THÉÂTRE – COMÉDIE FRANÇAISE le 4 juin 2011: UN FIL A LA PATTE, de Georges FEYDEAU (Ms.en scène Jérôme DESCHAMPS)

Il y a un lien très fort entre Feydeau et la Comédie Française. D’ailleurs, Jérôme Deschamps le rappelle dans le mini programme distribué aux spectateurs. Ce Fil à la patte me renvoie à un autre, mis en scène par Jacques Charon, dont le souvenir se résume à Bouzin, ce Bouzin de Robert Hirsch époustouflant, qui remet nerveusement ses gants blancs sous les rires explosifs du public. Jérôme Deschamps dit vouloir retrouver cet esprit de troupe comique qui fut celle des années 60-80.
Pour ma part, même si j’ai apprécié la manière dont de grands metteurs en scène actuels, comme Alain Françon, Georges Lavaudant, ou surtout Jean-François Sivadier, le plus novateur, se sont emparés de Feydeau ces dernières années, en proposant des visions soit épurées, soit complètement éclatées ou déjantées des grands classiques comme La Dame de chez Maxim, Feu la mère de Madame ou même Un fil à la patte, j’ai néanmoins toujours défendu pour Feydeau une vision “Comédie Française”. je suis en somme nostalgique de Jacques Charon, ou de Jean-Laurent Cochet, servis il est vrai par une troupe rompue à cette mécanique diabolique. Les efforts du théâtre privé pour monter Feydeau, récurrents, n’ont jamais réussi ce me semble à concurrencer même a minima cette mécanique parfaitement huilée qu’était la troupe de la Comédie Française de ces années-là, les Robert Hirsch, Georges Descrières, Micheline Boudet, Denise Gence, Jean Le Poulain, Michel Duchaussoy ou Bernard Dhéran et tant d’autres.
Alors, le succès impressionnant de ce “Fil à la patte” semble renouer avec une tradition bien ancrée dans les gênes de la Maison de Molière, et surtout l’ensemble des comédiens (Dominique Constanza, doyenne des sociétaires – elle l’est devenue en 1977 – étant la seule de la distribution ayant connu cette époque) semble entrer de plain-pied dans l’aventure avec laquelle Deschamps a renoué. Non que Feydeau ait été absent du répertoire depuis lors, mais dans des productions peut-être moins consensuelles.

Le théâtre de Georges Feydeau est en effet particulier. D’abord, qui lit ses pièces est immédiatement frappé de l’importance des didascalies, très précises, et des objets décris. Il n’y a pas de pièce de Feydeau sans objets ou sans meubles en nombre (ici, un pistolet pour enfants,  ou une corbeille de fleurs, une armoire): la pièce est d’abord un dispositif (Sivadier l’a si bien compris!). Le texte est aussi difficilement exploitable sans visualisation scénique, c’est pourquoi il est si difficile de faire étudier Feydeau en classe, même si sa portée subversive a été mieux révélée ces dernières années et que ce texte n’est pas exclusivement une mécanique à créer du rire. Jérôme Deschamps aidé de Laurent Peduzzi le décorateur subtilement adapte les ambiances entre les trois actes, un intérieur bourgeois au premier acte, plus riche, mais pas ostentatoire au deuxième, une cage d’escalier assez simple au troisième avec un oeil sur une pièce de service de l’appartement de Bois d’Enghien. Il travaille aussi les costumes, très justes de Vanessa Sannino, riches, comme toujours au Français, mais avec un rien d’ostentation qui marque notamment la baronne avec ses fourrures excessives, ou des chapeaux assez monstrueux, ou Lucette, aux couleurs vives, ou même Marceline, en coiffe bretonne!! Dominante turquoise assez clair chez les messieurs (Bois d’Enghien) et l’ensemble crée des harmoniques subtiles. Comme souvent chez Deschamps, quelques moments à la fois loufoques et poétiques, mais aussi un peu cruels, à la Deschiens, notamment au troisième acte comme la descente de la Noce, ou la descente d’escalier de Bouzin, dont Christian Hecq fait une étourdissante performance.

Deschamps accompagne le texte en s’appuyant avec précision sur toutes les didascalies, et procède par touches, les comédiens sont tous très justes, ne sur-jouent jamais. les femmes sont le plus souvent plu sensibles et aussi plus finaudes, c’est clair pour les deux “rivales”, Lucette et Viviane, qui, tout en ayant tout compris du monde, savent au fond l’utiliser à leur profit. Mais les décalés, les fous furieux, les assoiffés de désir et d’argent, ceux qui bougent partout dans un perpétuel “ôte-toi de là que je m’y mette” du désir et de l’argent, de la puissance et du statut,  ce sont les hommes, toujours prêts à mentir pour arriver à leurs fins, ou même contraints par les circonstances et les hasards.

Ici c’est d’abord la performance de Christian Hecq en Bouzin qui époustoufle parce qu’il est ce personnage en décalage qui en fait un souffre douleur systématique mais lui aussi créateur extraordinaire de ce qui fait le rejet des autres: ses mouvements brusques, ses barrissements, son incroyable aptitude aux galipettes, aux déhanchements, aux courses, aux mouvements convulsifs, en font une sorte de clown presque absurde, au comique souvent bien proche de Robin Atkinson dans Mister Bean auquel Deschamps a sûrement pensé. Incroyable, on n’avait pas vu cela depuis longtemps.

On regrette bien sûr l’absence de Guillaume Gallienne en Chenneviette et en Miss Betting, mais Christian Gonon s’en sort avec les honneurs, notamment dans son incarnation très “chevaline” de Miss Betting. Les femmes sont fraîches à souhait, la Lucette très naturelle, pétillante sans excès, de Florence Viala, la Baronne très drôle, très second degré de Dominique Constanza, et la jeune Giorgia Scalliet dans Viviane montre elle aussi qu’on peut jouer Feydeau très juste sans hurler, sans gesticuler, et même avec une vraie finesse. Dans l’ensemble des comédiens, Thierry Hancisse en Général Irrigua est caricatural à souhait, mais ne se départit pas d’une certaine élégance, et Serge Bagdassarian en Fontanet est totalement irrésistible.
Mais c’est Hervé Pierre, qui (avec Christian Hecq) m’a le plus étonné: un Bois d’Enghien ébouriffant, mobile, délirant, affolé, qui crée un vrai personnage…physiquement en rien le séducteur invétéré que Viviane veut épouser, mais qui en même temps réussit avec son physique passe partout à nous faire croire et adhérer au personnage. Une très grande performance .

Au total, je reste quand même sur mon souvenir de Jacques Charon:  peut-on lutter contre les mythes et les souvenirs? mais l’approche dirais-je “délicatement” délirante, d’où la poésie n’est pas absente, de Jérôme Deschamps, aidé d’une troupe de comédiens remarquables, voire exceptionnels au jeu résolument moderne, jamais déclamatoire, dans une ambiance débridée, mais aux couleurs pastel en même temps, m’incite à attendre une future “Puce à l’oreille” ? Deschamps réinstallera-t-il Feydeau au Français?

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