SEMPEROPER DRESDEN 2014-2015: DER ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 14 DÉCEMBRE 2015 (Dir.mus: Christian THIELEMANN; Ms en scène: Uwe Eric LAUFENBERG) avec Anja HARTEROS

Acte I © Matthias Creutziger
Acte I © Matthias Creutziger

Si le Don Giovanni bruxellois a fait passer le cerveau à la centrifugeuse ou au triturage, au moins à Dresde il a pu se reposer de ses fatigues, vu l’extrême platitude de la mise en scène de Uwe-Eric Laufenberg, vieille de 14 ans, dont il ne reste plus rien, si tant est qu’elle eût à offrir quelque intérêt un jour. Il est vrai que ce déplacement dans le théâtre où fut créé en 1911 Der Rosenkavalier n’avait dans mon cœur qu’un seul motif du nom d’Anja Harteros. Et je n’ai pas été déçu.
Concluant l’année Strauss après des représentations de Capriccio, que Thielemann a dirigé le mois dernier avec Renée Fleming, d’Arabella dans la pâle production de Salzbourg, mais avec Anja Harteros, de Josephslegende (Ballet) direction Paul Connelly, de Daphné dirigé par Omer Meir Wellber, voici donc un Rosenkavalier assez luxueusement distribué, avec Anja Harteros, Sophie Koch qui est désormais un des Octavian de référence et Christiane Karg en Sophie, un nom qui monte depuis deux ans, Peter Rose est Ochs, comme il se doit (il l’est à peu près partout), et Faninal comme à Salzbourg, c’est Adrian Eröd. La Staatskapelle Dresden étant dirigée par Christian Thielemann, évidemment, c’est un grand soir et le magnifique Semperoper est archi comble. Voilà en effet un Rosenkavalier somptueusement distribué, dirigé par un chef qui fait référence dans Strauss et avec l’orchestre qui l’a créé, accessoirement l’un des meilleurs d’Allemagne. Qui peut souhaiter mieux ?
La production ne sort pas de la grande tradition des Rosenkavalier, sauf qu’elle transpose l’action au XXème siècle, dans les années cinquante, au moment où l’on peut s’enrichir assez facilement dans un monde en pleine expansion.
Ainsi, si l’intérieur des appartements de la Maréchale reste très proche de celui qu’on verrait au XVIIIème (le passé), celui de Faninal est au sommet d’un haut bâtiment avec vue sur tout Vienne, on a convoqué la presse people et l’arrivée d’Octavian et de la rose est traitée comme une mise en scène pour la télévision (projecteurs, spots) où Octavian montre un art consommé du paraître et une habitude des médias (comme on dirait aujourd’hui) qui tranche avec le naturel de Sophie. C’est l’avenir…il y a un côté Gattopardo dans l’œuvre de Hofmannsthal.

Le dernier acte se déroule dans une sorte d’espace abandonné qu’on aménage pour l’occasion et qui semble servir à des « parties » (en anglais dans le texte) un peu décalées ou déjantées. C’est peut-être le mieux réglé ou en tous cas le plus riche d’idées (enfin… idées…n’allons pas trop loin).
Remettez tout cela dans un décor et avec des costumes XVIIIème sans rien changer à la mise en scène, et vous aurez un Rosenkavalier comme on en voit des centaines. Il y a quelques menus points intéressants, mais l’ensemble reste bien plat et conventionnel.
Monsieur Laufenberg remplace Jonathan Meese pour le Parsifal de Bayreuth en 2016, gageons que le choix de Katharina Wagner, fait pour pacifier les esprits et peut-être reconquérir un public échaudé, est sage et que Uwe-Eric Laufenberg satisfera la majorité du public…un choix par défaut, un choix de tranquillité, un gage en somme. Mais il reste à souhaiter que l’imagination et la créativité de Laufenberg se seront un peu réveillées en 2016.
Il en va autrement musicalement.
Moins d’un mois auparavant j’ai entendu Petrenko à Vienne, cet été j’ai entendu Welser-Möst à Salzbourg (difficile de ne pas entendre vu le volume) : cette année, anniversaire Strauss aidant, je suis revenu vers Rosenkavalier après une longue abstinence. Mais il est vrai qu’il y a aujourd’hui des chefs de choix et des Maréchales intéressantes Schwanewilms, Isokoski, Fleming, Harteros. Pour moi qui ai été nourri à Christa Ludwig, ma première Maréchale, puis Janowitz , Te Kanawa et Gwyneth Jones et qui ai été fulminé par Kleiber plusieurs fois (ah, je vous laisse imaginer quand il arrivait sur le podium, laissant à peine le public applaudir et se retournant brutalement pour faire exploser l’orchestre sans nous laisser reprendre le souffle…), il fallait du temps pour revenir à une œuvre où j’ai laissé tant de larmes au trio final .
J’ai entendu rarement Thielemann dans Strauss, c’était aussi l’occasion de me convaincre à mon tour. Tant d’amis me disent qu’il est insurpassable dans ce répertoire .
Disons le d’emblée, je n’ai pas été convaincu et ce Strauss au cordeau ne m’a pas secoué.
La Staatskapelle de Dresde, avec ce son si personnel, avec cette perfection dans l’exécution, a donné une performance de référence, sans aucune scorie, d’autant que la direction de Thielemann est très claire, isole les pupitres, fait vraiment tout entendre avec une diabolique précision. Même si le premier violon ne vaut pas Küchl à Vienne qu’on a encore dans l’oreille, c’est magnifiquement préparé.
Donc, du point de vue de la « mécanique musicale », il n’y a qu’à couvrir chef et orchestre de louanges. Mais dans Rosenkavalier, il en faut plus. Il faut de la rutilance, de l’explosion, de la dynamique, il faut un rythme, il faut un discours, il faut du sourire, il faut des larmes, il faut de la tension, il faut…il faut…

Acte I © Matthias Creutziger
Acte I © Matthias Creutziger

Il faut beaucoup de ce qui a manqué dans une représentation impeccable aux lignes parfaites, sauf que je n’ai pas senti d’engagement, sauf que je n’ai pas senti de dynamique, d’explosion, de vie.
Autant Petrenko partait en nous entraînant, en nous faisant tourbillonner d’emblée, ici, écouter l’orchestre est un rare plaisir, mais on ne tourbillonne jamais. Pas de tornade. Tout cela reste sage et presque démonstratif. Une belle vitrine de Noël, mais entre moi et ce que j’écoute, il y a une vitre. Il y a un bel objet sous verre.
Il y a aussi un point de vue : le troisième acte est sans doute pour moi le plus intéressant, parce qu’il y a une option claire de retenue de l’orchestre, de légèreté, d’élégance qui renvoie le phénoménal prélude à un tout autre univers que celui explosif de Welser-Möst à Salzbourg, qui savait construire une analytique de l’explosion et de Petrenko à Vienne, qui savait construire une poétique de l’explosion.
Thielemann n’est jamais nerveux, jamais tendu, très descriptif, très sage et conforme, voire conformiste. Il est soucieux de la rondeur des sons et du rendu, il semble moins soucieux de drame (au sens action du terme). C’est du côté du plateau qu’il faut chercher l’émotion, un plateau au volume somptueux que le chef laisse s’épanouir.

Acte II: Sophie Koch (Octavian), Christiane Kohl (Marianne Leitmetzerin, Adrian Eröd (Faninal) Peter Rose (Ochs) Christiane Karg (Sophie) © Matthias Creutziger
Acte II: Sophie Koch (Octavian), Christiane Kohl (Marianne Leitmetzerin, Adrian Eröd (Faninal) Peter Rose (Ochs) Christiane Karg (Sophie) © Matthias Creutziger

Adrian Eröd, chauve pour l’occasion, est plus présent que sur l’immense plateau salzbourgeois : son Faninal existe plus, la voix est plus audible, avec les qualités habituelles de diction et de viennéïté (qu’on me pardonne cet horrible néologisme, mais Eröd est viennois et dans cette œuvre, cela peut compter). C’est un artiste que j’apprécie et il n’a pas dérogé à la règle.
Peter Rose en revanche m’a semblé moins en voix qu’à Vienne. Certes, le personnage est là, imposant, plein d’humour, plein d’allant en scène, mais il m’a semblé moins présent vocalement qu’à Vienne, tout en défendant le rôle comme à son habitude. Mais peut-être passer son temps à chanter Ochs peut-il finir pas lasser…

Le chanteur italien de Yosep Kang a un joli timbre clair, il n’efface pas l’excellent Benjamin Bruns à Vienne. Christa Mayer en revanche dans Annina fait merveille, notamment au troisième acte, son acte.
Restent nos trois dames :

Acte II © Matthias Creutziger
Acte II Sophie Koch (Octavian) & Christiane Karg (Sophie) © Matthias Creutziger

Sophie Koch est un Octavian impressionnant de puissance vocale, mais je trouve qu’elle pousse trop le volume, ce qui gêne pour entendre la Sophie de Christiane Karg quand elles chantent en duo et qui déséquilibre les ensembles. Nul doute que Koch a travaillé son volume et pourrait sûrement à un moment aborder les grands mezzos italiens (on pense à Eboli), mais elle manque de cette distance élégante dans Octavian, dans la diction, dans la tenue, dans le geste même. C’est un chant plein de santé, évidemment au point, mais qui n’est pas encore totalement dompté ou dominé pour mon goût. Nous ne sommes pas encore à des niveaux d’une Fassbaender, inouïe dans ce rôle, de la grande Yvonne Minton, d’Agnès Baltsa, la plus vraie, la plus juste ou même de ma préférée, Tatiana Troyanos qui fut la plus émouvante, ou même dans les plus récents Octavian d’une Graham, d’une Sindram ou d’une Kirschlager.
Et la Sophie fraîche et bien tenue de Christiane Karg au chant contrôlé, aux aigus bien développés, apparaît bien pâle à côté, et ses moyens semblent limités. Est-ce par cette différence de volume entre les deux voix qui finissent par ne pas s’accorder, est-ce parce que la voix est vraiment petite, je ne sais : il reste qu’il y a là une légère déception.
Mais pas pour Harteros.
Avec Anja Harteros, nous jouons à un autre niveau.

Anja Harteros © Matthias Creutziger
Anja Harteros © Matthias Creutziger

On retrouve immédiatement l’aura des grandes Maréchales, impeccable dans les tenues noires que lui réserve la mise en scène années 50 de Laufenberg. Il y a d’abord une tenue en scène d’une élégance et d’une distinction inouïes, on n’a vraiment d’yeux que pour elle, elle est la Maréchale telle qu’on la rêve, telle qu’elle habite nos fantasmes. Elle est ensuite d’un naturel rare, élégante quand il faut, familière et amoureuse quand il faut, énergique et sèche quand il faut : j’ai rarement entendu une maréchale aussi définitive face à Ochs au 3ème acte. Bref, une science du ton et de la couleur, si importante dans un rôle qui exige tant de subtilité, qu’on peut sans crainte qualifier d’unique : cette Maréchale ne chante pas, elle vit, elle est, elle vibre. J’adore Harteros dans tous les rôles où je l’ai entendue, mais là, il y a quelque chose de plus dans la vérité du personnage. Son monologue du 1er acte est vraiment un moment en suspension, un vrai monologue intérieur, très simple et très étudié à la fois, et l’urgence finale n’en est que plus forte et que plus émouvante.
Je n’ai pas encore parlé de la voix, des aigus tenus, de la diction exemplaire, de la ligne de chant, de la variété des tons : bref, elle s’impose, elle est là, immense. Là où elle chantera ce rôle, il faudra y aller. Et je ferai le voyage de Baden-Baden car elle vaut à elle toute seule le voyage. Je pensais qu’elle serait grande, je ne pensais pas qu’elle serait immense, à l’égal des Maréchales du passé qui m’ont accompagné et marqué.
Sans Harteros, ce Rosenkavalier restait quand même ordinaire, même avec Thielemann. C’est Anja Harteros l’épicentre de la production, elle la porte et elle nous emporte ; elle vaut tous les voyages…[wpsr_facebook]

Anja Harteros © Matthias Creutziger
Anja Harteros © Matthias Creutziger

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2014: STAATSKAPELLE DRESDEN DIRIGÉE PAR CHRISTIAN THIELEMANN LE 18 AVRIL 2014 (RIHM, STRAUSS, MOZART)

Concert du 18 avril 2014
Concert du 18 avril 2014

Il y a des rituels qui dépassent la simple occasion d’entendre de la musique, des moments installés dans des parcours de vie auxquels on peinerait à manquer. Même sans Karajan, même sans Abbado (auquel le programme rend hommage, comme directeur artistique du Festival de 1994 à 2002), et même sans les Berliner, on continue d’aller au Festival de Pâques de Salzbourg, parce que c’est l’occasion de retrouver des amis, du genre « même heure l’année prochaine », c’est l’occasion de se réunir autour de quelque bière ou de quelque Strudel, c’est l’occasion d’être ensemble, dans cette communauté de mélomanes qui furent jeunes et fringants, qui ont vieilli et qui regardent leur parcours de mélomaniaque avec une nostalgie qu’il vaut mieux partager ensemble.

Ainsi à Salzbourg pour Pâques il y a ceux qui fréquentent Pâques, le cycle 2, et ceux des Rameaux, le cycle 1 : le Festival n’a pas changé ses rites avec le départ des berlinois, il y a ceux qui continuent à être Förderer (mécènes) et ceux qui achètent des billets parmi ceux qui restent, il y a ceux qui ne vont qu’à l’opéra proposé, et ceux qui vont à tout le cycle. Mais à un moment ou l’autre, tout le monde est là.
Le public n’a pas laissé Salzbourg pour suivre Berlin à Baden-Baden (la géographie musicale reste quand même à portée d’autoroute ou de train), même si au parterre il y a de longues files de places inoccupées. Les places sont très chères, et le public n’est pas prêt à débourser de telles sommes sans avoir la garantie du plus haut niveau.
J’aime beaucoup la Staatskapelle de Dresde : j’ai expliqué l’an dernier (voir le blog) combien cet orchestre respire la tradition, avec un son bien à lui, un style de jeu et une personnalité singulières, pas aussi internationalisé que les Berliner aujourd’hui. Mais il reste que j’aime les Berliner, j’y suis trop habitué, même si les musiciens amis prennent tour à tour leur retraite et que l’orchestre se transforme et se rajeunit très vite.
Garder un  étiage de public qui permette de maintenir à flots une telle manifestation, qui fut la plus exclusive au temps de Karajan, financée par les sponsors privés et par la billetterie n’est pas entreprise facile. D’autant que la concurrence (Baden-Baden, Lucerne, et maintenant Aix en Provence) devient rude.
Aussi le programme de l’an prochain, promettant un spectacle populaire, CAV/PAG (Cavalleria Rusticana et I Pagliacci) mis en scène par Philipp Stölzl, plutôt aimé du public germanique et le Requiem de Verdi, tous trois avec Jonas Kaufmann et deux concerts Tchaïkovski/Chostakovitch l’un dirigé par Christian Thielemann et l’autre par Daniele Gatti me paraît susceptible de recueillir un large assentiment et de faire mouvoir ceux qui sont restés chez eux.
Cette année, c’est un peu Wolfgang Rihm, présent dans chaque concert mais avant tout Mozart et Richard Strauss (150 ans oblige…) qui sont à l’honneur : deux compositeurs qu’on a fait souvent dialoguer. Côté Strauss, Metamorphosen, pour 23 cordes solistes, ce soir, et demain samedi 19 Ainsi parlait Zarathoustra et Quatre derniers Lieder, en fait cinq puisque le Festival et la Staatskapelle Dresden ont commissionné Wolfgang Rihm pour orchestrer le tout dernier Lied de Strauss, Malven (avec Anja Harteros), lundi 21 Arabella (avec Renée Fleming), pendant que Christoph Eschenbach dirigera Don Quichotte et Don Juan dimanche 20. Du côté de Mozart, c’est ce soir le Requiem Kv.626, demain le Concerto pour piano et orchestre en ut majeur Kv467 (avec Maurizio Pollini), et dimanche 20, l’ouverture de Don Giovanni Kv527 avec le finale de Ferruccio Busoni. En écho deux pièces de Wolfgang Rihm, ce soir Ernster Gesang (Chant sérieux) pour orchestre (datant de 1996) et dimanche Verwandlung 2, Musique pour orchestre.
La tonalité du concert de ce soir, donné comme celui de mardi dernier (le 15 avril) en mémoire d’Herbert von Karajan à 25 ans de sa disparition, a évidemment a priori une tonalité funèbre, et chacune des pièces proposées est marquée par la question de la mort.
Ce sont les quatre chants sérieux de Brahms op.121, qui ont déterminé la genèse de l’œuvre de Wolfgang Rihm. C’est presque la conclusion du parcours brahmsien, qui met en musique des textes de la Bible (d’où le titre) en un cycle immortalisé aussi bien par Fischer Dieskau que Hans Hotter ou Kathleen Ferrier.
Wolfgang Rihm a composé cette pièce en 1996 sur commission de Wolfgang Sawallisch pour le Philadelphia Orchestra, elle a été créée le 25 avril 1997, il y a presque exactement 17 ans, en prenant comme référence l’œuvre de Brahms, dont on fêtait le centenaire de la mort . Aussi Rihm s’est-il intéressé aux œuvres tardives, et notamment aux quatre chants sérieux (1896). Par ailleurs, son père venait de mourir et son travail a été, dit-il,  fortement influencé par cet événement familial : double paternité, une paternité familiale et une paternité artistique marquent cette pièce. Il va s’appuyer sur les voix de l’orchestre, et notamment les bois, fortement mis en avant et au premier rang. Mais des voix qui excluent tout instrument aigu : ni flûtes, ni violons, ni hautbois, ni trompettes. C’est sur clarinettes, bassons, cors, altos violoncelles notamment que la pièce s’articule en un tissu de phrases entremêlées et superposées, dans une couleur sombre, recueillie, grave. En faisant le rapprochement avec les Metamorphosen pour 23 cordes solistes de Strauss, qui suivent, on a l’impression d’une entreprise de même inspiration. Rihm le voit comme une sorte d’intermezzo méditatif que l’interprétation de Christian Thielemann fouille pupitre par pupitre avec une chirugicale attention, sans toujours créer les liens qu’on sent, mais sans véritablement les entendre ou les voir dessinés. Certes, la qualité des musiciens et notamment des bois et des vents est exaltée, mise en valeur et en relief, mais presque comme des pépites qui peinent à se transformer en bijou. Cela reste pour mon goût assez froid, et en tous cas ne réussit pas à me toucher bien que la pièce m’ait vraiment plu.
Même impression dans les Metamorphosen de Richard Strauss où ne se construit aucun arc interprétatif et où la précision avec laquelle chaque son, chaque pupitre est mis en valeur, ne réussit pas à donner un sens général ni faire naître une émotion. Pourtant, l’œuvre, fortement liée à la fin de la deuxième guerre mondiale, dédiée notamment à tous les théâtres, salles de concert et lieux de culture détruits par des bombardements, Linden-Oper de Berlin, Semperoper de Dresde, Nationaltheater de Munich, Staatsoper de Vienne, est profondément ressentie comme œuvre méditative, quelquefois teintée d’ouverture vers l’avenir, mais fortement marquée par la mort et la couleur funèbre : d’ailleurs, la marche funèbre de l’Eroica de Beethoven est presque toujours sous jacente, et proprement citée à la fin de la pièce. Il est vrai que Strauss, qui  au début des années nazies (1933-35) comme Président de la Reichsmusikkammer (Chambre musicale du Reich) avait un peu frayé avec le régime, en voyait la fin proche (l’œuvre fut achevée  le 12 avril 1945 et créée par Paul Sacher à Zurich le 25 janvier 1946), se remettait en question et contemplait avec désolation les destructions de ces lieux qu’il aimait : il faut donc voir dans ce travail une sorte de complainte amère, un adagio contemplatif, avec au centre une partie un peu plus dramatique, et aussi un peu plus ouverte. C’est à la fois la résignation et la distance du vieil homme octogénaire qu’on lit, d’une couleur un peu pathétique et profondément désolée.
Thielemann, après avoir exalté les bois avec la pièce de Rihm, met ici évidemment en valeur les cordes particulièrement remarquables de la Staatskapelle. Mais une fois de plus, si l’exécution n’appelle aucune remarque technique, l’orchestre, une phalange de très haut niveau, devrait être particulièrement interpellé dans une œuvre qui évoque les destructions de la guerre, vu le tribut que Dresde a payé à la folie des hommes. Cette émotion vécue dans la peau, à fleur de peau de cette ville, qu’on aurait pu entendre par des éléments où un peu de pathos n’aurait pas forcément nui, n’est pas vraiment présente. Le travail de Thielemann est clair et net sur la construction de chaque note, sur la couleur donnée à tel ou tel passage, sans jamais relier les choses par un dessein global. L’exécution ne nous parle pas (disons plutôt elle ne me parle pas), elle se laisse écouter avec cette distance chirurgicale dont je parlais plus haut : le chirurgien ne peut se laisser emporter par l’émotion; s’il veut réussir son opération, il doit garder une distance a-sentimentale nécessaire. C’est ici l’impression qu’on éprouve ; dans ce contexte, comme dans le Requiem de Mozart qui suit, est-il nécessaire de conclure par un long silence qui devient dans les concerts un système : quand Abbado l’imposa c’était tout autre chose et il y avait interaction entre le public et l’orchestre : imité comme souvent, cela devient un tic inutile qui va à l’encontre de ce qu’on entend, et c’est le cas ici, c’est comme un truc de spectacle destiné à faire croire qu’on est ému…
Or ce travail remarquable de précision ne porte jamais en lui du ressenti, mais essentiellement une précision horlogère, soignée, techniquement impeccable qui ne laisse pas d’espace pour le cœur ; c’est dommage car Thielemann est quand même l’un des chefs straussiens de référence.
La dernière fois que j’ai entendu le Requiem de Mozart, c’était à Lucerne avec Claudio Abbado et ce fut un immense moment d’émotion, où l’on recevait un message prémonitoire à fleur de peau. Chair de poule à évoquer un moment pourtant commencé dans l’amertume d’une 8ème de Mahler annulée. Mais il ne faut pas en rester à une interprétation, car aucune n’est définitive, ni fixée dans le marbre : l’oreille doit être disponible, ouverte à tous les possibles (possibilista, disent fort justement les italiens). J’attendais donc avec curiosité ce Requiem.
Dès les premières mesures, on est surpris, voire bousculé par une approche un peu brute d’où toute religiosité est absente. On dit que le Requiem de Verdi est un grand opéra de Verdi. Ici, on entend presque le Mozart des opéras, la Flûte enchantée, quelquefois même des échos des Nozze di Figaro, voire une Messe du Couronnement, un Requiem civil au sens de l’expression Baptême civil, un Requiem qui sonnerait comme un Te Deum, ouvert, dansant, tranchant, quelquefois triomphant. Une sorte de requiem post mortem qui n’aurait rien à voir avec le Vendredi Saint, mais bien plutôt avec les Pâques toutes proches…
Dans ce sens, c’est évidemment intéressant, car on n’a jamais entendu un Requiem sonner aussi terrestre, ni aussi peu mystique ou religieux, et même pas maçonnique. Non, on est dans l’architecture assez froide d’une église de béton, sans arceaux, sans élévation, sans âme, mais avec un esprit de géométrie plutôt horizontal que vertical. Est-ce frustrant? Oui si on attendait un moment d’élévation mystique ou même de sainte révolte (Dies irae). Dans un esprit de disponibilité, sans attente particulière, on vit un moment sans aucune émotion sans doute, mais avec la surprise de l’inattendu d’une exécution qui reste évidemment d’un très haut niveau. L’orchestre nous dit plein de choses pointues et diverses sans jamais nous transmettre une vraie parole.

Cette parole, elle vient du chœur exceptionnel du Bayerischer Rundfunk, (direction Michael Gläser et Peter Dijkstra) entendu la semaine dernière dans Parsifal à Lucerne, qu’on retrouve dans Mozart avec cette intensité phénoménale, ce sens de la modulation, de la diction, ce poids donné à la parole qui est Parole : c’est sans conteste le chœur qui ici porte la religiosité, avec ce contraste étrange entre un orchestre plutôt laïc et un chœur pétri de religieux: est-ce un hasard si c’est le chœur qui a eu un triomphe mérité de tout un public enthousiaste, alors que le succès de l’orchestre, du chef et des solistes a été moins spectaculaire ?
Car le Requiem de Mozart, c’est d’abord un dialogue chœur/orchestre ici un peu tendu par les options différentes de l’un et de l’autre, où les solistes restent en retrait. Pour que les solistes s’imposent, il faut un quatuor de légende. Ce n’est pas le cas ici, où à part Georg Zeppenfeld (lui aussi à Lucerne la semaine dernière dans l’acte III de Parsifal) avec sa voix grave, mais claire, sonnante, très humaine aussi, de cette humanité tendre qui vient du cœur et non de l’outre tombe, qui s’impose comme voix dominante, et dans une moindre mesure, l‘élégant ténor Steve Davislim (malgré une attaque initiale quelque peu tonitruante) , les femmes (Chen Reiss soprano hésitante, à la voix en retrait et la mezzo Christa Mayer, sans vrai caractère) n’arrivent pas à s’imposer, voix pâles, sans grande personnalité, et surtout sans présence, ni charnelle, ni spirituelle.
Au total, et malgré là aussi un silence final de recueillement injustifié vu l’interprétation orchestrale résolument vidée d’une grande partie de sa portée spirituelle, une expérience plus qu’un Moment, avec un orchestre expert, mené avec beaucoup de netteté par Christian Thielemann, mais sans engagement dans l’œuvre.
Je ne peux pas dire que ce Requiem manquait d’intérêt, car il est toujours stimulant de parcourir des chemins inconnus ou inattendus, mais je n’arrive pas à être convaincu de la justesse de ce point de vue, ni surtout de la vision qu’il porte.
Beau concert sans doute, grand concert j’en doute.
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OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: PARSIFAL de Richard WAGNER le 1er AVRIL 2013 (Dir.mus: Christian THIELEMANN, Ms en scène:Michael SCHULZ)

Acte 1 ©Forster

Couronnement de ce premier Festival de Pâques « post Berliner », cette production de Parsifal avait été pourtant programmée par Sir Simon Rattle, mal lui en a pris, et Christian Thielemann l’a reprise à son compte, mal lui en a pris aussi. Car alors que les concerts annoncent une ère future moins plate et des moments plus passionnants, cette production est une énorme déception, à bien des niveaux, à commencer par la mise en scène de Michael Schulz, prétentieuse, absconse, inutile. Quand le public paie le prix demandé par le Festival, il y a de quoi être furieux d’avoir à subir pareille punition. Si encore du point de vue musical les choses corrigeaient le tir! Mais ce n’est pas non plus le cas, malgré de bonnes intentions, et une incontestable qualité, cela passe mal: même si évidemment nous sommes à un niveau plus qu’honorable, ce Parsifal ne sera pas mémorable.
La mise en scène de Michael Schulz prétend revenir au religieux . Religieuse la présence d’un Christ dès le début (coincé dans une colonne translucide) puis de deux (celui d’avant et d’après le résurrection) au troisième acte. Religieuse la séparation de l’espace marqué par un grand rectangle central où se situe l’action, espace sacré délimité qui serait ce qu’on appelle dans l’antiquité un « téménos ».

Enchantement du Vendredi Saint ©Forster

Religieuse la présence ce que je suppose être des anges musiciens (ils pourraient être aussi des figurants d’un « Jesus Christ Superstar » quelconque) qui accompagnent Parsifal même (horribile visu!) au royaume de Klingsor.

Acte 2 ©Forster

Religieux l’espace de Klingsor, fait de statues de différents figures religieuses (une Vierge, un Bouddha, et tant de statues grecques ou romaines) avec leurs double colorés suspendus à la verticale (je pensais que ces doubles s’écrouleraient au final du deux…et cela n’a pas lieu…), blanches à l’endroit, colorées à l’envers: l’atelier du sculpteur??
Religieuse enfin la figuration de Kundry en Marie-Madeleine dès qu’elle quitte les habits (assez minables et banals) de la séductrice, elle court après le Christ (ou les Christ) en adorante éperdue.
Deux danseurs accompagnent Amfortas, un peu comme dans le Rheingold de Cassiers, mais on ne comprendra jamais (enfin, je ne comprendrai jamais…) pourquoi ils sont là ( rêves érotiques d’un roi qui aurait dû rester chaste?).
Et puis  des chevaliers vêtus en soldats de Fukushima, ou en extra terrestres, soldats d’un monde de « Day After »?…Et puis un Christ errant, rôdant autour des protagonistes à chaque moment clé, mourant à l’acte III, puis ressuscitant : un autre personnage qui le suit comme son double, vêtu d’un collant noir, qui l’enlève dès que Christ I meurt pour incarner la résurrection en Christ II adoré par Kundry.

Acte 1 Verwandlung ©Forster

Peu d’éléments spectaculaires, des Verwandlungen (transformations) bien peu transformées (colonnes de plexiglas remplies de fumées colorées au I, sorte de grille illuminée type rayons UVA au III, remplie de cadavres et entourée d’animaux sauvages) . Seule idée intéressante, le fait qu’Amfortas et Klingsor soient chantés par le même artiste, deux faces fraternelles et opposées: Wolfgang Koch, même si Amfortas a une tessiture plus grave que Klingsor… et que Koch ne soit pas aussi performant dans Amfortas que dans Klingsor.
Du point de vue de la direction d’acteurs, rien: on s’ennuie ferme, et Johan Botha, qui a une vraie voix, n’a strictement aucune, mais aucune présence, il est totalement inexistant scéniquement (la scène avec Kundry est à ce titre caricaturale). On a l’impression d’une sorte de cérémonie, mais est-elle mystique (Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas, dit Malraux) ? religieuse? humaniste? Quant au Graal, c’est une boite que vont aller regarder (sniffer?) tour à tour tous les chevaliers pour se redonner de la force.
Les chevaliers sont extérieurs à la cérémonie, rejetés sur les côtés de l’immense plateau, le long de l’orchestre, puis face à terre autour du fameux rectangles: il faut les tergiversations d’Amfortas pour qu’ils osent le franchir.

Acte 2 Filles fleurs ©Barbara Gindl

La scène des filles fleurs est construite pour laisser apparaître des filles fleurs qui quittent leurs robes vaguement fleuries pour une tenue (tunique blanche et cuissardes blanches) de prostituées berlinoises: des hiérodoules, des prostituées sacrées en quelque sorte.
En vous jetant quelques éléments de mise en scène, j’essaie de transcrire l’impression désordonnée et peu lisible qu’elle procure.

Filles fleurs ©Barbara Gindl

Le décor (mais pas vraiment les costumes) d’Alexander Polzin est assez élégant et du moins au départ, il y a quelques jolies images, mais encore faudrait-il que tout cela soit vraiment fondé en sens: on comprend que l’idée est celle d’un théâtre grec (le grosses Festspielhaus est à vision frontale), que orchestre, espaces latéraux et plateau sont une sorte d’espace consacré, essayant d’effacer le quatrième mur, que nous sommes sensés participer à la cérémonie, mais en réalité, le spectateur reste froid et distancié, et surtout, sceptique.
Musicalement cela va évidemment mieux, ce n’est pas difficile d’ailleurs, sans aller vraiment parfaitement.
La distribution est équilibrée, mais sans aucun vrai protagoniste, sans aucune vraie référence: la comparaison avec le Parsifal de New York est à ce titre cruelle car elle montre ce que devrait être une distribution au festival de Pâques de Salzbourg, et par contrecoup ce qu’elle n’est pas, et ce que les distributions et productions ne sont plus depuis pas mal de temps. Aucun artiste ne dépare, aucun n’explose.

Stephen Milling et Johan Botha ©Forster

Stephen Milling en Gurnemanz est  correct, le timbre est beau, mais il fatigue un peu à la fin, si les graves sont beaux, les aigus sont quelquefois tirés, et la diction n’est pas toujours au rendez-vous pour mon goût. Il reste peut-être le plus à sa place, avec Michaela Schuster.

Wolfgang Koch, Amfortas ©Forster

Au contraire de Wolfgang Koch, à la diction parfaite, à la voix d’une belle couleur, au timbre velouté, mais aux graves problématiques dans Amfortas, un Amfortas peu concerné, peu engagé (il est vrai qu’avec une telle mise en scène…), et un Klingsor beaucoup plus présent, beaucoup mieux impliqué, au texte beaucoup mieux interprété (le rôle est aussi un peu plus aigu). Voilà quand même un bon Klingsor, qui fait plaisir à entendre (alors que je me plaignais hier de la rareté des Klingsor convaincants en entendant Wegner à Munich). Ce Klingsor est accompagné d’un double, un personnage nain que d’aucuns ont identifié à sa virilité perdue que Kundry va égorger à la fin de l’acte 2…(hier à Salzbourg, l’imagination était au pouvoir: mais sous les pavés, on était loin loin de la plage!)

Wolfgang Koch, Klingsor ©Forster

Titurel sans reproche de Milcho Borovinov.

Michaela Schuster ©Forster

Michaela Schuster avait ce soir des problèmes à l’aigu, très criés: les aigus de Kundry sont meurtriers. Mais malgré cela, c’est quand même de tous les protagonistes la plus dramatique, la plus concernée, la plus impliquée, la plus présente, et celle qui offre la vision la plus accomplie.
Quant à Johan Botha, la voix est là, claire, affirmée, avec une bonne diction, des aigus présents, sonnants , et donc un ensemble vocal très satisfaisant, si ce n’est que le personnage est totalement absent, des notes magnifiquement chantées, mais bien peu d’engagement, bien peu d’implication, et un comportement scénique totalement inexistant, ce qui gâche l’ensemble et en fait un Parsifal presque sans intérêt un Parsifal transparent, dans son costume un peu ridicule. Dommage.
A cette distribution aux effets contrastés répond un chœur magnifique composé des chœurs du Semperoper de Dresde et de l’Opéra de Munich (surtout les hommes, tout à fait extraordinaires) et un orchestre discutable, non par la qualité intrinsèque de l’orchestre, mais par la manière dont il est conduit par Christian Thielemann.
Christian Thielemann propose une lecture éminemment analytique de la partition. Pas une note, pas un son qui n’échappe à un traitement isolé, particulier, pas un pupitre (notamment les bois) qui n’échappe à son regard acéré, avec une conséquence immédiate: l’orchestre doit être totalement parfait parce que chaque instrument isolé peut livrer quelque défaut, et une autre conséquence pour l’auditeur, celle d’une audition un peu fragmentée, sans legato, sans chaleur, et sans solution de continuité. C’est très marquant au premier acte, moins au deuxième, plus dramatique et plus présent. Au troisième acte la direction de Thielemann m’est apparue analytique comme au premier acte, mais en même temps plus dramatique: il reste que l’engagement n’a rien à voir avec ce que faisait Nagano la veille, notamment dans le prélude ou la Verwandlungsmusik du IIIème acte, stupéfiants à l’orchestre à Munich et ici plus distanciés et plus froids, une direction sous verre et non en prise directe avec le cœur et les émotions, mais une direction hautement pensée.
Le son de l’orchestre, très clair, translucide même contraste avec ce qu’on pouvait entendre jadis dans cette salle avec les Berliner Philharmoniker (avec Abbado en 2002, la mise en scène médiocre de Peter Stein qui avait dit son désintérêt pour l’œuvre, avait aussi plombé une performance musicale d’un haut niveau, mais  la prestation d’ensemble avait été bien plus exceptionnelle à Berlin en novembre 2001 en version semi-concertante, et n’évoquons pas dans cette même salle le Parsifal enchanteur, magique, miraculeux de Karajan), mais, dans une autre direction, le son produit par la Staatskapelle Dresden et la couleur orchestrale sont souvent de très haute qualité, même si le son de Munich la veille avait quelque chose de plus spectaculaire, de plus direct, de plus « animé » au sens propre du terme.
Il reste malgré toutes ces remarques que Thielemann est évidemment un très grand chef: on peut discuter son option, mais on ne peut pas discuter la qualité du résultat, même s’il ne convainc pas. Certains critiques allemands avec qui j’échangeais à l’entracte disaient que ce type d’option convenait à Bayreuth, où la disposition de la fosse permet ensuite au son de se mettre en place et se mélanger, alors qu’à Salzbourg, l’audition est directe, et le son n’a pas l’heur de se mélanger en étant d’abord renvoyé sur la scène, puis dans la salle.
Même si ce Parsifal est ennuyeux, la responsabilité première n’en incombe pas au chef, mais à une production qui plombe d’ensemble, à une distribution qui manque peut-être d’engagement (mais là aussi, la mise en scène a peut-être sa responsabilité), et moins à un orchestre qui reste l’élément le plus convaincant de l’ensemble. Je suis persuadé qu’avec une autre mise en scène, le lien oeil/oreille aurait sans doute été autre.
Je cherche une expression qui corresponde à mon sentiment, à l’expression la plus juste possible de mon sentiment complètement paradoxal: c’est un ratage, mais un ratage sans médiocrité, non empreint d’une certaine grandeur.
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Saluts de toute la distribution le 1er avril

Saluts de l’orchestre et de tous les artistes le 1er avril

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: Christian THIELEMANN dirige la SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN le 30 MARS 2013 (HENZE-BEETHOVEN-BRAHMS) avec Yefim BRONFMAN

Concert du 26 mars ©OFS/Matthias Creutzinger

Il faut le confesser, il y a longtemps qu’au festival de Pâques on n’avait pas été à pareille fête. Soyons justes, les concerts du Berliner Philharmoniker avec Jansons ou Mehta étaient très réussis, voire extraordinaires. Presque systématiquement en revanche, ceux dirigés par Simon Rattle manquaient de souffle ou d’intérêt. L’an dernier Das Lied von der Erde, avec les mêmes solistes et le même orchestre qu’avec Abbado un an avant (Rattle suit toujours à un an les programmes d’Abbado, et c’est cruel pour lui) avait été d’un ennui marquant. Et je me souviens il y a quelques années d’une 2ème de Brahms sans aucun intérêt, et même franchement mauvaise. Rattle n’est pas avec Berlin (et c’est paradoxal) aussi intéressant dans le répertoire classique allemand qu’il ne l’était avec le CBSO précédemment. La note pour la note, l’effet pour l’effet (souvent théâtral et souvent superficiel), même au prix d’acrobaties de l’orchestre, mais le cœur vide et l’âme aux abonnés absents. Voilà pourquoi aussi les abonnés avaient chuté d’une manière impressionnante à Salzbourg.
Cette année, effet Thielemann, effet rejet aussi des Berliner après le coup de Baden-Baden, 10% de fréquentation en plus à Salzbourg.
Et ce soir un vrai concert de musique allemande, de Beethoven à Henze, qui nous a convaincus que peut-être, le festival de Pâques avait gagné à ce changement (au moins à ce stade des concerts, et après deux soirées).
Ce fut effectivement un grand moment de musique, un grand moment d’émotion, et la démonstration s’il le fallait que la Staatskapelle est pleinement à la hauteur de l’enjeu.
Dans la pièce de Henze « Fraternité » créée en 1999 pour Kurt Masur et le New York Philharmonic, est un « air » pour orchestre destiné à fêter le nouveau millénaire. Cette pièce remplace la création mondiale de « Isolde’s Tod » prévue, et que la disparition de Henze en octobre 2012 a forcé à annuler. Fraternité est un air pour orchestre et donc présente une sorte de palette totale des possibilités d’un orchestre, en 8 minutes, en un crescendo mélodique qui en même temps est une symphonie de couleurs diverses qui vont être explorées dans un format d’air instrumental, construit comme un air chanté, avec sa partie lente, intime, ses crescendos à l’aigu, et surtout l’exposition totale de toutes les parties d’orchestre, qui laissent jouir de la qualité de chaque pupitre de la phalange de Dresde . Chacun dans sa sphère prend sa part de la mélodie de Henze construite comme une sorte de mélodie infinie qui devrait illustrer l’idéal de fraternité, par les sons et la structure, solidaires les uns des autres, construisant ensemble une mélodie, prenant tour à tour la main dans une perfection technique remarquable, et bâtissant ensemble une sorte de métaphore musicale de la fraternité. Une sorte d’utopie mélodique.
Le 5ème concerto de Beethoven, l’Empereur, est évidemment une pièce de référence du répertoire pianistique. Dès le début, dès la cadence initiale, Yefim Bronfman frappe par la douceur du toucher et la netteté du son en même temps dans un style rien moins que démonstratif, avec une fluidité stupéfiante. Son approche fait passer au premier plan non pas l’énergie superficielle, mais au contraire une sorte de légèreté, faite d’effleurements miraculeux qui provquent immédiatement une grande émotion et une certaine stupéfaction.  En écho, Thielemann, avec une direction très précise, très attentive aux systèmes d’écho entre le piano et les pupitres singuliers – le final avec le dialogue entre le timbalier et le piano (répété le matin même à la demande de Bronfman) est une des moments les plus frappants de cette exécution, où Thielemann fixé sur le piano, adapte sa battue aux mouvements précis du soliste pour mieux conduire le timbalier, il en résulte une sorte de duo étonnant, techniquement parfait, incroyablement lisible dans l’aller/retour pianiste, baguette, qui emporte l’adhésion et provoque l’enthousiasme. Cette construction dialoguée, et enflammée, est un des éléments particulièrement marquants de cette exécution. D’un côté un pianiste toujours élégant, jamais démonstratif, jamais exubérant, et surtout toujours exact, et de l’autre un orchestre au son très « classique », très structuré, très clair, très énergique, qui lui répond avec une clarté exemplaire, et sans jamais aucune lourdeur, je dirais presque « à la Böhm » . On revient à une interprétation d’ensemble « classique », et avec une telle perfection et un tel engagement que le résultat ne peut que provoquer chez le public conquis un délirant enthousiasme qui provoque un bis du pianiste, une pièce acrobatique, fluide comme le jeu de l’eau d’une fontaine baroque, à la fois brillante et hyper technique avec un toucher à peine sensible qui provoque néanmoins un son aérien: stupéfiant. Alors évidemment à l’entracte tous proposaient un auteur, car la connaissance de la littérature pianistique même des mélomanes les plus avérés reste limitée: les propositions allaient de Liszt à Schubert, en passant par Chopin et Debussy. Bref, tout le petit monde du piano! Peu importe après tout, mais c’était stupéfiant, notamment la dernière note, comme un envol à peine effleuré, et disparaissant dans les limbes: merveilleux.
J’ai vu un Thielemann bien moins raide que par le passé, bien moins lourd, beaucoup plus net dans ses gestes, attentif au maximum à chaque élément et chaque pupitre, dont la battue tellement lisible qui correspond à la clarté du son de l’orchestre qu’on dirait qu’il y a une bien plus forte osmose entre Dresde et Thielemann qu’il pouvait y en avoir entre Munich et Thielemann, par exemple. Et cela nous permet de redécouvrir s’il est besoin l’extraordinaire qualité de cet orchestre, ce son plein et en même temps non pas léger, mais transparent qui a fait dire à beaucoup qu’il y avait longtemps, dans cette salle, qu’on n’avait pas entendu quelque chose d’aussi convaincant.
Et le Brahms (Symphonie n°4) a fait dire à l’une de mes amies, admiratrice éperdue des Berliner, qui vient chaque année au Festival de Pâques depuis la première année de Karajan,  qu’un tel Brahms, elle n’en avait pas entendu depuis des lustres et qu’il fallait remonter justement à Karajan pour retrouver pareille exécution. Il est vrai que les Brahms récents de Sir Simon Rattle avec les Berliner n’ont convaincu personne.
Ici, nous en sommes tous restés bouche bée. Ce fut la perfection, perfection technique, bien sûr, avec un orchestre dont la clarté, je le répète, permet de remarquer chaque scorie, et il n’y en eut point: une musique où l’on ne recherche pas spécifiquement la beauté du son, mais le relief, mais la monumentalité, mais la dynamique interne une flexibilité étonnante. Le dernier mouvement fut évidemment exemplaire, sans jamais être tonitruant, mais toujours juste dans l’expression et le tempo, référence à Bach dont il s’inspire, mais aussi avec des moments qui renvoient aussi à certaines phrases de Wagner (utilisation des bois, époustouflants de technique, de justesse et d’émotion). Pour ma part j’ai peut-être encore préféré le deuxième mouvement, andante moderato, sublime moment où les couleurs orchestrales sont mises en valeur de manière telle que cela prend presque à la gorge, comme une cantilène élégiaque.
Le premier mouvement, Thielemann le voit d’une couleur grise: il nous a dit en répétition le matin « Connaissez vous Hambourg en novembre? Eh bien, c’est comme le début de cette symphonie » , gris, sombre,  venteux, presque inquiétant. Il en résulte un moment extraordinaire d’intensité, qui nous a donné un Brahms à la fois moderne et engagé, mais avec des couleurs qui rappelaient certains chefs du passé, Sawallisch, Böhm et même Karajan, dont Thielemann fut l’assistant. J’ai suffisamment pensé que Thielemann n’apportait rien de neuf pour me dédire cette fois, ce Brahms surgit peut-être aujourd’hui tout droit de nos rêves et des nostalgies du passé, mais ce classicisme est en réalité une réinterprétation, un regard d’aujourd’hui qui combine passé et présent, en un classicisme moderne qui pourrait bien être LA référence. En tous cas, il y a des années et des années que je n’avais entendu un tel Brahms. Ce fut grandiose et convaincant. Pour les concerts de Thielemann, déjà, ce festival fait référence et a réussi son coup.
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Yefim Bronfman ©Dario Acosta

 

 

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: Christian THIELEMANN dirige la SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN le 29 MARS 2013 (BRAHMS: EIN DEUTSCHES REQUIEM)

Salzbourg, 29 mars 2013

Pendant que les Berliner Philharmoniker s’installent dans leurs nouveaux quartiers de printemps à Baden-Baden, la Staatskapelle de Dresde s’installe dans les siens à Salzbourg. Je continue à regretter ce départ, le festival de Pâques ayant été fondé pour les Berliner. On ne va pas indéfiniment pleurer, et il faut prendre acte de la présence de Dresde et non plus de Berlin. La Saxe au lieu du Brandebourg, et surtout un orchestre de haute tradition je dirais de haute école (Dresde) au lieu d’un orchestre internationalisé (Berlin), qui s’est profondément ouvert aux standards des grands orchestres du monde et qui peut-être (bien que je l’adorasse) a perdu de sa germanité au profit de standards plus globalisés, mais pas forcément moins séduisants d’ailleurs.
C’est bien là le caractère de la Staatskapelle, une phalange qui cultive son identité, un orchestre d’ailleurs plus « mature » que d’autres, dont les membres sont moins jeunes qu’ailleurs: tout cela se traduit par son très particulier, très rond, très plein et en même temps rien moins que massif ou compact. Ce qui frappe en effet, c’est sa clarté, c’est la manière dont on reconnaît immédiatement chaque pupitre, comme dans un labyrinthe qui nous conduirait dans chaque son, devant chaque instrument, sans que ce soit un effet de chef, mais plutôt un effet de génome.
C’est un peu aussi le caractère du Gewandhaus de Leipzig, mais sans doute moins marqué qu’à Dresde. La ville anéantie après la guerre a gardé à travers son orchestre le parfum d’avant, celui de la mémoire de celle qui était la Florence sur l’Elbe: à une semaine de distance, le War Requiem de Lucerne parlait de l’anéantissement de Coventry, trésor d’histoire, auquel a répondu celui de Dresde, autre trésor et au Requiem anglais de Britten répond ce soir le Requiem allemand de Brahms exécuté par les dresdois (même si celui-ci par la force des choses et du temps ne témoigne pas de la destruction de Dresde) . En écoutant la Staatskapelle de Dresde, comment ne pas penser à la ville, et comment ne pas faire de liens émouvants.
On a dit beaucoup de choses de Christian Thielemann, de son irrégularité, de son approche de « Kapellmeister », ce qui n’est pas forcément un compliment dans la bouche de ceux qui le disent, de sa raideur, de ses gestes imprécis etc…etc…Moi-même, j’en prends ma part, et je ne compte pas ce chef parmi mes favoris. J’ai aimé le Thielemann jeune, qui dirigeait à Bologne ou Genève, j’ai peu apprécié le Thielemann munichois, celui de Bayreuth ces dernières années (alors que son Tannhäuser de 2005 était sublime). J’étais donc très curieux cette année d’écouter avec attention la relation qu’il a commencé de tisser avec la phalange saxonne.
Le Deutsches Requiem de Brahms ne reprend pas la liturgie de la Messe des morts, comme les autres grands Requiem, Brahms avait une religiosité très personnelle et a voulu composer une œuvre (suite à la mort de Robert Schumann et sans doute de sa mère, bien qu’il ne l’ait jamais confirmé) non liturgique, mais humaniste, en puisant dans les Saintes Écritures. La genèse en est assez longue, et une première partie fut créée à Vienne avec un succès moyen, l’œuvre complétée  fut créée le Vendredi Saint à Brême le 10 avril 1868, mais Brahms ajouta la 5ème partie (intervention du soprano), pour créer la version que nous connaissons  le 18 février 1869 au Gewandhaus de Leipzig avec l’orchestre homonyme.
C’est une œuvre essentiellement chorale, avec seulement trois interventions des solistes (un baryton, un soprano) au n°3 , n°5, n°6
J’ai entendu pour la dernière fois Ein deutsches Requiem à Lucerne, avec l’orchestre de la radio Bavaroise et Mariss Jansons, une interprétation moins spirituelle que terrienne, au rythme rapide, et pour tout dire légèrement en dessous de l’attendu. Ma référence est Abbado, aérien, dans un ciel nuageux d’une légèreté séraphique.
Thielemann commence plutôt assez rapidement, avec un son surprenant, tellement clair, tellement déconstruit, avec chaque notule qui arrive aux oreilles, qu’on est un peu sur la réserve au départ: rien de mystique dans ce morceau n°1 [Selig sind, die da Leid tragen] , rien de religieux, rien de spirituel. C’est parfait, et c’est vide. On n’arrive pas à découvrir les intentions, on ne ressent rien, ni aucune élévation.
Dès le n°2 [Denn alles Fleisch es ist wie Gras], les choses changent. L’ambiance devient plus recueillie, le chœur sublime, l’orchestre, pourtant assez net, ne le couvre jamais, avec une attention soutenue du chef sur chaque instrument, et la musique gagne en rythme (grâce notamment à un exceptionnel timbalier qui scande l’ensemble de manière sourde), en expansion, en grandeur, prend incontestablement plus de sens. Bois magnifiques, cuivres sans reproche. L’orchestre dans tous ses pupitres ensemble est vraiment grandiose: même si pris individuellement ils ne sont pas aussi exceptionnels que dans d’autres phalanges, ils jouent ensemble, et font ensemble de la musique et non des notes.
Michael Volle, le baryton, rend le n°3 sublime [Herr, lehre  doch mich]. La voix est d’une douceur et d’une suavité rares, la diction exceptionnelle, la science de la projection est un modèle, cela produit une forte émotion.
Il faut aussi s’arrêter au n°5 [Ihr habt nun Traurigkeit] sur le soprano, moins connu, Christiane Karg, membre de la troupe de l’Opéra de Francfort et appelée de plus en plus à participer à des concerts (avec Thielemann, Jansons, Harding, Nezet-Séguin. Une voix très ronde, très bien posée, techniquement impeccable. J’ai entendu dans cette voix pour l’instant plutôt habituée au baroque (Aricie, Poppea) mais aussi à Norina ou Musetta, un vrai soprano lyrique qu’on sent près à d’autres défis (j’ai entendu dans cette voix une future Marschallin). Un timbre riche, coloré qui m’a séduit tout particulièrement.
Le n°6 permet au chœur de faire entendre sa qualité exceptionnelle (c’était aussi lui la semaine dernière à Lucerne dans le War Requiem), un explosion de sons, de couleurs et une diction prodigieuse. S’il y a quelque chose d’inoubliable dans ce concert, c’est d’abord la prestation puissante, profondément engagée, mais aussi subtile et précise du chœur, qu’on sait être l’un des meilleurs et des plus demandés aujourd’hui.
Le n°7 [Selig sind die Toten] qui fait écho au n°1 me semble plus profond, plus fortement engagé, et Thielemann (qui dirige sans baguette) très attentif au chœur qu’il suit pas à pas, donne à ce mouvement final une vraie spiritualité (les sopranos du chœur sont époustouflants).
L’auditeur est quasiment amené sans effort aucun à pénétrer cet univers, à entrer dans le souffle spirituel qui peu à peu à envahi l’espace. Il en résulte un concert grandiose, qui peut-être a pris peu à peu ses marques et son rythme, après un début qui de l’avis de tous était un peu extérieur et qui s’est très vite installé sur les ailes des anges. Cette interprétation ne détrône pas ma préférée en concert (Abbado, effleurant les cieux), mais ce fut tout de même un très grand moment de musique, qui légitime pleinement la présence de ce merveilleux orchestre au festival de Pâques: la succession est assurée.
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