METROPOLITAN OPERA (MET) 2009-2010: ATTILA de G.VERDI, dirigé par Riccardo Muti, avec Violeta Urmana et Ildar Abdrazakov (27 février 2010)

ATTILA S’HABILLE EN PRADA

Soirée triomphale au MET pour cet Attila de haute volée, création au MET qui affiche rarement des opéras du jeune Verdi, et débuts de Riccardo Muti qui n’y avait jamais dirigé. Mieux vaut tard que jamais. Peter Gelb a réuni pour l’occasion une distribution de très haut niveau, Violeta Urmana, Carlos Alvarez, Ildar Abdrazakov, Ramon Vargas et une équipe scénique surprenante, mais très chic: Pierre Audi metteur en scène, Miuccia Prada, la styliste italienne,  Herzog et de Meuron, les architectes du stade de Pékin (celui en nid d’oiseau) et de la New Tate Gallery comme équipe de décors et costumes. Sans doute en hommage à Pierre Audi, Madame Prada a mis sur le casque d’Attila et les épaulettes d’Ezio et Attila des diodes qui ressemblent fort à celles qui soulignent les phares des Audi récentes!

Est-ce une mise en scène d’ailleurs?  Le choix est celui non d’un travail sur l’épopée, avec des grandes masses chorales qui bougent et des grands espaces, mais d’un espace très limité, vertical et non  horizontal, où les protagonistes bougent peu et se retrouvent comme écrasés par un mur comme dans la tragédie. Le chœur apparaît le plus souvent à moitié enterré, comme écrasé sous le décor qui se soulève pour l’occasion. De quoi satisfaire Riccardo Muti qui aime à avoir un chœur fixe, face au chef, et des chanteurs qui jouent peu, pour mieux chanter et mieux voir le chef. Deux décors, l’un, une sorte de ruine fait d’un tas de plaques de béton armé, comme une ville après la bataille, est le cadre du premier acte, plus violent; l’autre censé représenté la forêt, est un superbe mur végétal magnifiquement éclairé par Jean Kalman, complice habituel de Pierre Audi dans lequel s’ouvrent des espaces où prennent place les protagonistes. Des couleurs violentes, vert, jaune, rose, bleu profond donnent une véritable ambiance, mais ne disent rien sur l’œuvre. Pourquoi pas d’ailleurs, ce genre d’opéra n’a pas pour caractère la finesse psychologique, mais plutôt des caractères tout d’une pièce: une héroïne par nature, forte, courageuse, qui va jusqu’au bout, sorte de Judith romaine, Odabella, son amant Foresto, sacrifié sur l’autel de la vengeance, Ezio le général romain vaillant mais un peu trouble, qui tirerait bien d’Attila un accord qui lui donnerait l’Italie, et Attila enfin, qui – conformément à la vérité historique d’ailleurs- n’est pas le monstre sanguinaire de la tradition, mais un souverain non dénué d’humanité et de noblesse.
On assiste plus à une succession de tableaux, assez beaux à voir , qu’à un travail théâtral et dramaturgique puissant. La mise en scène de la Scala de Jérôme Savary ne brillait pas non plus par son originalité, mais Savary avait à l’époque laissé entendre qu’il avait été bridé par le chef (un certain Riccardo Muti). Du coup les chanteurs sont le plus souvent livrés à eux-mêmes et ne font pas grand chose (ce qui ne peut que convenir à Violeta Urmana, jamais très concernée par le jeu scénique).

Musicalement, le travail effectué par Riccardo Muti avec l’orchestre du MET est tout à fait remarquable, enfin l’orchestre sonne (alors que lors des deux autres représentations, Bohème et Barbiere ce n’était pas toujours le cas) et la construction musicale (les italiens appellent cela la “concertazione”) est tout à fait remarquable, beaux équilibres sonores,  précision des attaques, mise en relief du son, une approche raffinée et créatrice d’émotion notamment dans les ensembles (magnifique final du premier acte). Un seul problème, qui va s’accentuer dans la seconde partie, c’est la dynamique. On aimerait que ce Verdi bouge un peu plus, on aimerait sentir la nervosité, l’énergie, la sève, bref, on aimerait entendre un peu du Muti des années 70, et là c’est raté. Grandiose, certes, ô combien, mais pas assez soucieux de la vie intense de cette musique du jeune Verdi. Il reste que c’est tout de même un grand moment auquel le public américain, toujours très participatif, fait une triomphe avec standing ovation.

Du point de vue vocal, on apprécie de voir le très grand Attila de la génération précédente, Samuel Ramey, affiché cette fois dans le rôle très épisodique de Leone l’évèque, et si la voix a un peu vieilli, le volume reste intact. Ildar Abdrazakov  ne démérite pas, mais la voix qui est belle et profonde, manque justement de ce volume et de ce relief qui doivent coller au rôle, le timbre est élégant, mais le style reste un peu indifférent, et le personnage manque de consistance, le digne successeur de Ramey n’est pas encore trouvé.  L’Odabella de Violeta Urmana, estplus intéressante que d’ordinaire et surprend même au premier acte: les aigus et les suraigus sont là, même si ces derniers sont un peu criés par une voix qui se resserre et atteint sa limite, les graves en revanche sont somptueux (on sent l’ancien mezzo!), la vaillance est là, mais peu à peu la voix s’opacifie et la deuxième partie de l’opéra est moins intéressante. A la Scala, Cheryl Studer n’avait pas tout à fait la ressource – elle le paya par des huées cruelles et injustes- mais elle avait une beauté vocale que Madame Urmana n’a pas . Giovanni Meoni remplace Carlos Alvarez malade pour toute les réprésentations dirigées par Muti, le timbre est joli, mais le volume manque, ainsi que le souffle car les notes hautes ne sont jamais tenues, une prestation passable. En revanche, rien à dire du Foresto de Ramon Vargas, absolument impeccable de style, de technique, d’engagement. Que cette voix qui à ses débuts semblait destinée à des rôles de ténor léger puisse aborder avec assurance les rôles lourds (Don Carlos!) laisse rêveur: en tous cas aucun doute, c’est lui qui s’en tire le mieux, et de la manière la plus homogène.
Mais laissons là les réserves: ce fut malgré tout un bel Attila, esthétiquement remarquable, musicalement de haut niveau, et la première partie de la soirée fut vibrante, même si la suite a un peu déçu. Ne boudons pas quand même notre plaisir, il n’est pas fréquent que Verdi soit à la fête dans les théâtres aujourd’hui.

A LITTLE NIGHT MUSIC de STEPHEN SONDHEIM avec Angela LANSBURY et Catherine ZETA-JONES au WALTER KERR THEATRE (NEW YORK) le 25 février 2010

On redécouvre Stephen Sondheim, à New York comme à Paris où e Châtelet vient  de proposer une production de « A Little Night Music » (créée en 1973), et l’un des événements de la saison de Broadway est cette reprise de l’une de ses comédies musicales les plus célèbres, La petite musique de nuit, avec deux monstres sacrés de la scène et de l’écran, Catherine Zeta-Jones et Angela Lansbury. On ne présente plus Catherine Zeta-Jones,qui a connu la reconnaissance internationale dans « Le masque de Zorro » avec Antonio Banderas et Anthony Hopkins et vous connaissez Angela Lansbury si vous avez vu des épisodes de la série policière anglaise “Arabesque”où elle s’amuse à résoudre toutes les énigmes. Elle a même interprété Miss Marple. Née en 1925, interprète fétiche de Stephen Sondheim elle interprète le rôle de Madame Armfeldt, vieille actrice mère de Désirée Armfeldt, jouée par Catherine Zeta-Jones. Stephen Sondheim auteur d’un succès planétaire,  « Send in the clowns » justement dans « A Little Night Music » est considéré comme un « intellectuel » de la Comédie Musicale, on lui doit aussi les textes des airs de « West Side Story », et c’est un des compositeurs les plus raffinés de la scène newyorkaise. La production d’aujourd’hui fait le choix de l’intimisme, ce qui est cohérent avec cette histoire de couples mal assortis où chacun à la fin retrouve le juste compagnon. On serait presque au seuil d’une comédie amère à la Goldoni (on pense à la Trilogia della villegiatura), avec des personnages très typés, comme Madame Armfeldt, vieille actrice désabusée qui regarde le monde et l’enseigne à sa petite fille en lui enlevant ses illusions. C’est Angela Lansbury, qui impose sa forte personnalité au centre de la pièce, épatante de justesse, et d’ironie, avec une économie de moyens étonnants (elle joue en chaise roulante et toute sa force réside dans sa manière de dire le texte, dans l’inflexion vocale, dans la subtilité : grande démonstration de maîtrise du jeu théâtral. Catherine Zeta-Jones n’est pas en reste, si le rôle est celui d’une femme déjà mûre, cela n’apparaît pas en scène tant sa beauté est fulgurante, beauté physique, mais aussi beauté du chant, on ne relève aucune faute dans son parcours vocal. C’est bien ce qui frappe dans ce type de spectacle vraiment impeccablement réglé: les acteurs jouent et chantent, et passent de l’un à l’autre avec un naturel et une justesse, et une maîtrise technique qui confondent . Les autres protagonistes ne sont pas en reste, à commencer  Alexander Hanson, très élégant dans son rôle de monsieur mal marié, qui se cherche et cherche à sortir d’une situation difficile (marié avec une jeune épouse qui ne veut pas consommer). La structure de l’oeuvre est assez simple: des personnages en couples mal assortis, une vieille dame qui fut sans doute un peu indigne, un choeur (ici de domestiques) qui commente l’action,  et une action qui se déroule dans un espace presque unique, ou du moins très légèrement caractérisé, avec un orchestre d’une dizaine de musiciens: un espace de l’intime, sur un rythme de valse, une comédie de chambre qui permet de faire ressortir avec bonheur la subtilité de la musique, son élégance et aussi sa prégnance. La mise en scène, de Trevor Nunn, un des grands noms de la scène anglaise, est précise, discrète sans être lisse, travaille sur la fluidité, aidée en cela par un espace simple, mobile, qui organise bien la scène. Au total un spectacle très réussi, faussement simple, et particulièrement émouvant. le public entre dans le jeu, participe, et fait un triomphe aux deux protagonistes, Angela Lansbury en tête.