OPÉRA NATIONAL DU RHIN, PRÉSENTATION DE LA SAISON LYRIQUE 2020-2021

L’Opéra National du Rhin vient de traverser une période difficile avec la maladie et la disparition de sa directrice Eva Kleinitz, véritable traumatisme pour une maison où elle avait très vite su s’imposer par sa compétence et son charisme. En charge depuis 2017, elle avait en très peu de temps donné une couleur nouvelle à cette institution, l’un des tout premiers opéras en France par le prestige et surtout la qualité constante.
Cette couleur était celle de l’ouverture vers l’extérieur avec le Festival ArsMondo, mais aussi l’appel à des artistes jeunes, souvent peu connus, mais toujours dignes d’intérêt, et notamment à des metteurs en scène de la toute nouvelle génération. Sa longue expérience à Stuttgart, l’une des maisons les plus inventives outre-Rhin lui avait permis de gagner la confiance et l’estime de toute la profession. Enlevée à 47 ans au monde, elle a laissé un théâtre orphelin de son sourire, de son ouverture, de sa capacité à fédérer. Grâce à Bertrand Rossi, aujourd’hui directeur de l’Opéra de Nice, qui a assuré l’intérim, la continuité productive a été assurée, et il a su pendant la période très difficile traversée maintenir la cohésion de la maison et garantir que « the show must go on ».
Cette triste parenthèse est close avec la nomination à la tête de l’institution d’Alain Perroux, en charge depuis janvier 2020, bien connu du monde de l’Opéra, de Genève à Aix-en-Provence, un des meilleurs connaisseurs du monde lyrique d’aujourd’hui qu’on croise souvent dans les théâtres d’Europe à l’affût de nouveaux profils ou de spectacles notables.
Lui aussi, à peine nommé, prend les rênes de la maison et doit gérer les conséquences du confinement, et de la fermeture des institutions culturelles à cause de l’épidémie de Covid-19.
Et on le sait, les conditions de réouverture des salles restent brumeuses, même si en théorie théâtres et cinémas pourront rouvrir en ce mois de juin.
Déjà le MET de New York a fait glisser son ouverture de saison au 31 décembre 2020, et Lyon a déplacé sa première production (Le Coq d’Or) de septembre 2020 à mai 2021. L’Opéra de Paris verra son premier trimestre bouleversé et la production du Ring sans doute reportée, d’autres théâtres attendent prudemment avant d’annoncer la couleur.
Dans ces conditions plutôt incertaines, les annonces de saison ont au moins la valeur apotropaïque de faire reculer le mauvais sort et d’annoncer qu’on est prêt pour un futur. Mais les maisons, les artistes, les techniciens et employés restent bien seuls face à cette adversité.
La saison 2020-2021 a encore été préparée par Eva Kleinitz et Bertrand Rossi, et Alain Perroux prépare 2021-2022 qu’on espère « normale » – l’appel à la simple normalité en ces temps troublés constitue en fait le plus grand des espoirs.
L’espoir ici est déjà que 2020-2021 se déroule sans accrocs, ce qui est loin d’être acquis, il est réconfortant quand même d’afficher la saison « telle qu’elle devrait être ».

Par sa situation, l’Opéra National du Rhin situé dans une cité internationale siège du parlement européen, est assez proche de salles allemandes prestigieuses : Karlsruhe, Baden-Baden, Fribourg, voire Bâle en Suisse, un théâtre très particulier et très moderniste, proche de Mulhouse où se donnent aussi des représentations de l’Opéra du Rhin.
Face à cette concurrence diversifiée (Karlsruhe est un théâtre de troupe, tout comme Fribourg, et Baden-Baden est une scène de Festival qui accueille les plus célèbres artistes du moment), Strasbourg doit être différent : théâtre de stagione à la française, mais répertoire diversifié pour attirer un public international dans des esthétiques elles aussi diversifiées, dans une salle à la capacité relativement limitée (1100 places, comme Lyon), avec l’obligation de se partager entre Strasbourg Colmar (pour quelques soirées) et Mulhouse (où les représentations sont données à La Filature), et avec des productions qui doivent s’adapter aux autres salles. Bref, des obligations techniques, géographiques, logistiques qui complexifient la situation.

Le motto mis en valeur sur la couverture du programme annuel est « Il entend les pensées des passants. »  didascalie correspondant au Ballet “Les ailes du désir” présenté dans la saison.
En réalité, comme l’écrit Alain Perroux, la thématique développée dans la saison pose la question de l’amour, dans ses aspects asymétriques : amour non correspondu, trahison, magie, tout ce qui fait de la relation amoureuse un espace de dangers, de risques, de déceptions, de drames.
Du point de vue lyrique, 7 productions, alternant des titres du grand répertoire et d’autres moins fréquents ou contemporains

  • Solveig (L’attente)
  • Samson et Dalila
  • Hänsel und Gretel
  • La Mort à Venise
  • Hémon
  • Alcina
  • Madama ButterflyOpéras jeune public :
  • Gretel und Hänsel
  • Cenerentolina

Opéras

 

Septembre 2020
Comme toujours, Strasbourg ouvre sa saison par une création en général intégrée dans le Festival Musica, cette fois-ci c’est un titre lié au Peer Gynt d’Henrik Ibsen qui fait l’objet d’un Focus à La Filature, scène nationale de Mulhouse.

Henrik Ibsen/Karl Ove Knausgård, Edvard Grieg,
Solveig (L’attente)
(4 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Eivind Gullberg Jensen, Conception vidéo, Sarah Derendinger,  avec Mari Eriksmoen .
Coproduction Bergen International Festival, Tivoli Copenhagen, Teatro Arriago de Bilbao, Vilnius Festival, Gothenburg Symphony Orchestra, Iceland Symphony Orchestra
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Nouvelle version de la pièce d’Ibsen (1867) sur la musique d’Edvard Grieg, vue non plus du point de vue de Peer Gynt, mais de Solveig, la jeune femme abandonnée par le héros. L’histoire réécrite par le romancier norvégien Karl Ove Knausgård reste accompagnée de la musique de Grieg. Une expérience passionnante, sur les croisements de regard, sur la question du point de vue, sur l’abandon.

Octobre – Novembre 2020
Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila
(5 repr. Strasbourg/2 repr. Mulhouse), MeS : Marie-Eve Signeyrole Dir : Ariane Matiakh avec Massimo Giordano, Katarina Bradić, Jean-Sébastien Bou, Patrick Bolleyre
Orchestre Symphonique de Mulhouse.
Retour d’un classique du répertoire, créé à Weimar en 1877, dans une mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, réalisatrice, vidéaste, à laquelle le monde lyrique s’intéresse de plus en plus (elle a notamment signé un Onéguine remarqué à Montpellier et Rouen). C’est Ariane Mathiak, cheffe française qui travaille souvent en Allemagne et en Scandinavie qui va diriger et le rôle de Samson est tenu par Massimo Giordano, qui a beaucoup chanté à Stuttgart et à Lyon (encore très récemment Mario de Tosca), tandis que Dalila sera  Katarina Bradić, mezzo solide qui chante un peu partout en Europe. Le Grand-Prêtre sera cahnté par l’excellent Jean-Sébastien Bou. Ne pas manquer ce rendez-vous.

Décembre 2020/Janvier 2021
Engelbert Humperdinck, Hänsel und Gretel (6 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Pierre Emmanuel Rousseau Dir : Marko Letonja avec Anaïk Morel et Lenneke Ruiten, Markus Marquardt, Irmgard Vilsmaier etc…
Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Œuvre « obligée » pour Noël en territoire germanophone, avec Die Zauberflöte, Strasbourg l’affiche pour les fêtes (manière d’attirer aussi un public allemand en visite au marché de Noël qui s’étend entre autres devant le théâtre sur la place Broglie) avec en complément une version opéra pour enfants (en décembre à Strasbourg et janvier à Colmar et Mulhouse, voir ci-dessous), c’est presque un focus pour la période des fêtes.
L’Orchestre est dirigé par le directeur musical de l’OPS Marko Letonja et la distribution est dominée par l’excellente Anaïk Morel (Hänsel) qu’on voit désormais un peu partout et la Gretel (Lenneke Ruiten) (dont Wanderer a récemment parlé à propos du Lucio Silla bruxellois), autant dire deux garanties de très bon niveau.
Si vous n’avez jamais vu l’opéra de Humperdinck, c’est l’occasion d’un joli week-end à Strasbourg car le niveau musical s’annonce prometteur.

Février-Mars 2021
Benjamin Britten, La Mort à Venise
(5 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Jean-Philippe Clarac et Oliver Delœuil Dir : Jacques Lacombe avec Toby Spênce, Scott Hendricks
Orchestre Symphonique de Mulhouse
La dernière œuvre de Britten, appuyée sur la nouvelle de Thomas Mann (1912), créé en 1973, deux ans après la sortie du film célébrissime de Luchino Visconti (1971). Aschenbach sera Toby Spence, l’un des ténors les plus raffinés de la scène lyrique et l’un des meilleurs spécialistes de Britten aujourd’hui. Face à lui l’excellent Scott Hendricks au répertoire diversifié, remarquable dans Ruprecht de L’Ange de Feu (notamment à Aix) dont on a vu assez récemment le Prus dans l’Affaire Makropoulos à Zurich : chanteur intelligent, habile à colorer la voix et à l’adapter parfaitement à différents personnages (il en joue sept dans La Mort à Venise).
La mise en scène est assurée par Jean-Philippe Clarac et Oliver Delœuil, créateurs d’univers scéniques qui fascinent et qui ont déjà séduit de nombreux théâtres, ils travaillent pour la première fois à Strasbourg, sur une œuvre qui se prête parfaitement à une profusion d’images et la direction musicale est confiée au directeur musical du Symphonique de Mulhouse Jacques Lacombe, qui a fait une bonne partie de sa carrière outre Atlantique et en Allemagne .
La rareté de l’œuvre, les protagonistes scéniques et musicaux et la mise en scène devraient faire de cette production un Must.

Mars-Avril 2021
Zad Moultaka, Hémon
(4 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Zad Moultaka & Gilles Rico, Dir : Bassem Akiki avec Raffaele Pe, Tassis Christoyannis, Judith Fa, Béatrice Uria-Monzon
Dans le cadre d’ArsMondo (Liban)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Création mondiale
Une création mondiale dans le cadre de ArsMondo/Liban, autour de Hémon, le fiancé d’Antigone, personnage secondaire qui dans la légende se suicide. Construire une œuvre autour de lui est donc en soi une originalité. Le compositeur et plasticien libanais Zad Moutalka et le librettiste Paul Audi proposent une voie nouvelle et fragile pour le mythe célébrissime où se heurtent raison morale et raison d’Etat. Les déchirures libanaises en toile de fond de cette manière de revisiter le mythe devraient ouvrir vers un travail passionnant où le compositeur est en même temps metteur en scène (avec Gilles Nico) , direction par le jeune chef libano-polonais Bassem Akiki, et distribution de haut niveau avec le Hémon du contreténor Raffaele Pe et le Créon du baryton Tassis Christoyannis, l’Antigone de Judith fa et l’Eurydice de Béatrice Uria-Monzon. Nouveaux profils, nouvelle musique venu d’un pays merveilleux mais particulièrement blessé et exsangue dont l’Opéra n’est pas le genre privilégié a priori  : stimulation pour public curieux. On peut renaître par la culture.

Mai-Juin 2021
Georg Friedrich Händel, Alcina
(5 repr. Strasbourg/1 repr. Colmar/2 repr.Mulhouse), MeS Serena Sinigalia, Dir : Christopher Moulds avec Ana Durlovski, Hélène Guilmette, Diana Haller, Marina Viotti etc…
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Coproduction Opéra National de Lorraine et Opéra de Dijon
Pour la fin de saison, la programmation se « range »…En programmant l’Alcina de Händel, pas de grand risque, le titre devenant un des must de l’opéra baroque aujourd’hui. On aurait pu espérer de Strasbourg un titre un peu plus rare, mais il est vrai que les lois de la coproduction doivent composer avec les désirs des autres structures. Cette nième Alcina est confiée à la baguette experte de Christopher Moulds, l’un des chefs qu’on voit désormais fréquemment dans les fosses baroques et à la mise en scène de Serena Sinigaglia, l’un des noms qui montent en Italie aujourd’hui, qui travaille de manière astucieuse quelquefois et toujours classique. On ne devrait pas être trop décoiffé…
Dans la distribution, Ana Durlovski, récente Marguerite de Valois des Huguenots genevois, solide soprano, et Hélène Guilmette, Morgane, ainsi que la très bonne Marina Viotti dans Bradamante…

Juin-Juillet 2021
Giacomo Puccini, Madame Butterfly
(5 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse), MeS Mariano Pensotti, Dir : Giuliano Carella avec Brigitta Kele, Leonardo Capalbo, Tassis Christoyannis, Marie Karall etc…
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
La production est confiée à la baguette consommée de Giuliano Carella, une garantie de sécurité autoroutière et à la mise en scène de l’argentin Mariano Pensotti , qui est l’un des metteurs en scène les plus reconnus d’Amérique latine, notamment pour des productions des années allant de 2011 à 2016. Il présenta un spectacle à Avignon 2015. L’excellent Leonardo Capalbo en Pinkerton fera face à la Butterfly de Brigitta Kele, un soprano de bonne facture.

 

Opéras pour enfants

 

A priori je me méfie des opéras jeune-public, les seuls qui m’aient convaincu étant les Wagner très réussis réalisés à Bayreuth et qui mériteraient d’être exportés.
Mais ici, les titres sont des adaptations de titres du répertoire d’opéra (et non des œuvres originales inventées pour jeune public) et méritent l’intérêt, car la priorité est d’introduire introduire les très jeunes au répertoire. Il y a trop de chose médiocres sur le marché.

Décembre 2020/Janvier 2021
Engelbert Humperdinck, Gretel et Hänsel
(3 repr. à Strasbourg, 1 repr. à Colmar, 2 repr. à Mulhouse) MeS Jean-Philippe Delavault, Dir : Vincent Monteil avec des artistes de l’Opéra Studio.
On peut se demander pourquoi une adaptation « jeune public » d’Hänsel und Gretel, un titre qui lorsqu’il est proposé, attire les familles et beaucoup d’enfants (encore récemment à la Scala). C’est sans doute à la fois une manière de faire chanter les jeunes du studio, mais aussi la Maîtrise du Conservatoire de Strasbourg et l’Ensemble Orchestral de l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg tout en proposant une production de jeunes sans trop de risque. C’est enfin créer des petits formats permettant des représentations scolaires d’une durée plus conforme aux capacités d’attention des jeunes. Compréhensible, mais un peu regrettable.
Le chef Vincent Monteil qui dirigera la production est directeur musical de l’Opéra-Studio.
Tout de même, ne serait-il pas plus hardi de confronter les jeunes artistes en formation à un titre du répertoire comme on le fait souvent ailleurs (encore début février à Berlin avec Suor Angelica de Puccini, il est vrai avec Kirill Petrenko) et leur réserver une production de la saison ? Il serait sans doute plus formateur de confronter des jeunes artistes et musiciens aux conditions réelles de la représentation du grand répertoire et au public “ordinaire” de l’opéra.

Avril-Mai 2021
Gioachino Rossini, Cenerentolina
(3 repr. Mulhouse/2 repr. Colmar/4 repr. Strasbourg) MeS Sandra Pocceschi et Giacomo Strada avec des artistes de l’Opéra Studio.
Production du Grand Théâtre de Genève
Délicieux spectacle très agile parfaitement adapté à tourner dans d’autres villes et dans des salles à effectif réduit. Il me semble qu’Alain Perroux aura peut-être à créer un petit Opéra itinérant avec des travaux de ce type, nécessitant une logistique légère et permettant d’aller à la rencontre du public dit éloigné avec de la qualité.

 

Récitals

 

Un vrai programme de récitals, avec des noms enviables, des programmes variés, et les dimensions de la salle conviennent parfaitement à cette forme intime qui est en train d’être un peu négligée en France.
C’est un programme bien articulé, qui excite l’intérêt avec six chanteurs très différents, et tous excellents dans leur ordre.

  • Pavol Breslik est l’un des ténors les plus aimés du public, d’une rare intelligence des textes; il propose un programme typiquement austro-hongrois avec des auteurs tchèques (Dvořák), slovaque (SchneiderTrnavský), autrichien (Schubert) et hongrois (Liszt).
  • Eva Maria-Westbroek reste, malgré quelques passages à vide, l’un des sopranos dramatiques de référence aujourd’hui, dans un programme très ibérisant.
  • Karine Deshayes, accompagnée du pianiste Philippe Cassard qu’on ne présente plus et du clarinettiste Philippe Berrod, première clarinette solo de l’Orchestre de Paris (mais pas que, c’est un des clarinettistes les plus demandés au monde) propose un programme franco-allemand qui promet d’être passionnant.
  • Joyce El-Khoury apportera le Liban à Strasbourg dans une soirée qui excite la curiosité, par son originalité et sa variété.
  • Matthias Goerne, l’un des grands spécialistes mondiaux du Lied, propose un voyage de Wolf à Strauss en passant par Wagner.
  • Enfin Mark Padmore, le ténor des Passions de Bach, mais aussi de George Benjamin, ou de Britten ou du Winterreise de Schubert, proposera un programme Schubert Schumann pour lequel il sera accompagné par rien moins que Till Fellner.

Avec un tel programme, le public alsacien (et pas seulement) devrait se précipiter.

21 octobre 2020
Pavol Breslik, ténor
Piano, Amir Katz
Antonín Dvořák
Franz Schubert
Franz Liszt
Mikuláš SchneiderTrnavský

15 janvier 2021
Eva-Maria Westbroek, soprano
Piano, Julius Drake
Samuel Barber
Kurt Weill
Joaquin Turina
Jesús Guridi
Carlos Guastavino

17 février 2021
Karine Deshayes, mezzosoprano

Piano, Philippe Cassard
Clarinette, Philippe Berrod
Ludwig Spohr
Franz Schubert
Maurice Ravel
Henri Duparc

26 mars 2021
Joyce El-Khoury, soprano

Piano, Serouj Kradjian
Voyage musical en terre libanaise dans le cadre d’ArsMondo (Liban)

28 mai 2021
Matthias Goerne, baryton
Piano, Alexander Schmalcz
Hugo Wolf
Hans Pfitzner
Richard Wagner
Richard Strauss


23 juin 2021
Mark Padmore, ténor
Piano, Till Fellner
Robert Schumann
Franz Schubert

Il reste à espérer que la saison puisse se dérouler sous les auspices qui permettent à cette excellente maison d’opéra de retrouver un regard assuré vers l’avenir. Nous souhaitons bonne chance à Alain Perroux.

LUCERNE FESTIVAL EASTER 2013: Mariss JANSONS dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS le 23 MARS 2013 (Benjamin BRITTEN: WAR REQUIEM) avec Christian GERHAHER, Mark PADMORE et Emily MAGEE

Lucerne, 23 mars 2013

Il y a des moments où cela vous tombe dessus par surprise, vous assomme, vous cloue sur place: voilà l’effet du concert  unique auquel nous avons assisté ce soir. Au fil de la soirée vous êtes saisi par l’évidence qu’il se passe sur scène et en salle quelque chose de tout à fait exceptionnel, vos tripes sont nouées, la rate au court bouillon, le cœur bat, la tension est extrême, vous êtes rouge: la tension est telle qu’à chaque pause entre les moments, tout le monde tousse et bouge, comme s’il fallait décompresser. Ce soir, il  y à peine deux heures, s’est terminé un concert historique, qui m’a sonné, un concert de référence, encore que l’œuvre n’ait pas une popularité telle qu’elle ait été enregistrée maintes fois…non, il n’en existe à ma connaissance qu’un seul enregistrement audio dirigé par le compositeur, avec Dietrich Fischer-Dieskau, Peter Pears, Galina Vichnevskaia et un DVD chez Arthaus dirigé par Andris Nelsons (tiens tiens) et le CBSO enregistré dans la cathédrale de Coventry(1).
Sans doute au vu des caméras dans la salle ce soir va-t-on tirer du concert un DVD et il faudra se précipiter. Le Bayerische Rundfunk retransmet aussi ce War Requiem enregistré à Munich le 15 mars dernier à Munich. Bref, s’il n’existe que peu de références au disque, en voilà une probable future .
Le War Requiem va quand même être donné plusieurs fois cette année, centenaire de Britten oblige, notamment à Birmingham avec Andris Nelsons et le CBSO, le 28 mai 2013 et le 15 juin prochain à Berlin, Sir Simon Rattle dirigera les Berliner Philharmoniker à Berlin. L’œuvre a été créée en 1962 à l’occasion de la reconsécration de la cathédrale de Coventry bombardée sauvagement en 1940. Britten avait d’autant plus accepté la commission que lui même était opposé à la guerre et pacifiste car disait-il  quelqu’un qui a consacré sa vie à l’acte de création ne peut se dédier à celui de détruire. Il se servit, comme Mozart, Berlioz, Verdi, Fauré de la Messe des morts (Missa de profunctis) et de son déroulé: Requiem aeternam, Dies Irae, Offertorium, Sanctus, Agnus Dei,  Libera me, mais il y ajouta des textes du poète Wilfred Owen, mort dans les tranchées en France en 1918, qui croisent les moments de la messe. Britten a rencontré dans les textes d’Owen à la fois l’amertume, la plainte, le doute, la nostalgie de la paix mais aussi une coloration nettement homosexuelle à laquelle il ne pouvait être indifférent; l’œuvre est donc adossée à un texte latin et à un texte anglais qui s’entrecroisent, les textes d’Owen étant confiés au ténor et au baryton, et la partie en latin essentiellement aux chœurs et au soprano.
L’œuvre est monumentale, rappelant la Huitième de Mahler ou les Gurrelieder de Schönberg par l’énormité du dispositif: un chœur (masculin et féminin), un chœur d’enfants, trois solistes, un orgue, un énorme orchestre symphonique et un orchestre de chambre. Il n’est pas étonnant dans ces conditions qu’elle soit rarement jouée: il y avait foule sur la scène ce soir à Lucerne. L’orchestre de chambre était situé à la gauche du chef  le chœur d’enfants (Tölzer Knabenchor, comme de juste) invisible derrière le plateau. Ce dispositif monumental, avec une richesse instrumentale inédite, notamment aux percussions, est incontestablement  source d’émotion intense et d’impressions particulièrement forte.
J’avoue, tout en connaissant l’œuvre, ne l’avoir jamais entendue en concert et seulement par rares extraits au disque, j’étais donc en position de découverte quasi totale. Je ne suis pas non plus un auditeur régulier de Britten, bien qu’à chaque fois que j’en écoute ou que je vois un opéra (Peter Grimes, Billy Budd, A Midsummer Night’s Dream) je sois séduit.
Et dès les premières notes, c’est un choc. D’abord de découvrir le traitement original des chœurs, notamment le Dies irae presque organisé comme un opéra miniature (il se souvient de Verdi), les réminiscences de Mahler, de Chostakovitch, mais aussi de Stravinski sont évidemment présentes et prégnantes, mais les rythmes, syncopés, la variété de l’instrumentation, la manière aussi dont systématiquement les instruments sont à découvert et mettent en valeur la qualité technique et l’engagement de l’orchestre du Bayerischer Rundfunk sont objets d’étonnements à répétition.

Les solistes, photo Georg Anderhub

Le texte de Owen est vraiment magnifique, et magnifiquement dit par les deux sublimes, je répète, sublimes,  solistes que sont Mark Padmore, et Christian Gerhaher. Renversants. Inoubliables. L’un avec son “Dona nobis pacem” à se mettre à genoux, l’autre avec son”I’m the enemy you killed, my friend”, tous deux avec ce duo de voix entremêlées, de paroles tressées  “Let us sleep now”. On ne sait que remarquer de la simplicité, de la technique, de l’émotion, de la chaleur des timbres. Ils étaient heureux en saluant et s’embrassaient et se prenaient dans les bras l’un l’autre, on avait envie de les serrer contre nos cœurs tellement leur prestation inouïe nous a fait entrer directement a dans le noyau incandescent et magmatique  de l’œuvre.
Emily Magee a défendu ardemment et chaleureusement la partie de soprano, sans cependant atteindre de tels sommets: il eût fallu une Gwyneth Jones, une Hildegard Behrens, pour brûler les planches et darder les cœurs et les âmes , ou aujourd’hui une Waltraud Meier ou une Eva-Maria Westbroek, ou, pourquoi pas, une Harteros. Mais même en étant très présente, sa voix ne peut entrer en compétition avec deux organes divins. Christian Gerhaher a une extraordinaire qualité de simplicité: jamais affecté, jamais maniéré, toujours juste, toujours modestement juste et modestement formidable. Padmore, habitué des Passions de Bach, a une voix d’une ductilité étonnante et un timbre d’une pureté confondante, sans jamais exagérer, jamais en faire trop: in Paradisum deducant te Angeli (Que les anges te conduisent au paradis), dit le texte dans la partie finale, c’est exactement ce que ténor et  baryton ont fait avec le public.

Photo Georg Anderhub

Evidemment, Mariss Jansons conduit ces masses humaines (extraordinaire orchestre, fantastique chœur, sublimes enfants) et sonores, cette œuvre d’une complexité rare avec une rigueur, une précision, mais aussi un naturel (et un sourire) stupéfiants: pas une scorie, pas un décalage, que du travail au millimètre, et des effets sonores bouleversants: la fin bien sûr, où se mêlent les voix de tous les solistes (let us sleep now et in Paradisum deducant te Angeli ) et de l’ensemble des chœurs en un crescendo saisissant sans que jamais la clarté et la lisibilité n’en pâtissent. L’offertorium est un moment suspendu, Le Dies irae à la fois attendu et surprenant par les agencements sonores et les rythmes. Et sous sa baguette, cette musique très sombre, très dure, quelquefois implacable se colore, s’irrigue, s’imprègne en permanence d’une incroyable humanité nous faisant évidemment partager le message de Britten et en nous engageant dans l’œuvre, dans sa logique et nous y attirant pour nous faire imploser.
Le public ne remplissait pas la salle au complet et le nombre de jeunes, particulièrement élevé me fait penser que de nombreuses places à prix réduit ont été délivrées et il n’y a pas de doute que la majorité du public entrait dans cette œuvre pour la première fois. A écouter le silence final, puis l’ovation longue, massive, puis la standing ovation, sans l’ombre d’un doute Jansons a convaincu, Britten a pris ce public à revers et l’a conquis. Aucun doute, bien des spectateurs n’ont qu’une envie, de retrouver très vite un témoignage de cette soirée, un de ces moments pour lesquels il vaut la peine de vivre.
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(1) En fait des lecteurs sympathiques m’ont signalé plusieurs autres enregistrements. Voir les commentaires en ligne ci-dessous

Les solistes et l’ensemble du dispositif

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2010: SIR SIMON RATTLE dirige la Passion selon Saint Mathieu de BACH (avec le Philharmonique de Berlin ) au Festival de Pâques de Salzbourg (3 avril 2010) ritualisée par PETER SELLARS

Souvenir…la dernière Passion selon Saint Mathieu entendue ici (en 1997) était dirigée par Claudio Abbado. Peter Schreier était l’Évangéliste et la distribution comprenait aussi Christine Schäfer, Anne Sofie von Otter, Simon Keenlyside, Andreas Schmidt, Peter Mattei, avec le Schwedischer Rundfunkchor et le Tölzer Knabenchor. Abbado nous avait livré une Passion hiératique, débarrassée de toute scorie romantique, toute nourrie du travail moderne sur le répertoire baroque.  Cette Passion  a fait l’objet d’un enregistrement exceptionnel, que Deutsche Grammophon n’a pas voulu, et qui a fini dans les kiosques à journaux italiens, vendu à Pâques 2000 (au prix incroyable de 20000 lires pour 3 CD  soit environ 10 Euros) en supplément du journal “La Stampa” sous le Label Musicom. On en trouve encore quelquefois sur eBay à des prix stratosphériques.

Aujourd’hui, Sir Simon Rattle a voulu faire appel à Peter Sellars pour réaliser une version “ritualisée” comme il est dit dans le programme, une mise en espace qui n’est pas du théâtre, insiste Sellars, qui s’efforce de donner une image à ce qui se passe dans les âmes au moment de la Passion. Le choeur et l’orchestre sont disséminés en deux groupes séparés sur la surface immense de la scène du Festspielhaus, autour d’un espace laissé libre et occupé par quelques cubes de bois blanc, où évoluent choeur et solistes. Les solistes sont Mark Padmore, Topi Lehtipuu, Christian Gerhaher, Camilla Tilling, Magdalena Kožená, Thomas Quasthoff, Axel Schiedig, Sören von Billebeck, Jörg Schneider, le Choeur de la Radio de Berlin dirigé par Simon Halsey, et le Choeur d’enfants du Festival de Salzbourg. Orchestre Philharmonique de Berlin dirigé par Sir Simon Rattle.

030420101934.1270302658.jpgQuelques photos de la répétition du matin

Pourquoi une version ritualisée? Parce que, dit Peter Sellars, Bach a écrit ce chef d’oeuvre non comme un concert, non comme un travail théâtral, mais comme comme un rituel “à transformations” incluant temps et espace, unissant des communautés disparates et ayant tourné le dos à l’Esprit. Le mouvement est celui d’un regard d’amour pour les âmes perdues, qui essaie de réunir ce qui reste de la personne: c’est en fait notre effort pour reconstruire un pouvoir spirituel et moral  dans l’histoire: c’est ce qui a disparu et que, au quotidien, nous essayons, nous aussi, de reconstruire à travers les choix de vie que nous faisons en rassemblant nos souvenirs, en autant d’actes de mémoire. La réussite de Bach: celle d’avoir écrit une oeuvre qui est oeuvre de mémoire collective, qui nous aide à nous reconstruire dans un monde marqué par la chute, le premier pas d’un chemin nouveau. L’ambition de Sellars est de nous inclure dans ce rituel, d’en faire un enjeu collectif de la scène et de la salle (c’est aussi l’ambition que Wagner, nourri de Bach, voulait pour son Parsifal: c’est bien à un “Bühnenweihfestpiel, Festival scénique sacré) que nous convie Sellars.

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Rarement j’ai eu le sentiment d’une telle précision, d’une telle attention dans la préparation d’un concert. Il est vrai que la Passion selon Saint Mathieu est un monument de près de trois heures de musique, qui exige de la part des artistes une attention et une concentration peu communes, vu la nature du texte, la complexité de la construction, la polyphonie extrêmement serrée, et réclame de l’orchestre et de certains pupitres en particulier une vraie virtuosité.
Nous avons eu droit à une exécution parfaite. Techniquement, je ne pense pas qu’on puisse y trouver une quelconque faille. Peter Sellars conçoit un dispositif minimaliste, décrit plus haut, et les solistes sont selon les nécessités disséminés sur la scène ou dans la salle (pour Judas et Pilate), dans le choeur, isolés (Jésus), la basse et l’Evangéliste restent toujours sur l’espace de jeu. Les mouvements sont lents, seul le choeur réagit parfois avec des mouvements divers, comme il sied au peuple, et cseul, il bouge vraiment sur scène, les deux choeurs s’unissent, se séparent, courent. L’orchestre, le choeur et les solistes sont habillés de noir, pas d’éclairage particulier; scène et salle sont dans la même lumière. Sellars a été hué au final, j’avoue ne pas comprendre pourquoi. Ce qu’il fait ne nuit pas à l’audition de l’oeuvre, et crée même parfois des situations très fortes, notamment par cette idée de lier certains airs à l’instrument qui les porte: la basse chante face à face avec le violon du jeune Daishin Kashimoto, extraordinaire nouveau premier violon des Berlinois et c’est un duo dans un face à face fantastique d’intimité. Ce sont aussi les bois qui sont isolés et rapprochés des chanteurs, que ce soit Emmanuel Pahud ou Albrecht Mayer, ou le cor anglais de Dominique Wollenweber, mais aussi la  viole de gambe de Hille Perl. Le fait de les isoler, de les intégrer à l’action fait presque de ces airs des “pezzi chiusi” et donne à la performance une force multipliée. De toute manière, l’orchestre est à son zénith, la plénitude du son, la perfection des effets, l’incroyable maîtrise, et la précision avec laquelle  Rattle les suit,et les sollicite, en les suivant presque un à un les musiciens, en allant d’un orchestre à l’autre contribuent à asseoir cette image formidable de perfection.
Quant aux solistes, sans avoir la renommée des solistes d’Abbado en 1997 (encore que, à part Schreier, ils étaient tous bien jeunes alors), ils sont tous à leur place: à commencer par l’incroyable Évangéliste de Mark Padmore  dont on ne peut que lister les qualités: résistance d’abord, pendant trois heures, la voix ne marque aucun signe de fatigue; ductilité ensuite, un contrôle permanent de l’émission, un jeu qui alterne la voix de tête, les pianissimi, la voix de poitrine sans aucun problème technique dans les passages, un timbre velouté, chaud, qui convient parfaitement à cette partie: une vraie leçon de chant, une démonstration d’anthologie. Thomas Quasthoff, toujours comparé à Fischer Dieskau, alors qu’il arrive à la même qualité que son grand aîné par des voies très différentes, voire opposées: alors que Fischer Dieskau est un cérebral qui calcule la moindre inflexion et la moindre note, au point de se faire taxer d’artifice par ses détracteurs, ce qui frappe chez Quasthoff, c’est l’impression de naturel qu’il dégage: rien ne semble forcé, la voix sort telle quelle et c’est sublime. Cette simplicité, en totale cohérence avec l’entreprise d’ensemble est sans doute ce qui frappe le plus l’auditeur. Une découverte aussi, celle du jeune ténor finlandais Topi Lehtipuu, voix claire, bien posée, très joli timbre fait pour Mozart. Un nom à retenir, je ne serais pas étonné de le voir bientôt sur les affiches des grands théâtres. Les autres sont dans leur partie, tout à fait honorables (notamment le Jésus de Christian Gerhaher). Du côté féminin, Magdalena Kožená a montré cette fois, à la différence d’autres concerts (à Lucerne notamment) et engagement et puissance et présence (un très bel “Erbarme Dich, mein Gott” et un magnifique “Können Tränen meiner Wangen…”) . Une remarquable prestation. Camilla Tilling, enceinte, est un peu en retrait mais ses airs (notamment “Aus Liebe will mein Heiland…”) sont très dominés, mais moins poétiques et lyriques qu’en d’autres occasions (en Ilia par exemple). A noter également les solistes du choeur, absolument exceptionnels.
On le voit, nous sommes face à une interprétation de très haut niveau, à une exécution parfaitement maîtrisée, parfaitement en place, à un chant d’exception.
Et pourtant,je dois le confesser, aucune émotion ne m’a étreint devant ce travail parfait. Je suis resté extérieur, admirant, mais n’arrivant pas, au contraire de la volonté de Sellars notamment, à me sentir inclus dans la musique, en phase, en osmose avec l’entreprise. Avec quelques amis, nous avons ressenti la même chose: est-ce Rattle? je ne pense pas. Est-ce Sellars, sûrement pas. Alors…Ce sont les mystères de la musique qui font qu’un soir l’âme est au rendez-vous, et que le lendemain, on reste extérieur et froid. Cela n’enlève rien à la qualité de l’ensemble, mais rend un peu triste, on aurait aimé participer, et non pas seulement écouter.

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INFO: Le concert est programmé la semaine du 4 au 12 à Berlin; il est retransmis sur le site des Berlinois dans le “Digital Concert Hall. Voir http://dch.berliner-philharmoniker.de/#/en/concertarchiv/archiv/2010/3/