TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: RIGOLETTO de Giuseppe VERDI, le 17 novembre 2012 (Ms en scène Gilbert DEFLO; Dir.Mus Gustavo DUDAMEL)

La fête; ©Marco Brescia & Rudy Amisano

Week end à la Scala, un Verdi, Rigoletto le samedi 17 novembre, un Wagner, et pas forcément le plus simple, Siegfried, le 18 novembre. Conformément à la chronique de la Scala ces dernières années, que pensez-vous qu’il arriva? Siegfried est à retenir, Rigoletto à oublier. Une fois de plus, c’est le répertoire identitaire du théâtre qui fait problème.Et pourtant, le public se pressait ce samedi 17 novembre: un de ces rares soirs où il n’y avait  pas le moindre billet, où les “bagarini” revendeurs au marché noir était tous partis 30 minutes avant le lever de rideau, une de ces soirées où l’affluence extrême fait penser qu’on va assister à un événement. Un public largement international: beaucoup de touristes se réjouissent d’un Rigoletto à la Scala, Verdi chez lui.
Ce devait être une nouvelle production de Luc Bondy, pour finir, on a repris la production usée de Gilbert Deflo, 18 ans d’âge, mais au pupitre Gustavo Dudamel, une des jeunes stars actuelles de la baguette , et sur scène Vittorio Grigolo, le ténor italien du moment, dans le Duc, Elena Mosuc, qui promène dans le monde entier sa Gilda, et un jeune baryton qui commence une jolie carrière, George Gagnidze (qui alterne avec l’autre baryton verdien qui émerge Zeljko Lucic).
Et c’est une déception. Ce n’est pas scandaleux, pas de quoi siffler, mais pas de quoi applaudir:  de rapides applaudissements à la fin des actes, et un lourd silence pour le “Caro nome”,  à la fin sept minutes d’applaudissements forcés et tout le monde à la maison.
La malédiction de Monterone a frappé ce Rigoletto
La production évidemment n’aide pas. Gilbert Deflo n’est pas réputé pour être un metteur en scène inventif, mais plutôt un bon faiseur de spectacles. Comme Rigoletto est un titre qui attrape le public comme le miel les mouches, la direction de la Scala (Fontana-Muti) de l’époque avait pensé à une production fastueuse,  beaux décors monumentaux tout dorés de Ezio Frigerio et magnifiques costumes de Franca Squarciapino, une production à livrer en pâture aux flashes des japonais, couleur, or, monumentalité: la Scala de toujours quoi! Mais Deflo n’est pas Zeffirelli, capable de faire une Bohème qui dure depuis une cinquantaine d’années. 18 ans c’est déjà la limite et l’état du décor en dit long, par exemple des miroirs monumentaux en toc, tous scandaleusement froissés, sans que la direction technique n’y trouve à redire. Et du point de vue scénique, un lever de rideau sur une fête affligeante et ridicule (petit ballet à faire pleurer). Pour le reste: vide sidéral. Les chanteurs font plus ou moins ce qu’ils veulent et il n’y a pas de mise en scène sauf un tout petit effort au troisième acte, mais vraiment petit. Ce soir, le cerveau est en repos, total.
Musicalement,  jamais cela ne décolle, jamais on est ému, jamais un moment de tension sur le plateau. C’est passable.

Vittorio Grigolo ©Marco Brescia & Rudy Amisano

Vittorio Grigolo dans le Duc nous prouve qu’il est un ténor: il en a tous les tics traditionnels, y compris celui de saluer le public en levant les bras en signe de triomphe, de s’agenouiller pour recueillir et provoquer les applaudissements. Sur scène, il semble nous dire: ” hein? vous avez vu, hein, comme je chante bien!” Un vrai adolescent attardé. Sympathique au demeurant.
Et le chant? Incontestablement, un très beau timbre et une très belle couleur italienne lumineuse. Mais il n’était sans doute pas dans une bonne soirée: problème de style, de raffinement (le Duc n’est certes pas un personnage psychologiquement complexe, mais c’est quand même un Prince ), le volume est correct mais l’extension à l’aigu plutôt insuffisante; il m’est apparu court et ses airs très acceptables sans plus, pas de quoi  se dire en tous cas “voilà le grand ténor du jour!”. Succès ordinaire.

Salut de George Gagnidze et Elena Mosuc

George Gagnidze est un Rigoletto au chant plutôt stylé, mais au volume très nettement insuffisant, à la personnalité vocale très pâle, sans aucune extension à l’aigu, sans projection, avec la conséquence qu’on ne l’entend pas dans les ensembles. On ne l’entend que lorsque l’orchestre ne joue pas ou joue bas…La voix est  engorgée, et il n’a rien vocalement d’un Rigoletto, même s’il sait être émouvant au dernier acte. Pour moi, il s’agit d’une erreur de casting.

Elena Mosuc ©Marco Brescia & Rudy Amisano

Elena Mosuc est une artiste très appliquée, très sérieuse, qui affronte la difficulté, qui sait chanter avec style et qui existe vocalement. Sa Gilda n’est pas exceptionnelle, mais au moins, elle ne triche pas, et même si elle se déjoue des quelques difficultés par quelques artifices, ce n’est jamais hors de propos. Elle chante Gilda un peu dans tous les théâtres et reste l’une des soprano colorature réclamées (c’est aussi une Zerbinetta très demandée). Une prestation très honorable, même si le jeu reste un peu élémentaire.
Dans une distribution où il n’a même pas été possible de trouver une Giovanna italienne, Maddalena (Ketevan Kemolidze) semble avoir un joli timbre . Je dis “semble” parce qu’on ne l’entend pas: elle est vocalement inexistante. Quant à Alexander Tsymbalyuk, basse ukrainienne très jeune et valeureuse, il chante un Sparafucile en place, et au moins on l’entend. Il a cependant été bien meilleur le lendemain dans Fafner.
On le voit, pas de quoi frémir de plaisir. Aucun des chanteurs de la distribution n’est franchement insuffisant (Rigoletto/Gagnidze cependant accuse des faiblesses sérieuses), mais rien que des prestations au maximum honnêtes, avec un bon point pour Elena Mosuc et un doute pour Vittorio Grigolo qui, malgré la gloire naissante, a encore bien des choses à prouver. Sa “Donna è mobile” passe la rampe, mais est loin d’être un modèle du genre.
Le chœur de la Scala, comme d’habitude dans ce répertoire, mérite des louanges, et l’orchestre aussi, mené d’une main très ferme, trop ferme peut-être par Gustavo Dudamel. C’est très précis, très net, cela sonne bien, il y a du rythme, de la tension (des crescendos magnifiques). Bref, tout ce qui est conduite de l’orchestre est vraiment très solide.
Le problème, c’est qu’il en va autrement du suivi des chanteurs et de la conduite du plateau. Dudamel est beaucoup plus soucieux de l’effet d’orchestre que du plateau. Il en résulte l’impression que le chef n’entend pas vraiment les chanteurs, il les couvre, il ne prête pas attention aux voix plus en difficulté pour les soutenir, l’impression est que les chanteurs sont un peu laissés à leur chant, sans construire une véritable homogénéité scène/fosse, ou même simplement de plateau. L’impression musicale est donc assez contrastée: Gustavo Dudamel, lancé par Rattle, Abbado et Barenboim (présent en proscenium et qui lui faisait des “singeries” amicales ) construit essentiellement sa carrière au concert et n’est apparu en fosse qu’à Berlin et Milan. Il n’a pas une expérience lyrique énorme et cela se sent et dans les conditions de ce Rigoletto, cela pèse.
Au total, une déception, et l’amertume que cela tombe encore (on dirait encore et toujours) sur Verdi: la saison 2012-2013, avec ses nombreux Verdi, commence à susciter des doutes, d’autant que commence la valse des changements de distribution, traditionnels quand la Scala hésite, qui sont très commentés par ceux qui sont à l’affût du prochain scandale. Ce week end, c’est Wagner qui a gagné…
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LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2013: AVANT-PROGRAMME

Lucerne Festival Pâques, 16-24 mars 2013

En 2013, le Festival de Lucerne fête ses 75 ans. Et le programme de Pâques prochain est déjà très attirant. On annonce Claudio Abbado, Martha Argerich et l’Orchestre Mozart in Bologna dans le concerto pour piano en ut majeur K.503, Gustavo Dudamel et le Los Angeles Philharmonic dans “La mer” de Debussy et “L’Oiseau de feu” de Stravinski, ainsi qu’une représentation semi-scénique (réglée par Peter Sellars) de l’oratorio de John Adams “The Gospel According to the Other Mary ” dont la première a lieu en mai prochain à Los Angeles, et enfin Mariss Jansons  avec son Symphonieorchester des bayerischen Rundfunks (L’orchestre symphonique de la radio bavaroise) offrira le War Requiem de Britten (2013 sera l’année Britten), composé en 1961 pour marquer la reconstruction de la Cathédrale de Coventry. Enfin on entendra aussi des voix comme Mark Padmore et Christian Gerhaher.
Rendez-vous en mars prochain!

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TEATRO ALLA SCALA 2011-2012 le 22 décembre 2011: Concert de Noël: Gustavo DUDAMEL dirige la Symphonie n°2 de Gustav MAHLER “Résurrection” (Anna LARSSON, Genia KÜHMEIER)

Début de saison agité à la Scala, le choeur en grève a contraint la direction à changer le programme du concert du 21 décembre (Beethoven, Symphonie n°9) et à remplacer la Symphonie n°9 par le Concerto n°5 “l’Empereur’ avec Maurizio Pollini, ce qui n’est pas si mal. Du coup, Anja Harteros, prévue pour la partie de soprano de la neuvième de Beethoven du 21 et pour la partie de soprano de la Symphonie “Résurrection” du 22 décembre a été remplacée par Genia Kühmeier, ce qui n’est pas mal non plus.  Une “Résurrection” à Noël , c’est inhabituel, mais la valence spirituelle de l’œuvre peut aussi marquer Noël.
J’ai toujours un peu d’hésitation à assister à une Symphonie “Résurrection” de Mahler depuis l’été 2003. Claudio Abbado en avait donné à Lucerne une exécution que j’estime pour l’instant définitive. On en a trace dans son disque (DG) et dans le DVD qui en a été gravé.
Ce fut un choc.
Dès la répétition générale, peut-être encore plus fortement que lors des concerts. Des raffinements techniques inouïs, un orchestre à peine né qui jouait comme si les musiciens étaient ensemble depuis des années, une légèreté à faire pâmer, un pizzicato du 2ème mouvement suspendu, aérien, qui fit se regarder les spectateurs entre eux, stupéfaits, une clarté et une transparence instrumentale uniques, une élévation finale qui nous emportait dans une joie réellement céleste, comme si le ciel s’ouvrait devant cette musique.
Dans ces conditions, on devient difficile, insupportablement difficile. Rattle et le Philharmonique de Berlin quelques années après à Paris, me laissèrent de glace: l’approche de Rattle, théâtrale et spectaculaire, ne laisse pas d’espace au spirituel et à l’âme qui vague. Au disque, Abbado mis à part, c’est Bernstein qui me passionne et qui m’émeut, notamment avec New York.
Gustavo Dudamel a commencé sa carrière en s’attaquant tôt à Mahler et en promenant une approche  fougueuse, claire, séduisante (Mahler Symphonie n°5);  il a ensuite avec beaucoup de succès proposé la Symphonie n°1 “Titan”. Il a donné récemment en tournée (avec l’Orchestre des Jeunes du Venezuela Simon Bolivar ) la Symphonie n°2 “Résurrection” qu’il repropose avec l’Orchestre et le chœur du Teatro alla Scala comme programme du “Concert de Noël”,  désormais entré dans la tradition scaligère.
Même si les phalanges de la Scala ont déjà souvent interprété Mahler, et depuis longtemps, notamment sous l’impulsion d’Abbado, mais pas seulement, cette musique n’est pas vraiment inscrite dans leur gènes et il aurait fallu sans doute des répétitions plus nombreuses pour effacer de trop nombreuses scories,  erreurs, décalages, qui ont émaillé un concert dans l’ensemble acceptable, mais loin de ce que l’on pouvait espérer du chef, l’une des références aujourd’hui, et de l’orchestre réputé le meilleur d’Italie. Les musiciens interrogés à la sortie disaient pourtant que vu le nombre ridicule de répétitions, le résultat tient du miracle.
Certes, la volonté du chef d’aborder l’œuvre (qu’il dirige sans partition) dans une sorte de lenteur très calculée, avec de longs silences, de longues respirations, des ruptures de lien étonnantes qui à la fois cassent la fluidité et toute velléité de légèreté y est sans doute pour quelque chose. Les instruments solistes sont à la peine, les bois notamment, les cordes quelquefois aussi, pourtant excellentes habituellement, les harpes, trop marquées, trop fortes. L’interprétation tire vers le mystique (quelqu’un a dit que cela semblait très “Giulinien”), une sorte de Mahler brucknerisé qui n’a jamais la variété de couleurs ni la vivacité, ni même l’ironie de l’approche d’Abbado ou de Bernstein. Dionysos contre Apollon? Même pas, car pour être pleinement apollinien, il eût fallu disposer d’un orchestre en état de grâce et ce n’est pas le cas. Terrible constat pour cette symphonie adorée entre toutes, on s’ennuie un peu, on n’est jamais ivre de son, on reste extérieur, on reste froid. Le chœur n’a pas non plus semblé être au mieux de sa forme, incapable du murmure initial par exemple, et il ne déclenche aucun sursaut de l’âme dans les dernières mesures (auxquelles semblait manquer l’orgue, qui n’était pas sur scène).
Pourtant, on reconnaît les qualités de Dudamel, précis dans le geste, attentif à chaque pupitre, maîtrisant pleinement l’œuvre, et produisant une remarquable clarté du son, mettant en exergue des phrases jusque là inconnues,  et certains moments demeurent marquants (le premier et le quatrième mouvement  sont les meilleurs – contrebasses et violoncelles remarquables-) le second (avec un pizzicato d’une grande platitude) et le troisième bien moins réussis. Des deux solistes, c’est Genia Kühmeier qui s’en sort le mieux, la voix porte, elle a ce caractère “céleste” qu’on attend, et la technique est solide. De manière surprenante en effet, Anna Larsson déçoit: où sont passés la profondeur, la pureté du timbre, l’écho des graves de bronze? Peut-être un petit passage à vide.

Au total la soirée fut certes décevante, par rapport aux attentes, par rapport à un chef qu’on aime, par rapport à une œuvre qui m’accompagne presque au quotidien. Dans les amis qui assistaient au concert, beaucoup d’opinions contrastées, comme souvent, mais si ce fut un succès, ce ne fut pas un triomphe. J’attends donc d’entendre Dudamel diriger cette symphonie avec un autre orchestre. J’ai bien compris son parti pris, même s’il ne m’a pas vraiment convaincu ce soir. Mais ce fut une soirée Mahler, donc en principe une soirée jamais perdue.

LUCERNE FESTIVAL 2010: Gustavo DUDAMEL dirige le PHILHARMONIQUE DE VIENNE le 18 septembre 2010 (ROSSINI, ORBON, BERNSTEIN, RAVEL)

Nous n’avons pu assister à l’autre concert de Gustavo Dudamel et du Philharmonique de Vienne (Brahms Ouverture Tragique, Schumann Concerto pour violoncelle et orchestre, Dvorak Symphonie du nouveau Monde) qui au dire de tous fut grandiose, mais pour ce concert de clôture du Festival de Lucerne 2010, le Festival a choisi aussi le Philharmonique de Vienne et Gustavo Dudamel. C’est une occasion festive de proposer un programme original.Le programme propose en effet des oeuvres célébrissimes (Ouverture de la Pie Voleuse, Boléro de Ravel) et des oeuvres peu ou pas connues du mélomane, comme ces Tres versiones sinfónicas de Julián Orbón (1925-1991) ou le Divertimento for orchestra de Leonard Bernstein composé en 1980 à l’occasion du centenaire du Boston Symphony Orchestra. la soirée a été l’occasion de vérifier une fois de plus que Gustavo Dudamel s’installe au sommet des chefs recherchés: il y a six ans, en 2004, il était le vainqueur du Concours Gustav Mahler de Bamberg et aujourd’hui, il dirige non seulement tous les grandes phalanges de ce monde (il dirgera pour le concert de la Saint Sylvestre le Philharmonique de Berlin), mais est aussi directeur musical du Gothenburg Symphony Orchestra, l’un des bons orchestres du vieux continent et du Los Angeles Philharmonic, l’un des orchestres américains de référence, mais surtout, il déplace les foules avec une prise peu commune sur le public et les orchestres: voir dans les coulisses les musiciens de l’orchestre défilant pour l’embrasser ou le saluer était édifiant, d’autant que cette célébrité somme toute nouvelle s’accompagne d’une chaleur communicative et d’une gentillesse qui n’a pas vraiment changé depuis ses débuts, puisque pour ma part, j’ai eu la chance de l’interviewer pour la revue italienne AMADEUS à l’automne 2004,à l’occasion d’un concert à Bamberg, suite à sa victoire au concours Mahler, quelques mois auparavant.
Dudamel a pris les fonctions de chef de l’orchestre Simon Bolivar des jeunes du Vénezuela à 18 ans, en 1999, et son travail extraordinaire avec cet orchestre lui a sans doute été une école de la direction irremplaçable, geste net, précis, lecture des intentions du chef par des mouvements sans ambiguité, et en même temps énergie communicative due à une fougue juvénile.
De plus, il est devenu une sorte de symbole, celle de la re(co)naissance de la musique sud-américaine, en imposant dans les programmes qu’il propose très souvent des pièces du répertoire sud-américain, comme cette oeuvre de Julián Orbón aujourd’hui. Que l’oeuvre soit portée, pour la première fois sans doute (il ya de bonnes chances puisque je ne l’ai pas vérifié) par l’immense Philharmonique de Vienne est aussi symbolique. Il est symbole aussi de l’orgueil culturel et identitaire de cette amérique latine qui peu à peu se relève d’années sombres et d’un pays, le Vénezuela, où grâce au génial Sistema de José Antonio Abreu, 400 orchestres et 250000 jeunes pratiquent la musique classique, au point que l’on s’intéresse en Europe à en appliquer le modèle, notamment en Italie sous l’impulsion d’Abbado. Sur le continent du foot, on a choisi la musique classique pour créer du lien social et de l’orgueil national (il ya toujours des Vénézuéliens sympathiques qui agitent des petits drapeaux dans les concerts de Dudamel), et sur le vieux continent, là où est née la musique classique, on a choisi le foot, avec les résultats que l’on a vus en France…N’épilogons pas. Tout n’est sans doute pas rose au pays de Chavez (qui n’a rien à voir avec le sistema, créé bien avant lui, mais qui sait aussi surfer sur la vague).

Arpès une exécution très dynamique de l’ouverture de la Pie Voleuse, où Dudamel maîtrise parfaitement l’art du crescendo -on se prend à rêver de le voir plus souvent dans la fosse, lui qui privilégie le podium- et où l’orchestre immédiatement s’affirme avec ce son inimitable des cordes et leur ductilité légendaire, justement arrivent les  Tres versiones sinfónicas de Julián Orbón (1925-1991), compositeur né en Espagne, émigré à Cuba, puis aux Etats Unis un an après l’arrivée de Fidel Castro. Dans cette pièce, composée en 1953, Orbón s’appuie sur des formes anciennes, la musique du XVIème siècle espagnol dans Pavana (pièce 1), la musique des XIèmes et XIIème siècles et notamment la naissance de la Polyphonie et Pérotin (partie 2, conducto) et les rythmes nés des influences africaines de la musique américaine, avec une utilisation très présente de la percussion (xilofono, partie 3). A ces inspirations premières se mèlent l’influence de Copland, maître de Orbón. j’ai été pour ma part frappé de la similitude de la deuxième pièce avec le style de Sibelius, notamment des échos de sa symphonie n°2: rêve ou réalité, je ne sais, en tous cas cela s’est imposé à moi à l’audition. Il ya eu de très beaux moments au concert, où le Philharmonique de Vienne montre évidemment sa parfaite maîtrise technique, le début de la deuxième pièce, très lente,utilisant lles bois , repris bientôt par les cordes et les cuivres était vraiment étonnant. je retiendrai aussi dans la dernière pièce le dialogue percussions/violoncelles. L’ensemble est apparu mériter grandementd’^tre plus souvent entendu en concert et l’interprétation vibrante, mais jamais démonstrative de Dudamel, donne une couleur toute particulière à l’ensemble.

Un autre très grand moment a été le Divertimento for orchestra écrit par Leonard Bernstein pour le centennaire du BSO (Boston Symphony Orchestra). On reconnaît immédiatement la générosité de la musique de Bernstein, avec de lointains souvenirs de West Side Story (la Samba!) dans ces courtes pièces, presque des miniatures, très séparées d’abord (pièces d’une minute ou deux, avec une valse merveilleuse de poésie – magnifique premier violon en contrepoint- en n°2, puis à la fin les éléments se superposent, à peine 11 mesures pour Sphinxes, sorte de version minimale de “An unanswered question”, construite sur une série dodécaphonique de Schönberg inversée, et se superposant au rythme très jazzy du blues et de la marche finale construite en canon, hommage à tous les chefs du BSO disparu (In memoriam: March-The BSO forever) . L’exécution en est exemplaire, au point de provoquer chez le public des murmures d’approbation et d’admiration, tant les intentions et l’ironie de Bernstein (mimant les musiques de film à la Hitchcock) sont soulignées et immédiatement comprises. Un grand moment, qui me fait dire que Dudamel prend vraiment le chemin de Bernstein, tant il semble faire corps avec cette musique.

Légère déception dans la Pavane pour une infante défunte, une pièce qui peut être bouleversante, par son alternance entre le mystère initial et un final plus lyrique.le cor initial a été vistime de quelque petite imprécision, mais tout le début m’est apparu trop lumineux, trop clair, alors que la partie finale à la reprise du thème, a retrouvé le chemin d’une vraie et profonde émotion.
En revanche, l’interprétation du Boléro restera dans les mémoires. D’abord, par la mécanique d’horlogerie (on est en Suisse ! ;-)) mise en place, et la clarté inouïe du propos, la direction, les attaques des musiciens (l’entrée des pizzicati) la maîtrise totale des instruments à vent et des bois, tout simplement prodigieux, et aussi l’absence de recherche de l’effet, mais une tension énorme sur le maintien du tempo, tout cela produit au final une juste explosion du public. Là aussi un souvenir m’assaille, m’étreint et m’émeut, des gestes semblables à Bernstein, dans la même oeuvre, notamment des mouvements d’épaule qui alors m’avaient frappés, lors d’un concert au Théâtre des Champs Elysées avec le National. Epoque bénie où Bernstein dirigeait le National et où Solti dirigeait l’Orchestre de Paris (il ya 32, 33 ans?).
Au final, un bis (la Valse du Divertimento de Bernstein, encore un pur moment de bonheur, de temps suspendu), l’habituelle désormais standing ovation, et la certitude toujours plus installée que Gustavo Dudamel est un très grand chef. Il dirige Carmen à la Scala en novembre. Nous y serons.
Nous serons aussi aux divers rendez-vous de Lucerne, et la nostalgie de la fin des festivités ne doit pas masquer la joie des moments passés sur les rives du lac des Quatre Cantons, dans cette salle magique qui furent parmi les moments les plus forts de cette année. Il faut aller à Lucerne.

Information: Vous pouvez voir le concert sur le site de medici.tv et il sera retransmis par ARTE le 10 octobre prochain à 19.15

LUCERNE FESTIVAL EASTER 2010: Gustavo DUDAMEL dirige le Sinfonica della Juventud Venezolana Simon Bolivar au Festival de Lucerne-Pâques (20 mars 2010)

 

Hugo Chavez ramasse la mise. Bien qu’il n’ait rien à voir dans la création du fameux « sistema », antérieur à son arrivée au pouvoir, les tournées de cet orchestre sont l’occasion d’une sympathique opération d’image pour le Venezuela, tant ces jeunes sont talentueux et sympathiques, et tant leurs prestations sont l’occasion pour des compatriotes  d’agiter frénétiquement dans les salles de concert autant de petits drapeaux vénézuéliens. Il faut quand même dire et répéter combien l’idée de faire jouer dans des orchestres des dizaines de milliers de jeunes est géniale. Jouer dans un orchestre, c’est jouer « collectif », mais écouter sans cesse les autres, être attentif au voisin, être dans un groupe et écouter les individus : école de tolérance, de civilité, de citoyenneté, et école de promotion sociale dans un domaine, la musique classique, confisqué le plus souvent par les classes privilégiées. Quand on voit ce que provoque le sport en terme de violence dans les stades, ou bien ce qu’il développe en haute compétition en terme d’égoïsme, d’appât du gain, d’individualisme forcené, on se dit que les valeurs de la musique valent bien celles du sport (aujourd’hui) qu’on veut nous faire croire universelles et porteuses de paix…

Et cet orchestre est un incroyable réservoir de talents : pendant l’une des répétitions de « Francesca da Rimini », Gustavo Dudamel a laissé la baguette pour le mouvement final à un tout jeune homme, 17 ou 18 ans, et ce fut miraculeux !  La technique et l’enthousiasme des jeunes musiciens est désormais légendaire, là où ils passent ils déchainent un désir de musique et une passion immédiats ainsi qu’une joie communicative. Il n’est qu’à voir Gustavo en coulisse après la fin d’un concert serrant dans les bras les fans, les musiciens, les professionnels, attentif aux gens, disponible.

Après la soirée délirante du vendredi avec Claudio Abbado, Gustavo Dudamel dirigeait Francesca da Rimini, une pièce de Tchaïkovski rarement donnée, et la Alpensinfonie de Richard Strauss, déjà entendue à Paris en octobre dernier. Ce sont des pièces qui donnent à l’orchestre l’occasion de se faire entendre, à tous les niveaux de pupitres, et qui montrent à quel point la maîtrise de ces jeunes est grande. « Francesca da Rimini » est une œuvre écrite à partir de l’épisode fameux de la Divine Comédie de Dante (dans l’Enfer) mis en musique aussi mais dans un style tout différent par Riccardo Zandonai. Zandonai a retenu les leçons de Debussy, tandis que Tchaïkovski a retenu celles de Wagner, après avoir entendu L’Anneau à la création à Bayreuth. Tout le début est un véritable écho à L’Or du Rhin, les sonorités sombres soulignant l’Enfer rappelant celles de Niebelheim. Tchaïkovski convient bien à Dudamel, qui sait faire sonner l’orchestre, et façonner un son plein, charnu, contrasté, qui convient bien quant à lui à Tchaïkovski.
Dudamel continue d’étonner par la précision de son geste, la maîtrise de chaque pupitre, la qualité de sa communication. Ce n’est pas un « révolutionnaire » au sens où ses interprétations restent très « classiques », mais d’un classicisme épuré, énergique, on dirait presque « modernisé ». Le contraste avec Abbado la veille est clair, l’un est en début prometteur de carrière, et il a tout à faire, tout à construire, tout à prouver, l’autre a tout prouvé, et peut laisser libre cours à une fantaisie créatrice exacerbée, qui rend chaque concert une divine surprise. Mais on sent chez Gustavo Dudamel un tel espace de possibilités, une telle prise sur le public, un tel vrai talent, qu’on attend, à partir des sons obtenus dans le Tchaïkovski, impatiemment son premier Wagner.
L’impression est confirmée par la lecture de Strauss, dans cette symphonie à programme où l’on passe « une journée de la vie en montagne », de la nuit à la nuit, de la base au sommet, de la nature paisible à la tempête, tout est abordé, tout est dit. Dudamel sait doser les effets, avec une science du son et des équilibres d’une redoutable efficacité. Les moments qui précèdent la tempête, par exemple, font irrémédiablement penser, par la distribution des sons, par l’arrivée lointaine du tonnerre, dans ce ciel encore serein, au fameux tableau de Giorgione, que l’on voit presque en correspondance. J’ai été cette fois très sensible aux parties nocturnes, aux moments élégiaques plus qu’aux moments de déchainement, un peu trop  démonstratifs car je voulais voir quels types de pianissimis Dudamel obtenait : il est sur la bonne voie, ses pianissimis sont presques aussi ténus et tenus que ceux de Claudio.

Est-ce le son, plus chaleureux, plus enveloppant, plus réverbérant à Lucerne qu’à la salle Pleyel, cette exécution m’est apparue encore plus maîtrisée, et plus accomplie, plus ouvragée, dirais-je. Un très grand moment de musique, qui s’est conclu par un triomphe mérité (avec standing ovation là aussi et infinis rappels).
Gustavo Dudamel est un grand chef, un très grand avenir lui est ouvert, son exécution était mémorable mais des deux artistes entendus, le plus jeune était encore et toujours Abbado !Il reste que j’attends avec impatience la série de Carmen que Dudamel dirigera cet automne à la Scala, je ne serais pas étonné que son approche soit plus convaincante que celle de Barenboim en décembre dernier.
Quelles deux merveilleuses soirées! Il faut aller à Lucerne!

BONNE ANNEE 2010! Quelques spectacles attirants….

Bonne année 2010 pour les amis qui me lisent.
En écoutant ce matin le concert du Nouvel An à Vienne, confié à la baguette de Georges Prêtre, je me mettais à penser aux huées régulières que ce dernier prenait à Garnier dans les années 70, uni dans la huée avec une Jane Rhodes ou une Régine Crespin. C ‘était le moment où certains imbéciles ne supportaient pas les chanteurs ou les artistes français. La première fois que je l’entendis triompher c’était dans Moïse de Rossini, en 1983, que j’ai évoqué il y a quelques semaines dans les quelques mots dédiés à Bogianckino.

Beau concert, ce matin. Il est vrai que l’exercice est imposé, le triomphe acquis et  rares sont ceux qui le ratent. Mais on retrouve toujours chez Prêtre cette élégance du geste,même minimaliste, comme ce matin, et cette précision qui le font apprécier des musiciens. Combien de triomphes à la Scala où il est adoré.

J’ai voulu alors réécouter  ce qui me paraît être l’absolu du genre: les concerts dirigés par Carlos Kleiber (1989 et 1992), on ne peut que rester fasciné par l’étourdissante performance, le dynamisme, le sens des rythmes, l’humour, l’incroyable vélocité, l’acrobatie technique, et puis je suis tombé en arrêt, étranglé par l’émotion, par les premières mesures du Beau Danube Bleu (version 1989), sans aucun rival ni avant ni après. Il y a tout: l’élégance, la légèreté, la mélancolie, le mystère. Sacré bonhomme. Irremplaçable.

Alors il me reste à souhaiter aux lecteurs de mes modestes contributions de belles soirées d’opéra et de beaux concerts en 2010.  Je n’ai pas encore répéré tout ce qui me paraît intéressant, mais j’irai probablement entendre à la Scala le Tannhaüser et le Boccanegra, le Rheingold mis en scène par Guy Cassiers, nouvelle étoile de la scène flamande dont j’ai vu “La trilogie du pouvoir”, fascinant spectacle. Je retournerai à Milan aussi pour la Carmen dirigée par Dudamel. J’essaierai d’ailleurs d’aller à Göteborg écouter sa IXème symphonie de Mahler en février. Par ailleurs, tous les abbadiens mais aussi les autres attendent avec impatience la IXème de Mahler et  Fidelio que Claudio Abbado doit diriger cet été et iront à Berlin en Mai pour son traditionnel concert annuel avec les Berlinois dans le très rare “Rinaldo” de Brahms, et les français seront tous à Pleyel le 11 juin .

J’ai noté une Grande Duchesse de Gerolstein à Bâle mise en scène par Christoph Marthaler avec la grande Anne Sofie von Otter et dirigé par Hervé Niquet (à Pleyel le 11 janvier). Vu le grand souvenir que fut ‘La vie parisienne’ au Volkstheater de Berlin il y a une douzaine d’années, je vais sans doute essayer de voir le spectacle. Je suis tenté aussi par Rienzi au Deutsche Oper de Berlin (fin Janvier) que je n’ai jamais vu sur scène et par Attila au MET, dirigé par Riccardo Muti, et dans une mise en scène de Pierre Audi et surtout des décors de Herzog et Demeuron, les grands architectes suisses.

A Paris, j’avoue être tenté par Norma au Châtelet si rare, mais le nom de Peter Mussbach sur l’affiche me fait hésiter. Je ne suis pas un grand fan de ce metteur en scène, par Cenerentola aux Champs Elysées, et par quelques spectacles de l’Opéra (bien sûr par le début du Ring qu’enfin on monte !).

A Madrid, deux productions m’attirent, la Salomé avec Nina Stemme et L’incoronazione di Poppea avec Philippe Jaroussky. Il faudrait aussi aller voir à Amsterdam les Troyens avec deux dames notables (Eva-Maria Westbroek et Yvonne Naef) et Turandot pour la direction de Yannick Nézet-Séguin, et à Londres Tamerlano avec Domingo.

J’irai sûrement en revanche voir Lulu à Genève avec Patricia Petibon, dans la mise en scène d’Olivier Py, et à Lyon la reprise des spectacles Tchaïkovski avec Kirill Petrenko au pupitre. Petrenko est un chef excellent, qui va sans doute diriger le Ring du bicentenaire de Richard Wagner en 2013, et les spectacles de Peter Stein sont certes inégaux, mais je conseille Mazeppa, magnifique production, un peu moins Onéguine, et encore moins La Dame de Pique, vraiment ratée.

Enfin j’attends avec impatience les débuts à Vienne de Dominique Meyer comme Intendant en septembre prochain, je compte sur lui pour rénover l’image et la politique de cette vénérable institution, en lui souhaitant de ne pas être la tête de turc de la presse viennoise, une habitude là-bas. Souhaitons lui une très bonne année, et surtout une fulgurante fin d’année viennoise, alla grande!

Voilà les perspectives bien incomplètes qui peuvent stimuler le mélomane,  on ne peut que vous souhaiter d’y assister et de prendre votre baluchon (et votre carte de crédit!). En attendant, bonne année encore. Santé et musique!

Gustavo Dudamel et l’orchestre national des jeunes du Venezuela Simon Bolivar à la Salle Pleyel (24 octobre 2009)

Il y a un phénomène Gustavo Dudamel: partout où il se produit, et quel que soit l’orchestre, il provoque un enthousiasme exceptionnel, voire délirant chez le public, mais aussi dans l’orchestre. Il ne s’agit pas vraiment de saluer une interprétation nouvelle, une voie inconnue dans laquelle ce jeune chef prodige nous entraînerait, il s’agit d’abord de prise incroyable sur les publics et les orchestres, de chaleur communicative, de sympathie innée, mais aussi de technicité hors pair au pupitre. C’est bien ce qui s’est passé hier 24 octobre à la Salle Pleyel, où le concert s’est terminé dans un délire comme la vénérable salle n’en connaît guère depuis quelques années, pour la première visite en France (il est temps! tous les pays d’Europe l’ont déjà reçu) de l’orchestre national des jeunes du Venezuela Simon Bolivar.

Au programme, le concerto pour violon de Tchaïkovski (soliste Renaud Capuçon) et la Alpensinfonie de Richard Strauss . Ce qui a frappé dans le concerto pour violon, c’est non l’interprétation acrobatique mais froide de Capuçon, qui joue la virtuosité technique plus que la sensibilité, mais la couleur de l’orchestre qui accompagnait, le regard très présent du chef sur le soliste, la finesse des attaques, l’épaisseur du son, le sens des rythmes. Je connais Dudamel depuis neuf ans, il a depuis ses débuts (sa première tournée européenne remonte à 2000, et je l’ai entendu à Hanovre pour la première fois lors d’EXPO 2000, il avait 19 ans) une incroyable technique de direction, c’est un chef authentique, qui sait rassurer un orchestre, qui domine parfaitement sa partition (il dirigeait hier sans) et qui a des gestes d’une précision et d’une lisibilité exceptionnels. Sans doute avoir dirigé un orchestre de jeunes pendant 10 ans lui a-t-il appris à être un pédagogue du pupitre avant d’être un chef, il accompagne l’orchestre et le conduit: un maestro et un vrai maître au sens de ces botteghe médiévales où les compagnons apprenaient auprès d’un maître. Mais il a en plus mûri ses approches, un peu superficielles me semblait-il y a quelques années, il mûrit vite: quelle différence entre son Mahler 2005 et son Mahler 2008! C’est cela qu’on sent dans ce Tchaïkovski tout sauf démonstratif, la poésie est là présente, non dans le violon, mais dans l’orchestre. Surprenant.

La Alpensinfonie de Strauss, sorte de Wanderung (randonnée) dans la montagne, du matin au soir, de la nuit à la nuit, surprend par sa fluidité et la maîtrise du son malgré l’incroyable nombre d’exécutants(l’orchestre se déplace toujours en grand nombre, ils sont plus ou moins 200 sur le plateau), l’option “scénique” de faire débuter et finir dans une semi pénombre montre aussi le souci du spectaculaire et une approche moins traditionnelle du concert classique, qui est au Venezuela un authentique phénomène de jeunes. On est frappé par la virtuosité technique des pupitres (les bois et les cuivres notamment) et la manière de suivre pas à pas les propositions du chef. On est aussi frappé par les contrastes, les pianissimi obtenus sont d’une finesse rare, et les fortissimi ne sont pas renforcés par le nombre des musiciens: ce qui domine, c’est la clarté de la construction, la lisibilité de l’approche, la volonté de souligner certaines couleurs, ici Mahler, là Wagner, de jouer le lyrisme très charnel, la violence de la nature et d’une nature qui reste domptée par la musique, une nature authentiquement culturelle. Il en résulte une ambiance qui s’impose au public qui suit dans un silence impressionnant avant d’exploser dès la dernière note.


Hier soir, Frédéric Mitterrand, Ministre de la culture, remettait en fin de concert la croix d’officier de la légion d’honneur à José Antonio Abreu, fondateur du Sistema des orchestres vénézuéliens, où plus de 300 orchestres de jeunes, 300000 jeunes sur 26 millions d’habitants (1%) sont engagés dans la pratique orchestrale, comme une alternative à la vie désœuvrée des bidonvilles et des cités pauvres, en une pyramide qui conduit au sommet à faire partie de cette phalange miraculeuse, qui est l’une des plus virtuoses au monde, et sans doute l’une des plus enthousiastes et engagées. Abreu reçoit désormais une pluie de prix, car son œuvre unique au monde replace la musique et l’art au centre du tissu social, et surtout, permet à un public neuf, sans préjugés, de s’emparer de la musique classique. Gustavo Dudamel me disait qu’au Venezuela, les concerts de musique classique sont remplis de jeunes, et de plus en plus de pays notamment en Amérique Latine, cherchent à reproduire le miracle vénézuélien. Gustavo Dudamel recevait ensuite, très ému, la croix de chevalier des Arts et Lettres, et le concert se termina, pour la joie du public où de nombreux drapeaux du Venezuela étaient agités et créaient une ambiance de folie à Pleyel, par trois bis, le Mambo du West Side Story de Bernstein, une danse très rythmée sans doute d’un compositeur sud américain, et la Marche de Radestsky en guise d’adieu. Un grand moment, une magnifique soirée, un public estomaqué et ravi. Merci les jeunes!