La nouvelle de la disparition de Béatrice Uria-Monzon m’a atterré et provoqué en moi une profonde tristesse, qui dépasse la perte d’une artiste aimée et admirée parce que j’ai connu Béatrice avant qu’elle ne soit célébrée sur les grandes scènes internationales à l’instar d’autres artistes de cette génération.
Quand je travaillais à Milan à la fin des années 1980, j’avais eu l’idée d’un petit cycle d’échanges de jeunes chanteurs français et italiens, les français à Milan et bientôt à la Scala, les italiens à Paris, au Châtelet de Stéphane Lissner et de Jean-Marie Blanchard dans le cycle « Les Midis musicaux ». Et naturellement je me tournai vers l’agence de Thérèse Cédelle (aujourd’hui Thérèse Tamalet), qui a tant œuvré pour des générations de chanteurs français, avec sa compétence, sa disponibilité, sa rigueur et son honnêteté mais surtout son intuition. Je l’entends encore me parler d’elle la première fois qu’elle l’évoqua, me vanter la voix, la couleur, la somptuosité de cette jeune Béatrice Uria-Monzon qu’elle me décrivait comme une perle rare.
Suivant comme toujours son conseil, je l’ai donc plusieurs fois invitée à se produire dans mes petits concerts, et c’est à cette occasion que j’ai pu découvrir cette voix somptueuse, charnue, cette ligne impeccable et ce souci permanent de bien faire et surtout de faire avec prudence. Mais plus encore, derrière cette voix exceptionnelle et cette femme d’une grande beauté racée se cachait un être simple, souriant, disponible, direct qui suscitait immédiatement la sympathie. C’est vraiment cela qui m’a toujours marqué quand je pense à elle : un comportement jamais apprêté, toujours naturel et une vraie modestie dans le travail.
Quand on a connu une artiste à ses tout débuts, quand on l’a vue travailler et progresser, c’est toujours ces images initiales qui vous restent, plus que les triomphes de la diva lointaine sur une scène d’opéra parce qu’on mesure quelquefois aussi les effets de la carrière et des succès sur le caractère. À chaque fois que j’allais saluer Béatrice, je retrouvais toujours ce merveilleux sourire et cette vraie gentillesse. Telle qu’en elle-même…
En la regardant chanter, en discutant avec elle autour d’un verre ou d’un repas, je pensais souvent, tellement souvent à ce vers de Baudelaire qui lui va si bien :
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.
C’est un pan essentiel de l’un des plus beaux moments de ma vie personnelle qui s’en va trop tôt et c’est vraiment trop injuste.