BUDAPEST – PALAIS DES ARTS 2010-2011 : LOHENGRIN de Richard WAGNER (Dir.mus: Adam FISCHER) le 12 JUIN 2011

Le Festival Wagner de Budapest dirigé par Adam Fischer, a désormais pignon sur rue. Il entraîne un public nombreux, et notamment beaucoup d’autrichiens, attirés par la qualité musicale des productions. Quand le soleil s’en mêle, sur fond de Danube, la fête est totale, calquée sur  les rites, sinon les rythmes, du Festival de Bayreuth. Depuis quelques années, Adam Fischer présente chaque année une production nouvelle, en alternance avec les productions des années précédentes, ce fut d’abord Parsifal, puis le Ring, puis Tristan. C’est cette année Lohengrin, en alternance avec Tristan et Parsifal. Ce sera l’an prochain Tannhäuser, en alternance avec le Ring.
Ce 12 juin, on peut dire que ce fut un Lohengrin en état de grâce, ce qui au fond convient bien au personnage…
Les conditions de production sont particulières: le Palais des Arts est une salle de concert dont l’espace scénique est aménageable, et qui a une fosse. Ce qui veut dire qu’on y donne essentiellement des concerts, mais qu’on peut y voir aussi des ballets, et aussi des opéras. Les productions doivent tenir compte des particularités du lieu: décors à combiner avec l’architecture de la salle, utilisation fréquente de la vidéo, pas de dégagements, pas de profondeur, mais des contraintes d’utilisation (en hauteur, on utilise les balcons de l’auditorium par exemple), et les décors sont adaptés autant que faire se peut au décor de la salle, ce fut le cas l’an dernier, c’est encore le cas cette année dans une production signée László Marton, assez sage, qui représente un monde militarisé (en uniformes bien connus des ex-pays de l’Est) que l’arrivée de Lohengrin démilitarise (chemises aux couleurs criardes). Rien de révolutionnaire dans cette vision, mais la production a l’avantage (par rapport à celle de Tristan l’an dernier) d’être lisible et esthétiquement assez propre (belle entrée d’Elsa, de la salle, en voile noir par exemple). Mais ce qui frappe d’emblée c’est la qualité imprimée par les choix musicaux: l’orchestre est remarquable de netteté, de finesse, de dynamique. La direction d’Adam Fischer est très équilibrée, laissant se développer le son et le symphonisme, faisant bien apparaître tous les pupitres, isolant les cuivres au deuxième balcon, ce qui élargit l’espace sonore. Il y a des moments proprement impressionnants (final du deuxième acte, d’une belle tension avec l’utilisation somptueuse du grand orgue de la salle!). Cela confirme l’opinion que j’ai depuis longtemps d’Adam Fischer, un chef un peu négligé quelquefois notamment en France, qui  a d’éminentes qualités de raffinement et d’intelligence musicale, très classique dans son approche mais toujours impeccable. En tout cas ce soir, ce fut tout simplement grandiose.
Grandiose aussi grâce à la distribution réunie, faite de chanteurs hongrois et de grandes vedettes internationales. Burkhard Fritz, prévu à l’origine en Lohengrin, a été remplacé par un ténor hongrois en troupe à Mannheim, vraiment remarquable de technique, faisant des mezze voci inhabituelles, modulant à l’extrême son chant,  avec une belle puissance et un beau volume.

 


Photo: Zsuzsa Pető
Source: Palace of Arts – Budapest

Son nom, István Kovácshazi est à retenir. La mise en scène en fait une sorte de professeur nimbus, étudiant attardé, petites lunettes fines, chemise blanche, gilet noir porteur d’un étui à violon (les violons du paradis?). Au total très convaincant. Lui répond une Elsa de luxe, la finnoise Camilla Nylund, voix solide, très dominée, quelquefois un peu froide, qui compose un personnage un peu perdu, un peu “ailleurs” elle aussi, avec de très beaux moments au premier et deuxième acte, la voix est étendue et sûre: elle n’a pas de vrai caractère, et c’est dommage, mais l’ensemble est de très haut niveau.

Photo: Zsuzsa Pető
Source: Palace of Arts – Budapest

Face à ce beau couple, celui, tout à fait extraordinaire, du Telramund de Béla Perencz et de l’Ortrud incroyable de Petra Lang. Béla Perencz, membre de la troupe de l’opéra de Budapest, compose un Telramund intense, puissant, avec de très réelles qualités de diction et d’émission et Petra Lang est d’une intensité, d’une violence, et d’une puissance proprement ahurissantes: je ne sais si j’ai déjà entendu pareille Ortrud, sans doute encore plus impressionnante que Waltraud Meier, ou en son temps à Bayreuth, d’Elisabeth Connell. On l’entendra à Bayreuth cet été dans Ortrud, j’avais exprimé ma déception de voir disparaître Herlitzius de la distribution,mais devant ce que j’ai entendu là, tout doute est effacé: Petra Lang  devrait être l’ouragan attendu à Bayreuth: elle remporte un triomphe mérité, et impose un personnage presque définitif, le final est à ce titre inoubliable.
Des deux autres protagonistes, le héraut de Michael Nagy avec son très beau timbre chaleureux, sa puissance, ses qualités de diction surnage, voilà  qui excite la curiosité devant son prochain Wolfram à Bayreuth.


Photo: Zsuzsa Pető
Source: Palace of Arts – Budapest

Quant à Alfred Muff, la voix a évidemment un peu vieilli et il éprouve quelques difficultés (puissance), mais le travail sur le texte, la dignité de la prestation scénique, la noblesse de la voix restent convaincantes.
Ce fut donc un Lohengrin anthologique, une des grandes représentations de cette oeuvre, sans doute une des meilleures soirées Wagner entendues à Budapest. Vaut le voyage, allez!

Photo: Zsuzsa Pető
Source: Palace of Arts – Budapest

 

PALAIS DES ARTS DE BUDAPEST 2010-2011: GERGELY BOGANYI INTERPRÈTE L’INTÉGRALE DE L’OEUVRE POUR PIANO DE F.CHOPIN EN UN WEEK END ET DIX CONCERTS

200px-boganyi_gergely_april_2009.1291331225.jpgUne folie? Pourquoi pas? Pour célébrer Chopin à l’occasion de son bicentenaire, le palais des Arts de Budapest, la salle de concert moderne dont la capitale hongroise s’est dotée  il y a quelques années dans un quartier en complète restructuration au Sud de la ville le long du Danube proposait en un week end un véritable marathon pianistique, l’intégrale de l’oeuvre pour pinao soliste de Chopin confiée à un pianiste de 36 ans, célèbre en Hongrie, Gergely Boganyi. Ainsi se sont succédés 10 concerts d”une heure trente ou deux heures (mais alors avec entracte) séparés les uns des autres par trente minutes de repos (sauf le samedi où public et pianiste ont pu souffler trois heures l’après midi, et deux heures le dimanche). le public qui avait choisi d’écouter les dix concerts était donc à pied d’oeuvre de 10h à 22h environ.

Chopin valait-il cette messe? Evidemment oui, puisqu’à mon retour chez moi je me suis mis à sortir de ma discothèque tous les disques de Chopin (Rubinstein, Horowitz, Ashkenazy, Nat et d’autres), c’est donc que loin de me rendre pour longtemps hermétique à cette musique, cette expérience a au contraire réveillé ma curiosité, pour réentendre telle ou telle oeuvre, pour retrouver d’autres styles dans l’oreille.

boganyirec.1291335427.jpgGergely Boganyi mérite d’être mieux connu en France, né en 1974,  il a étudié à l’académie Lizst de Budapest, mais aussi auprès de maîtres tels que György Sebök aux Etats Unis et a vaincu de nombreux Prix dont le prix Kossuth, la distinction artistique la plus prestigieuse de Hongrie. C’est un artiste très apprécié et très populaire en Hongrie. Il se présente au public un peu en dandy romantique, cheveux longs, changeant de tenue à chaque concert (pull gris au départ, puis veste et écharpe blanches, puis grises, puis noires, pour finir dans un costume très “music hall” gris brillant!).Dans une exposition dédiée à Chopin dans le foyer du théâtre, il ya même un portrait de lui…

(voir ci-dessous)

portrait.1291335458.jpgIl faut d’abord saluer la performance technique et “sportive”, il semblait même que peu à peu la concentration s’est faite plus forte, la tension plus palpable, l’émotion réelle dès l’exécution dans le deuxième concert  alors que le premier concert m’avait semblé un peu froid, avec une “technique impeccable”, mais sans aucun “supplément d’âme”. Dès le deuxième concert en effet, l’exécution tout à fait extraordinaire des 12 études op.10 provoquait un très grand enthousiasme et montrait à la fois une maîtrise pianistique impressionnante, et une approche particulièrement sensible sans tomber cependant dans la sensiblerie. Car le Chopin que nous avons entendu n’a rien de mièvre comme on peut le craindre quelquefois, mais est marqué par une énergie et une intensité rares. A entendre toutes ces pièces les unes après les autres (dont près de 60 mazurkas…) on est frappé à la fois par la variété et les parentés, en amont notamment avec Beethoven, mais aussi en aval avec Rachmaninov, mais aussi , plus étonnant, avec certaines pièces de l’école de Vienne.

xv2f6317b.1291335469.jpgIl y eut des moments prodigieux, l’op.22 (l’andante spianato/Grande Polonaise brillante) , les trois sonates et notamment la n°3 en si mineur, l’exécution étourdissante des 24 préludes op.28, et certaines valses (op.18, op.34 n°1) qui ont vraiment marqué” le public par une rare intensité. On pourrait reprocher quelquefois  à Gergely Boganyi une trop grande vélocité qui empêche presque d’entendre chaque note, même s’il faut saluer l’agilité technique qui rendent son interprétation des études tant l’op.10 que l’op.25 un des sommets de ces deux jours.

imag0072b.1291335439.jpgAu total, même s’il est clair que l’expérience est  un défi très publicitaire pour le pianiste et l’organisateur du concert (les dix concerts étaient à peu près pleins,  la salle était remplie, et même remplie de jeunes, beaucoup se retrouvant d’un concert à l’autre, puisque chaque concert était vendu séparément), ce fut aussi pour le public l’occasion de rentrer en soi, tant le piano, même exécuté dans ces conditions, aide à la méditation.

On ne  peut certes rester concentré sur une si longue durée, mais en même temps je me suis surpris de ma fraîcheur à la sortie. On finit donc par s’adapter à ce rythme et même désirer que cela continue…Et Boganyi s’est même offert le luxe de concéder plusieurs fois des bis, un comble pour ce type d’exécution marathon, tellement sa joie de jouer était évidente et sa générosité grande!

Quant à moi cela m’a permis de reconstituer un pan oublié de mon histoire musicale, puisque j’ai abordé Chopin non par le piano, mais par la version orchestrale du ballet “Les Sylphides”, dans un vieil enregistrement dirigé par Jésus Etcheverry et l’orchestre des Concerts Lamoureux où j’ai entendu à 8 ou 9 ans quelques nocturnes quelques valses et quelques mazurkas, ne découvrant que bien plus tard leur version originale au piano. Echos sans doute très forts et très marquants parce que les détails mélodiques, très présents en moi, ont fini par m’envahir en réécoutant ces pièces enfouies et me plonger de manière mélancolique dans “le vert paradis des amours enfantines”.

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