OPÉRA NATIONAL DU RHIN, PRÉSENTATION DE LA SAISON LYRIQUE 2020-2021

L’Opéra National du Rhin vient de traverser une période difficile avec la maladie et la disparition de sa directrice Eva Kleinitz, véritable traumatisme pour une maison où elle avait très vite su s’imposer par sa compétence et son charisme. En charge depuis 2017, elle avait en très peu de temps donné une couleur nouvelle à cette institution, l’un des tout premiers opéras en France par le prestige et surtout la qualité constante.
Cette couleur était celle de l’ouverture vers l’extérieur avec le Festival ArsMondo, mais aussi l’appel à des artistes jeunes, souvent peu connus, mais toujours dignes d’intérêt, et notamment à des metteurs en scène de la toute nouvelle génération. Sa longue expérience à Stuttgart, l’une des maisons les plus inventives outre-Rhin lui avait permis de gagner la confiance et l’estime de toute la profession. Enlevée à 47 ans au monde, elle a laissé un théâtre orphelin de son sourire, de son ouverture, de sa capacité à fédérer. Grâce à Bertrand Rossi, aujourd’hui directeur de l’Opéra de Nice, qui a assuré l’intérim, la continuité productive a été assurée, et il a su pendant la période très difficile traversée maintenir la cohésion de la maison et garantir que « the show must go on ».
Cette triste parenthèse est close avec la nomination à la tête de l’institution d’Alain Perroux, en charge depuis janvier 2020, bien connu du monde de l’Opéra, de Genève à Aix-en-Provence, un des meilleurs connaisseurs du monde lyrique d’aujourd’hui qu’on croise souvent dans les théâtres d’Europe à l’affût de nouveaux profils ou de spectacles notables.
Lui aussi, à peine nommé, prend les rênes de la maison et doit gérer les conséquences du confinement, et de la fermeture des institutions culturelles à cause de l’épidémie de Covid-19.
Et on le sait, les conditions de réouverture des salles restent brumeuses, même si en théorie théâtres et cinémas pourront rouvrir en ce mois de juin.
Déjà le MET de New York a fait glisser son ouverture de saison au 31 décembre 2020, et Lyon a déplacé sa première production (Le Coq d’Or) de septembre 2020 à mai 2021. L’Opéra de Paris verra son premier trimestre bouleversé et la production du Ring sans doute reportée, d’autres théâtres attendent prudemment avant d’annoncer la couleur.
Dans ces conditions plutôt incertaines, les annonces de saison ont au moins la valeur apotropaïque de faire reculer le mauvais sort et d’annoncer qu’on est prêt pour un futur. Mais les maisons, les artistes, les techniciens et employés restent bien seuls face à cette adversité.
La saison 2020-2021 a encore été préparée par Eva Kleinitz et Bertrand Rossi, et Alain Perroux prépare 2021-2022 qu’on espère « normale » – l’appel à la simple normalité en ces temps troublés constitue en fait le plus grand des espoirs.
L’espoir ici est déjà que 2020-2021 se déroule sans accrocs, ce qui est loin d’être acquis, il est réconfortant quand même d’afficher la saison « telle qu’elle devrait être ».

Par sa situation, l’Opéra National du Rhin situé dans une cité internationale siège du parlement européen, est assez proche de salles allemandes prestigieuses : Karlsruhe, Baden-Baden, Fribourg, voire Bâle en Suisse, un théâtre très particulier et très moderniste, proche de Mulhouse où se donnent aussi des représentations de l’Opéra du Rhin.
Face à cette concurrence diversifiée (Karlsruhe est un théâtre de troupe, tout comme Fribourg, et Baden-Baden est une scène de Festival qui accueille les plus célèbres artistes du moment), Strasbourg doit être différent : théâtre de stagione à la française, mais répertoire diversifié pour attirer un public international dans des esthétiques elles aussi diversifiées, dans une salle à la capacité relativement limitée (1100 places, comme Lyon), avec l’obligation de se partager entre Strasbourg Colmar (pour quelques soirées) et Mulhouse (où les représentations sont données à La Filature), et avec des productions qui doivent s’adapter aux autres salles. Bref, des obligations techniques, géographiques, logistiques qui complexifient la situation.

Le motto mis en valeur sur la couverture du programme annuel est « Il entend les pensées des passants. »  didascalie correspondant au Ballet “Les ailes du désir” présenté dans la saison.
En réalité, comme l’écrit Alain Perroux, la thématique développée dans la saison pose la question de l’amour, dans ses aspects asymétriques : amour non correspondu, trahison, magie, tout ce qui fait de la relation amoureuse un espace de dangers, de risques, de déceptions, de drames.
Du point de vue lyrique, 7 productions, alternant des titres du grand répertoire et d’autres moins fréquents ou contemporains

  • Solveig (L’attente)
  • Samson et Dalila
  • Hänsel und Gretel
  • La Mort à Venise
  • Hémon
  • Alcina
  • Madama ButterflyOpéras jeune public :
  • Gretel und Hänsel
  • Cenerentolina

Opéras

 

Septembre 2020
Comme toujours, Strasbourg ouvre sa saison par une création en général intégrée dans le Festival Musica, cette fois-ci c’est un titre lié au Peer Gynt d’Henrik Ibsen qui fait l’objet d’un Focus à La Filature, scène nationale de Mulhouse.

Henrik Ibsen/Karl Ove Knausgård, Edvard Grieg,
Solveig (L’attente)
(4 repr.) MeS : Calixto Bieito, Dir : Eivind Gullberg Jensen, Conception vidéo, Sarah Derendinger,  avec Mari Eriksmoen .
Coproduction Bergen International Festival, Tivoli Copenhagen, Teatro Arriago de Bilbao, Vilnius Festival, Gothenburg Symphony Orchestra, Iceland Symphony Orchestra
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Nouvelle version de la pièce d’Ibsen (1867) sur la musique d’Edvard Grieg, vue non plus du point de vue de Peer Gynt, mais de Solveig, la jeune femme abandonnée par le héros. L’histoire réécrite par le romancier norvégien Karl Ove Knausgård reste accompagnée de la musique de Grieg. Une expérience passionnante, sur les croisements de regard, sur la question du point de vue, sur l’abandon.

Octobre – Novembre 2020
Camille Saint-Saëns, Samson et Dalila
(5 repr. Strasbourg/2 repr. Mulhouse), MeS : Marie-Eve Signeyrole Dir : Ariane Matiakh avec Massimo Giordano, Katarina Bradić, Jean-Sébastien Bou, Patrick Bolleyre
Orchestre Symphonique de Mulhouse.
Retour d’un classique du répertoire, créé à Weimar en 1877, dans une mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, réalisatrice, vidéaste, à laquelle le monde lyrique s’intéresse de plus en plus (elle a notamment signé un Onéguine remarqué à Montpellier et Rouen). C’est Ariane Mathiak, cheffe française qui travaille souvent en Allemagne et en Scandinavie qui va diriger et le rôle de Samson est tenu par Massimo Giordano, qui a beaucoup chanté à Stuttgart et à Lyon (encore très récemment Mario de Tosca), tandis que Dalila sera  Katarina Bradić, mezzo solide qui chante un peu partout en Europe. Le Grand-Prêtre sera cahnté par l’excellent Jean-Sébastien Bou. Ne pas manquer ce rendez-vous.

Décembre 2020/Janvier 2021
Engelbert Humperdinck, Hänsel und Gretel (6 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Pierre Emmanuel Rousseau Dir : Marko Letonja avec Anaïk Morel et Lenneke Ruiten, Markus Marquardt, Irmgard Vilsmaier etc…
Orchestre Philharmonique de Strasbourg.
Œuvre « obligée » pour Noël en territoire germanophone, avec Die Zauberflöte, Strasbourg l’affiche pour les fêtes (manière d’attirer aussi un public allemand en visite au marché de Noël qui s’étend entre autres devant le théâtre sur la place Broglie) avec en complément une version opéra pour enfants (en décembre à Strasbourg et janvier à Colmar et Mulhouse, voir ci-dessous), c’est presque un focus pour la période des fêtes.
L’Orchestre est dirigé par le directeur musical de l’OPS Marko Letonja et la distribution est dominée par l’excellente Anaïk Morel (Hänsel) qu’on voit désormais un peu partout et la Gretel (Lenneke Ruiten) (dont Wanderer a récemment parlé à propos du Lucio Silla bruxellois), autant dire deux garanties de très bon niveau.
Si vous n’avez jamais vu l’opéra de Humperdinck, c’est l’occasion d’un joli week-end à Strasbourg car le niveau musical s’annonce prometteur.

Février-Mars 2021
Benjamin Britten, La Mort à Venise
(5 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Jean-Philippe Clarac et Oliver Delœuil Dir : Jacques Lacombe avec Toby Spênce, Scott Hendricks
Orchestre Symphonique de Mulhouse
La dernière œuvre de Britten, appuyée sur la nouvelle de Thomas Mann (1912), créé en 1973, deux ans après la sortie du film célébrissime de Luchino Visconti (1971). Aschenbach sera Toby Spence, l’un des ténors les plus raffinés de la scène lyrique et l’un des meilleurs spécialistes de Britten aujourd’hui. Face à lui l’excellent Scott Hendricks au répertoire diversifié, remarquable dans Ruprecht de L’Ange de Feu (notamment à Aix) dont on a vu assez récemment le Prus dans l’Affaire Makropoulos à Zurich : chanteur intelligent, habile à colorer la voix et à l’adapter parfaitement à différents personnages (il en joue sept dans La Mort à Venise).
La mise en scène est assurée par Jean-Philippe Clarac et Oliver Delœuil, créateurs d’univers scéniques qui fascinent et qui ont déjà séduit de nombreux théâtres, ils travaillent pour la première fois à Strasbourg, sur une œuvre qui se prête parfaitement à une profusion d’images et la direction musicale est confiée au directeur musical du Symphonique de Mulhouse Jacques Lacombe, qui a fait une bonne partie de sa carrière outre Atlantique et en Allemagne .
La rareté de l’œuvre, les protagonistes scéniques et musicaux et la mise en scène devraient faire de cette production un Must.

Mars-Avril 2021
Zad Moultaka, Hémon
(4 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse) MeS : Zad Moultaka & Gilles Rico, Dir : Bassem Akiki avec Raffaele Pe, Tassis Christoyannis, Judith Fa, Béatrice Uria-Monzon
Dans le cadre d’ArsMondo (Liban)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Création mondiale
Une création mondiale dans le cadre de ArsMondo/Liban, autour de Hémon, le fiancé d’Antigone, personnage secondaire qui dans la légende se suicide. Construire une œuvre autour de lui est donc en soi une originalité. Le compositeur et plasticien libanais Zad Moutalka et le librettiste Paul Audi proposent une voie nouvelle et fragile pour le mythe célébrissime où se heurtent raison morale et raison d’Etat. Les déchirures libanaises en toile de fond de cette manière de revisiter le mythe devraient ouvrir vers un travail passionnant où le compositeur est en même temps metteur en scène (avec Gilles Nico) , direction par le jeune chef libano-polonais Bassem Akiki, et distribution de haut niveau avec le Hémon du contreténor Raffaele Pe et le Créon du baryton Tassis Christoyannis, l’Antigone de Judith fa et l’Eurydice de Béatrice Uria-Monzon. Nouveaux profils, nouvelle musique venu d’un pays merveilleux mais particulièrement blessé et exsangue dont l’Opéra n’est pas le genre privilégié a priori  : stimulation pour public curieux. On peut renaître par la culture.

Mai-Juin 2021
Georg Friedrich Händel, Alcina
(5 repr. Strasbourg/1 repr. Colmar/2 repr.Mulhouse), MeS Serena Sinigalia, Dir : Christopher Moulds avec Ana Durlovski, Hélène Guilmette, Diana Haller, Marina Viotti etc…
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Coproduction Opéra National de Lorraine et Opéra de Dijon
Pour la fin de saison, la programmation se « range »…En programmant l’Alcina de Händel, pas de grand risque, le titre devenant un des must de l’opéra baroque aujourd’hui. On aurait pu espérer de Strasbourg un titre un peu plus rare, mais il est vrai que les lois de la coproduction doivent composer avec les désirs des autres structures. Cette nième Alcina est confiée à la baguette experte de Christopher Moulds, l’un des chefs qu’on voit désormais fréquemment dans les fosses baroques et à la mise en scène de Serena Sinigaglia, l’un des noms qui montent en Italie aujourd’hui, qui travaille de manière astucieuse quelquefois et toujours classique. On ne devrait pas être trop décoiffé…
Dans la distribution, Ana Durlovski, récente Marguerite de Valois des Huguenots genevois, solide soprano, et Hélène Guilmette, Morgane, ainsi que la très bonne Marina Viotti dans Bradamante…

Juin-Juillet 2021
Giacomo Puccini, Madame Butterfly
(5 repr. Strasbourg/2 repr.Mulhouse), MeS Mariano Pensotti, Dir : Giuliano Carella avec Brigitta Kele, Leonardo Capalbo, Tassis Christoyannis, Marie Karall etc…
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
La production est confiée à la baguette consommée de Giuliano Carella, une garantie de sécurité autoroutière et à la mise en scène de l’argentin Mariano Pensotti , qui est l’un des metteurs en scène les plus reconnus d’Amérique latine, notamment pour des productions des années allant de 2011 à 2016. Il présenta un spectacle à Avignon 2015. L’excellent Leonardo Capalbo en Pinkerton fera face à la Butterfly de Brigitta Kele, un soprano de bonne facture.

 

Opéras pour enfants

 

A priori je me méfie des opéras jeune-public, les seuls qui m’aient convaincu étant les Wagner très réussis réalisés à Bayreuth et qui mériteraient d’être exportés.
Mais ici, les titres sont des adaptations de titres du répertoire d’opéra (et non des œuvres originales inventées pour jeune public) et méritent l’intérêt, car la priorité est d’introduire introduire les très jeunes au répertoire. Il y a trop de chose médiocres sur le marché.

Décembre 2020/Janvier 2021
Engelbert Humperdinck, Gretel et Hänsel
(3 repr. à Strasbourg, 1 repr. à Colmar, 2 repr. à Mulhouse) MeS Jean-Philippe Delavault, Dir : Vincent Monteil avec des artistes de l’Opéra Studio.
On peut se demander pourquoi une adaptation « jeune public » d’Hänsel und Gretel, un titre qui lorsqu’il est proposé, attire les familles et beaucoup d’enfants (encore récemment à la Scala). C’est sans doute à la fois une manière de faire chanter les jeunes du studio, mais aussi la Maîtrise du Conservatoire de Strasbourg et l’Ensemble Orchestral de l’Académie Supérieure de Musique de Strasbourg tout en proposant une production de jeunes sans trop de risque. C’est enfin créer des petits formats permettant des représentations scolaires d’une durée plus conforme aux capacités d’attention des jeunes. Compréhensible, mais un peu regrettable.
Le chef Vincent Monteil qui dirigera la production est directeur musical de l’Opéra-Studio.
Tout de même, ne serait-il pas plus hardi de confronter les jeunes artistes en formation à un titre du répertoire comme on le fait souvent ailleurs (encore début février à Berlin avec Suor Angelica de Puccini, il est vrai avec Kirill Petrenko) et leur réserver une production de la saison ? Il serait sans doute plus formateur de confronter des jeunes artistes et musiciens aux conditions réelles de la représentation du grand répertoire et au public “ordinaire” de l’opéra.

Avril-Mai 2021
Gioachino Rossini, Cenerentolina
(3 repr. Mulhouse/2 repr. Colmar/4 repr. Strasbourg) MeS Sandra Pocceschi et Giacomo Strada avec des artistes de l’Opéra Studio.
Production du Grand Théâtre de Genève
Délicieux spectacle très agile parfaitement adapté à tourner dans d’autres villes et dans des salles à effectif réduit. Il me semble qu’Alain Perroux aura peut-être à créer un petit Opéra itinérant avec des travaux de ce type, nécessitant une logistique légère et permettant d’aller à la rencontre du public dit éloigné avec de la qualité.

 

Récitals

 

Un vrai programme de récitals, avec des noms enviables, des programmes variés, et les dimensions de la salle conviennent parfaitement à cette forme intime qui est en train d’être un peu négligée en France.
C’est un programme bien articulé, qui excite l’intérêt avec six chanteurs très différents, et tous excellents dans leur ordre.

  • Pavol Breslik est l’un des ténors les plus aimés du public, d’une rare intelligence des textes; il propose un programme typiquement austro-hongrois avec des auteurs tchèques (Dvořák), slovaque (SchneiderTrnavský), autrichien (Schubert) et hongrois (Liszt).
  • Eva Maria-Westbroek reste, malgré quelques passages à vide, l’un des sopranos dramatiques de référence aujourd’hui, dans un programme très ibérisant.
  • Karine Deshayes, accompagnée du pianiste Philippe Cassard qu’on ne présente plus et du clarinettiste Philippe Berrod, première clarinette solo de l’Orchestre de Paris (mais pas que, c’est un des clarinettistes les plus demandés au monde) propose un programme franco-allemand qui promet d’être passionnant.
  • Joyce El-Khoury apportera le Liban à Strasbourg dans une soirée qui excite la curiosité, par son originalité et sa variété.
  • Matthias Goerne, l’un des grands spécialistes mondiaux du Lied, propose un voyage de Wolf à Strauss en passant par Wagner.
  • Enfin Mark Padmore, le ténor des Passions de Bach, mais aussi de George Benjamin, ou de Britten ou du Winterreise de Schubert, proposera un programme Schubert Schumann pour lequel il sera accompagné par rien moins que Till Fellner.

Avec un tel programme, le public alsacien (et pas seulement) devrait se précipiter.

21 octobre 2020
Pavol Breslik, ténor
Piano, Amir Katz
Antonín Dvořák
Franz Schubert
Franz Liszt
Mikuláš SchneiderTrnavský

15 janvier 2021
Eva-Maria Westbroek, soprano
Piano, Julius Drake
Samuel Barber
Kurt Weill
Joaquin Turina
Jesús Guridi
Carlos Guastavino

17 février 2021
Karine Deshayes, mezzosoprano

Piano, Philippe Cassard
Clarinette, Philippe Berrod
Ludwig Spohr
Franz Schubert
Maurice Ravel
Henri Duparc

26 mars 2021
Joyce El-Khoury, soprano

Piano, Serouj Kradjian
Voyage musical en terre libanaise dans le cadre d’ArsMondo (Liban)

28 mai 2021
Matthias Goerne, baryton
Piano, Alexander Schmalcz
Hugo Wolf
Hans Pfitzner
Richard Wagner
Richard Strauss


23 juin 2021
Mark Padmore, ténor
Piano, Till Fellner
Robert Schumann
Franz Schubert

Il reste à espérer que la saison puisse se dérouler sous les auspices qui permettent à cette excellente maison d’opéra de retrouver un regard assuré vers l’avenir. Nous souhaitons bonne chance à Alain Perroux.

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: LUCIA DI LAMMERMOOR de Gaetano DONIZETTI le 11 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Barbara WYSOCKA) avec Diana DAMRAU

Mariage...© Wilfried Hösl
Mariage…© Wilfried Hösl

La presse locale signalait que d’une part Kirill Petrenko dirigeait pour la première fois du bel canto, et que d’autre part, c’était aussi la première fois qu’un GMD en titre abordait ce répertoire.
Et pour cause, le répertoire belcantiste concentré sur le chant, est considéré sans intérêt par les grands chefs, et les opéras les affichent avec des chefs de moindre prestige puisque dans ce répertoire, les voix attirent, pas les chefs.
On a vu cependant à Londres que Maria Stuarda dirigée par un chef de niveau comme Bertrand de Billy n’était pas à négliger. On sait aussi que la référence de Lucia di Lammermoor au disque (live) est Herbert von Karajan qui n’est pas un chef de seconde zone, avec Maria Callas, à Berlin.
Il est aussi de bon ton de mépriser cette musique (« à ch…» m’a encore dit récemment un ami paraît-il mélomane) pour la promettre aux oubliettes de l’histoire, pour affirmer que l’on ne devrait plus monter ces opéras etc…Je n’ai jamais aimé les anathèmes d’aucune sorte, y compris sur les questions de goûts musicaux. On peut ne pas aimer Lucia, et n’y pas aller, mais laissons les autres aimer sans les culpabiliser…
Je m’inscris donc en faux contre ceux qui édictent le bon goût opératique, plus souvent erratique qu’opéra… et je le dis d’autant plus librement que Lucia n’est pas mon opéra préféré de la période, et à Donizetti je préfère Bellini. Mais j’aime les opéras des reines (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux) et j’ai un faible pour Rosmonda d’Inghilterra, que j’aimerais bien qu’on aille tirer des oubliettes.
La question du répertoire est une question déterminante pour un genre aussi marqué par le passé. Parler du passé, c’est donc aussi évoquer le futur…La question du futur de l’opéra se pose chaque jour : on a vu Die Soldaten à la Scala marqué par des abonnés absents. Et ce n’est pas un opéra du futur, mais simplement d’un passé plus récent.
Il faut affronter clairement l’idée que l’opéra est actuellement un art du passé, car la production lyrique du moment, à de rares exceptions près, est assez pitoyable et surtout prétentieuse.

Mais l’opéra n’est pas has been puisque la musique nous parle encore puisque la musique c’est toujours du présent et du « direct » et non du différé. On peut simplement regretter que notre curiosité ne soit plus aiguisée, et que le regard en arrière domine…L’art avance dans le temps  en marchant toujours sur les ruines du passé (mais en construisant dessus), en tuant toujours le père, mais dans le cas presque unique de l’opéra, c’est du sur-place que l’art lyrique fait aujourd’hui avec un père encore très abusif. Prenons en acte, mais gare à la lassitude.

Si la musique de Donizetti parle encore en étant capable d’émouvoir, il est clair que les livrets ont du plomb dans l’aile, des livrets pleins de femmes sacrifiées ou folles (c’est utile, la folie en chant, c’est le chemin qui justifie vocalises et pyrotechnie) et d’amours contrariées. Les livrets, eux, sont des traces du passé, leurs histoires sont des émergences d’ambiances et de milieux révolus. C’est sur eux qu’il faut revenir…et c’est le devoir de la mise en scène.

Diana Damrau (Lucia) © Wilfried Hösl
Diana Damrau (Lucia) © Wilfried Hösl

C’est donc avec confiance que je suis allé voir cette Lucia, qui est un énorme succès. Parce que moi aussi, je n’ai jamais entendu diriger Lucia par un grand chef du calibre de Kirill Petrenko et qu’il était intéressant de voir le travail scénique de Barbara Wysocka, du cercle proche de Krzysztof Warlikowski, sans parler de Diana Damrau…
Énorme succès, triomphe indescriptible ce fut.
C’est dans les œuvres aussi passe-partout que Lucia di Lammermoor, abandonnée le plus souvent à des chefs de répertoire, parce que le public vient pour la voix et la scène de la folie, que l’on se rend compte combien tout change quand dans la fosse il y a un vrai chef…quelquefois même au déplaisir d’un public aux oreilles bercées par la routine. Je me souviens qu’un chef aussi musical que Peter Maag avait été copieusement hué à la Scala lors d’une production de Lucia (Pizzi, Pavarotti – en kilt !- et Luciana Serra).
Dans la production munichoise, le succès vient de la conjonction chanteurs, mise en scène et fosse, mais c’est quand même la fosse qui sous tend pour moi tout le reste.
Kirill Petrenko propose une version complète sans coupures, avec le glassharmonica à la place de la flûte dans la scène de la folie qui lui donne un aspect étrange, presque venu d’ailleurs, quand la flûte semble être une sorte de jeu avec la voix. Ici l’instrument dit quelque chose et la voix autre chose, c’est à la fois inattendu et très séduisant. Dès le départ, lorsqu’on entend les premiers roulements de tambour (qui font presque penser au final de Soldaten), on comprend qu’on va entendre autre chose. Une ambiance est dessinée. Inattendue, qui nous secoue.
Petrenko est assez sensible à ce qu’il voit en scène. Je l’avais constaté à Bayreuth, et je suis curieux de voir ce qu’il fera musicalement du Ring de Kriegenburg. Face au travail plutôt destructeur de Barbara Wysocka, il ne peut guère s’adonner aux fioritures, et l’histoire elle-même ne le permet pas. Amateurs d’italianismes de bazar, d’opéra de salon, passez votre chemin. Il y a dans cette direction de l’abrupt, du violent, du sombre, du vrai, une histoire tragique comme elle doit être jouée, romantiquement.
Ce qui frappe d’abord c’est l’extrême clarté du son, une limpidité stupéfiante, même au moment des ensembles, même quand le chœur chante à pleine voix, on entend tout l’orchestre, et donc tous les petits détails raffinés de l’écriture donizettienne, ceux que justement on n’entend jamais, un trait de violoncelle, quelques éléments de flûte, ou même ces percussions initiales dont Verdi se souviendra dans Trovatore et qui ici sont glaçantes.
Ensuite, c’est la dynamique de l’ensemble qui vous prend. Ruptures de tempo, transitions rèches, presque des anacoluthes musicales, des moments d’une énergie incroyable, d’une jeunesse vibrante, qui m’ont rappelé le jeune Muti des années 70, là où il osait tout, génialement, avant de tomber dans le conformisme de l’image et du miroir. Car ce soir, le chef ose tout. Le final de la première partie est un moment exaltant, un tourbillon sonore incroyable, d’une vivacité inouïe, un bouillonnement, en même temps incroyable de rigueur et de précision. L’orchestre suit, et Petrenko est attentif à tout, maîtrise tout : il ne cesse pas d’accompagner le plateau, calculant les volumes pour éviter de couvrir les voix, suivant chacun avec précision (des gestes d’une lisibilité jamais prise en défaut), le duo initial d’Edgardo et Lucia est à ce titre une leçon d’équilibre, de subtilité, d’engagement tel que l’émotion vous étreint d’emblée…mais dès que l’orchestre est seul, il explose en vibrations kleibériennes parce que ce soir, rien n’éclate, mais tout vibre au plus profond. Une Lucia di Lammermoor de cette trempe, on ne l’imaginait pas même simplement possible. Je ne sais l’impression que le streaming donnait, mais dans la salle, c’était à se damner.

Scène du mariage © Wilfried Hösl
Scène du mariage, Jenis, Breslik, Damrau, D’Aguanno© Wilfried Hösl

Mais ce tourbillon sonore est d’abord au service d’un plateau exemplaire. À commencer par les rôles de complément, l’Alisa de Rachael Wilson et surtout le Normanno de Dean Power, jolie composition en portaborse qui révèle à Enrico les amours de Lucia et Edgardo, ce jeune ténor irlandais déjà remarqué dans L’Affaire Makropoulos en début de saison mérite d’être suivi. L’Arturo de Emanuele d’Aguanno, rôle ingrat s’il en est pour un ténor qui cherche à se faire un nom, est très correct, dans son rôle de marié médiatique, voix projetée, émission correcte, timbre clair, un peu insipide cependant, mais c’est le rôle qui veut ça.

Dalibor Jenis (Enrico) le 11 février 2015
Dalibor Jenis (Enrico) le 11 février 2015

L’Enrico de Dalibor Jenis, qui a repris pour cette série le rôle que devait assumer Levente Molnar tombé malade, montre que ce baryton au timbre séduisant n’arrive toujours pas  à avoir le poids scénique nécessaire. Le volume n’est pas vraiment au rendez-vous, pas plus que l’émission. La personnalité est scéniquement crédible, l’intégration dans la mise en scène satisfaisante, mais il reste que, sans être problématique loin de là, sa composition reste en deçà du niveau des autres protagonistes ,

 

 

 

 

Raimondo (Georg Zeppenfeld) le 11 février 2015
Raimondo (Georg Zeppenfeld) le 11 février 2015

notamment le Raimondo de Georg Zeppenfeld, comme d’habitude parfait : voix claire, diction impeccable, projection exemplaire, un timbre magnifique et surtout une très grande expressivité, qui pose le personnage, notamment  dans la deuxième partie, évidemment, où, de séide d’Enrico, il devient un soutien de la pauvre Lucia et une sorte de médiateur, mais lorsqu’il est trop tard. Quel que soit le rôle, Zeppenfeld est au rendez-vous, et il impose très vite un personnage. Grande et belle prestation.

Et nous en arrivons aux protagonistes, un nouveau couple, splendide d’émotion et de tension, à commencer par Pavol Breslik. Ce jeune ténor slovaque de 36 ans est en train de s’imposer comme une des voix les plus intéressantes du moment. La voix est assez légère, mais très expressive, avec des qualités de clarté, d’appui, de couleur qui en font un véritable ténor pour le bel canto. Mais ce qui en fait le prix, c’est qu’à cette voix très présente il allie un engagement scénique proprement ahurissant, rendant le personnage d’Edgardo à la fois passionnant et bouleversant, dans cette mise en scène où il est un Edgardo-James Dean. Il a la beauté, la jeunesse, la vivacité, la présence et il a la voix, tellement expressive, sans avoir les défauts de certains ténors : il reste parfaitement rigoureux, pas de sanglots, pas de roucoulades, une fidélité au texte exemplaire. À la fin de l’opéra, il a eu un petit accident et la voix a disparu, il n’osait pas saluer le public en faisant des signes d’excuse, l’émotion diffusée avait été tellement forte que l’accueil du public a été fort justement triomphal. Face à l’étourdissante Damrau, il tient bon, il existe et à deux, ils créent le couple. Fabuleux.

Pavol Breslik, Diana Damrau le 11 février 2015
Pavol Breslik, Diana Damrau le 11 février 2015

Enfin, fabuleuse, car Diana Damrau m’a totalement bluffé. J’avais découvert dans sa Gilda au MET un vrai personnage « qui se posait là » avec une voix grande et non celle d’un rossignol, et avec une assise solide. Sa Traviata à Milan m’avait confirmé s’il en était besoin son intelligence scénique, sa sûreté, sa capacité à émouvoir.
Sa Lucia est sans doute sa composition la plus stupéfiante, qui est sans doute non le départ d’une grande carrière déjà entamée, mais qui pose Diana Damrau comme la bel cantiste du futur, à elle les reines donizettiennes, à elle les grands Bellini (même si son Elvira des Puritani ne m’avait pas complètement convaincu), à elle les grands rôles de la Gruberova.
Stupéfiante par la technique : la voix est large, assise, d’une étendue assez peu commune, d’une sûreté à toute épreuve sur tout le spectre. Contrôle sur le souffle, sur le volume, capable de fil de voix comme d’aigus stratosphériques, jouant sur la couleur, sur toutes les facettes de la voix. Proprement incroyable.

Scène de la folie © Wilfried Hösl
Scène de la folie © Wilfried Hösl

Stupéfiante par l’interprétation. Des Lucia, il y en a beaucoup, des petites voix qui veulent devenir grandes, du genre rossignol à trop gros appétit, des voix moyennes mais qui ont la ductilité et les agilités, des soprano légers, des Mesplé, des Dessay, des sopranos lirico-colorature, comme la Gruberova, ou la Sutherland sans oublier que Cheryl Studer l’a aussi chanté (colorature dramatique, disait-elle) une impératrice de Strauss se confrontant à la tendre Lucia ! et évidemment Callas, qui pouvait tout. Il y a dans ce rôle de quoi faire un festival pyrotechnique castafioresque, et puis il y a celles qui ont essayé d’en faire autre chose, d’aller explorer d’autre voies, de faire exister le personnage au-delà des aigus et des cadences, de faire de la couleur, des modulations, des obscurités des atouts pour son chant. Là se situe Damrau.

Stupéfiante enfin comme actrice, dont l’engagement n’a rien à envier à celui d’Edgardo : c’est d’ailleurs là l’incroyable pari de ce travail : faire vivre, brûler et se consumer un vrai couple romantique en faisant les héros d’une histoire sœur de West Side Story en version beaux quartiers une vraie Scottish Side Story.
Diana Damrau est, dans cette mise en scène, (je crains celle de la Scala, dans la mise en scène insipide de Mary Zimmermann et avec les Grigoloseries…) proprement incroyable de présence. Elle est une sorte de Grace Kelly amoureuse de James Dean, dans cette sorte de film années 50 que construit Barbara Wysocka. Elle est tellement engagée dans le personnage, tellement naturelle en scène qu’elle bluffe le spectateur, adaptant les vocalises, les agilités, les cadences à un geste, à un regard, à un élan qui font qu’on a l’impression que les acrobaties techniques du rôle procèdent du jeu et de la situation. C’est évidemment le cas dans la scène de la folie, sorte de one woman show, revolver au poing, menaçante et désespérée, mais c’est aussi le cas dans « regnava nel silenzio » et « quando rapito in estasi » qui suit, c’est aussi le cas dans la terrible scène du mariage, une des plus réussies de la soirée où elle darde les aigus les plus incroyables, mais sans jamais oublier qu’elle est Lucia avant de la chanter ; époustouflant.
Mais voilà, la chanteuse est intelligente, et modeste : elle se glisse dans les rôles avec une ductilité et un appétit qui ne peuvent que bouleverser le public par la vérité qu’ils diffusent, et par la justesse du jeu.
Car la mise en scène de Barbara Wysocka, très attendue, sans être un travail exceptionnel qui va renouveler les données du spectacle vivant, est un travail très juste et très stimulant.
Les données du livret sont claires et déjà Andrei Serban à Paris l’avait souligné. Dans un monde gouverné et dominé par les hommes, où les femmes n’ont qu’à obéïr et se taire (voir les manuels de savoir vivre de l’époque), Lucia est une victime soumise qui n’a de choix que la soumission ou la mort.
Barbara Wysocka essaie de voir comment cela peut aujourd’hui être vu autrement. Elle prend comme référence le cinéma, celui de la fureur de vivre, et fait des deux héros un exemple de cette envie de vivre qui traversait la jeunesse des années 50, portée par l’existentialisme.

Mariage "people" © Wilfried Hösl
Mariage “people” © Wilfried Hösl

Ce futur là, il est porté par Edgardo, qui respire vie, jeunesse et liberté. Lucia, elle sort d’une « bonne » famille, ruinée, et la référence est Grace Kelly, celle qui va épouser Rainier en un mariage « médiatique » reproposé ici :  micros, caméras, discours, un mariage « mis en scène », mais une Grace Kelly qui choisit de fuir et de refuser de se soumettre, qui résiste aux pressions, très agressive et distante avec son frère, et qui revendique son droit d’aimer en assumant un destin qui n’appartient qu’à elle.
D’où une scène de la folie sans vraie folie, mais le moment du choix de dire non, non au chœur des invités (qui ouvre la scène en dansant le twist sur la musique de Donizetti…), non à son frère, non à la famille. Et cette Lucia a décidé de se détruire en détruisant les autres, mari, famille, amis. Elle meurt en ayant conquis sa liberté, comme les grands héros tragiques. La force de cette idée, c’est de construire un mythe tragique et non une héroïne romantique.

Belles américaines (Acte I)© Wilfried Hösl
Belles américaines (Acte I)© Wilfried Hösl

Le cinéma est très présent dans ce travail, notamment par un jeu très réaliste jamais tributaire des gestes d’opéra, par l’évocation des belles américaines décapotables (même si James Dean c’est plutôt la Porsche Spyder…) et Barbara Wysocka montre une capacité réelle à diriger les acteurs. Elle sait aussi gérer un espace unique, une sorte de salon ruiné, décrépi (dans la deuxième partie, le toit s’est écroulé laissant voir charpente et pigeons qui s’y logent) avec au fond un graffitti ASHTON, qu’Edgardo à la première image ou presque va barrer à l’aérosol noir. Un salon où fauteuils renversés et piano retourné -semblent des traces d’une histoire disparue, d’une fortune envolée, tandis que reste le bureau, les affaires sont les affaires et le mariage est l’affaire du jour. Elle sait enfin créer des images warlikowskiennes, comme cette petite fille qui regarde le drame, Lucia enfant, déjà promise à la ruine avec son revolver à la main, qui regarde, première image du spectacle, son propre enterrement.

Cet espace amer d’un monde en déliquescence, n’est pas sans ironie cependant: les chaises dépareillées sur lesquelles les invités s’assoient au mariage, la présence des médias car dans cette affaire l’image prime le cœur et les êtres, les invités qui dansent le twist, et bien sûr, l’entrée spectaculaire de la belle américaine quand arrive Edgardo au volant, et en marche arrière dans la scène de la fontaine, devenue pour l’occasion une gravure que Lucia retourne parce qu’il évoque une histoire menaçante . Une belle américaine dont on verra la ruine à la fin, où quelques cloisons s’en sont allées, pour un espace plus rêvé, espace des espoirs fracassés comme la décapotable en capilotade en arrière plan.

Ce qui frappe dans ce travail c’est la manière très claire, très précise et très juste de dessiner les personnages, d’en faire immédiatement des symboles de ces vies ruinées, comme les magazines people en ont fait leurs choux gras, et malgré tout, qui restent des êtres qui existent, sentent, qui vivent, qui aiment et qui revendiquent leur liberté.

Bien sûr je crois qu’à la Première, comme toujours, quelques huées ont accueilli le spectacle, les habituels fossiles. Ce qui me paraît pourtant clair, c’est que la situation créée par la mise en scène, les personnages dessinés, donnent à cette histoire une vérité bien plus urgente, au lieu de se réfugier dans les brumes écossaises de Walter Scott, qui font certes fantasmer sur un romantisme de pacotille, mais qui n’émeuvent que par les pâmoisons suscités par des acrobaties vocales. Ici, l’émotion naît des situations, du jeu, du chant et de l’urgence musicale hypertendue créée par le chef.

Ce soir-là, tout a concouru à faire de Lucia di Lammermoor une histoire contemporaine, (encore que, il y a 60 ans…) ou du moins une histoire construite sur des références d’aujourd’hui, sur des mythes encore vivaces aujourd’hui, avec des chanteurs-acteurs de tout premier ordre. Il reste que sans un chef exceptionnel qui a su en saisir la violence et l’urgence, qui a su affirmer la présence, la nécessité de l’orchestre dans un répertoire où le plus souvent il est confiné dans le rôle d’écrin pour les voix, sans doute la soirée eût été différente, même avec Damrau.
À la Scala, en mai prochain avec Damrau, c’est le passe-partout (j’oserais dire le pâle partout) Stefano Ranzani qui dirigera : une fois de plus, cherchez l’erreur.
En tout cas, en écrivant ces lignes, je suis encore éberlué de ce que j’ai entendu, je n’aurais jamais cru être secoué à ce point par Donizetti. Et c’est merveilleux, après 42 ans de fidélité à l’opéra, d’être encore surpris. [wpsr_facebook]

Pavol Breslik (Edgardo) © Wilfried Hösl
Pavol Breslik (Edgardo) © Wilfried Hösl

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2013-2014: DIE ZAUBERFLÖTE/LA FLÛTE ENCHANTÉE de W.A.MOZART le 22 MARS 2014 (Dir.mus: Philippe JORDAN; Ms en scène: Robert CARSEN)

 

Scène finale © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney
Scène finale © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney

Un triomphe.
Des dizaines de personnes demandant un billet à l’entrée, un enthousiasme débordant à la fin du spectacle : la Flûte enchantée fait recette. On ne se trompera guère en disant qu’elle fait toujours recette tant l’opéra de Mozart convient à tous les publics. À Noël en Allemagne on y emmène les enfants petits, ce samedi, la salle était pleine d’adolescents sortis en famille, et le public était aussi varié et diversifié que possible : même Stéphane Lissner était dans la salle, même Hugues Gall.
Depuis l’ouverture de Bastille, seule la production de Bob Wilson, l’un des premiers spectacles conçus pour Bastille a survécu plus d’une reprise (régulièrement programmée depuis sa création en juin 1991 jusqu’à la dernière reprise en 2003-2004.
Hugues Gall avait bien produit une nouvelle Flûte confiée à Benno Besson,  qui a tenu à peine deux saisons (en 2000-2001 et 2001-2002) malgré de très honorables distributions mais on est revenu à Wilson en 2003-2004.
Celle de La Fura dels Baus, lors de la première saison Mortier, venue de la Ruhrtriennale, avait effarouché le public par son esthétique inhabituelle et l’approche appuyée par la substitution en 2004-2005 des dialogues de Schikaneder par un poème philosophique de Rafael Argullol.  Lors de la reprise de 2008, on revint à la version Schikaneder, et la Fura dels Baus réadapta le spectacle resté célèbre dans la mémoire dévastée du public parisien par l’utilisation de matelas géants. C’était un spectacle fourmillant d’idées qui eût pu rester à l’affiche, mais jamais Nicolas Joel n’aurait repris cette production éloignée de ses canons habituels : il fallait donc passer à autre chose.

Pour des opéras très populaires du répertoire, l’installation dans le temps d’une production est en général la règle (par exemple la Tosca de Schroeter ou La Bohème de Jonathan Miller) car le titre attire du monde et permet amortissement et prise de bénéfice. Ainsi, au vu l’histoire de cette oeuvre à l’Opéra-Bastille, la production Wilson aurait pu avoir la durée de vie de sa Butterfly, et notre Opéra national eût fait quelques économies.
Nous en sommes donc en 23 ans à la quatrième production…et c’est Robert Carsen, le grand industriel des plateaux, qui en assure la création, enfin, pas exactement, puisque le spectacle a déjà un an et a fait un peu grincer des dents lors de sa création à Baden-Baden, en 2013, inaugurant le règne des Berliner Philharmoniker et de leur chef Sir Simon Rattle transférés pour des histoires de gros sous au Festival de Pâques de Baden-Baden après avoir régné depuis 1967 à Salzbourg .

Robert Carsen est une vraie garantie : une modernité acceptable pour le public conservateur de l’opéra, une esthétique en général soignée pour ceux qui aiment les belles images,  et quelquefois, mais pas toujours, il a même des (belles) idées. Ainsi se justifie l’inflation de productions de Carsen sur les scènes lyriques d’aujourd’hui.

© Opéra national de Paris/Agathe Poupeney
Tamino/pamina & Sarastro/Reine de la Nuit © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney

Cette production ne change pas l’idée force de l’œuvre proposée déjà en 1994 à Aix en Provence, à savoir l’alliance entre La reine de la Nuit et Sarastro, pour faire en sorte que s’unissent le couple Tamino/Pamina. C’est une vision très shakespearienne, qui fait penser à La Tempête: il y a du Prospero dans ce Sarastro, un Prospero qui n’aurait pas rejeté Sycorax (voir The enchanted Island, dans ce blog) et toutes les épreuves sont conçues à deux, y compris lorsque l’on vérifie que Pamina refuse d’assassiner Sarastro, même sur la suggestion maternelle.
Carsen part des incertitudes et des incohérences du livret de Schikaneder, notamment le changement radical de point de vue entre le premier et le deuxième acte, où Tamino passe sans coup férir du camp de la Reine de la Nuit à celui de Sarastro, sans qu’on sache vraiment pourquoi, pour proposer une approche plus logique: Sarastro construit tout le scenario, les épreuves, et même l’attitude initiale de la Reine de la Nuit, de manière à ce que, allié à la Reine de la Nuit, il conduise le couple Tamino/Pamina à l’amour, à l’union, à l’initiation, et qu’ainsi les initiés, confinés dans un royaume souterrain, une sorte de royaume des morts avant la mort, puissent enfin avoir accès au jour. Voilà une Flûte enchantée vaguement parsifalienne, où une société confinée, statique, pétrie par l’idée de mort va passer du noir au blanc, du Yin (la femme, en noir: les trois dames sont une sorte de clan des veuves) au Yang (le blanc) sauf qu’ici tout le monde est en noir, et que si la Reine de la Nuit représente les femmes en noir, Sarastro représente, lui, les hommes en noir – au visage couvert – et tout ce beau monde est mêlé lors des chœurs (sauf qu’il n’y pas de chœur de femmes chez Mozart…).
En fait, le monde des femmes et des hommes est occupé par la mort (Tamino chute dans une tombe creusée dès le premier moment, là où l’on va jeter plus tard Pamina) et vit dans des espaces qui font penser à de vastes catacombes (cercueils, vaste échelles conduisant au jour et aux tombes creusées). Peu à peu au second acte, on enlève les voiles noirs, on agit à visage découvert, et à la fin, tout le monde est en blanc. Le jour est arrivé.
Pour mieux asseoir le concept, on circule autour de la fosse (d’orchestre),  et bien des scènes ont lieu au bord du golfo mistico. On comprend à l’image finale où chœur et solistes se penchent vers l’orchestre, que la seule fosse qui reste, et qui vaille c’est celle d’où sort la musique…de Mozart.

Robert Carsen et on peut le supposer, Philippe Jordan, ont opté pour une version avec les dialogues peu ou prou intégraux alors qu’ils sont souvent raccourcis. Mais la mise en scène n’en fait pas grand chose, sauf lorsque Papageno est en scène, dans ces moments de fraîcheur populaire que le chanteur autrichien Daniel Schmutzhard, ancien de la Volksoper de Vienne, sait valoriser avec métier; pour le reste, c’est quelquefois longuet.

Acte I © Andrea Kremper
Acte I (Baden-Baden) © Andrea Kremper

La présence de la vidéo (Martin Eidenberger) qui puise son inspiration aux meilleures sources (merci Bill Viola) donne une belle image de l’ensemble du dispositif scénique, notamment, dans la deuxième partie, jouant sur les quatre saisons selon la situation de Tamino et Pamina, ou projetant un gigantesque portrait de Pamina lors du fameux Dies Bildnis ist bezaubernd schön.
Carsen a voulu explicitement que l’initiation maçonnique  dans cette vision disparaisse : a-t-il alors voulu que ces maçons ne construisissent pas, mais creusassent : ces Maçons sont plus ou moins un club de fossoyeurs, des anti-maçons en quelque sorte. Là où il y avait compas ou triangle, il y a des échelles, porte d’entrée de ce monde vaguement infernal. Point trop besoin d’en rajouter sur les effets, même si l’épreuve du feu est particulièrement bien réalisée: ce monde du dessous est inquiétant en soi.

L'épreuve du feu © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney
L’épreuve du feu © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney

Il reste que cette vision générale permet à Carsen de véritablement obéir au texte très unanimiste de Mozart, en faisant de la scène finale une scène de réconciliation générale, où même le dernier esprit noir, le méchant presque définitif Monostatos, est intégré au groupe général par Pamina, et alors Monostatos…devient blanc. Magie quand tu nous tiens (il est vrai que François Piolino, qui chante le rôle, n’est pas grimé en noir…).
Bref, à la fin, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et tout le monde il est autour de la fosse d’orchestre pour célébrer le divin Mozart.

Pavol Breslik (Tamino) et Daniel Schmutzhard (Papageno) © AFP/PIerre Andrieu
Pavol Breslik (Tamino) et Daniel Schmutzhard (Papageno) © AFP/PIerre Andrieu

Vision réconciliatrice d’une originalité étonnante faite pour attirer les bravos…et qui effectivement attire les bravos.
On peut gager qu’une telle mise en scène, vu le triomphe remporté, en a désormais pour longtemps à l’Opéra Bastille, et dès l’an prochain, elle sera reprise avec deux chefs jeunes et intéressants, Constantin Trinks et Patrick Lange. Magie des effets du tiroir caisse.
Soyons justes, sans être un immense spectacle, l’ensemble se laisse voir sans déplaisir, même si une fois qu’on a compris l’alliance des « parents » Sarastro/Reine de la Nuit pour faire que les enfants s’aiment, rien n’est plus inattendu.

Le problème pour ma part vient plutôt de la fosse.
Philippe Jordan propose, comme d’habitude un travail très au point, je dirais bien mis au point, millimétré, laissant entendre tous les pupitres, dans une clarté remarquable sans scorie aucune.
Mais en l’entendant, je me mettais, inévitable ancien combattant de l’Opéra de Paris, à repenser à l’entrée au répertoire de la Flûte enchantée à l’Opéra Garnier…en 1977 (si …si…pas si vieux) avec Karl Böhm, Kiri te Kanawa en Pamina (et Martti Talvela en Sarastro)…et…et…. J’ai encore dans l’oreille l’orchestre de cristal de Böhm, son inépuisable énergie, ses raccourcis fulgurants, sa poésie aussi dans la capacité qu’il avait à faire chanter l’orchestre, à lui donner d’ineffables couleurs, à le mener, à le diriger c’est à dire, littéralement, à lui donner une direction…
Et l’entendais hier soir dans cette fosse de Bastille un orchestre au son morne, sans aspérités, parfait mais mortel (ah, ça, on était en phase avec la mise en scène !), un orchestre sans éclat, sans risque, mené avec le conformisme de la perfection froide, sans la moindre émotion, qui distillait, osons le dire un certain ennui, notamment au premier acte, jamais inattendu : une forme sans doute, mais pas d’âme, pas de personnalité, pas de caractère.
Et qu’on ne me dise pas, comme je l’ai vu écrit plusieurs fois « c’est la faute de la grandeur de la salle, peu adaptée à une œuvre qui est un opéra intimiste »..d’abord, on disait pareil quand on fit à Garnier Cosi fan tutte perdu dans l’immense vaisseau de Garnier (sic..avec Josef Krips à la barre quand même…).
Mais lorsque Karajan dirigeait La Flûte enchantée de Giorgio Strehler au Grosses Festspielhaus de Salzbourg, a-t-on été cherché la grandeur de la salle ? Lorsque Simon Rattle l’an dernier a dirigé la même mise en scène dans le non moins immense Festspielhaus de Baden-Baden, à l’acoustique non moins ingrate, a-t-on incriminé la salle et son immensité ?
Après vingt ans de Bastille, on sait bien que s’il doit y avoir triomphe, tout le monde entend l’orchestre : souvenons nous du Don Giovanni de Haneke, ou des Nozze de Strehler. L’orchestre n’est ni plus ni moins nombreux, et plus personne ne parle de la salle ni de son acoustique. Prétextes que tout cela car la direction imprimée par Philippe Jordan était pour mon goût simplement éteinte, sans véritable sève, sans vie, sans âme, même si je reconnais qu’il a remporté un vrai succès au rideau final. Je n’ai pas entendu pour ma part de quoi m’esbaudir.
Le chœur de l’Opéra, bien préparé, a vraiment ménagé de beaux moments, en particulier le fameux O Isis und Osiris.
Du côté des chanteurs, c’est un peu contrasté : les trois dames (Eleonore Marguerre, Louise Callinan et Wiebke Lehmkuhl) et les trois enfants de l’Aurelius Sängerknaben de Calw (près de Stuttgart) étaient excellents, les uns très veuves un peu olé olé, des veuves indignes si l’on veut, à vouloir s’arracher le blond, jeune et frais Tamino et parfaites au niveau du chant, de la précision, du rythme. Et les trois enfants tantôt en footballeurs, tantôt en wanderer, mimant ceux qu’ils conseillaient, étaient vraiment impeccables de cohésion et de fraîcheur. Fraîche aussi la Papagena juvénile de Regula Mühlemann.
Le Sprecher de Terje Stensvold, un rôle donné souvent à des gloires passées (j’ai entendu Hans Hotter dans les années 80) est ici vraiment défendu avec honneur ; le baryton norvégien, entendu ces dernières années dans Wotan, a une voix sonore, bien posée, avec une impeccable diction. Un joli moment, même s’il est court.

Daniel Schmutzhard (Papageno) et les trois enfants © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney
Daniel Schmutzhard (Papageno) et les trois enfants © Opéra national de Paris/Agathe Poupeney

Le Papageno de Daniel Schmutzhard, m’est apparu très conforme, par le style et par le jeu, aux grands Papageno des trente cinq dernières années (comme Christian Bösch par exemple), le timbre est agréable et séduisant, la couleur et la personnalité sont là, mais la projection et la puissance font un peu défaut.  C’est dommage, mais pas rédhibitoire, tant le personnage est bien construit avec une indubitable présence scénique, sans plumes, sans couleurs, mais en simple wanderer avec son sac à dos et sa glacière abritant les oiseaux capturés.
Le Monostatos de François Piolino, s’il est vraiment très à l’aise en scène, dans son physique de garçon mauvais genre, a l’abattage scénique, mais pas vocal, car la voix peine à s’affirmer et à s’imposer.

Sabine Devieilhe
Sabine Devieilhe

Une relative déception vient de la Reine de la Nuit de Sabine Devieilhe, que j’avais tellement aimée à Lyon l’an dernier dans le même rôle. Le premier air est hésitant, la voix peine à se placer, les aigus et notamment le fa sortent à peine, de manière aigrelette.
Cela va mieux, bien mieux même, dans der Hölle Rache ; la voix retrouve sa sûreté, les piqués sont nets, les aigus présents et pleins. Rien à redire, sauf que sur l’ensemble, c’est une prestation inférieure à celle de Lyon – il est vrai que les deux salles n’ont pas les mêmes exigences en terme de projection ou de volume.
Franz-Josef Selig en Sarastro a dans la voix cette simplicité et cette humanité naturelles qui en font un personnage attachant, même si on entendu des Sarastro plus profonds et plus sonores. J’ai aimé la diction, parfaite, la clarté du discours, l’émission impeccable, c’est sans conteste l’un des meilleurs éléments de la distribution. Il remporte d’ailleurs un très grand succès.
Pavol Breslik en Tamino a un très joli timbre, une très grande élégance du chant, une solide technique, mais il a un côté gentillet, mozartien au mauvais sens du terme, sans véritable éclat ni personnalité, qui contribue à faire pâlir le personnage, à en effacer le caractère. Je trouve que Tamino a besoin d’une voix qu’on pourrait imaginer en futur Lohengrin, une voix plus affirmée (comme l’était naguère Gösta Winbergh, ou comme l’a chanté Jonas Kaufmann). Ce Tamino reste pour moi un peu trop transparent, même si le chant de Pavol Breslik ne mérite aucun reproche au niveau technique ou de l’exécution.
Julia Kleiter était déjà en 2004 et 2005 Pamina à l’Opéra de Paris, elle a aussi été Pamina sous la direction de Claudio Abbado. C’est dire que le rôle lui colle à la peau, et qu’elle l’incarne : c’est sans doute la seule à avoir cette voix incarnée : son Ach ich fühl’s est à la fois merveilleux de fraîcheur, de simplicité et d’émotion retenue. Avec Sarastro, elle est la seule du plateau a dominer le rôle à force de simplicité et de naturel. Un grand moment de musique de poésie et d’intensité. Elle domine le plateau sans conteste.

Le triomphe final, les rappels nombreux, montrent que le spectacle a eu prise sur le public et on ne peut que s’en réjouir. C’est un spectacle honorable, de bon niveau, sans avoir l’aura des réussites totales et incontestées. Peut-être une direction plus vive, une distribution un peu plus équilibrée permettrait de donner à la soirée ce qui lui manque, cette hargne mozartienne à la veille de la mort, cette fraîcheur sonore, cette jeunesse de la musique, qui est la victoire définitive de la vie.
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Opéra Bastille, 22 mars 2014, saluts © Geir Egil Bergjord
Opéra Bastille, 22 mars 2014, saluts © Geir Egil Bergjord