OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: LES CONTES D’HOFFMANN de Jacques OFFENBACH le 18 DÉCEMBRE 2013 (Dir.mus: Kazushi ONO, Ms en scène: Laurent PELLY)

Acte III, Giulietta ©Jean-Pierre Maurin
Acte IV, Giulietta ©Jean-Pierre Maurin

Pour cette période de fêtes, l’Opéra de Lyon programme la reprise d’un spectacle qui à l’époque (2005) avait eu un très beau succès, Les Contes d’Hoffmann, dans la mise en scène de Laurent Pelly, et surtout dans l’édition de Michael Kaye et Jean Christophe Keck, qui à ce jour est la plus complète et tient compte des importantes découvertes de nouvelles musiques, notamment sur l’acte de Giulietta, qui change complètement de couleur, et sur la partie finale (Stella) beaucoup plus longue et chantée que dans les versions traditionnelles. Je vous épargnerai la saga des éditions de l’unique opéra d’Offenbach, mais peut-être pas mes nostalgies: j’ai toujours aimé le septuor de l’acte de Giulietta, très spectaculaire, qui a disparu (légitimement) de cette version, parce qu’il n’est pas de la main d’Offenbach, et mes oreilles furent bercées de “Scintille diamant” dans la version traditionnelle, alors que l’air est complètement transformé depuis la découverte de nouveaux documents.
Programmer la musique incluse dans l’édition Kaye/Keck est donc non seulement légitime, mais recommandé, même les auditeurs seniors ont été bercés d’autres versions mâtinées de Guiraud, qui avaient leur charme aussi, mais qui tiraient l’opéra plus vers la fantasmagorie d’opérette, que vers l’ambiance sombre du fantastique hoffmannien.

Les musiques découvertes encore récemment font donc ressortir les aspects noirs de l’œuvre et demandent une mise en scène adéquate: celle de Laurent Pelly n’a ni couleur ni clinquant, noir et gris dominent, dans un décor qui fait de cloisons qui bougent sans cesse, délimitant divers espaces, et diverses ambiances, avec des éclairages qui doivent beaucoup au cinéma expressionniste. Cette reprise, confiée à Christian Räth, montre une production qui après 7 ans n’a rien perdu de sa prise sur le public (grand triomphe final) et qui n’a pas vieilli. C’est le décor qui fait l’univers étrange dans lequel les personnages évoluent: des ombres, des redingotes grises, une belle géométrie des choeurs et des scènes, tout cela fait son effet, même si la direction d’acteurs reste assez conventionnelle.

Acte II Olympia (Patrizia Ciofi)©Jean-Pierre Maurin
Acte II Olympia (Patrizia Ciofi)©Jean-Pierre Maurin

L’acte II (Olympia) est le plus ironique, et au fond le moins sombre: cette histoire de poupée qui se brise, de diable berné par un docteur amoureux de la physique qui lui paie imprudemment un billet à ordre sur une banque en faillite, et d’un Hoffmann amoureux d’une lointaine silhouette qu’il découvre sans la voir vraiment (l’amour est aveugle), tout cela est assez divertissant sans aller bien loin. C’est un univers mécanique à la Jules Verne qui constitue le cadre de l’acte, la poupée est maniée par une sorte de machine de théâtre, et la malheureuse chanteuse doit chanter son fameux air en montant et descendant au rythme des aigus et des vocalises  avec le choeur assis sur des gradins coincés entre des structures métalliques à mi-chemin entre Meccano et tour Eiffel. Car tout le deuxième acte est conçu par Offenbach comme un spectacle dans le spectacle, Spalanzani donnant sa fille à voir comme un objet (qu’elle est) à des spectateurs rassemblés pour cela.
Le troisième acte (Antonia) est le plus réussi, parce qu’il est simplement le plus fort, et dramaturgiquement, et musicalement. Quand Patrice Chéreau fit sa fameuse mise en scène à Garnier (qui entre parenthèses pourrait encore aujourd’hui faire les beaux jours de Bastille), il affirma qu’il fallait “revenir à Hoffmann” et prit –  sur la version traditionnelle de Guiraud – des libertés avec le texte (il supprima la Muse et fit chanter Nicklausse par un homme) et l’ordre des actes. Affirmant avec raison que l’acte d’Antonia était le plus intense, il le mit en dernier, et le plaça après l’acte de Giulietta, dramaturgiquement moins bien ficelé. Les anciens se rappellent Christiane Eda-Pierre, Nicolaï Gedda et Tom Krause (qui vient de disparaître) autour de cette calèche noire d’où descendait le docteur Miracle…souvenirs..souvenirs…(4 reprises , 39 représentations en tout, 104% de fréquentation…fascinant).
Chez Pelly, le décor (de Chantal Thomas) est un intérieur de grande maison triste et sombre structuré par un grand escalier central qui se disloque ou se recompose à plaisir. Magnifique image que celle d’Hoffmann et Antonia d’un côté et de l’autre, se regardant et se tendant les bras dans le vide, chacun sur sa rampe. Miracle, personnage à la Murnau, apparaît tantôt en haut, tantôt en bas, tantôt sur les côtés et même dans le lustre, mais aussi en ombre. Un moment très réussi qui arrive aussi à créer une sorte d’intimité par un jeu de cloisons autour de la chambrette d’Antonia qui se referment sur elle comme un piège, mais aussi une sorte d’ambiance de maison hantée à la Edgar Poe.
L’acte de Giulietta, le dernier, est sans doute à cause de la Barcarolle le plus populaire de tous au niveau musical: il mélange l’histoire de Peter Schlemihl – héros du conte fantastique de Adalbert von Chamisso – qui a vendu son ombre et celle d’ Erasmus Spikher (dans l’opéra Hoffmann lui même) qui perd son reflet, c’est néanmoins à mon avis le moins construit du point de vue dramaturgique, parce que le moins linéaire. Pelly le place dans une ambiance “vénitienne” avec des sofas qui glissent comme des gondoles et des rideaux translucides comme autant de linceuls, ambiance plus aérienne, plus impalpable comme un reflet qui se perd. C’est très agréable à voir mais n’a pas la force de l’acte précédent.
Premier et dernier acte se passent dans un espace assez nu et le dernier acte est bien plus développé dans cette édition que dans l’édition traditionnelle, avec notamment l’air de Stella Hoffmann!Hoffmann! Ah! /Souviens toi du passé, l’air de la Muse C’est moi, la fidèle amie et surtout l’ensemble final magnifique qui se conclut par le désormais célèbre On est grand par l’amour et plus grand par les pleurs.
Au total une des meilleurs productions de Laurent Pelly, qui à l’époque fourmillait d’idées.

Acte III Antonia (Patrizia Ciofi)©Jean-Pierre Maurin
Acte III Antonia (Patrizia Ciofi)©Jean-Pierre Maurin

Du point de vue de la distribution, les choses sont inégales: Patricia Ciofi devait alterner avec Désirée Rancatore, ce qui promettait une belle bataille de sopranos en alternance, mais Madame Rancatore pour des raisons que seules les sopranos connaissent  a déclaré forfait. Du coup Madame Ciofi a dû demander à changer un peu ses dates: je devais avoir Patrizia Ciofi, j’ai eu Talise Trevigne, jeune soprano américaine qui vient de chanter les trois rôles à Knoxville. Il est toujours intéressant  de découvrir des voix nouvelles et la prestation de Talise Trevigne fait vraiment apparaître la difficulté d’aborder en même temps les trois rôles: quand on distribue trois sopranos différents pour les trois rôles, on a un soprano colorature léger (Dessay) pour Olympia, (capable de monter au contre mi bémol non écrit par Offenbach) de vocaliser sur les sommets, un rossignol en somme, un soprano lyrique pour Antonia (qui monte au si naturel quand même), la tessiture de Giulietta est celle d’un lirico spinto, nécessitant plus de graves et surtout une voix plus large et plus dramatique (Crespin…). Il faut donc pour interpréter les trois rôles avoir une voix ductile capable de monter très haut, d’une étendue large, assez dramatique: la quadrature du cercle en somme: en se promenant dans les distributions du passé, on constate que Anja Silja les a chantés, tout comme Irmgard Seefried, Anna Moffo et Joan Sutherland, c’est à dire des voix de natures très différentes. On constate aussi que bien peu de théâtres ont pris le risque d’afficher une seule chanteuse.

Talise Trevigne © Kingmond Young
Talise Trevigne © Kingmond Young

À Lyon Talise Trevigne ne m’a pas convaincu du tout et n’a visiblement ni les aigus d’Olympia ni ceux d’Antonia: à chaque fois, les notes hautes sortent mal, fausses, émises avec difficulté, et quand les suraigus sortent ils ne sont pas tenus mais à peine atteints. Elle est à l’aise dans les agilités, douée d’un beau médium assez charnu, mais avec un vibrato quelquefois accusé (dans Antonia c’est assez sensible); c’est peut-être dans Giulietta qu’elle s’en sort le mieux, même si les graves sont absents et inaudibles. Bilan plus que contrasté donc, qu’on excusera parce que c’était sa première apparition, et parce que néanmoins la voix a cette qualité de diction des chanteurs d’outre atlantique, d’une grande clarté, et que l’artiste a une certaine personnalité scénique. Mais il ne faut vraiment pas qu’elle chante ça et surtout pas les soprano légers qu’elle n’est pas du tout et dont elle n’a pas les notes. Rarissime à Lyon, quelqu’un l’a huée.

Laurent Alvaro©Jean-Pierre Maurin
Laurent Alvaro©Jean-Pierre Maurin

C’est bien plus sûr du côté masculin: le Coppelius/Dapertutto/Miracle/Lindorf de Laurent Alvaro est vraiment tout à fait à sa place dans un rôle où peut-être pour ma part je souhaiterais des graves mieux assis, mais la voix est large, la diction parfaite, le volume remplit facilement la salle. Chaque apparition de ce chanteur confirme qu’il est l’un des plus intéressants de l’hexagone. Pour mon goût, je préfère l’élégance d’un Laurent Naouri, à mon avis irremplaçable dans ce rôle, mais la silhouette, la présence, la coloration du chant, la force de conviction, tout en fait un excellent Diable.
Plus décevant (oserais-je dire comme d’habitude) Peter Sidhom dans Crespel (Acte d’Antonia inspiré du conte Le Violon de Crémone), pas de conviction, pas de force de jeu, pas de couleur, un chant sans intérêt; c’était un Alberich pour moi médiocre, on aurait pu penser qu’au moins Crespel…eh bien non.
Une très agréable surprise et disons le, l’un des très gros succès de la soirée, le très jeune Cyrille Dubois dans les quatre valets (Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio) et surtout dans Frantz. On a l’habitude d’entendre dans le rôle un ténor de caractère à la Michel Sénéchal (il y était désopilant): ici, c’est l’élégance du chant qui frappe, la fraicheur, l’humour et surtout l’incroyable mobilité du corps, il esquisse des mouvements de danse, lancé, pointe, écarts, le tout en chantant son air de “la méthode”, Jour et nuit je me mets en quatre. ll capte l’intérêt du public, occupe l’espace et la scène et en plus il chante bien, juste, avec une voix bien projetée. Belle prestation, d’un artiste issu de l’Atelier de l’Opéra de Paris qui décidément produit de vrais espoirs. Cela fait plusieurs fois que je remarque que beaucoup de ces jeunes sont valeureux et intéressants. Cyrille Dubois, à ne pas manquer si on lui donne des rôles qui font exploser sa personnalité !
Les autres rôles de complément sont tenus très honorablement notamment Christophe Gay (Schlemihl).
Angélique Noldus, que j’avais beaucoup aimée dans la Dame Marthe du Faust de triste mémoire de l’Opéra de Paris, m’a à la fois séduit et déçu. Séduit dans les airs (nombreux dans cette édition ) de la Muse ou de Nicklausse, notamment l’air du dernier acte C’est moi, la fidèle amie. La personnalité est attachante, l’artiste est émouvante, douée d’un naturel confondant en scène et dans la voix, jamais apprêtée. Mais justement quelquefois, et on aimerait un peu plus d’apprêt, un peu plus de manière (même si elle joue un rôle masculin, Nicklausse). Par ailleurs, certains aigus  sortent mal, d’autres sont somptueux; c’est un tout petit peu irrégulier, mais cela reste une artiste de valeur qu’il faut suivre.

Acte IV Giulietta ©Jean-Pierre Maurin
Acte IV Giulietta ©Jean-Pierre Maurin

Enfin, le vrai cadeau de la soirée, John Osborn,  un Hoffmann idéal pour le volume d’un théâtre comme Lyon. Nul besoin de forcer, une ligne de chant exceptionnelle, un vrai style français, avec la couleur, avec les nuances, avec les aigus et même plus! De plus, il est doué d’une diction impeccable sans l’ombre d’un accent et d’une belle personnalité en scène.
Je sais qu’il commence à aborder les rôles post-romantiques français (on pense à Werther…) et pourtant, même si cet Hoffmann est remarquable, c’est une voix faite pour les ténors (plus rares sur le marché) de Grand Opéra français, Meyerbeer, Halevy, Spontini, voire Henri des Vêpres Siciliennes de Verdi. On manque cruellement de voix pour ce répertoire-là, c’est le moment qu’un directeur avisé programme Les Huguenots, il serait un Raoul de choix (Bruxelles l’avait fait, comme me l’a susurré un lecteur lui aussi avisé). Quand on a un tel style, on le garde jalousement pour bel cantare.

Pour accompagner cette distribution plus homogène du côté des hommes que des femmes, un choeur de l’Opéra de Lyon (dir.Alan Woodbridge) en grande forme, très mobile, très impliqué dans le jeu, et mettant en valeur tout particulièrement le texte, on sent la familiarité avec le répertoire.
Quant à Kazushi Ono, à la tête d’un orchestre de l’opéra en formation “moyenne” (un calibre Mozart des Champs Elysées…) sans aucun accroc, il imprime un grand sens dramatique, avec une vraie précision dans les détails de l’orchestration, mais sans vrai lyrisme et avec un peu de sécheresse, mais cela cadre avec l’ambiance expressionniste de la mise en scène, un Offenbach qu’il tire vers les années 20. C’est surprenant, mais loin d’être désagréable à entendre, favorisé par l’acoustique très sèche de l’Opéra qui ne comble décidément pas les amateurs d’ivresse sonore.
Dans l’ensemble une soirée qui sans être mémorable fait passer un très bon moment, avec un public très disponible qui fait un triomphe au plateau, et une réalisation musicale soignée, dans une mise en scène fluide, d’une grande qualité esthétique et bien spatialisée. Un vrai bon spectacle de fêtes. Nous chassons d’ici langueur et soucis, glou glou.[wpsr_facebook]

Acte IV Giulietta ©Jean-Pierre Maurin
Acte IV Giulietta ©Jean-Pierre Maurin

LUCERNE FESTIVAL 2013: DER RING DES NIBELUNGEN, GÖTTERDÄMMERUNG (concertant) de Richard WAGNER le 4 SEPTEMBRE 2013 (BAMBERGER SYMPHONIKER, Dir: Jonathan NOTT)

Immolation © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Cet été  aura été celui des Ring tronqués, après Munich où j’ai vu Siegfried, mais pas le reste, Bayreuth où je n’ai vu que Götterdämmerung, mais pas le reste, cette fois-ci je rate Siegfried, (mais pas le reste) même si je me suis laissé dire que la soirée n’était pas de celles qui restent dans les mémoires. Les obligations laborieuses contraignent quelquefois à choisir le reste du monde plutôt que Wagner.

Et même après un Ring tronqué, on est toujours ému au moment du Crépuscule, toujours le cœur bat de cette musique tant écoutée, et sans jamais se lasser, même quand l’exécution n’est pas parfaite, même quand les chanteurs ne sont pas exactement là où on les voudrait, même si le chef n’est pas forcément dans une ligne qu’on aime, il reste que la musique fonctionne toujours, émeut toujours: il y a toujours pour le cœur quelque chose à prendre. Et ce dernier jour du Ring à Lucerne ne fait pas exception, d’autant que la curiosité d’un nouveau Siegfried peu connu, Andreas Schager, remplaçant Torsten Kerl malade, donnait quelque piment à la soirée et créait une attente.
Par ailleurs, les représentations concertantes obligent par leur forme à se concentrer sur le texte, et permettent à l’esprit non de vagabonder, mais d’approfondir certaines ambiguïtés, certains points complexes du livret,  sans que l’on ait à réfléchir sur le sens d’une mise en scène: l’esprit n’est pas plus libre, mais il est occupé différemment, il est concentré sur l’orchestre, sur certaines phrases musicales, sur le chant, sur le texte.
Pour les artistes aussi les enjeux sont différents: ils sont plus “observés”, on les sent pour quelques uns désireux de jeu, pour d’autres plutôt installés confortablement derrière la sécurité de la partition (bien peu la lisent, ou l’ont en main tout en s’en libérant) quant à l’orchestre, c’est incontestablement lui la vedette, mis en relief par sa position, par l’acoustique très favorable de la salle, par la disposition de certains pupitres, dissimulés en hauteur. Seul le chef est gêné, ne voyant pas les chanteurs (dans Siegfried, il paraît que cela a créé des petits problèmes), même si eux avaient sous les yeux des écrans qui renvoyaient son image. En bref, les sources d’intérêt et d’émotion sont certes différentes, mais elles contribuent à faire de la soirée, même imparfaite, et elle le fut, une belle soirée.

Acte III © Priska Ketterer/Lucerne Festival

C’était une jolie idée que de faire en cette année Wagner un Ring à Lucerne, avec un public qui peut-être n’a pas l’habitude d’en voir un. Profitant de la forme concertante, peut-être aurait-il gagné à être plus concentré (comme à Budapest, dans une salle similaire, où il y a quatre jours consécutifs) avec  des distributions différentes chaque jour (comme à Munich en janvier), ce qui évite la fatigue des chanteurs dans les rôles lourds comme Brünnhilde, Wotan ou Siegfried, tel que, il est difficile pour quelqu’un qui habite loin d’être présent 6 jours consécutifs à Lucerne: je me suis laissé dire que la salle était plus clairsemée pour Siegfried.
Néanmoins le profil général de l’opération reste très positif et satisfaisant. Il n’y a jamais un Wagner de plus, ou un Wagner de trop: une fois de plus, nous avons pu faire des découvertes, avoir des surprises, et même songer à des possibles d’une mise en scène, à partir des difficultés du livret, Götterdämmerung étant à mon avis faussement linéaire, à cause du statut de “l’oubli” de Siegfried, et de l’attitude de Brünnhilde en conséquence: je me demande toujours pourquoi Brünnhilde ne reconnaît pas Siegfried quand il revient en Gunther (car c’est quand même une sorte de “super” Gunther qui lui ressemble singulièrement – beaucoup de mises en scène en marquent l’ambiguïté ) et l’affaire de l’anneau surpris à son doigt laisse toujours perplexe et rêveur: Siegfried ne répond pas, il balbutie presque, Gunther avoue ne pas avoir donné l’anneau à Siegfried, et tout se passe comme si finalement chacun se contentait de la situation sans qu’elle se résolve. Un metteur en scène devait y instiller une part de doute, une part de possible reconnaissance, une part de résolution, bref, dans tout le deuxième acte, rien n’est de l’ordre de la vérité, mais rien n’est de l’ordre du mensonge non plus.
Et dites moi au fait, pourquoi  Siegfried en super Gunther reprend-il l’anneau à Brünnhilde?..Bref, le spectateur, le lecteur du livret a de quoi méditer.
J’ai dit beaucoup de bien du Bamberger Symphoniker dans mon compte rendu de Rheingold. Au bout du parcours, il convient de nuancer, il convient aussi de mieux appréhender le sens donné à sa direction par Jonathan Nott . D’un point de vue strictement technique, cet orchestre a des cordes superbes, ductiles, pleines, charnues (et dans le Götterdämmerung, les cordes ont la part belle), de bons bois, mais le problème réside dans des cuivres irréguliers et donc peu sûrs. Si les cors ont été meilleurs cette fois-ci (avec l’emploi bien mis en valeur d’une sorte de cor naturel à la forme allongée à plusieurs moments), le reste des cuivres avait de petits accidents, souvent couverts par l’orchestre. Jonathan Nott quant à lui a beaucoup trop négligé les équilibres sonores de la salle, en imposant un volume beaucoup trop important dès que l’orchestre jouait seul, il en résulte des fortissimi qui explosent à l’oreille, une marche funèbre qui écrase par son volume et finalement rate l’effet attendu, un final bruyant (ah! ces coups de cymbales!) moins harmonieux, et dès que les cordes reprennent la mélodie, elles mêmes souvent trop hautes, c’est incontestablement plus dominé.
En fait j’ai eu l’impression d’une volonté de créer des effets, qui ont sans doute plu au public au vu du succès énorme remporté par l’orchestre et le chef, mais la musique de Wagner a-t-elle besoin d’effets? Et surtout de ces effets-là qui finissent par perturber l’audition. Au total, si Jonathan Nott est un chef précis et de bonne réputation, il donne l’impression ici de ne pas tenir de vrai discours, de ne pas avoir de ligne, mais de rester superficiel, voire de se concentrer sur l’orchestre sans toujours prendre garde aux chanteurs (Filles du Rhin), ni même au choeur, car sa direction du choeur du deuxième acte ne m’a pas paru maîtriser les masses mais plutôt   laisser  le choeur un peu seul, d’où des impressions de décalage et de petite confusions dans les attaques.

Siegfried et les filles du Rhin © Priska Ketterer/Lucerne Festival

La distribution est plutôt honorable, avec des chanteurs splendides, et d’autres moins à l’aise. Les filles du Rhin m’ont moins plu que dans Rheingold: elles chantent fort, trop fort dans un moment qui devrait au contraire être plus lyrique, plus léger. Au début du troisième acte, leur chant est plutôt poétique, un peu mélancolique : rien de cela ici, déjà à cause de l’orchestre, qu’elles doivent dominer, et qui joue un peu au dessus de la ligne. D’où un effort trop marqué et un chant trop présent, même si les deux mezzos sont , comme dans Rheingold, plus en place que la soprano Martina Welschenbach (Woglinde) On les retrouve aussi comme Nornes (concentration de la distribution oblige), où elles donnent la réplique à Meagan Miller, c’est correct, mais sans vrai relief ni mystère.
Peter Sidhom est Alberich. Décidément, je n’arrive pas à accrocher à ce chanteur, il y a bien dans ce chant une volonté de donner de la couleur,  de dire le texte de manière acceptable, mais  la qualité intrinsèque de la voix n’est pas remarquable, le style reste un peu négligé, et le volume peu marqué: c’est bien pâle. Ainsi, le début de l’acte II n’a pas cette tension qu’on devrait noter. Thomas Johannes Kränzle dans Rheingold, avec une voix fatiguée, avait bien plus de relief et de maîtrise du personnage. Hagen, son fils (Schläfst du Hagen mein Sohn?), est Mikhail Petrenko. Cette fois-ci et surtout au premier acte, il domine beaucoup plus le rôle qu’il a interprété sur bien des scènes (Aix et Salzbourg par exemple), dans lequel on remarquait une voix jeune, assez claire qui tranche avec les Hagen habituels. Mais si le premier acte passe bien, les actes suivants suscitent plus de difficultés, qu’il résout un peu comme il le faisait avec Hunding, en appuyant sur certaines notes, en criant, et en négligeant la diction. Dans l’appel du choeur au deuxième acte, et dans l’ensemble qui conclut l’acte (avec Gunther et Brünnhilde) ce n’est pas la voix qui domine (Nagy s’impose plus dans Gunther). Mais là aussi, les effets des rugissements (qui remplacent le simple chant), portent sur le public qui lui fait un authentique triomphe. Je persiste à penser que Petrenko doit abandonner ces rôles qui ne conviennent pas à sa vocalité, sinon il ne durera pas longtemps à mon avis. Il était en effet vraiment fatigué à la fin.

Scène de Waltraute (Petra Lang – Elisabeth Kulman) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Une fois de plus, comme dans Fricka, Elisabeth Kulman fait la démonstration dans Waltraute d’un chant maîtrisé, intelligent, d’un texte mâché avec soin. Elle tient la partition, mais  finalement ne s’en sert pas, et réussit en peu de temps à capter l’attention du public, exceptionnellement silencieux par ses seules paroles, sans gestes superflus (alors que dans Fricka elle jouait). Sa Waltraute est captivante et tendue, complètement incarnée: personnellement, je trouve qu’elle est encore supérieure à Waltraud Meier dans la tension née du dire du texte. La seule référence qu’elle me rappelle, et elle est déjà lointaine, c’est Brigitte Fassbaender. Nous sommes à un très haut niveau de technique, d’intelligence, de chant: un moment d’exception. J’ai pensé à ce qu’elle fera un jour dans la Clytemnestre d’Elektra…Elle provoque d’ailleurs lorsqu’elle vient saluer une immense clameur, méritée.

Gutrune (Anna Gabler) Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Anna Gabler est Gutrune. À personnage inexistant chanteuse pâlichonne. l’impression des Meistersinger de Salzbourg où elle chantait Eva il y a quelques jours se confirme, une voix agréable, un physique avantageux, mais une expression assez absente; elle se réveille un peu au troisième acte et son intervention a un impact plus dramatique, plus présent, moins évaporé. Cette chanteuse devrait vraiment travailler l’expressivité et l’engagement.

Siegfried (Andreas Schager) Gunther (Michael Nagy) Acte I © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Tout différent est le Gunther de Michael Nagy (le très beau Wolfram de Bayreuth) qui a remporté un succès seulement ordinaire, là où j’avais envie de hurler mon enthousiasme. Mais c’est vrai, Gunther ne déchaine pas l’enthousiasme. Le personnage est pâle, falot, lâche, sans relief. D’abord, Nagy en dessine un personnage en peu de gestes: mains qui se tordent, petit gestes nerveux, presque des tics, regards en dessous, ne s’imposant jamais vraiment, et il chante le rôle comme il vit le personnage, sans excès, rien de trop, μηδὲν ἄγαν, même si on sent la voix volontairement retenue, notamment dans les ensembles au deuxième acte. En plus, le chant est vraiment intéressant, relief du texte, intelligence de la diction, joli timbre, un vrai ton et pourtant en scène une extraordinaire modestie, il est seulement juste, terriblement juste. Une vraie performance. Superbe.

Brünnhilde (Petra Lang)-Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

La Brünnhilde de Petra Lang est sans doute plus à l’aise que dans Walküre, d’abord, elle connaît mieux le rôle, mais cela ne veut pas dire qu’elle l’incarne: la scène avec Waltraute est terrible sous ce rapport: chanteuse honnête face à incarnation; théâtralement, elle n’existe pas. C’est un vrai mystère pour moi qui l’ai vue en  Ortrud qui brûlait les planches. J’en viens à penser que Brünnhilde pour elle est une erreur de casting (même si elle le chante sur bien des scènes). D’abord, la voix a des problèmes. Ayant sans doute cultivé les aigus ébouriffants qu’elle avait dans Ortrud, et ayant sans doute travaillé ce registre si important pour Brünnhilde, elle qui était mezzo, voire contralto, elle n’a plus de grave. Le son  ne sort pas dans le registre grave. c’est comme si elle avait une voix clignotante, à éclipses, tantôt du son, tantôt du vide, dès que dans une même phrase on a une alternance aigu/grave. De plus, l’aigu existe évidemment, mais il reste banal, il n’a pas de vraie chaleur, pas de vrai développement (Catherine Foster à Bayreuth avait le même problème avec les graves, mais elle avait un registre aigu superbe, large, chaud). Elle se sort honorablement de la scène de l’immolation, mais sans rien de particulier, ni vécu et vivant, ni incarné et charnel. Je parlais de ton juste à propos de Michael Nagy, je parle ici d’une Brünnhilde qui est quelquefois musicalement et vocalement inexistante qui n’a justement pas de ton. On attend de Brünnhilde une vibration,  et ici il n’y en a pas, et cela reste plat. J’attendais une bête de scène, et je trouve seulement une chanteuse appliquée, sans cette petite lumière qui porte à l’incandescence public et plateau. Une Brünnhilde de série pour un rôle qui ne supporte pas la série. Surprenant et décevant, mais pas indigne.

Jonathan Nott-Siegfried (Andreas Schager-Hagen (Mikhail Petrenko) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Et Siegfried? Siegfried, c’est Andreas Schager, qui a chanté aussi Siegfried ce printemps avec Barenboim, qu’on a entendu à Rome dans Rienzi. Il connaît parfaitement le rôle, il le joue, avec engagement, et même un soupçon d’excès. Il joue un ado attardé, naïf, sans distance par rapport aux choses, il bouge beaucoup, s’assoit, se couche, bref, autant la Brünnhilde de Petra Lang est figée, autant lui virevolte. Il est agréable, a peu le profil du Heldentenor (il est filiforme) et il n’en a pas la voix non plus, mais il a une vraie voix, un timbre assez agréable, et son chant est vraiment expressif. C’est évidemment supérieur à Lance Ryan,  et aussi à Torsten Kerl même quand il est en forme. Son troisième acte (aussi bien la scène des filles du Rhin que celle de la mort) est tendu, vraiment en place et même assez impressionnant dans le contrôle vocal et la manière de ménager des effets calculés. Il a eu un ou deux menus accidents, dont une attaque (à aigus…) ratée et passée par profits et pertes avec un sourire et une certaine désinvolture élégante qui ne m’a pas déplu. Voilà une très agréable surprise, qui a bien éclairé le premier acte car ce Siegfried au pied levé a immédiatement démontré une grande maîtrise. Apparu assez tard sur le marché des Siegfried internationaux (il a 42 ans), c’est un chanteur qu’on va sans doute voir assez fréquemment sur les scènes wagnériennes. Jay Hunter Morris, Torsten Kerl, Stephen Gould, Lance Ryan et maintenant Schager, on a plus de Siegfried en ordre de marche (ou à peu près) que de Manrico pour Il Trovatore…

Mort de Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Je disais mon émotion à la fin de ce Götterdämmerung, et peut-être après ce compte rendu assez tatillon y voit-on une contradiction. Je maintiens qu’il y a plusieurs  niveaux de lecture et de jouissance wagnériennes: il y a l’audition pure de l’oeuvre qui de toute manière produit son effet, il y a aussi l’attention et la chaleur du public qui est communicative (et Wagner génère tension et attention), il y a enfin quand on en écoute souvent sur les scènes, les inévitables comparaisons: Le Götterdämmerung de Munich en janvier reste insurpassable. Celui de Lucerne nous a permis de (re)découvrir des artistes vraiment exceptionnels (Kulman, Nagy, Vogt) et de découvrir (par le hasard des grippes)  un nouveau Siegfried, et a constitué malgré les réserves un moment de plaisir, puisqu’à l’accord final, on avait déjà envie de remettre ça, comme dans toute pratique addictive…car je vous le rappelle, dans les drogues, il y a le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et Wagner.
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Saluts

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2012-2013: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin) de Richard Wagner,(Dir. mus: Philippe JORDAN; ms en scène Günter KRÄMER) à l’Opéra Bastille (12 février 2013)

 

Photo de répétition (févr. 2010) © Opéra national de Paris/ DR

Pour le détail, notamment de la mise en scène, je renvoie le lecteur à mon compte rendu de la représentation de Rheingold du 16 mars 2010, il n’y a rien à changer  de ce qui avait été dit à l’époque.
Malgré la déception passée, et à quelques semaines du magnifique Ring de Munich qui me suit encore à la trace, j’ai voulu profiter du hasard d’un passage à Paris pour revoir ce spectacle, pour constater ou non des évolutions, vu que j’en ai entendu des échos très favorables, voire hyperboliques.
j’ai beaucoup médité sur une conversation saisie derrière moi dont j’ai entendu sans le vouloir un ” Wagner, il faut oser!” au sens où aller voir un Wagner, c’est oser… Bienheureux Richard Wagner  pour qui presque jour pour jour 120 ans après sa mort (13 février 1883)   il y a encore des spectateurs qui considèrent audacieux d’aller voir un de ses opéras ! Mieux, il y a les wagnériens impavides “sic” qui vont voir 5h d’opéra ! (je me disais  “pas seulement les wagnériens pur sucre, sinon les salles seraient clairsemées..”).  A part ces fragments d’un discours ni amoureux, ni musical ni wagnérien, je me suis réjoui de voir tant de gens faire la queue des derniers moments en billetterie, tant de jeunes aussi, et au fond tant de curiosité pour Wagner, dont on ne voit pas fréquemment les œuvres à l’Opéra de Paris, et en particulier le Ring (Rheingold: 1976, 2010, 2013). C’est pourquoi j’ai scrupule à émettre tant de réserves sur cette entreprise, moi qui suis un enfant gâté du wagnérisme, car à part voyager, quelle possibilité a le parisien de voir du Wagner, sinon se contenter de l’offre locale? Car c’est bien Wagner qui provoque cette ruée, à chaque fois, Wagner bien plus que le renom de la production parisienne: le public a une envie très légitime de cette musique, qu’il n’a pas l’habitude d’entendre et pour laquelle globalement il a peu de références autres que des enregistrements.
Si on a des références scéniques nombreuses, alors le regard est forcément différent, même si hier, j’étais disposé à me laisser surprendre, alors que j’avais juré qu’on ne m’y prendrait plus, car en matière de théâtre, rien n’est définitif.
Las, la mise en scène a provoqué à trois ans de distance les mêmes irritations, longs trous noirs générateurs d’ennui, peu de direction d’acteurs, des éléments peu motivés (Germania) sinon que tout pouvoir veut sa trace d’architecture, de Versailles à la Pyramide du Louvre en passant par Germania, le rêve de la cité idéale selon Hitler et surtout Speer et les mêmes appréciations (la scène initiale des Filles du Rhin, esthétiquement réussie). Comme Kriegenburg à Munich, Krämer utilise des figurants humains pour faire le Rhin (encore que chez Krämer le Rhin est figuré par des fumigènes et que ces centaines de bras sont une sorte d’univers animalier du fond du Rhin.) ou pour figurer le dragon ou la grenouille de la scène de Nibelheim. Mais là aussi, le spectateur non averti voit peu de différence entre la figuration du dragon ou de la grenouille vu que l’argument essentiel (le jeu sur les tailles) ne se voit pas clairement sur scène: Kriegenburg utilisait des hommes pour montrer l’humanité en charge du mythe, qui le racontait ainsi en le figurant. Ici, on a l’impression que c’est l’effet pour l’effet, sans objectif précis car au bout de cette deuxième vision, je ne sais toujours pas quel propos nous est tenu. Ah oui, l’idée du pouvoir sur la terre:  Wotan trône sur un globe illuminé,

Photo Opéra National de Paris

et les géants sont des ouvriers en colère qui plantent leurs drapeaux rouges sous les fenêtres des Dieux…une métaphore éculée de la doxa scénique wagnérienne. On ne peut même pas dire qu’il n’y ait pas d’idées, mais elles ne sont exploitées que pour elles mêmes, jamais mises en lien pour construire un discours unifié autour d’objectifs clairs.
Du point de vue de la distribution, incontestablement et dans l’ensemble, on a un ensemble de chanteurs de très bon niveau, qui sont laissés à peu près à eux-mêmes. Les Dieux, Froh, Donner sont vraiment des dieux de luxe aujourd’hui, mais justement, confier Froh à Bernard Richter dont ce n’est pas tout à fait le répertoire, et à Samuel Youn Donner alors qu’il chante aujourd’hui le Hollandais, c’est peut-être sur-dimensionner, car la valeur ajoutée incontestable de ces deux chanteurs de grande notoriété ne rajoute pas grand chose à leur prestation scénique dans des personnages un peu secondaires . Le Wotan assez juvénil d’Egils Silins, entendu à Munich dans ce même rôle, est très correct, avec un joli timbre, mais manque de largeur et ne s’impose pas (peut-être le personnage est-il voulu ainsi?) , pas plus que Kim Begley en Loge, violemment hué et bien en deçà de sa prestation il y a trois ans: la voix est fatiguée, la composition un peu pâle, routinière.
Du côté des géants, rien à dire, ils sont excellents (Groissböck!) avec une belle découverte, le Fasolt imposant de Lars Woldt. Si Wolfgang Ablinger Sperrhacke fait une composition honorable en Mime (il est bien plus convaincant dans le Mime de Siegfried) Peter Sidhom en Alberich est à la limite de l’acceptable: sa première scène est mal chantée, pas de puissance, diction à la dérive, voix mal appuyée sur le souffle, peu colorée. Le reste de ses interventions ne passe que parce qu’il  substitue à la couleur, aux modulations, à la puissance, aux aigus, qu’une manière d’appuyer sur le mot, de nasaliser, de donner un peu de relief au discours, qui reste quand même notoirement indigent. Une erreur de distribution.
Les trois filles du Rhin ne sont pas exceptionnelles, et surtout leurs voix ne fusionnent pas ou fusionnent mal, ce qui est gênant pour des filles du Rhin si élégamment vêtues de robes sur lesquels sont cousus deux seins apparents et un pubis bien poilu.
Sophie Koch en Fricka sans avoir une voix d’exception a un chant  affirmé, et impliqué, ce qui en fait une Fricka très présente et engagée. Bonne prestation aussi d’Edith Haller qui a la voix du rôle, le volume, les aigus de Freia, elle est une Sieglinde en puissance (et en réalité) et cela s’entend, tellement plus convaincante que Ann Petersen il y a trois ans.
Moins convaincante la Erda de Qiu Lin Zhang, affligée d’un fort vibrato, qui traverse deux fois la scène (pendant la remontée du Nibelheim et dans sa scène) de la même manière, et sans vraiment diffuser de mystère ni de conviction.
Peu de mystère non plus dès le départ dans une direction musicale décevante, toujours très précise et très en place mais sans aucun éclat ni relief; cela reste très plat, si plat qu’on entend peu l’orchestre notamment pendant les trois premières scènes, on entend à peine les cuivres, et l’orchestre semble avoir un style “chambriste”, qui prendra du volume vers la fin.
Dès l’accord initial, on n’a aucune couleur, aucun sentiment que quelque chose commence: un discours fait de notes, mais pas de musique. La mise en scène a sans doute quelques idées mais pas de discours global, la direction musicale n’affiche pas de véritable parti pris, pas de point de vue sur l’œuvre, c’est un travail neutre bien sage,  bien fade et sans imagination – quand on pense au parti pris de clarté et de modernité de Nagano à Munich ! on  reste frustré ici du manque d’invention- un travail qui donne de l’espace à la mise en place des instruments, à une construction technique mais sans vraie modulation ni variété ni couleur qui puisse convaincre, sans réponse à la question musicale posée par le Ring.

Pour toutes ces raisons, je suis vraiment resté réservé sur un spectacle pas si mal distribué, mais qui génère une grande insatisfaction musicale et scénique: quand deux pieds sur trois du trépied lyrique sont bancales, cela ne marche pas. J’aurais aimé que quelque lumière se lève sur ce Rheingold, mais l’or est resté bien caché, au profit d’une grisaille sans âme. Je me réjouis cependant du fort succès obtenu, c’est la preuve que Wagner fonctionne en dépit de tout (et c’est sa force!): un Verdi du même niveau n’aurait sans doute pas passé la rampe.
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