XLIIIème CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE, TREVISE, 24-29 JUIN 2013

Le livre anniversaire du concours

Le concours Toti dal Monte à Trévise est l’un des plus anciens concours de chant italiens. Fondé par la soprano originaire de Trévise Toti dal Monte en 1969, très fameuse interprète, notamment de Madama Butterfly, il avait alors l’originalité (il a été bien imité depuis) d’attribuer des rôles pour une production du Teatro Comunale di Treviso (aujourd’hui Teatro Comunale di Treviso « Mario del Monaco »). Il ne s’agit donc pas de primer la plus belle voix, mais la mieux adaptée au rôle proposé. Le jury était cette année composé de Evguenia Dundekova, mezzo soprano et enseignante de chant, Vincenzo Scalera, fameux accompagnateur et chef de chant, attaché à l’Accademia della Scala, Claude Thiolas, enseignant (français) de chant installé depuis longtemps à Trévise, Gianni Tangucci, Directeur artistique de la fondation Pergolesi-Spontini de Jesi (près d’Ancone) et consultant du Mai musical florentin, Gabriele Gandini, Directeur artistique de Teatri Spa, qui gère entre autres le Théâtre de Trévise, Gianfranco Gagliardi, Président du Conseil d’administration de Teatri Spa, XX, directeur artistique du Teatro Comunale di Ferrara, Stephen Hastings, directeur de la revue italienne MUSICA et présidé cette année par Guy Cherqui, collaborateur de la revue musicale AMADEUS de Milan.
L’opéra mis au concours était cette année La Bohème de Puccini, pour la troisième fois de l’histoire du concours (dédié cette année à Alida Ferrarini, décédée pendant les épreuves, qui avait été la lauréate pour le rôle de Mimi au concours 1974), puisque La Bohème a été proposée en 1974 (outre Alida Ferrarini, parmi les vainqueurs, Paolo Barbacini , Garbis Boyagian, Max-René Cosotti et Alessandro Corbelli) et en 1984 (vainqueurs Fiamma Izzo d’Amico, Lucietta Bizzi et Roberto Servile).
Le nombre de candidats cette année particulièrement élevé (environ 150) a nécessité un écrémage important pendant les premières éliminatoires. Le concours est organisé en premières éliminatoires pendant lesquelles les candidats doivent présenter un air à leur convenance non lié à l’opéra mis au concours et en secondes éliminatoires où les candidats présentent, un air à leur convenance ou un air extrait de l’opéra (le choix étant fait par la commission), puis en demi-finale où les candidats encore en lice présentent les ensembles de l’opéra mis au concours et quelques airs, et une finale où deux distributions ou trois exécutent la plupart des airs et ensembles de l’opéra.
Ce qui a frappé le jury pendant les éliminatoires, c’est que les candidats ont souvent présenté des airs qui stylistiquement n’ont rien à voir avec l’époque ou le style de l’opéra mis au concours : cette année, de nombreux sopranos ont proposé de longs airs de bel canto (Anna Bolena, Lucia di Lammermoor par exemple) aux difficultés notables, mais aidant peu à comprendre si derrière une Lucia se cachait une Mimi. Pour une fois en revanche la commission s’est réjouie d’avoir à écouter une petite vingtaine de ténors, mais malheureusement beaucoup (7 à 8) ne se sont pas présentés ou ont renoncé en cours d’épreuve. Quelques-uns se sont présentés sur deux rôles (Mimi/Musetta ou Schaunard/Marcello avec des fortunes diverses.
À cause des nombreuses demi-finalistes pour Mimi et Musetta, la commission a dû procéder à une sélection ultérieure, pour déterminer qui des demi-finalistes pour ces deux rôles continuerait à se faire entendre dans les ensembles.
Il faut souligner qu’après les secondes éliminatoires, le niveau moyen des chanteurs était dans l’ensemble assez solide, et les épreuves finales ont permis d’entendre des distributions homogènes, d’un niveau très honorable, qui laisse espérer aux représentations de la Bohème (9 au total à Trévise, Ferrare, Jesi, Bolzano)  un joli succès.
Les chanteurs sélectionnés auront droit, avant les représentations, à une semaine de stage de préparation de chant, dirigé par Evguenia Dundekova, auxquels s’adjoindront ceux qui ont été distingués par une bourse d’études d’un montant de 500, 600, 1000€.
Même si tout au long de la semaine, la commission a eu le temps de se faire une idée précise de la distribution finale et que le choix définitif n’a pas donné lieu à des débats homériques, il reste que même départagés, les finalistes avaient des qualités qui aurait pu permettre de construire deux distributions, aux couleurs différentes, mais ce n’est pas conforme au règlement du concours, refusant les ex-aequo, et ne permettant de primer qu’une seule distribution.
Deux Mimi se disputaient le rôle, l’italienne Chiara Margarito et la sud-africaine Nozuko Teto. Deux voix et deux personnalités radicalement différentes. Chiara Margarito, avec quelques défauts de justesse, avait pour elle une très belle personnalité, fragile, distillant l’émotion, tandis que Nozuko Teto montrait une maîtrise technique,  une solidité musicale, une homogénéité vocale et une maturité telles qu’elle a emporté le rôle. Si elle continue sur cette lancée, et si elle continue à travailler, cette jeune chanteuse est une graine de soprano lirico spinto pour Verdi : la voix est large, les passages à l’aigu faciles, l’appui solide, et la personnalité scénique affirmée. Chacun des airs présentés au long du concours a été vraiment réussi.
La discussion a été plus animée pour le choix des ténors : au bout du compte, deux ténors se sont retrouvés en finale, avec chacun autant de qualités que de défauts. L’un, l’argentin Pablo Karaman, a séduit la commission par la musicalité, par la technique, la qualité du timbre, l’interprétation mûre et une réelle émotion (3ème acte), mais la voix était trop petite pour le rôle et surtout pour l’orchestration puccinienne et déjà elle disparaissait dans les ensembles. La commission a donc choisi l’italien Matteo Lippi, à la voix mieux adaptée au rôle, malgré des défauts dans les notes plus graves et une fâcheuse tendance à la nasalisation, et malgré un manque de tenue de scène. Mais elle a estimé que ces défauts pouvaient être corrigés lors de la préparation et qu’en tous cas la qualité et la tenue des aigus très bien placés, très bien projetés, et sans aucun des défauts remarqués dans les registres plus graves, ainsi que la projection générale de la voix (notable dans les ensembles) permettaient de le déclarer vainqueur. Il reste qu’aucun des deux n’était totalement convaincant, mais que le niveau des deux artistes ne justifiait pas la non-attribution du rôle (dans ce cas, la direction artistique recherche un chanteur « sur le marché » comme on dit).
Une autre discussion a marqué le rôle de Musetta, disputé entre trois jeunes artistes aux qualités diverses, mais équivalentes, la japonaise Erika Tanaka, aux grandes qualités techniques, à la voix puissante, aux aigus faciles, mais un peu agressive dans l’expression, et un peu verte encore, la russe Alla Molchanova, à la maîtrise technique affirmée, à l’élégance notable, déjà en carrière en Israël où elle va interpréter Musetta avec Daniel Oren, mais manquant un peu de cette fraîcheur qu’on aime chez Musetta et c’est la troisième, l’arménienne Buzan Mantashian, alliant les qualités des deux précédentes, agrément, technique, fraîcheur et facilité dans l’aigu, qui a remporté la finale.
Pour Marcello, encore trois candidats chacun très différents et chacun pouvant prétendre au rôle, le jeune italien Matteo Ascenzi, 23 ans, encore un peu rêche dans le style, mais engagé, au timbre agréable, à la jeunesse séduisante, l’italien Sergio Vitale, un peu plus âgé, qui après avoir été en troupe à Berlin, revient se réinsérer dans le circuit italien : il a la voix, les qualités déliées de qui a déjà fait de la scène, mais par rapport aux autres un peu trop « professionnel » et risquant de détoner. Enfin, le jeune coréen (24 ans) Byong Ick Cho, qui malgré une certaine inexpérience scénique, présente d’incontestables qualités vocales, volume important, timbre velouté, engagement, présence dans les ensembles. C’est lui que la commission a fini par choisir. Cette nouvelle génération de chanteurs coréens est vraiment mieux préparée, moins scolaire et plus engagée que les premiers venus étudier en Italie, il y a quelques années.
Entre les deux Colline, beaucoup de différence également, couleur, personnalité, structure vocale. Le jeune arménien Vahan Harutyunyan (25 ans) a la musicalité, le style, la technique : il a beaucoup séduit la commission durant les éliminatoires par l’intelligence du chant. Mais la voix est très claire, trop claire pour Colline, elle disparaît dans les ensembles jusqu’à l’inexistence (gênant au troisième acte notamment) et nous avons affaire plutôt à un baryton-basse, voire peut-être un baryton selon certains des collègues de commission. Il ne peut en tous cas convenir à Colline pour la composition d’une distribution de Bohème : c’est un vainqueur possible d’un concours purement vocal, mais sans doute pas pour un concours offrant une distribution pour La Bohème
Nous avons donc choisi Francesco Milanese, 33 ans, moins styliste, moins musical, mais plus présent, plus affirmé, une vraie voix de basse qui conviendra à Colline et notamment à la « Vecchia zimarra » qui constitue le cheval de bataille du rôle.
Restaient les Schaunard, avec un choix entre deux italiens, Filippo Fontana, très à l’aise en scène, avec quelques tics professionnels déjà, à la voix affirmée, mais en même temps une tendance à chanter toujours sur le même mode, et Paolo Ingrasciotta, 26 ans, au timbre plus élégant, plus juvénile, plus cohérent avec les choix effectués précédemment. Il est clair que le Schaunard d’Ingrasciotta correspond mieux au Marcello de Cho, alors que celui de Fontana est plus adapté au Marcello de Vitale. Tout cela sera vérifié début octobre, lors des premières représentations, à Trévise, à partir les 2, 4, 6 octobre prochains.
Car le « Toti dal Monte » est vraiment le symbole (« il fiore all’occhiello ») du Teatro Comunale di Treviso, lui aussi secoué par la crise économique. Porté par Teatri Spa, une structure qui dépend de la Fondazione Cassamarca (la fondation de la banque locale, qui a financé tant de transformations de la ville de Trévise), il est Teatro di Tradizione, et à ce titre reçoit aussi des financements publics. Mais ses financements sont très tendus : c’est le théâtre du Veneto le plus important après la Fenice de Venise et la Fondazione Arena di Verona, il a été récemment restauré, consolidé, réaménagé. Il serait profondément dommage que son activité soit interrompue. Or, ce concours lui donne sa couleur, et sa couleur, c’est la jeunesse. Ce fut longtemps, sous l’impulsion du grand chef Peter Maag et de l’immense Regina Resnik, un centre d’insertion pour jeunes chanteurs et musiciens « La Bottega ». Il faudrait retrouver à travers des mécanismes européens, à travers un peu d’imagination aussi, cet esprit-là. Car s’il y a de nombreuses structures de formation en Italie et quelques structures d’insertion (Comme l’AsLiCo en Lombardie ou celle du Teatro Sperimentale de Spoleto), il n’y a pas vraiment de structure de production dédiée exclusivement aux jeunes appuyée sur des lieux idoines: il y a à Trévise le magnifique théâtre où a lieu le concours, un théâtre plus réduit, pour des petites formes, et un théâtre studio pour des expériences de musique d’aujourd’hui. Rares sont les villes moyennes en Italie avec tant de structures qui n’attendent que les initiatives pour vivre ou revivre. Le Veneto qui est l’une des régions les plus riches d’Europe est au contraire une région assez pauvre en initiatives culturelles fortes (Venise et Vérone mises à part) en scènes musicales et en saisons musicales complètes, avec pourtant des foyers possibles comme Asolo, Conegliano, Bassano, Vicenza, Castelfranco Veneto – et son merveilleux mini-théâtre-), Trévise pourrait être une structure de production irriguant toute la région et la faisant vraiment renaître culturellement (car actuellement Venise aspire et assèche beaucoup d’initiatives) et en attirant des jeunes de tous pays, pourrait bénéficier de financements européens. Malheureusement, les débats clochemerlesques, les clans, les oppositions politiques sont souvent en Italie des obstacles difficilement surmontables ; l’Italie est un pays d’initiatives individuelles souvent originales et il a besoin d’idées fraîches, il serait tellement stimulant de rebondir ici sur une telle aventure. C’est un futur possible pour mettre ce concours au centre d’un système !

Enfin, ce concours permet de vérifier la diversité des chanteurs qui, de nationalités très variées, étudient pour la plupart en Italie et la difficulté pour les jeunes de s’insérer dans un processus de production. Il y a peu de débouchés pour un chanteur en Italie, les saisons se réduisent pour les raisons économiques que l’on sait. Les théâtres préfèrent alors se rabattre sur des chanteurs confirmés, voire sur des noms connus pour se garantir la venue du public, ce qui exclut d’emblée les débutants, condamnés aux petits rôles, même dans des théâtres moins importants. Les carrières pour certains se résument à quelques petits rôles et à un catalogue de concours d’où ils sortent finalistes ou demi-finalistes. Il est triste de voir des gens dont on devine les qualités ou le talent piétiner. Il est aussi triste d’entendre des voix déjà fatiguées à trente ou trente-cinq ans. Je suis sûr que certains d’entre eux auraient intérêt à se présenter dans des théâtres de troupe, en Allemagne, où le marché est bien plus ouvert et où le répertoire notamment italien est apprécié. D’ailleurs, de nombreux chanteurs italiens en carrière ne chantent plus en Italie et se concentrent sur les théâtres allemands où ils passent d’un théâtre à l’autre sur les grands rôles du répertoire italien. Ce ne sont pas des stars, mais au moins ils travaillent régulièrement et gagnent leur vie ; en Italie, beaucoup trop d’artistes sont contraints de vivre d’expédients, à cause d’un système bloqué, et de débouchés bien trop réduits l’Opéra ne doit pas mourir dans le pays de l’Opéra.
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XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (4): JOURNAL DE BORD – 30 JUIN 2012: FINALE

Détail de la salle du teatro comunale "Mario del Monaco" de Trévise

Nous voici à la Finale.
La Finale est évidemment différente des autres jours: tout le monde est sur son 31, il y a un public important, le jury occupe tout le second étage des loges. Au programme, Il matrimonio segreto, airs, ensembles, et quelques récitatifs dans l’ordre des actes.
La demi-finale avait déjà permis d’entendre quelques ensembles, et l’opinion sur les voix change: une voix peut être séduisante dans un air, et disparaître dans un ensemble; d’autres au contraire se révèlent; il faut tenir compte de la durée, de l’endurance, de la température (une chaleur de l’ordre de 40°), même si le théâtre est climatisé.
Nous avons sélectionné deux distributions, qui ont répété tout le vendredi avec le chef José Antonio Montaño qui fait partie du jury mais qui est cette fois sur scène à donner les tempi. Deux distributions savamment mélangées, qui vont se produire chacune dans le 1er acte et chacune dans le second acte. Des voix très différentes, les unes puissantes, les autres chantantes, des timbres différents, une présence différente aussi sur scène.
On sent que les chanteurs sont fatigués après cette semaine de tension, certains mêmes sont éteints, d’autres explosent, et en tous cas la confrontation est éclairante. Nous sommes chacun dans une loge et n’échangeons pas entre nous.
A 21h, les épreuves sont terminées, et nous nous retirons dans une salle du théâtre pour délibérer. La délibération est assez courte, puisqu’un seul rôle (celui du ténor) ne trouve pas son vainqueur.

Cast A: à partir de la gauche Tornatore/Macchioni/Delfino/Semenzato/Levantino/Beggi

Nous aurions pu peut-être désigner l’un des deux mais ce soir, ni Matteo Macchioni qui a fait un bon concours pourtant, ni Francisco Ruben Brito à la voix délicate faite pour l’Elisir d’amore, ne sont suffisamment convaincants pour emporter les voix du jury.
Pour les autres, moins de problèmes: il est à remarquer que tous les finalistes sont d’un niveau très correct: ils ont pour nom Dorela Cela (Albanie) et Anna Delfino (Italie) pour le rôle de Carolina, Saltanat Akhmetova (Kazakhstan) et Giulia Semenzato (Italie) pour Elisetta, Loriana Castellano (Italie) et Provvidenza Valeria Tornatore (Italie)  pour celui de Fidalma, deux conte Robinson aussi, Claudio Levantino et Andrea Zaupa (tous deux italiens) et deux italiens aussi pour Geronimo, Fabrizio Beggi et Gianluca Lentini.
Les vainqueurs, Dorela Cela, petite Carolina très bien préparée et très à l’aise en scène, Giulia Semenzato comme Elisetta, plutôt à l’aise dans les ensembles et sur scène, Loriana Castellano, belle présence, jolie voix de mezzo pour Fidalma. Du côté des basses, c’est Andrea Zaupa,  un véritable “numéro” sur scène qui emporte le rôle de Conte Robinson, et l’autre basse, très bouffonne et très entraînée, Fabrizio Beggi celui de Geronimo. l’autre Robinson, Claudio Levantino a un très joli timbre et a chanté de mieux en mieux tout au long de la soirée (il avait été impressionnant en éliminatoires), mais n’a ni la présence, ni l’efficacité spectaculaire de son collègue. Même chose pour l’élégant et musical Gianluca Lentini, moins prêt que son collègue Beggi.
Au total il me semble que nous avons un cast de qualité, équilibré, frais. Rendez-vous fin novembre pour voir le résultat!

Cast B: à partir de la gauche Brito/Cela/Akhmetova/Zaupa/Lentini/Castellano

Fin de soirée, entre photos pour le journal, félicitations, demandes de conseils, et surtout, un très bon repas de fin de concours, avec les finalistes, dans l’excellent restaurant de Treviso “L’incontro” connu pour son gigantesque buffet de hors d’œuvres et ses pâtes originales (je vous conseille les tagliatelles au  vin rouge…).
Ce fut une jolie semaine, comme une bulle de sérénité, de soleil, d’amitié au milieu de tous ces jeunes futures, qui sait?, stars de demain.

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XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (3): JOURNAL DE BORD – 28 JUIN 2012: DEMI-FINALE

Journée difficile pour les candidats que cette demi-finale, où se décident les finalistes et où s’entrevoit ce que le cast final pourrait être. Bien souvent, les choses évoluent: tel chanteur que toute la commission voyait dans un rôle s’écroule, tel autre se révèle. Le chant est un sport: il fait être endurant, et à la fois sprinter. Et certains chanteurs sans expérience se brûlent sur le parcours.
Le niveau de cette demi-finale est assez bon, presque tous pourraient prétendre à passer en finale, cela dépend des goûts, des profils, et surtout de la manière dont chacun voit tel ou tel rôle. Carolina par exemple est vue par certains comme une jeune fille timide, une “adulescente” plus qu’une adulte , ils la voient donc dans un physique adéquat, menue, réservée, mais pleine de charme, d’autres comme une jeune femme déjà décidée (après tout, la timide s’est mariée en secret avec Paolino, pas si fréquent à la fin du XVIIIème) et le choix alors ne peut être le même, à l’évidence. De même pour l’œuvre: les uns la voient comme du pré-Rossini, d’autres comme du post-baroque, et ce n’est pas tout à fait les mêmes décisions à prendre du point de vue des manières de chanter. Ce n’est donc pas tant la qualité intrinsèque des candidats qui compte, mais plutôt le profil, en adéquation avec les attentes et les idées de la commission ou d’une majorité de ses membres. Quant au chef, il a déjà son idée de l’œuvre, et il travaille à sélectionner les voix qui lui correspondent quelquefois en contradiction avec d’autres membres, qui eux donnent la priorité au concours par rapport à la future production (fin novembre).
C’est bien là la richesse de ce concours, qui pendant très longtemps n’a ressemblé à aucun autre. Bien des chanteurs éliminés après cette demi-finale pourraient faire d’excellents finalistes ou d’excellents vainqueurs dans des concours où seule la performance vocale fondée sur un air est privilégiée, ou la technique, ou la maîtrise artistique. Ici on va retenir peut-être quelqu’un de moins prêt, mais plus dans  la ligne des personnages de l’œuvre, avec l’espoir ou le pari que les répétitions et la préparation combleront les lacunes. C’est quelquefois vrai, c’est quelquefois faux et il faut prendre alors des décisions douloureuses.
Les personnalités variées de la commission, des professionnels de la scène, des chefs d’orchestre, des imprésarios, des directeurs de théâtre, des consultants, font que les discussions sont souvent passionnantes et riches, mais dans l’ensemble on arrive toujours à un accord.
On a réussi cette fois à se mettre d’accord sur deux distributions aux qualités très diverses: les styles, les personnalités des chanteurs, les types vocaux sont très différents, mais ils sont tous bien préparés et connaissent déjà bien leur rôle, et la finale promet de jolis moments. Nous avons eu des choix larges pour certains personnages, plus serrés sur d’autres, mais je pense que nous aurons de quoi faire de riches comparaisons.
Je voulais aussi terminer sur la présence de quelques jeunes chanteurs français de qualité, dont deux tout particulièrement valeureux, qui ne seront pas en finale, pour les raisons expliquées plus haut, mais pas pour un défaut de qualité. La jeune basse Mathieu Toulouse, avec une jolie technique, de belles qualités scéniques, une vraie préparation, et le soprano Marlène Assayag, très préparée elle aussi, très élégante, avec de vraies qualités à tous égards, une voix sûre et une technique assise. Je suis sûr que vous les verrez sur les affiches assez vite, car ils ont le profil pour faire carrière.

Aujourd’hui, jour de liberté, pour laisser les jeunes finalistes se préparer, les vieux commissaires se reposer et profiter de cette jolie ville de Trévise, la ville de Benetton, une des villes les plus riches d’Italie, ou circuler dans les villas palladiennes toutes proches, où faire un saut à Venise, ce qui ne fait jamais de mal.

XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (2): JOURNAL DE BORD – 27 JUIN 2012

Nous sommes à la moitié de chemin. Trois journées d’ éliminatoires sont déjà passées. Pendant les premières éliminatoires, les candidats présentent un air de leur choix. Pour les secondes éliminatoires, les candidats présentent un air au choix du jury, et/ou un air de l’opéra au concours. Cette année, tous les candidats ont présenté l’air de l’opéra au programme en plus de l’air choisi par le jury.
Sans préjuger des rôles de l’opéra, le passage de la première à la deuxième éliminatoire exprime le désir du jury de réentendre les candidats qui paraissent avoir les capacités techniques et interprétatives de continuer le concours. Au bout de ces trois jours, l’élimination signifie le plus souvent que les voix ne sont pas adaptées, vocalement, stylistiquement à l’opéra au programme ou qu’elles ont encore besoin de maturation.
Nous avons entendu des voix au timbre intéressant, riches de potentialités, mais pas forcément prêtes, ou pas forcément adaptées, surtout dans le cas de candidats très jeunes. A la fin des épreuves, les candidats peuvent rencontrer le jury qui donne des conseils, explique les motivations de l’élimination et encourage les déçus.
Nous avons entendu aussi des voix très intéressantes, qui méritent de continuer et qui sans doute sont à l’orée d’une carrière. C’est toujours encourageant de constater que les voix existent, et que l’avenir est assuré. Il y a vraiment dans les basses, et les sopranos des figures d’avenir, mais aussi chez les ténors, notamment les ténors de type rossinien ou mozartien, c’est à dire des voix plus légères, et plus ductiles.
Ce soir nous sommes plutôt optimistes, sur les 62 candidats inscrits (dont quelques absents), il en reste une vingtaine en lice pour la demi-finale. C’est encourageant.

à suivre

XLII CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE 2012 (1): JOURNAL DE BORD – 24 JUIN 2012

Teatro Mario del Monaco di Treviso où se déroulent les épreuves

Invité cette année au jury du concours international de chant Toti dal Monte de Trévise, en Italie (Trévise est située à une trentaine de kilomètres de Venise dans l’arrière pays, vers les Dolomites), je me propose d’alimenter le blog en essayant de décrire ce qui se passe, sans bien sûr trahir le secret des délibérations, en un journal de bord aussi complet que possible.
Le concours international de chant Toti dal Monte en est à sa 42ème édition, depuis sa fondation en 1969 par la soprano Toti dal Monte, native d’un village (Mogliano Veneto) à la périphérie de Trévise. Toti dal Monte, l’une des plus mythiques Butterfly du XXème siècle a fondé un concours dont le prix est un rôle dans une production du théâtre de Trévise, qui est mise au programma du concours. Ainsi, depuis les secondes éliminatoires, les jeunes chanteurs chantent un extrait de l’œuvre au programme, et à la finale, le jury construit la distribution à partir des finalistes. Si un rôle ne trouve pas son finaliste, le théâtre va “sur le marché” trouver un professionnel.
De très nombreux et célèbres chanteurs ont débuté leur carrière au “Toti dal Monte”, Ghena Dimitrova, Alessandro Corbelli, Mariella Devia, Ferruccio Furlanetto, Ildebrando d’Arcangelo, Lorenzo Regazzo, quelques français, Yann Beuron, Sophie Pondjiclis. D’autres y ont participé sans remporter le rôle, c’est le cas de Patrizia Ciofi en 1993 pour “La Sonnambula”. Au jury ont longtemps siégé Magda Olivero, Leyla Gencer, Regina Resnik. Pendant les années 80 et 90, Regina Resnik et le chef d’orchestre Peter Maag ont fondé “La Bottega” qui était un atelier de préparation au spectacle, qui accueillait jeunes chanteurs et jeunes musiciens, mais aussi jeunes techniciens pour préparer sous l’autorité des maîtres l’ensemble du spectacle. La Bottega a fermé ses portes à la mort de Peter Maag, mais Regina Resnik a continué à être au jury jusqu’à récemment.
Cette année, l’œuvre au programme est Il matrimonio segreto de Cimarosa; l’an dernier c’était Madama Butterfly.
Le jury est composé de Gianfranco Gagliardi (Italie), Administrateur unique de Teatri e Umanesimo Latino SpA, émanation de la Fondation Cassamarca, une fondation bancaire qui gère le Théâtre de Trévise, Gabriele Gandini (Italie), Directeur artistique de Teatri e Umanesimo Latino SpA, José Antonio Montaño (Espagne), chef d’orchestre, qui dirigera la production, Renate Kupfer (Allemagne), consultante et responsable de casting vocal, Evguenia Dundekova (Bulgarie), chanteuse et enseignante de chant, Daniel Bizeray (France), directeur artistique de la section vocale de la Fondation Royaumont, Stefano Romani (Italie) , Directeur artistique Teatro Sociale di Rovigo, Gianni Tangucci (Italie), Directeur Artistique de la Fondazione  Pergolesi Spontini (Jesi), Président du jury, et votre serviteur.
Le concours se déroule en deux séries d’éliminatoires, une demi-finale, une finale. La première série d’éliminatoires se déroule lundi 25 et mardi 26 et permet d’entendre l’ensemble des candidats et candidates, au nombre de 62 cette année pour la distribution de six rôles (deux sopranos, deux basses, un ténor, une mezzo soprano): ils chanteront un air à leur choix. Pour la seconde série d’éliminatoires, les candidats chanteront un air au choix de la commission qui peut être un extrait de l’opéra au concours ou non.
A la demi-finale, les candidats chanteront un air au choix de la commission parmi les airs présentés, des airs ou des ensembles  de l’opéra.
Lors de la finale, une ou plusieurs distributions seront formées pour exécuter l’intégralité de l’opéra ou de larges extraits. Les vainqueurs formeront la distribution de l’opéra qui sera exécutée la saison 2012-2013 dans les théâtres de Trévise, Rovigo et Ferrare.

(à suivre)