LUCERNE FESTIVAL 2014: ANDRIS NELSONS DIRIGE LE CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 30 AOÛT 2014 (BEETHOVEN, ELGAR) avec RUDOLF BUCHBINDER (Piano)

Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

Il y a des pianistes flamboyants, qui attirent les foules et jettent poudre de perlimpinpin et paillettes. Rudolf Buchbinder est tout le contraire. Une carrière solide, mais sans éclats, une considération et un respect unanimes de la critique, une approche classique et sans reproche: nous en avons eu la confirmation ce soir dans le concerto n°5 en mi bémol majeur op.73 de Beethoven, le très fameux Empereur.

Deux programmes pour ce passage éclair du City of Birmingham Symphony Orchestra à Lucerne, une soirée Beethoven/Elgar avec Buchbinder et une matinée Wagner/Beethoven avec Klaus Florian Vogt. Nul doute que dans les deux cas, la présence du soliste a contribué à attirer le public.
Dans une œuvre aussi fameuse, voir aussi rebattue que le concerto “L’Empereur”, il peut être difficile de proposer une vision neuve ou révolutionnaire, Buchbinder propose une vision très carrée, à la géométrie précise, au son très net, à la transparence exemplaire, avec des moments d’ineffable poésie. L’artiste joue avec une sorte de naturel, sans jamais d’excès, mais mettant toujours en avant certains détails, avec une grande virtuosité certes, mais jamais démonstrative, la salle était pleine à craquer, et a explosé dans l’interprétation étourdissante du final de la Sonate n°8 op 13 « Pathétique » de Beethoven. A une semaine de distance, on pouvait constater que Andris Nelsons, avec deux orchestres aussi différentes que le LFO (avec Pollini) et le CBSO, a le même souci de mettre en valeur le soliste, en atténuant le son au maximum, en ne quittant pas des yeux le piano, en accompagnant chaque mouvement avec grande délicatesse. L’orchestre en devient très retenu, à peine entend-on un fil sonore : pour un chef qu’on qualifiait de flamboyant, cela constitue un vrai tournant, et un signe d’évolution ( maturation?) évident. À ce titre signalons le début de l’adagio (adagio un poco mosso) qui fut non seulement l’un des moments exceptionnels de la soirée, mais peut-être de tous les concertos n°5 entendus dans ma vie mélomaniaque.  Un moment suspendu, un son d’une pureté diaphane, une immense émotion, un orchestre éblouissant : pourtant il n’était pas en ce début de soirée au mieux de sa forme, erreurs, attaques peu nettes, bois un peu ternes, il a fallu attendre le second mouvement pour retrouver un son vraiment satisfaisant, et surtout au troisième mouvement où, il est vrai, Buchbinder était lui-aussi exceptionnel.

En deuxième partie, l’orchestre avait choisi de présenter une pièce moins jouée, mais profondément liée et au répertoire britannique et à l’histoire même de l’orchestre de Birmingham , la Symphonie n°2 de Elgar, jouée pour le premier concert de l’orchestre à sa fondation en 1920, et dirigée, pour la première fois je crois, par le compositeur. C’est le type d’œuvre qu’un tel orchestre doit avoir dans ses gênes.

Car si le CBSO est un bon orchestre, de bon niveau international, c’est un orchestre comparable à d’autres, comme l’Orchestre de Paris, le National de France ou Santa Cecilia, il ne fait pas partie des Rolls des orchestres.
C’est Sir Simon Rattle qui l’a porté à un niveau international, puisqu’il en a été pendant 18 ans le chef, et qu’il a bâti sa propre carrière à partir de son travail à Birmingham. Andris Nelsons entame sa dernière saison en tant que directeur musical, une charge qu’il assume depuis 2008.

Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival

La composition  de la seconde (et donc dernière) symphonie de Edward Elgar s’étend de 1903 (premiers moments) à 1911. L’essentiel de la composition datant des années 1909 à 1911.
C’est une pièce longue (55 minutes), avec un orchestre très important, et notamment une grande distribution de bois et de cuivres.
La pièce est dédiée au roi Edward VII, décédé en mai 1910 , sans que l’ensemble de la musique puisse être considéré comme un éloge funèbre, et elle porte en préface les premiers vers du poème Invocation de Shelley

Rarely, rarely comest thou,
Spirit of delight!

Elle entre parfaitement dans le thème proposé par le Festival « Psyché » puisqu’Elgar lui même parle à son propos de pèlerinage passionné d’une âme.
Par rapport aux quelques approximations entendues dans le Beethoven qui précédait, l’orchestre semble beaucoup plus concentré, notamment les bois splendides. On sent dans la manière de diriger d’Andris Nelsons l’évolution perçue lors des concerts avec le LFO : un travail approfondi sur les volumes et les contrastes, un soin tout particulier pour alléger le son, notamment dans le larghetto (2ème mouvement), plus recueilli, plus sombre et dans le rondo du troisième mouvement. Elgar disait avoir travaillé l’ombre et la lumière, inspiré par un voyage à Venise et notamment par la visite de la Basilique Saint Marc. Il y a en effet dans cette composition quelque chose d’un mosaïste qui travaille chaque tesselle et donc chaque caillou au service d’un ensemble monumental. Dans les détails, il y a en effet des pépites, mais l’ensemble reste pour moi un peu longuet, et la musique, sur le moment très enveloppante, voire captivante, ne laisse pas de traces notables quelques jours après (je parle évidemment de mon propre ressenti et de ma propre expérience).
C’est une musique où on lit l’influence de Wagner (et Nelsons sort de Lohengrin et prépare Parsifal), on rapproche d’ailleurs The dream of Gerontius (qui lui aussi raconte le voyage de l’âme au seuil de la mort) du même Elgar de Parsifal. On sait par ailleurs combien le légendaire Hans Richter était lié à Elgar . Le premier mouvement (allegro vivace e nobilmente) est particulièrement emblématique de ce que j’écrivais plus haut : des pépites, mais quelque difficulté à construire une vision d’ensemble, malgré l’incontestable énergie  du départ, les moments plus retenus manquent peut-être un peu de tension ; mais la mosaïque pour moi se contemple dès le second mouvement (larghetto), plus mélancolique ou élégiaque que tragique mais gardant une grande intensité et retrouvant une vraie tension, un peu absente au premier mouvement. Pour le chef qui quelques jours avant dirigeait Lohengrin,  il y a quelque chose de cette couleur-là, une intériorisation sans pathos qui peut surprendre de la part d’un chef qui sait manier habituellement le pathos. C’est dans les deux derniers mouvement, joués sublimement par l’orchestre (les cordes au troisième mouvement sont stupéfiantes), avec brio et virtuosité que l’on est totalement convaincu par l’approche. Les pianissimis des cordes dans le dernier mouvement, qui m’a fait penser fortement à la Symphonie n°3 de Brahms jouée la semaine précédente, la retenue de l’ensemble de l’orchestre et du son, la relative lenteur du tempo, tout cela crée une magie ponctuée par le long silence final imposé par le chef (à la Abbado…) qui fait de cette exécution un grand moment musical .
L’orchestre très convaincant dans Elgar, son répertoire génétique,et la manière assez personnelle avec laquelle Nelsons conduit cette musique qu’il aborde, m’a fait passer au total une très soirée passionnante, qui confirme les éminentes qualités du chef et qui marquent chez lui une évolution assez notable, et qui permet aussi d’admirer l’orchestre de Birmingham dans son répertoire d’excellence. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

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