IN MEMORIAM GÉRARD MORTIER (1943-2014)

Gérard Mortier (1943-2014)
Gérard Mortier (1943-2014)

Cette année ne vaut rien pour les mélomanes.
Gérard Mortier, qu’on savait affaibli par un cancer, est décédé. C’est une perte pour l’intelligence, c’est une  perte pour l’opéra, c’est une perte pour l’art. Sa carrière exceptionnelle qui va des Flandres à Paris (où il est dans l’équipe de Liebermann, avec Hugues Gall), qui le porte ensuite à La Monnaie, à Salzbourg, à la Ruhrtriennale, à Paris comme Directeur de l’Opéra et à Madrid, est jalonnée de telles réussites que Salzbourg ne n’est pas encore remis de son départ (en 2001!), et que Paris s’est enfoncé dans le conformisme et la douce médiocrité.
La presse va souligner le polémiste et le provocateur, je préfère évoquer le passionné de théâtre, de modernité, l’explorateur de nouveaux horizons, de rénovateur des scènes lyriques, de découvreur de grands talents. c’est lui qui appelle à l’opéra entre autres La Fura dels Baus, Christoph Marthaler, Dmitri Tcherniakov, Krzysztof Warlikowski. Il va oser Saint François d’Assise de Messiaen avec Peter Sellars, il ose aussi à Paris ce Tristan und Isolde magistral (Sellars Viola) qui ne cesse de tourner sur toutes les scènes du monde.
J’ai eu le privilège de travailler un peu avec lui il y a une quinzaine d’années, j’ai découvert un passionné, infatigable chercheur de textes, de références,  assoiffé de culture sous toutes ses formes, de discussions intellectuelles: construire une programmation, confier une mise en scène, c’était en amont, lire, comparer, discuter, interroger les textes et les gens, au besoin heurter mais toujours réfléchir, aller plus loin, approfondir.
Oui c’était un Prince, dévoré par son métier, dévoré par l’opéra et comme tous les gens de sa trempe, un grand solitaire. Il avait accepté Madrid parce qu’il avait compris qu’à New York il n’aurait pas d’espace pour faire du New York City Opera la salle qu’il rêvait, et les faits lui ont donné raison: le NYCO a fermé. Et en quelques années, Madrid est devenue une scène de référence: il n’y a qu’à voir quel retentissement a eu la première récente de Brokeback Mountain de Charles Wuorinen.
Nous irons à Madrid en ce printemps pour voir Les Contes d’Hoffmann, mis en scène par Christophe Marthaler et dirigé par Sylvain Cambreling, ce qu’il disait être sa dernière production, et j’irai d’autant plus qu’il m’avait entraîné avec insistance à la Volksbühne de Berlin voir La Vie parisienne du même Marthaler dont il parlait avec feu et avec conviction, ce sera une manière d’hommage .
Il détestait les médiocres et les ignorants: il avait coutume de le leur dire en face; on en avait eu un exemple en septembre dernier à Madrid quand il avait été remercié dans les conditions que l’on sait (voir le blog).
Il a beaucoup donné au monde de l’opéra, il a beaucoup donné au public, et à moi, il a beaucoup appris.
C’est ce qu’on appelle un Maître.
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TEATRO REAL 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON DE MADRID

 

Planté en face du palais Royal, le Teatro Real illustre bien la symbolique de l’opéra et du pouvoir.
Le XIXème français a installé en général le théâtre pas trop loin de la mairie, comme deux symboles civiques forts. Ici, c’est l’opéra, théâtre royal, qui dialogue avec le palais.
On va me rétorquer (et on aura raison) que la Scala est face à la mairie de Milan. Mais  même si le Palazzo Marino remonte au XVIème siècle et la Scala au XVIIIème, il n’est le siège de la mairie de Milan que depuis septembre 1861. Et donc c’est la mairie qui choisit de faire face à la Scala, et qui du même coup affirme la Scala comme théâtre des citoyens et non théâtre de Cour: déjà, sa construction, séparée du Palazzo Reale au XVIIIème symbolisait la conquête  de son théâtre par la cité. D’ailleurs, le centre de Milan réhabilité après l’unité d’Italie est particulièrement intéressant: le Palais royal, le Duomo, la Mairie et la Scala sont liés par la galerie Vittorio Emanuele (1879) qui constitue ce qu’on appelle le Salotto di Milano. Toute l’histoire de Milan est là, tracée sur une ligne: l’histoire d’une ville qui s’est elle même libérée de ses jougs.
Le Teatro Real (architecte Antonio López Aguado), dont la façade et l’entrée donnent sur le Palais royal et non sur la Ville, illustre au contraire une autre histoire. Construit sur ordre de la reine Isabelle II en 1850, il est royal de naissance. Et de naissance aussi, il célèbre l’opéra italien (inauguration avec La Favorite de Donizetti). La construction du métro occasionne sa fermeture en 1925, et ce n’est qu’après 1990, après des travaux de restructuration et de rénovation, qu’il est rendu à sa fonction première.
Pendant des années, l’opéra à Madrid s’est transplanté au Teatro de la Zarzuela (qui lui, remonte à 1858, toujours sous le règne d’Isabelle II passionnée de musique…et de musiciens).
La salle du Teatro Real d’une capacité de 1800 places, est une salle au rapport scène/salle très équilibré et douée d’une très belle acoustique. Depuis 2010, c’est Gérard Mortier qui en était le directeur artistique, jusqu’en septembre 2013, où dans les conditions lamentables que l’on sait, il est remplacé par Joan Matabosch, directeur artistique du Liceu de Barcelone.
Il nous faut nous arrêter quelque peu sur la question de l’opéra en Espagne.
Tant que le Teatro Real n’a pas été réouvert à l’opéra, c’est le Liceu de Barcelone qui était en Espagne la salle de référence. La réouverture du Teatro Real s’est non seulement accompagnée de l’ouverture de plusieurs théâtres d’opéra en Espagne (Palau de les Arts Reina Sofia à Valence, Teatro de la Maestranza à Séville), mais a donné l’occasion de relancer une véritable politique artistique à Madrid et attirer l’attention des grands managers d’opéra, à commencer par Stéphane Lissner. C’était l’époque où l’Espagne avait le vent en poupe.
Gérard Mortier arrive à Madrid à un moment de repli dû à la crise, et affiche une politique (celle qu’il a toujours défendue) ouverte aux metteurs en scènes novateurs, aux oeuvres du XXème siècle, aux créations. Or le répertoire de l’opéra en Espagne est très fortement marqué par le répertoire italien, et par une certaine tradition. Il bouscule donc les habitudes. De son côté, Joan Matabosch au Liceu (qu’il dirigeait depuis 1996) a essayé d’ouvrir le répertoire, mais a toujours veillé à tenir des équilibres entre tradition maison et ouverture. C’est par exemple au Liceu que Calixto Bieito fait sa première mise en scène “scandaleuse” en 2001, un Ballo in maschera resté dans les mémoires.
Liceu et Madrid se partagent donc en Espagne la suprématie en matière lyrique.
La saison 2014-2015 du Teatro Real essaie d’afficher cet équilibre entre innovation et tradition, et surtout, en ces temps de crise et de réduction de subventions, essaie d’afficher des titres qui puissent attirer le public en gardant des exigences artistiques de haut niveau. On est cependant déjà assez loin de la politique d’un Mortier, avec la création cette année de Brokeback Mountain de Charles Wuorinen mis en scène par Ivo van Hove qui a attiré les regards de toute l’Europe lyrique, ou de la présence régulière de metteurs en scènes tels que Marthaler (Les contes d’Hoffmann), Warlikowski (Alceste) ou Peter Sellars (Tristan und Isolde et The Indian Queen).
La programmation de la saison prochaine est sans doute un peu plus sage ou plus conforme, mais non dépourvue d’intérêt.

Le nouveau directeur musical, le britannique Ivor Bolton, spécialiste du XVIIIème siècle (il est claveciniste) et habitué de la scène munichoise, ouvrira la saison avec une production des Nozze di Figaro en septembre pour 10 représentations (à partir du 15 septembre) et deux distributions avec Luca Pisaroni en comte (alternant avec Andrey Bondarenko), Sofia Soloviy (ou Anett Fritsch) en comtesse, Andreas Wolf/Davide Luciano en Figaro, Sylvia Schwartz/Eleonora Buratto en Suzanne, et Elena Tsallagova alternant avec Lena Belkina en Cherubino.

13 représentations tiroir-caisse entre le 20 octobre et le 9 novembre de La Fille du Régiment de Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly devenue la mise en scène quasi unique  de cette oeuvre dans les grands opéras internationaux (sauf à la Scala) puisqu’on l’a vue au MET, à Londres, à Vienne, à Paris. Ce sera l’occasion de revoir Natalie Dessay, qui alternera avec Désirée Rancatore et Alexandra Kurzak dans Marie, et Javier Camerana (et Antonio Siragusa) en Tonio, ainsi qu’Ewa Podles alternant avec Ann Murray dans la Marquise de Berkenfeld. L’orchestre sera dirigé par le vieux routier Bruno Campanella et le jeune chef français Jean-Luc Tingaud.

Honneur à Britten en décembre (7 représentations entre le 4 et le 23 décembre) avec Death in Venice dirigé par Alejo Pérez dans une mise en scène de Willy Decker (et des décors et costumes de Wolfgang Güssmann) en coproduction avec le Liceu de Barcelone, avec John Daszak en Aschenbach et Peter Sidhom en voyageur.

Trois représentations (16, 20 ,26 décembre) de concert de Roméo et Juliette de Gounod très bien distribué avec Sonya Yoncheva et Roberto Alagna et dirigé par Michel Plasson à l’occasion des 140 ans depuis la première au Teatro Real.

9 représentations entre le 20 janvier et le 7 février de Hänsel und Gretel de Humperdinck, dirigé par Paul Daniel (et Diego García Rodríguez le 27 février) et mis en scène par Joan Font (du collectif catalan Comediants) et des décors et costumes de Ágatha Ruiz de la Prada avec une belle distribution: Bo Skhovus, Diana Montague , Alice Coote et Sylvia Schwartz. Cette production devrait valoir le voyage.

Une création en mars, de El Público, opéra en cinq actes et un prologue de Mauricio Soleto (né en 1961) livret de Andrés Ibáñez, d’après la pièce El Público (1928) de Federico García Lorca, pour huit représentations du 24 février au 9 mars.
Pablo Heras-Casado dirigera à cette occasion le Klangforum Wien dans une mise en scène de l’américain Robert Castro et des décors du sculpteur Alexander Polzin, avec notamment Andreas Wolf, Ancángel et Gun-Brit Barkmin. Cette production aussi devrait valoir le voyage, car adapter une oeuvre aussi complexe que El Público écrite par Federico García Lorca à Cuba devrait être passionnant.

16 représentations tiroir-caisse en avril et mai (20 avril-9 mai) de La Traviata de Verdi mise en scène de David Mc Vicar dans des décors et costumes de Tanya McCallin (vue au Grand Théâtre de Genève- voir le blog) et coproduite avec le Liceu, le Scottish Opera (Glasgow) et le Welsh Opera de Cardiff. L’ensemble des représentations sera dirigé par Renato Palumbo et trois distributions alterneront:
– Patrizia Ciofi (Violetta)/Francesco Demuro (Alfredo)/Juan Jesús Rodríguez (Germont)
– Irina Lungu (Violetta)/Antonio Gandía (Alfredo)/Ángel Ódena (Germont)
– Ermonela Jaho (Violetta)/Teodor Ilincái (Alfredo)/Leo Nucci (Germont)

De 27 mai au 11 juin, 8 représentations de Fidelio de Beethoven, dirigé par Hartmut Haenchen, mis en scène de Alex Ollé de la Fura dels Baus en collaboration avec Valentina Carrasco, des décors de Alfons Flores et des costumes de Lluc Castells et chanté par Michael König (Florestan), Adrianne Pieczonka (Leonore) Franz-Josef Selig (Rocco) Anett Fritsch (Marzellina), Ed Lyon (Jaquino), Alan Held (Don Pizarro), Goran Jurić (Don Fernando).
Un spectacle qui devrait être attirant pour un beau week end de printemps à Madrid.

En juillet, pour clore en beauté la saison, et pour revenir à Madrid pour un week end cette fois estival: Goyescas de Granados, et Gianni Schicchi de Puccini, en une soirée, où l’on verra Plácido Domingo en chef d’orchestre (Goyescas) et en chanteur pour une prise de rôle (Gianni Schicchi). (Cinq représentations du 30 juin au 12 juillet)
Goyescas de Granados sera dirigé donc par Plácido Domingo et mis en scène par José Luis Gómez dans des décors d’Eduardo Arroyo et des costumes de Moidele Bickel (une grande équipe pour les décors et costumes) avec María Bayo, Andeka Gorrotxategi, José Carbó.
Gianni Schicchi de Puccini sera dirigé par le grand routier du répertoire Giuliano Carella, dans une mise en scène de Woody Allen (sa première mise en scène d’opéra), des décors de Santo Loquasto, avec Plácido Domingo (Schicchi), Maite Alberola (Lauretta), Elena Zilio (Zita), Albert Casals (Rinuccio), Vicente Ombuena (Gherardo) et Bruno Praticò (Betto di Signa).

Enfin, pour cinq représentations entre le 4 et le 10 juillet, une autre création mondiale, une pièce de théâtre musical en quinze tableaux La ciudad de la mentiras (la cité des mensonges) de Elena Mendoza (née en 1973), Livret de Matthias Rebstock d’après des nouvelles de l’écrivain uruguayen  Juan Carlos Onetti (Un sueño realizado, El álbum, La novia robada El infierno tan temido). Juan Carlos Onetti (1909-1994) inscrit ses écrits dans une toile de fond constituée de la ville imaginaire de Santa María, métaphore de la désespérance et de l’hypocrisie sociale, et de l’isolement de l’individu.
Matthias Rebstock et Elena Mendoza entrelacent quatre récits, créant une polyphonie des lieux, des personnes et des situations et se concentrant sur quatre femmes qui s’accrochent à leurs mensonges existentiels, non sans humour d’ailleurs ni une certaine grandeur.

Une saison très contrastée, avec des moments intéressants qui devraient donner plusieurs occasion de passer quelques jours à Madrid, ce à quoi on peut vivement encourager les amateurs d’opéra.
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GÉRARD MORTIER LIMOGÉ DU TEATRO REAL DE MADRID

Jour vraiment triste pour la musique aujourd’hui.
Avec une grande élégance, le conseil d’administration du Teatro Real a limogé Gérard Mortier de son poste de Directeur Artistique du Teatro Real. Hier encore dans mon petit article sur l’arrivée de Lissner, je signalais le rififi de Madrid. Aujourd’hui arrive du Teatro Real le communiqué de presse annonçant que le successeur nommé est Joan Matabosch, et qu’il prend immédiatement ses fonctions (il continuera d’exercer l’interim à Barcelone en attendant la nomination d’un successeur) et que Mortier cesse donc séance tenante de les exercer. Le communiqué précise qu’il était clair que Mortier partirait puisqu’il avait annoncé publiquement que si son successeur n’était pas parmi ceux qu’il avait indiqués (Dorny, Audi etc…), il s’en irait. Et donc la commission a pris les devants en profitant de la maladie qui le frappe. Le communiqué se termine d’ailleurs en formulant des souhaits pour le rétablissement de sa santé, puisqu’il est en train de lutter contre un cancer.

“In any case, the Teatro Real, most sincerely regrets the information received regarding Gerard Mortier’s present state of health, and wishes him a speedy recovery.  Likewise the Teatro Real wants to publicly acknowledge the extraordinary work that Gerard Mortier carried out during the four years that he has maintained a professional relationship with the Teatro Real.”
“En tout cas, le Teatro Real regrette très sincèrement l’information qu’il a reçue sur l’état de santé actuel de Gérard Mortier et lui souhaite un prompt rétablissement. De même le Teatro Real veut publiquement reconnaître le travail extraordinaire que Gérard Mortier a conduit tout au long des quatre ans de sa relation professionnelle avec le Teatro Real.”

On ne peut faire plus faux cul. Cette commission (ou ce conseil d’administration) doit immédiatement filer au Prado, et prendre rang parmi les portraits des personnages les plus répugnants de Goya. [wpsr_facebook]

CHAISES MUSICALES POUR FAUTEUILS LYRIQUES: STÉPHANE LISSNER ARRIVE À PARIS PLUS VITE QUE PRÉVU

Jeu de chaises musicales, domino lyrique: comment appeler ce qui vient de se passer ? Grâce au rififi salzbourgeois qui amène à un départ anticipé d’Alexander Pereira  après le festival 2014, ce dernier peut arriver à la Scala, où il est nommé sovrintendente en septembre 2014 et non en 2015. Du coup Lissner peut partir de la Scala et arriver sur Paris dès septembre 2014 . Nicolas Joel peut donc partir de l’Opéra “à sa demande”…un an à l’avance.  Certes, chacun gèrera la saison du prédécesseur, mais dans les grandes maisons, souvent la première saison d’un manager est faite de productions qu’il a programmées et de quelques autres qui ont été prévues par son prédécesseur à cause de l’anticipation nécessaire (au moins trois ans, sinon plus) pour avoir les artistes qu’on veut.
Disons que le départ de Nicolas Joel ne fera pas pleurer les foules, je dis bien les foules, car il paraît que l’Opéra de Paris n’a jamais eu autant de public: on entendait la même antienne du temps de Gérard Mortier. Tant mieux au fond, les foules en question pourront apprécier la différence entre la programmation Lissner et la programmation Joel. Des années Joel, je retiendrai d’abord des promesses (chanteurs, répertoire français) très partiellement tenues, le Werther de Kaufmann, mais la production venait de Londres, un Ring, musicalement acceptable, scéniquement médiocre, mais un Ring enfin après tant d’années d’attente,  Mathis der Maler (Olivier Py) avec un magnifique Mathias Goerne et aussi quelques reprises appréciables de quelques productions Mortier. Assez maigre.
On connaît suffisamment Stéphane Lissner pour prévoir que l’image de la maison et la couleur des productions vont changer assez radicalement: et il le fera très vite, question de stratégie.  Il trouvera malgré tout en arrivant une maison en ordre de marche et un répertoire consolidé, et non pas une maison en déshérence comme lorsqu’il est arrivé à la Scala, où son bilan est plutôt positif pour le renouvellement du répertoire et l’ouverture scénique, et plutôt négatif pour le maintien à  niveau des productions de répertoire italien: ce n’est pas là où il aura brillé.
Mais comme Pereira à Salzbourg, Lissner part de Milan plutôt critiqué que regretté. C’est à mon avis injuste: il a réussi à imposer à un public notoirement difficile, très conservateur et plutôt provincial une politique tout de même plus audacieuse que par le passé, même si c’est resté dans les limites supportables par les milanais (le plus osé, c’est Claus Guth…qu’aurait-ce été avec un Warlikowski ou un Castorf). On lui doit, à lui aussi, un Ring de très haut niveau scénique et musical, avec un Barenboim des très grands jours et un Guy Cassiers inégalement inspiré, mais qui constitue tout de même une vraie référence de modernité, largement acceptée par le public, il faut le reconnaître. On lui doit de magnifiques Wagner, de très beaux Strauss, de remarquables Britten, Janacek et Berg, un Falstaff (il faut bien un Verdi) de référence.Un bilan très respectable de théâtre très internationalisé.
Quant à Pereira, nemo propheta in patria, il part de Salzbourg à la fois victime de son orgueil et de sa présidente, Dame Helga Rabl-Stadler, la dévoreuse de boss, qui est en train d’user ses intendants à une vitesse assez stupéfiante: elle était déjà là sous Mortier…et après Mortier (parti en 2001) sont passés Peter Ruzicka, Jürgen Flimm, un interim de Markus Hinterhäuser, actuel directeur des Wiener Festwochen, qui pourrait bien  vite revenir à Salzbourg mais cette fois comme intendant de plein exercice et Alexander Pereira dont on pensait qu’il couronnerait sa carrière et qui n’a fait que passer, après de longues années remarquables à Zürich. “Un petit tour et puis s’en vont” symbole des difficultés à retrouver une identité stable au plus grand festival européen de musique.
Le rififi n’est pas réservé à la France, l’Italie ou l’Autriche. À Madrid, Gérard Mortier qui lutte contre un cancer, menace depuis quelques mois de partir par anticipation, après avoir renouvelé profondément le répertoire du Teatro Real: sa saison est encore vraiment stimulante cette année. Il menaçait l’an dernier à cause des éventuelles restrictions de crédit,  il menace maintenant de partir pour protester contre la nomination probable de son successeur éventuel, le catalan Joan Matabosch, directeur du Liceu de Barcelone, maison solide qui a des orientations plutôt à l’opposé de celles du bouillant Mortier. Il nous reste à lui souhaiter que sa santé se rétablisse, et qu’il finisse son mandat (2016) pour nous régaler encore de spectacles de référence.
Comme on le voit, le monde de l’opéra est un melodramma giocoso…en 40 ans de vie lyrique suivie à la lettre, je n’ai connu que polémiques à Paris autour de l’opéra: polémiques contre Rolf Liebermann, puis contre Bernard Lefort, puis contre Daniel Barenboim, puis contre Pierre Bergé. Hugues Gall y a un peu échappé, mais Gérard Mortier les a fait revivre, telles le Phénix, et ne parlons pas de Nicolas Joel. Que voulez-vous, il faudrait un Saint Simon pour décrire les heurs et malheurs de l’opéra, art de cour par excellence, peu aimé de nos présidents pourtant si monarchiques (à part Giscard d’Estaing, les autres ne s’y sont pas fait voir), peu aimé des ministres des finances (on y voyait pourtant fréquemment Madame Lagarde) car il coûte toujours trop cher, de plus en plus cher, mais visiblement de plus en plus aimé du public…Adieu Nicolas (le Saint des cadeaux), bonjour Stéphane (le saint du lendemain de Noël): un directeur de l’opéra, c’est un peu notre père Noël. [wpsr_facebook]

VU A LA TV: COSI’ FAN TUTTE de W.A.MOZART le 21JUIN 2013 AU TEATRO REAL (Dir.mus:Sylvain CAMBRELING, Ms en scène: Michael HANEKE)

Acte 1©Javier del Real

La rage au cœur, j’ai dû renoncer et à Madrid et à Bruxelles, et c’est avec beaucoup de curiosité et d’attente que j’ai regardé la retransmission du Teatro Real (Février 2013) de ce Cosi’ qui vient de triompher à Bruxelles,  l’ancien fief de Gérard Mortier. C’est Gérard Mortier alors à Paris qui avait eu l’idée de confier Don Giovanni à Michael Haneke qui rappelons-le est un homme de théâtre avant d’être un cinéaste, c’est à lui sans doute que revient le mérite de cette production de Cosi’ fan Tutte. Il est dommage qu’Haneke ait déclaré renoncer désormais à l’opéra, car sans doute aurait-on attendu dans un futur proche des Nozze di Figaro.
Étrange destin que Cosi’ fan Tutte, longtemps oublié ou négligé, considéré comme oeuvre mineure (même par Wagner) et monté comme une comédie plus que comme un Dramma giocoso (comme Don Giovanni). C’est à partir des années 1970 qu’on commence à lire le drame, plus que la joie. Je me souviens de la mise en scène de Ponnelle à Garnier (direction merveilleuse de Josef Krips, trois mois avant sa mort), assez moyenne, moins inventive que d’autres travaux du grand metteur en scène, mais tout de même: à la fin, les couples se reforment, mais les regards ne trompent pas, un regard long et pesant de Fiordiligi vers Ferrando, de Dorabella vers Guglielmo, et vice-versa. On sent que le mariage n’empêchera pas les couples adultères de se reformer. Et tout jeune spectateur ces regards m’avaient frappé. Aujourd’hui à lire toute la presse, un Cosi’ fan tutte plus dramma que giocoso semble une évidence et va finir par devenir un topos, alors qu’une lecture plus légère est tout aussi possible. Celle de Hans Neuenfels à Salzbourg il y a une quinzaine d’années (encore Mortier!) faisait de l’histoire une sorte d’expérience scientifique distanciée: Alfonso et Despina étant des sortes d’entomologistes (évoluant sur une boite translucide contenant deux immenses moustiques) et les couples étaient des insectes: on y faisait une simple expérience scientifique, avec des êtres interchangeables, tous habillés de la même tenue blanche.
Le regard des Hermann (Karl Ernst et Ursel), toujours à Salzbourg, mais à Pâques quelques années plus tard, était plus chargé, et donnait aux femmes (dont une magnifique Cecilia Bartoli) la même  duplicité que leurs fiancés, car elles avaient tout épié, tout écouté, tout compris, mélangeant gravité et légèreté.
Enfin Guth, il y a peu, toujours à Salzbourg, chargeait l’histoire de drame.
Donné pour la fête de la Musique sur Arte, ce Cosi’ fan tutte est tout sauf une fête car Haneke en chirurgien des âmes propose un parti pris de lecture d’une noirceur et d’un pessimisme rares en décapant l’histoire et en proposant une analyse qui prend aussi bien au XVIIIème siècle, mais plus celui des Liaisons Dangereuses, des Égarements du cœur et de l’Esprit, voire de Sade que celui de Marivaux (encore que Marivaux ne soit pas toujours si léger) qu’au XXème siècle, un XXème qui serait celui de Wozzeck, de Wedekind et de Thomas Bernhardt, un XXème de gais lurons quoi!
Nous sommes dans un monde où les masques et les déguisements tombent vite, où le jeu vire à l’aigre ou à un jeu de la vérité aux limites du supportable.
Nous sommes dans un monde enfin qui ne pardonne rien, où se sont délitées toutes les utopies sentimentales, où les femmes sont des objets de manœuvres, de désir, de plaisir, un monde où l’amour n’est que déchirement.

“La danse” ©Javier del Real

C’est Don Alfonso qui mène la danse, une sorte de Don Giovanni mature, revenu de tout et donc même de l’Enfer, magnifiquement personnifié par William Shimell, glacial, aux regards de verre, sans une ombre d’humanité: ce chanteur habitué des rôles noirs est en carrière depuis longtemps, et il fait là une composition exceptionnelle, jamais légère, car contrairement à l’habitude, l’enjeu est déterminant pour les êtres. A ses côtés une Despina qui n’est pas sa complice d’un moment, qui serait la soubrette légère qu’on verrait chez Marivaux, non, c’est l’âme damnée, sans doute victime elle aussi, dans le passé, de Don Alfonso avec lequel elle vit en couple: une victime devenue âme damnée que Haneke habille en Gilles ou en Pulcinella (géniale allusion à Watteau, et donc au monde de la Comédie Italienne, au monde de Marivaux, au monde des masques dans une œuvre où tous avancent masqués). Une Despina mélancolique et cruelle à la fois, une sorte de Lulu revenue de tout, sans l’ombre d’un sentiment, magnifiquement interprétée par la suédoise Kerstin Avemo.
Les couples sont personnifiés par de jeunes chanteurs dont il est difficile à la télévision de mesurer les voix: certes, dans l’ensemble, c’est une distribution homogène, sans voix exceptionnelles, mais tous avec le physique de l’emploi, avec une vraie musicalité, avec un engagement incroyable: ils sont les vrais instruments de Haneke, qui a fait travailler leurs gestes, leurs mouvements, leurs regards. Le travail sur le regard est vraiment stupéfiant dans cette mise en scène car tout part du regard, qui dit ce que le corps ne dit pas encore, qui dit ce que les gestes n’osent pas exprimer. Joli style et belle musicalité du Guglielmo un peu brusque de Andreas Wolf face à la Dorabella légère dont on devine qu’elle est née volage de Paola Gardina

Guglielmo/Dorabella ©Javier del Real

(le couple montre un sorte de mimétisme physique intéressant, une spécularité à fouiller). Paola Gardina, jeune femme italienne (naguère vainqueur au Concours Toti dal Monte pour Thisbé dans Cenerentola) doué d’un chant élégant (elle est habituée du bel canto et du chant baroque). Le Ferrando de Juan Francisco Gatell est moins “mâle” que d’ordinaire, mais ardent et passionné, son chant extrêmement contrôlé, son art des “smorzature”, son très beau style et sa capacité à travailler les émotions le signalent comme un ténor avec lequel il va falloir compter: formé en Italie, ce jeune ténor argentin a la voix idéale pour Rossini et tout le répertoire XVIIIème. À suivre donc.

Fiordiligi, Ferrando, Don Alfonso ©Javier del Real

Enfin, last but not least,  Anett Fritsch (en troupe au Deutsche Oper am Rhein) en Fiordiligi se tire avec honneur des difficultés du rôle, avec un chant bien calibré, mais c’est surtout l’engagement du personnage qui frappe, le jeu d’une criante vérité, déchirant, se lançant dans l’amour d’une manière presque désespérée, une Fiordiligi presque suicidaire. Grand moment.

Mondanité, vacuité , drame ©Javier del Real

Tout cela se passe dans un magnifique décor de Christoph Kanter, divisé en deux espaces, l’un ressemblant à une Villa du XVIIIème devant un parc, où évoluent des invités à une party costumée (smokings, mais aussi habits du XVIIIème, d’une rare élégance, dus évidemment à la grande Moidele Bickel) à moins qu’ils ne soient volontairement mélangés pour souligner les parallèles entre le XVIIIème et nous; en tous cas le fond de scène est le lieu du jeu et de la mondanité un peu superficielle et formelle, où sont aussi ceux qui regardent le jeu de massacre comme des voyeurs, qui scrute ce premier plan  séparé de l’arrière par des immenses baies vitrées, un grand salon, froid, blanc, contemporain, éclairé par une cheminée monumentale à droite et avec un réfrigérateur à gauche derrière un miroir contenant des alcools, avec un immense canapé. Là c’est le lieu d’un autre jeu, celui des intimités bouleversées, des âmes massacrées, des déchirures, mais aussi le jeu de la vérité, effrayant. Les éclairages diurnes ou nocturnes particulièrement soignés selon ce qui  se déroule en scène ou en fond de scène,  de Urs Schönebaum semblent très réussis.

Image finale©Javier del Real

Je voudrais souligner l’image finale, ces gens qui se tiennent et se tirent, qui se veulent pas se marier ensemble et qui se refusent les uns aux autres après une scène de contrat de mariage digne d’un mariage forcé et qui m’a fait irrésistiblement penser dans un tout autre contexte à la montée au Walhalla du Rheingold de Chéreau, où tirés par Wotan, les dieux résistent et ne veulent pas monter. Même gestes, même tension, même avenir délétère.
Et tout cet ensemble est dirigé par Sylvain Cambreling (là où règne Mortier, Cambreling n’est jamais bien loin…). Je sais qu’il est de bon ton en France de mépriser ce chef français, systématiquement sous évalué. Ce que j’ai entendu à la télévision ne m’est pas apparu scandaleux, loin de là. Le chef suit l’action, adhère au parti pris de Haneke (lenteur, silences) sans être inerte comme on lui a reproché, mais l’orchestre sonne bien, avec une vraie lecture, soucieuse de cohérence avec la scène. L’ensemble m’est apparu loin d’être médiocre.
On peut reprocher à Haneke son parti pris, et sa rigoureuse manière d’aller jusqu’au bout d’une logique, on ne peut lui reprocher la qualité de ce travail décapant, précis, attentif, un jeu sculpté jusqu’au détail, travaillé dans les moindres recoins. Haneke met en scène les replis de l’âme humaine, les contradictions de l’amour, les jeux des êtres et des apparences, la surprenante découverte de soi, les intermittences du coeur et les diables amoureux. On peut imaginer un Cosi’ fan Tutte plus léger, où rien n’a vraiment d’importance, où tout passe, où l’on sait qu’épouser ne préjuge de rien, et où l’on s’amuse. Haneke a choisi de montrer la fragilité des sentiments, la vanité des discours, la ruine des valeurs, et surtout les mots qui cachent le vide et le désarroi. C’est aussi nous, cela, c’est aussi le monde, c’est aussi la société, et  Mozart en 1790 propose une école des amants (La scuola degli amanti, sous-titre de l’œuvre) qui est déjà école des désillusions.
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©Javier del Real

LICEU BARCELONA et TEATRO REAL MADRID 2013-2014: LES NOUVELLES SAISONS

Voici deux théâtres qui cherchent, chacun conformément à sa tradition, à affronter la crise économique qui sévit en Espagne et qui atteint évidemment de plein fouet les institutions culturelles, bouches dites inutiles qui sont partout les premières à souffrir des contractions budgétaires.

Gran teatre del Liceu

Le Liceu de Barcelone est le grand théâtre de tradition en Catalogne, où l’incendie de 1994 a provoqué une réaction émotionnelle aussi forte sinon plus que celui de la Fenice. On peut même affirmer qu’il a été le théâtre de référence de toute l’Espagne pendant très longtemps: aujourd’hui, cela se relativise puisque  que  le paysage lyrique s’est enrichi ces quinze ou vingt dernières années par l’apparition de nouveaux lieux pour le lyrique, le Palau de les Arts de Valence, la Maestranza à Séville et bien sûr le Teatro Real de Madrid, enfin restauré (les saisons avaient lieu auparavant au théâtre de la Zarzuela). Il y a en Espagne une vraie tradition lyrique et les pays de langue espagnole (européens ou sud américains) et catalane ont fourni à l’art lyrique de très nombreux chanteurs ( des ténors, des sopranos, des mezzos) qui comptent tous parmi les plus grands de l’histoire du chant, Jaime Aragall, José Carreras, Alfredo Kraus, Teresa Berganza, Montserrat Caballé, Placido Domingo, et aujourd’hui Marcelo Alvarez, Juan Diego Florez, à un moindre degré Vivica Genaux. Cette tradition vivace, on la lit dans une programmation du Liceu, qui donne traditionnellement beaucoup d’importance aux voix et aux chanteurs, même si ces dernières années, le répertoire s’est largement diversifié et ouvert, grâce à des directeurs musicaux liés à l’aire germanique comme Bertrand de Billy, Sebastian Weigle ou Michael Boder, plus autochtone maintenant avec l’excellent Josep Pons.
La saison d’opéra va commencer par quatre séries de deux concerts retraçant le parcours de Verdi, et présentant des extraits d’une large palette de ses œuvres, l’orchestre étant dirigé par Karel Mark Chichon. L’ensemble des chanteurs invités n’annonce pas de soirées échevelées, on reste dans la grande série (Nucci, Mosuc et Rancatore mis à part dans les deux premiers programmes), une grande série sans grand intérêt (Rachele Stanisci et Carlos Ventre par exemple ne font pas frémir les foules). Une manière de remplir les premiers mois du dernier trimestre 2013 sans productions (sans doute pour raisons financières), puisque le premier spectacle,  Agrippina de Haendel est affiché en Novembre, dans une production de David Mc Vicar et dirigé par Harry Bicket. La distribution en est très intéressante puisqu’on y lit les noms de Sarah Connolly, Danielle de Niese, Franz Josef Selig et Dominique Visse.
Plus généralement, la saison du Liceu même réduite, essaie d’être variée, un opéra baroque en novembre (Agrippina), un opéra français en décembre (Cendrillon), un opéra pour le jeunesse (Cosi’ FUN Tutte) en février, un opéra de bel canto en janvier-février(La Sonnambula), un opéra de Puccini en mars (Tosca), une rareté du répertoire russe en avril (La légende de la cité invisible de Kitège) un opéra de Wagner en mai-juin (Die Walküre),  , et en juin-juillet  un appariement entre Suor Angelica de Puccini et Il prigioniero de Dallapicola qu’on commence à voir sur de nombreuses scènes et une version de concert (pour deux soirées) de l’Atlàntida de Manuel de Falla en novembre 2013.
Ainsi, une saison qui part de novembre, avec un opéra par mois, et des représentations en nombre impliquant deux voire trois (Tosca) distributions. Des choix assez sages, mais loin d’être dépourvus d’intérêt.
Les productions sont soignées, et les distributions 1 ou 2 sont assez équilibrées: la nouvelle production de Cendrillon est signée Laurent Pelly (en coproduction avec Covent Garden, La Monnaie et Lille) et dirigée par Andrew Davis, les distributions affichent pour l’une Joyce Di Donato, Ewa Podles, Laurent Naouri, Annick Massis et pour l’autre Karine Deshayes, Eglise Gutierrez, Doris Lamprecht, Marc Barrard. Pour les amateurs de Massenet, c’est plutôt un beau cadeau. Celle de La Sonnambula affiche Diana Damrau et Juan Diego Florez, une distribution 1 difficile à égaler, même avec Patrizia Ciofi en distribution 2. La production est celle de Marco Arturo Marelli, vue à Paris avec Dessay, et l’orchestre est dirigé par Daniel Oren. Même avec Florez et Damrau, cette production ne vaut peut-être pas le passage des Pyrénées. En mars trois Tosca, Sondra Radvanovsky, Martina Serafin et Fiorenza Cedolins alterneront avec des Scarpia (dont Ambrogio Maestri) et Mario divers  (dont Jorge De Leon): des trois Tosca, seule Radvanovsky me paraît digne d’intérêt, la direction d’orchestre est confiée  à Paolo Carignani, la mise en scène à un décorateur assez intéressant, le catalan Paco Azorin. 15 représentations d’un spectacle fait pour remplir les caisses, Tosca attirant de toute manière les foules.
La fin de la saison, d’avril à juillet me paraît beaucoup plus digne d’intérêt avec d’abord La Légende de la Cité invisible de Kitège de Rimsky Korsakov (quand j’étais jeune, on parlait de Parsifal russe…) dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov, en coproduction avec De Nederlandse Opera d’Amsterdam  et la Scala de Milan, dirigée par Josep Pons, avec une distribution respectable (Vladimir Ognovenko, Margarita Nekrasova etc…) qui vaudra à l’évidence un voyage (5 représentations en avril) . Peut-être aussi la Walkyrie qui suivra, venue de Cologne (Mise en scène Robert Carsen: le public du Liceu voit cette saison Das Rheingold) avec deux distributions solides, Irene Theorin, Anja Kampe, Klaus Florian Vogt, Albert Dohmen, Mihoko Fujimura pour la première et Katherine Forster, Eva Maria Westbroeck, Franck van Aken (“Monsieur Westbroek” à la ville)  Greer Grimsley, et Katarina Karneus. Les deux dames de la seconde, venues directement du cast de Bayreuth 2013 m’attirent presque plus que la première malgré Vogt en Siegmund. La direction musicale est assurée par Josep Pons, chef de qualité peu connu à l’extérieur de l’Espagne. Enfin en juin/juillet, un de ces couples d’opéra inattendus, Il Prigioniero de Dallapicola (une création pour le Liceu) et Suor Angelica de Puccini, en coproduction avec le Teatro Real de Madrid, dans une production de Lluis Pasqual et des décors de Paco Azorin, avec des chanteurs plus que respectables, Dolora Zajick, Jeanne-Michèle Charbonnet, Barbara Frittoli, Evguenyi Nikitin, Robert Brubaker. Un spectacle qui vaudrait un petit week end à Barcelone. On l’aura compris, le printemps 2014 pourrait être catalan, les trois derniers spectacles de la saison  présentent un intérêt non négligeable. Mais s’il n’en fallait qu’un, pour moi, ce serait La Légende de la Cité invisible de Kitège.

Teatro Real, Madrid

À Madrid, c’est encore Gérard Mortier qui règne (il a annoncé que si les subventions baissaient encore, il s’en irait) et qui cette année a dû renoncer pour raisons financières à Zauberflöte avec les Berliner et Simon Rattle (en coproduction avec Baden-Baden).
Et sa saison 2013-2014 est reconnaissable entre mille, par la présence au moins une fois de Cambreling au pupitre, et celle (entre autres) de Marthaler, Warlikowski, Sellars, Van Hove dans les metteurs en scène annoncés .
Il est incontestable que la saison est d’une grande tenue, d’une vraie intelligence, malgré les difficultés: c’est une vraie saison construite et composée, qui a du sens. Distributions de qualité, chefs reconnus et divers, metteurs en scène variés alliant classicisme et modernité: un joli équilibre qui donne envie d’aller à Madrid.
La saison s’ouvre en septembre sur un Barbiere di Siviglia  de répertoire, sans doute alimentaire, mis en scène par Emilio Sagi, dirigé par Tomas Hanus avec une double distribution honnête sans être transcendante (Korchak/Rocha, De Simone/Fardilha, Malfi/Durlovski, Cassi/Vassalo, Ulyanov/Lepore). En octobre, un opéra de Wolfgang Rihm, créé en 1992 à Hambourg, Die Eroberung von Mexico, dirigé par Alejo Perez et mis en scène par Pierre Audi, avec Nadja Michael, suivi en novembre par The Indian Queen de Purcell, coproduit avec l’opéra de Perm et donc dirigé par Teodor Currentzis, qui en est le directeur musical et qui pour l’occasion dirigera l’orchestre et le chœur de Perm. La mise en scène est de Peter Sellars, les décors sont de Gronk avec une distribution où l’on note la présence de Christophe Dumaux: il y a là tous les ingrédients d’un spectacle à voir; en outre une soirée de concert (18 novembre) sera dédiée à Dido and Aeneas, toujours de Purcell. Un mois Purcell fort digne d’intérêt tout comme le mois de décembre, qui verra une nouvelle production de L’Elisir d’amore de Donizetti dirigé par Marc Piollet, et mis en scène par Damiano Michieletto, coqueluche des scènes aujourd’hui, avec trois distributions d’ intérêt à peu près équivalent (Nino Machaize/Camilla Tilling/Eleonora Buratto, Celso Albelo/Ismael Jordi/Antonio Poli, Fabio Capitanucci/Gabriele Viviani et Erwin Schrott/Paolo Bordogna.
Belle distribution pour le spectacle suivant, désormais légendaire, Tristan und Isolde de Wagner dans la mise en scène de Peter Sellars et les vidéos de Bill Viola, dirigé par Teodor Currentzis (un choix surprenant mais pourquoi pas), avec  Robert Dean Smith, Violeta Urmana, Ekaterina Gubanova, Franz Josef Selig et Jukka Rasilainen. On le verra certes à Paris avec le même couple protagoniste, mais quand on aime on ne compte pas.
Suivra une création de Charles Wuorinen à partir d’un film qui a connu un certain succès, Brokeback Mountain, dans une mise en scène d’Ivo van Hove, dirigé par Titus Engel avec dans la distribution Tom Randle et Daniel Okulitch, mais aussi Jane Henschel. Pour Ivo van Hove, pour Jane Henschel, pour cette belle histoire triste d’avant le mariage pour tous, on pourra y aller.
Et le spectacle continue avec Alceste de Gluck, dans une production de Krzysztof Warlikowski (à qui l’on doit la fascinante Iphigénie en Tauride du Palais Garnier il y a quelques années) dirigée par l’excellent Ivor Bolton avec une distribution magnifique dominée par Anna-Caterina Antonacci (alternant avec Sofia Soloviy), Paul Groves alternant avec Tom Randle, et Willard White. À choisir entre Olivier Py à Paris et Warlikowski à Madrid, je choisirais Warlikowski.
Un autre Wagner dans la saison, Lohengrin, dirigé par Hartmut Haenchen et mis en scène par Lukas Hemleb dans une belle distribution double, mais également digne d’intérêt (Franz Hawlata/Goran Juric, Catherine Naglestad/Anne Schwanewilms, Christopher Ventris/Michael König, Deborah Polaski/Dolora Zajick, Thomas Johannes Mayer/Tomas Tomasson). Cela vaudrait le coup de le voir deux fois de suite (13 représentations en avril!).
En mai/juin, il ne faut manquer à aucun prix, Les Contes d’Hoffmann mis en scène par Christoph Marthaler. À chaque fois que Marthaler touche à Offenbach, c’est une bombe d’intelligence et de fantaisie (ou d’horreur, c’est selon): on se souvient de La Grande Duchesse de Gerolstein avec Anne Sofie von Otter à Bâle, on se souvient aussi de son extraordinaire Vie parisienne à la Volksbühne de Berlin. La distribution double là aussi affiche Anne Sofie von Otter en alternance avec Hannah Esther Minutillo, Eric Cutler alternant avec Jean-Noël Briend dans Hoffmann et l’excellent Vito Priante dans Lindorf/Coppelius/Dappertutto/Miracle.  Il faut y aller pour sûr! Et en mai et juin Madrid est si douce…
Si douce qu’on pourrait y rester pour écouter en version de concert I Vespri Siciliani, de Verdi avec Yonghoon Lee, Ferruccio Furlanetto, Julianna di Giacomo, mais surtout le chef James Conlon, qui devrait faire exploser l’orchestre dans cette œuvre que j’adore.
La dernière  des productions, Orphée et Eurydice de Gluck dans la mise en scène de Pina Bausch est connue des parisiens, est-ce une raison de ne pas aller réécouter Thomas Hengelbrock,  le chœur et l’ensemble Balthazar Neumann en juillet et les chanteurs Maria Riccarda Wesseling, Yun Jung Choi et Zoe Nicolaidou?
10 productions en version scénique, deux en version de concert, qui ont presque toutes un intérêt, qu’il soit musical ou scénique: une jolie composition de titres divers, qui peuvent attirer tous les publics. On reconnaît là la patte de Mortier, l’ouverture, l’intelligence, la curiosité, l’audace: sans nul doute on ira un moment ou l’autre à Madrid, cela le vaut bien!
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