TEATRO LA FENICE VENISE 2011-2012: CARMEN de Georges BIZET le 26 juin 2012 (Dir.mus: Omer MEIR WELLBER, Ms en scène: Calixto BIEITO) avec Béatrice URIA MONZON.

La production de Bieito (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

La Fenice est un théâtre un peu spécial. Incontestablement c’est l’un des grands théâtres historiques d’Italie (La Traviata  y fut créée entre autres), mais c’est aujourd’hui un théâtre “difficile”. En effet, sa situation, au centre d’une ville de 70000 habitants inaccessible à la voiture, et son accès difficile pour les gens du territoire (il faut prendre la voiture, la parquer, ou prendre le train, puis aller chercher le Vaporetto, jusqu’au Rialto, puis environ 10 minutes de marche dans le dédale des ruelles vénitiennes),  environ 1h30 de transport, arriver pour la représentation de 19h (soit partir du bureau en avance etc…) et s’assurer que le dernier train ne parte pas avant 22h30 au bas mot. Il faut donc caler beaucoup de paramètres pour organiser sa sortie à l’opéra.  Sans doute une réflexion territoriale s’imposerait (un théâtre au Tronchetto ou à Mestre aurait pour sûr moins de charme, mais serait plus aisé d’accès pour les populations concernées) mais ce n’est pas le moment, dans une Italie en proie à la crise, même dans la très très riche Vénétie.
Alors les seuls spectateurs réguliers de La Fenice, ce sont les touristes, qui remplissent la salle qu’ils mitraillent de photos. C’est un public qui vient plutôt pour le lieu que pour ce qu’on y entend, on le sentait bien même pour un opéra aussi populaire que Carmen. Est-ce à dire que La Fenice “sert la soupe” aux touristes, rien de moins vrai. Il y a un véritable effort pour alterner des grands standards et des œuvres moins connues, comme récemment la Lou Salomé de Giuseppe Sinopoli. Et en tous cas même les standards sont confiés à des metteurs en scène et à des équipes artistiques de bon niveau. Il reste que remplir le théâtre pendant toute la saison est difficile.
Pour Carmen, le choix a été de proposer 13 représentations avec deux distributions: c’est le début de la haute saison  et Venise déborde de touristes, bonne occasion de remplir le théâtre (qui pourtant le soir où j’y étais n’était pas plein),  Carmen est un opéra très connu, et il était bien distribué, dans une mise en scène d’un des enfants terribles des plateaux, l’espagnol Calixto Bieito, qui a travaillé partout en Europe, sauf bien entendu en France… Des atouts incontestables pour attirer le public, d’autant que la distribution est bonne et le chef, Omer Meir Wellber, désormais connu comme un chef qui monte.
Et de fait, ce fut une très bonne soirée.
La production de Calixto Bieito proposée au Liceu de Barcelone en 2010, est un spectacle que Bieito a conçu initialement en 1999 et qui a déjà bien tourné, Espagne, Hollande, Suisse, Italie. Le théâtre de Bâle la propose cette année, pendant qu’elle tourne en Italie, à Palerme, Venise et Turin.  Ce n’est donc pas une proposition nouvelle, mais le spectacle, comme on dit “ne prend pas une ride” et constitue sans doute une des grandes réussites de Bieito, qui ne donne même pas dans la provocation.
Le plateau est semblable à une arène, avec un cyclorama au fond qui projette quelques ombres, il est vide au centre,

Acte 1

avec au premier acte une hampe à laquelle on va hisser le drapeau espagnol, au second acte un espace vide sur lequel arrive une vielle voiture Mercedes d’où sortent Carmen Frasquita, Mercedes, Dancaïre et Remendado qui vont “piqueniquer” avec quelques caisses d’alcool de contrebande. Le troisième acte (voir photos )  se déroule sur le même plateau dominé par un taureau géant, sous lequel un Torero pendant l’introduction a pris nu son “bain de pleine lune” (très jolie scène), le quatrième sur un espace vide, qu’on délimite à la craie, au centre duquel Carmen et Don José livreront leur dernier combat.

La production de Bieito (Bâle) Foto©Hans-Jörg Michel

C’est la foule qui fait tous les changements, c’est elle qui varie: foule de soldats au premier acte,  de bohémiens (d’aujourd’hui, et pas d’opérette) aux deuxième et troisième actes, une foule bigarrée enthousiaste au quatrième acte, derrière une corde, qui regarde le défilé qui est réduit à son strict minimum. De l’Espagne, il y a une présence continue du drapeau, mais aucune “espagnolade” sinon quelques éléments ironiques,  comme lorsque Frasquita et Mercedes s’habillent en gitanes d’opérettes pour séduire les douaniers, ou comme le taureau gigantesque qui reproduit en fait un taureau vantant une marque d’alcool qu’on voit sur le bord des routes et autoroutes espagnoles aujourd’hui. La vision de Bieito s’insère donc dans la réalité d’une Espagne d’aujourd’hui, et dans un monde bohémien qui serait contemporain (avec les clichés d’usage, par exemple l’emploi des vieilles Mercedes)

Violence et sensualité sont les caractères de ce travail: violence notamment dans le traitement des soldats au premier acte, à peine libérés de leur service ils “s’éclatent” ou saccagent (la cabine téléphonique du premier plan), ils poursuivent les femmes, les contraignent, se frottent outrageusement à la hampe, se moquent du drapeau, en bref, se comportent à l’opposé de leur statut de soldat protecteur.
Lillas Pastia est un peu Monsieur Loyal, qui regarde le drame se nouer en se reposant sur une chaise pliante, au deuxième acte, ou en dessinant sur le sol le cercle de craie, au dernier acte. Il est une sorte de regard de la destinée, distante et à la fois présente du deuxième au dernier acte.
Le dernier acte est vécu comme un combat entre Don José et Carmen, dans une arène délimitée par un cercle de craie: poursuite, désespérance, violence (Carmen est égorgée). De leur côté les relations homme/femme sont un éternel jeu sensuel: y compris Micaela, jeune fille moderne et non oie blanche, qui “ose” baiser sur la bouche un Don José qui se recule: on sait qu’il ne l’aime pas dès le premier acte.

La production de Bieito(Bâle) ©Hans-Jörg Michel

Quant à Carmen, elle n’a pour argument que son corps, dont elle use avec beaucoup de provocation: dans la scène avec Don José au deuxième acte, elle laisse par exemple tomber sa culotte, rouge comme il se doit et se jette sur Don José. Sexe et sang, voilà la leçon de cette Carmen forte, bien structurée, bien jouée aussi et qui présente de très beaux tableaux. Calixto Bieito sait vraiment manier les foules et construire un projet de grande rigueur et de grande cohérence. Ce projet a pu surprendre un public un peu interdit devant le toréador nu (pourtant un seul nu dans une production de Bieito, c’est plutôt de la pruderie) ou l’usage irrévérencieux qui est fait du drapeau espagnol, mais dans l’ensemble, il correspond à ce que l’on peut attendre d’une Carmen d’aujourd’hui, bien supérieur dans le propos à la pâle production de Salzbourg au printemps dernier.
Musicalement, on ne peut que saluer l’ensemble de la performance.
A l’orchestre d’abord, mené d’une main de fer par Omer Meir Wellber. J’avais déjà noté ses qualités dans une représentation de Carmen à la Staatsoper de Berlin: le rythme est vif, l’énergie permanente. La précision des attaques, les modulations, le suivi des chanteurs et des chœurs, tout cela est vraiment remarquable et mérite d’être noté. Bien des raffinements de l’écriture de Bizet sont mis en valeur, même si l’orchestre de La Fenice ne vaut pas celui de la Staatsoper de Berlin. Le chef devra me semble-t-il  laisser peut-être  ses musiciens respirer, il paraît un peu “directif” quelquefois, mais c’est un très bon travail de “concertazione”. Il est beaucoup plus convaincant dans la fosse de la Fenice pour Carmen que dans celle de la Scala pour Aida, même si je n’avais pas détesté son travail. Il reste que ce jeune israélien, ex assistant de Daniel Barenboim, est sans doute un chef d’avenir à l’opéra. Enfin, le chœur est très bien préparé par Claudio Marino Moretti , et les scènes de foule, notamment à la fin sont impressionnantes.

Béatrice Uria Monzon (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

On ne présente plus la Carmen de Béatrice Uria Monzon, qui semble l’avoir dans les gènes: la voix est sonore, les aigus sont splendides (le grave un peu moins, avec une tendance à poitriner un peu), et le personnage est là, somptueux. Il est vrai qu’elle est en plus, d’une grande beauté, qui correspond exactement à l’image qu’on peut avoir de Carmen: elle se glisse avec un grand naturel dans le personnage voulu par Bieito (elle a déjà participé à la production de Barcelone) et le résultat est confondant. Le duo final donne le frisson.
Roberto Secco en Don José a toutes les notes, il a aussi une certaine intensité, mais il ne réussit pas encore à acquérir le style de chant voulu. La voix est lumineuse, mais les paroles n’ont pas encore le poids qu’il faut. Il chante, dirais-je, “à l’italienne”, avec un français clair mais encore mal dominé du point de vue des accents, il n’a pas les mezze voci, il ne sait pas adoucir suffisamment, bref il n’a pas encore suffisamment mastiqué ni domestiqué le rôle, même s’il est à certains moments émouvant  de brutalité et de gaucherie à la fois.
Alexander Vinogradov chantait Escamillo:  j’avais noté à Berlin où il chantait déjà le rôle une couleur vocale nettement plus orientée vers la basse que le baryton, et une inadéquation stylistique notable. Cette fois-ci c’est nettement meilleur du point de vue du style, même si pour la couleur nous n’y sommes pas vraiment:  incontestablement cette voix a une couleur slave tellement marquée que cet Escamillo peine à nous faire rêver de corridas. Il reste que Vinogradov ne dépare pas, et a une belle présence.
Ekaterina Bakanova compose une Micaela correcte, mais qu’on n’inscrira pas au nombre des Micaela qui font crouler un théâtre, n’est pas Genia Kühmeier qui veut. La composition est séduisante, la voix est jolie, le français est satisfaisant. Et elle passe bien la rampe.
Je regrette un peu que Frasquita et Mercedes n’aient pas été confiées à des voix françaises, l’accent ne convient pas toujours, et Frasquita (Sonia Ciani) a tendance à crier, sa voix un peu métallique ne convient pas, alors que celle de Mercedes (Chiara Fracasso) passait beaucoup mieux. Les rôles secondaires ont dans Carmen une grande importance, et notamment Mercedes et Frasquita, tout comme Dancaïre et Remendado, confiés à Francis Dudziak (il s’en est fait une spécialité, le rôle d’une vie) et Rodolphe Briand (Remendado), tous deux tout à fait à leur place, qui animent le quintette avec beaucoup d’allant.
Au total donc une belle soirée, dans ce théâtre étrange qui ressemble à une bonbonnière un peu froide, une grande dame qui se laisserait voir, sans vraiment avoir encore reconquis une âme. La politique artistique est assez rigoureuse cependant, et bien moins putassière qu’on  pourrait le craindre vu l’évolution de la ville.
Mais il est évident que le seul trajet de la gare au théâtre est toujours le même enchantement, tourisme ou pas, et que l’arrivée au petit “Campo San Fantin” reste  une émotion, quand la façade assez discrète de la Fenice se dresse, au détour d’une”calle”, et l’arrivée dans la salle croulant sous l’or après un hall d’entrée plutôt sobre fait toujours son effet.

Magie...

On a beau décrier l’évolution de Venise vers une sorte de Disneyland culturel, il est impossible de ne pas tomber sous le charme: on attend de voir Casanova au détour d’un rio, arrivant sur sa gondole à l’opéra. C’était une soirée de plaisir: à Venise, c’est presque un pléonasme.

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Au centre: Micaela, Carmen, Don José, Escamillo
Saluts

OPERA DE PARIS 2009-2010: LA BOHEME à l’Opéra Bastille, le 27 novembre 2009, avec Natalie Dessay, Stefano Secco et Tamar Iveri

J’ai commencé à aller à l’opéra (régulièrement) en 1973. Ma première Bohème est celle de Gian Carlo Menotti au Palais Garnier, dans des beaux décors de Pierluigi Samaritani, avec Jeannette Pilou et Carlo Cossutta, si ma mémoire est bonne. L’année suivante ce fut Luciano Pavarotti et Katia Ricciarelli, pour leurs débuts à Paris, et Marcel Claverie, critique d’un journal disparu (dirigé par Philippe Tesson) Le quotidien de Paris, faisant allusion à l’embonpoint des deux protagonistes, avait plus ou moins écrit cette phrase qui m’est restée: “même les gros ont droit à l’amour”. Ricciarelli, qui à l’époque chantait divinement, était si rubiconde et pleine de santé qu’elle n’avait rien d’une phtisique. Il y a des Mimi crédibles et d’autres non, indépendamment de la qualité du chant, il y a des voix qui portent en elles la mort, la maladie, la tragédie, il y a des personnages qui vous marquent pour la vie: Mirella Freni a été, et reste la Mimi des cinquante dernières années. Il faut porter quelque chose en soi qui suscite l’émotion et emporte l’adhésion. D’ailleurs, le couple Pavarotti-Freni était à ce titre la référence absolue, même si Ileana Cotrubas en Mimi suit Freni de très près. Elle était cette tragédie vivante nécessaire pour provoquer les larmes. Pavarotti, je crois est Rodolfo pour l’éternité, même si les médias le voient plutôt en Calaf. Il réussissait à bouleverser par une inflexion vocale, une respiration, un soupir, et le contraste entre cette voix solaire et le drame qui se jouait était bouleversant (Ah! ce troisième acte avec Kleiber): son physique alors n’avait plus d’importance, il était Rodolfo. A Paris, nous avons eu beaucoup de chance: tous les grands ténors ont fait un soir une Bohème, notamment sous le règne de Liebermann: le programme de salle de Bastille le rappelle d’ailleurs. Seul Carreras n’a pas chanté Bohème à Paris. Mais en revanches toutes les grandes Mimi ont fait les beaux soirs de Garnier ou de Bastille.
Pour ma part, évidemment, et quelle banalité, le plus grand souvenir de Bohème reste une représentation à Munich avec Pavarotti et Freni, dirigés par Carlos Kleiber, réentendu à la Scala au début des années 80, toujours avec Freni, mais avec un ténor bien pâle, Ottavio Garaventa. Le souvenir de ces soirées sublimes est resté imprimé: je m’en nourris régulièrement avec un pirate de la fin des années 70 (Scala, Kleiber, Pavarotti, Cotrubas). On constate, autre banalité, que le chef change tout: la violence, l’énergie de Kleiber sont tellement contagieuses que les chanteurs en sont transfigurés. Or, Bohème est à ce point un standard inévitable des théâtres lyriques, que la plupart du temps ce sont des chefs certes honorables, mais tout de même de seconde série, qui dirigent, le public accourant de toute façon. Et pourtant la musique de Puccini est beaucoup moins simple qu’on ne le croit généralement, Gustavo Dudamel, lorsqu’il préparait La Bohème pour Berlin m’avait dit combien il avait été surpris de la complexité du tissu musical. Cest heureux que Dudamel l’ait à son répertoire, peu de très grands chefs la dirigent dans les grands théâtres pour les raisons expliquées ci-dessous (c’est un opéra qui n’exige pas de très grands noms ni de fréquentes nouvelles productions). Typique opéra de répertoire, La Bohème a pourtant connu dans les cinquante dernières années de grands chefs au théâtre, Karajan et Kleiber en premier, mais aussi Maazel (est-ce encore un grand chef?)ou Mehta. Aujourd’hui, qui pourrait reprendre le flambeau à la scène? Dudamel peut-être (sa Bohème à Berlin était très intéressante, moins cependant que son Don Giovanni à la Scala); Abbado n’a jamais dirigé d’opéra de Puccini, et a plusieurs fois évoqué Manon Lescaut,  mais jamais Bohème, et un Puccini n’est pas dans ses projets. On pense à Pappano, qui en fait un assez bel enregistrement chez EMI, ou à des jeunes comme Andris Nelsons qui vient de faire une belle Butterfly à Vienne et qui dirigea Bohème à Berlin (Deutsche Oper) en 2007 avec beaucoup de succès. Attendons.

Bohème est donc une oeuvre qui “rapporte” aux théâtres lorsqu’ils le programment. Nul besoin de changements fréquents de production, parce que  les mises en scène traditionnelles sont assez interchangeables. La nécessité de changer la belle production de Menotti à Garnier par celle de Jonathan Miller à Bastille n’est sans doute due qu’à des impératifs techniques, le public ayant du mal à faire vraiment la différence. Ce qui fait en général la différence, c’est le deuxième acte: la représentation du café Momus changeant selon les metteurs en scène à cause de la difficulté de représenter à fois la rue et l’intérieur du café dans une solution de continuité. La solution de Miller n’est pas claire scéniquement (rue au premier plan, s’effaçant pour montrer le café au second plan, qui devient un premier plan), en revanche, celle de Menotti, très claire (le café Momus avait une terrasse qui était dans la rue), restait assez improbable: tous ces messieurs et dames grelottant de froid au premier acte, se retrouvant au second acte en terrasse (quand les chauffages d’appoint qu’on voit aujourd’hui n’existaient pas…) dans la joie sans doute réchauffante de Noël. La solution la plus spectaculaire reste évidemment celle de Franco Zeffirelli,qui signa la doyenne des grandes mises en scène de Bohème, à la Scala (depuis de début des années soixante, avec Karajan), et la même à Vienne depuis à peu près la même période (et toujours avec Karajan), qui propose de diviser la scène en un plan inférieur (Momus), et supérieur (la rue), ce qui rend l’ouverture du rideau si spectaculaire qu’elle provoque encore aujourd’hui les applaudissements à scène ouverte.Tout mélomane se doit un jour d’aller voir cette production légendaire qui vit encore, soit à Milan, soit à Vienne. A Milan, c’est même la production “symbolique” de la Scala, comme le fut celle des Nozze di Figaro de Strehler ou de Faust de Lavelli pour l’Opéra de Paris.

Voilà ce qu’on peut dire avant d’en venir à la soirée qui nous occupe, une reprise très honorable du spectacle de Jonathan Miller (dans les beaux décors de Dante Ferretti) dont on peut louer la précision, la justesse psychologique et la cohérence, sous la direction de Daniel Oren, chef contesté depuis des années, qu’on a vu à Paris notamment pour La Juive qui reste quand même un bon souvenir. Daniel Oren a fait les beaux soirs de tous les théâtres italiens et du Festival de Vérone, mais pas de la Scala, seule exception à la règle. Il est vu par les uns comme un chef routinier et sans âme  fracassant et sans subtilité ,et par les autres comme un grand, un des plus grands spécialistes du répertoire italien du XIXème. Rien de fracassant dans ce que nous avons entendu, des tempi assez fluides, un peu rapides quelquefois, une direction très en place, mais sans doute pas vraiment marquante, une direction de grande série, mais de bon aloi. L’intérêt de cette reprise résidait dans la prise de rôle de Natalie Dessay dans Musetta. Un pari de la part de notre star nationale, qui abordait pour la première fois et sans doute pour la dernière, l’univers de Puccini. Prise de rôle réussie, surtout d’ailleurs par le personnage qu’elle imprime (elle s’en donne à cœur joie et occupe la scène au second acte de manière pétillante). Mais le rôle n’apporte rien de plus à ce qu’on sait d’elle, et la performance vocale est au second plan, derrière la performance exceptionnelle d’actrice. Tamar Iveri sait être émouvante, la voix est jolie, la technique au point. Mimi n’est pas vraiment un rôle difficile, et n’exige pas des qualités vocales exceptionnelles, l’importance résidant en revanche dans la couleur et l’expression. La couleur me paraît un tantinet trop claire, l’expression gagne à être travaillée, mais la prestation reste de qualité, même si, au vu de sa carrière, je m’attendais à bien mieux. Du côté des hommes, deux artistes convaincants, Stefano Secco en Rodolfo et Dalibor Jenis en Marcello. On sait que Stefano Secco est l’un des ténors qui comptent aujourd’hui, avec une technique très contrôlée, une maîtrise des piani et pianissimi rare. Le timbre est clair, la voix est bien projetée, sans que le volume soit exceptionnel. Mais c’est une valeur sûre, dont le physique rappelle un peu José Carreras, sans en avoir ni la vaillance ni le charisme, mais qui au fur et à mesure des actes, a gagné en présence et en assise, après de petites difficultés au début de l’opéra. Dalibor Jenis m’avait favorablement impressionné dans Posa du Don Carlo scaligère l’an dernier (Gatti-Braunschveig, à oublier -surtout le second, lamentable) . il est vraiment un très bon Marcello et s’ajoute à la liste longue des barytons de très grande qualité qui essaiment les scènes aujourd’hui, la voix est chaude, le volume est grand, la présence scénique forte, à suivre donc. Bonne prestation dans Schaunard du jeune David Bizic qui sort du centre de formation lyrique de l’Opéra National de Paris, déception en revanche pour Giovanni Battista Parodi dans Colline, la voix m’a semblé un peu opaque, disparaissant dans les ensembles :  sa “vecchia zimarra” ne restera pas dans les souvenirs qui marquent, ni par le chant, ni par l’émotion.

Il reste qu’au total la soirée fut bonne, l’émotion était palpable à certains moments:  la musique de Puccini fonctionne toujours auprès du public, et c’est heureux.