METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2010-2011 sur grand écran, DIE WALKÜRE de R.WAGNER, le 14 mai 2011 (Dir.Mus: James LEVINE, Ms en Scène: Robert LEPAGE avec Jonas KAUFMANN, Eva Maria WESTBROEK, Deborah VOIGT et Bryn TERFEL)

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J’ai donc voulu revoir le spectacle, cette fois-ci sur grand écran. Il s’agissait pour moi de mesurer la distance entre la salle et l’écran et de revoir la mise en scène. Tout d’abord, il faut souligner l’incroyable succès de l’entreprise, de très nombreuses salles de cinéma en France affichaient complet. C’est dire l’intuition de Peter Gelb, le manager du MET, qui a compris tout ce que la retransmission en direct de l’ensemble de la saison allait apporter au MET en termes de notoriété, d’image, et sans doute aussi de finances (En France, le billet est quand même à 27 Euros). Quand on pense que des centaines de salles à travers le monde retransmettent en même temps le spectacle  (qui commence à midi à New York), on imagine le nombre de spectateurs et les effets induits sur l’attrait de l’opéra. D’autres opéras ont commencé à s’y mettre, avec trois ans de retard, alors que l’opération MET est installée désormais dans les habitudes. De l’efficacité américaine…

Et il faut dire que le spectateur sort satisfait: plus cinq heures de spectacle, les entractes animés par Placido Domingo (qui était Siegmund en 2008 lors de la dernière du Ring précédent) et Joyce di Donato, des reportages sur les musiciens,des interviewes de sortie de scène des chanteurs, un long reportage sur Placido Domingo répétant Simon Boccanegra avec James Levine . Bref, une vraie machine à montrer que le MET c’est le must en matière d’opéra.Ce qui fascine dans ce type de retransmission,c’est la vitalité, le côté cool de l’ambiance induite, Placido Domingo va même jusqu’à demander aux spectateurs de faire des dons au MET pour ce programme HD. Cela amène tout de même à réfléchir sur l’avenir des opéras, et notamment des plus petites salles: si tous les grands théâtres s’y mettent, et cela semble en prendre le chemin, vu le succès de l’opération MET, les collectivités ou l’Etat n’en profiteront-ils pas pour réduire encore plus la voilure lyrique? Car rien de plus facile que de mobiliser les cinémas. Plus facile et moins cher en tous cas que de monter un spectacle et d’entretenir un opéra.

Mais rien ne remplace évidemment la respiration d’une salle, le contact physique avec les artistes, l’acoustique authentique plutôt que le son digital. Et ce soir, où le deuxième acte a été lourdement perturbé par des interruptions et de nombreux problèmes de transmission, nous avons touché du doigt les limites de l’exercice. Mais si rien ne remplace la présence au théâtre, il est clair que l’ersatz, malgré les problèmes techniques, n’est pas à mépriser, bien au contraire; car bien des impressions vécues en salle se sont vérifiées à cette seconde vision. D’abord, nous avons entendu James Levine, alors que dans la salle malheureusement, nous avions eu droit à l’assistant- à cause d’une maladie passagère du chef -. Il est vrai que les grandes lignes et l’architecture de la direction ne différaient pas, j’ai pu le vérifier ce soir, et qu’on constate les mêmes problèmes: un premier acte trop lent,  qui force les chanteurs à respirer différemment, à appuyer les notes, à tenir un tempo qui s’étire et qui ne favorise pas la montée de l’énergie et du désir, ce crescendo passionnel qui caractérise la seconde partie du premier acte. Deuxième et troisième actes sont vraiment magnifiques, avec des moments d’exception notamment l’entrée du couple Siegmund/Sieglinde au deuxième acte, la chevauchée des Walkyries avec un ensemble très bien chanté et toute la scène finale. Levine fait entendre l’orchestre, on en perçoit plein de détails. Du beau travail et une interprétation qui tout en restant sans surprise, peut satisfaire les plus exigeants. Le public du MET fait toujours, après 40ans, des ovations titanesques au chef, mais d’autres mélomanes ne le supportent pas, l’accusent de routine, et certains musiciens le critiquent également. Pour ma part, j’ai aimé ses premiers enregistrements (Vespri Siciliani, qui reste pour moi une référence), je trouve que son Wagner n’est pas aussi inventif que celui de Boulez, pas aussi lyrique qu’Abbado, pas aussi varié que Barenboim, mais c’est un travail classique, solide, très symphonique, que je préfère à celui de Thielemann par exemple.
Du point de vue du chant, on n’a que la confirmation de ce que j’écrivais dans mon précédent compte rendu (du 6 mai dernier) à savoir que vocalement, je me demande bien si on peut trouver mieux, notamment pour Westbroek, Kaufmann, Terfel, Blythe. Stéphanie Blythe est impressionnante: pur produit du MET , elle fait partie de ces chanteuses sûres, très bonnes techniciennes, formées à l’école américaine et dotée d’une voix puissante. J’aimerais l’entendre dans Verdi: elle va chanter en prise de rôle Amnéris la saison prochaine.

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Bryn Terfel  est vraiment stupéfiant de sûreté lui aussi: un chant vibrant, des aigus triomphants, une puissance rare, il distance tous les Wotan actuels. Quant à Eva Maria Westbroek et Jonas Kaufmann ils sont d’une intensité rare. S’ils n’ont pas l’urgence passionnelle d’un Peter Hoffmann et d’une Hannelore Bode (ou Jeanine Altmeyer) chez Chéreau, ou l’énergie lyrique d’un Domingo ou d’une Waltraud Meier,  ils sont sublimes de tendresse et montrent une sorte de fragilité bouleversante. Hans Peter König est un Hunding certes un peu brutal, mais en même temps humain avec une voix d’une incroyable chaleur. L’impression produite par Deborah Voigt est moins négative qu’en salle, même si le deuxième acte n’est quand même pas convaincant, son troisième acte est vraiment réussi, comme lors de la représentation à laquelle j’ai eu le bonheur d’assister. Il reste que les attitudes scéniques, les regards et certaines intonations n’emportent pas l’adhésion.

Quant à la mise en scène, si globalement je reste impressionné par la performance, mais moins convaincu des options globales de mise en scène (il y a des moments qui tirent en longueur et où il ne se passe pas grand chose), la prise de vues, qui cerne essentiellement les chanteurs, en gros plan, laisse voir des gestes, des regards, des attitudes qui montrent la précision du travail de Lepage, de manière plus évidente et plus fouillée que l’impression laissée par la représentation en salle. Mais c’est encore une fois le décor protéiforme qui stupéfie, et la vidéo accentue même quelquefois l’illusion.
L’image finale reste bouleversante.

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Voilà donc une entreprise qui va marquer sans nul doute les esprits, et la grandeur musicale incontestable de ces représentations, qui ont été un peu perturbées par des maladies diverses (Westbroek, Levine), la puissance des images à la Tolkien, tout cela va alimenter la légende du MET…et provoquer l’envie d’en voir plus la saison prochaine en novembre (Siegfried) ou en février (Götterdämmerung) ou en avril/mai (Ring complet).

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2 réflexions sur « METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2010-2011 sur grand écran, DIE WALKÜRE de R.WAGNER, le 14 mai 2011 (Dir.Mus: James LEVINE, Ms en Scène: Robert LEPAGE avec Jonas KAUFMANN, Eva Maria WESTBROEK, Deborah VOIGT et Bryn TERFEL) »

  1. On ne peut que souscrire une fois de plus aux remarques très justes et intelligentes du Wanderer, qui n’en est pas, semble-t-il, à son premier Ring ! Je n’ai pas eu la chance d’être à New York, je me suis donc contenté de la retransmission cinéma et mes impressions sont en tout point identiques. J’ajouterai quelques impressions, intuitions, entendant, il va de soi, que je ne suis pas spécialiste du Ring ni du chant wagnérien, et donc à la fois néophyte et naïf.
    – le premier acte a traîne en longueur. Là où le temps passe vite chez Boulez-Chéreau, j’ai même eu quelques moments de flottement dans l’attention au moment où la montée du désir était à son acmé dramatique tristanienne ! Pourquoi ? Les tempi, peut-être, mais aussi sans doute la présence de l’écran qui nous sépare de la vie du théâtre ! A ce propos, certains spectateurs dans la salle de cinéma applaudissaient, mais très vite, se rendant compte que ces applaudissements n’iraient pas droit au coeur des artistes, les spectateurs cessèrent de se croire à l’opéra…
    – l’acte III, pourtant passionnant, j’en dirai quelques mots, a laissé aussi pas mal de spectateurs dans les bras de Morphée…
    – la mise en scène se nourrit visiblemement de la mode heroic fantasy, inaugurée avec Peter Jackson au début des années 2000 puis prolongée par les Harry Potter et autres Narnia. Les jeunes y trouveront leur compte. Et bien souvent, c’est beau, plastiquement remarquable (la scène des avalanches rythmant le bannissement de Brunnehilde), la scène finale est anthologique, impressionnante, avec ce cerle de (faux) feu entourant la Walkyrie. Il n’en demeure pas moins qu’on aimerait parfois être davantage stimulé intellectuellement. Que nous raconte Wagner ? Un livre d’images, une légende, oui, et j’applaudis : enfin, nous arrêtons de faire du n’importe quoi et les lances sont des lances, et non des cravaches genre 3e Reich ou pire encore des Siegmund ou des Siegfried en salopette Coluche, suivez mon regard… Mais l’idéal serait d’attendre d’une mise en scène la beauté visuelle, le grand spectacle, et l’enjeu politique et sociologique du Ring, comme le fit Chéreau et d’autres. C’est pour cela que je rêve d’une adaptation cinématographique du Ring, où l’on verrait de vrais chevaux (la scène de la chevauchée de Walkyries était ridicule au Met !), du vrai feu, de vraies montagnes, des effets numériques, mais sans oublier le drame humain intimiste (rendu par le Ring de Karajan, qualifié de “chambriste” et de “drame humain”), ni la dimension universelle politique. L’oeil et l’esprit, en somme. On rêve d’une telle adaptation à la David Lean ! Mais paradoxalement, on pourrait attendre moins de facilité tape à l’oeil. La vidéo ne doit pas prendre le pas sur le théâtre !
    – en attendant, une remarque sur le cast : magnifique, éblouissant. On fait mentir les intégristes wagnérolâtres qui n’arrêtent pas de dire que depuis les années 70, on ne peut plus chanter Wagner ! On a là le plus éclatant des démentis : tout a été dit sur Kaufmann, anthologique, la Fricka de Stephanie Blythe (vite, vite, Clytemnestre !!), le Wotan divin et humain trop humain de Terfel (chant à la ligne impeccable). Puissance, engagement théâtral, capacité à faire entendre des forte et des pianissimi inouïs (Kaufmann !!), le tout servi par une diction remarquable (voulue et exigée par le Maestro Levine, selon une des chanteuses incarnant une Walkyrie). L’orchestre égale en virtuosité les phalanges européennes et germaniques. Le chef est lent, peut-être, mais il connaît bien la partition.
    – Reste Deborah Voigt en Brunnehilde… En la voyant, on a du mal à imaginer que le plus grand de tous les héros puisse tomber follement amoureux d’elle… Mimiques parfois contresens -on songe à Angela Lansbury dans Arabesque, le comble !-, voix désagréable, sans être infâmante, elle a du mal à incarner vraiment le rôle capital des opéras suivants. Il n’en demeure pas moins que je sais reconnaître un 3e acte plus assuré, parfois émouvant, et même mieux chanté. Ne désespérons donc pas trop de cette prestation, même si elle demeure le point faible la production actuelle. Qui pourrait jouer ce personnage ? J’aimerais Petra Lang ou Nina Stemme ! Au risque de faire exploser le budget !
    – Fallait-il payer 27 euros ? Sans nul doute, grâce aux interventions décontractées de Placido Domingo en maître de cérémonie ou aux interviews pétillantes d’une autre star actuelle, Joyce DiDonato. On pourra toutefois regretter l’aspect “américain” de l’ensemble, permettant même aux moins anglophones d’entre nous de comprendre que le spectacle était “amazing” (au moins 15 fois en 5 minutes), “gorgeous”, “extraordinary”… C’est souvent un bon bonus DVD auquel nous avons eu droit, avec la même impression que toute l’équipe était “fantastic” et que Jonas Kaufmann est vraiment “great”… Oui, mais il faudrait creuser un peu, donner à penser, prévoir des petits documentaires encore plus précis et analytiques sur les enjeux du Ring, la complexité philosophique de l’ensemble… On aurait ainsi avantageusement meublé les longs entractes…
    Au total, ne boudons pas notre plaisir et ne faisons pas trop la fine bouche. Certes, nous ne sommes pas le public américain (et je ne me vois pas arborer un bonnet avec des cornes viking comme la caméra l’a malicieusement fait voir dans le public du Met !!!), je ne me vois pas non plus manger du pop corn au cinéma en regardant Wagner… Mais du moins avons-nous pu entendre et voir ce qui se fait de mieux dans le chant wagnérien d’aujourd’hui et nous pouvons avoir confiance en l’avenir : c’est peut-être par le retour du spectacle et du glamour que nous pourrons rajeunir le public et parler aux jeunes générations ! Attendons donc la suite du cycle et sachons nous procurer les DVD des cycles plus anciens pour nourrir notre soif intellectuelle un peu frustrée…
    Gustav

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