SALLE PLEYEL 2010-2011: Claudio ABBADO dirige le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA (Mahler Symphonie n°IX) le 20 octobre 2010.

201020102496.1287691312.jpgAprès Lucerne et Madrid cette année, et après Tokyo, New york, Rome, Londres, Pékin, c’était hier soir au tour de Paris de découvrir le Lucerne Festival Orchestra et de retrouver Claudio Abbado après le rendez-vous manqué de juin dernier. Le programme, la Symphonie n°9 de Mahler, était propre à soulever l’enthousiasme puisque c’est tout de même le répertoire de prédilection de cet ensemble de musiciens, organisés autour du Mahler Chamber Orchestra et qui compte des solistes de niveau exceptionnel, si Natalia Gutman n’était pas au violoncelle comme cet été, si Marie-Pierre Langlamet (Berliner Philharmoniker) n’était pas à la harpe, ils avaient presque tous répondu présent: Kolja Blacher, ex Berliner, aujourd’hui concertiste, comme premier violon, Wolfram Christ, ex Berliner, premier alto, le vétéran Hanns Joachim Westphal (qui entra chez les berlinois dans les derniers moments de Furtwängler), Alois Posch à la contrebasse (ex-Wiener Philharmoniker), Reinhold Friedrich à la trompette, Raymond Curfs (Bayerische Rundfunk) à la timbale, Jacques Zoon (ex-Concertgebouw) à la  flûte, Lucas Macias Navarro le hauboïste exceptionnel (Concertgebouw). Bref , solistes comme “tutti” ont l’habitude de suivre Claudio, et viennent de répéter de nouveau à Madrid la symphonie de Mahler.

027.1287691587.jpgPendant les répétitions à Madrid (on reconnaît Hanns-Joachim Westphal et Kolja Blacher). photo Lucerne Festival .

L’impression à la sortie du concert dépend de nombreux paramètres extérieurs à la musique pure, la salle, l’acoustique, l’humeur personnelle, la place occupée dans la salle, tout cela influe non tant sur le jugement, mais surtout sur la manière de recevoir la musique. On n’entend jamais de la même façon. Mais les interprétations, la manière de prendre l’oeuvre, peuvent aussi varier d’une concert l’autre. Un musicien de l’Orchestre de Bayreuth me disait que Barenboïm dirigeant Tristan n’était jamais le même, et que cela finissait par gêner. Un concert Mahler de Claudio Abbado ne ressemble jamais au précédent, et celui là marquera comme les autres les auditeurs. L’acoustique de la Salle Pleyel est très sèche, et d’une très grande précision, on a l’impression que rien ne nous échappe et le son semble souvent “agressif”, les traits de harpe du début était plus brutaux, plus secs qu’à l’accoutumée: salle (à Lucerne, l’acoustique est plus enveloppante, plus réverbérante, plus suave) ou soliste différente? (Laetizia Belmondo et non Marie-Pierre Langlamet). De même le début du premier mouvement apparut plus “anonyme”, mais dès que l’on entra dans les larges phrases d’ensemble, ce fut un enchantement qui ne s’est pas démenti jusqu’à la fin. Il eut des sommets de virtuosité (le troisième mouvement, tourbillonnant d’une rapidité démente), des sommets de chromatisme (deuxième mouvement qui fait tant de fois penser à Berg) puis enfin des sommets d’émotion (quatrième mouvement, évidemment) donnés par l’engagement des musiciens (encore une fois, les dialogue entre violon et alto, entre flûte et hautbois furent enivrants et bouleversants). A Lucerne, le premier concert était apparu tout de nostalgie et d’amertume, ici ce qui frappe, c’est l’énergie incroyable, une sorte d’énergie du désespoir, qui dit non, qui se dresse d’une manière particulièrement forte (l’acoustique de Pleyel nous y conduit!).
201020102497.1287691295.jpgMais ce qui ne change pas c’est le long silence (Si un esprit hurleur n’avait pas interrompu le recueillement après une minute environ, ce silence eût pu durer encore et c’était impressionnant) dans une semi-obscurité qui nimbe les mesures finales; c’est aussi le triomphe final, la standing ovation presque immédiate. On reste étonné de tant de maîtrise, de tant de perfection, de tant d’émotion. Une fois encore “C’est pour ces moments là qu’il vaut la peine de vivre”

014.1287691561.jpgPhoto Lucerne Festival

OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011: TRISTAN UND ISOLDE, le 17 octobre 2010 (Dir:Bernard HAITINK, Ms.en scène:Claus GUTH)

Tristan und Isolde (Ms Claus Guth)

A un mois et cinquante kilomètres de distance, deux Tristan und Isolde très différents et pourtant passionnants tous les deux. Il y a un peu plus d’un mois, à Lucerne, Esa Pekka Salonen dirigeait la production désormais culte de Peter Sellars et Bill Viola, dans une direction grandiose, presque “apocalyptique” à la fin du 1er acte, avec une distribution globalement très réussie. Cette fois-ci, à Zürich, le vétéran Bernard Haitink dirige la production maison de Claus Guth (créée l’an dernier par Ingo Metzmacher), qui fit couler beaucoup d’encre, avec une distribution non moins efficace et particulièment en forme ce dimanche soir. Ce fut là aussi à la fois une très belle soirée, et une surprise énorme tant la direction de Haitink impose un rythme et un style d’un dynamisme et d’une vitalité qui laissent rêveur. La salle relativement petite de l’Opéra de Zürich permet à des voix pas forcément grandes de se faire entendre. Elle permet aussi des interprétations plus “retenues” et un travail analytique de qualité. Haitink est très attentif à chaque inflexion de l’orchestre, qu’il mène avec une énergie peu commune, et ainsi propose une interprétation très dramatique, très tendue, laissant moins de place à l’attendrissement et beaucoup plus d’espace aux explosions de la passion. la présence permanente de l’orchestre, son engagement, une pâte sonore virulente en constituent les éléments essentiels. Le suivi des instruments (avec quelques problèmes sur les cuivres), la parfaite clarté de l’ensemble, la distribution du dispositif (le cor anglais solo, les trompettes en proscenium de troisième balcon), tout fait de ce Tristan un très grand moment. La relative discrétion médiatique de Bernard Haitink fait penser de manière erronée que cette discrétion se retrouve au pupitre, rien de cela et la performance orchestrale est une de celles dont on se souvient longtemps. C’est une interprétation d’une jeunesse et d’une passion peu communes! Est-ce là le travail d’un chef qui a dépassé quatre vingts ans? Que nenni, c’est là un travail de jeune homme sauvage et échevelé: totalement inoubliable!

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A cet orchestre exceptionnel correspond une distribution vocale de grande qualité. Remplaçant Waltraud Meier qui est entrée en conflit avec Haitink, Barbara Schneider-Hofstetter propose une Isolde de très haut niveau, de plus en plus engagée, avec un premier acte un peu crié. Son deuxième acte est tout simplement éblouissant. Grande surprise aussi face au Tristan de Stig Andersen. Ce chanteur honnête dans Siegmund ou Siegfried s’est littéralement surpassé, avec une vrai présence vocale tout au long de l’oeuvre, mais avec un troisième acte tout à fait exceptionnel et bouleversant , qui arrache les larmes. Pouvait-on attendre autre chose qu’un très grand triomphe devant le Roi Marke de Matti Salminen? Une fois de plus, une performance émouvante, convaincante, une voix de bronze sur laquelle les années n’ont pas de prise. Autre surprise, le Kurwenal plein d’émotion et remarquable de présence de Martin Gantner. Je suis à  chaque fois plus convaincu que  ce chanteur mérite une vraie carrière internationale, car dans tous les rôles qu’il interprète, il a à la fois la voix, l’intensité, la couleur, l’humanité. Du grand art. Quand à la Brangäne de Michèle Breedt, qui dans la mise en scène est un double d’Isolde, un double plus social, plus sociable, plus conciliant, elle est aussi très émouvante, et la voix solide fait merveille au second acte (Habet Acht!), le reste de la distribution n’appelle aucun reproche, notamment le Melot de Volker Vogel.
Et la mise en scène? Bien sûr, Claus Guth, dont on connaît notamment un bon Fliegende Holländer à Bayreuth, des Nozze di Figaro et un Don Giovanni passionnants (mais âprement discutés) à Salzbourg signe là un travail de grande précision, rempli d’idées, dont la principale est de faire de Tristan und Isolde une sorte de fantasme de Mathilde Wesendonk, dont on sait qu’elle inspira bien des moments de l’opéra, et de faire de Marke Otto Wesendonk, même si l’on ne va pas jusqu’à assimiler clairement Tristan à Wagner. Le fait d’être à Zürich, dans la ville même des Wesendonk, fait de ce travail une mise en scène très cohérente et très brillamment construite.
Le décor, qui représente la maison des Wesendonk, un intérieur très bourgeois inspiré des photos de l’époque, est installé sur une tournette et les chanteurs passent d’une pièce à l’autre. On est donc dans un Drame “bourgeois” dont la première image (Isolde au lit, un médecin à son chevet) fait irrésistiblement penser au troisième acte de Traviata. L’idée de faire de Brangäne un double d’Isolde, vêtue à l’identique au premier acte, en noir quand Isolde est en blanc au deuxième, et toutes deux en noir au troisième, et se prenant tour à tour la parole avec une telle habileté qu’il est difficile de ne pas s’y perdre est excellente notamment parce qu’ainsi Brangäne est le double “social” d’Isolde, celle qui compose avec le Monde! L’idée qu’Isolde mime l'”habet Acht” du deuxième acte quand Brangäne le chante en coulisse, l’idée de faire de la soirée chez le Roi Marke la soirée de mariage d’Isolde, et de faire que les deux amants circulent entre les invités ou les convives figés dans leurs attitudes sociales tout cela est rigoureusement pensé et très bien réalisé. On appréciera aussi la table défaite du Festin, devenue lieu du couple, puis de la Liebestod, dans un décor très réaliste d’intérieur XIXème, et l’utilisation de cette même table pour en faire une sorte de Tribunal des deux amants. Intérieur impeccable au 1er acte, 366_dsc_0204.1287438098.jpgmurs décrépis au dernier, où l’on passe tour à tour des des espaces “réels” ou “fantasmés”, l’excellente idée de remimer les soins apportés à Tristan, allongé sur le lit au milieu de bandages sanguinolents, tout cela montre un travail attentif et très rigoureux, non dénué de poésie (acte II) et dont les partis pris radicaux, parce qu’ils sont bien traduits sur scène, ne choquent absolument pas. Il en résulte une fluidité de l’action qui enlève tout statisme à l’ensemble. On voit quelquefois des Tristan statiques, voire ennuyeux: on a ici à la fois une direction musicale très dynamique, incroyablement jeune et vigoureuse, et une traduction scénique là aussi tout en mouvement et prodigieusement stimulante. Tout ennui est banni, et on n’a qu’une envie après cinq heures de spectacle que de recommencer l’expérience a plus vite. Pour Haitink d’abord et avant tout, pour le reste du spectacle ensuite, à ne manquer sous aucun prétexte dès que ce sera repris.
Claus Guth en fin de saison fera Parsifal avec Daniele Gatti au pupitre et le wagnérien impénitent pourra aussi en janvier aller voir Tannhäuser dans la mise en scène du très grand Harry Kupfer et sous la direction de Ingo Metzmacher. Zürich est une bonne maison pour le wagnérien!

OPERA DE LYON 2010-2011: LE ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor STRAVINSKY (Dir:Kazushi ONO, Ms.en scène: Robert LEPAGE)

Le spectacle de l’Opéra de Lyon est en train de faire le tour du Monde. Après Toronto et Aix, et avant New York, il ouvre la saison 2010-2011 de l’opéra de Lyon. entre annulations pour cause de grève et incroyable succès de l’opération, il est très difficile, mais pas impossible, d’avoir un billet.
De fait, ce spectacle est un enchantement à tous les niveaux.

rossignol_clip1_thumb.1287305402.jpgOn pouvait craindre que l’enchaînement de pièce instrumentales (Ragtime) de petits poèmes chantés, du bref “Renard” en première partie, suivis du Rossignol en deuxième partie, ne nuise à une certaine homogénéité de la soirée et ne dilue l’attention. Il n’en est rien. le dispositif scénique aide évidemment par sa cohérence à rentrer immédiatement dans la logique du spectacle, russe dans sa première partie, chinois dans sa seconde partie, mais usant de formes à la fois populaires (théâtre d’ombres, danseurs, marionnettes sur l’eau) et simples (au moins apparemment), avec l’orchestre sur scène tout au long de la soirée, qui marque aussi une certaine cohérence de dispositif.
rossignol_thumb.1287305433.jpgAinsi, une fois de plus, Robert Lepage montre que pour tout cle répertoire qui s’appuie sur des histoires, des contes, des récits, il est sans rival: il montre l’histoire, sans en rechercher les substrats idéologiques ou politiques, mais il la montre totalement, avec son sens de la poésie, avec son imagination avec son humour (les saynètes de théâtre d’ombres sont étonnantes et pleines de sourires, le lièvre qui a soif, le buveur de bière, le chat qui dort et qui passe de bras en bras…).
Au lieu de faire du Rossignol une chinoiserie, il choisit la forme à la fois ancrée dans une tradition, qui nous est totalement étrangère, et donc complètement distanciée des marionnettes sur l’eau, actionnées par les chanteurs eux mêmes, plongés dans cette piscine à 23° construite en lieu et place de la fosse d’orchestre. Du même coup, on a une impression d’authenticité qu’on n’aurait sûrement pas si l’on s’était contenté de voir des chanteurs jouer l’histoire. Le jeu des marionnettes est aussi parfaitement adapté au temps de l’histoire, 3 actes d’un quart d’heure chacun. Un micromonde enchanté pour un micro opéra. Les solutions trouvées pour les transitions (le rideau tenu par deux machinistes de chaque côté de dispositif), les idées extraordinaires (par exemple le lit du roi malade avec un baldaquin qui en réalité est la mort), tout nous parle, tout finit par émouvoir. O n s’aperçoit à peine que le troisième acte, celui de la mort, n’est plus vraiment du théâtre de marionnettes, mais du théâtre tout simplement avec de vrais personnages, qui rejoignent ainsi le seul personnage qui soit à la fois marionnette et personnage, le Rossignol éblouissant de Olga Peretyatko.
Car à cette perfection esthétique, qui laisse littéralement sous le charme, correspond un travail musical de très haute qualité et de grande valeur. la musique de Stravinsky est complexe, les petites pièces doivent en quelques minutes exprimer une couleur, dessiner une scène. Renard est à ce titre un petit chef d’oeuvre. La précision de l’orchestre et la qualité des instrumentistes (notamment la clarinette de Jean-Michel Bertelli pour les pièces pour clarinette solo), l’ambiance “chambriste”, même lorsque tout l’orchestre est convoqué (pour Le Rossignol), et la familiarité du chef Kazushi Ono pour ce répertoire, tout concourt à construire un univers dont il est difficile de se détacher. Quelle aubaine pour Lyon d’avoir pu débaucher ce chef remarquable à sa sortie de Bruxelles !

Quant aux chanteurs, il n’y a vraiment rien à dire: de nouveau il faut saluer la performance technique et l’extraordinaire poésie du chant de Olga Peretyatko, mais aussi la cuisinière de Elena Semenova, très convaincante, et Svetlana Shilova, beau mezzo qui chante la Mort dans le Rossignol et quelques poèmes dans la première partie. On revoit aussi des chanteurs habituels à Lyon, la belle voix du baryton syrien Nabil Suliman, déjà remarqué dans “Moscou, quartier des cerises), ou Edgaras Montvidas,qui aussi bien dans Renard que dans le pêcheur (Le Rossignol) donne à sa prestation une grande présence. Un beau ténor qu’il faut suivre. Ilya Bannik déçoit un tout petit peu dans l’Empereur et le reste de la distribution, ainsi que le chœur sont sans reproches.

Voilà, encore une belle soirée à Lyon, qui depuis l’arrivée de Serge Dorny propose des productions d’un très haut niveau, toujours très soignées au niveau des mises en scène et des distribution, et qui est toujours plein, mais plein de jeunes.On ne peut que se réjouir que les jeunes présents dans le cadre de “Lycéens à l’Opéra”,dispositif financé par la Région Rhône-Alpes et qui permet à des classes très éloignées géographiquement (la région couvre deux académies, Lyon et Grenoble, et l’académie de Grenoble est très vaste, puisqu’elle va de Genève aux portes d’Orange et qu’elle couvre Drôme, Ardèche, Isère, Savoie et Haute Savoie) de venir à l’Opéra, d’en visiter les coulisses et de bénéficier d’une journée de préparation.Avec ce spectacle, nul doute que toutes les idées préconçues sur l’Opéra s’écroulent, et que le public en sort totalement conquis.

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Photos et vidéos de ce spectacle sur les sites de l’Opéra de Lyon et de Culture Lyon

METROPOLITAN OPERA 2010-2011 (vu à Budapest sur grand écran): DAS RHEINGOLD (James LEVINE, Robert LEPAGE) le 9 octobre 2010

Quand on ne peut traverser l’Atlantique, le MET vient à nous via les ondes, et investit 500 cinémas environ dans le monde pour présenter ses nouvelles productions. En France, cela coûte 27 Euros. C’ est une redoutable machine de guerre mise au point par Peter Gelb, le Manager du MET qui a commencé ses retransmissions aux Etats Unis, évitant ainsi les coûts de la traditionnelle tournée du MET de jadis, et attirant des foules de spectateurs. Le système a été étendu au monde entier  et l’on pouvait voir dans les salles ce 9 octobre la nouvelle production très attendue de Rheingold, première journée du nouveau Ring du MET confié à Robert Lepage et à la baguette de James Levine, qui fête sa quarantième saison au MET. Des expériences similaires ont eu lieu pour d’autres théâtres en Europe, mais elles restent ponctuelles et n’ont pas le retentissement de ce programme venu de New York et qui attire de plus en plus de public.
Ne pouvant voir ce spectacle ni à New York, ni en France, je l’ai vu à…Budapest, au Palais des Arts, ce bâtiment récent dédié à la musique et aux Beaux Arts, qui abrite un théâtre, une salle de concert, un auditorium et un Musée d’art contemporain, le fameux Musée Ludwig. Pas une place de libre, une queue impressionnante, Wagner fait recette ce soir!

La soirée commence par un reportage d’une vingtaine de minutes sur la préparation du spectacle et les premières répétitions. Cette nouvelle production du Ring est pour le MET le spectacle le plus complexe jamais monté. Il a nécessité de consolider les dessous de la scène pour installer le dispositif impressionnant qui occupe l’espace: un plateau complètement désarticulé, composé d’éléments indépendants les uns des autres qui tournent sur eux mêmes par un système hydraulique et sont tantôt un plateau, tantôt un mur, tantôt un plan incliné, tantôt un escalier, tantôt tout cela à la fois, sur lequel sont projetés des vidéos. Certaines videos fonctionnent et varient selon l’intensité de la musique: vidéo, informatique, éclairages, décor unique et multiple délimitant des espaces variés, bref, un travail impressionnant.
La distribution est germano-américaine, à l’exception notable du gallois Bryn Terfel, qui signe son premier Wotan et de l’irlandaise Patrica Bardon (très bonne Erda). Bien sûr il est difficile, n’étant pas dans la salle, d’apprécier vraiment une voix, notamment son volume, mais sur le plan de la justesse, de la diction, de l’engagement et de l’interprétation, on peut dire que l’ensemble est une grande réussite. Bryn Terfel est un Wotan exceptionnel, il a à la fois l’autorité et l’assise, mais c’est aussi un interprète  de tout premier ordre, variant la couleur, le ton, l’émission. L’américaine Stéphanie Blythe est une surprise; une Fricka en tous points remarquable, voire stupéfiante de vérité et d’intelligence du texte même si le physique est un peu ingrat, mais la voix est splendide. Eric Owens est Alberich, je ne connaissais pas ce chanteur qui impressionne par sa puissance et la qualité de son engagement, Mime est Gerhard Siegel, comme toujours excellent. Les géants (Hans Peter König et Franz Josef Selig), les dieux, Dwayne Croft (Donner), Adam Diegel (Froh) Wendy Bryn Harmer (Freia),sont tous au meilleur, le Froh d’Adam Diegel devrait faire une belle carrière de ténor; seul Richard Croft déçoit dans Loge, la voix ne sort pas et l’interprétation reste assez neutre, sans la caractérisation marquée qu’on attend habituellement d’un Loge, alors que la mise en scène lui accorde une importance considérable; quant aux trois filles du Rhin, elles sont à la fois convaincantes et étonnantes tant la mise en scène exige d’elles des acrobaties peu communes. James Levine, très amaigri,  très fatigué, réussissant à peine à marcher dirige un Rheingold somptueux à tous égards, fluide, éclatant, contrasté, très différent d’il y a deux ans pour les adieux à la vieille production de Otto Schenk. Donc une très grande réussite musicale.
J’avais écrit il y a quelques mois ces mots

Enfin, last but not least, le MET est engagé dans l’entreprise la plus complexe de son histoire, aux dires de Peter Gelb, son directeur, en confiant le Ring à Robert Lepage, ce qui pourrait bien être la production que nous attendons tous. Jusque là les spectacles d’opéras de Lepage, son travail sur les contes, sur Shakespeare, ont montré que c’est un incomparable raconteur d’histoire, un conteur scénique qui fait à la fois rêver et frémir. Le Ring lui va comme un gant, et cela fait douze ou quinze ans que j’attends cela tant ses spectacles me faisaient désirer un Ring. Réponse dans deux ans.”

C’est bien l’histoire qui nous est racontée, de manière assez traditionnelle, mais soulignant de manière souveraine les relations entre les personnages, faisant de Wotan un personnage immédiatement contradictoire, presque un perdant, et de Loge au contraire le centre de l’attention. Lepage souligne l’humanité de Fasolt déchiré par le départ de Fricka et l’on se souviendra d’images stupéfiantes:  Alberich mêlé aux Filles du Rhin chantant “Rheingold, Rheingold”, Freia dans un filet de pêche couverte de l’or du Nibelung, et bien entendu la scène finale, où les Dieux grimpent sur l’arc en ciel, et entrent dans le Walhalla qui se referme comme une forteresse, pendant que Loge resté dehors contemple le spectacle; Mais ce qui domine et qui frappe, c’est évidemment la maîtrise technique et la performance technologique, même si on percevait quelques bruits suspects, la précision du dispositif video, la beauté des images et des couleurs, la justesse des costumes, élaborés entre une vision à la Matrix et ce qu’on se représente des contes scandinaves, à la fois traditionnels et très modernes, l’extraordinaire précision des éclairages, tout cela fait qu’à la fin on en sort à la fois étonnés et ravis. La retransmission est cependant pour mon goût trop centrée sur les visages (vus de beaucoup trop près) et les individus, on aimerait plus de vision d’ensemble. mais on n’est évidemment pas dans la salle “quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a”.
Même si la Walkyrie en avril-mai prochain affiche complet, je vais essayer d’y aller car c’est bien trop tentant, en tous cas, on n’échappera pas à la semaine new yorkaise quand le Ring complet sera à l’affiche, à n’en pas douter, un événement se prépare et si vous n’allez pas à New York, réservez votre 14 mai pour aller voir La Walkyrie dans un cinéma près de chez vous!