METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: THE ENCHANTED ISLAND (Pasticcio baroque de Jeremy Sams) le 8 MARS 2014 à 12h (Dir.mus: Patrick SUMMERS Ms en scène: Phelim MC DERMOTT) avec Placido DOMINGO

Le monde de Neptune (Placido Domingo) © The Metropolitan Opera.
Le monde de Neptune (Placido Domingo) © The Metropolitan Opera.

Il n’y a guère qu’au MET où l’on puisse voir des spectacles presque impossibles à imaginer en Europe. Le MET programme peu ou pas d’opéra baroque qui en revanche fait partie de la normalité en Europe, même si Peter Gelb soutient qu’on peut en représenter dans cette salle immense de 4000 spectateurs. Et pour introduire ce répertoire inconnu ici, il a eu l’idée d’un pasticcio à la manière de ce qui se faisait au XVIIIème, c’est à dire d’un spectacle inventé pour mettre en valeur des grands airs (43 morceaux) du répertoire baroque (Haendel, Vivaldi, Campra, Rameau etc…) autour une trame qui pourrait être la quintessence de ce dont le spectateur rêve quand on lui parle de baroque : une histoire de magie (une île enchantée comme celle d’Alcina), un opéra à transformations, des plumes, des ors, une tempête, des vocalises étourdissantes et deux contre-ténors : voilà 3h20 d’un spectacle funnyssime.

Saluts, le 8 mars
Saluts, le 8 mars

Mais le clou est évidemment une distribution grandiose qui garantit la venue du public : Luca Pisaroni, Susan Graham, Danielle de Niese…et Placido Domingo. En même pas 24h, le ténor du jour, Jonas Kaufmann et la légende d’hier et d’aujourd’hui, Placido Domingo. C’est cela le MET, c’est aussi cela d’avoir le plus gros budget du monde…
Le résultat, un triomphe pour un spectacle qu’il faut accepter tel que, sans se poser de questions, sans vraiment s’interroger sur le sens de l’œuvre et surtout en se laissant aller au pur plaisir du kitsch, des effets, des sourires et surtout d’un chant qui est exceptionnel…

C’est le britannique Jeremy Sams qui a conçu le livret (en anglais) inspiré de Shakespeare, appuyé à la fois sur  La Tempête et sur Le Songe d’une nuit d’été : le duc de Milan Prospero (David Daniels, contreténor), s’est retrouvé après une tempête sur une île qu’il a prise à la magicienne Sycorax après avoir été son amant (Susan Graham).

Susan Graham (Sycorax) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Susan Graham (Sycorax) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Vieillissant, il veut garantir l’avenir à sa fille Miranda (Andriana Chuchman) et en même temps retourner dans sa patrie, et donc veut la marier au Prince Ferdinand (magnifique Anthony Roth Costanzo, contreténor), qui voyage avec le Roi de Naples sur un vaisseau, et demande à l’esprit Ariel (Danielle de Niese) de créer une tempête pour que le bateau s’échoue sur l’île et que Ferdinand par la vertu de philtres magiques tombe amoureux de Miranda.
Mais voilà : Ariel est maladroit et se trompe de bateau, lançant la tempête contre un esquif transportant deux couples en lune de miel, Helena et Demetrius (Janai Brugger et Andrew Stenson), Hermia et Lysander (Elisabeth DeShong et Nicholas Pallesen). De son côté la magicienne Sycorax envoie son fils Caliban (Luca Pisaroni) mettre un peu de confusion dans tout ce qui se trame et changer les formules des philtres (échangeant du sang de dragon contre du sang de lézard). Le résultat : un joyeux désordre, on ne sait plus qui est amoureux de qui, et en tous cas jamais de la bonne personne ; il faudra l’intervention de Neptune (Placido Domingo) pour que tout rentre dans l’ordre et que Prospero rende l’île à Sycorax, Ariel à sa liberté et retourne à Milan : tout est bien qui finit bien.
Cette baroque fantasy qui dure quand même 3h20, est donc composée d’un tissu d’airs (voir la liste ci-dessous) dont les paroles ont été changées par Jeremy Sams et dont les auteurs ont pour nom Haendel, qui se taille la part du lion, mais aussi Rameau, Vivaldi, Campra, Leclair, Purcell, Rebel et Ferrandini.

Le dispositif © The Metropolitan Opera.
Le dispositif © The Metropolitan Opera.

Le spectacle a été confié à Phelim McDermott et Julian Crouch (qui signe aussi les décors) fondateurs de l’Improbable Theatre, un théâtre de fantaisie où se rencontrent marionnettes, improvisation, comédie et récit. On leur doit aussi le musical The Addams Family, créé à Chicago en 2009 et repris à Broadway en 2010. Ils ont réussi à alterner des visions très traditionnelles de la machine théâtrale (toiles peintes et effets mécaniques pour les bateaux, les tempêtes, l’apparition kitchissime de Neptune) et une utilisation d’une précision incroyable de la vidéo. Ils allient donc ce que l’illusion théâtrale d’hier et celle d’aujourd’hui font de mieux, en un mélange très fluide où l’on passe du trompe d’œil à l’illusion vidéo sans s’en rendre compte ou presque.

©The Metropolitan Opera.
©The Metropolitan Opera.

Ils réussissent aussi à garder une certaine distance, sans jamais verser dans la paillette, et produisant finalement un travail juste, divertissant, et servant le livret de Jeremy Sams et la musique. Du bon spectaculaire en somme.
Jeremy Sams, professionnel de l’écriture, de la musique, de l’orchestration du spectacle vivant a réussi à retravailler et les airs, et les rares récitatifs avec une telle habileté et une telle fluidité qu’on ne remarque pas la diversité de styles (Haendel, Vivaldi et Rameau, ce n’est pas tout à fait pareil) pour privilégier une sorte de vision unitaire, cohérente qui est une fête pour l’oreille et l’œil fait pour attirer vers le baroque un public a priori non encore acquis .
Lors de la première série en 2011-2012, c’était William Christie qui officiait dans la fosse ; c’est cette fois Patrick Summers qui reprend la production. Patrick Summers, directeur artistique du Houston Grand Opera et Principal Guest Conductor du San Francisco Opera est un bon routier, l’un des chefs qui a le plus riche répertoire aux USA. Il dirige cette « partition » avec un orchestre moderne, le menant avec une belle énergie, mais sans génie particulier sinon celui d’accompagner les chanteurs : ne pas chercher là une quelconque fidélité stylistique ou une couleur baroqueuse. Patrick Summers assure la soirée avec suffisamment de professionnalisme pour obtenir un beau succès au rideau final.
Pour cette reprise et selon la tradition, quelques airs ont été changés par rapport à la création, pour s’adapter mieux aux chanteurs, (Jeremy Sams disait qu’il fallait que les airs soient taillés sur mesure à la main pour les voix) ainsi l’air de Rameau que chantait Joyce Di Donato est remplacé par l’air  Sta nell’ircana  d’Alcina pour Susan Graham. Pour Neptune (Placido Domingo) : on est passé de Rameau à Haendel (Tamerlano) pour son air du second acte, tandis que la fameuse scène de Neptune au fond des eaux représentée sur toutes les photos conclut désormais le premier acte, tel un « showstopper » comme on dit sur Broadway …

Tempête...© Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Tempête…© Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Car l’avantage du pasticcio est une extrême élasticité du propos, une adaptation des airs aux voix (ou à l’état des voix) présentes sur le plateau. Ainsi donc voilà un spectacle qui fera peut-être fuir les puristes ou les ayatollahs, car il va contre les productions historiquement fidèles, les éditions complètes et archéologiques, les instruments anciens, mais qui devrait attirer un public plus bigarré, disponible, et aimant de belles voix et le pur divertissement.

La première série avait été un triomphe de public, cette reprise l’est un peu moins malgré l’énorme succès et bien que la salle soit plus remplie que pour Wozzeck
Pour qu’un tel spectacle fonctionne, au-delà de la mise en scène, il faut évidemment des voix qui puissent répondre aux exigences de cette permanente mise en exposition. Cela se veut une vitrine de ce que peut-être le baroque, il faut évidemment une vitrine scénique et une vraie vitrine vocale.
Hors Placido Domingo-Neptune, qui intervient plus comme Deus ex machina que protagoniste de l’action,

Prospero (David Daniels) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Prospero (David Daniels) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

c’est Prospero (David Daniels) et Sycorax (Susan Graham) qui se partagent les principaux rôles. David Daniels, l’un des contreténors de référence aujourd’hui impose sa voix très affirmée, une voix qu’il arrive à voiler, à qui il donne une couleur vieillie (le personnage de Prospero monte toute cette affaire parce qu’il arrive à la vieillesse) réussie, mais il domine formidablement l’ensemble du plateau, avec un magnifique second acte, où on lui demande (ainsi qu’à Susan Graham) une plus grande intériorité et une expression plus profonde de la souffrance. Son air I try to shape my destiny – Chaos, confusion qui est en réalité Pena tiranna d’Amadigi di Gaula de Haendel est un des magnifiques moments de la soirée.

De même pour la Sycorax de Susan Graham, à la voix pleine et ronde, peut-être moins sûre aujourd’hui dans les agilités : son deuxième acte et notamment toute la partie finale où l’alternative est se venger (de Prospero) ou pardonner est cependant souverain, avec une belle  science du chant au service de la passion: j’ai beaucoup aimé The time has come. The time is now (en réalité : Morirò, ma vendicata de Teseo de Haendel).

 

Danielle de Niese (Ariel) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.
Danielle de Niese (Ariel) © Ken Howard/The Metropolitan Opera.

Danielle de Niese compose un Ariel frais, plein de fantaisie, avec des agilités vocales étourdissantes : la mise en scène la sert, son arrivée au fond de l’eau chez Neptune, dans un scaphandre, est désopilante.

Luca Pisaroni (Caliban) © The Metropolitan Opera.
Luca Pisaroni (Caliban) © The Metropolitan Opera.

Quant à Luca Pisaroni, dans le rôle de Caliban, sous un masque, il est vraiment remarquable de sûreté vocale, de puissance et de présence : il est souvent plus émouvant que comique, dans un rôle qui est totalement caricatural, une très belle prestation qui dépasse celles dans lesquelles il excellait déjà (Leporello, dans la mise en scène de Haneke à Paris).

Il serait injuste d’oublier notamment la très fraîche Miranda de Andriana Chuchman, et dans les deux couples de jeunes mariés, surtout la magnifique Hermia d’Elisabeth DeShong, qui finira sans doute, si d’autres reprises de ce spectacle sont programmées, par s’emparer et triompher du rôle de Sycorax. Chez les hommes, le ténor délicat Andrew Stenson se fait remarquer dans Demetrius (agréable air d’entrée Oh, Helena, my Helen – You would have loved this island venu de Resurrezione de Haendel) mais une notation particulière pour le Ferdinand très fin, à la voix claire et pure, très contrôlée du jeune contreténor Anthony Roth Costanzo.

Placido Domingo (Neptune) © The Metropolitan Opera.
Placido Domingo (Neptune) © The Metropolitan Opera.

Reste Placido Domingo. Impossible à juger à l’aune des autres: il a derrière lui une telle carrière qu’il la porte toujours avec lui et que les spectateurs qui comme moi l’ont suivi depuis 40 ans (je le vis pour la première fois en 1974) ne peuvent le juger avec l’objectivité voulue. Il fait de Neptune un Dieu un peu farfelu, avec des attitudes qui provoquent les rires. Et il apparaît dans cette hallucinante scène au fond de l’eau, très attendue, avec sirènes, chœurs et conques, à la fois sommet d’un kitsch à la Disney, très bien fait sur la scène du MET qui en a vu d’autres en matière de divinités aquatiques (voir le début époustouflant du Rheingold de Lepage) . C’est la scène emblématique de la production et qu’on la voit partout représentée, elle est d’ailleurs quelque peu flashée par les spectateurs.
Un Domingo en majesté, entouré de chœurs et comme sorti d’une comédie musicale des années quarante.
Un Domingo qui chante deux airs toujours avec un peu de problèmes dans les graves, mais qui réussit à maintenir des agilités et surtout des aigus tenus, sûrs, qui mettent en valeur ce timbre encore chaleureux et qui garde sa pureté : la voix est là, la couleur est là, les jeunes qui l’entendent peuvent encore avoir une idée de qui il fut, par ce qu’il est encore. D’après ce que je sais, il a été quelque peu irrégulier lors de ces reprises, et la presse l’a un peu étrillé, mais le jour (il était midi) où je l’ai entendu, c’était vraiment encore étonnant.

J’ai passé un moment délicieux, je me suis laissé faire, totalement aspiré par cette production qu’un critique a comparé méchamment à un Mamma Mia baroque, pourquoi pas, si musicalement on ne se moque pas du monde et si on passe un bon moment ? On n’oserait pas penser un tel spectacle à Bastille (que ne dirait-on pas !), mais il ne déparerait pas, au contraire, au Châtelet d’aujourd’hui.
C’était mon plaisir de l’île enchantée.
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Placido Domingo, Susan graham, David Daniels le 8 mars 2014
Placido Domingo, Susan graham, David Daniels le 8 mars 2014

Les airs, tels qu’ils apparaissent dans le site du MET : http://www.metoperafamily.org/metopera/news/enchanted-island-music.aspx

Overture
George Frideric Handel: Alcina, HWV 34

Act I

1. “My Ariel” (Prospero, Ariel) – “Ah, if you would earn your freedom” (Prospero)
Antonio Vivaldi: Cessate, omai cessate, cantata, RV 684, “Ah, ch’infelice sempre”

2. “My master, generous master – I can conjure you fire” (Ariel)
Handel: Il trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio, HWV 46a, Part I, “Un pensiero nemico di pace”

3. “Then what I desire” (Prospero, Ariel)

4. “There are times when the dark side – Maybe soon, maybe now” (Sycorax, Caliban)
Handel: Teseo, HWV 9, Act V, Scene 1, “Morirò, ma vendicata”

5. “The blood of a dragon – Stolen by treachery” (Caliban)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, Part I, Scene 1, “O voi, dell’Erebo”

6. “Miranda! My Miranda!” (Prospero, Miranda) – “I have no words for this feeling” (Miranda)
Handel: Notte placida e cheta, cantata, HWV 142, “Che non si dà”

7. “My master’s books – Take salt and stones” (Ariel)
Based on Jean-Philippe Rameau: Les Fêtes d’Hébé, Deuxième entrée: La Musique, Scene 7, “Aimez, aimez d’une ardeur mutuelle”

8. Quartet: “Days of pleasure, nights of love” (Helena, Hermia, Demetrius, Lysander)
Handel: Semele, HWV 58, Act I, Scene 4, “Endless pleasure, endless love”

9. The Storm (chorus)
André Campra: Idoménée, Act II, Scene 1, “O Dieux! O justes Dieux!”

10. “I’ve done as you commanded” (Ariel, Prospero)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, “Di rabbia indarno freme”

11. “Oh, Helena, my Helen – You would have loved this island” (Demetrius)
Handel: La Resurrezione, oratorio, HWV 47, Part I, Scene 2, “Così la tortorella”

12. “Would that it could last forever – Wonderful, wonderful” (Miranda, Demetrius)
Handel: Ariodante, HWV 33, Act I, Scene 5, “Prendi, prendi”

13. “Why am I living?” (Helena)
Handel: Teseo, HWV 9, Act II, Scene 1, “Dolce riposo”
“With this, now I can start again – Once, once at my command” (Sycorax)
Jean-Marie Leclair: Scylla et Glaucus, Act IV, Scene 4, “Et toi, dont les embrasements… Noires divinités”

14. “Mother, why not? – Mother, my blood is freezing” (Caliban)
Vivaldi: Il Farnace, RV 711, Act II, Scene 5 & 6, “Gelido in ogni vena”

15. “Help me out of this nightmare” – Quintet: “Beautiful, wonderful” (Helena, Sycorax, Caliban, Miranda, Demetrius)
Handel: Ariodante, HWV 33, Act I, Scene 5, recitative preceding “Prendi, prendi”

16. “Welcome Ferdinand – All I’ve done is try to help you” (Prospero)
Vivaldi: Longe mala, umbrae, terrores, motet, RV 629, “Longe mala, umbrae, terrores”

17. “Curse you, Neptune” (Lysander)
Vivaldi: Griselda, RV 718, Act III, Scene 6, “Dopo un’orrida procella”

18. “Your bride, sir?” (Ariel, Lysander, Demetrius, Miranda) – Trio: “Away, away! You loathsome wretch, away!” (Miranda, Demetrius, Lysander)
Handel: Susanna, oratorio, HWV 66, Part II, “Away, ye tempt me both in vain”

19. “Two castaways – Arise! Arise, great Neptune” (Ariel)
Attr. Henry Purcell: The Tempest, or, The Enchanted Island, Z. 631, Act II, no. 3, “Arise, ye subterranean winds”

20. “This is convolvulus” (Helena, Caliban) – “If the air should hum with noises” (Caliban)
Handel: Deidamia, HWV 42, Act II, Scene 4, “Nel riposo e nel contento”

21. “Neptune the Great” (Chorus)
Handel: Four Coronation Anthems, HWV 258, “Zadok the Priest”

22. “Who dares to call me? – Gone forever” (Neptune, Ariel)
Based on Handel: Tamerlano, HWV 18, “Oh, per me lieto”
“I’d forgotten that I was Lord” (Neptune, Chorus)
Rameau: Hippolyte et Aricie, Act II, Scene 3, “Qu’a server mon courroux”

Act II

23. “My God, what’s this? – Where are you now?” (Hermia)
Handel: Hercules, oratorio, HWV 60, Act III, Scene 3, “Where shall I fly?”

24. “So sweet, talking together” –
Vivaldi: Argippo, RV 697, Act I, Scene 1, “Se lento ancora il fulmine”
“Now it’s returning” (Sycorax)
Handel: Alcina, HWV 34, Act III, Scene 1 – “Stà nell’Ircana”

25. “Have you seen a young lady?” (Demetrius, Helena, Caliban) – “A voice, a face, a figure half-remembered” (Helena)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act III, Scene 4, “Hanno penetrato i detti tuoi l’inferno”

26. “His name, she spoke his name – The rage” (Caliban)
Handel: Hercules, oratorio, HWV 60, Act III, Scene 2 “O Jove, what land is this? – I rage”

27. “I try to shape my destiny – Chaos, confusion” (Prospero)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act II, Scene 5, “Pena tiranna”

28. “Oh, my darling, my sister – Men are fickle” (Helena, Hermia)
Handel: Atalanta, HWV 35, Act II, Scene 3 – “Amarilli? – O dei!”

29. “I knew the spell” (Sycorax, Caliban) – “Hearts that love can all be broken” (Sycorax)
Giovanni Battista Ferrandini (attr. Handel): Il pianto di Maria, cantata, HWV 234, “Giunta l’ora fatal – Sventurati i miei sospiri”

30. “Such meager consolation – No, I’ll have no consolation” (Caliban)
Vivaldi: Bajazet, RV 703, Act III, Scene 7, “Verrò, crudel spietato”

31. Masque of the Wealth of all the World
a. Quartet: Caliban goes into his dream, “Wealth and love can be thine”
Rameau: Les Indes galantes, Act III, Scene 7, “Tendre amour”
b. Parade
Rameau: Les fêtes d’Hébé, Troisième entrée: Les Dances, Scene 7, Tambourin en rondeau
c. The Women and the Unicorn
Rameau: Les fêtes d’Hébé, Troisième entrée: Les Dances, Scene 7, Musette
d. The Animals
Jean-Féry Rebel: Les Éléments, Act I, Tambourins I & II
e. Chaos
Rameau: Platée, Act I, Scene 6, Orage
f. The Calm
Campra: Idoménée, Act II, Scene 1

32. “With no sail and no rudder – Gliding onwards” (Ferdinand)
Handel: Amadigi di Gaula, HWV 11, Act II, Scene 1, “Io ramingo – Sussurrate, onde vezzose”

33. Sextet: “Follow hither, thither, follow me” (Ariel, Miranda, Helena, Hermia, Demetrius, Lysander)
Handel: Il trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio, HWV 46a, Part II, Quartet: “Voglio tempo”

34. “Sleep now” (Ariel)
Vivaldi: Tito Manlio, RV 78, Act III, Scene 1, “Sonno, se pur sei sonno”

35. “Darling, it’s you at last” (Hermia, Lysander, Demetrius, Helena)
Vivaldi: La verità in cimento, RV 739, Act II, scene 9, “Anima mia, mio ben”

36. “The wat’ry God has heard the island’s pleas” (Chorus)
Handel: Susanna, oratorio, HWV 66, Part III, “Impartial Heav’n!”

37. “Sir, honored sir – I have dreamed you” (Ferdinand, Miranda)
Handel: Tanti strali al sen mi scocchi, cantata, HWV 197, “Ma se l’alma sempre geme”

38. “The time has come. The time is now” (“Maybe soon, maybe now,” reprise) (Sycorax)
Handel: Teseo, HWV 9, Act V, Scene 1, “Morirò, ma vendicata”

39. “Enough! How dare you?” (Prospero, Neptune) – “Tyrant! Merely a petty tyrant.” (Neptune)
Handel: Tamerlano, HWV 18, Act III, Scene 1, “Empio, per farti guerra”

40. “To stray is mortal” (Prospero, Caliban) – “Forgive me, please forgive me” (Prospero)
Handel: Partenope, HWV 27, Act III, Scene 4, “Ch’io parta?”

41. “We gods who watch the ways of man” (Neptune, Sycorax, Chorus)
Handel: L’allegro, il Penseroso, ed il Moderato, HWV 55, Part I, “Come, but keep thy wonted state – Join with thee”

42. “This my hope for the future” (Prospero) – “Can you feel the heavens are reeling” (Ariel)
Vivaldi: Griselda, RV 718, Act II, scene 2, “Agitata da due venti”

43. “Now a bright new day is dawning” (Ensemble)
Handel: Judas Maccabaeus, oratorio, HWV 63, Part III, “Hallelujah”

 

 

METROPOLITAN OPERA 2012-2013 (sur grand écran): LES TROYENS d’Hector BERLIOZ (Dir.Mus: Fabio LUISI, Ms en scène: Francesca ZAMBELLO)

La Prise de Troie © Ken Howard

J’ai eu quelque hésitation à ouvrir mon année lyrique par cette production des Troyens au MET, en direct sur grand écran.  Une mise en scène de Francesca Zambello, que je n’aime pas trop, la direction de Fabio Luisi, qui est toujours respectable mais pour Berlioz? Et Deborah Voigt (Cassandre) qui ne m’enthousiasme pas a priori. Enfin le cast affichait aussi Marcello Giordani dans Enée, dont on pouvait se méfier dans ce rôle.
Mais il y avait Susan Graham dans Didon: à elle seule, elle pouvait justifier que j’affronte les frimas pour aller au cinéma voisin.
Je me suis finalement décidé, et bien m’en a pris, car ce n’était pas Marcello Giordani, mais Bryan Hymel qui chantait Enée et cela faisait deux bonnes raisons d’aller passer la soirée au cinéma.
Et ce fut musicalement, au moins pour “Les Troyens à Carthage”, un émerveillement.

Scène finale © Ken Howard

Passons sur la mise en scène de Francesca Zambello. La production, vieille de 10 ans, n’a pas vraiment d’âge. Madame Zambello sait mettre en images, sait manier les foules, et sait s’inspirer de scènes de la peinture classique, attitudes convenues, bras levés, éclairages efficaces (de James F. Ingalls), torches: elle est la Margherita Wallmann des années 2000:  pas d’imagination, pas d’idées, mais du métier,  de la technique et l’art de savoir composer des tableaux. A conseiller à ceux qui pensent que la mise en scène d’opéra ne doit pas aller au-delà de l’illustration.

La Prise de Troie © Ken Howard

Donc, rien que du banal: Troie en sombre et Carthage en blanc (comme chez Pierre Audi à Amsterdam), un espace unique de jeu, le décor de Maria Bjørnson (du genre métallique) sur deux niveaux, quelques menues idées (Didon assise sur une maquette en construction de la future Carthage, sur laquelle les habitants déposent les bâtiments à peine terminés) Didon d’abord en blanc (costumes de Anita Yavich) puis  en violet, sans doute la couleur de la passion puis qu’Enée revêt à son tour un manteau violet, qu’il abandonne lorsqu’il appareille pour l’Italie. Comme on le voit, cela ne va pas bien loin, sans parler des chorégraphies de Doug Varone, qui n’en finissent pas. Du point de vue conceptuel, un encéphalogramme plat, mais cela se laisse voir sans fatigue.
Musicalement, c’est tout autre chose.

Les Troyens à Carthage “Gloire à Didon” © Ken Howard

On sait que Les Troyens ont eu beaucoup de difficultés à s’imposer sur les scènes. Dans les années 70, la presse spécialisée ne cessait de demander qu’un théâtre ose monter la version complète. Seul Covent Garden avait osé en 1969, et la production fut l’origine de l’enregistrement de référence avec Colin Davis, l’artisan de la “Berlioz Renaissance”, et Jon Vickers dans Enée. Inoubliable.
L’Opéra de Paris a proposé Les Troyens pour l’ouverture de l’Opéra Bastille, en 1990 (l’inauguration de 1989 s’était faite dans un théâtre qui n’était pas en ordre de marche), dans une production de Pier Luigi Pizzi, avec Grace Bumbry et Shirley Verrett, sous la direction de Myung-Whun Chung puis dans la mise en scène de Herbert Wernicke (Production du Festival de Salzbourg) avec Deborah Polaski, Jeanne Michèle Charbonnet et Yvonne Naef avec Sylvain Cambreling au pupitre.
Les Troyens est une œuvre que seuls les grands théâtres peuvent monter, tant elle demande des moyens de production exceptionnels, la mobilisation du chœur et du ballet, une distribution nombreuse et des chanteurs exceptionnels, notamment pour les rôles d’Enée et Didon.
La dernière production de Covent Garden de David Mc Vicar, accueillie de manière assez contrastée, devait être portée par Jonas Kaufmann qui abordait le rôle d’Enée, il y renonça pour raisons de santé: il reste à espérer qu’il puisse la reprendre à San Francisco, Vienne ou à la Scala, qui coproduisent avec Covent Garden.
C’est Bryan Hymel qui a remplacé Kaufmann à Covent Garden. Je l’avais entendu dans Enée dans la production de Pierre Audi à Amsterdam aux côtés de la Cassandre de Eva-Maria Westbroek (Didon à Covent Garden) et de la Didon d’Yvonne Naef (voir l’article en question).

Bryan Hymel

Au MET, il succède à Marcello Giordani qui a assuré en décembre les représentations. Et l’on peut dire que pour ce rôle redoutable entre tous, qui exige des aigus ravageurs, un engagement épique mais aussi une élégance de chant toute particulière dans les moments lyriques (le fameux duo “Nuit d’ivresse et d’extase infinie”), il répond largement à la commande. Déjà je l’avais apprécié à Amsterdam, mais cette fois, il a encore gagné en assurance et en maturité, et les aigus étaient triomphants et sûrs, notamment au dernier acte, où le ténor est particulièrement sollicité. Voilà un ténor bien parti pour les grands rôles français (on pense à Meyerbeer: il vient d’interpréter Robert le Diable à Covent Garden, mais aussi à un autre Berlioz peu joué, le Benvenuto Cellini dont  la production luxuriante de Denis Krief à la Bastille en 1993 est la seule dont je me souvienne). La voix est très bien modulée, la couleur chaleureuse, le timbre séduisant, et le français quasi impeccable grâce à une diction exemplaire. A suivre avec attention.

Deborah Voigt (La Prise de Troie) © Ken Howard

Du côté des dames, Deborah Voigt interprétait Cassandre, immortalisée ces dernières années par Anna-Caterina Antonacci (on se souvient de la production de Yannis Kokkos au Châtelet et à Genève mais aussi l’été dernier à Covent Garden): si la voix pouvait être discutée, l’interprétation était simplement hallucinante. Sur la scène du MET, Deborah Voigt reste désespérément froide et inexpressive. La voix est au rendez-vous, la diction assez satisfaisante, mais Voigt chante toujours de la même façon, avec un visage totalement fixe, qui ne change jamais d’expression, quelquefois même aux dépens des paroles qu’elle prononce. De la technique sans doute, mais aucun art du chant, et évidemment bien peu de sensibilité. Dans la mesure où elle reste en scène quasiment pendant tout l’acte, sa manière de chanter affecte l’ensemble et “La prise de Troie”, qui doit tant à Gluck dont Berlioz se souvient sans cesse, reste un peu en-deçà de ce qu’on attendrait, malgré des chœurs impressionnants et très bien préparés par Donald Palumbo.

Susan Graham © Ken Howard

Tout change dans “Les Troyens à Carthage” où dès son entrée accompagnée par le chœur fameux “Gloire à Didon”, Susan Graham impose un style, qui est LE style: diction exemplaire, expression incroyable de vérité, avec les variations dans la couleur, des gestes accompagnant le texte qui montrent sa parfaite compréhension du propos. Tout y est. Si les aigus semblent un peu plus tendus, ils sont si bien négociés qu’ils passent aisément. Mais c’est dans les moments lyriques et pathétiques que Susan Graham est extraordinaire: le duo “Nuit d’ivresse et d’extase infinie” est à ce titre, avec un Bryan Hymel magnifique, un des grands moments magiques (la musique, en soi est fabuleuse) de la soirée, mais surtout “Adieu fière cité” qui réussit à tirer les larmes; depuis un immense enregistrement de Regina Resnik, je crois n’avoir jamais entendu ce texte dit de cette manière. C’est époustouflant. Je me souviens encore de sa Charlotte à Bastille, bouleversante: elle est ici une immense tragédienne, qui chante avec une intelligence incomparable et sait distiller une émotion indicible. L’intelligence du texte et du chant produisent ce soir un immense moment: c’est aussi le résultat d’une carrière menée sans déplacements incessants, de manière modérée, alternant récitals et quelques rôles, et ménageant la voix.
Et les rôles secondaires sont bien tenus, voire particulièrement soignés et souvent tenus par des chanteurs maison et de jeunes artistes prometteurs ; d’abord le Narbal de luxe de Kwanchoul Youn, basse profonde et sonore qui donne à Narbal une noblesse toute particulière. La Anna de Karen Cargill, mezzo soprano au timbre sombre et velouté , qui a quelques difficultés d’homogénéité entre les registres aigu et grave, mais une belle présence vocale, notamment dans les duos et les ensembles. Une note toute particulière pour deux ténors, le Yopas d’Eric Cutler (déjà vu à Bastille dans ce rôle en 2006, mais aussi dans “Le Roi Roger” en 2009) très appliqué et techniquement impeccable, mais surtout le très  jeune Paul Appleby récemment diplômé du Metropolitan Opera’s Lindemann Young Artist Development Program qui prête à  Hylas une voix à la fois très suave, très douce, très lyrique, et qui sait lui aussi distiller une belle émotion. Un ténor à suivre notamment pour Mozart.
Au pupitre, Fabio Luisi aborde l’œuvre pour la première fois. Fabio Luisi a pratiqué toutes les grandes scènes germaniques pendant la première partie de sa carrière, assurant à Vienne ou à Berlin les représentations de répertoire et donc rompu au changements de style et de tradition. Cette technicité en fait un chef sûr pour un orchestre et n’est sans doute pas étrangère à sa nomination comme “Pincipal Conductor” au MET: moins connu, il ne fait pas d’ombre au directeur encore en titre, James Levine, et il peut assurer aussi bien le Ring (un Ring assez élégant par ailleurs) que Aida ou Ballo in Maschera. Il est aujourd’hui reconnu et lancé dans le circuit des chefs de référence, puisqu’il est directeur musical à Zürich et honoraire à Gênes, sa ville d’origine (alors que pendant des années il n’a jamais dirigé en Italie). En abordant Les Troyens, il maîtrise les masses, tenant ensemble orchestre, chœurs, solistes, de manière solide, mais il sait aussi bien donner énergie et dynamisme aux moments les plus épiques, mais aussi délicatesse et douceur aux moments élégiaques et lyriques (le IVème acte, remarquable à l’orchestre) et très attentif au volume et à la modulation, et très attentif, en bon chef d’opéra, à ne jamais couvrir les voix, notamment au cinquième acte. Il donne vraiment la preuve qu’il est non seulement un technicien de grande sûreté, mais aussi et surtout un bon voire un grand chef qui sait donner couleur et cohérence à une œuvre. On ne l’attendait pas dans ce répertoire, et il y prend sa pleine place. Il est l’artisan de la réussite de la représentation.
Plus généralement, cette représentation est particulièrement emblématique de la bonne santé du chant anglo-saxon et de ses qualités: une distribution entièrement américaine aux qualités notables, notamment dans la diction du français, l’articulation, la projection, et une technique robuste. On accuse souvent cette école de former de bons techniciens, mais peu concernés par les émotions (par exemple Deborah Voigt!) , on a ici aussi l’exemple d’artistes qui savent maîtriser les difficultés techniques et donner à ce qu’ils chantent une puissance d’émotion qui surprend (Graham, Hymel, Appleby). Une vraie leçon pour le chant européen en berne en ce moment et livré à une école russe aux voix puissantes, mais techniquement quelquefois en défaut où les grandes références européennes (Anja Harteros, Anna Netrebko et Elina Garanca ) en ce moment sont largement concurrencées par les américaines (Sondra Radvanovsky, Angela Meade, Renée Fleming, Joyce Di Donato). La force de l’école américaine est qu’elle prépare à tous les répertoires avec une très grande technicité, et produit un résultat le plus souvent au moins très propre. Et avec Hymel, on tient un ténor au timbre clair, aux aigus triomphants, à la diction exemplaire, très adapté au répertoire français, certes, mais où on entend aussi pour le futur un Radamès ou un Florestan. En somme cette soirée retransmise du MET a ouvert 2013 avec l’espoir d’entendre de nouvelles voix solides, qui puissent aider à élargir le spectre du répertoire et à donner de la couleur et de la variété à nos soirées d’opéra.
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Acte III © Ken Howard

 

OPÉRA DE PARIS 2011-2012 : DIE LUSTIGE WITWE/LA VEUVE JOYEUSE de Franz LEHAR le 14 mars 2012 (Dir.mus : Asher FISCH, Ms en scène : Jorge LAVELLI)

Une scène d'ensemble ©Ch.Leiber

Lors de ma première lecture de la saison 2011-2012, La Veuve Joyeuse avec Susan Graham et Bo Skhovus dans la production de Jorge Lavelli était le seul titre qui avait fait tilt dans ma tête, à cause de Lavelli, et à cause de Graham. Susan Graham a été remplacée dans des représentations précédentes, mais elle est là ce soir, avec Bo Skhovus et toute la distribution.
Je ne peux m’empêcher d’être un peu déçu, malgré un beau plateau, qui comprend outre Graham et Skhovus,  deux pures légendes: Harald Serafin, 81 ans,  le  Danilo des années 70, qu’il a chanté 1700 fois, le chanteur d’opérette le plus connu d’Autriche, une immense vedette qui ce soir chante Mirko Zeta, et Franz Mazura, 88 ans, dans le rôle parlé du Majordome Njegus qui est toujours incroyable de mobilité et de bonne humeur en scène.
Je vais essayer d’analyser le sentiment qui m’a pris à la sortie du Palais Garnier d’être resté sur ma faim.
Il y a deux manières possibles d’aborder aujourd’hui l’opérette:
– on joue le jeu du 1er degré, couleurs, décors somptueux, foule en scène et surtout pas trop de questions sur le livret
– on aborde l’œuvre selon un point de vue décalé et on la questionne, c’est ce qu’a fait Christoph Marthaler avec La Grande Duchesse de Gerolstein, et surtout avec La Vie Parisienne, qui est un inoubliable chef d’œuvre  (Vollsbühne Berlin, 1997) changeant radicalement le regard: un de ces spectacles pour lesquels il y a un avant et un après.
En 1997 aussi, Lavelli met en scène cette Veuve Joyeuse , très bien accueillie à l’époque, déjà avec Bo Skhovus (avec 15 ans de moins…), mais aussi avec Karita Mattila et surtout Armin Jordan dans la fosse, un vrai grand chef, c’est Jordan qui fit le succès.
Lavelli est attiré par le monde de l’opérette, surtout par ce que ce monde nous indique du Monde,  autour de ce genre ou de son exploitation,  j’ai vu au théâtre “Opérette” de Gombrowicz, à la Colline, et Orphée aux Enfers à l’Espace Cardin (un bon spectacle et donc un bon souvenir), deux production qui l’une travaille sur une vision de l’opérette, et l’autre sur un regard très ironique sur le Monde.
Sa Veuve Joyeuse s’achève par un Cancan échevelé (et prodigieux!) et l’apparition surprenante d’Anges noirs qui envahissent l’espace horizontal et vertical, sans doute annonciateurs des malheurs qui éclatent sur ce monde Austro-hongrois du début du siècle, mais pas seulement: on sait que Lehàr lui-même fut inquiété pendant la seconde guerre mondiale (sa femme était juive), mais par chance, Hitler adorait sa musique…La trame de l’opérette elle-même part de la faillite d’un Etat (le Pontévédro, sans doute allusion à la faillite du Montenegro) à la recherche des millions de la veuve pour se renflouer (chaque allusion à la dette d’un Etat est dans la salle suivie de ricanements, allez savoir pourquoi…!). Le politique n’est donc pas absent et Lavelli produit un spectacle où, final mis à part, on a l’impression que la fête n’est jamais tout à fait gaie, jamais tout à fait échevelée, et qu’il bride les choses en les mettant à distance: la scène des grisettes chantée par des dames mûres au physique abondant pour la plupart en est aussi un indice.
Le décor de Antonio Lagarto, une construction de type vaguement Bauhaus, en tous cas d’une architecture moderne des années 20, délimite un espace unique quelquefois scandé par des rideaux de théâtre de velours rouge, principe que Lavelli avait déjà utilisé dans son Faust: la structure circulaire y fait irrésistiblement penser, on a simplement changé d’époque et d’architecture, pas de scansion de l’espace.
Sans doute aussi le fait de diviser le spectacle en deux parties très inégales, 1h30/25min accentue l’impression que les choses sont un peu longuettes. De fait le public ne semble pas enthousiaste. On pouvait jouer la folie débridée, suicidaire, on joue tantôt cette folie, tantôt le romantisme, tantôt le vaudeville, tantôt l’ironie: bref, on a l’impression qu’on ne choisit pas de ligne.
Je pense que l’impression de longueur ou de platitude vient aussi en grande partie d’une direction musicale d’Asher Fisch (le chef du fameux Don Carlo munichois de janvier dernier) en place mais sans plus, sans relief, et surtout sans finesse, qui a tendance à  couvrir souvent les voix et qui oblige Skhovus à s’égosiller. Pour que ce type de répertoire produise à l’opéra ses effets, il faut un grand chef qui sache à la fois avoir l’énergie, l’élegance, le rythme et surtout l’envie, pour entraîner le public et le plateau derrière lui. Asher Fisch met les choses en place, mais ne propose aucune piste d’interprétation, et surtout ne soigne pas vraiment l’équilibre fosse/plateau.

Susan Graham/Bo Skhovus

Et le plateau souffre, il faut bien attendre 1/4 d’heure pour que Susan Graham trouve ses marques, ajuste le volume, et donc qu’on l’entende. Bo Skhovus dont la voix n’est plus ce qu’elle était, doit souvent pousser le volume au point qu’il finit par se fatiguer. Même constatation pour le couple Valencienne (Ana Maria Labin) Camille de Rosillon (Daniel Behle). Il reste qu’on a un plateau de bon niveau: Ana Maria Labin et Daniel Behle forment un couple particulièrement séduisant vocalement, notamment pour Daniel Behle, très belle voix de ténor, mais aussi pour Ana Maria Labin, très vive en scène, à l’aigu facile. Signalons parmi les nombreux  rôles secondaires le bon Cascada de Edwin Crossley-Mercer.
Bo Skhovus a désormais cette voix voilée, et une émission forcée, quelquefois poussive, dont on a toujours l’impression qu’elle ne sortira pas (alors que les aigus finissent par sortir et faire émerger un timbre chaleureux) mais en même temps des qualités de diction et d’interprétation phénoménales. Mais ce qui frappe surtout, c’est la composition du personnage, très rodée, un de ses personnages d’homme un peu désabusé qui noie son ennui dans l’alcool (comme il l’était dans Don Giovanni à Aix, ou en Onéguine à Amsterdam) dont il est familier, mais là, il est proprement extraordinaire, il chante, il danse, il saute, mais aussi il joue, et de manière très fine, bien plus fine que l’orchestre.
Susan Graham est mezzo, ce qui peut surprendre pour Hanna Glawari, et elle a du mal au début à se faire entendre, la voix est trop grave, couverte par l’orchestre, mais après quelques minutes, les choses se mettent en place notamment dans les ensemble, puis dans les parties solistes: on peut alors admirer la pureté du timbre, la technique d’appui qui fait qu’elle domine en volume, impressionnant, en contrôle du son (elle sait faire des notes filées, chanter piano, passer de manière homogène du piano au fortissimo) et en abattage, au fur et à mesure qu’on avance dans l’intrigue. Nous savions qu’elle était une chanteuse magnifique (Sa Charlotte à Bastille m’avait beaucoup impressionné), nous en avons la confirmation.
Ballet et chœur épousent parfaitement les intentions du metteur en scène, et il faut saluer la belle performance du ballet et de la chorégraphie de Laurence Fanon, notamment le Cancan final, qui emporte la salle.

Sans ce troisième acte ramassé et vif, il faut reconnaître un certain défaut de vitalité.
Au total l’impression qui domine dans cette déception légère est celle d’une responsabilité nette du chef, qui n’a pas su cueillir cette touche de raffinement sans laquelle l’opérette viennoise est un produit banal et un peu gnan gnan. Il faut écouter les enregistrement de Lovro’ von Matacic ou Otto Ackermann avec Schwarzkopf et Gedda ou celui de Karajan (avec une Elisabeth Harwood pâlotte) pour comprendre ce qu’un chef peut faire de cette musique. Une fois de plus les choix de chef à l’Opéra de Paris posent problème.
Mais on sort en fredonnant Weib!Weib!Weib! c’est donc que malgré tout un courant est passé, même si beaucoup exprimaient en sortant leur relative déception. Suivons donc ce courant, mais il est l’heure(exquise) d’aller dormir.

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