FESTIVAL DE BAYREUTH : QUELQUES CONSIDERATIONS GÉNÉRALES

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Bayreuth est vraiment un festival particulier. En ce moment, il semble qu’il soit fait bien des efforts pour le « moderniser », avec un bonheur assez contrasté. En 2011, un nouveau système de réservation sera introduit, qui remplacera le traditionnel bulletin de commande envoyé par poste pour le 16 octobre. Le design des programmes a changé, on est passé d’élégants « Programmhefte » à un livre unique, puis on est revenu aux livrets individuels, par opéra, les ouvreuses vendant 1 Euro la distribution du soir. Le design des programmes est pour le moins banal et manque et d’originalité comme d’élégance. Nul doute que les cahiers programmes qui faisaient l’image du festival que j’ai connus des années 70 aux années 90 correspondaient plus à l’esprit du lieu: ils contenaient un article de fond traduit en trois langues qui souvent faisait ensuite référence (Chéreau, Boulez y ont écrit des textes importants). Aujourd’hui ils contiennent des extraits de grands textes de Wagner, ou de ceux dont il s’est inspiré, ou même des grands textes esthétiques qu’il a lui-même inspirés. Parallèlement, la nouvelle direction promeut des colloques scientifiques, (pourquoi pas ?) mais aussi des versions des opéras pour enfants, avec un très grand succès, voilà de bonnes initiatives qui amènent un peu de nouveauté.

Car l’un des caractères spécifiques du lieu est son côté immuable, si bien que tout changement se remarque et se commente : cela fait partie des gènes de ce Festival, puisque Cosima a longtemps veillé jalousement à ce que RIEN ne change. Le rituel est ainsi fait : on arrive généralement une heure avant le début, pour se promener, humer l’air du lieu et… trouver une place de parking pas trop éloignée. Le spectacle est annoncé par trois fanfares à 15min, 10min, 5 min du début, l’une des plus fameuses est la troisième fanfare annonçant le troisième acte du Crépuscule, très émouvante. Les entractes qui durent une heure permettent de se dégourdir les jambes (s’il ne pleut pas…) autour du théâtre (fermé pendant les entractes) et dans le parc, ou de se restaurer, ou simplement manger les traditionnelles saucisses (4,20€ tout de même cette année…), la charcuterie locale qui les produit a même fait une affiche assez terrible (Bayreuther Bratwürste !) qui semble être celle de l’étal d’un boucher.Chaque année un stand supplémentaire: Champagne, glaces, eaux minérales, café pour occuper les festivaliers, dont certain se restaurent soit au self, soit au restaurant qui prend réservation et commandes avant le début de l’opéra, pour permettre de servir dans les meilleures conditions en une heure d’entracte. Cette année, nouveau stand de vente des chocolats locaux, mais aussi bijoux, fichus, porcelaines et même statuettes.

vuegen1.1281006421.jpgLe théâtre est à mi hauteur d’une colline, à quelques encablures de la gare, entouré d’un parc, les parkings à flanc de colline sont à l’arrière (gratuits et gardés), et au sommet, à trois cents mètres, une institution, le « Bürgerreuth », jadis une “Gasthof ” traditionnelle et populaire à la terrasse de laquelle il faisait bon passer un moment, depuis le années 80 c’est un restaurant italien, chic et cher. Mon restaurant de référence à Bayreuth, c’est goldloewe.1281007071.jpgactuellement le « Goldener Löwe », très bonne table aux prix fort raisonnables et à l’accueil sympathique et discret. 

intfest4.1281006309.jpgLe public est comme il se doit, d’un âge certain, avec une élégance discutable et très diversifiée  mais qui  n’a rien à voir avec le tape à l’œil de Salzbourg. Bayreuth n’est pas un rendez-vous de la Jetset…6 heures d’opéra en restant coincé sur des sièges inconfortables en bois, dans une salle non climatisée (à déconseiller aux claustrophobes tant s’en échapper est difficile) ne sont pas favorables à la mondanité.

face1.1281006366.jpgComme chaque année, la chancelière Angela Merkel est dans la salle, mais pas dans la loge d’honneur, d’où un contrôle des billets légèrement renforcé et une présence sécuritaire discrète, mais rien de plus, même pas une voiture de police (quand on pense à ce que mobilise notre président à chacun de ses déplacements, cela laisse rêveur…). Et on la voit discuter volontiers avec les autres spectateurs qui l’abordent sans chichis.

face2.1281006383.jpgOn reconnaît les habitués, ceux que l’on a vus jeunes et fringants il y a trente ans, aujourd’hui un peu vieillis et installés. Même l’industriel du marché noir, qui eut en son temps l’honneur de sa photo devant la billetterie (WANTED !) s’est assagi même s’il continue de rôder avec paraît-il des offres à des prix astronomiques…

queue.1281007765.jpgphoto DPA (site du Spiegel qui a une belle galerie de photos de Bayreuth)

Il y a toujours la petite queue des gens cherchant des billets, ce qui est ici un sport pittoresque, beaucoup rivalisant d’originalité pour afficher leur recherche (dessins, objets, symboles). Le spectacle joue à guichet fermé : une dizaine de places à peine peuvent être disponibles à l’occasion de billets retournés aux caisses. J’ai vu une seule fois lors de mes 33 séjours à Bayreuth, une des caissières sortir sur le trottoir et proposer un billet (pour la dernière année du Vaisseau fantôme mis en scène par Harry Kupfer, magnifique spectacle à la durée de vie exceptionnelle à Bayreuth).

La ville elle-même est une cité du XVIIIème siècle avec quelques curiosités touristiques,d’abord

whnfrd3.1281006479.jpgla villa Wahnfried reconstruite en 1976 pour devenir un Musée Richard Wagner, whnfrd1.1281006456.jpgdans le jardin de laquelle sont enterrés Richard et Cosima (et leur chien), le Nouveau Château, construit au temps de Frédéric de Prusse pour sa sœur, la Markgräfin Wilhelmine, à qui l’on doit aussi le ravissant Eremitage, sorte de palais d’été.  Le plus beau monument de la ville est sans nul doute l’Opéra, construit au XVIIIème par Giuseppe Galli Bibiena, un des théâtres baroques les plus beaux et les mieux conservés au monde, qui vient de rater l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, ce qui est une grosse bêtise. Il reste que le temps pour le tourisme est limité, car les représentations commencent à 16h, pour finir aux alentours de 22h : toute la journée est donc dirigée vers la représentation du soir. On passe même le matin au festival, pour regarder les disques wagnériens sortis cette année, les offres spéciales, les livres en vente.

Au contraire de Salzbourg, la ville vit sa vie et le Festival vit la sienne, les deux mondes restent assez séparés, ce qui fait le désespoir des édiles locaux, qui aimeraient bien que Bayreuth profite plus de la manne festivalière. Mais l’un des avantages du lieu est justement cette séparation et cette relative discrétion du tourisme de masse: Wagner n’est pas Mozart, et en faire un produit marketing est beaucoup plus difficile (on envisage difficilement un chocolat Richard Wagner). D’autant que la ville n’est pas accessible facilement sauf en voiture; en train, il faut changer à Pegnitz, Nuremberg ou Würzburg et la ligne n’est même pas électrifiée. Et il y a bien un aérodrome, mais petit et réservé à l’aviation privée, à peine aux turbopropulseurs… Rien à voir donc avec Salzbourg là non plus. Cependant, la région est agréable (notamment la Suisse franconienne), les prix sont raisonnables, (on trouve de nombreuses pensions aux alentours, dans des cadres bucoliques et charmeurs, à 35 ou 40 € la nuit même en temps de Festival). En fait, il y a environ 2000 festivaliers, et quelques touristes, et changer la donne ne pourrait être que dommageable. On se demande d’ailleurs comment Bayreuth, cité charmante au demeurant, pourrait devenir une Mecque du tourisme de masse.

Une autre particularité de ce festival est aussi que, quelle que soit la qualité du spectacle, ce qui compte c’est d’être dedans (« drin sein »). La demande est 7 à 8 fois plus forte que l’offre. Bayreuth n’a pas besoin de marketing ou de publicité, et ne souffre même pas de la qualité discutable de certains spectacles, comme le Ring actuel. C’est quelquefois très mauvais, mais c’est quand même complet. Pendant longtemps, les prix ont été les plus raisonnables du marché festivalier. Cette année, ils ont fait un bon de 40%, déficit et pression sociale oblige : les personnels techniques, qui sacrifient leurs vacances pour venir à Bayreuth, menaçaient de faire grève le jour de la première, ce qui aurait été un scandale épouvantable. Ils ont attendu pour réagir que le vieux Wolfgang Wagner laisse la place à ses deux filles, Katharina (32 ans), fille d’un second lit, et Eva (environ 30 de plus), fille d’un premier. La succession fut le théâtre de conflits internes à la famille, puisque toute la famille de Wieland a été depuis longtemps écartée de toute responsabilité.

foyer2.1281006351.jpgBayreuth « joue » pendant un peu plus d’un mois, du 25 juillet au 28 août. Si les répétitions théâtrales commencent en juin, les répétitions musicales ont lieu globalement pendant les trois premières semaines de juillet, sachant que la dernière semaine est prise par les répétitions générales presque toutes publiques. Seule, la nouvelle production de l’année a droit à plus de temps de préparation. Mais c’est un an à l’avance que les choses sont fixées le plus souvent, notamment pour un nouveau Ring, ce qui signifie la charge immense de quatre nouvelles productions en même temps. Les musiciens et techniciens venus de tous les orchestres et de tous les théâtres allemands ont l’habitude de l’alternance serrée du système dit « de répertoire », ainsi les reprises des productions, longuement répétées au départ, ne donnent pas habituellement lieu à des répétitions approfondies, sauf si d’une année sur l’autre, une production doit être modifiée profondément (comme ce fut le cas pour le Ring de Chéreau entre 1976 et 1977). Certains chefs d’ailleurs s’en sont plaints (Kleiber lorsqu’il fit Tristan ou même Boulez) ou refusent de diriger à Bayreuth à cause du temps de répétitions trop contraint (cinq à sept productions à remonter en trois semaines de travail global): cela veut dire qu’il faut multiplier les scènes de répétitions, et actuellement un débat fait rage pour ajouter une scène supplémentaire qui coûterait 22 millions d’Euros. C’est qu’on répète à Bayreuth partout, y compris dans les espaces du self ou du restaurant et que le théâtre occupe à peine 20% des espaces de travail du Festival. Il faut évidemment repenser la philosophie et l’organisation, je l’ai déjà écrit, les conditions du marché de l’art lyrique sont différentes. On demandait aux artistes il y a trente ou cinquante ans de rester sur place et de se consacrer exclusivement au Festival, comme une troupe permanente, c’est devenu impossible aujourd’hui: Jonas Kaufmann, Lohengrin cette année, partage son temps entre Lucerne – pour le Fidelio dirigé par Abbado- et Bayreuth et le chef Andris Nelsons en profite pour une petite tournée avec son orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra. Pas de Lohengrin donc entre le 6 et le 17 août, mais Kaufmann à Lucerne le 12 et le 15 août, Nelsons à Lucerne le 16 août, et tout ce petit monde se retrouvera à Bayreuth le 17 août… Voilà les agendas des artistes aujourd’hui, il faut en tenir compte pour « moderniser ». Or, moderniser sans perdre son âme, c’est le défi et du Festival et de la ville de Bayreuth.

 intfest3.1281006286.jpg    foyer1.1281006328.jpg  foyer2.1281006351.jpg

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10 réflexions sur « FESTIVAL DE BAYREUTH : QUELQUES CONSIDERATIONS GÉNÉRALES »

  1. Oui, tant que le Wanderer ne joue pas les critiques musicaux, c’est une vision assez juste de ce qu’est Bayreuth qu’il nous livre.
    La description de ce qu’il y a à voir dans la ville eût mérité quelques approfondissements. Du genre, la visite de Wahnfried qui va bientôt tenir lieu de rendez vous des négationnistes. Dans les vitrines consacrée à la période années 20 à 40, pas une photo d’un nazi, et encore moins de celui que Wieland et Wolfgang appelaient oncle Wolf. Cette “bonne”Winifred est obligée de ramener des pommes de terre de la campagne avoisinante. Les commentaires du livret valent leur pesant de cacahuètes : “période difficile”, “troubles”, et autres euphémismes !
    Pour se donner bonne conscience, une petite expo consacrée à Toscanini !
    Effarant !
    Mais c’est quand même, à condition de garder son esprit critique, un lieu magique !

  2. Bonjour,
    Pourriez-vous m’indiquer le prix d’un billet pour le festival ? Et quelle marche je dois suivre pour en obtenir ?

    Merci d’avance,

    Sandrine MOHR

  3. je suis allé à Bayreuth en 1976 au ring de boulez /chereau / peduzzi / schmitt

    J’étais comme d’hab à moto ( une BMW naturlich )et monter sur la colline sacrée ( heilige gebirge ) en smoking et cheveux au vent a été une expérience inoubliable!!!

    Écouter le ring avec une telle distribution relève de la magie et le seul souvenir qui m’ait laissé une telle impression et un tel souvenir est un Fidelio d’ anthologie à Orange en 1975 avec Zubin Metha, et là aussi une distribution sans tache je vous laisse la rechercher sur le net

    A bientôt Wagneriens de toujours

    Ch P

  4. Ah ! mes frères Wagnériens !
    J’ai eu la chance d’aller 4 fois à Bayreuth… Exceptionnel !
    Tout ce qui est dit dans l’article ci-dessus est vrai ; j’y veux rajouter cependant le fait
    que le mot “magie” convient parfaitement à la situation : tout s’efface, seul
    Wagner est présent ! comme une évidence, comme une philosophie…
    Et comme la ville est belle !
    Alain

  5. Bonjour
    j’ai 48 ans et j ai mis dans ma liste des choses à faire avant de passer dans l’au delà, un billet pour le festival de Bayreuth … il est fort probable que ce souhait ne sera pas exaucé compte tenu des tarifs et de la liste d’attente … mais comme tout fantasme, il n’est de magnifique car inatteignable … mon amour pour la musique du Maître reste intacte et intemporel .. alors cher Richard peut être nous verrons nous dans un monde meilleur …

  6. J’ai vu “le vaisseau fantôme” en 1984 avec Simon Estes, magique et bouleversant!!!
    Un mois après, je ne pouvais en pas parler sans me mettre à pleurer. J’ai été bouleversée juqu’au plus profond de moi.

  7. Nous avons eu le grand bonheur d’assister à La Tétralogie en juillet 2016 sous la direction de Marek Janowski: ce grand Maestro, wagnérien depuis toujours, et respectueux de l’écriture , nous a transporté dans ce monde sonore unique, avec finesse, ampleur, distillant une sonorité orchestrale riche, grandiose et profonde tout à fait extra-ordinaire! L’auditeur est littéralement enveloppé par cette direction sûre, sérieuse et discrète à la fois, à tel point que la mise en scène ( il y aurait beaucoup à dire ou plutôt à ne rien dire sur sa provocation gratuite..) nous est complètement restée indifférente face à la partition wagnérienne dirigée par cet immense chef. Un moment Inoubliable

  8. Bonjour à tous et merci pour ces commentaires éclairants.

    J’ai une question un peu technique :

    voilà concernant la fameuse queue qui commence à 6h du matin (et où il n’y qu’entre 1 et 10 places) je voulais savoir si qqn parmi vous avait déjà fait la queue pour avoir une place le soir-même, et surtout si oui, je suppose qu’on doit prendre la place dispo au prix initial correct ? donc s’il ne reste que des A1 on doit payer plein pot ou passer son chemin,

    Merci d’avance amis wagnériens

    1. Bonjour
      La queue du matin commence maintenant un peu plus tard parce que le bureau de location ouvre à 13h30 et non plus à 10h. Les places qui restent peuvent être à tous les prix puisque les places en vente sont des rendus. Rarement plus que 5 places en vente. J’ai fait souvent la queue, mais il y a 30-35 ans donc mon témoignage n’est pas très actuel…
      A vue de nez vous trouverez plus facilement des places cette année pour le Ring, mais probablement très difficile à impossible pour Meistersinger et Parsifal. Tristan, moui, entre les deux.
      Bien à vous
      GC

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