OPERA DE LYON 2010-2011 : FESTIVAL MOZART le 31 mars 2011 – LE NOZZE DI FIGARO DE W.A.MOZART (Dir.mus: Stefano MONTANARI, Ms en scène: Adrian NOBLE)

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Après Pouchkine, Mozart. Belle idée de Serge Dorny que de proposer en un mois les trois opéras de Mozart-Da Ponte en puisant dans le répertoire de l’opéra de Lyon  les productions montées les saisons précédentes, et en affichant une sorte de “troupe Mozart” composée de chanteurs qui dans  leur majorité participent aux trois productions, toutes trois signées Adrian Noble, comme les Pouchkine-Tchaïkovski étaient signées Peter Stein. Le résultat, des coûts contenus (ce sont des reprises) et une affluence de public pour un événement bien médiatisé.

La production des Noces de Figaro remonte à 2007, et la direction musicale en avait été confiée à William Christie et Jérémie Rhorer: c’est dire que Serge Dorny avait voulu donner une couleur nettement “baroque” à la lecture musicale, et l’appel à Stefano Montanari cette année confirme cette entrée.

montanari.1301737229.jpgJe connaissais Stefano Montanari comme violoniste qui fait partie de ces musiciens italiens qui depuis une quinzaine d’années essaient d’imposer dans la péninsule et en Europe une  interprétation “italienne” de la musique baroque, dans la lignée des Rinaldo Alessandrini,  Giovanni Antonini, ou Ottavio Dantone, avec qui il a travaillé comme premier violon de l’Accademia Bizantina. Il a désormais aussi une activité de chef d’orchestre, et son approche, à la fois très dynamique, mais aussi très sèche donne à l’ensemble du spectacle un côté haletant d’une folle journée très tendue, pas toujours tendre, mais en tous cas tourbillonnante. Sans doute les moments plus lyriques, ou mélancoliques en pâtissent-ils un peu (Air de Suzanne du dernier acte “Deh vieni non tardar” , ou les deux airs de la comtesse, et notamment le second “Dove sono” et même le fameux “Voi che sapete”de Chérubin).

a3.1301735842.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Il est vrai aussi que les voix choisies participent de ce parti pris qui valorise l’urgence, la sève et le désir, et moins la tendresse: elles sont souvent un peu froides (c’est frappant pour la comtesse de Helena Juntunen, très crédible en scène, très engagée, belle femme et belle actrice, moins marquée dans l’émotion: il est vrai que la mise en scène accentue le poids des désirs interdits plus que celui des coeurs meurtris), c’est aussi le cas de la Susanna de la jeune roumaine Valentina Farcas, très pétillante et juste sur scène, très entraînante, et particulièrement belle actrice, mais la voix est petite pour mon goût et pas suffisamment large pour Susanna: ce qui frappe chez les grandes Susanna (Lucia Popp par exemple) c’est à la fois l’aisance dans l’aigu, mais aussi une pâte vocale plus épaisse qui donne de la consistance à un air comme “deh vieni non tardar”. Ici, on a les aigus, incontestablement (Valentina Farcas chante Blonde dans Clemenza di Tito, ou Zerbinette d’Ariane à Naxos), mais la voix manque d’un peu de corps: au total là aussi l’impression de froideur domine celle de tendresse.
a2b.1301735834.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Le Cherubino de Tove Dahlberg est sans doute scéniquement l’un des plus justes que j’ai jamais vus, vraiment l’apprenti Comte qu’on attend, une fripouille qui sait à la fois exciter le désir et se faire pardonner. Dans le monde d’Adrian Noble, personne n’est tout à fait blanc ni tout à fait noir. Déjà dans la distribution de 2007,Tove Dahlberg confirme ici ses qualités. Mais là encore, la tendresse qu’on attendrait dans “Non so piu’ cosa son..” ou dans le “Voi che sapete..” laisse place à une sorte d’expression du désir qui sort par tous les pores et qui emporte tout. Le personnage rappelle beaucoup le Cherubino magnifique de Christine Schäfer dans la production de Christoph Marthaler à Salzbourg et Paris, mais Chistine Schäfer réussissait peut-être mieux à émouvoir et à rendre vocalement l’ambiguité et la complexité du personnage que Tove Dahlberg ici rend parfaitement, mais plus scéniquement que vocalement. On dit souvent que le rôle de Barberine est plus difficile qu’il n’y paraît et que son air minuscule du début de l’acte IV (L’ho perduta …me meschina) annonce une future Susanna. L’intensité de Elena Galitskaia dans cet air est vraiment étonnante, et la couleur de la voix annonce incontestablement une possible Susanna. Joli moment. Enfin Adrian Noble a présenté le couple Marzellina-Bartolo comme moins “vieux”, moins “barbons” que d’habitude. Bartolo est une sorte de vieux beau, et Marzellina a la cinquantaine énergique, vaguement ridicule avec ses cheveux roux, une sorte de vieille secrétaire des films américains. Il est dommage que son air du quatrième acte “Il capro e la capretta” appel à la solidarité féminine ait été coupé (tout comme l’air de Basilio “In quegl’anni”), mais la toute jeune Agnes Selma Weiland, qui appartient encore je crois à l’opéra Studio du théâtre de Brème, donne un vrai relief au personnage et en même temps une vraie fraîcheur, ce qui est paradoxal quand on pense à Marzellina, même si je garde une grande tendresse pour les compositions de Sophie Pondjiclis dans ce rôle où elle a incontestablement marqué les années 90 et le début des années 2000 (voir la production de René Jacobs au Théâtre des Champs Elysées).
Du côté des hommes, Bartolo surprend dans une production où le personnage n’est pas le ridicule habituel, il est confié à Andreas Bauer, basse en troupe à la Staatsoper de Berlin, qui donne relief et assise au personnage. On aime à retrouver Jean-Paul Fouchécourt dans un rôle de composition comme Basilio (lui qui fut inoubliable dans Platée). Fouchécourt est en train de prendre les rôles dans lesquels le grand Michel Sénéchal brilla naguère. Le comte de Rudolf Rosen en revanche déçoit un peu. Il est incontestablement le personnage dont l’entrée en scène ouvrant sa robe de chambre (il est en caleçon dessous) devant Susanna est une des idées les plus désopilantes et justes de la mise en scène, mais la voix manque de ductilité notamment dans son air du troisième acte “Hai già vinto la causa” où les vocalises finales manquent de souplesse et sont sérieusement “savonnées”, manque de projection aussi, et donc manque de relief. Dommage, car le personnage est très juste scéniquement.

a3c.1301735854.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Ce n’est pas le cas du Figaro de Vito Priante, seul italien d’une distribution très germano-nordique, impeccable scéniquement et à la voix chaude, chaleureuse, bien posée, à la diction et à l’émission parfaites: un vrai Figaro, et sans doute un chanteur d’avenir. A noter que beaucoup ajoutent à leurs airs des cadences, pas toujours réussies pour mon goût mais qui ont le mérite de mieux inscrire l’œuvre dans son époque: quand j’ai commencé à aller à l’opéra, on n’entendait jamais de cadences dans les opéras de Mozart et notamment dans les Noces, elles ont commencé à apparaître sur scène dans les années 90, et c’est heureux, cela donne de la variété et de l’invention et cela ne fige pas la partition.
Tous ces artistes sont très engagés dans la mise en scène d’Adrian Noble, dont ils épousent parfaitement les demandes. Adrian Noble a situé sa trilogie aux USA, qui, dit-il, sont aujourd’hui l’Empire qu’était l’Empire d’Autriche à l’époque de Mozart, ainsi Cosi’ fan tutte est situé en Californie et Don Giovanni à Little Italy (Peter Sellars avait d’ailleurs déjà eu il y a  trente ans la même idée, alors révolutionnaire). En balayant la Trilogie de Da Ponte, Adrian Noble balaie la société américaine, et il situe ses Noces à Washington, à l’ombre de la Maison Blanche (on pense irresistiblement à l’affaire Monica Lewinski-Bill Clinton), le Comte est d’ailleurs à son entrée accompagné d’un garde en grand uniforme américain. Ce monde est très léger, très transparent (en suspension au dessus du plateau au premier acte les tables de mariage du troisième acte et les chaises), et sens dessus-dessous (les personnages marchent sur des plafonds à la Tiepolo) on voit aussi ce qui se passe dans le cagibi du second acte où est enfermé Cherubino puis Susanna, Cette transparence est en quelque sorte une gageure dans une œuvre où comme celle de Beaumarchais, les objets sont nombreux,envahissants, omniprésents et totalement indispensables au déroulement de l’intrigue: ainsi du fauteuil du premier acte apporté en scène en grande pompe. J’ai trouvé les deux premiers actes mieux réglés que les deux derniers.

a3b.1301735892.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Le troisième acte est cependant, assez banal, plus illustratif qu’explicatif, seul moment où l’espace, envahi par les tables du banquet de mariage, est totalement (et volontairement?) contraint. Quant au quatrième acte, dans ce très beau décor de bosquets-nuages et ce bassin central au bord et dans lequel se roulent les personnages, on a besoin d’une très grande clarté des mouvements (qui est qui? qui est où? qui passe? qui reste?) tant c’est un ballet d’ombres. Ici, les choses ne sont pas réglées clairement et j’avoue avoir encore (et toujours) en référence la mise en scène de Strehler, qui maîtrisait (qui maîtrise, on la verra encore à Paris en fin de saison) tellement bien les entrées et les sorties, les passages, que tout était clair et identifiable en un ballet à la fois désopilant et poétique. On n’a rien fait de mieux depuis en matière de réglage de ce quatrième acte (peut être Jonathan Miller avec Abbado à Vienne et Ferrare?).

Il reste que dans l’ensemble on a là une production virevoltante, qui rend justice à cette folie voulue par Mozart, tant musicale (avec une direction rapide, énergique, contrastée) que scénique et une compagnie homogène, qui fait a fait finir dans la joie et l’enthousiasme ce Festival Mozart tout à l’honneur de l’Opéra de Lyon.

Quelques remarques complémentaires: une fois de plus, et peut-être encore plus que d’habitude, le théâtre était rempli de jeunes ce qui a fait craindre à certains spectateurs voisins une certaine agitation: rien de tout cela, je regardais çà et là les visages de ces jeunes, ils étaient captivés et souriants, un peu comme ce merveilleux visage qu’on voyait dans la “Flûte enchantée” de Bergman. “Lycéens et apprentis à l’Opéra” fait un magnifique travail grâce à la région Rhône Alpes, il faut le dire et le répéter sans cesse: c’est pour moi la meilleure manière de faire approcher l’opéra aux jeunes générations, en les confrontant à des productions de qualité, et à un répertoire riche et diversifié.
Ensuite, et cette remarque m’est plus personnelle, Le Nozze di Figaro, c’est mon opéra préféré de la trilogie Da Ponte, sans doute parce que ce fut mon premier opéra de Mozart (dans la mise en scène de Strehler, une chance inouïe donnée au jeune que j’étais en 1974), sans doute parce que j’ai toujours adoré le deuxième acte, et notamment sa seconde moitié, qui respire rien que par la musique, pendant 20 minutes sans récitatifs (une première, comme il est dit dans le film Amadeus de Milos Forman), une musique étourdissante qui épouse le théâtre, les mouvements et les cœurs, qui épouse la vie.

OPERA DE LYON 2010-2011: WERTHER de J.MASSENET (Dir: Leopold HAGER, mise en scène: Rolando VILLAZON ) le 1er février 2011

werther-2.1296669399.jpg© Michel Cavalca, Photos du site de l’opéra de Lyon

L’intérêt suscité par ce Werther est largement dû à la première mise en scène de Rolando Villazón apparemment prévue de longue date, et donc non liée à l’état vocal actuel du ténor. L’impression est contrastée, mais pas négative. Je trouve à cet égard la “descente en flammes” du journal Le Monde injuste, notamment sur la lecture de la fin de l’ouvrage, même si on peut discuter l’approche et si la distribution n’est pas vraiment convaincante. Il reste que l’ensemble se laisse voir et passe assez bien au total. Ce n’est pas cependant un spectacle qui mérite qu’on y coure, mais en passant par là…

La mise en scène d’abord, on pourrait dire en plaisantant qu’elle nous ouvre des horizons sur l’espace mental de Rolando Villazón, et que sa lecture du personnage correspond assez bien au Werther qu’il compose lui même sur scène. Une question préalable: les couleurs de costumes des deux personnages au troisième acte noir/rouge/jaune seraient elles une déclinaison qui renvoie au drapeau allemand..?
Il semble que l’effort de Villazón ait consisté à montrer un monde qui soit une représentation de ce que voit Werther et de ce qu’il est par rapport aux autres.Ce Werther est à la fois enfantin, coloré, une parade de cirque à la Rimbaud où les personnages n’existent pas mais des ombres, des clowns, un monde vaguement fantasmagorique complètement antinaturel: Albert, le Bailli, Sophie et Charlotte ont des costumes à peu près normaux, mais les femmes, lorsqu’elles doivent se montrer adultes sont des mères, et donc en noir: elles sont au début en (une sorte de) combinaison: passage de l’enfance au monde gris des adultes. Seul Werther (noir etjaune) y échapperait un peu (son double, un jeune enfant, est lui tout en jaune, et son deuxième double, un clown en cage est en redingote jaune déjà tachée…tout cela doit bien avoir un sens mais ce me semble tortueux).
L’ouverture montre Charlotte après la mort de Werther cherchant les traces (redingote, objets) de Werther, l’Opéra serait donc une sorte de retour fantasmatique sur l’histoire, ou sur le roman (à la fin, Werther tient en main les lettres – allusion au roman épistolaire) et il meurt seul.

charlotte.1296669448.jpg© Michel Cavalca,

La cage où est isolé le double-clown de Werther, puis le couple Charlotte-Werther, puis Charlotte pour l’air des lettres, puis qui s’écroule sur le petit double de Werther dormant est évidemment symbolique de l’isolement de Werther, tendre oiseau en cage (la cage est en effet une cage à perruche géante…et l’habit de Charlotte pendant l’ouverture et à la scène finale est

charlotte2.1296669421.jpg© Michel Cavalca,

une robe dont la couleur rappelle le plumage des perruches…mais cessons de railler.

La fin m’a semblé plus intéressante: Charlotte et Werther sont isolés,chacun dans son monde, l’un se meurt et attend l’aimée: Ils ne dialoguent pas, lui se parle à lui-même et n’entend pas Charlotte. Elle seule elle aussi, parle à la redingote jaune de Werther. Ils sont à deux mètres mais ne se croisent pas. Une mort dans la solitude, sans savoir que l’autre vient; Et de fait Charlotte arrive trop tard, Werther est mort. Claire allusion à Tristan et Isolde.

C’est à mon avis ce qu’il y a de plus émouvant et qui rattrape bien des approximations.

Jolies images quelquefois, éclairages colorés qui plaisent aux nombreux jeunes dans la salle, les apparitions des enfants (jeu des fleurs), ou des gens du village sont assez poétiques on est dans une sorte de monde parallèle, dans un pays des merveilles qui tournerait mal, ou qui finirait par tourner sans l’élément perturbateur, l’ange noir, qui décidément ne cadrerait pas avec lui.

Il y a incontestablement une vision, une intelligence, mais trop de détails restent cryptiques, et la conduite du jeu d ‘acteurs reste fruste (le ténor Arturo Chacon Cruz est une sorte de double de Rolando Villazón) et les chanteurs restent sur leur réserve. Il reste qu’on ne sort pas horrifié et que le spectacle est assez fluide.

Musicalement Serge Dorny a fait appel au vétéran Leopold Hager, choix du professionnalisme, de la solidité, rien à dire sur la direction d’orchestre, mais on aurait pu faire appel à l’un des jeunes chefs français dont on parle çà et là, pour voir comment le sang neuf s’en sort.
Sur la distribution, on a plaisir à revoir Jean-Paul Fouchécourt en Schmidt clownesque et le jeune Nabil Suliman, un habitué de Lyon à la voix chaude que j’apprécie dans chacune de ses apparitions lyonnaises. On est heureux aussi de revoir Alain Vernhes, qui nous offre son habituel Bailli. Autre habitué de Lyon, le baryton belge Lionel Lhote, qui cette fois est un peu décevant dans Albert, on est bien loin du style requis. Cela reste banal, sans couleur, sans force.
La Charlotte de Karine Deshayes a incontestablement la voix et la puissance, elle n’a pas toujours la juste ligne de chant ni le contrôle, et elle ne distille aucune émotion (c’était à peu près pareil dans Cherubino à la Bastille). C’est bien plat.

werther.1296669438.jpg© Michel Cavalca,

Le Werther de Arturo Chacon-Cruz a la puissance, il sait monter à l’aigu, mais est aux antipodes du style requis, la voix constamment ouverte, peu contrôlée, notamment dans les parties qui réclament des notes filées, un chant murmuré. En bref, pas d’émotion non plus de son côté.
Eh bien, la seule qui ait toutes les qualités que les autres n’ont pas, technique, contrôle, émotion, expression c’est la Sophie de Anne-Catherine Gillet (d’ailleurs elle remporte le plus gros succès à l’applaudimètre): fait on un Werther avec une Sophie d’exception, non évidemment, mais il est temps de donner à cette artiste des rôles qui correspondent à ses qualités: chacune de ses apparitions est un beau moment.

En conclusion, et à me relire, je n’ai pas moi non plus beaucoup de choses très positives à dire, mais  pourtant je ne suis pas sorti mécontent, sans doute par l’effet de cette fin que je trouve bien mise en scène. C’était  une soirée d’opéra assez honorable. Lyonnais ou Rhônalpins,  allez y quand même!

OPERA DE LYON 2010-2011: LE ROSSIGNOL ET AUTRES FABLES d’Igor STRAVINSKY (Dir:Kazushi ONO, Ms.en scène: Robert LEPAGE)

Le spectacle de l’Opéra de Lyon est en train de faire le tour du Monde. Après Toronto et Aix, et avant New York, il ouvre la saison 2010-2011 de l’opéra de Lyon. entre annulations pour cause de grève et incroyable succès de l’opération, il est très difficile, mais pas impossible, d’avoir un billet.
De fait, ce spectacle est un enchantement à tous les niveaux.

rossignol_clip1_thumb.1287305402.jpgOn pouvait craindre que l’enchaînement de pièce instrumentales (Ragtime) de petits poèmes chantés, du bref “Renard” en première partie, suivis du Rossignol en deuxième partie, ne nuise à une certaine homogénéité de la soirée et ne dilue l’attention. Il n’en est rien. le dispositif scénique aide évidemment par sa cohérence à rentrer immédiatement dans la logique du spectacle, russe dans sa première partie, chinois dans sa seconde partie, mais usant de formes à la fois populaires (théâtre d’ombres, danseurs, marionnettes sur l’eau) et simples (au moins apparemment), avec l’orchestre sur scène tout au long de la soirée, qui marque aussi une certaine cohérence de dispositif.
rossignol_thumb.1287305433.jpgAinsi, une fois de plus, Robert Lepage montre que pour tout cle répertoire qui s’appuie sur des histoires, des contes, des récits, il est sans rival: il montre l’histoire, sans en rechercher les substrats idéologiques ou politiques, mais il la montre totalement, avec son sens de la poésie, avec son imagination avec son humour (les saynètes de théâtre d’ombres sont étonnantes et pleines de sourires, le lièvre qui a soif, le buveur de bière, le chat qui dort et qui passe de bras en bras…).
Au lieu de faire du Rossignol une chinoiserie, il choisit la forme à la fois ancrée dans une tradition, qui nous est totalement étrangère, et donc complètement distanciée des marionnettes sur l’eau, actionnées par les chanteurs eux mêmes, plongés dans cette piscine à 23° construite en lieu et place de la fosse d’orchestre. Du même coup, on a une impression d’authenticité qu’on n’aurait sûrement pas si l’on s’était contenté de voir des chanteurs jouer l’histoire. Le jeu des marionnettes est aussi parfaitement adapté au temps de l’histoire, 3 actes d’un quart d’heure chacun. Un micromonde enchanté pour un micro opéra. Les solutions trouvées pour les transitions (le rideau tenu par deux machinistes de chaque côté de dispositif), les idées extraordinaires (par exemple le lit du roi malade avec un baldaquin qui en réalité est la mort), tout nous parle, tout finit par émouvoir. O n s’aperçoit à peine que le troisième acte, celui de la mort, n’est plus vraiment du théâtre de marionnettes, mais du théâtre tout simplement avec de vrais personnages, qui rejoignent ainsi le seul personnage qui soit à la fois marionnette et personnage, le Rossignol éblouissant de Olga Peretyatko.
Car à cette perfection esthétique, qui laisse littéralement sous le charme, correspond un travail musical de très haute qualité et de grande valeur. la musique de Stravinsky est complexe, les petites pièces doivent en quelques minutes exprimer une couleur, dessiner une scène. Renard est à ce titre un petit chef d’oeuvre. La précision de l’orchestre et la qualité des instrumentistes (notamment la clarinette de Jean-Michel Bertelli pour les pièces pour clarinette solo), l’ambiance “chambriste”, même lorsque tout l’orchestre est convoqué (pour Le Rossignol), et la familiarité du chef Kazushi Ono pour ce répertoire, tout concourt à construire un univers dont il est difficile de se détacher. Quelle aubaine pour Lyon d’avoir pu débaucher ce chef remarquable à sa sortie de Bruxelles !

Quant aux chanteurs, il n’y a vraiment rien à dire: de nouveau il faut saluer la performance technique et l’extraordinaire poésie du chant de Olga Peretyatko, mais aussi la cuisinière de Elena Semenova, très convaincante, et Svetlana Shilova, beau mezzo qui chante la Mort dans le Rossignol et quelques poèmes dans la première partie. On revoit aussi des chanteurs habituels à Lyon, la belle voix du baryton syrien Nabil Suliman, déjà remarqué dans “Moscou, quartier des cerises), ou Edgaras Montvidas,qui aussi bien dans Renard que dans le pêcheur (Le Rossignol) donne à sa prestation une grande présence. Un beau ténor qu’il faut suivre. Ilya Bannik déçoit un tout petit peu dans l’Empereur et le reste de la distribution, ainsi que le chœur sont sans reproches.

Voilà, encore une belle soirée à Lyon, qui depuis l’arrivée de Serge Dorny propose des productions d’un très haut niveau, toujours très soignées au niveau des mises en scène et des distribution, et qui est toujours plein, mais plein de jeunes.On ne peut que se réjouir que les jeunes présents dans le cadre de “Lycéens à l’Opéra”,dispositif financé par la Région Rhône-Alpes et qui permet à des classes très éloignées géographiquement (la région couvre deux académies, Lyon et Grenoble, et l’académie de Grenoble est très vaste, puisqu’elle va de Genève aux portes d’Orange et qu’elle couvre Drôme, Ardèche, Isère, Savoie et Haute Savoie) de venir à l’Opéra, d’en visiter les coulisses et de bénéficier d’une journée de préparation.Avec ce spectacle, nul doute que toutes les idées préconçues sur l’Opéra s’écroulent, et que le public en sort totalement conquis.

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Photos et vidéos de ce spectacle sur les sites de l’Opéra de Lyon et de Culture Lyon

OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE – LA DAME DE PIQUE, de TCHAÏKOVSKI à L’OPERA DE LYON (Dir: Kirill PETRENKO, Mise en scène: Peter STEIN)

A priori, je n’avais pas prévu d’aller revoir ce spectacle de Peter Stein qui m’avait beaucoup déçu lors des représentations de 2008, et qui ne m’avait pas convaincu au niveau du chant. Mais la joie consécutive à Mazeppa, et la perspective d’entendre les mêmes chanteurs et surtout le même chef dans La Dame de Pique, a eu raison de mon hésitation et j’ai assisté, bien m’en a pris, à la dernière représentation du Festival Pouchkine monté à Lyon pour ce mois de mai. J’aime tellement cet opéra! Il m’a réservé une des émotions les plus fortes de ma vie de mélomane, lorsque sur la scène des Champs Elysées, en 1978, je fus comme foudroyé par l’incroyable comtesse de Regina Resnik – nous nous sommes connus plus tard et sommes aujourd’hui très liés – . Regina, assise en étole de fourrure blanche au milieu de la scène, devant l’orchestre (la représentation dirigée par Rostropovitch avec Vichnevskaia en Liza était une version concertante, donnée à l’occasion de l’enregistrement que l’on connaît chez DG), murmurait cette ariette de Grétry en donnant le frisson à la salle, jamais je n’ai entendu aux Champs Elysées une telle ovation, pour cette scène, pour cette seule scène, cela valait tous les voyages. Regina Resnik outre une voix somptueuse,  avait un sens inné du théâtre, un regard, un geste minimal, une diction unique:  tout est dit.

La représentation lyonnaise est de celles qui donnent pleine satisfaction. La production n’est plus vraiment celle que je vis il ya deux ans, car le décor a été détruit (problème d’amiante) et l’on ne l’a pas reconstruit comme pour Mazeppa, mais on a reconstruit des élements de décor noirs qui finalement sont du plus bel effet: la production assise sur le noir et le rouge, acquiert un style qu’elle n’avait pas il y a deux ans, même si, à part souligner le regard ironique de Pouchkine porté sur le monde  ou sur la  vieille comtesse, la mise en scène de Peter Stein n’a pas gagné en génie ni même en intérêt. Mais c’est la musique qui a transcendé la soirée, avec en premier lieu la direction vibrante, colorée, lyrique de Kirill Petrenko, qui exalte les pupitres de l’orchestre de l’Opéra de Lyon et qui ne couvre jamais les voix. Certes, une fois de plus, on peut déplorer cette acoustique sèche et une salle un peu trop petite pour la générosité de l’écriture de Tchaïkovski,  et c’était encore plus net pour Mazeppa à cause du caractère épique de l’oeuvre. Pour la Dame de Pique, qui laisse une place plus forte à l’intimité du drame, c’est un peu moins gênant, sauf pour l’ouverture, qui nécessiterait une salle plus vaste et surtout plus réverbérante. Mais au total, la prestation musicale est remarquable et on se réjouit de revoir Petrenko l’an prochain pour Tristan et Isolde (encore mis en scène par Peter Stein). Je comprends difficilement que chef remarquable n’ait  n’ait eu “l’honneur” de l’opéra de Paris qu’une seule fois, pour une représentation en 2003. Serge Dorny en revanche a du nez…
La distribution n’appelle que des éloges, à commencer par le Hermann de Misha Didyk, vraiment à sa place dans ce rôle très tendu (il fatigue cependant un peu vers la fin): intensité,puissance, maîtrise technique, il domine vraiment la partie et des rôles qu’il a soutenus à Lyon, c’est vraiment celui qui lui convient le mieux. Olga Guryakova est tout aussi intense en Liza, notzamment dans les deux premiers actes, où elle est bouleversante, dans le troisième, elle déçoit un peu (tout comme Didyk d’ailleurs). La Pauline de Elena Maximova, lyrique, élégante, est l’une des bonnes surprises de la soirée, et la Comtesse de Marianna Tarasova est une très belle composition de sorcière en robe à paniers, et la fameuse scène de l’ariette, très bien chantée (même si ce n’est pas Resnik…) est jouée avec une ironie mordante que le public perçoit. Les autres sont tous à leur place, avec une note particulière pour l’élégant Eletski d’Alexey Markov (qui reçoit les applaudissements du public pour son air “ya vas lioubliou” particulièrement réussi pour la chaleur, l’exactitude, l’émission). Enfin, Nikolaï Putilin est un très beau Tomski, personnage vu ici un peu vieillissant, très modéré, une sorte de sage. Les autres rôles sont tenus très correctement.
Au total, une  belle soirée, de très haut niveau, et l’on se réjouit pour tous les jeunes élèves présents: l’ensemble de ce Festival Pouchkine, par son homogénéité, par les choix très justes de distribution, par la direction musicale remarquable de Kirill Petrenko, était un beau cadeau du joli mois de mai. Serge Dorny à la tête de l’Opéra de Lyon, mène une politique intelligente qu’on aimerait voir appliquée à deux heures de TGV de Lyon…