IN MEMORIAM JAMES LEVINE (1943-2021)

James Levine @Michael Dwyer Archives Associated Press

Si James Levine n’a jamais appartenu à mon Olympe musical personnel, sa disparition me touche néanmoins profondément parce qu’il est un artiste qui m’a accompagné de loin en loin depuis les années 1970. Je l’ai entendu en direct très souvent et pour la première fois à Salzbourg en 1979, puis à Bayreuth et puis au MET, encore assez récemment.

Je l’ai découvert au disque, à travers ce qui était alors le premier grand enregistrement des Vespri Siciliani de Verdi (Arroyo, Domingo, Milnes, Raimondi)… Rolf Liebermann avait décidé de programmer l’opéra en 1974, dans la mise en scène du MET de John Dexter (sublime décor de Josef Svoboda)  où James Levine avait dirigé Caballé et Gedda (il existe un live de ce moment). Comme trois des quatre protagonistes passèrent à Paris dans la production (les spectateurs d’alors découvraient la voix somptueuse, magnifiquement verdienne, de Martina Arroyo, qui fut l’une des habituées de Paris à cette époque, ainsi que l’Arrigo de Placido Domingo, et le Procida de Ruggero Raimondi; ils ne le chantèrent jamais ensemble, mais ils contribuèrent tous à faire de cette œuvre l’un de mes opéras de l’Île déserte sans doute aussi par la nostalgie de cette période où étudiant émerveillé, je découvrais l’opéra.

J’achetai donc le coffret de Levine, et ce fut à cette occasion que je le découvris.
J’ai pu le vérifier au MET aussi bien dans un Ballo in maschera sublime (Radvanovsky, Beczala, Hvorostovsky, Zajick) mais aussi Ernani (Meade, Domingo, Belosselskiy, Meli) non moins extraordinaire. Il avait dans Verdi à la fois la pulsion et la nervosité, mais aussi un son charnu, plein, et un sens dramatique très développé. Son Verdi fut toujours pour moi une référence.
Levine n’a jamais été un inventeur, et d’ailleurs les mises en scène qu’il dirigea ne furent jamais révolutionnaires non plus (comme souvent aux USA), mais il était une assurance d’un niveau musical exceptionnel, d’une connaissance approfondie des partitions et d’un très grand sens du théâtre ainsi qu’un professionnalisme sans failles.
A la tête du MET comme directeur musical de 1971 à 2017, il dirigea toutes les grandes œuvres du répertoire et c’est peut-être cela qui est notable chez lui : il dirigeait aussi bien Mozart que Strauss ou Wagner, Verdi, Puccini ou Offenbach, mais aussi le Wozzeck de Berg où je l’entendis au MET un soir où Matthias Goerne remplaçait (avec quelle classe) le Wozzeck prévu.
Sa présence au pupitre était pour les chanteurs une garantie, car c’était un immense chef d’opéra, mais aussi pour le public, qui était certain d’avoir une représentation de très haut niveau, même si on pouvait pinailler sur l’approche, et même si d’autres chefs étaient ou sont plus inventifs ou plus novateurs ; il était en quelque sorte un super « Konzermeister » de très grand luxe à l’opéra, une référence de classicisme. Je l’ai entendu dans La Clemenza di Tito à Salzbourg, dans Parsifal et le Ring à Bayreuth où il dirigea une vingtaine d’années. C’est lui qui dirigea la jeune Waltraud Meier dans sa première Kundry Bayreuthienne, et son Parsifal était presque aussi long que celui de Toscanini, une lenteur qui quelquefois, il faut bien le dire, pesait un peu.
Dans Wagner au MET, je l’entendis dans le Ring d’Otto Schenk en 2009, superbement distribué, quelques mois avant la naissance de ce blog, parce que les hasards de mon parcours ne m’avaient jamais permis de voir une production « traditionnelle » du Ring, et 2009 était la dernière année de la production d’Otto Schenk qui était référentielle en la matière, montée comme une réponse à Chéreau (qu’elle suivit de quelques années). Je pense que ce fut dans Wagner et Verdi qu’il fut sans doute incontesté, et pour ma part, plutôt dans son Verdi jusqu’à la fin à la fois vivant, profond, dramatique. Son Wagner était peut-être un poil plus convenu, sans rien nier des qualités de solidité, de théâtralité et de splendeur sonore, comme le démontent ses derniers Meistersinger von Nürnberg et Tannhäuser au MET que je vis dans ces années 2014 et 2015 où il dirigea régulièrement malgré la terrible maladie qui l‘avait terrassé et où j’accourus pour l’y entendre le plus souvent possible
Au total j’ai dû assister à une vingtaine de productions sous sa direction et dans plusieurs concerts : il demeure un des grands chefs des dernières années du XXe siècle. Le dernier concert où je l’entendis à Carnegie Hall (voir lien ci-dessous) montrait notamment un Mahler vraiment vibrant.

Il n’ouvrait peut-être pas des abîmes nouveaux à l’âme, et certains musiciens qui jouaient dans ses orchestres s’étaient prodigieusement lassés mais il était un vrai chef qui savait ce que faire de la musique signifiait. On retient de lui le chef lyrique, sans doute là où il montra la plus grande constance, mais il fut un chef symphonique réclamé, très présent des deux côtés de Atlantique, fidèle en Europe au Festival de Verbier dont il fut la référence incontestée, et n’oublions pas qu’il succéda à Celibidache aux Münchner Philharmoniker,  qu’il dirigea le Boston Symphony Orchestra en succédant à Seiji Ozawa et aussi qu’il fut candidat malheureux à la succession de Karajan à la tête des Berliner Philharmoniker, face à Claudio Abbado. Il faisait partie – on l’a un peu oublié aujourd’hui- du « top Ten » des chefs, et fut sans aucun conteste le dernier grand chef américain.
Les dernières années furent assombries d’abord par la maladie : il ne pouvait plus diriger debout, mais en fauteuil roulant électronique, avec un podium spécial que l’on avait conçu pour lui, mais c’était fascinant de le voir continuer à diriger et à embraser le public américain : le public du MET lui faisait une incroyable fête à chacune de ses apparitions.
Les dernières années furent aussi assombries par les accusations d’abus sexuels que tous les médias citent aujourd’hui (c’est tellement plus gourmand que de parler de sa musique) et qui firent les unes des journaux en 2017.
Ses goûts que tous faisaient semblant de découvrir étaient connus de tous, et évidemment des autorités du MET. Ce n’était pas un secret… mais on feignit la surprise et l’horreur. Le MET assez lâchement cria haro sur le baudet et non seulement le chassa, mais aussi décida d’enlever son effigie du théâtre et de retirer ses disques qui remplissaient les rayons de la Metopera Shop. Signe de grand courage d’achever un homme à terre qu’on avait porté aux nues pendant 45 ans, où il était la garantie du remplissage des salles et de la gloire musicale du théâtre à travers le monde, par de multiples enregistrements audios et les premières vidéos diffusées à grande échelle après celles de Karajan.
Mais ce n’est pas toujours sain de durer aussi longtemps; il était de toute manière temps qu’il quitte ses fonctions après presque un demi-siècle, d’autant que la maladie l’avait contraint les dernières années à s’éloigner plusieurs fois des podiums au point qu’on avait nommé un directeur musical « pro forma », Fabio Luisi qui assura avec beaucoup d’élégance ses remplacements pendant plusieurs années. Le MET ne savait pas comment le contraindre à partir. L’affaire sexuelle fut donc une bénédiction que le théâtre saisit au vol, occasion de montrer en même temps qu’il savait hurler avec les loups, préserver l’honorabilité de sa façade tout en réglant ses comptes…

Nous vivons une époque formidable où d’aucuns fusionnent les artistes dans leur vie et les œuvres qu’ils produisent. J’ai l’habitude de séparer « l’homme et l’œuvre » comme on m’a appris à l’école, et bien des artistes du passé ne furent pas des exemples de moralité, les vies agitées d’un Caravage ou d’un Borromini n’ont pas amené à brûler les tableaux de l’un et les églises de l’autre. On continue de se délecter des ouvrages de Céline qui fut un salaud.  La liste n’est évidemment pas exhaustive.
Ce qui me restera de James Levine est la lumière de sa musique.

Voir les articles du Blog :

Les Contes d’Hoffmann
Ernani
Die Meistersinger von Nürnberg
Concert Mozart-Mahler (Symphonie n°9) Carnegie Hall
Le Nozze di Figaro

Portrait de James Levine au temps de sa splendeur au Metropolitan Opera . (Photo de Ted Thai/The LIFE Picture Collection via Getty Images)

 

HOMMAGE A LEONTYNE PRICE: ERNANI de Giuseppe VERDI (enregistrement SONY) MET 1962 (Price, Bergonzi, Tozzi, MacNeil, Dir: Thomas Schippers)

716sAAcunMLLa collection publiée par Sony autour de la mémoire sonore du Metropolitan Opera contient un certain nombre de joyaux dont cet Ernani enregistré le 1er décembre 1962, dirigé par Thomas Schippers, avec Carlo Bergonzi, Leontyne Price, Cornell Mac Neil et Giorgio Tozzi.
Au moment où Leontyne Price fête ses 89 ans, j’ai eu envie de réécouter cet enregistrement et d’en rendre quelque compte, pour dire mon enthousiasme, et aussi parler d’une œuvre chère entre toutes.
En France, d’Ernani point d’écho, au moment où l’Opéra affiche certes Trovatore, mais n’a jamais vraiment défendu que le répertoire verdien international et ne défend même pas le répertoire du Verdi français, dont Le Trouvère est un exemple (version avec variations et ornementations spécifiques et final revu) .
Certains pensent même qu’Ernani est à ranger aux rang d’Alzira ou d’autres Battaglia di Legnano, œuvres secondaires voire oubliées. Or Ernani dépasse et de loin Giovanna d’Arco récemment vu à la Scala, voire Nabucco et doit être rangé dans les chefs d’œuvre du compositeur italien. D’abord parce que derrière le librettiste Francesco Maria Piave se cache Victor Hugo et que les situations et les personnages ont une consistance nouvelle qui annonce les grandes œuvres futures, ensuite parce que certains airs (Ernani, Ernani, Involami d’Elvira, ou infelice e tuo credevi.. de Silva), duos/trios (le trio du premier acte No crudeli d’amor non m’è pegno etc… ) et ensembles (Un patto ! un giuramento ! chœur des conjurés) s’inscrivent immédiatement dans les grands moments verdiens du répertoire.
Peu de productions dans le paysage, la dernière grande reprise le fut l’an dernier par James Levine au MET, qui la saison dernière a montré qu’il restait l’un des plus grands chefs verdiens de l’époque avec cet Ernani en mars 2015, puis Un ballo in marchera le mois suivant. J’ai eu la chance de voir les deux, et Ernani était plus réussi (musicalement) que Ballo in maschera, même si la production semblait exhumée des poussières du passé .

J’en ai rendu compte et la distribution composée d’Angela Meade, de Francesco Meli, de Placido Domingo et de Dmitri Belosselsky défendait merveilleusement l’œuvre, tandis que James Levine rendait à cet opéra le relief et la grandeur qu’il mérite.

Thomas Schippers
Thomas Schippers

En 1962, c’était Thomas Schippers. Ce chef trop vite disparu était l’un des grands chefs lyriques de l’époque, notamment mais pas seulement pour le répertoire italien (on lui doit aussi une très belle Carmen avec Regina Resnik), tension, pulsation, rythme. Son Ernani (qu’il a aussi enregistré  en 1968, mais avec une distribution un peu moins convaincante chez RCA) est ici un exemple de ce qu’était le MET dans les années 60, de ce qu’était une soirée mémorable (avec un choeur exceptionnel) et quels échos elle portait dans le public, avec la tradition américaine d’applaudir à l’entrée de la vedette, mais aussi l’absence totale de da capo et de reprises, ce qui serait impensable aujourd’hui (Levine l’an dernier faisait les da capo).

Pour écouter une version « authentique », il faut écouter Muti (j’en ai aussi rendu compte) avec Ghiaurov, Bruson, Freni, Domingo (en Ernani cette fois), où Freni nous semble encore merveilleuse de vérité, mais n’étant pas tout à fait une Elvira, elle fut un peu contestée en 1982 …
Cet Ernani de 1962 est d’abord un belle preuve pour la direction de Schippers, énergique, claire, éclatante quelquefois, avec un chœur somptueux, une clarté qui étonne au départ, tant on a dans l’oreille un prélude plus sombre, voire sinistre dans les premières mesures. Il donne à l’ensemble un halètement typiquement verdien, où l’attention ne retombe jamais, où la musique de Verdi est portée à l’incandescence. Bien sûr, le son tout à fait correct n’a pas le relief d’un son « hifi », mais dès que les chanteurs ouvrent la bouche, on se rend compte que les arrangements sonores aujourd’hui ordinaires, sont inutiles face à Carlo Bergonzi et Leontyne Price. Dès qu’il se mettent à chanter, c’est une remise à zéro des curseurs verdiens d’aujourd’hui. C’est totalement incomparable. Et c’est là la magie du son en direct, sans filet, venu de la vieille salle du MET, sorte d’émergence de ce qu’était le chant verdien à l’époque, avec des chanteurs aujourd’hui un peu oubliés pour certains  qui furent des grands à l’époque, pourtant bien servis par le disque, Cornell Mc Neil qui n’a jamais eu en Europe le relief et la gloire de ses collègues barytons contemporains, et notamment Tito Gobbi (Cappuccilli en était à ses tout débuts…mozartiens), et Giorgio Tozzi l’une des basses remarquables du MET, ces basses maison qui faisaient que le niveau du MET ne descendait jamais sous l’excellence.  Et puis Bergonzi et Price, jeunes encore (Leontyne Price avait 35 ans, Bergonzi 38), étaient au sommet de leurs moyens.
Il faut entendre Leontyne Price tenir les notes de Ernani, involami et la cabalette qui suit pour comprendre ce que chanter Verdi voulait dire pour elle. Un contrôle sur chaque note, sur chaque inflexion, une étendue incroyable des graves aux notes les plus aiguës, une agilité bien présente, et dans l’aria, et dans la cabalette, avec un sens du rythme et de la couleur consommés. Il faut l’entendre aussi dans les ensembles, avec cette présence vocale phénoménale qui fait que chaque apparition était attendue avec impatience .

Bien sûr, Leontyne Price est le soprano verdien par excellence, qui porte haut la complexité d’un chant que très peu de chanteuses de ce niveau portent aujourd’hui. Anna Netrebko est une très grande chanteuse, elle a d’abord triomphé dans le bel canto, puis la voix a grossi, mais à un niveau tel qu’elle en a perdu un peu de ductilité (c’est net dans Giovanna d’Arco). J’ai toujours entendu en elle une Norma, qu’elle va aborder, un peu tard pour moi, l’an prochain. Et cette voix me paraît aujourd’hui bien plus convenir à Puccini et aux véristes qu’à Verdi ou Bellini. Et elle aborde aussi Wagner avec Lohengrin en mai prochain. Attention à ce que trop de faveur ne tue…

Leontyne Price dans Trovatore au MET à la même époque ©METOpera
Leontyne Price dans Trovatore au MET à la même époque ©METOpera

Leontyne Price a abandonné les scènes en 1985 – elle n’avait pas 60 ans- au moment où elle ne chantait plus aussi parfaitement, où planait la menace inévitable de l’âge, mais qui entend sa dernière Aida reste stupéfait du volume et du contrôle et surtout de l’étendue (les graves!), bref de la performance encore unique . On peut l’admirer dans les différents Trovatore qu’elle a faits avec Karajan, y compris le dernier (dont le Manrico est Franco Bonisolli).

Qu’on se réfère pour chavirer à ses années 60, qu’on se réfère à ses Leonora, ses Aida, ses Elvira. Elvira notamment, car c’est un des rôles de Verdi les plus difficiles, que peu de très grandes ont abordé, et pas toujours avec succès.
Je me souviens qu’Alexia Cousin, une des voix françaises les plus prometteuses qui a abandonné brusquement la carrière, avait osé Surta è la notte Ernani Involami après un récital pour jeunes chanteurs à la Scala, et je me souviens encore de la stupéfaction des spectateurs et notamment des connaisseurs : pour tous oser Ernani à cet âge, c’était vraiment hardi, voire téméraire.
Alors, Leontyne Price est la référence pour Elvira, à mon avis, tout simplement parce que personne depuis les années 1980 n’a chanté Verdi aussi bien qu’elle. Même Renata Scotto que j’ai entendue merveilleuse dans Trovatore, et dans Otello, rate un peu cet air d’Elvira (dans ce que j’en ai entendu au disque) un peu crié, même si les filati sont à se damner.

Angela Meade, entendue au MET l’an dernier, s’en tire avec tous les honneurs, avec moins de puissance que Leontyne Price, mais avec la ductilité, et l’homogénéité.
De toute manière, Verdi a toujours réussi aux chanteuses américaines : Zinka Milanov (qui était croate, mais qui a marqué le MET) Leontyne Price, Martina Arroyo, et aujourd’hui Sondra Radvanovski et Angela Meade font pour moi partie de ces voix faites pour Verdi.
Alors, honorez Leontyne Price en écoutant cet Ernani.
Mais il n’y a pas que Price, il y a aussi Carlo Bergonzi, qui dès le lever de rideau impose sa ligne, son élégance, sa maîtrise des volumes, ses aigus solides et tenus : sans effets autres que le chant pur, Bergonzi impose sa totale suprématie dans ce répertoire, que seul Placido Domingo peut lui disputer. Il a le volume et l’étendue (c’est un ancien baryton), il a la force et il a aussi et surtout une pureté sonore qu’aucun ténor ne lui dispute, pour le coup. Il faut entendre comment il module dans son premier air les deux vers
il primo palpito d’amor,
d’amor che mi béò
et comment il entame la cabalette et la manière dont il tient la note finale après avoir miraculeusement chanté gli stenti suoi, le pene, Ernani scorderà.
Nous sommes à des niveaux aujourd’hui non atteints, et je conseille vraiment les lecteurs curieux de chant verdien de s’y replonger, pour comprendre la distance qui nous en sépare.
Souvent, la suprématie des deux protagonistes laisse dans l’ombre les deux autres, Silva et Carlo, la basse et le baryton : Muti dans son enregistrement ne les avait pas oubliés, ils en sont sans doute avec Domingo (à son meilleur dans l’enregistrement de Muti) les phares, dans un enregistrement où les hommes dominent, malgré une Freni vibrante, mais techniquement à la peine : Ghiaurov et Bruson montrent eux aussi ce que chanter veut dire. Ghiaurov n’a pas été remplacé comme basse verdienne, à une époque, la nôtre, où nous n’en manquons pas, mais pâles et souvent sans véritable expressivité.  Ghiaurov avait la technique, l’étendue, le volume, la profondeur sonore et l’expressivité (Filippo II !!), dans Silva, il est phénoménal…
Giorgio Tozzi est l’une de ces basses un peu oubliées aujourd’hui qui a fait les grandes heures du MET et des enregistrements de cette époque. Italien d’origine né à Chicago, il a chanté tous les grands rôles de basse du répertoire, Verdi bien sûr, mais aussi Moussorgski et Wagner ou même Debussy (Arkel). Comme Leontyne Price, il est lié à mon enfance, puisque les deux faisaient partie de la distribution de mon premier enregistrement de la Symphonie n°9 de Beethoven, par Charles Munch et le Boston Symphony Orchestra (Leontyne Price, Maureen Forrester, David Poleri, Giorgio Tozzi) que j’ai encore dans mes “vinyles”.
Même s’il n’est pas dans sa meilleure forme, il reste impressionnant dans infelice…e tu credevi avec une voix assez claire (il a commencé comme baryton), et un style d’une certaine retenue, sans exagérations démonstratives; la voix est merveilleusement homogène et les aigus tenus (ancora il cor).
Cornell MacNeil est Carlo, le roi Charles Quint :  à l’époque il a 40 ans, et va connaître une carrière exceptionnelle de baryton Verdi (à 63 ans c’est lui qui est Germont dans le film La Traviata de Zeffirelli avec Stratas et Domingo en 1985), la mémoire de l’opéra semble l’avoir un peu oublié, et pourtant, on le rencontre dans bien des enregistrements dont l’Aida de Karajan (avec Tebaldi et Bergonzi) , Rigoletto avec Joan Sutherland (Sonzogno 1961) ou le fameux Ballo in maschera de Solti (1961) avec Nilsson et Bergonzi. C’est LE baryton de ces années-là, pur produit de l’école américaine (il a d’ailleurs commencé dans le Musical). Carlo est le rôle qui l’a lancé dans la carrière internationale puisqu’il le chante à la Scala où il remplace Ettore Bastianini dans une nouvelle production d’Ernani aux côtés de Franco Corelli en 1959. À noter d’ailleurs que la Scala, entre 1958 et 2016, affiche trois séries de représentations d’Ernani, en 1959, en 1969 et en 1982 (dernière représentation en janvier 1983), signe évident de la difficulté à réunir des protagonistes de niveau qui puissent défendre l’oeuvre.
Cornell MacNeill est au sommet de sa forme dans ces années-là, il partagea la vedette avec les grands barytons américains de l’époque, Leonard Warren, mort en scène deux ans auparavant et Robert Merrill. Le moment à écouter passionnément dans cet enregistrement est son air du 3ème acte Gran Dio ! un air qui fait écho à celui de Filippo II du Don Carlo (avec le même violoncelle en arrière plan), un air de méditation et d’introspection : à 23 ans de distance, le père et le fils méditent sur le pouvoir, sur la fidélité, la vertu.
Il faut entendre les dernières paroles
e vincitor de’ secoli
Il nome mio farò
e
t les aigus qui scandent nome, mio, farò, et l’incroyable « si » tenu sur farò qui déchaine l’enthousiasme justifié de la salle.
Vous voulez entendre du chant verdien ? vous voulez entendre Leontyne Price dans ses œuvres, entourée des meilleurs chanteurs de l’époque ? vous voulez découvrir l’un des plus beaux opéras de Verdi et entendre tonner Hugo en filigrane ? Alors précipitez-vous sur cet enregistrement pour découvrir l’œuvre et jouir sans entraves du chant, puis achetez l’enregistrement de Muti dans une de ses interprétations les plus accomplies pour entendre un Verdi « archéologique » avec les da capo, les reprises, l’énergie et le lyrisme.
Et les deux à un prix raisonnable, autour de 18€…[wpsr_facebook]

Leontyne Price en Elvira (probablement au San Francisco Opera)
Leontyne Price en Elvira (probablement au San Francisco Opera)

 

METROPOLITAN OPERA 2014-2015: LES CONTES D’HOFFMANN de Jacques OFFENBACH le 21 MARS 2015 (Dir.mus: James LEVINE, Ms en scène: Bartlett SHER)

Olympia (Erin morely Distrib.A) ©Marty Sohl /Metropolitan Opera
Olympia (Erin Morley Distrib.A) ©Marty Sohl /Metropolitan Opera

Encore une œuvre du répertoire français, et pourtant le texte n’est pas disponible dans le display de surtitrage qu’il y a devant chaque fauteuil. Anglais, allemand, espagnol seuls ont droit de cité. Il faut donc faire confiance à la diction et la prononciation française des chanteurs. On me répondra que le livret de Jules Barbier ne nécessite pas un effort intellectuel particulier mais tout de même…
On ne reprendra pas la polémique sur la version jouée, à chaque production sa version, d’autant plus depuis les dernières découvertes de Jean-Christophe Keck notamment sur l’acte de Giulietta et le final. Mais James Levine a choisi de suivre la version Œser qui remonte à 1976 et désormais remise en question après l’édition de Michael Kaye et évidemment celle de Keck. Une édition saluée lors de sa parution, qui fut suivie par l’enregistrement de Sylvain Cambreling qui n’est pas l’un des plus mauvais loin de là et qui conserve scintille diamant et le sextuor du 3ème acte (Giulietta). Levine propose non les dialogues parlés mais les récitatifs chantés de Guiraud (une rareté désormais…). Voilà pour les choix de version.
Cette production des Contes d’Hoffmann remonte à 2009, James Levine la dirigeait, et il la reprend aujourd’hui. Les Contes d’Hoffmann qu’il dirige avec les forces du MET depuis 1988 (avec une tournée au Japon) et au MET même depuis 1992. Contrairement à d’autres œuvres qu’il se réserve, il a souvent laissé la baguette (Simone Young, Frédéric Chaslin), il était donc intéressant de l’écouter dans un opéra où, on le sait, il excelle, mais où il n’est pas si fréquent, d’autant que c’était la dernière.
La mise en scène est de Bartlett Sher, metteur en scène américain fameux, pour les pièces qu’il a mises en scène et pour les musical, il fait partie des metteurs en scène que Peter Gelb a appelés pour renouveler un peu les mises en scène au MET, dont on sait ce qu’elles sont, et surtout ce qu’elle ne sont pas; on lui doit un Barbiere di Siviglia de bonne facture. Ces Contes d’Hoffmann ne révolutionnent pas la vision de l’œuvre : Chéreau le fit et avec quelle maestria à l’Opéra de Paris en 1975, et Marthaler à Madrid récemment en a proposé une vision étonnamment noire et tendue. Bartlett Sher en fait une vision à la fois littéraire, fantasmatique et fantasmagorique : Hoffmann est souvent derrière sa table de travail écrivant ses Contes et s’impliquant de manière romantique dans les histoires qu’il raconte ou en faisant un fantasme comme c’est visible dans l’acte de Giulietta, le moins linéaire et le plus violent.
Dans un décor sombre de Michael Yeargan, les visions alternent, plutôt fantasmagoriques pour l’acte d’Olympia, nous sommes presque à la limite du musical, plutôt épuré pour l’acte d’Antonia : je ne sais si Barltlett Sher a eu accès à la vidéo de Chéreau (hors commerce, mais qui doit circuler), mais au moins deux idées sont semblables, d’une part l’arrivée du Docteur Miracle en calèche (chez Chéreau, vraie calèche et vrai cheval), et d’autre part l’évocation de la mère avec un simple voile blanc. Il reste que c’est l’acte le plus réussi car le moins surchargé. L’idée de vêtir Antonia d’un habit de Diva en récital est excellente. L’acte de Giulietta est comme souvent le plus confus : le livret est surchargé de petits faits, peu clair et tout se succède à grande vitesse, sans vraiment de ligne limpide et suivie. Venise est évoquée, inévitable gondole, les fêtes masquées du XVIIIème aussi (Giulietta est vêtue comme au XVIIIème) avec une atmosphère à la fois de fête vénitienne, de maison de rendez-vous, mais avec aussi une violence contenue puis explosive, par exemple, lorsque Hoffmann tue Schlemil. C’est d’ailleurs l’un des moments où il apparaît le plus clairement que tout cela n’est que rêve. Bartlett Sher construit donc un rêve d’Hoffmann, souvent à sa machine à écrire : c’est un peu le même dispositif et la même idée que pour l’Orphée de Gluck vu récemment à Lyon, mais pas vraiment mené au bout de sa logique. Du point de vue plus strict du jeu et de la direction d’acteur, le travail est sommaire, et Sher laisse l’élaboration aux chanteurs qui font en somme ce qu’ils ont l’habitude de faire.
Il reste que c’est une mise en scène qui fonctionne, mieux que bien d’autres productions du MET.
Elle fonctionne aussi parce que la compagnie est engagée avec une énergie peu commune. C’est plutôt une distribution B, la reprise de janvier affichait Thomas Hampson dans les quatre rôles maléfiques et Vittorio Grigolo en Hoffmann. Même si les chanteurs sont apparemment moins « bankables », l’ensemble a une tenue et une homogénéité remarquables.

Matthew Polenzani (Hoffmann) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Matthew Polenzani (Hoffmann) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Matthew Polenzani, qu’on connaît pour ses qualités de styliste est un Hoffmann très engagé, avec une diction impeccable et un style enviable. Lui dont on note toujours le volume relativement contraint (voir son Requiem de Verdi à la Scala où il remplaçait Kaufmann en octobre dernier), est ici très à l’aise et particulièrement en voix. Un travail de chant ciselé, attentif, et finalement une personnalité scénique attachante, voire émouvante, même s’il n’est pas un acteur de premier ordre. Un très bel Hoffmann, très propre, très net, impeccable en somme.

Laurent Naouri et Matthew Polenzani ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Laurent Naouri et Matthew Polenzani ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Coppelius, Dappertutto, Miracle et Lindorf, c’est Laurent Naouri, magnifique ce soir : une voix claire, bien projetée, une diction exceptionnelle bien sûr, et un magnifique timbre de baryton basse. Il sacrifie un peu aux gestes codifiés du personnage, mais du point de vue musical, il est vraiment une très belle référence. Son scintille diamant est exemplaire et remporte un triomphe. Enfin un vrai style français. Un modèle.
Notons aussi quelques personnages secondaires qui ont surpris par leur allant et leur présence, par exemple le Frantz de Tony Stevenson, jeune diplômé maison du Programme Lindemann vraiment excellent dans l’air de la méthode, ou même Mark Showalter (Spalanzani, Nathanaël, un étudiant).
Du côté des rôles féminins, c’est un peu moins homogène, la Muse (Nicklausse) de Jennifer Johnson Cano, est très correcte sans être exceptionnelle, notamment du point de vue de l’incarnation vocale et scénique. Elle est loin d’effacer la performance inoubliable de Anne Sofie von Otter à Madrid. On est disons, dans le « tout venant » honorable.

Antonia (Susanna Phillips) avec Hoffmann (Matthew Polenzani) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Antonia (Susanna Phillips) avec Hoffmann (Matthew Polenzani) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

L’Antonia de Susanna Phillips est plus intéressante, plus vibrante aussi (pour le rôle, c’est indispensable), mais elle a eu ce soir deux accidents vocaux, un aigu qui s’est écrabouillé et un autre vraiment lancé faux, mais je pense que la tension consécutive au premier accident a créé le second. C’est dommage, car la personnalité et la voix sont intéressantes, et émouvantes.

Giulietta 5Elena Maximova) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Giulietta 5Elena Maximova) ©Cory Weaver/Metropolitan Opera

La Giulietta d’Elena Maximova est elle aussi de bon niveau; j’avoue avoir des difficultés avec Giulietta, qui est un rôle assez ingrat et qui nécessite une personnalité hors pair pour vraiment marquer. Vocalement c’est très honorable et quelquefois assez intense, sans être vraiment marquant. Ce n’est pas dans Giulietta que la Maximova impressionnera les foules.
En revanche, c’est dans Olympia que la jeune Audrey Luna m’a vraiment impressionné.
Olympia, machine à aigu, pour des voix petites qui montent haut et très haut et qui savent cadencer, vocaliser, roucouler, une bête de cirque en somme que Natalie Dessay, la dernière Olympia légendaire, finissait par haïr.
Audrey Luna a non seulement les suraigus, base nécessaire pour Olympia, elle a l’abattage, elle a les cadences et les variations, et surtout, ce qui la différencie d’autres Olympia, sa voix a une assise relativement large, et n’est pas ce rossignol qu’on entend habituellement, il y a là du corps, j’entends une future belcantiste car elle a un beau medium et une vraie personnalité. Dans un rôle aussi inintéressant, elle sait donner de la couleur. C’est suffisamment rare pour être noté. Ce soir, Audrey Luna c’est ma découverte. Retenez ce nom.

Olympia (Audrey Luna) avec Hoffmann (Matthew Polenzani)©Cory Weaver/Metropolitan Opera
Olympia (Audrey Luna) avec Hoffmann (Matthew Polenzani)©Cory Weaver/Metropolitan Opera

Au total, une distribution de très bon niveau, avec de vraies découvertes et de vraies personnalités, servie par un chœur (direction Donald Palumbo) en très grande forme (le chœur du sextuor de l’acte de Giulietta, dans cette version parce qu’on sait qu’il a disparu des éditions postérieures à Œser), est vraiment éblouissant, et le prologue est remarquable.
Mais celui qui donné à la soirée sa vraie couleur, c’est James Levine qui réussit à rendre cette musique bouleversante. L’acte d’Antonia, le plus accompli, est tendu, avec un sens dramatique développé et un art du crescendo consommé. Mais l’ensemble de l’œuvre est mené avec une grande énergie, une incroyable dynamique, un sens symphonique accompli, et aussi, il faut le souligner, une grande variété dans la couleur, et une manière d’aborder les moments plus lyriques, plus mélancoliques avec un son velouté, enjôleur, et une extrême sensibilité, ce qui n’est pas ce qu’on reconnaît le plus à ce chef . Il en résulte une direction musicale qui est pour moi la meilleure entendue dans cette œuvre depuis longtemps, même si les choix éditoriaux peuvent se discuter. Que des Contes d’Hoffmann puissent à ce point à la fois briller et émouvoir, c’est vraiment l’ouvrage du chef, qui soutient le plateau et lui fait donner le maximum, comme d’habitude sans jamais le couvrir et favorisant toujours l’expansion des voix, avec un orchestre exceptionnel ce soir.
Avec pareille direction James Levine rend honneur à Offenbach, il lui donne un relief et une profondeur qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. Quelles magnifiques moments ![wpsr_facebook]

La distr.A: Thomas Hampson, Kate Lindsey,Vittorio Grigolo, Hibla Germova et  ©Marty Sohl/Metropolitan Opera
La distr.A: Thomas Hampson, Kate Lindsey,Vittorio Grigolo, Hibla Germova et ©Marty Sohl/Metropolitan Opera

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2014-2015: ERNANI de Giuseppe VERDI le 20 MARS 2015 (Dir.mus: James LEVINE; Ms en scène: Pier Luigi SAMARITANI) avec Placido DOMINGO

Errani Acte III © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Errani Acte III © Marty Sohl/Metropolitan Opera

J’aime beaucoup Ernani parce que l’opéra a presque la folie de la pièce originale, parce que Hugo et Verdi savent les secrets du mélodrame, grands sentiments, moins grands principes. J’aime aussi parce que c’est l’un des opéras où l’art du chant est à son sommet, notamment pour le soprano qui a l’un des airs les plus difficiles du répertoire à chanter, et pour le chœur qui chante l’un des chœurs les plus célèbres de Verdi, pour le ténor dont le cœur balance entre héroïsme verdien et belcanto donizettien, pour le baryton qui trouve là l’un des premiers grands rôles de baryton verdien (et Verdi a donné ses lettres de noblesse à la voix de baryton) pour la basse qui trouve là aussi l’un des tous premiers grands rôles de basse mal aimée, anticipant Philippe II, et j’aime cette musique qui exalte la mélodie, sans tout à fait renoncer à oumpapa. Bref, j’aime ce « jeune » Verdi (il a quand même 31 ans) de 1844, qui plus qu’un autre titre, annonce le grand Verdi.
Et pourtant, j’ai vu très peu d’Ernani dans ma vie. Pas à Paris bien sûr, où je ne suis pas sûr qu’il ait jamais été représenté (quelle pitié que d’afficher des Traviata à répétition sans jamais avoir eu l’idée de programmer un titre ô combien lié à notre répertoire national, à notre histoire culturelle nationale).

En fait cette représentation d’Ernani est la troisième de ma vie de mélomane. J’ai vu à la Scala deux fois la production de Ernani de 1982, dans la mise en scène de Luca Ronconi (une des rares productions qu’il n’ait pas réussi), avec Placido Domingo (Ernani), Renato Bruson (Carlo), Nicolaï Ghiaurov (Silva) et Mirella Freni (Elvira) dans l’un des rares rôles qui ne lui allaient pas tout à fait, le tout dirigé par Riccardo Muti à une époque où son Verdi n’était pas anesthésié. J’ai vu aussi de cette production la distribution B : Lando Bartolini, Antonio Salvadori, Giorgio Surjan, Aprile Millo dirigés par Edoardo Müller (à l’époque d’ailleurs, vous réserviez pour la distribution A et vous arriviez à Milan en voyant affichée la distribution B, pour le même prix…c’était la Scala des bonnes années).
C’est dire ma joie de retrouver cette œuvre à New York, dirigée par James Levine qui depuis les années 70 est l’un des grands verdiens de notre époque avec des enregistrements splendides (I Vespri Siciliani par exemple) et qui reste une référence pour ce répertoire, dans une distribution qui compte les meilleurs chanteurs du jour pour Verdi, et surtout ce type de Verdi, et de retrouver Placido Domingo dans une œuvre où je l’avais entendu 33 ans avant (même si le rôle n’est pas le même…).

Il bandito (Acte I) © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Il bandito (Acte I) Francesco Meli© Marty Sohl/Metropolitan Opera

Bien sûr, il y a la mise en scène…dont c’est la 95ème représentation au MET dans une production dont la première remonte à 1983. Vu la production, elle eût pu remonter à 1970 ou 1958…on a presque perdu l’habitude de ces couleurs, de ces beaux costumes chamarrés et interchangeables, de ces mouvements ridicules, de cette poussière ambiante où les chanteurs peuvent librement mettre la main sur le cœur écarter les bras et monter et descendre les marches de gigantesques escaliers qui sont la manière de scander l’espace d’un acte à l’autre (sauf le tableau 2 de l’acte I), et qui rappellent les escaliers fameux de Josef Svoboda, le maître décorateur des années 70.
Décorateur et Metteur en scène ( ?), Pier Luigi Samaritani est un très bon décorateur à qui Paris (Garnier) doit les décors de La Bohème dans la belle mise en scène de Gian Carlo Menotti (1974), et un piètre metteur en scène à qui Paris doit Werther (1984) et Madama Butterfly (1983) .
Ce soir à New York, on y trouve les habituels poncifs de l’opéra sur scène, qui font sourire à force d’être ridicules ou surannés. Il n’y a rien à dire sur cette production, qui ravira ceux qui pensent que l’opéra c’est seulement du chant et des beaux costumes, mais qui laisse pensif quand à l’avenir du genre…

Elvira dans ses coussins © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Elvira dans ses coussins © Marty Sohl/Metropolitan Opera

Il faut donc se rabattre sur la musique, car ce soir c’est vraiment la seule chose intéressante, voire passionnante et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai traversé l’océan.
James Levine reprend donc une production qu’il a créée dont la dernière reprise remonte à 2012 (déjà avec Angela Meade) sous la direction de Marco Armiliato.
Dès le prologue, on entend son Verdi coloré, tendu, dans une lecture d’une incroyable clarté, qui exalte notamment les bois, et qui rend à Verdi sa pulsion, il y a là du rythme, de la dynamique, et une attention particulière aux chanteurs qu’il ne couvre jamais. On peut cependant regretter que l’orchestre ne soit pas aussi explosif qu’on souhaiterait, James Levine le retient un peu, comme il retient le chœur dans le fameux Si ridesti il leon di Castiglia qui n’a pas l’éclat habituel qui fait exploser le public. Il reste que ce Verdi là, on n’a plus l’habitude de l’entendre aujourd’hui et que James Levine sait à la fois mettre en valeur la mélodie, le tissu de la partition qu’il révèle en profondeur et sait donner à son Verdi une luminosité qu’on avait oublié. On est à l’opposé du Verdi sous verre, snob et distancié qu’on nous assène depuis des années. Enfin, ça vit, ça pleure, ça tremble. À ce titre le trio Ernani/Elvira/Carlo du 1er acte Tu se’ Ernani!… mel dice lo sdegno, un des moments qui me remplissent de cette joie et de cette palpitation si particulières aux grands moments verdiens (j’en ai encore les larmes aux yeux en y pensant) est ici exécuté avec la dynamique et le rythme, la vivacité, l’énergie incroyables qu’on attendrait toujours et dont on rêve toujours pour Verdi. Grandiose.

Angela Meade (Elvira) © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Angela Meade (Elvira) © Marty Sohl/Metropolitan Opera

Il est servi par un quatuor de référence. Je n’avais jamais entendu Angela Meade dont on me disait grand bien. La voix est grande, les aigus sont sûrs et la diction impeccable comme souvent chez les américains : dès le récitatif du premier air, le très redouté et souvent raté Ernani Ernani involami qui demande un très grand contrôle sur la voix, la messe est dite. Il y a dans cet air de quoi désespérer le soprano moyen, scalette, aigus et suraigus, filati, trilles. Mais madame Meade n’est pas un soprano moyen, elle est une magnifique voix verdienne, et la cabalette le confirme : nous y sommes…c’est si rare aujourd’hui d’avoir un soprano qui a à la fois la technique, l’intensité, les aigus, le contrôle, et la puissance qu’on ne peut que saluer la performance dans son ensemble. Certes madame Meade est un soprano scéniquement à l’ancienne, qui n’a pas l’agilité physique à laquelle nous sommes désormais habitués mais qui a en revanche une voix à laquelle nous ne sommes plus habitués. Ce soir, c’est un Verdi à l’ancienne, mais qui nous renvoie à un vert paradis qu’on croyait à jamais disparu : Carlo Bergonzi et Leontyne Price ne sont pas très loin et si on les voyait surgir, on ne serait pas plus surpris…

Carlo (Placido Domingo) © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Carlo (Placido Domingo) © Marty Sohl/Metropolitan Opera

Et Placido ? quand il rentre en scène affublé d’une perruque un peu ridicule sensée en faire un jeune Carlo, une voix du fond de salle crie bravo. Ce soir, il est dans une grande forme, bien plus que pour son Trouvère salzbourgeois et le rôle qu’il chante pour la première fois lui va mieux car  moins exposé. Bien sûr c’est un ténor qui chante et entre Meli et lui c’est une rivalité de ténors, un jeune et un ancien…mais à vrai dire le timbre est tellement séduisant, tellement clair, tellement jeune, tellement incroyable qu’on reste éberlué. Certes, notre Placido sait à merveille masquer les inévitables petits problèmes, mais dans son air de l’acte III Oh de’ verd’anni miei, on reste interdit devant la tenue, devant le style, devant l’endurance de cette voix, même si les aigus sont descendus d’un demi ton au moins. Peu importe, parce qu’il y a là quelque chose de supérieur qui est une sorte de jeunesse de l’âme, de générosité, de grandeur à peu près uniques. certains ironisent sur le fait que Placido ne puisse s’arrêter, mais ces restes ( ?) d’une période et d’un style aujourd’hui disparus, ce timbre encore unique sont miraculeux, et sont une vraie leçon de vie et d’intelligence. Encore de quoi alimenter les émotions.

Silva (Dmitry Belosselskyi)© Marty Sohl/Metropolitan Opera
Silva (Dmitry Belosselskyi)© Marty Sohl/Metropolitan Opera

Dmitri Belosselskyi est Silva, cette voix encore jeune de basse chante le vieillard, quand Placido chante le jeune Carlo. Ce sont les paradoxes de l’opéra qu’on a pu relever ailleurs, par exemple quand la sexagénaire Freni chantait une Mimi encore pleine de fraîcheur et de jeunesse. Son Silva est noble, sombre mais pas noir. Après tout, dans cette œuvre où chacun des protagonistes fait des serments de gascon, il est le seul qui tienne parole, même si c’est aux dépens du héros. Il fait partie de ces personnages de Verdi qui gardent toujours une certaine grandeur même s’ils ont le mauvais rôle. On le voit lorsqu’il accueille et donne l’hospitalité à l’acte II à Ernani dissimulé sous un manteau de voyageur errant. Belosselskyi, que j’ai rarement entendu, a du style, la voix a du relief , de la présence et il campe un personnage crédible, non dénué d’authenticité et d’humanité.

Francesco meli (Ernani) Acte I © Marty Sohl/Metropolitan Opera
Francesco meli (Ernani) Acte I © Marty Sohl/Metropolitan Opera

Francesco Meli est Ernani. Plus j’écoute ce chanteur et plus je le trouve intéressant voire passionnant. D’abord la voix est magnifiquement claire et lumineuse, un vrai soleil que cette voix typiquement italienne et ce timbre qu’on trouvait il y a des décennies chez les ténors hispaniques qui fait penser à Aragall, voire Carreras, mais avec un contrôle et un soin de la diction et de la parole qu’on trouvait chez Kraus. Que de références élogieuses dira-t-on…certes, mais il y a peu de ténors qui affrontent les rôles avec une simplicité et une honnêteté notables sans être des histrions. C’est ce qui me frappe dans sa manière de chanter, directe, naturelle et pourtant si travaillée. Enfin un ténor qui a une voix naturelle et qui sait ammorbidire, adoucir, qui sait contrôler de manière intelligente. Certes, il y a encore un problème qu’on avait déjà remarqué dans les parties un peu plus héroïques et les notes très hautes : il y arrive, mais la gorge se serre un peu. Il sait que là est son talon d’Achille, il est encore jeune et cela se travaille, pourvu qu’en gagnant là il ne perde pas ce qui fait son prix, qui est ce style typiquement belcantiste qui manque à tant de ténors verdiens. Alors qu’un Alvarez ne m’a jamais ni remué, ni ému, ni impressionné, le chant et le style de Francesco Meli m’émeuvent parce que c’est senti, c’est vécu et que sans en faire des tonnes sur scène (ce n’est pas un acteur né) il a une vraie présence. On est loin des folies glamour d’autres ténors vedettes, mais on est près du vrai, près du cœur et c’est l’essentiel.
On aura compris qu’enfin on a tous vibré à ce Verdi là, même dans un décor d’un autre âge et dans une non mise en scène, mais dans mon trépied lyrique, si deux des composantes fonctionnent parmi musique, chant et mise en scène, alors le trépied tient. Ici, prima la musica qui a été plus que grande. On ne peut d’ailleurs que regretter que le MET Live in HD ne le retransmette pas tant cette soirée fut marquante.
Rien que pour cet Ernani, je ne regrette pas d’avoir traversé l’océan…Cela se joue jusqu’en avril. Si vous avez prévu un voyage à New York, allez-y, on trouve toujours des places au MET, et à la dernière heure elles valent 30 à 40% moins cher.
Ce fut une vraie leçon de vie, une vraie leçon de Verdi, une vraie leçon d’opéra.
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Silva (Dmitry Belosselskyi) et Ernani (Francesco Meli)© Marty Sohl/Metropolitan Opera
Silva (Dmitry Belosselskyi) et Ernani (Francesco Meli)© Marty Sohl/Metropolitan Opera

METROPOLITAN OPERA 2014-2015: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG de Richard WAGNER le 23 DÉCEMBRE 2014 (Dir.mus: James LEVINE, Ms en scène: Otto SCHENK)

Final Acte II © Ken Howard /Metropolitan Opera
Final Acte II © Ken Howard /Metropolitan Opera

On ne reviendra pas sur la complexité des Meistersinger von Nürnberg, labourée de manière approfondie lors du compte rendu de l’excellente production de Tobias Kratzer  à Karlsruhe (voir le texte) qui posait la question centrale de l’interprétation et de la réception de l’œuvre. C’est bien la question fondamentale qui est posée ici par la production d’Otto Schenk qui a à peine plus de 20 ans, et qui pourrait en avoir 40, 50, 80 tant elle respire la poussière à première vue. S’il y avait des toiles peintes, on dirait qu’on l’a sortie du XIXème.

Acte I © Ken Howard /Metropolitan Opera
Acte I © Ken Howard /Metropolitan Opera

Mais les décors, signés du grand Günther Schneider Siemssen, sont construits, et de manière si impressionnante qu’ils provoquent encore aujourd’hui au MET des applaudissements à scène ouverte (au lever de rideau du 2ème acte et à la Festwiese). Nous sommes dans l’hyperréalisme, il ne manque pas un bouton de guêtre (normal vu que Sachs est cordonnier), pas un géranium, pas un colombage, comme si la comédie devait être par force réaliste. Déjà Wieland Wagner 40 ans avant la première de cette production au MET avait remis en cause cet axiome.
Plus profondément, cette production qui on va le voir, n’est pas complètement has been, pose la question de la modernité au MET, qui en ce moment éprouve de graves difficultés identitaires. Peter Gelb a essayé de moderniser les spectacles par tous les moyens, s’associant à des théâtres européens pour certaines productions (De la Maison des morts, Chéreau) faisant appel à des metteurs en scènes à la mode (Tcherniakov) ou modernes au sens de Broadway. C’est pourtant cette production sans âge qu’on applaudit avec ferveur…Problème de public qui vieillit sans être remplacé, problème d’éducation au théâtre et de tradition de cette scène qui a longtemps considéré la mise en scène comme une mise en image d’une version de concert, ou qui a confondu mise en scène et grand spectacle avec foule, couleurs et beaux décors (voir aussi La Bohème de Zeffirelli).

Acte I,1 © Ken Howard /Metropolitan Opera
Acte I,1 © Ken Howard /Metropolitan Opera

La salle était loin d’être complète : rangs entiers vides, spectateurs quittant par grappes le théâtre au 2ème entracte ou vers 23h30 (derniers trains de banlieue ?) alors que le spectacle se terminait vers minuit. Et pourtant, indescriptible triomphe autour du chef et de la distribution réunie. Mais à l’opéra, le pari de la musique ne suffit pas.
Je le dis et le répète à longueur de textes, Otto Schenk, très traditionnel dans sa vision, n’est pas néanmoins un mauvais metteur en scène. D’abord par le soin extrême apporté aux détails, aux petits faits vrais, il rend son travail très vivant, mais aussi grâce à l’individualisation des foules, enfants qui jouent, jeux de regards, échanges entre les gens, il fait un vrai travail de théâtre au miroir, permettant aux spectateurs de se reconnaître: la sortie de la messe au 1er acte en est un exemple.

Beckmesser (Johannes Martin Kränzle) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Beckmesser (Johannes Martin Kränzle) © Ken Howard /Metropolitan Opera

Chacun a quelque chose à faire, il se passe toujours quelque chose. Ensuite par la caractérisation des personnages, jamais forcée, jamais exagérée, même pour Beckmesser, magnifiquement personnifié, incarné même par Johannes Martin Kränzle, fantastique acteur, naturel, ridicule mais pas trop, pathétique mais pas trop. La Eva (chantée ici par Annette Dasch) est aussi très bien dessinée, dans sa séduction trouble envers Hans Sachs et Schenk touche là à ce que Kratzer avait noté sur l’ambiguïté du personnage, sur ses hésitations, sur sa gentille rouerie aussi. Le jeu de Dasch s’adapte parfaitement à cette complexité là. La mise en scène d’Otto Schenk (ou ce qu’il en reste après 20 ans), n’est pas aussi fine pour Hans Sachs, dont il ne travaille peut-être pas assez les contradictions et les doutes, les colères et les troubles, ni pour Walther, mais vu les dons d’acteur limités de Johan Botha, c’est peut-être plus sûr et le personnage lui-même est moins intéressant.

Hans Sachs (James Morris) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Hans Sachs (James Morris) © Ken Howard /Metropolitan Opera

En tous cas, tout n’est pas méprisable dans ce travail, même s’il faut bien dire aussi qu’on y retrouve au premier degré, ce sur quoi ironisait Kratzer dans son deuxième acte à Karlsruhe quand il évoquait les mises en scène réalistes ou archéologiques (rondes des apprentis, farces bon enfant etc…).
Il reste qu’on est bien dans la comédie et que, c’est à noter, le public répond, rit beaucoup, est bien plus participatif que le public européen, sans doute blasé, notamment en Allemagne. Die Meistersinger sont tellement rares hors d’Allemagne que cela ne se pose même pas ailleurs. On soulignera donc les décors monumentaux des premier et deuxième acte : la rue de Nuremberg est incroyable… et au troisième acte la maison de Sachs, pleine à craquer de toutes sortes d’objets. Seule la Festwiese manque à mon avis d’espace, bloquée en arrière plan par le rempart, qui permet de concentrer le chœur au premier plan et de voir enfin un vrai défilé des corporations au lieu des élucubrations à la Katharina Wagner (!). En fait, c’est un concentré des mises en scène qu’on voyait dans les années 50, 70 ou 80, comme celle d’August Everding à Munich ou comme celle(s) de Wolfgang Wagner à Bayreuth. La mise en scène de Schenk n’est jamais ridicule, même si je n’en défends pas les options. Il me semble cependant que le final du 2ème acte manque de rythme scénique : en la matière, Wolfgang Wagner avait réussi à Bayreuth dans le genre un final époustouflant au crescendo scénique d’une redoutable précision qui accompagnait le crescendo musical. Jamais vu mieux depuis. Et ici, le chœur chantant d’un côté et les danseurs ou les mimes se battant au centre donnent une impression d’artificiel : quand, comme chez Wolfgang Wagner, le chœur se déchainait en chantant, l’impression était bien plus forte et bien plus folle. À part ce moment, l’ensemble est passable, illustratif, mais jamais ennuyeux, ce qui est un tour de force vu le genre suranné de ce travail.
C’est que musicalement, nous sommes vraiment au sommet.
C’est bien la marque du MET que d’avoir toujours défendu au plus haut niveau l’excellence musicale et le parfait équilibre des distributions, dans un parti pris idéologique qui fait de toute représentation d’opéra une représentation de concert illustrée. La distribution réunie est sans doute l’une des meilleures que l’on puisse voir, à partir des excellents seconds rôles tenus par des chanteurs plus ou moins maison comme la très bonne Magdalena de Karen Cargill , voix grave, beau timbre, jolie présence et le non moins excellent David de Paul Appleby, voix bien posée et projetée, jolis aigus, jeu déluré . Un futur Mime ?

Pogner (Hans-Peter König) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Pogner (Hans-Peter König) © Ken Howard /Metropolitan Opera

Le Pogner de Hans-Peter König, a sa belle voix grave, chaude, à la couleur toujours très humaine. Ce chanteur a le privilège d’humaniser chaque personnage qu’il aborde. Un méchant chanté par König n’est jamais tout à fait méchant, quelque chose en lui sonne fragile et tendre, comme son Hunding sur cette même scène dans la mise en scène de Lepage. Son Pogner est émouvant, souriant, rassurant. Belle figure.
On aura aussi noté Martin Gantner, qui a fait les beaux soirs de Zurich, excellent Kothner et le très bon Nachtwächter de Matthew Rose à la voix profonde et juvénile.
Johannes Martin Kränzle, sans avoir le timbre séduisant et la parfaite diction des grands Beckmesser (Hermann Prey, Michael Volle), a une voix forte et bien projetée, un naturel confondant en scène, une expressivité unique dans son chant, il est incarnation encore plus qu’interprétation. Il propose un Beckmesser un peu pataud, qui fait souvent sourire et quelquefois rire, et il a la qualité des grands : il sait dire un texte, en le jouant, en le distillant, avec une présence rare. Grand moment.

Eva (Annette Dasch) et Sachs (James Morris)© Ken Howard /Metropolitan Opera
Eva (Annette Dasch) et Sachs (James Morris)© Ken Howard /Metropolitan Opera

Eva est sans doute l’un des rôles les plus accomplis d’Annette Dasch. Elle est totalement convaincante car le rôle sied parfaitement à sa voix, elle y est émouvante, délicate, énergique : on se demande pourquoi Bayreuth qui l’a utilisée pour une Elsa où elle n’est pas à 100% de ses moyens a usé des Eva inutiles pendant cinq ans alors qu’elle est splendide. Une voix pure, bien placée, magnifiquement projetée : elle est sublime dans le quintette et vive, naturelle, jeune, fraiche en scène notamment dans le deuxième acte. Elle s’est emparée du personnage pour lui donner une vraie présence. J’avais dans mon souvenir Harteros dans ce rôle où elle était extraordinaire, j’y rajoute Annette Dasch. C’est pour moi aujourd’hui la meilleure des Eva.

Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera

À côté sans doute du meilleur des Walther, Johan Botha, extraordinaire. Dans une mise en scène qui ne lui demande que de se planter sur scène, il est totalement bluffant, les aigus sortent avec une facilité confondante, le timbre est velouté, il est Walther, avec une suavité que je n’ai pas connue depuis longtemps. Vogt était magnifique, comme il l’est dans Lohengrin, et il jouait, mais je crois que sur le plan purement vocal et stylistique, Botha est ici supérieur. Il a d’ailleurs remporté un phénoménal succès.

Sachs (James Morris) et Walther (Johan Botha) © Ken Howard /Metropolitan Opera
Sachs (James Morris) et Walther (Johan Botha) acte III © Ken Howard /Metropolitan Opera

Vu d’Europe, on pensait James Morris en retraite, il a été à un moment l’un des plus beaux Wotan qui soit, un miracle de style. J’ai toujours aimé cette voix claire et étendue, cette délicatesse. Il a certes un peu vieilli, mais il a gardé ce qui faisait son prix : un chant d’une élégance unique, d’une douceur ineffable, un timbre d’une clarté étonnante pour un baryton basse. Il est un Sachs au-delà, qui a dépassé les crises, un sage distancié, rien à voir avec Renatus Meszar à Karlsruhe, ardent, amoureux, révolté, rien à voir même avec la personnalité forte et virile d’un Michael Volle. Il est ailleurs. Certes, le rôle est écrasant et les aigus les plus hauts lui sont difficiles, la voix bouge un peu, certaines attaques n’ont plus la netteté d’antan, notamment dans le troisième acte mais quelle noblesse de chant, quelle attention au texte, quelle clarté dans l’expression : son monologue du troisième acte est à ce titre anthologique. Un pur produit de la formation américaine, d’une propreté presque inaccessible. Un chant qui par le soin donné à chaque parole, est émouvant. Quel plaisir de l’entendre et d’entendre encore des qualités globales qui restent rares.
Et au milieu de ce plateau de très haut niveau, James Levine emporte la conviction du public, littéralement en délire dès qu’il se retourne vers le public en faisant mine de le serrer dans ses bras. Rarement théâtre ne s’est autant identifié à son directeur musical. On le pensait perdu pour la musique, on faisait des plans pour sa succession et il est là incroyable d’énergie, de profondeur, emportant l’orchestre pendant l’ouverture avec une incroyable dynamique malgré son tempo toujours un peu plus lent que d’autres. Son Wagner est somptueux, on lui reprochait souvent de ne pas avoir beaucoup à dire sinon une sorte de recherche formelle sans intérêt, on reprochait à son Parsifal sa lenteur désespérante quelquefois et on a là un travail d’une profondeur et d’une précision incroyables, avec une lisibilité du tissu musical qui permet d’écouter les différents niveaux avec facilité, même si on ne peut dire qu’il ait la clarté cristalline de certains autres chefs, ni même le raffinement. Mais c’est d’abord un chef de théâtre, ne couvrant jamais le plateau, attentif aux rythmes de la scène. Il y eut des moments d’une grande émotion, comme certaines scènes du second acte, et évidemment tout le troisième acte. Le quintette fut bouleversant et l’ensemble de la Festwiese, dynamique, joyeuse, énergique sans être tonitruante, soutenu également par le magnifique chœur du MET dirigé par Donald Palumbo. Un grand moment musical. On pensait qu’il n’avait plus rien à dire, mais son récent Mahler et son Wagner nous disent tout au contraire plein de choses, avec une grande sensibilité, et presque une tendresse qu’on ne lui connaissait pas.
Ce fut un beau cadeau de Noël. La Saint jean à Noël…de solstice à solstice…
Joyeux Noël aux lecteurs du jour
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Festwiese © Ken Howard /Metropolitan Opera
Festwiese © Ken Howard /Metropolitan Opera

CARNEGIE HALL NEW YORK 2014-2015: JAMES LEVINE DIRIGE LE MET OPERA ORCHESTRA (MOZART, MAHLER) avec MAURIZIO POLLINI

Maurizio Pollini et James Levine à Carnegie Hall le 12 octobre 2014 © Ken Howard/Metropolitan Opera
Maurizio Pollini et James Levine à Carnegie Hall le 12 octobre 2014 © Ken Howard/Metropolitan Opera

Si vous allez à New York en saison, ne ratez pas un concert à Carnegie Hall. Le lieu est l’un de ceux où souffle quelque chose, un lieu de rituels, de poussière, de souvenirs. Aux murs des photos de chefs, de solistes, de chanteurs légendaires qui ont fréquenté ce lieu, des autographes de compositeurs, des vieilles choses pour un bâtiment vénérable. Enfin tout ce que nos salles de concert ne contiennent pas, tout ce que notre opéra national ne cultive pas, comme si l’histoire de nos maisons se limitait au hic et nunc. Au MET comme à Carnegie Hall, tous les fantômes qui ont hanté les salles sont présents, on a conscience d’être dans l’histoire, une longue histoire, même lorsque les lieux ont changé, comme au MET, dont la salle actuelle remonte à 1966 et qui a assumé le passé de l’autre salle. A Bastille, à part les pubs pour Guerlain ou Chopard, rien de cela, la mémoire ne se cultive pas dans nos lieux musicaux. On a les opéras qu’on mérite.
En parcourant les couloirs de Carnegie Hall, on imagine ce que devait être l’ancien MET. Car Carnegie Hall dont l’acoustique est phénoménale, est une vaste béance de 2800 places, si vaste, si vertigineuse qu’il n’y plus de place pour les circulations latérales, escaliers incroyablement raides et interminables, petits couloirs d’à peine 1,5m de large bars coincés et malcommodes, portes d’accès étroites, ascenseur (un unique ascenseur je crois, hors d’âge) et des queues de spectateurs partout, aux entrées de la salle, à l’ascenseur, aux lieux d’aisance, aux bars. Seul le bar du parterre est un peu plus large. Mais celui des galeries (Dress circle) est minuscule et d’ailleurs le public (des centaines de personnes) ne peut guère s’y mouvoir.
Un public diversifié, troisième, quatrième âge, déambulateurs, fauteuils roulants (dans un lieu guère aménagé pour les personnes à mobilité réduite). Comme partout, le public des concerts est plutôt mur. Mais on croise aussi plus qu’au MET des jeunes, des étudiants des touristes un peu perdus dans ce labyrinthe hanté.
Alors évidemment j’aime beaucoup. Je n’ai guère d’expérience d’une salle de concerts plus évocatrice (même le Musikverein dégage moins d’âme), et en même temps plus malcommode, de cette incommodité parlante, émouvante. On craint comme la peste le jour où l’on décidera de réaménager ou de moderniser.
Oui, Allez à Carnegie Hall. Au plus vite si vous allez à New York.
D’autant que l’on se pressait ce dimanche 12 octobre en matinée (à 15h), où l’orchestre du MET dirigé par James Levine dans l’un de ses rares concerts symphoniques proposait avec Maurizio Pollini en soliste un de ces programmes qui font tilt dans la tête du mélomane, le concerto pour piano n°21 de Mozart, et la Symphonie n°9 de Mahler.

 

Le concerto pour piano n° 21 de Mozart K.467 en ut majeur est un des piliers du répertoire, notamment le deuxième mouvement. C’est une pièce favorite de Maurizio Pollini, en tournée aux USA qui l’a déjà donnée ce printemps avec Christian Thielemann à Salzbourg. J’avoue avoir été éberlué de l’ambiance extraordinaire qui y est immédiatement installée. Le concerto coule avec une fluidité étonnante, un sens du legato, dans un Mozart volontairement sans accrocs, mais non sans accents. Une force qui va tranquille et joyeuse, comme l’ange de La Mort des amants baudelairienne.  J’évoque ce poème à dessein, l’un des rares poèmes du bonheur baudelairien. Nous sommes effectivement dans une sorte d’évocation d’un Mozart heureux : c’est une des périodes de bonheur de sa vie, (« le court bonheur de ma vie », dirait Rousseau) il est auréolé de succès, il entre à la franc-maçonnerie deux mois avant la création de ce concert au Burgtheater. Et la joie se traduit à la fois par un rythme assez vif, mais jamais alourdi (alors que souvent Levine est accusé de l’être), empreint d’une grandeur simple, et par une sorte de continuum, de chasse au bonheur très stendhalienne, une sorte d’évocation édenique qui pacifie. Évidemment, Maurizio Pollini adhère complètement à cette vision, dans une forme éblouissante, mais jamais démonstrative, jamais marqué par la folle rapidité qu’il avait imposée à Salzbourg face à un Thielemann plus retenu… Il y a ici une véritable unité, un système d’écho où très clairement soliste et chef tiennent le même discours. D’ailleurs, Levine s’est placé non face à l’orchestre, mais à l’oblique, pour avoir le soliste dans son champ de vision (il ne peut se tourner). Une profonde entente semble régner sur la conception de l’œuvre, marquée par une sérénité joyeuse qui inonde l’auditeur.
Il faut aussi souligner la qualité de l’orchestre, car au-delà de cette fluidité évoquée plus haut, il y a une approche bien analytique qui met en valeur chaque pupitre, cordes évidemment, mais aussi percussions ou bois. Le son produit a cette luminosité et cette clarté qui me rappellent quelquefois le Mozart de Böhm, qui m’a tant frappé dans ma jeunesse, qui met en tous cas en valeur les recoins de la partition et qui surtout permet à l’auditeur de ne pas rester concentré sur le soliste comme souvent dans un concerto, mais surtout faire des sortes d’aller et retour, favorisant aussi une vision plus globale. Pollini déploie dans le rondo final (que j’aime moins) une virtuosité incroyable, tout en gardant cette délicatesse de toucher sans sacrifier le volume sonore ni la précision du frapper : équilibre subtil dont seul il est capable les jours de grâce.

Pollini-Levine (Saluts) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Pollini-Levine (Saluts) © Ken Howard/Metropolitan Opera

L’univers Mahlérien, et notamment de ce Mahler-là, de cette symphonie-là (la n°9 en ré majeur), pourrait être aux antipodes de la sérénité. Mahler traverse des épreuves, et la période est sombre. Claudio Abbado a souvent interprété Mahler dans le sens de la tristesse nostalgique, du sarcasme désabusé, de l’énergie du désespoir ou surtout d’une sorte d’indicible tristesse. Ses dernières interprétations de la 9ème la tiraient clairement vers cette tristesse fondamentale. D’ailleurs, lorsqu’il évoquait Mahler dans les conversations, il parlait souvent de tristesse ou de souffrance.
J’avoue avoir été un peu désarçonné au départ, par une approche à la fois impeccable au niveau technique, l’orchestre ayant été à chaque moment au sommet, et presque trop « inhumain » dans sa perfection. Cette perfection m’a, je l’avoue, gêné. Je l’ai dans un premier temps attribuée à de la froideur, à une approche à la fois monumentale et distante. Et j’ai eu un peu de difficulté à entrer ainsi dans un univers mahlérien inhabituel pour moi. Quand on a vécu avec Abbado presque systématiquement dans Mahler avec les émotions que l’on sait, dans une sorte de perfection séraphique, il est difficile de pénétrer d’emblée dans un univers différent et surtout si différent : ce n’est pas une question de comparaison, c’est une question d’accoutumance addictive. J’avais cependant été très séduit voire secoué par ce que faisait Daniele Gatti avec la Concertgebouw à Lucerne en 2013, dans une interprétation inhabituelle pour moi très charnelle, très chtonienne et sublimement maîtrisée, dont l’option pourrait se relier à ce que nous avons entendu à Carnegie Hall.

À distance d’une dizaine de jours, les traces de la mémoire parlent, et l’incroyable performance de l’orchestre, alliée à l’option de Levine, qui évite la sensiblerie ou la tristesse, pour donner de l’espace certes à une certaine mélancolie, mais en même temps laisser l’espace à une énergie qui n’est pas celle du désespoir, mais une sorte de force tranquille, de décision. Peut-être cette option n’est-elle d’ailleurs pas étrangère à son retour, après qu’on eut parié sur son retrait, et du MET et des podiums et aux conditions physiques et psychologiques qui doivent l’accompagner.
Autant je suis sorti du concert convaincu par Mozart, autant je suis resté un peu plus dans le désarroi pour Mahler, j’ai ressenti quelquefois une certaine froideur, une sorte de perfection du bloc de marbre, sublime de régularité, mais glacial. Mais, la mémoire du cœur a fait son chemin,  j’ai peu à peu reconstruit mes souvenirs, car je ne cessais de penser à ce concert, pour constater que derrière l’option de Levine, il y a quelque chose de vital, de profondément sensible et volontaire. Toute la vision du chef est d’ailleurs à embrasser dès le début, qui prolonge d’un certain point de vue la sérénité du Mozart précédent : il y  a là Esprit , quand on saisit, en y réfléchissant, cette vision à la fois sereine et profondément vitale qui irrigue tout le premier mouvement andante comodo, une envie de vie, de nature, d’air, de sève, avec juste un rien de douce mélancolie. Le son est plein, les moments de tendresse très retenus, aussi bien d’ailleurs que le terrible rondo burlesque (si désespérant  chez Abbado) abordé ici avec une sorte de distance, de fatalisme mais sans aucune indifférence. Il y a dans cette vision (car plus que d’interprétation, c’est de vision qu’il s’agit) comme chez Mozart auparavant une suprême sérénité, sans joie cette fois, mais une sérénité affichée et affirmée devant l’irrémédiable qu’on sait devoir arriver. En ce sens, ce travail a une incroyable grandeur, une grandeur à la fois apollinienne et tragique, presque nietzschéenne.

Au service de cette approche, un orchestre vraiment époustouflant. On a l’habitude de tordre le nez devant certains orchestres de fosse rarement sollicités dans le répertoire symphonique, mais force est de constater non seulement la qualité exceptionnelle de chaque pupitre (altos d’une rare finesse, contrebasses sublimes, bois à se damner), même si on connaît la technicité extrême des orchestres nord-américains, mais aussi une manière d’engagement, une vraie sensibilité dans le jeu qu’on ressent de manière si vive dans le dernier mouvement. Abbado allait vers le silence final (qui est dans la partition : Mahler a écrit still) avec un decrescendo sonore que seul lui pouvait prétendre des orchestres, comme une succession de spasmes à peine perceptibles vidés de toute sève, de notes qui peu à peu glissaient vers le son, de choses lointaines et vagues peu à peu  envahies  de néant. Ici, il y a évidemment decrescendo sonore, mais le son reste dessiné, la note est présente : jusqu’au bout, il y a musique, jusqu’au bout, il y a donc vie comme ces corps qui disparaîtraient peu à peu dans l’eau jusqu’à ce qu’on n’en voie qu’un bras, puis une main, puis un doigt. Jusqu’au bout, il y a bribes de musique, jusqu’au bout, on entend et dans un tempo même un peu plus rapide que l’habitude. Et à la fin, il n’y a pas résignation mais bien plutôt un manque : l’addiction à la vie existe même dans ce silence final…
James Levine, que j’ai entendu souvent entre 1980 et 2000 (essentiellement dans Wagner), ne faisait pas loin de là, l’unanimité et je me suis moi-même souvent ennuyé devant des Parsifal étirés au point de perdre tout ressort ou même toute âme, et puis, çà et là, des moments de pur génie. Face à ce que nous avons pu vivre dans cet extraordinaire concert (dont il n’y aura pas trace, hélas),  on ne peut qu’encourager les mélomanes voyageurs (les Wanderer ?) qui ont la chance de pouvoir le faire à aller l’entendre : à 71 ans, il reste l’une des baguettes de référence. Et si vous ne pouvez traverser l’atlantique, guettez ses apparitions dans les retransmissions du MET : il fait partie des monstres du podium et il ne faut pas le rater. [wpsr_facebook]

Carnegie Hall, 12 octobre 2014 © Ken Howard/Metropolitan Opera
Carnegie Hall, 12 octobre 2014 © Ken Howard/Metropolitan Opera

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2014-2015: LE NOZZE DI FIGARO de W.A.MOZART le 10 OCTOBRE 2014 (Dir.mus: James LEVINE; Ms en scène: Sir Richard EYRE)

 

Acte II, Contessa (Amanda Majevski) Susanna (Marlis Petersen) Figaro (Ildar Andrazakov) Conte (Peter Mattei) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Acte II, Contessa (Amanda Majevski) Susanna (Marlis Petersen) Figaro (Ildar Andrazakov) Conte (Peter Mattei) © Ken Howard/Metropolitan Opera

James Levine est de retour sur le podium du MET de manière beaucoup plus régulière pendant cette saison, puisqu’il dirigera outre ces Nozze di Figaro, Die Meistersinger von NürnbergErnani, Un Ballo in maschera et The Rake’s progress. Du coup, la position de Fabio Luisi ne se justifie plus autant et celui-ci a annoncé son retrait en 2016 « pour mieux se consacrer à Zürich, dont il est le directeur musical ».
Levine, très aimé au MET, a un répertoire particulièrement large, puisqu’on l’a vu aussi bien à Bayreuth, qu’à Salzbourg pour Mozart, et ses interprétations verdiennes sont d’un très grand intérêt. Son enregistrement des Vespri Siciliani fut mon premier coffret Verdi, en préparation des représentations parisiennes de 1974. Et il reste pour moi dans cet œuvre une référence, ainsi que le montre un pirate miraculeux, mais au son un peu difficile, avec Montserrat Caballé et Nicolai Gedda.
J’ai beaucoup d’estime pour ce chef. Même si à Bayreuth notamment, son Parsifal (production Götz Friedrich, un des bons souvenirs de la colline verte) très lent n’était pas toujours passionnant, malgré la Kundry de Leonie Rysanek, puis surtout d’une débutante nommée Waltraud Meier. Musicalement, son Ring bayreuthien (Kirchner, Rosalie) fut plus intéressant, et j’avais beaucoup apprécié le dernier Ring dans la production de Otto Schenk qu’il donna au MET. Je n’ai pu l’entendre dans la production Lepage, il était déjà fatigué,  avait annulé Die Walküre à laquelle j’avais assisté, et j’ai vu ce Ring dirigé par Fabio Luisi.
Ces prémices pour souligner tout l’intérêt que j’ai à entendre ce chef à un moment où il reprend la baguette, avec une énergie renouvelée, même s’il a désormais de très grosses difficultés pour se déplacer (en fauteuil roulant).
Pour cette nouvelle production des Nozze di Figaro, le MET a réuni une distribution de bon niveau avec Peter Mattei dans il Conte, Ildar Abdrazakov (assez populaire au MET) dans Figaro, Marlis Petersen dans Susanna, Isabel Leonard dans Cherubino et Amanda Majeski dans la Contessa, la mise en scène a été confiée à Sir Richard Eyre qui a mis en scène ici notamment le Werther de la saison dernière (avec Jonas Kaufmann et Sophie Koch) et Carmen, reprise en ce début de saison.

Acte II "Voi che sapete" © Ken Howard/Metropolitan Opera
Acte II “Voi che sapete” © Ken Howard/Metropolitan Opera

Richard Eyre n’a pas travaillé sur les aspects idéologiques de l’œuvre, comme la production automnale de Giorgio Strehler en 1973, qui reste l’une des très grandes références de la fin du XXème siècle.
Richard Eyre transfère l’action dans les années 30, une sorte d’image de l’aristocratie espagnole insouciante à l’orée de la guerre civile, comme l’aristocratie de Beaumarchais inconsciente de la révolution toute proche, et dans une structure de décor imaginée par Rob Howell, qui est l’élément moteur de ce travail. La structure assez monumentale est faite de « silos », de tours dotées de cloisons qui font penser aux moucharabiehs (on est à Séville…), à la fois séparées et transparentes, mais curieusement l’ensemble du dispositif a un côté qui de loin ferait aussi penser à une cathédrale de style baroque espagnol, et les tours renvoient évidemment à l’idée de château. Une idée de château, une idée d’Espagne, une idée méditerranéenne et un peu arabe, voilà qui construit une ambiance, assez réussie.
Installé sur une tournette, ce décor est assez monumental, assez esthétique, et délimite des espaces changeants qui permettent de faire virevolter cette folle journée. Le lever de rideau au premier acte, avant de se fixer sur la chambre de Figaro et Susanne, fait voir l’ensemble des pièces et de l’espace (on voit ainsi la contessa qui dort dans sa chambre), et le dispositif permet aussi de faire que les personnages passent d’une pièce à l’autre, voient ce qui se passe sans être vus, et donc le décor contribue parfaitement à installer cette mise en scène vive et animée, d’une « folle journée », peut être ici plus rossinienne que mozartienne.
Ensuite, le travail est assez précis sur la manière de gérer les personnages la direction d’acteurs est bien menée. Ce sont des Nozze dans l’esprit du Barbiere di Siviglia de Rossini. Je l’ai écrit plus haut, on sent plus pétiller Rossini sous ce Mozart . Ce qui intéresse Richard Eyre, c’est d’abord un comique de situation, créer des quiproquos, faire mouvoir les personnages sans cesse, et sans cesse dans des espaces réduits, surchargés d’objets.

Le Nozze Acte I Cherubino (Isabel Leonard) Susanna(Marlis Petersen © Ken Howard/Metropolitan Opera
Le Nozze Acte I Cherubino (Isabel Leonard) Susanna(Marlis Petersen © Ken Howard/Metropolitan Opera

Tout cela est millimétré, ce qui est d’ailleurs bien dans l’esprit de Beaumarchais : la scène de Cherubin non pas cette fois dans le fauteuil, mais caché sous une couverture sur le lit (Richard Eyre a réussi a faire un premier acte de Nozze sans le fauteuil, ce qui est notable…) est réglée de manière éblouissante. Quand les chanteurs sont d’excellents acteurs, très engagés, c’est vraiment très réussi : Peter Mattei est un Conte magnifique, spontané, de grande allure, c’est aussi le cas de la Susanna de Marlis Petersen, de la Contessa d’Amanda Majeski, et surtout du Cherubin d’Isabel Leonard, qui a une prise exceptionnelle sur le public.  Leur jeu – notamment quand ils sont ensemble, est d’un confondant naturel. Ildar Abdrazakov est en revanche un acteur moins à l’aise dans Figaro, plus en retrait. Les rôles de complément sont aussi à saluer et notamment la Marcellina bien caractérisée  de Susanne Mentzer, qui fut Cherubino au MET à la fin des années 80 et qui chanta souvent à Paris (Rosina, Adalgisa, Mélisande, Giulio Cesare etc…) entre 1985 et le début des années 2000. Tout cela compose un cast de qualité, bien préparé scéniquement, et vocalement assez homogène, sans être exceptionnel.

Le nozze Acte III Susanna (Marlis Petersen) Il Conte (Peter Mattei) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Le nozze Acte III Susanna (Marlis Petersen) Il Conte (Peter Mattei) © Ken Howard/Metropolitan Opera

Car vocalement, c’est incontestablement Peter Mattei qui de très loin, domine le plateau. On a souligné plus haut sa désinvolture scénique, à ses qualités d’acteur il ajoute, ce qui ne peut étonner, une prestation vocale de très haut niveau. Dans son air du troisième acte, « hai già vinta la causa »,  j’ai rarement entendu un tel récitatif, si bien projeté, si expressif, voire si nuancé., avec un air d’une cristalline clarté et un art de la coloration totalement confondant, sans compter le timbre,  exceptionnel.
La contessa d’Amanda Majeski m’a moins convaincu. Elle est une excellente actrice, notamment au deuxième acte, mais reste vocalement relativement banale, assez impersonnelle et sans vrai caractère, sans être vraiment en retrait. Une caractérisation très propre, un chant très au point, mais sans véritable originalité, qui pâlit face à Peter Mattei.

Figaro (IIdar Abdrazakov) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Figaro (IIdar Abdrazakov) © Ken Howard/Metropolitan Opera

Ildar Abdrazakov, habitué du MET qui en a fait sa basse profonde favorite avec René Pape, n’est pas un Figaro trop convaincant. Non que la voix soit en défaut, mais il n’arrive pas à donner à sa performance vocale une variété dans les couleurs et une ductilité suffisante ; la voix profonde reste un peu lourde pour le rôle. Il est bien plus à l’aise ailleurs et je ne pense pas que Figaro soit un rôle dans lequel il ait intérêt à persévérer : question de style, question de couleur, question de timbre aussi. Abdrazakov, avec toutes ses qualités (rappelons-nous le magnifique Prince Igor l’an dernier), n’est pas un chanteur pour Mozart.
Marlis Petersen en revanche est une délicieuse Susanna, elle en a le timbre, elle en a la couleur, elle en a aussi l’expression. Susanna est un rôle plus complexe qu’il n’y paraît : il lui faut ductilité, agilité, vivacité, ambiguité – avec le comte –  mais aussi tendresse, mais aussi humour, mais aussi mélancolie et profondeur, notamment au dernier acte dans Deh vieni non tardar, qui est l’un des plus jolis moments de la soirée.
Le Cherubino d’Isabel Leonard, très populaire au MET, est scéniquement totalement bluffant, sautillant, adolescent en diable. Vocalement, la chanteuse est plus banale pour mon goût et son chant manque de cette poésie qui doit être inhérente au rôle et que possédait une Frederica Von Stade. Mais dans ce rôle, j’ai dans mon âme pour l’éternité (ou pour l’île déserte) Teresa Berganza, et je garde pour le secret de mon cœur Agnès Baltsa. Je n’en ai pas entendu de meilleures. Et elles me suffisent…

Amanda Majeski (Contessa) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Amanda Majeski (Contessa) © Ken Howard/Metropolitan Opera

J’ai dit qu’Amanda Majeski, ne m’avait pas complètement convaincu, l’actrice est très correcte, mais la chanteuse encore un peu froide pour mon goût :  son chant m’est apparu manquer d’expressivité , et ce dès Porgi amor . La voix est belle, avec de jolis harmoniques, une voix pour Mozart et donc aussi pour Strauss (d’ailleurs sa carrière est en train de se développer dans ces directions : Elvira, Marschallin, Contessa mais aussi Rusalka (à Francfort) ou Marguerite de Faust (à Zürich). Mon opinion reste réservée, belle voix sans aucun doute, techniquement remarquable, mais manquant pour mon goût d’émotion et d’expressivité. Il me faudra la réentendre.
Il est dommage que l’air de Marcellina ait été coupé, car Susanne Mentzer compose une Marcelline vive, et très présente scéniquement. Il n’en est pas de même pour le Bartolo de John del Carlo, à la voix usée, brinquebalante, des aigus volatilisés et sans grave sonore, ce qui pour Bartolo est rédhibitoire dans son air La vendetta du premier acte.

Barbarina (Ying Fang) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Barbarina (Ying Fang) © Ken Howard/Metropolitan Opera

Un bon point en revanche pour la très fraîche Barbarina de Ying Fang, membre du Lindemann programme pour jeunes artistes qui a su dessiner une ambiance et donner de la couleur à son air de l’acte IV l’ho perduta, si ambigu…
Le chœur du MET, dans une œuvre où il est peu sollicité, se montre très solide sans être exceptionnel, mais c’est une bonne prestation.

J’ai entendu pour la première fois James Levine à Salzbourg dans un Mozart, La Clemenza di Tito en 1979. Je n’avais jamais entendu ses Nozze di Figaro. Ce Mozart est d’abord très agile, très leste, très fluide : c’est vraiment ce qui frappe dès l’ouverture. Levine, à qui l’on reproche de diriger quelquefois fort, retient ici le son. Il ne s’intéresse pas spécialement au volume, mais plutôt au discours très vif, d’une très grande clarté, mettant en relief de manière notable les bois avec un vrai souci d’égalité du volume sonore. L’orchestre, toujours de très bon niveau, en grande forme,  suit avec allant les indications précises du chef, qui suit aussi les chanteurs avec un souci de grande cohésion scène et fosse. C’est plus la continuité du discours qui est privilégiée que le relief ou la dramaturgie (comme chez Solti par exemple). J’ai trouvé que le deuxième acte, mon préféré, avec cette succession d’airs et d’ensembles dans la seconde moitié jamais interrompue par des récitatifs, où l’action sans cesse rebondit, est mené de manière magistrale avec un sens évident de la pulsation dramatique. Un grand travail de référence, très classique, très américain peut-être où l’apport des lectures baroques ne transparaît pas, au contraire de la plupart des lectures actuelles en Europe, et un travail d’une vivacité, d’un allant inouïs, en pleine cohérence avec le plateau et le parti pris de la mise en scène…

Sans être un spectacle anthologique, cette production des Nozze di Figaro solide, bien distribuée, magnifiquement dirigée en dit long sur le niveau d’exigence de la première scène américaine et sur la qualité des forces qui la composent et notamment de l’orchestre. On sort heureux, conquis, prêt à jouir dans la bonne humeur du doux soir d’automne new-yorkais. [wpsr_facebook]

Figaro et Susanna (Acte IV) © Ken Howard/Metropolitan Opera
Figaro et Susanna (Acte IV) © Ken Howard/Metropolitan Opera

 

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: WOZZECK d’ALBAN BERG le 6 MARS 2014 (Dir.mus: James LEVINE; Ms en scène: Mark LAMOS)

L'étang...© The Metropolitan Opera
L’étang…© The Metropolitan Opera

Il en a fallu du temps au Wozzeck de Berg pour s’imposer sur les scènes hors d’Allemagne. Une génération au moins. C’est en 1959 que l’opéra fait son entrée au MET, sous la direction de Karl Böhm et depuis, 65 représentations (en 55 ans..). On se demande toujours comment il est possible qu’un tel chef d’œuvre ait éprouvé tant de difficultés à être accepté du public. Et au soir de ce 6 mars, la première de cette reprise, dans la salle, aux fauteuils d’orchestre, l’abondance de jeunes vêtus casual laisse supposer que les places laissées vides ont été bradées.
Pourtant la distribution est de très haut niveau, elle comprend Thomas Hampson, dont ce devait être une prise de rôle et qui, souffrant, a été remplacé par Matthias Goerne par un heureux hasard en récital la veille à Carnegie Hall, Deborah Voigt (c’est aussi une prise de rôle) Peter Hoare, Simon O’Neill, Clive Bailey et c’est James Levine qui dirige: bien que physiquement très diminué (il ne vient pas saluer sur scène et reste dans la fosse), il impose une vision à la fois vigoureuse et très lyrique, une lecture d’une très grande clarté, avec des moments qui séduisent par le rythme et la couleur comme la scène du Biergarten où Marie danse avec le tambour major, qui secouent, comme les deux impressionnants crescendos “en si” du meurtre de Marie. Chaque intermède est marqué par un sens dramatique qui maintient jusqu’au bout une grande tension dans cette course à l’abime qu’est Wozzeck: au total une très grande, une très belle interprétation. On peut préférer une approche plus raffinée (comme celle d’Abbado) ou plus distanciée (Boulez): Levine est ici à la fois théâtral et lyrique: il met en valeur les échos mahlériens de l’oeuvre et réussit à créer quelquefois une couleur étrange qui correspond à ce qu’on suppose être l’âme tourmentée de Wozzeck, et le sentiment d’un temps suspendu: la fin – avec le “coucou” final de l’enfant- est proprement glaçante. Très beau moment.
La soirée est servie par une troupe de chanteurs d’une très grande qualité, comme presque toujours au MET. Matthias Goerne, qui remplace au pied levé Thomas Hampson et qui a travaillé l’après midi même avec James Levine, réussit à créer un personnage halluciné, ailleurs, avec une voix complètement impersonnelle, désengagée, presque désincarnée, grâce à un timbre un  peu voilé qui sert évidemment le propos. Son expérience du Lied, sa manière de dire le texte, son aptitude à ne pas colorer, en font vraiment un très grand interprète. Il compose un Wozzeck presque déjà hors du monde, qui ne s’anime qu’en présence de Marie. La première scène est murmurée, cette voix presque blanche, presque absente fait violent contraste avec celle du capitaine, très composée, cassante, particulièrement colorée de Peter Hoare, qui, après Desportes (Die Soldaten, Zürich, voir le blog), Sharikov (Coeur de chien, Lyon: voir le blog) montre une capacité de composition particulièrement développée: il joue avec sa voix, très ductile, particulièrement malléable et compose un personnage vraiment remarquable dont la voix travaille sur la variation des couleurs alors que Goerne veille à produire un son monocolore ou sans couleur, et qui par contraste parait terriblement humain, au contraire du capitaine.
Deborah Voigt est une Marie à la voix sonore, qui impose une vision très dramatique du personnage, au détriment d’une certaine sensibilité et d’une certaine humanité. Face à un Wozzeck aussi élaboré que celui de Goerne, elle reste, me semble-t-il, un peu extérieure au propos. On pense à ce que ferait une Angela Denoke ou une Waltraud Meier…La Marie de Deborah Voigt n’est pas à dédaigner, mais ce son droit, assuré, quelquefois un peu fixe, ne convient pas au personnage dont elle ne rend pas la fragilité.
Pas de fragilité pour l’excellent tambour major de Simon O’Neill dont on remarque une fois de plus le beau timbre et la voix très présente: la couleur et la manière de chanter conviennent parfaitement à son personnage. Mais c’est le docteur de Clive Bailey qui, avec Peter Hoare, constitue pour moi peut-être la plus agréable surprise: une voix de basse très ductile, qui a une belle aptitude à colorer, à varier le ton, à interpréter; à la fois bouffe et inquiétant, sonore et insinuant mais jamais cabotin: il obtient un succès très mérité.
Mais les rôles de complément sont aussi bien tenus, signalons notamment les deux compagnons de Richard Bernstein et Mark Schowalter, la Margret de Tamara Mumford et l’Andres de Russell Thomas, tous deux diplômés du programme Lindemann pour jeunes artistes promu par le MET et dont la performance est à noter.

Wozzeck au MET © The Metropolitan Opera
Wozzeck au MET © The Metropolitan Opera

La mise en scène de Mark Lamos (un metteur en scène et acteur qui fut le premier américain à mettre en scène un spectacle dans l’ex-Union Soviétique) remonte à 1997: elle était déjà à l’époque bien dépassée. Une vision plutôt plate, fondée sur une ambiance abstraite, aux grands pans géométriques noirs qui délimitent des espaces qu’on suppose mentaux (à cause des ombres projetées qui installent une certaine inquiétude) avec comme seule tache l’étang rouge orange couleur de sang qu’évoque Wozzeck. Du point de vue de la direction d’acteurs, c’est le minimum requis conventionnel: on est aux antipodes d’un Marthaler, d’un Bieito, d’un Chéreau et déjà, 20 ans avant, en 1977, Ronconi avait fait à la Scala  un Wozzeck qui avait bien dix ans d’avance sur cette production…
Seuls moments relativement réussis, les scènes de groupe dans les tavernes (notamment la scène du bastringue du second acte): simplement parce qu’ils insufflent une vie que ce travail ne possède pas. Je défends pour Wozzeck une vision d’où le réalisme n’est jamais absent, quelle que soit la manière dont il est traduit, hyperréalisme du mess des officiers à la Marthaler, raffinerie dont les tuyaux digèrent le monde et les âmes comme chez Bieito, ou village abstrait et concret, monde de formes qui évoquent et délimitent un espace de vie comme chez Chéreau. Ici, l’abstraction n’ajoute rien à l’action, et elle aurait plutôt tendance à l’estomper.
Mais les problèmes de public que connaît le MET ne plaidaient pas en faveur d’une nouvelle production et Peter Gelb a choisi de soigner essentiellement les aspects musicaux et vocaux: de ce point de vue c’est réussi, et c’est une belle représentation qu’il nous a été donné de voir, à laquelle contribue le plaisir de retrouver James Levine qui tient de manière si ferme son orchestre en main: il est l’un des seuls à le faire sonner ainsi, il est vrai depuis 43 ans et 2456 représentations.
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Denorah Voigt (Marie) Thomas Hampson (Wozzeck)   © Cory Weaver 2014 The Metropolitan Opera.
Denorah Voigt (Marie) Thomas Hampson (Wozzeck) © Cory Weaver 2014 The Metropolitan Opera.

METROPOLITAN OPERA NEW YORK: LA SAISON 2014-2015

La saison 2014-2015 du MET est une saison d’attente. Elle l’affiche pas de productions particulièrement stimulantes, mais de nombreuses reprises avec quelques distributions intéressantes ou des chefs solides.
Elle illustre les difficultés de ce théâtre et le délicat management d’une salle immense, au public assez traditionnel, qui ne se renouvelle pas. Les efforts de Peter Gelb pour attirer un nouveau public, plus jeune, donnent des résultats contrastés : renouvellement  des visions scéniques des productions, notamment en faisant appel aux metteurs en scène habitués du Musical (comme pour Rigoletto ou cette année La veuve Joyeuse) ainsi que montage de spectacles « pot pourri » pour implanter le baroque dans cet immense navire (The enchanted Island) n’ont pas produit les effets escomptés. Peter Gelb est discuté, et même si les distributions restent de haut niveau, la politique en matière de chefs reste timide, notamment depuis l’absence des podiums de James Levine pour cause de maladie. L’arrivée de Fabio Luisi comme principal chef invité n’a pas relancé la machine. Fabio Luisi, chef consciencieux, très honnête, rigoureux, mais peu charismatique, manque de cette aura qui fait les grands maîtres de la baguette.
C’est pourquoi le retour en 2013-2014 de James Levine préannonçait une saison 2014-2015 construite autour plusieurs productions dirigées par le chef mythique de la maison, six titres qui reflètent la versatilité d’un chef qui fut d’abord dans les années 70 une référence pour Verdi , puis dans les années 80 et 90 une référence pour Wagner, et qui continua tout au long de sa carrière au MET à diriger les grands piliers du répertoire, y compris Mozart dont il a peu près dirigé tous les titres de référence.
Ainsi sera-t-il au pupitre pour Le nozze di Figaro, Die Meistersinger von Nürnberg, Les contes d’Hoffmann, Ernani, Un ballo in maschera , The Rake’s Progress .
Par ailleurs, la saison sera moins dévoreuse de moyens, avec l’affichage de nombreux standards qui garantissent un public et remplissent les caisses.

La saison prochaine verra six nouvelles productions, dont trois entrées au répertoire :

–        en septembre-octobre Le Nozze di Figaro (James Levine, Richard Eyre) avec une distribution solide à défaut d’être étincelante, Ildar Abdrazakov, Figaro, Marlis Petersen  comme Susanna, Peter Mattei dans le Comte, Marina Poplavskaya la Comtesse, et Isabel Leonard Cherubino  (reprise en décembre sous la direction d’Edo de Waart avec une autre distribution).

–        en octobre 2014, entre au répertoire The Death of Klinghoffer de John Adams, dans une production de Tom Morris, sous la direction de David Robertson. C’est le troisième opéra de John Adams à entrer au Met (après Doctor Atomic et Nixon in China) avec notamment Paolo Szot (le capitaine de l’Achille Lauro) et Alan Opie (Klinghoffer).

–        le 31 décembre et tout janvier  The Merry Widow (Andrew Davis, Susan Stroman), en anglais,  avec Renée Fleming en joyeuse veuve et Nathan Gunn en Danilo, alternant en avril avec un autre cast dirigé cette fois par Fabio Luisi, avec Susan Graham et Rod Gilfry .

–        Fin janvier (et février), une entrée au répertoire du MET, Iolanta de Tchaïkovski/Le Château de Barbe bleue de Bartok (Valery Gergiev, Mariusz Trelinski). Gergiev dirigera (horaires aériens permettant) Anna Netrebko et Piotr Beczala dans Iolanta, qu’ils ont déjà chanté ensemble souvent (à Baden-Baden par exemple, toujours avec  Gergiev) et Nadja Mickael et Mikhail Petrenko dans Le Château de Barbe Bleue.
Dans ces nouvelles productions, notons les noms de Susan Stroman, chorégraphe, spécialiste de Musical pour Die lustige Witwe et Mariusz Trelinski pour Iotanta/le Château de barbe bleue, cinéaste et metteur en scène polonais qui a déjà mise en scène plusieurs opéras pour le théâtre Wielki de Varsovie (il en est le directeur) dont une Manon Lescaut de Puccini en coproduction avec La Monnaie.

–        Du 16 février au 18 mars, entrée au répertoire de La Donna del lago de Rossini, dirigé par Michele Mariotti, très bon spécialiste de Rossini, dans une production de l’écossais Paul Curran (vue à Santa Fé en 2013) avec la meilleure distribution possible : Joyce Di Donato, Daniela Barcellona, Juan-Diego Florez, John Osborn et Oren Gradus

–        En avril, Cavalleria rusticana/Pagliacci (Fabio Luisi, Prod.David McVicar) avec Marcelo Alvarez dans Turiddu et Canio (beau défi), Eva Maria Westbroek dans Santuzza et Patricia Racette dans Nedda
Dans les 18 reprises (sur 24 productions au total) James Levine en dirigera plusieurs :

–        Du 2 au 23 décembre Die Meistersinger von Nürnberg,  dans la vieille mise en scène d’Otto Schenk (il avait été un moment question de monter celle de Stephan Herheim de Salzbourg, mais on reprend une production qui n’a pas été montée depuis 1983…), avec Annette Dasch en Eva, Johan Botha dans Walther, Johan Reuter en Hans Sachs, Johannes Martin Kränzle en Beckmesser, Hans-Peter König comme Pogner

–        Du 28 février au 18 mars Les Contes d’Hoffmann . James Levine succède à Yves Abel (en janvier et jusqu’au 5 février) qui dirigera une distribution très différente, avec une seule chanteuse pour les trois rôles, Hibla Gerzmava, originaire d’Abkhazie, Vittorio Grigolo dans Hoffmann (hum…), Kate Lindsey dans la Muse/Nicklausse et Thomas Hampson dans les quatre rôles du Diable. Levine dirigera en revanche trois chanteuses, Audrey Luna (Olympia…voir la photo de la home page de son site…), Susanna Phillips en Antonia, Karine Deshayes (Giulietta), Elena Maximova dans la Muse/Nicklausse,  Matthew Polenzani en Hoffmann, et Laurent Naouri comme méchant. Choisissez…

–        En mars (jusqu’au 4 avril) Ernani, avec Angela Meade, Francesco Meli, Placido Domingo, Dmitri Belosselskiy (mise en scène Pier Luigi Samaritani, ce qui ne nous rajeunit pas – il fit le Trovatore de Garnier en…1973)

–        En avril (et jusqu’au 9 mai),Un Ballo in maschera (production de David Alden), avec Sondra Radvanovksi, Piotr Beczala (qui ne devrait pas être inintéressant), Dmitri Hvorostovsky et Heidi Stober (en troupe au Deutsche Oper Berlin) dans Oscar

–        En mai également, il dirigera 3 représentations de The Rake’s Progress de Stavinski, avec Stephanie Blythe, Baba la turque et Paul Appleby comme Tom Rakewell. Layla Claire sera Anne Trulove, et Gerald Finley Nick Shadow.

D’autres reprises pourraient intéresser, par le chef, ou par la distribution, ou même quelquefois par les deux :

–        En Septembre-Octobre, Fabio Luisi dirigera Macbeth de Verdi avec Anna Netrebko (qui se lance dans les grands Verdi), Zeljko Lucic en Macbeth, René Pape en Banquo et Joseph Calleja en Macduff (Production de Adrian Noble de 2007)

–        En octobre, Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch sera dirigée par James Conlon avec une jolie distribution : Eva-Maria Westbroek, Brandon Jovanovitch (qui commence donc à intéresser les grandes scènes), et l’inusable Anatolyi Kotscherga.

–        En mars et tout début avril, pour ceux qui aiment Massenet, quelques représentation de Manon dans la mise en scène de Laurent Pelly. L’opéra sera dirigé par Emmanuel Villaume qu’on voit en Allemagne et aux USA, mais pas en France, dans une distribution inattendue : Vittorio Grigolo dans Des Grieux (il semble se lancer dans le répertoire français), Diana Damrau dans Manon (la voilà, après Traviata, qui s’intéresse aux grandes dévoyées d’opéra, Russel Braun (Lescaut en alternance avec Michael-Todd Simpson) et Nicolas Testé dans Des Grieux père.

–        Fin Mars  et tout avril, Yannick Nézet-Séguin sera au pupitre pour une reprise de Don Carlo dans la mise en scène de Nicolas Hytner, avec  Yonghoon Lee dans le rôle titre, Feruccio Furlanetto (Filippo II), Simon Keenlyside (Posa), Barbara Frittoli (Elisabetta) et Ekaterina Gubanova (Eboli)

Le tout venant, c’est à dire la caisse…

–        Bohème (Zeffirelli) Dir. Riccardo Frizza avec Ekaterina Sherbachenko/Angela Gheorghiu/Kristine Opolais (Mimi) et Myrto Papatanasiu/Susanna Phillips/Sonya Yoncheva (Musetta) et Brian Hymel en Rodolfo alternant avec Ramon Vargas: 15 représentations entre septembre et janvier pour une production quinquagénaire, cela s’appelle un tiroir-caisse…

–        Carmen (Richard Eyre), un autre tiroir-caisse pour 16 représentations, Dir.Pablo Heras-Casado avec Anita Rachvelishvili, la douce Anita Hartig, Aleksandr Antonenko et Massimo Cavaletti en septembre et octobre, avec des reprises en février et mars sous la direction de Louis Langrée avec Elina Garanca et Roberto Alagna/Jonas Kaufmann (pour les deux dernières de mars)

–        Die Zauberflöte (Julie Taymor) du 6 octobre au 8 novembre. Dir : Adam Fischer, avec Pretty Yende/Miah Persson (Pamina) Ana Durlovski/Kathryn Lewek (Reine de la nuit) Toby Spence (Tamino) Markus Werba (Papageno) et René Pape/Franz-Josef Selig (Sarastro)

–        Aida pour 16 représentations entre novembre et avril sera aussi le troisième tiroir-caisse, dirigé par Marco Armiliato pour 12 représentations jusqu’à janvier avec Ludmilia Monastyrska/Latonia Moore/Marjorie Owens, Olga Borodina alternant avec Violeta Urmana, qui avec juste raison revient aux mezzos (Amneris), Marcello Giordani/Carl Tanner dans Radamès.  Les 4 dernières en avril seront dirigées par Placido Domingo, et donc le MET peut se permettre un cast contrasté: l’horrible Oksana Dyka, Violeta Urmana et Marco Berti et

–        Il barbiere di Siviglia (Barlett Sher), en novembre et décembre. Dir : Michele Mariotti, avec notamment Isabel Leonard (Rosina) Lawrence Brownlee (Almaviva) et Christopher Maltman (Figaro)

–        En décembre et janvier, une reprise d’Hansel and Gretel, en anglais, avec Christine Schäfer (Gretel) et Christine Rice (Hansel), dans la mise en scène de Richard Jones dirigé par Andrew Davis

–        À la même période, La Traviata contribuera à la bonne santé de la trésorerie du MET, pour 12 représentations dirigées par Marco Armiliato, dans la mise en scène désormais fameuse de Willy Decker, avec Ludovic Tézier en Germont pour 10 représentations (jusqu’au 17 janvier) et dans Violetta Marina Rebeka alternant avec Marina Poplavskaya  (qui chantera les 4 dernières) et Stephen Costello et Francesco Demuro alternant en Alfredo.

–        En février et tout début mars, Don Giovanni (Production Michael Grandage) dirigé par Alan Gilbert, le directeur musical du New York Philharmonic, avec Elza van den Heever (Anna), Emma Bell (Elvira, sauf pour la dernière), Kate Lindsey (Zerlina), Peter Mattei (Don Giovanni), Luca Pisaroni (Leporello) le vétéran James Morris (Commendatore, sauf pour la dernière) et le jeune Adam Plachetka, récente découverte de l’Opéra de Vienne en Masetto.

–        10 représentations en mars et début avril de Lucia di Lammermoor dans la mise en scène de Mary Zimmermann que les milanais vont connaître en février 2014. L’opéra de Donizetti sera dirigé par Maurizio Benini avec Albina Shagimuratova en Lucia, Joseph Calleja en Edgardo et Fabio Capitanucci en Enrico.

Pour ma part, les opéras dirigés par James Levine m’intéressent et notamment les deux Verdi (Ballo et Ernani) et Die Meistersinger par curiosité pour une production archéologique et surtout par envie d’écouter James Levine dans un Wagner où je n’ai pas eu encore la chance de l’entendre.
Mais il faut tout de même reconnaître qu’il n’y a pas vraiment de quoi traverser l’Atlantique : on a presque autant chez soi.
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METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

C’est presque le printemps, et avec le printemps, les fleurs et les promesses des nouvelles saisons. Le MET, presque en même temps que Paris, annonce les fleurs newyorkaises de la saison 2013-2014. 26 titres, et 6 nouvelles productions dont une création américaine, Two Boys de Nico Muhly, et Eugène Oneguine  (Gergiev-Deborah Warner) Die Fledermaus (Adam Fischer-Jeremy Sams) Werther ( Alain Altinoglu – Richard Eyre) Le Prince Igor (Gianandrea Noseda-Dmitri Tcherniakov) et Falstaff, dans la production de Robert Carsen vue à la Scala et à Covent Garden sous la direction de James Levine, qui revient au pupitre du MET diriger deux reprises (Cosi’ fan tutte et Wozzeck) et ce dernier Falstaff.
La politique de Peter Gelb est très discutée: on lui reproche pêle-mêle son coût, ses choix esthétiques, sa politique de communication. La volonté affichée du manager du MET est de rajeunir l’image de la maison, productions surannées, peu de créations, public vieillissant (il y a trois ans, il constatait que son public chaque année vieillissait un peu plus). Donc il essaie de faire appel à la fois à des metteurs en scène vraiment novateurs (Tcherniakov cette année), mais aussi essaie de rajeunir les productions et d’attirer le grand public en même temps (cela ne va pas de soi sur un public plutôt conservateur) en appelant des metteurs en scènes de musical, comme Michael Mayer pour Rigoletto , ou l’an prochain Jeremy Sams pour Fledermaus, à qui il avait déjà confié The enchanted Island (un spectacle pot pourri d’œuvres baroques porté par Placido Domingo qui a remporté une succès immense) qui sera d’ailleurs repris la saison prochaine (toujours avec Domingo et Susan Graham).
Mais la marque du MET, ce sont les distributions qui affichent les grandes stars américaines du chant (Graham, Fleming, Meade, Radvanovski, Racette) mais aussi les autres (Kaufmann, Garanca, Domingo, Alagna, Schwanewilms, Beczala, Villazon, Damrau, Netrebko etc…): en bref tout le chant mondial qui compte défile au MET chaque saison.
Du point de vue des chefs, c’est un peu plus contrasté. Le MET use beaucoup de chefs de répertoire éprouvés, même si chaque saison un ou deux chefs de grand renom descendent dans la fosse. L’an prochain, notons, outre James Levine dont c’est le retour après deux ans d’absence, Valery Gergiev (alternant avec deux autres chefs) en début de saison avec Eugène Onéguine dans une distribution magnifique Anna Netrebko dans son répertoire (alternant avec Marina Poplavskaia), Mariusz Kwiecen alternant avec Peter Mattei et Piotr Beczala avec Rolando Villazon. Valery Gergiev dirigera aussi Le Nez de Chostakovitch dans la mise en scène de William Kentridge, vue à Aix et à Lyon. Notons aussi James Conlon qui dirigera A Midsummer Night’s Dream pour le centenaire de Britten, David Robertson au pupitre de la création américaine de Two Boys (créé à l’ENO de Londres en 2011) dans la mise en scène de Barlett Sher (qu’on commence à bien connaître en Europe, voir son Roméo et Juliette à Salzbourg), Vladimir Jurowski Die Frau ohne Schatten, reprise d’un spectacle de Herbert Wernicke avec Anne Schwanewilms et Torsten Kerl, Edward Gardner dirigera Der Rosenkavalier pour le centenaire de la première au MET (Martina Serafin en Marschallin et Elina Garanca en Oktavian, Mojka Erdmann en Sophie et le  Ochs de toutes les scènes désormais, Peter Rose).  À Adam Fischer est confiée Die Fledermaus dans une mise en scène de Jeremy Sams, avec Susanna Phillips, Christopher Maltman, Christine Schäfer. Distribution de luxe de LElisir d’amore (Netrebko, Schrott, Vargas, Alaimo) mais chef de répertoire (efficace cependant), Maurizio Benini et Barlett Sher comme metteur en scène. Un spectacle à ne pas manquer, peut-être avec Eugène Onéguine le plus excitant sera la reprise de Rusalka de Dvorak, dans la vieille mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Yannick Nézet-Seguin, et avec Renée Fleming, Emily Magee, Piotr Beczala, Dolora Zajick dans Jezibaba et John Releya: à mon avis cela vaut la traversée de l’Océan. Autre curiosité , qui manque depuis un siècle au MET, mais je suppose aussi depuis pas mal de temps ailleurs, une nouvelle production du Prince Igor, de Borodine, confiée à la baguette de Gianandrea Noseda qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, aux soins du plus attendu Dmitri Tcherniakov qui sans nul doute décoiffera un peu, et une distribution russophone pur sucre dominée par Ildar Abdrazakov, où l’on note Anita Rachvelishvili, Michail Petrenko, et même Oksana Dyka, dont on espère qu’elle est meilleure dans ce répertoire que dans Verdi.
A la même époque que Rusalka et Prince Igor, il fera courir les foules et pleurer Margot (ou Sabrina, ou Jennifer), Jonas Kaufmann pour son unique apparition à New York sera Werther aux côtés de Elina Garanca, sous la baguette sans doute heureuse d’Alain Altinoglu et dans la mise en scène (c’est une nouvelle production) de Richard Eyre, grand metteur en scène de théâtre britannique, et réalisateur, à qui l’on doit la mise en scène de La Traviata dirigée par Solti avec Angela Gheorghiu à Londres en 1995 (avec DVD subséquent) et la plus récente Carmen du MET (Alagna, Garanca). James Levine, Thomas Hampson, Deborah Voigt est l’affiche de la reprise de Wozzeck (mise en scène Mark Lamos). Notons une Sonnambula avec Diana Damrau (mise en scène Mary Zimmermann, direction Marco Armiliato), un Andrea Chénier bien pâle (direction Noseda avec Patricia Racette et Marcelo Alvarez, mise en scène Nicolas Joel), des Puritani antiques (mise en scène Sandro Sequi) mais dirigés par Michele Mariotti, comme à Paris, avec Olga Peretyatko et Mariusz Kwiecien, une Arabella de série avec tout de même Michael Volle, Genia Kühmeier et Malyn Bylström dirigée par Philippe Auguin, et la saison se conclut par une Cenerentola de luxe avec Joyce Di Donato et Juan Diego Florez, dirigée par Fabio Luisi qu’on n’aura pas vu beaucoup dans la saison 2013-2014. J’ai passé sous silence les Bohème et Tosca de répertoire, mais je n’oublie pas Norma avec Sondra Radvanovsky et Kate Aldrich, dirigée par l’ordinaire Riccardo Frizza, et mise en scène par John Copley…tout cela date terriblement, mais c’est Norma, et c’est suffisamment rare pour qu’on en fasse cas.

Une saison variée, qui,  après plusieurs année focalisées sur Wagner, focalise plutôt sur le répertoire slave (Rusalka, Le Prince Igor, Le Nez, Eugène Onéguine) sans un seul Wagner. Si vous envisagez d’aller à New York, et de voir des spectacles du MET, la période octobre-décembre s’y prête (Le Nez, Onéguine), et même si vous voyez Eugène Onéguine sans Gergiev ni Netrebko, vous n’y perdrez pas à entendre Peter Mattei et Marina Poplavskaia sous la direction d’Alexandr Vedernikov, le chef qui a dirigé 9 ans le Bolshoï vaut dans ce répertoire Gergiev (c’est Moscou face à Saint Petersbourg). La deuxième période favorable, c’est février (attention aux neiges!) pour combiner Rusalka, Le Prince Igor, Werther: trois jours de fête lyrique à ne pas manquer . Dernière proposition, avril 2014 en combinant La Cenerentola, I Puritani, Cosi’ fan Tutte. Et si vous préférez d’autres périodes, il y aura toujours au MET quelque chose à se mettre sous la dent avec des distributions en général attirantes (mais pas toujours les chefs souhaités) et des productions passables pour la plupart, et de toute manière au pire New York a d’autres atouts et n’est pas le genre de ville où l’on s’ennuie le soir.
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