OPÉRA DE LYON – SAISON LYRIQUE 2021-2022: DÉBUT DE L’ÈRE RICHARD BRUNEL

Richard Brunel ©Jean-Louis Fernandez

Pour tous les théâtres la période est noire, productions annulées, contact avec le public épisodique, et en même temps la situation contraint les équipes à réinventer une offre, à travers les streamings qui désormais inondent les plateformes. On espère donc une saison prochaine plus régulière (normale ?) que les deux précédentes. Mais le virus est un pervers…
Difficulté supplémentaire à l’Opéra de Lyon, où une nouvelle direction s’installe après un règne de 18 ans de Serge Dorny, qui a eu tout le temps de consolider un « esprit maison », une couleur et une image nationale et surtout internationale de ce théâtre.
Richard Brunel est nouveau à l’opéra et au monde musical en général, même si on lui doit quelques mises en scène lyriques, à Lyon (Le Cercle de Craie/Der Kreidekreis de Zemlinsky), Aix (Le Nozze di Figaro) ou ailleurs, mais pas nouveau dans la gestion d’un théâtre puisqu’il a été directeur de la Comédie de Valence pendant une dizaine d’années.
L’Opéra de Lyon, c’est une machine plus lourde, pas seulement financièrement, avec rythmes et esprit différents, et désormais une aura internationale, ce qui n’est pas le cas de la plupart des opéras en France, dans un contexte politique qui ne s’annonce pas vraiment facile.

Ces acquis à défendre ne constituent pas des charges mais plutôt des atouts.

  • Artistiquement, l’Opéra de Lyon est sans conteste la maison qui en France a eu des politiques artistiques au long cours cohérentes et judicieuses, Erlo-Brossmann ayant construit les racines et Dorny (qui arrivait en 2004 après une période un peu instable) fait fleurir le bel arbre. L’Opéra de Lyon est le théâtre le plus ouvert en France, avec des saisons aux thématiques réfléchies, fortement tournées vers la modernité : une maison qui respire l’intelligence.
    Le résultat, un orchestre et un chœur solides, une maîtrise de qualité, et des équipes techniques remarquables à la plasticité notable aussi bien dans les organisations que dans la disponibilité. Certes il y a eu des conflits sociaux, des hoquets, conséquence de la montée en puissance d’une politique artistique exigeante, crises de croissance en quelque sorte.
    Enfin, la présence de Daniele Rustioni à la tête de l’orchestre assure la continuité d’un niveau musical de très grande qualité.
  • Le public de l’Opéra de Lyon est l’un des plus jeunes d’Europe, et des mieux éduqués, il est disponible, a accueilli favorablement toutes sortes d’esthétiques, pour un répertoire large et diversifié, jamais complaisant, et inventif. Les racines de cette situation doivent sans doute remonter au TNP de Planchon-Chéreau, qui a donné aux spectateurs lyonnais de bonnes habitudes, relayées ensuite à l’opéra per l’équipe Erlo-Brossmann. Il y a là des lignes, solides et claires qui se sont transmises et qui dépassent les générations. La comparaison avec les autres maisons françaises est là aussi éloquente. C’est un point essentiel dont il faut tenir compte.

La maison va bien, en dépit de la crise pandémique. Et, c’est paradoxal, mais du coup Richard Brunel doit relever un défi d’autant plus difficile et les raisons en sont évidentes, il doit à la fois maintenir l’Opéra de Lyon à son niveau d’excellence actuel, tout en donnant une inflexion différente, qui correspond à son parcours, à son analyse de la situation, au contexte.

Enfin, pendant au moins deux saisons il sera difficile de lire la direction qu’il prendra, dans la mesure où bien des productions prévues ces deux dernières années ont été annulées pour cause de pandémie et reportées. Il faudra donc considérer les nouveaux projets et voir la « patte Brunel » dans quelques éléments de la programmation de la grande salle, plus peut-être dans les nouveaux projets et les idées « à côté », les pas de côté plutôt que le grand sillon.
Cette saison 1 de l’ère Brunel présente donc ce caractère hybride où  on lit quelques inflexions, tout en restant fortement (pandémie oblige) dans la ligne des années précédentes.

Voici donc les productions lyriques.

Septembre 2021  (12/09 à Lyon, Auditorium M.Ravel & 15/09 au TCE, Paris)
Jules Massenet, Manon
Patricia Petibon, Saimir Pirgu, Artur Ruciński etc…
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Dir. Daniele Rustioni

Rentrée concertante et hors les murs, poursuivant la tradition de l’opéra en concert avec une ligne Massenet qui se dessine: après Werther en 2020 (en streaming), Manon dans une distribution dominée par Patricia Petibon, une des grandes du chant en France, avec Saimir Pirgù dans Des Grieux et Artur Ruciński dans Lescaut, deux solides chanteurs. Mais pour deux représentations concertantes, et indépendamment de la qualité des artistes prévus, n’y avait-il pas de chanteurs français disponibles pour les deux rôles masculins ?

Octobre 2021 (9,11 13,15,17,19,21, 23/10)
Giuseppe Verdi, Falstaff
Christopher Purves, Juan Francesco Gatell, Stéphane Degout, Carmen Giannatasio, Daniela Barcellona, Giulia Semenzato, Antoinelle Dennefeld
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Dir. Daniele Rustioni
MeS : Barrie Kosky
Coprod : Komische Oper Berlin, Festival d’Aix-en-Provence,
Théâtre Bolchoi, San Carlo de Naples.
Nouvelle production.

Une ouverture de saison alla grande, 8 représentations de Falstaff pour marquer la réouverture, dans une coproduction internationale Berlin, Naples, Aix, Moscou et avec Barrie Kosky à la manœuvre. Cela devrait promettre un spectacle de référence.
Le spectacle aura été présenté à Aix en cet été 2021 (du 1er au 13 juillet), c’est donc une production préparée par Serge Dorny.
Des surprises agréables (Degout en Ford, Gatell en Fenton, Barcellona en Quickly), d’autres nettement moins (Giannatasio en Alice Ford) et une inconnue : Christopher Purves est un très bon chanteur, quel Falstaff sera-t-il ?
Enfin, un détail mais une surprenante erreur de relecture : j’ai lu sur le programme Théâtre du Bolchoï. Bolchoï est un adjectif : on a toujours dit et écrit même en français Théâtre Bolchoï

Novembre 2021 (6,7,9,10,12, 13/11)
Théâtre du Point du Jour
(Opéra itinérant)
Diana Soh, Zylan ne chantera plus

Monodrame pour un chanteur et trois instruments.
Livret de Yann Verburgh
MeS : Richard Brunel
Zylan : Benjamin Alunni

Voilà un projet neuf de Richard Brunel, l’opéra itinérant, comme il avait fondé à Valence la Comédie Itinérante qui allait là où les grosses productions ne pouvaient aller. Le spectacle tournera donc aussi dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Petites formes aisément transportables, petit effectif, mais de qualité (Benjamin Alunni est un ténor dont on commence à entendre parler), c’est une nécessité pour séduire le public. Reste à choisir les œuvres.
Le sujet de ce monodrame (opéra pour une voix) est rare à l’opéra, l’homophobie, dans un contexte d’aujourd’hui. Des atouts pour attirer des publics divers et montrer que l’opéra peut prendre toutes les formes possibles et s’adapter. Richard Brunel retrouve pour l’occasion son habit de metteur en scène, indice de son investissement dans le projet.
Excellente idée. À suivre.

Décembre 2021 (14, 16, 17, 18/12)
Abbott, Bissell, Adler, Ross, The Pajama Game
Au Théâtre de la Renaissance à Oullins
MeS : jean Lacornerie et Raphaël Cottin
Dir : Gérard Lecointe
Présenté en accord avec Music Theatre International (Europe) (mtishows.co.uk) et l’Agence Drama– Paris (dramaparis.com) Coproduction Théâtre de la Croix-Rousse – Lyon, Théâtre de La Renaissance – Oullins Lyon Métropole, Angers Nantes Opéra, Mahagonny-cie
Reprise pour quatre représentations de la Comédie musicale (retravaillée et redimensionnée) The Pajama Game, beau succès en décembre 2019, avec la même équipe.

Décembre 2021/Janvier 2022 (13,15, 19,21, 23, 28, 30/12, 2/01)
Händel, Le Messie
Sophie Bevan, Christine Rice, Allan Clayton, Christopher Purves
Orchestre, Chœurs, Maîtrise de l’Opéra de Lyon,
Chœur d’habitants de la ville et de la Métropole, Lyon
Dir. Stefano Montanari
MeS : Deborah Warner
(Reprise)
Reprise de la production de 2012, avec une distribution de très bon niveau, c’est le spectacle des fêtes, dirigé par l’un des tout meilleurs chefs baroques actuels en Europe, Stefano Montanari, un fidèle de la fosse lyonnaise d’où il a été en quelque sorte « lancé », et qui maintenant est invité dans tous les grands théâtres européens. Stefano Montanari est une chance qui on l’espère poursuivra sa collaboration avec Lyon.
Et puis, pour ces fêtes, une note originale : la participation d’un chœur d’habitants de Lyon (ville et métropole), voilà qui satisfera le goût pour la culture dite « participative » des édiles lyonnais actuels.
Spectacle présenté aussi au théâtre du Châtelet à Paris (entre le 19 et le 29 janvier 2022)

Janvier 2022 (15, 18, 19, 21, 22, 23/01)
Astor Piazzola, Maria de Buenos Aires
Livret d’Horacio Ferrer
Nouvelle production
Coproduction Les Nuits de Fourvière
En partenariat avec la Compagnie Circa (Australie)
Mise en scène et décors Yaron Lifschitz – Circa
Avec Wallis Giunta et Luis Alejandro Oroczo
Compagnie Circa, Orchestre de l’Opéra de Lyon, Ensemble
Negracha, Dir: Valentina Pellegi

Avec cet opéra-tango particulièrement célèbre d’Astor Piazzola, créé en 1968 et repris notamment après les années 1990 par des opéras du monde entier, Lyon fait un petit pas de côté. On verra en avance le spectacle avec un autre orchestre dans les prochaines Nuits de Fourvière (les 24, 25, 26 juin 2021) qui fêtent leur 75ème anniversaire, coproducteurs du spectacle. C’est donc une production préparée par Serge Dorny.
Juste une remarque : le spectacle eût peut-être convenu à la période des fêtes plus propice aux « pas de côtés », et le Messie, qui est une reprise, eût pu prendre place en janvier, cela semble plus logique, mais sans doute y-a-t-il derrière cette programmation ainsi organisée de très bonnes raisons d’agenda puisque c’est le Châtelet qui accueille ce Messie en janvier .


FESTIVAL « Secrets de famille »

Les deux opéras qui étaient prévus au printemps 2020 n’ont pu être présentés, le Festival 2020 étant victime du premier confinement. On verra donc Rigoletto de Verdi et Irrelohe de Schreker qu’on n’avait pas pu voir alors, mais en troisième titre, un petit (faux) nouveau Trauernacht (Nuit de deuil) venu du Festival d’Aix 2014, le beau spectacle de Katie Mitchell dont nous avions rendu compte dans ce Blog, dans la salle du Théâtre des Célestins. Ce dernier titre justifiant du changement thématique « Secrets de famille » au lieu de « « La Nuit sera rouge et noire ».

Mars-Avril 2022 (18, 20, 23, 26, 30/03, 1, 3, 5, 7/04)
Giuseppe Verdi, Rigoletto
Livret de Francesco Maria Piave
Dalibor Jenis, Enea Scala, Nina Minasyan etc…
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Dir. Daniele Rustioni
MeS : Axel Ranisch

De la distribution 2020, seule Gilda (Nina Minasyan) a survécu, mais Roberto Frontali sans doute le meilleur Rigoletto aujourd’hui (Rigoletto prévu en 2020) est remplacé par le pâle Dalibor Jenis. Si c’est un problème d’agenda, on n’y peut rien, si c’est un choix, c’est une grosse bêtise. Quant au Duc, c’est Enea Scala, une garantie.
Mais l’intérêt sera sans doute la première mise en scène en France d’Axel Ranisch, jeune metteur en scène déjà très remarqué par ses travaux, dont une excellente production munichoise de Orlando Paladino. Un des grands réservoirs à idées de la scène d’aujourd’hui.

Mars-Avril 2022 (19, 22, 25, 27, 29/03, 2/04)
Franz Schreker, Irrelohe
Tobias Hächler, Piotr Micinski, Ambur Braid etc…
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Dir. Bernard Kontarski
MeS : David Bösch
Voici ce que nous écrivions dans la présentation de la saison 2019/2020, quand nous étions loin d’imaginer la catastrophe qui allait s’abattre :
« Voilà la grande inconnue du Festival, un opéra de Schreker, c’est déjà rare, même si on le connaît mieux désormais et notamment Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) déjà vu à Lyon en 2015. Irrelohe, créé à Cologne en 1924 par Otto Klemperer est une partition complexe qui n’a pu se maintenir au répertoire, même s’il en existe deux enregistrements et puis Schreker, devenu un « dégénéré » sous le nazisme a été victime de l’histoire et ses œuvres ont peu survécu à la guerre. Irrelohe néanmoins a été récemment repris à Bonn (2010) et Kaiserslautern (2015). La production lyonnaise est une création française. L’œuvre dont le titre signifie « Les flammes folles » est une histoire qui ressemble au Trouvère de Verdi et qui finit aussi dans les flammes.
C’est David Bösch, désormais l’une des références de la mise en scène d’aujourd’hui en Allemagne, (on lui doit Simon Boccanegra à Lyon et aussi Les stigmatisés ), qui assurera aussi celle d’Irrelohe, créant ainsi un fil d’une œuvre de Schreker à l’autre, et la direction sera assurée par Bernhard Kontarsky, connu à Lyon depuis longtemps, un des très grands spécialiste des œuvres du XXe siècle. Dans la distribution, les lyonnais retrouveront Piotr Micinsky, qui a triomphé dans Masetto du dernier Don Giovanni et surtout dans l’Enchanteresse où il jouait le rôle de Mamyrov, le méchant.
Serge Dorny renouvelle autour de Schreker l’opération qui a conduit L’Enchanteresse au succès. Mais David Bösch est un metteur en scène un peu plus sage que Zholdak… »
Il nous reste donc à redécouvrir ce Schreker , chef d’œuvre inconnu.


Mars-Avril 2022 (19, 20, 22, 23, 25, 26, 27/03)
Jean-Sébastien Bach, Trauernacht (Nuit funèbre)
Extraits des cantates de Johann Sebastian Bach
(BWV 60, 46, 82, 90, 127, 146, 159, 169, 668)
Reprise de la production du Festival d’Aix‑en‑Provence de 2014
Coproduction Festival d’Aix-en-Provence, Dutch National
Opera Amsterdam, Opéra national de Bordeaux,
Fondation Gulbenkian. Avec le soutien de ENOA
(ENOA bénéficie du Programme Culture de l’Union Européenne)Coproduction MC2 de Grenoble
Coréalisation Les Célestins, Théâtre de Lyon

Ensemble de jeunes artistes choisis par Raphaël Pichon
Orchestre de l’Opéra de Lyon
MeS : Katie Mitchell

Beau spectacle, très simple, construit autour de Jean Sébastien Bach, qui traite des étapes du deuil, et notamment du deuil familial. On le reverra avec plaisir.
Spectacle présenté aussi à la MC2 de Grenoble (3 et 4 mars 2022) et à La Comédie de Clermont Ferrand (29 mars 2022).

Avril 2022 (9, 10, 13, 19,20/04)
Engelbert Humperdinck/Sergio Menozzi, Gretel, Hänsel

Conte musical en trois tableaux
Opéra d’après Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck
Adaptation francaise d’Henri-Alexis Baatsch
et Sergio Menozzi,
Création à Lyon le 14 déccembre 1995
Nouvelle production
Coproduction Théâtre de La Renaissance – Oullins
Lyon Métropole.
Au théâtre de la Renaissance à Oullins

Là encore c’est une reprogrammation de ce qui était programmé en avril 2020, dont nous écrivions : « L’œuvre de Engelbert Humperdinck, adaptée par Sergio Menazzi est présentée hors les murs (après le mois de Festival, l’opéra se repose un peu et abrite les répétitions de la création mondiale du mois de mai) .C’est une production où la Maîtrise de l’Opéra de Lyon joue un rôle déterminant et l’orchestre sera donc dirigé par sa responsable artistique Karine Locatelli, avec des solistes du Studio de l’OpéraLa production est confiée à Samuel Achache, Molière 2013 du spectacle musical, membre du collectif artistique de la Comédie de Valence, un metteur en scène qui aime particulièrement le théâtre musical. »

Mai 2022 (2,4,6,8,10,12/05)
Thierry Escaich, Shirine
Livret de Atiq Rahimi.
Hélène Guimette, Julien Behr, Jean Sébastien Bou etc…
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Dir. Martyn Brabbins
MeS: Richard Brunel

Reprogrammation de la création de Thierry Escaich, prévue en mai 2020. Nous écrivions (les protagonistes n’ont pas changé) :
« » C’est la deuxième création mondiale à Lyon de Thierry Escaich après Claude (livret de Robert Badinter) en 2013. C’est le poète perse Nizami Ganjavi qui a inspiré le librettiste Atiq Rahimi (Prix Goncourt 2008). Shirine raconte une histoire d’amour impossible entre le Roi de Perse Khosrow et Shirine, une princesse chrétienne d’Arménie. On perçoit immédiatement les échos que pareille histoire peut avoir aujourd’hui.
La direction en est confiée à Martyn Brabbins, grand spécialiste du XXe siècle qu’on a déjà vu dans la fosse de l’Opéra de Lyon (L’Enfant et les sortilèges de Ravel, Der Zwerg de Zemlinsky, Cœur de chien de Raskatov), et la mise en scène sera assurée par Richard Brunel (qui a fait aussi à Lyon en 2012 L’Empereur d’Atlantis ou le Refus de la Mort de Victor Ullmann et en 2018 Le Cercle de Craie de Zemlinsky) . Dans la distribution, des chanteurs francophones très valeureux, Julien Behr, Hélène Guilmette, Jean-Sébastien Bou (qui chantait Claude dans l’opéra précédent d’Escaich) et Laurent Alvaro. 

Juin 2022 (4,5,7,8,10,11,13/06)
Edvard Grieg, Peer Gynt
Drame poétique en musique

D’après la pièce d’Henrik Ibsen
Nouvelle production.
Jérémy Lopez (Acteur, sociétaire de la Comédie Française), Martine Schambacher, Jean-Philippe Salerio etc…

Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Dir. Elena Schwarz
MeS : Angélique Clairand

La dernière production de la saison porte aussi la « patte » Brunel : Angélique Clairand dirige avec Eric Massé le théâtre du Point du Jour à Lyon et ils furent très soutenus par la Comédie de Valence de Richard Brunel, et membres actifs du collectif artistique. C’est une production fortement marquée par le paysage théâtral lyonnais (et brunélien).
La jeune cheffe Elena Schwarz est d’origine australienne et suisse, elle a été formée à la Haute École de musique de Genève. Elle se fait vite remarquer notamment pour des créations contemporaines. C’est donc une équipe féminine qui va clore la saison, dans un spectacle hybride théâtre et musique autour d’Ibsen, qu’Angélique Clairand avait déjà mis en scène en 2009 avec Didier Sandre.
Comme on le constate, on devine une ligne « territoriale » qui sera sans doute une direction du travail de Richard Brunel, originaire lui-même de la région, et qui tient à asseoir son action sur le territoire en faisant appel à ses talents, mais aussi en essayant de présenter des spectacles dans la région, même à dose réduite pour l’instant.
Enfin, notons une curiosité parmi les trois concerts prévus et non encore complètement distribués:
– un concert “Shakespeare” avec au programme Tchaïkovski/Mendelssohn (on devine aisément quelles œuvres se profilent), le 24 octobre
– un concert de musique française (Messiaen, Chausson, Satie, Debussy) intitulé “De l’amour, de la mer”, le 28 novembre 2021.
– Et un concert “Tristan”, de deux heures avec entracte, qu’on suppose être un “digest” des grands moments avec … Michael Spyres (Tristan) Ausrine Stundyte (Isolde), Tanja Ariane Baumgartner (Brangäne), Stephan Cerny (qui chantait Titurel dans le dernier Parsifal de Vienne) le 13 février 2022.
Le tout dirigé par Daniele Rustioni, avec l’Orchestre de l’Opéra de Lyon.
D’abord on aimerait que la programme indique les œuvres avec plus de précision (même si on les devine).
Pour ce concert Tristan qui agite déjà les amateurs, on suppose que c’est un “galop d’essai” pour les deux protagonistes dans une salle pas trop vaste avec pour l’essentiel l’acte II et la Liebestod (pourrait-il en être autrement?). On aurait pu, vu les circonstances, profiter pour offrir  un Tristan dans une version avec orchestre sur instruments d’époque du type orchestre révolutionnaire et romantique, qui aurait été une expérience originale. Qu’importe, on se battra pour avoir des places de toute manière.

Vu les conditions qui ont procédé à la construction de la saison avec ses nombreuses reprogrammations de 2020, mais aussi un certain nombre de reprises, on sent en arrière-plan la prudence devant un futur dont la Pandémie à appris à se méfier, entre l’espoir que les vaccins éloignent le virus, et la crainte que des variants ne nous contraignent à nouveau, mieux vaut dans ce cas bâtir avec prudence : peu de frais de nouvelles productions lourdes cette saison (vu qu’elles ont toutes ou presque été préparées la saison dernière), peu de risques. On rentre à pas mesurés dans la normalité escomptée.
Bienvenue à Richard Brunel, en espérant qu’il réussira assez vite à profiler des saisons qui correspondent à ses réflexions et ses rêves, et que le contexte politique local soit pour lui un soutien.

 

L’Opéra de Lyon

OPÉRA DE LYON 2012-2013 : CAPRICCIO de Richard STRAUSS le 11 MAI 2013 (Dir.mus: Bernhard KONTARSKY, mise en scène: David MARTON)

Le décor © Jean-Pierre Maurin

Capriccio n’est pas le moins connu des opéras de Strauss, mais point non plus des plus populaires et ce n’est que depuis ces dernières années qu’on commence à le revoir sur les scènes européennes. Ma première fois fut à Bologne, dans une très belle mise en scène de Luca Ronconi, en version italienne avec Raina Kabaivanska et dirigé par…Christian Thielemann en état de grâce, à l’époque où il était un espoir de la baguette. Imaginer Thielemann diriger en italien un Strauss avec la Kabaivanska (qui a l’époque chantait, en italien aussi, Janacek – l’Affaire Makropoulos – toujours avec Ronconi, mais à Turin), cela ne laisse d’étonner; mais c’est ainsi, et c’était ma foi très beau, d’autant que  Luca Ronconi , qui est rappelons-le, l’un des plus grands metteurs en scènes de la fin du XXème siècle (Orlando Furioso aux Halles Baltard, Orestie à la Sorbonne, Les derniers jours de l’humanité au Lingotto de Turin etc.. etc..) s’y entend en matière de théâtre dans le théâtre.
J’ai aussi vu une production de Marco Arturo Marelli à la Staatsoper de Vienne, assez jolie, mais très illustrative dans un joli décor transparent,  avec Renée Fleming et une excellente distribution (Hawlata, Eröd, Kirschlager), dirigée par Philippe Jordan avant son arrivée à Paris.  J’ai renoncé à la  dernière production parisienne, parce que Robert Carsen en déclinaison multiple me fatigue désormais, et que je n’ai pas de particulière attirance pour la pâle Michaela Kaune en Madeleine et malgré une distribution par ailleurs bien construite.

Le livret est signé Clemens Krauss et Richard Strauss, et la création a eu lieu en novembre 1942 à Munich, avec Viorica Ursuleac, l’épouse de Clemens Krauss.
L’action de cette “conversation en musique” consiste en une discussion passionnée où le poète Olivier et le musicien Flamand discutent et disputent au moment de la polémique entre Piccinistes et Gluckistes devant un directeur d’opéra qui prône avant tout “le spectacle”. La Comtesse arbitre entre l’un (Olivier) qui défend la suprématie des paroles dans l’opéra et l’autre (Flamand) qui défend celle de la musique. et en même temps essaie de choisir entre l’amour de l’un et l’amour de l’autre. Rien ne sera décidé à la fin, sinon de faire un opéra sur la discussion passionnée qui s’est développée.
L’œuvre, considérée comme une sorte de testament de Strauss, qui pose la question irrésolue des paroles et de la musique,  mais surtout celle du théâtre et de l’opéra est une grande réussite, qui rappelle par certains aspects Ariane à Naxos; certains la trouvent  longuette, sans intérêt sinon pour la scène finale: de fait, il faut une certaine maestria pour éveiller l’intérêt du public autour d’une conversation aussi théorique et remuant tous les débats autour de l’opéra, après Wagner, Debussy et Berg. Mais, et après la représentation de Lyon encore plus, Capriccio tient la distance et en dépit de quelques spectateurs (deux ou trois) sortis avant la fin, le public présent, rempli de jeunes comme d’habitude, et notamment en ce week-end de “Tous à l’Opéra”, a fait un bel accueil à la production.
D’ailleurs, la salle de Lyon convient bien à cette œuvre relativement intimiste, par son rapport rapproché à la scène, par son ambiance noir, rouge et or, qui souligne aussi les couleurs de l’opéra.
Au théâtre, dans les constructions en abyme se pose immédiatement la question de la place du spectateur et du point de vue qu’on lui assigne. La lampe initiale, descendue des cintres pendant que l’orchestre joue le sextuor qui sert d’ouverture et qui rappelle tant les premières mesures d’Ariane à Naxos, donne une manière de réponse. Le public est part du jeu, et ce à quoi il va assister est bien la re-présentation de Capriccio, c’est à dire l’opéra composé pour l’anniversaire de Madeleine, et non sa genèse. Et dès le lever de rideau, le décor monumental et magnifique du danois Christian Friedländer installe la représentation dans toute sa complexité: un théâtre en coupe (inspiré par la maquette du Palais Garnier au Musée d’Orsay),  comme on en voit dans les manuels d’architecture du XVIIIème, salle, fosse, loges, scènes, coulisses et dessous, permettant de jouer, éclairages aidant, sur les fonctions de chaque lieu, sur le sens des regroupements, sur scène, derrière la scène, sous la scène, dans la salle, dans les loges dans une sorte de faux réalisme ou d’hyperréalisme fantasmé.
Toute la mise en scène de David Marton, metteur en scène hongrois de 37 ans installé à Berlin , qui est aussi musicien, est un travail sur la représentation et ses ambigüités, ses aspects spéculaires, mais aussi sur le contexte de la création de l’œuvre, en pleine guerre, en 1942, et sur l’apparente vacuité du débat qui agite le petit cénacle quand la barbarie s’étend sur l’Europe.
Le théâtre permet un jeu sur les époques, la Comtesse et le Comte sont en habits XVIIIème, pendant que les acteurs et les autres personnages sont en habits contemporains (de 1942): qui dès lors est en représentation? Ceux qui font le débat ou ceux qui y assistent? La comtesse ou le comte (frère et sœur d’une singulière familiarité, presque un couple) ou les autres? C’est qu’au théâtre, les choses se mélangent, les temps se mélangent et tout est en suspens:  toute question y reste  sans réponse.
Beaucoup de jeu spéculaire aussi entre Flamand et Olivier: le rideau s’ouvre comme s’ils se regardaient au miroir, même gestes symétriques, mêmes attitudes… un jeu qui se reproduira avec Madeleine et son double vieilli dans la scène finale qui rappelle un peu la Maréchale du Rosenkavalier se regardant vieillir. Encore une fois, pas de temps dilaté au théâtre, mais un temps concentré, ou suspendu, comme ces trois danseuses qu’on voit tour à tour surgir aux trois âges de la vie (magnifique moment), et tout  espace est espace de théâtre, comme lorsque Flamand sur scène déclare sa flamme en représentation au serviteur venu porter le chocolat, assis sur la bergère, comme si le serviteur figurait la comtesse alors qu’il est en train de se déclarer et donc qu’il est théoriquement dans l’absolue sincérité, et dans l’expression la plus directe.
Les spectateurs que nous sommes avons œil sur tous les espaces, devant et derrière les rideaux (des bandes clinquantes écarlates). Si l’action est en salle,  sur scène des personnages s’activent en coulisse ou se font contrôler et enregistrer derrière un paravent ou s’éloignent en cortège entre deux rideaux.

Conversation..en salle © Jean-Pierre Maurin

Dans la salle, les personnages eux-mêmes s’organisent en groupe selon les besoins ou les significations: assis dans les gradins, ou disposés en cercle face au public pour discuter “hors jeu” ou occupant les places dans la fosse, la place du chef étant la plus ambitionnée.
Et l’action des personnages sur scène s’accompagne toujours de mise en représentation, la table du buffet est une somptueuse table de théâtre, on s’assied pour discuter et l’on est bientôt entouré de plantes qui composent comme un tableau.

Conversation…en scène © Jean-Pierre Maurin

Et tous les arts sont convoqués, la poésie par ses moments parlés, la musique avec le beau moment de musique de chambre initial, mais Olivier l’écrivain joue aussi du violon (la mise en scène profitant de la formation d’alto du chanteur Lauri Vasar qui joue vraiment), la danse aussi dont on ne débat pas, mais qui place le corps au centre et qui ne peut vivre sans la musique: tout est motif pour mélanger les genres, pour montrer que le théâtre est le lieu de tous les possibles et surtout lieu de synthèse..
Le fait même que le décor ne soit pas un théâtre, mais une maquette de théâtre, bien inscrite dans le temps et s’insérant dans l’espace très contemporain de l’opéra de Lyon renvoie les personnages eux-mêmes à l’état d’automates, ou de figurines telles qu’on en voit dans les maquettes: on est bien dans une représentation d’images.
Enfin, évoquant l’époque sans appuyer, David Marton fait du souffleur, Monsieur Taupe (le bien nommé) une sorte de regard presque extérieur, l’espion (de la Gestapo?), celui qui, invisible, fait,  avec son petit bloc notes, de l’ensemble un objet à consigner, de chacun un être à surveiller; alors regarde-t-on aussi autrement ces personnages qui apparaissent et disparaissent des loges, ces regards discrets-indiscrets qui en silence, observent ce qui se construit: faire un opéra en 1942 n’est pas vraiment ordinaire, et les sorties de La Roche sur la notion de spectacle, les allusions dans les lettres de Strauss sur l’opérette à la Lehar, c’est à dire sur les manières d’endormir l’esprit le public ne peuvent être des hasards.
Enfin, on sent par ailleurs que David Marton a été à l’école de Frank Carstorf, quand il insère çà ou là des moments suspendus, comme des incises (passage de la jeune danseuse qui sautille en marmonnant une sorte de comptine) ou quand il se plaint dans une interview (au Progrès de Lyon) de ne pas pouvoir intervenir sur la musique. Mais ce travail reste très scrupuleux dans la manière de suivre la musique et de souligner combien les formes multiples de jeu accompagnent la forme musicale qui elle-même essaie de revenir sur toutes les formes utilisées dans l’opéra en général et dans les opéras de Strauss en particulier: on a des ensembles, des airs, des trios, des moments a capella, des “concertati” notamment à la fin, et de plus en plus nombreux, qui miment l’agitation de la discussion, on a aussi l’intervention du chant italien, comme dans Rosenkavalier, avec ses ornements et sa manière de cultiver la forme pour la forme avec les excellents Elena Galitskaya (vraiment remarquable) et le jeune Dmitry Ivanchey, c’est à dire un florilège puisant dans toute la tradition lyrique.Par ailleurs comment dans cette conversation en musique ne pas voir l’influence des approches nouvelles de l’opéra au XXème et  de l’école de Vienne. On entend bien sûr tout le parcours de Strauss, mais aussi de manière incidente, on entend Meistersinger,  tout le débat wagnérien et partant tous les débats musicaux du début du siècle. On joue en permanence avec l’histoire du genre, comme pour un bilan en forme de point final.
Alors oui, on est bien face à une œuvre complexe, qui pose un problème presque irrésolu à l’opéra: comment représenter  la philosophie ou l’abstraction dans un art où l’émotion naît de l’expression directe des sentiments, où la simplification des caractères est presque un donné initial. David Marton a réussi à combiner les deux, en faisant vivre le théâtre, en variant les approches, en travaillant avec beaucoup d’attention sur les personnages, en glissant des moments désopilants comme par exemple les chanteurs italiens se goinfrant sur la table des friandises dès que leur air acrobatique (et tragique) est terminé, ou en variant l’espace de jeu: l’un des moments les plus réussis est à ce titre la discussion qui peut à peu noie les personnages dans la verdure des plantes apportées au fur et à mesure pour composer sur scène une sorte de jardin d’hiver qui à la fois prépare la scène finale, et dans lequel les domestiques commentent ce qui vient de se passer. La philosophie étouffée dans le décor, noyée dans une nature  composée, renvoyée à l’artifice qui est la vérité du théâtre.

Emily Magee dans la scène finale © Jean-Pierre Maurin

Car toute la dernière scène (si fameuse et si attendue) fait  de ce décor un espace totalement onirique, avec sa scène devenue jardin d’hiver, son théâtre éclairé par la lune et une comtesse vêtue d’un habit d’intérieur doré (qu’un film américain de l’époque ne démentirait pas), comme un personnage hors temps, comme transfigurée, comme une vraie tenue “de scène”, qui va entrer en théâtre plutôt qu’entrer en vie.
Car l’intrigue amoureuse, présente pour essayer de donner vie et souffle au débat théorique, métaphore du choix entre parole et musique, ne va pas se résoudre, bien que la Comtesse, penche probablement pour la musique, malgré la beauté des vers d’Olivier (qui sont en réalité de Ronsard, Continuation des Amours 121). Mais peut-on mettre en parallèle les choix de vie que sont les choix de l’amour et les choix intellectuels ou artistiques ?
L’art lyrique, qui est tresse dialectique infinie des paroles et de la musique n’est pas un non choix, c’est une synthèse supérieure qui va se projeter dans un autre espace figuré par la scène finale, la seule vraie scène d’opéra de l’œuvre, comme si l’opéra naissait d’un constat aporétique, d’une impossibilité structurelle de dire qui domine qui.
Ce débat là, la comtesse le résout au niveau personnel en devenant “personnage d’opéra”, qui voit défiler sa vie figurée par ces trois danseuses, la très jeune qui s’exerce, la danseuse qui dans une loge se fait servir le chocolat comme la comtesse au début de l’œuvre, et la plus vieille qui dirige seule la musique (tout comme on a vu aussi la comtesse) dans une salle vide,  pour l’éternité,  avec au dessus-d’elle la fidèle lampe de théâtre qui éclairait le début du spectacle, un personnage d’opéra qui entre au pays de l’art, des synthèses, de la transfiguration et qui décide de ne pas choisir,  tout choix étant décision strictement humaine.
A ce travail exceptionnel, tout en finesse et en intelligence, avec un sens accompli du geste théâtral , et qui nous fait découvrir un autre metteur en scène hongrois de poids après Arpad Schilling, correspond une distribution solide et particulièrement engagée aux côtés du metteur en scène et de son propos.

Victor von Halem © Jean-Pierre Maurin

La basse Victor von Halem, 73 ans, a parcouru les quarante dernières années du siècle aux côtés des plus grands chefs, à commencer par Karajan, il fut une basse de référence sans être une star. On l’a vu dans tous les grands théâtres d’Europe. Les voix de basse résistent mieux au temps que les autres types vocaux. Par ailleurs, La Roche est un de ces personnages qui exigent d’abord une présence, un jeu, une personnalité, comme le montre son grand monologue-plaidoyer de la scène IX “holà, ihr Streiter in Apoll!”. Incontestablement, la voix est fatiguée, aigus difficiles, quelques moments opaques, mais l’énergie est intacte, la profondeur encore impressionnante, et surtout, un sens du phrasé particulièrement aigu. A Vienne, c’était Franz Hawlata qui aura tous les défauts du monde, sauf que c’est un acteur, un diseur exceptionnel pour un rôle qui n’est pas sans rappeler par certains aspects Hans Sachs. Grand moment de théâtre, grand moment d’admiration pour un chanteur qui fut l’un des piliers du théâtre lyrique.
Le comte de Christoph Pohl est très fluide, très engagé, très présent aussi. Ce baryton, rompu au travail  de troupe (il appartient à l’ensemble du Semperoper) présente des qualités théâtrales de diction notables et un beau timbre. Et dans cette “conversation”, la diction est primordiale.
Michaela Selinger est un mezzo qui a travaillé tous les grands rôles de mezzo et de travesti du répertoire allemand, d’Orlofsky à Oktavian. On remarque immédiatement à la fois sa présence vocale et la qualité de la diction, elle compose une Clairon d’une grande justesse, et montre une belle personnalité scénique.
Lothar Odinius (Flamand) est un ténor peut-être moins à l’aise en scène, un peu raide, plus distant, mais admirable de justesse et d’élégance dans le chant. Je l’avais déjà remarqué à Bayreuth dans Tannhäuser (où il chantait remarquablement Walther von der Vogelweide): diction impeccable, voire modèle, technique et contrôle sur la voix sans reproches, aigus bien préparés et sûrs. Voilà un ténor qui est un Belmonte, un Tamino et sûrement un futur Lohengrin: c’est pour ma part avec l’Olivier de Lauri Vasar, le plus convaincant du plateau.
Justement, Lauri Vasar est une vraie découverte, après son magnifique Prigioniero le mois dernier. C’est un musicien (c’est d’ailleurs un altiste confirmé), doué d’une belle musicalité et d’un sens marqué du phrasé , son engagement scénique, sa présence en tant que personnage, sa manière de diffuser l’émotion, mais aussi sa diction et son expressivité en font un authentique espoir du chant. Remarquable.
Comme dans les bonnes maisons d’opéra, un soin est apporté aux rôles moins importants, tous très bien tenus: on a évoqué les chanteurs italiens plus haut, il faut aussi nommer le majordome de Christian Oldenburg, à la voix chaude et contrôlée.
Reste Emily Magee. Inutile de partir dans des comparaisons hasardeuses dans un rôle qui fut d’Elisabeth Schwartzkopf et de Gundula Janowitz. Emily Magee est aujourd’hui une des  chanteuses qu’on voit sur toutes les grandes scènes, on l’ a vue aussi à Bayreuth, et c’est une chance que l’Opéra de Lyon ait pu l’engager pour ce Capriccio où elle ne démérite pas sans être exceptionnelle.
Je me souviens de son engagement dans l’Impératrice de Die Frau ohne Schatten à la Scala, mais aussi des limites d’une voix qu’on perçoit ici, avec des aigus tirés proches du cri, des stridences et une voix sans la rondeur voulue pour le rôle. On aime dans Strauss, non les voix dites “crémeuses” (expression détestable) à la Fleming (qui reste une très belle Madeleine), mais tout en étant énergiques, plus lyriques, plus rondes, plus charmeuses. Rien de cela ici: la voix reste un peu métallique et trop tendue, et ne réussit pas à instiller le charme inhérent à toute héroïne straussienne. Il faut attendre Anja Harteros, la Maréchale d’aujourd’hui, dans un rôle qui devrait lui aller comme un gant.
Malgré cette déception, Emily Magee compose un personnage très juste, très vif, très présent, ce qui compense un peu les problèmes du chant.
Du point de vue de la direction musicale, Bernard Kontarsky n’en peut mais d’une acoustique lyonnaise toujours sèche, qui ne convient jamais aux épanchements lyriques. Sa direction est analytique, elle est celle d’un expert du répertoire de cette époque, de Berg à Schoenberg, en passant par Hindemith. C’est très réussi au départ, lors du sextuor initial d’une grande clarté, c’est moins réussi dans la partie finale, où l’on demande peut-être à l’orchestre moins d’aspérités et plus d’épaisseur, de douceur et de lyrisme. A ce niveau, on a l’impression que la voix d’Emily Magee et l’orchestre de Bernard Kontarsky ont les mêmes qualités et défauts. Il reste que le son obtenu n’est pas toujours ce qu’on attend dans Strauss, même si la prestation d’ensemble reste honorable, particulièrement dans les parties d’ensemble de conversation les plus agitées, où l’accompagnement orchestral est particulièrement vif et attentif.
Au total, on ne peut que conseiller d’aller voir ce spectacle, qui est une pierre miliaire en matière de réalisation théâtrale et qui est particulièrement bien préparé musicalement avec une compagnie de qualité, très homogène et engagée. Cette production va aller à Bruxelles puisqu’il y a coproduction, mais on aimerait qu’elle revienne à Lyon et qu’elle soit reprise, elle est encore une preuve que c’est avec justice que Lyon a été classé par le jury des Opéras Awards parmi les 4 meilleurs opéras du monde. [wpsr_facebook]

Saluts