vers une certaine paillardise, ainsi que d’une certaine manière l’horloge comtoise, en slip, sur un mode moins explicite.
C’est justement ce savant mélange qui fait de ce spectacle une réussite totale, un vrai petit bijou, simple et direct, qui fait filer les 50 minutes à une vitesse incroyable. C’est déjà fini quand on en voudrait encore!
Alors, à ce travail de qualité correspond une approche musicale évidemment faite pour un espace réduit, une intimité de  bon aloi, qui convient pour un jeu d’enfant. Les musiciens, insérés dans le décor sont comme des poupées abandonnées, Didier Puntos, l’auteur de l’adaptation, qui aujourd’hui a fait le tour du monde, est accompagné au piano à quatre main du chef de chant Michalis Boriakis, de la flûtiste Anne-Lise Teruel et du violoncelliste William Imbert, tous trois participant à la résidence mélodie française de l’Académie Européenne de Musique. Une réussite, avec un son évidemment très particulier, qui correspond à l’ambiance voulue, et qui se fond avec bonheur dans la mise en scène. Évidemment, pas de chœur dans cette version, l’ensemble des chanteurs prend en charge les parties chorales de la scène finale. Et le chant est beaucoup plus présent, beaucoup mieux mis en relief que dans la version « ordinaire »: on sait que Ravel a voulu donner un espace à des types vocaux et à des styles très différents. Dans la salle du jeu de Paume, les voix prennent donc une importance plus grande, leurs qualités et leurs défauts également.  La distribution, jeune, fraiche – ils ont tous autour de trente ans- est très honorable dans l’ensemble, avec l’enfant à la fois très naturel et très simple de Chloé Briot, qui réussit donner du relief au rôle sans afféterie ni gnangnan, le chat et l’horloge de Guillaume Andrieux, au joli timbre de baryton, comme le chêne et le fauteuil de

Le Chêne (Jean-Gabriel Saint Martin)/©Patrick Berger ArtcomArt

Jean-Gabriel Saint Martin , à la diction exemplaire, tous sont justes.  Ils  font tous d’ailleurs un bel effort pour bien dire le texte, si bien que ma voisine qui amenait son petit fils et qui se réjouissait de pouvoir lire les surtitres, n’a pas été déçue quand elle a constaté qu’il n’y avait pas de surtitrage (sans doute à cause d’un problème technique): on comprenait en effet tout le texte. Le ténor Valerio Contaldo, la soprano Mercedes Arcuri (malgré des difficultés de gestion des aigus de la Pastourelle) complètent très dignement la distribution, ainsi que la Maman (qui est aussi tasse chinoise et Libellule) terrible de Eve-Maud Hubeaux. Un bon point également pour la chatte (mais aussi l’écureuil) de l’excellente Majdouline Zerari. Quant à Clémence Tilquin elle se sort à peu près de la princesse, et de la Chauve Souris: merci à ce propos à une lectrice qui a signalé une erreur dans la distribution, la Pastourelle étant chantée par Mercedes Arcuri et non par Clemence Tilquin, j’étais tombé dans le piège, je prie de m’en excuser.
Triomphe mérité à la fin, on a tous passé un excellent moment, et cet  » Enfant et les sortilèges » de chambre laissera sans doute plus de traces que celui de Lyon il y a deux mois, parce que la poésie était là, au rendez-vous, derrière chaque poussière de ce grenier magique.
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Chloé Briot (L'Enfant)/©Patrick Berger ArtcomArt

OPÉRA DE LYON 2011-2012: L’ENFANT ET LES SORTILÈGES de Maurice RAVEL/ LE NAIN d’Alexander VON ZEMLINSKY (dir.mus: Martyn BRABBINS, ms en scène: Grzegorz JARZYNA) le 27 mai 2012

Le Nain ©Stofleth/Opéra de Lyon

Poursuivant le sillon ouvert avec le Festival PucciniPLUS, l’Opéra de Lyon propose de nouveau un diptyque d’œuvres des années 20, L’Enfant et les sortilèges, livret de Colette, de Maurice Ravel (1925, direction Victor De Sabata), Der Zwerg (Le nain) d’Alexander von Zemlinsky d’après « L’anniversaire de l’Infante » d’Oscar Wilde (1922 direction Otto Klemperer). A la fin de cette saison, le spectateur lyonnais aura acquis une connaissance assez approfondie d’œuvres emblématiques d’une période mal connue des amateurs d’opéra, pour qui souvent ces années se limitent à la création de Wozzeck et de Turandot. Les deux œuvres dialoguent par leur thème, bien sûr, dans l’un la méchanceté d’un enfant sur les objets et les animaux qui l’entourent, dans l’autre la méchanceté d’une adolescente trop gâtée qui se moque d’un homme détruit par sa laideur, et qui finit par en mourir, mais aussi par leur contexte musical,  quand on sait que Zemlinsky chef d’orchestre a dirigé Ravel (l’Heure espagnole) à la fin des années 20 au Krolloper de Berlin alors dirigé par Otto Klemperer, mais aussi en 1908 la première viennoise d’Ariane et barbe bleue, ou celle d’Erwartung de Schönberg à Prague en 1924. Ravel et Zemlinsky sont porteurs  de cette circulation de la nouveauté musicale, qui contraindra Zemlinsky à fuir les nazis dès 1933. Notons aussi que deux géants de la direction musicale, De Sabata et Klemperer, ont créé les deux œuvres l’une à Monaco, l’autre à Cologne et que deux grands de la littérature, Colette et Oscar Wilde, sont à l’origine des livrets. Bref, un appariement riche de culture, propre à développer la curiosité. De Sabata, maître ès direction musicale aussi bien dans le répertoire italien (rappelons sa Tosca avec Callas, inégalée encore aujourd’hui), que dans le répertoire germanique (son Tristan), et Klemperer, qui vers la fin de sa vie était statufié dans le rôle de mythe vivant, et qui fut dès le début de sa carrière le soutien de tant d’innovations musicales, un »moderne » au sens le plus révolutionnaire du terme.
Pour ces deux œuvres, Serge Dorny a réuni des distributions faites de jeunes (membres du Studio de l’Opéra de Lyon, encore tout neuf) et d’artistes déjà confirmés, un chef spécialiste du répertoire du XXème siècle, Martyn Brabbins, et, en coproduction avec la Bayerische Staatsoper de Munich (qui l’a présentée en Février 2011, et reprise en juillet et novembre 2011, dirigée par Kent Nagano) , la production d’un metteur en scène polonais dans la ligne de la nouvelle scène polonaise, Grzegorz Jarzyna.

Grzegorz Jarzyna

Inévitablement, en bon ancien combattant de l’Opéra Liebermann, L’Enfant et les sortilèges évoque pour moi la magnifique production (venue de la Scala) de Jorge Lavelli, couplée avec Oedipus Rex, de Stravinski, dirigée par un extraordinaire Seiji Ozawa, avec Maria-Fausta Gallimini, Jocelyne Taillon, Christiane Eda-Pierre, Roger Soyer, Michel Sénéchal. une production retransmise à la TV (Antenne 2, 24 mai 1979) et tombée dans je ne sais  quelles oubliettes. Une production qui, reprise aujourd’hui, aurait sans doute autant de succès, tant elle est intemporelle, fabuleuse d’humour et de poésie. Fabuleuse, oui, digne de la plus belle des fables.
Car dans les deux cas, c’est bien de fables qu’il s’agit. Dans l’un, Grzegorz Jarzyna place l’action dans le cadre d’un tournage de film dont le décor serait construit dans un container de semi-remorque, comme un univers de cirque où la maison serait mobile, comme une maison de poupée aussi « plus vraie que nature », dont l’enfant agiterait les mécanismes, gentiment ou méchamment. (Voir les extraits vidéo de Munich)

L'Enf
L'enfant, le Fauteuil, la Bergère, L'Horloge ©Stofleth Opéra de Lyon

Les solutions trouvées dans les costumes d’Anna Nykowska Duszynska ne manquent pas d’élégance, le fauteuil et la bergère sont assis sur fauteuil et bergère, et ont un costume du tissu dont les meubles sont revêtus, l’horloge comtoise recouvre le chanteur, la tasse chinoise et la théière coiffent comme des chapeaux les chanteurs qui de meuvent et dansent (la théière verse du thé dans la tasse géante),

L'Enfant et les sortilèges ©Bayerische Staatsoper

les costumes d’animaux sont très réussis, notamment le chœur des grenouilles ou l’écureuil et les chats. Évidemment, le « tournage » s’interrompt peu à peu, comme s’il laissait l’accès direct au monde enchanté, sans la distance ou la médiation des caméras. Toute la première partie dans la maison reste un peu éloignée du spectateur, dont l’œil doit jouer entre la vidéo géante, avide de gros plans, et la vision d’ensemble, en fond de scène, le devant étant occupé par les caméras et les soi-disant techniciens vidéos.

©Stofleth Opéra de Lyon

La scène du jardin est laissée libre par la levée spectaculaire du semi-remorque, qui libère le plateau, devenu une sorte de clairière occupée par les animaux.
La direction de Martyn Brabbins est légère, élégante, mais peut-être un peu en retrait, en mineure. Le son reste par trop intimiste, et l’acoustique de la salle ne favorise pas une écoute claire de l’orchestre, alors que l’on connaît la complexité de cette orchestration, avec des instruments quasi expérimentaux, et une volonté de pasticher des formes qui jalonnent toute l’histoire de la musique, dans la fosse comme sur le plateau. L’impression de légèreté recouvre en réalité une réelle complexité, et un orchestre important, qui ne correspond en rien à l’impression produite. La direction ne rend pas clairement cette complexité, et souvent on n’entend pas bien l’orchestre.
La distribution est équilibrée, faite de jeunes chanteurs, souvent puisés dans le Studio de l’Opéra de Lyon,  sans voix exceptionnelles, même si l’enfant de Pauline Sikirdji, du Studio de l’opéra de Lyon a un très beau médium, large, et sonore. L’horloge, rôle tendu, est bien défendue par Jean-Gabriel Saint-Martin, Simon Neal (le Fauteuil, l’arbre) est une basse assurée et élégante, Mercedes Arcuri est un soprano léger (le feu/le rossignol) qui souffre de quelques problèmes de justesse. Dans l’ensemble cependant, cette distribution jeune défend bien la partition, même si on aimerait dans les rôles de pure composition (la théière, la rainette) un peu plus de « composition » justement. Je me souviens du grand Michel Sénéchal, irrésistible en théière chez Lavelli. Il n’en demeure pas moins que c’est un joli spectacle, avec un chœur remarquable, comme souvent à Lyon (et le choeur est important dans cet opéra) qui a prise sur le public comme on peut le vérifier aux longs applaudissements qui le concluent.
Il en va différemment de Der Zwerg, de Zemlinsky, que j’ai vu une fois, à Genève, en 2002, dans une mise en scène de Pierre Strosser , et dirigé par le grand Armin Jordan, très à l’aise ce répertoire, avec une approche très claire, très fluide, et en même temps particulièrement dramatique. Le Nain d’alors était David Kuebler, magnifique, Don Estoban Detlev Roth, qui aujourd’hui fait une grande carrière wagnérienne, l’infante Donna Clara Elzbieta Smytka et Ghita Iride Martinez. Cet opéra d’1h20 est une authentique tragédie, un conte cruel que Villiers de L’Isle Adam n’aurait pas renié, et dont Oscar Wilde le décadent a fait son miel.
Le Sultan offre à l’infante pour son anniversaire un Nain qui chante merveilleusement mais qui est affligé d’une laideur repoussante dont il n’a pas idée, ne s’étant jamais vu dans un miroir. Il se prend pour un chevalier étincelant, l’infante et la cour en jouent, le Nain tombe amoureux de la jeune fille et le jeu tourne au drame quand l’infante décide qu’il faut lui déciller les yeux, et qu’il finit par se découvrir dans un miroir. Le Nain en meurt de douleur.
La mise en scène de Grzegorz Jarzyna m’est apparue plus serrée, plus rigoureuse, plus sentie que celle de l’Enfant et les sortilèges. L’espace scénique unique reste la clairière, sorte de lieu de ces jeux d’enfants cruels, voire mortels, des miroirs, deux voitures américaines des années cinquante décapotables, dignes de la « Fureur de vivre », ou de ces films d’une jeunesse dorée qui s’amuse, des costumes modernes, colorés, mais qui renvoient par leur forme à Velasquez, eh oui, et les reflets des miroirs, au fond, ainsi que le costume de l’infante, renvoient discrètement, mais clairement, aux Ménines, mais aussi aux premières pages des « Mots et les Choses » de Foucault. C’est bien l’histoire d’une image de miroir qui montre ce qu’on refuse, ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne veut pas voir, une histoire de reflet qui est au centre de l’œuvre. L’allusion à Velasquez, qui révèle les laideurs par la peinture (voir les portraits de Philippe IV), me paraît assez claire.
Dans cet espace unique, une cour artificielle, des costumes surfaits, des couleurs criardes, une perruque rousse (comme l’Enfant précédemment), qui stylise les coiffures des Ménines ou des infantes peintes par Velasquez, un monde stylisé de vilains petits monstres, où le Nain serait presque « normal », à peine un peu tordu, dans son costume noir de clown en négatif.
La mise en scène travaille avec précision les duos, la place des personnages,

©Bayerische Staatsoper

l’utilisation très efficaces des deux voitures et la froideur de tout cet univers de l’apparence, où le cœur n’a point sa place. Seul le Nain (et Ghita) portent l’humanité en eux. Le reste n’est que marionnettes: d’ailleurs, l’Infante pose sur le corps sans vie du Nain une poupée la représentant qui ressemble furieusement à une vilaine marionnette.
A ce très beau travail scénique, qui présente des solutions efficaces et au total assez simples (en contraste avec la complexité de l’utilisation du semi-remorque dans l’Enfant et les sortilèges) correspond une réalisation musicale de très bonne facture. Martyn Brabbins fait mieux sonner l’orchestre (il est vrai que l’orchestration de Zemlinsky est plus spectaculaire que celle de Ravel, et moins en finesse), lui donne beaucoup de relief, beaucoup de présence. Je préférais Armin Jordan, mais « quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a ».
La distribution est composée de professionnels plus aguerris que dans l’Enfant et les sortilèges: Karen Vourc’h, soprano lyrique, qui a préféré le chant à la belle carrière de physicienne qui l’attendait, a une voix assez puissante, bien posée, et une belle maîtrise technique dans l’Infante, qu’elle interprète avec la froideur et la cruauté voulues, une vraie tête à claques , la Ghita de Lisa Karen Houben, soprano lirico spinto au timbre clair, au volume important, est remarquable: elle passe du rôle glacé au début de l’œuvre à une humanité profonde à la fin, en prenant soudainement conscience de la cruauté du jeu, et du même coup, le chant devient émouvant, la voix prenante. Une artiste à suivre.
Le Don Esteban de Simon Neal est aussi une réussite, voix chaude, belle présence (aidée

©Bayerische Staatsoper

par un costume  et une perruque un peu surréalistes).
Le Nain de Robert Wörle porte dans sa voix un peu nasale la tragédie qui va se jouer et qui le prédispose aux rôles de composition (Mime par exemple), mais la voix est souvent aux limites. Le rôle est très tendu à l’aigu, avec un orchestre volumineux, et on sent des difficultés à maîtriser ces aigus, et donc la justesse, et on entend quelques moments un peu approximatifs, mal négociés. Le personnage est bien campé, très présent, assez bouleversant à la fin, mais le chant reste quelquefois en dessous de ce qu’on attendrait. J’y verrais plus un Bernard Richter, ou un Klaus Florian Vogt, qui ont les aigus et le timbre du rôle (mais bien sûr pas le physique…) mais en plus une puissance qui m’apparaît chez Wörle un peu étriquée. Il reste que sa belle présence et sa prestation, même avec ses faiblesses, restent très honorables.

Au total, dirais-je, encore une belle proposition lyonnaise, qui passe la rampe et trouve un chaleureux accueil du côté du public dans la lignée de la programmation novatrice et sans concession qui est la marque de fabrique de cette maison. Avec une logique supplémentaire, qui voit une coproduction avec Munich, dont le directeur musical n’est autre que Kent Nagano qui officia longtemps comme directeur musical à Lyon. Ce spectacle imaginatif, intelligent et bien mené musicalement est un bel exemple de travail cohérent, attentif, ouvert comme on aimerait en voir plus souvent sur nos scènes.
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Salut final - Lyon