OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2015-2016: LA NOUVELLE SAISON

Les choses changent l’Opéra de Paris, à commencer par le logo, très discrètement redessiné, un des logos les plus anciens puisque c’est celui inauguré par Liebermann en 1973…42 ans de bons et loyaux services valaient bien une légère modification non de l’esprit mais du trait. Une manière de s’inscrire dans la continuité mais aussi dans l’évolution et le changement. Un logo “Liebermannien” mais doucement “Lissnérisé”.

Tout le monde désormais connaît la saison prochaine à Paris, et mille excuses au lecteur qui va devoir subir de nouveau un descriptif de ce qu’il connaît déjà.

J’ai évidemment lu les commentaires extasiés sur la saison de Paris l’an prochain. Extase ? On n’ira pas jusque là. Simplement, après les années de médiocrité que nous venons de vivre, voilà enfin une saison qui ressemble à celle d’une maison internationale de type Covent Garden ou MET, une saison équilibrée avec son lot de grand noms, de mises en scène sages et d’autres à faire frémir le bourgeois: vous rendez-vous compte, Calixto Bieito, qui écume les scènes suisses, allemandes, espagnoles, voire italiennes depuis une bonne quinzaine d’années arrive à Paris au printemps dans une œuvre non de répertoire il est vrai, mais dans Lear, de Reimann, une œuvre contemporaine âgée de 37 ans (1978, Munich avec Dietrich Fischer-Dieskau et Julia Varady), créée, incroyable mais vrai, à l’Opéra de Paris en 1982 dans une production de Jacques Lassalle, évidemment jamais reprise depuis (ouf! on a eu peur) : qui s’en étonnerait ?
Lissner fait ainsi coup double, il fait une nouvelle production d‘une œuvre qui en Allemagne est désormais jouée régulièrement, montrant que l’Opéra est à l’écoute de la modernité, et il appelle Bieito, pour faire buzz et attirer le public qui peut-être trouvera un argument pour venir.
C’est à peu près la même opération avec Moses und Aaron de Schönberg en début de saison, confié à Romeo Castellucci. Moses und Aaron, parangon de la modernité, est créé en 1957 à Zürich, en version scénique,  en 1954 à Hambourg en version de concert, et composé entre 1930 et 1932, inachevé. Créé à l’opéra de Paris en septembre 1973, par Georg Solti, dans une mise en scène de Raymond Gérôme et dans une version française d’Antoine Goléa, et jamais repris depuis… : qui s’en souvient ? Tout le monde se souvient des Nozze di Figaro à Versailles, personne de Moïse et Aaron

Ainsi, deux œuvres déjà au répertoire de Paris, jamais reprises depuis la création à Paris, vont illustrer la modernité, par la mise en scène (Bieito qui fera frémir, et Castellucci qui fera méditer le public ou le  plongera dans des abimes de perplexité…), et par la musique, car on sait bien que la  musique contemporaine commence pour certains autour de 1935, voire un peu avant…
Lissner place ses metteurs en scène les plus « novateurs » ou les plus « scandaleux » sur des œuvres sans enjeu pour le public : imaginez-vous une Butterfly par Castellucci et un Verdi par Bieito comme il en a fait ailleurs ? Combien de crises cardiaques dans la salle…Lissner espère ainsi remplir la salle d’une manière plus assurée qu’avec un Lassalle (production sage et triste dans mes vagues souvenirs) ou un Raymond Gérôme (production tombée dans les oubliettes de l’histoire), sans forcément créer le scandale que cela créerait sur du grand répertoire.
C’est là un élément de la méthode Lissner : créer des opportunités, réveiller des intérêts et afficher un soi disant risque, alors qu’il ne risque strictement rien vu que Castellucci est désormais une gloire consacrée et que Bieito a derrière lui toute sa carrière.
Mais en même temps, Lissner sait créer l’événement : Moses und Aaron, c’est la première nouvelle production de cette saison, en coproduction avec Madrid, c’est la création en langue originale à Paris, avec une qualité musicale affichée: Philippe Jordan assume la direction musicale du Schönberg et Thomas Johannes Mayer sera Moses, John Graham-Hall Aron. belle, très belle affiche.

Si l’on regarde les nouvelles productions affichées d’emblée : Le Château de Barbe-Bleue, de Bartók, et La voix humaine de Poulenc (Mise en scène : Krzysztof Warlikowski qui revient à Paris d’où il avait été ostracisé, son Parsifal a même été détruit – c…ie quand tu nous tiens…) dans un spectacle dirigé par Esa-Pekka Salonen (nov-déc) avec Johannes-Martin Kränzle et Ekaterina Gubanova pour le Bartók et Barbara Hannigan pour La Voix Humaine, ce qui nous promet un one woman show dont elle a le secret. Voilà une affiche, musicale et scénique, qui fera courir.

Enfin, dernière nouvelle production (Décembre) des premières proposées dans la saison, est l’inauguration d’un cycle Berlioz, une Damnation de Faust, confiée à Alvis Hermanis (gageons qu’il ne fera pas frémir, mais que ce sera propre et léché), et surtout, avec Jonas Kaufmann, de retour à Paris, et qui revient à des amours embrassées en 2004 à Genève où il avait fait sensation (dans une belle production d’Olivier Py) qui alterne, excusez du peu, avec Brian Hymel (il vaudra aussi le voyage) et avec le Mephisto de Bryn Terfel et la Marguerite de Sophie Koch, le tout sous la direction de Philippe Jordan.
Dès le début, la couleur est affichée avec des spectacles sans doute forts, qui valent le déplacement, et qui alternent avec des reprises alimentaires du répertoire : Madama Butterfly, avec Oksana Dyka, qu’il faudra subir, mais qui alternera avec la plus adaptée Ermonela Jaho, le tout dirigé par Daniele Rustioni, dont ce sera la première apparition à Paris, un Don Giovanni passe-partout dans la mise en scène de Michael Haneke, désormais classique et rebattue, mais avec le très bon Patrick Lange dans la fosse, L’Elisir d’amore, (avec Alagna et Kurzak , dirigé par Donato Renzetti) et à Garnier Platée dans la production bien connue de Laurent Pelly, et Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre-Grenoble (encore Grenoble ?) et une bonne distribution, ce qui garantit l’affluence.
Enfin, concession à l’opéra contemporain, une petite forme pour les enfants affichée à l’Amphithéâtre de Bastille, mais mise en scène par Katie Mitchell, Vol retour (The way back home), de Joanna Lee, en coproduction avec l’ENO, et en création française avec les solistes de l’atelier lyrique de l’Opéra (devenu Académie : référence à l’académie créée à Aix par Lissner)…
À partir de janvier, la programmation revient à des standards plus conforme aux goûts traditionnels du public, mais avec des atouts musicaux intéressants, à commencer par un Werther (janvier-février) dirigé par Alain Lombard (un revenant…) affichant non plus le couple Koch/Kaufmann, utilisé pour Damnation, mais un nouveau couple à mettre sous la dent du public pour cette production déjà ancienne (Benoît Jacquot, élégance et tranquillité), Piotr Beczala et Elina Garanca: on verra donc cette année l’ensemble des têtes d’affiche qui se partagent « l’opéra international tour » et l’excellent Stéphane Degout dans Albert.
Robert Carsen, l’opéra sans scandale et le plaisir sans peur, reviendra pour Capriccio de Richard Strauss dirigé par Ingo Metzmacher (jan-fév), qui arrive dans la fosse de l’opéra (ça c’est plutôt intéressant), avec la très correcte Adrianne Pieczonka dans Madeleine, bien entourée par Wolfgang Koch, Benjamin Bernheim, Lauri Vasar, Lars Woldt et Daniela Sindram.
Les choses sérieuses en matière de standards commenceront fin janvier jusque mi-mars avec Il Trovatore en coproduction avec Amsterdam, mis en scène par Alex Ollé de la Fura dels Baus, dirigé par Daniele Callegari (bon…), mais avec Anna Netrebko, puis Hui Hé, Marcelo Alvarez puis Fabio Sartori en Manrico, en Luna Ludovic Tézier (à ne manquer sous aucun prétexte) puis Vitaliy Bilyy,  Ekaterina Semenchuk puis Ekaterina Gubanova en Azucena. On se battra entre le 28 janvier et le 15 février pour avoir ensemble Ludovic Tézier et Anna Netrebko. Pour les ténors et les mezzos, c’est au choix ou au goût. Sur la même période, l’opéra affiche une reprise de Il barbiere di Siviglia dans la mise en scène de Damiano Michieletto sous la direction du jeune chef Giacomo Sagripanti, dont on fait grand cas en Italie, avec des chanteurs consommés comme Lawrence Brownlee (Almaviva) et Ildar Abdrazakov (Basilio) ou Nicola Alaimo (Bartolo) en lançant des nouveaux noms moins connus, comme Alessio Arduini (Figaro) en troupe à Vienne actuellement, ou Pretty Yende, la jeune sud-africaine de 30 ans qui a gagné le concours Operalia en 2011. Un Barbier exploratoire en quelque sorte…
Moins exploratoires en mars 2016, Die Meistersinger von Nürnberg, dans la mise en scène de Stefan Herheim déjà vue à Salzbourg, qu’on espère plus convaincante dans sa reprise parisienne, sous la direction du maestro di casa Philippe Jordan, dans une distribution qui sort des sentiers battus dans cette œuvre, et c’est heureux : on y entendra Gerard Finley dans Sachs et Günther Groissböck dans Pogner, avec l’Eva de Julia Kleiter (un choix qui nous dirige vers une Eva plus fraîche que mûre), et avec Brandon Jovanovich dans Walther : c’est une voix large dont on parle beaucoup qui est proposée au public parisien. Rappelons pour mémoire que la dernière production scénique remonte à 1989 (Herbert Wernicke) et la dernière représentation de concert à 2003 (James Conlon , avec la jeune Anja Harteros). Il était temps de penser à remonter l’œuvre, que le public parisien connaît donc très mal. C’est même je crois– rendons à César..- une idée de Nicolas Joel.
En alternance à Garnier (sur tout le mois de mars et jusqu’au 1er avril) une très stimulante soirée Tchaïkovski confiée entière à la mise en scène et au décor de Dimitri Tcherniakov qui allie, comme le voulait le compositeur, l’opéra Iolanta en un acte et Casse Noisette, le célèbre ballet chorégraphié à la fois par Sidi Larbi Cherkaoui, Benjamin Millepied, Edouard Lock, Arthur Pita, et Liam Scarlett. Tant d’univers différents pour une soirée sur le conte, celui qu’on rêve en étant enfant et celui qu’on fait vivre pour masquer un secret (la cécité de Iolanta). Voilà un travail qui s‘annonce passionnant, d’autant que la distribution (Sonia Yoncheva, Alexander Tsymbaliuk, Vito Priante entre autres) et le chef commun aux deux œuvres (Alain Altinoglou) stimulent la curiosité dans ce répertoire.
Suivra sur avril et mai un Rigoletto, titre standard et tiroir-caisse s’il en fut, dans une mise en scène sans doute moins standard de Claus Guth, dirigée par Nicola Luisotti (plutôt prometteur), puis par Pier Giorgio Morandi (plutôt classique) avec deux distributions en alternance : Michele Fabiano (le ténor qui monte) et Francesco Demuro (qui monte un peu moins) en duc de Mantoue, Quinn Kelsey et Franco Vassallo en alternance dans Rigoletto. Il sera intéressant d’entendre Kelsey qu’on a entendu à Dresde, Francfort et Zurich, mais qui s’est produit essentiellement aux USA jusqu’ici. Gilda sera en alternance Olga Peretyatko et Irina Lungu, ce qui est un peu plus banal.
Mais en mai, ce Rigoletto alternera avec un Rosenkavalier dans la mise en scène désormais archi amortie de Herbert Wernicke, mais avec une distribution comme on en rêve : Anja Harteros en Maréchale sur 4 dates du 9 au 19 mai et Michaela Kaune sur les dates suivantes jusqu’au 31 mai. On sait à qui ira ma préférence, mais l’entourage vaut aussi le voyage : Daniela Sindram (Octavian), Erin Morley (Sophie) Peter Rose (Ochs) et Martin Gantner (Faninal) avec un chanteur italien de bon calibre (Fabio Sartori), le tout évidemment dirigé par Philippe Jordan.
L’année se termine par un must et deux spectacles standard pour attirer la foule : en mai et juin, le must, c’est Lear de Aribert Reimann déjà évoqué plus haut et dirigé par l’excellent Fabio Luisi, qui a dirigé au temps d’Hugues Gall à l’Opéra Norma, Turandot et Il Barbiere di Siviglia à l’époque où il faisait du répertoire partout . Les choses ont changé, il est désormais réclamé depuis qu’il a officié comme principal chef invité au MET. La mise en scène est confiée à Calixto Bieito pour son premier travail à l’opéra de Paris et l’un de ses premiers travaux en France. Il était temps…La distribution n’est pas en reste : Lear sera Bo Skhovus, un rôle qui va parfaitement à l’état actuel de la voix et à ses talents de comédien, Goneril sera Ricarda Merbeth et Cordelia Annette Dasch. Une curiosité sympathique, le Fou (Narr) sera Edda Moser, qu’on aima en Donna Anna et en Reine de la nuit aux temps de sa splendeur. Une bonne idée que de programmer Lear au Palais Garnier : 700 places de moins à remplir, mais surtout une relation un peu plus intime (si l’on peut dire) à l’espace.

Enfin la saison d’opéra se clôt sur deux standards d’été, d’abord, La Traviata dans la mise en scène très reposante (un très grand lit pour dormir) de Benoît Jacquot, avec plusieurs distributions (normal, le tiroir-caisse doit fonctionner à plein du 20 mai au 29 juin) Sonya Yoncheva et Maria Agresta (à partir du 11 juin), Bryan Hymel (jusqu’au 14 juin) et Abdellah Lasri, le jeune ténor marocain qui se compose son répertoire en troupe à Essen, une des voix les plus intéressantes de la génération montante et trois Germont l’un qui roule sa bosse (Zeljko Lučič), l’autre, Simone Piazzola, moins connu, jeune baryton vainqueur d’Operalia 2013 qui promène depuis quelque temps son Germont un peu partout. Quant au troisième, c’est un certain Placido Domingo, il chantera Germont les 17 et 20 juin.
La saison se terminera en juin-juillet par l’Aida d’Olivier Py, qui ne rajoute rien à sa gloire, sous la direction de Daniel Oren, dans une distribution correcte en alternance, Anita Rachvelishvili/Daniela Barcellona en Amneris, Sondra Radvanovski et Liudmyla Monastyrska en Aida, Aleksandrs Antonenko et Fabio Sartori en Radamès, George Gagnidze et Vitaliy Bilyy en Amonasro et un luxe, Kwanchul Youn en Ramfis. A part Sondra Radvanovski qui est une solide chanteuse verdienne et la Rachvelishvili qui est un mezzo remarquable (moins, dans ce rôle, Daniela Barcellona) le reste est du tout venant. On dirait une distribution de la période précédente. Sans intérêt donc, sinon pour le public touristique de la période.
Au total, une saison construite intelligemment : si pendant le premier trimestre (Sept-Dec) Lissner pose le paysage (Moses und Aron, Château de Barbe Bleue, Damnation de Faust) par des produits d’appel donnant la couleur du futur, il propose des pièces de répertoire (Butterfly, Elixir, Don Giovanni, Platée) pour étayer la programmation et ne pas trop effrayer. En réalité, chaque trimestre a son lot de bonnes reprises avec de très bonnes distributions (Rosenkavalier, Traviata), et de nouveautés (Trovatore, Iolanta/Casse Noisette ou Meistersinger en février-mars et Rigoletto et Lear en mai). Il y en aura pour tous les goûts et il suffit de se poser la question “ferais-je le voyage pour tel titre s’il était affiché à Munich, à Bruxelles, à Berlin plutôt qu’à Paris ?” pour que la réponse tombe, claire, évidente: oui.
Il y a par ailleurs des distributions consacrées, mais pas mal de figures nouvelles à qui on confie des grands rôles, et cela, c’est plutôt intéressant.
Ainsi, Paris redevient une salle équivalente aux autres grandes salles internationales mais à vrai dire encore un peu interchangeable. C’est déjà un premier pas. Lissner n’a pas eu à trop se fatiguer pour se différencier de son prédécesseur (à vaincre sans péril…), mais le résultat est séduisant, équilibré avec un vrai soin pour les distributions et les chefs, y compris pour les reprises.

Il reste à donner une identité « Opéra de Paris » à cette programmation. On aimerait un Don Carlos ou des Vêpres siciliennes dans leur version créée pour Paris, on aurait aimé un Trouvère (version 1857) et non un Trovatore (version 1853), voire un Meyerbeer (on attend, langue pendante, des Huguenots) ou même une reprise de La Juive de Halévy, et à l’autre bout du spectre, il manque sans doute une création. Peu de risques sont donc pris en cette première année de mandat réel (la saison actuelle est l’œuvre de Nicolas Joel), mais il y a quelque chose de nettement moins pourri au royaume de Danemark, sans nul doute, et des directions qui paraissent intéressantes. On a suffisamment soupiré ces dernières années par les non choix, les distributions grises, les chefs médiocres que l’on peut afficher une satisfaction certaine mâtinée d’espoir.
Pourvu que ça dure.[wpsr_facebook]

BAYREUTH 2014-2020: LA PROGRAMMATION ANNONCÉE

Katharina et Eva, pour la dernière fois ensemble en 2014  à la direction du Festival de Bayreuth
Katharina et Eva, pour la dernière fois ensemble en 2014 à la direction du Festival de Bayreuth

Hier, dimanche 27 juillet,  lors de l’assemblée annuelle des membres de la Société des Amis de Bayreuth (Gesellschaft der Freunde von Bayreuth), Katharina Wagner, accompagnée de son conseiller musical, un certain Christian Thielemann, a annoncé la programmation du Festival dans les cinq prochaines années, s’arrêtant au Ring 2020, qui reste un secret.
D’abord, cela confirme la réconciliation de l’administration du Festival avec la Gesellschaft,  entité de quelque 5000 membres, fondée il y a 65 ans, qui est l’entreprise de mécénat officiel du Festival puisqu’elle siège ès qualité dans les instances dirigeantes et qui a durement attaqué Katharina à cause des choix de chanteurs et de metteurs en scène. Son activité consiste, non à être l’arbitre des choix artistiques, mais  essentiellement à financer des travaux d’aménagement du site (ateliers, salles de répétitions), et le conflit avec Katharina était né de divergences sur le financement de la salle de répétition d’orchestre, qui depuis longtemps répète dans la grande salle du restaurant. C’est que le festival doit gérer un espace relativement réduit pour cinq à sept spectacles annuels, dont une nouvelle production. Habitués au système de répertoire et à l’alternance serrée, les gestionnaires du festival prévoient pour les reprises peu de répétitions (sauf pour le Ring, qui traditionnellement a droit à deux ans pour s’installer, c’est pourquoi l’année 2 du Ring, il n’y a pas de nouvelle production. cela veut dire grosso modo répétitions scéniques dès le mois de mai, et répétitions musicales pendant les trois première semaines de juillet, les membres de l’orchestre venant de toutes les structures (orchestres et théâtres d’Allemagne) dont les saisons se terminent fin juin.

Cette absence de nouvelle production, traditionnelle pour un nouveau Ring, a été un des prétextes avancés pour une petite campagne menée contre l’équipe dirigeante (en plus composée de deux femmes) où l’on a pêle mêle tiré argument de l’absence de la Chancelière Angela Merkel à la première et au premier cycle (comme si c’était déterminant…Hollande est toujours absent des grandes manifestations culturelles françaises et celles-ci fonctionnent malgré tout…), les goûts de Madame Merkel comptent peu même si Le Monde, notre référence en matière de presse sérieuse, s’en est fait écho (people-isation quand tu nous tiens, idiotie quand tu nous saisis) et même si le Bund (l’Etat fédéral) compte pour un tiers dans le financement de la fondation qui gère le Festival. Pour le reste, l’Etat libre de Bavière compte pour un second tiers,  le troisième tiers étant partagé entre la ville de Bayreuth (4/9), le district de Haute Franconie (Oberfranken)(2/9), et la Gesellschaft der Freunde v.Bayreuth (3/9), ceci depuis 1973.
La campagne s’est appuyée aussi sur les différents travaux en cours, restauration des murs du Festpielhaus (sous échafaudages, des briques tombant), construction du nouveau Musée Richard Wagner (en cours et en retard) à Villa Wahnfried, notoirement sous équipé et sous financé, et restauration complète du fameux théâtre des Margraves, l’un des opéras de l’âge baroque les mieux conservés d’Europe, sinon le mieux conservé dont les travaux doivent durer plusieurs années. La conjonction de l’ensemble a fait gamberger les traditionnels faiseurs d’embrouilles, alors que ni le Musée, ni l’Opéra des Margraves ne dépendent du festival, et que celui-ci par exemple a protesté récemment par la décision unilatérale de la Ville de Bayreuth de faire payer les parkings à ciel ouvert environnants 5€, une nouveauté de cette année…
À cela s’ajoute les bruits sur le fait que la salle ne s’est pas remplie aussi vite ni aussi bien que d’habitude, sans doute faute à internet dont c’était cette année la mise en place à grande échelle et, disent les mauvaises langues, faute à la fuite des spectateurs devant les horreurs de la mise en scène du Ring de Frank Castorf, et de celle du Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, alors que celle du Fliegende Holländer (Jan Philipp Gloger) ne fait pas de mal à une mouche, et celle de Hans Neuenfels pour Lohengrin a fini par perdre sa valence scandaleuse et son odeur de souffre (ou de rats) à cause d’une distribution restée remarquable (Vogt qui succéda avec succès à Jonas Kaufmann), d’un chef de référence (Andris Nelsons) et simplement parce que c’est quand même une bonne mise en scène. Et cerise sur la gâteau, pour la première fois depuis la création du festival on a dû interrompre la Première (Tannhäuser) pour un problème technique de plateau, le Venusberg (une cage enfouie dans le sous-sol dans la mise en scène) ne réussissant pas à monter. Bref comme le titre la feuille de chou Festival Tribüne consacrée aux Promis (on appelle comme cela les VIP en Allemagne) qui fréquentent un jour par an le Festival: Quo vadis Bayreuth?

C’est dans ce contexte de lutte entre tradition et innovation, que l’atelier Bayreuth continue de produire. On oublie que fille de Wolfgang, Katharina applique son concept de Werkstatt Bayreuth, c’est à dire d’un lieu de propositions scéniques, qui fait appel non à des valeurs consacrées, mais à des artistes en devenir. Cela explique que les chanteurs ne sont pas toujours très connus, que les metteurs en scène proposent des concepts qui peuvent paraître scandaleux. Mais les chefs, même jeunes, font en général partie des valeurs qui montent. C’est ainsi que Leonie Rysanek arriva au festival à 21 ou 22 ans, que Regina Resnik en 1953 avait à peine 30 ans, et que les chanteurs de la génération des années 50 ont plus ou moins commencé leur carrière à Bayreuth, comme plus récemment Anja Silja, ou Gwyneth Jones (jeune et solaire Eva en 1968), Waltraud Meyer (en 1982) ou même Vogt lorsqu’il explosa dans Walther (production Katharina Wagner), voire Riccarda Merbeth dans l’ancienne production de Tannhäuser (Philippe Arlaud – Christian Thielemann) . Cela réussit quelquefois, cela rate aussi (Amanda Mace, dans la production de Meistersinger de Katharina Wagner).
Or donc, Dame Katharina et son Chevalier Christian ont annoncé la suite, une suite sans Eva Wagner-Pasquier, qui quitte la direction du festival pour devenir conseillère artistique (un rôle qu’elle a eu à Aix, qu’elle a encore au MET), mais ce rôle serait  limité à un ou deux ans, en essayant de lui donner un statut qui ait du sens (Sinnvoll..expression qui a été utilisée), histoire de dire qu’elle n’aura pas une fonction honorifique, une sorte d’emploi fictif…Christian Thielemann tient à la présence de chanteurs de grand niveau (on dit toujours ça), et devient une sorte de pieuvre à l’allemande, puisqu’il tient Salzbourg Pâques, Dresde, Bayreuth, et qu’il prétend au Philharmonique de Berlin: une présence institutionnelle qui ne s’est pas pour l’instant concrétisée par une réussite artistique incontestable. Afficher Renée Fleming ou Jonas Kaufmann à Salzbourg ne veut pas dire avoir une politique artistique (vu les mises en scènes particulièrement plan plan qu’on a vues).

Alors, cette programmation? voilà ci-dessous les dessous des cartes…comme Manuel Brug nous l’annonce dans Die Welt.

– En 2015, tout le monde le sait déjà, c’est Tristan und Isolde, dans une mise en scène de Katharina Wagner, dirigé par Christian Thielemann, avec Eva-Maria Westbroek et Stephen Gould.

Jonathan Meese
Jonathan Meese

– En 2016, la polémique gronde déjà pour le Parsifal mis en scène par le plasticien Jonathan Meese, dirigé par Andris Nelsons, et avec Klaus Florian Vogt. L’an prochain, pris par la tournée du Boston Symphony Orchestra qu’il dirige et par le Festival de Tanglewood, il laissera le pupitre de Lohengrin  à Alain Altinoglu, premier français à diriger à Bayreuth depuis Boulez.
– En 2017, nouvelle production de Meistersinger von Nürnberg, confiée à Philippe Jordan, qui dirigera la quatrième et dernière édition du Ring de Frank Castorf, Kirill Petrenko assurant en 2015 son dernier Ring sur la colline verte (il FAUT que vous fassiez le voyage en 2015 pour entendre sa géniale direction) avec Michael Volle dans Hans Sachs (il a triomphé à Bayreuth dans Beckmesser, l’un des Beckmesser mémorables de cette maison avec Hermann Prey), Johannes Martin Kränzle comme Beckmesser et Krassimira Stoyanova comme Eva. La mise en scène en est confiée à Barrie Kosky, directeur de la Komische Oper de Berlin qui a plusieurs fois déclaré combien il était loin loin loin de Wagner….Il va confronter sa géniale légèreté à celle des Maîtres…

– 2018 verra un nouveau Lohengrin, confié à Christian Thielemann et au metteur en scène letton Alvis Hermanis, dont on a parlé dans ce Blog à propos des productions de Die Soldaten et de Gawain à Salzbourg, mais aussi de Sommergäste (Les Estivants) à la Schaubühne de Berlin, une mise en scène qui sera sans nulle doute plus figurative que conceptuelle, mais qui s’en occupera puisque Anna Netrebko (c’était dans l’air) sera Elsa. Sa voix charnue, très élargie, homogène, devrait faire merveille.

 

Tobias Kratzer
Tobias Kratzer

Enfin, last but not least, en 2019, Tannhäuser, confié à Tobias Kratzer, une jeune pousse de la mise en scène germanique, à qui l’on doit des Meistersinger remarqués à Karlsruhe (ils sont en répertoire désormais, allez-y), un Lohengrin à Weimar et des Huguenots de Meyerbeer à Nürnberg (allez y aussi, le système de répertoire permettant de ne pas attendre 20 ans avant de voir un production). Le chef n’est pas connu mais devrait être une star de la nouvelle génération.

Et le Ring de 2020? chut, on murmure Thielemann, dont le premier Ring en cette maison (Tankred Dorst) n’a pas été une réussite à 100%, et qui aimerait bien renouveler son triomphe viennois.
Rien ne filtre sur la mise en scène. ni sur la distribution. On pourrait cependant parfaitement imaginer, si le Lohengrin de 2018 fonctionne, Alvis Hermanis,  un raconteur d’histoires et de grandes fresques dont l’esthétique conviendrait pour succéder à Castorf, et qui proposerait ainsi un Ring non conceptuel, et je sens, mais je me trompe sans doute une odeur de Netrebko en Sieglinde…[wpsr_facebook]

Jonathan Meese SCARLETTIERBABY de METABOLISMEESEEWOLF (BLUTHUNDINNINBABY mit STOFFTIERWECHSEL IM SAALBLUT), 2008 Oil and mixed media on canvas 118.11 x 236.46 x 1.73 inches 300 x 600.6 x 4.4 cm
Jonathan Meese
SCARLETTIERBABY de METABOLISMEESEEWOLF (BLUTHUNDINNINBABY mit STOFFTIERWECHSEL IM SAALBLUT), 2008
Oil and mixed media on canvas 118.11 x 236.46 x 1.73 inches 300 x 600.6 x 4.4 cm

TEATRO ALLA SCALA 2014-2015: LA NOUVELLE SAISON

 

La Scala: façade
La Scala: façade

Un peu tardivement, mais c’est assez traditionnel, la scala et son nouvel intendant Alexander Pereira a présenté sa saison, qui doit cette année briller de mille feux à cause d’EXPO2015, l’exposition universelle de Milan du 1er Mai au 31 Octobre. Les choses ont dû être un peu précipitées, parce que visiblement toutes les distributions ne sont pas bouclées et les alternances de distributions encore floues, mais enfin titres, dates et chefs sont donnés.

Voilà ce qu’on appelle une saison charnière : on pensait l’avenir de la Scala consolidé par le passage de témoin entre Stéphane Lissner et Alexander Pereira, plus tôt que prévu, qui arrangeait Lissner arrivant à Paris plus tôt, et Pereira qui pouvait quitter Salzbourg la tête haute après le grave conflit avec la présidente du directoire, Helga Rabl-Stadler à propos du déficit du Festival. C’était sans compter sur la situation milanaise, avec une EXPO engluée dans les scandales des « appalti » (les marchés) truqués qui ont vu réapparaître ceux-là même qui avaient été dénoncés à l’époque de mani pulite. Dans une situation pareille, sans doute Pereira a-t-il été l’objet d’un « complot » visant à le faire tomber lui aussi (la place est bonne et cela grenouille fortement autour), en l’accusant de prise illégale d’intérêt.  Si c’était le cas, pourrait-on penser que le conseil d’administration de la Scala le laissât en place ? Il est pourtant en place et a présenté la saison. Tout en étant en quelque sorte en sursis. Peut-on alors penser que Pereira, qui n’est ni un ange, ni un naïf, va se laisser humilier de la sorte ? Le feuilleton n’est pas fini, plus Dallas que Joséphine Ange Gardien.
On a appelé Pereira pour sa capacité à séduire les sponsors et à amener de l’argent. C’est sa réputation depuis Zürich. Son passage à Salzbourg n’a pas été aussi réussi, ni du point de vue artistique (un court bilan contrasté), ni du point de vue financier (un déficit). À Zürich, c’était un prince qui faisait à peu près ce qu’il voulait. À Salzbourg, ce n’était pas le cas et à Milan, c’est encore plus complexe. Il y a les problèmes claniques, assez fréquents en Italie, des débats autour de la programmation de la Scala : on a beaucoup reproché à Lissner ces dernières années ses choix, et notamment  dans le répertoire italien, par exemple cette dernière Traviata d’inauguration très discutée et certains lui reprochent violemment les choix de mises en scène. Le public de la Scala n’a jamais été ouvert, c’est un public conservateur, qui vient voir et revoir ses opéras favoris, dont le XXème ne fait pas vraiment  partie (sauf Puccini…). La dernière Elektra mise en scène par Chéreau, pourtant un immense succès, n’a jamais affiché complet.
Et ce type de comportement n’est pas récent. Jamais ou rarement (Wagner excepté peut-être) les opéras qui sortent à peine des sentiers battus ne font le plein, quels qu’en soient les protagonistes. Lissner lui-même finissait par être lassé : les huées permanentes des puristes de type « Corriere della Grisi », l’impossibilité de trouver des distributions incontestées pour le répertoire italien -et ce n’est pas une question de chanteurs italiens ou non, puisque la Bartoli ne peut (presque) plus mettre le pied à Milan- ne permettent plus, au-delà d’un certain point, de gérer une vraie programmation ouverte. J’ai souvent souligné le paradoxe des meilleurs spectacles  à la Scala qui sont des opéras hors de son répertoire traditionnel : cette année par exemple La Fiancée du Tsar ou Les Troyens, ou Elektra, et surtout pas des opéras italiens (Traviata mise à part, c’est du moins mon avis, mais je sais qu’il n’est pas vraiment partagé).
Il reste que la Scala ne peut être seulement le temple du bel canto ou de Verdi. Sa vocation de théâtre européen ou international, comme le soulignait jadis Cesare Mazzonis, dernier grand directeur artistique de la maison, dernière figure d’intellectuel expert, oblige à des choix aussi ouverts que ce qui se fait ailleurs. En ce sens, l’appariement avec la Staatsoper de Berlin, Barenboim oblige, a plutôt été une bonne chose.
Une saison de la Scala doit donc par force avoir au moins 50% de répertoire italien, le reste se divisant entre russe, français, allemand pour l’essentiel. La question de la mise en scène se pose fortement dans un pays où les hommes de théâtre de référence se font rares ou triomphent ailleurs (Castellucci) et où le public est peu éduqué à la chose théâtrale : on n’a pas encore digéré la mort de Giorgio Strehler, et Luca Ronconi encore vivant, et je l’adore, ne peut représenter à son âge un avenir mais seulement des souvenirs. Les difficultés identitaires et artistiques du Piccolo Teatro qu’il dirige actuellement en disent d’ailleurs long.
L’apparition sur le marché de Damiano Michieletto coqueluche actuelle de nombreux théâtres, est en train de corriger un peu le tir, mais son dernier Ballo in maschera n’a pas totalement convaincu le public milanais.

Quadrature du cercle donc que de gouverner ce théâtre. Pereira a d’ailleurs mis le mani avanti en priant le public des poulaillers d’avoir un comportement civil. Quel aveu le jour d’une présentation de saison !
Voici donc la saison 2014-2015, la saison de l’EXPO universelle pour laquelle un effort tout particulier a été fait. Comme Lissner à Paris avec Joel, Pereira assume l’héritage Lissner : le Fidelio inaugural est évidemment un projet de l’ancien team. Mais la saison, destinée au public très international qui visitera l’EXPO, se doit aussi de correspondre à l’image que le touriste moyen se fait de la Scala, on verra donc Tosca, La Bohème, Turandot, L’Elisir d’amore, Lucia di Lammermoor, Aida, Cavalleria Rusticana et Pagliacci, Il Barbiere di Siviglia, Otello (de Rossini), Falstaff, et l’incoronazione di Poppea (cette dernière production sans doute trop raffinée hors expo).

Deux parties dans l’année, de décembre à mai et de mai à novembre (EXPO).

Décembre-Mai

C’est Fidelio, qui ouvre la saison en décembre, dernière apparition de Daniel Barenboim sur le podium, dans une mise en scène de Deborah Warner, qui a déjà mis en scène Death in Venice de Britten  en 2011 : avec Deborah Warner, on est loin du Regietheater, mais c’est une femme intelligente dont je n’ai vu que des spectacles très défendables, avec une bonne distribution : Anja Kampe et Klaus Florian Vogt qui reprendra Florestan, un rôle qu’il n’a pas abordé depuis 2010  (il l’a chanté à Bordeaux en 2007 comme le signale un lecteur que je remercie – voir le commentaire ci-dessous), Mojca Erdmann et Florian Hoffmann, ainsi que Falk Struckmann,  Peter Mattei et Kwanchoul Youn. Une distribution incontestablement solide, voire stimulante pour Vogt.

Suivra (Janvier) Die Soldaten une première à Milan, dans la production de Salzbourg d’Alvis Hermanis. Le spectacle aura bien du mal à entrer dans l’espace scaligère, qui n’a rien à voir avec la Felsenreitschule de Salzbourg. Il sera intéressant de voir ce que devient  le décor impressionnant de Hermanis, mais aussi certaines scènes désormais célèbres (la Funambule). Ingo Metzmacher  dirigera l’orchestre de la Scala, et la distribution est assez semblable à celle de Salzbourg en 2012 avec Laura Aikin en Marie, Daniel Brenna en Stolzius, Okka von der Damerau, Gabriela Beňačková, Cornelia Kallisch, ce qui nous assure un niveau musical exceptionnel. J’ai écrit combien le travail d’Hermanis, séduisant au premier abord, m’était apparu fade face aux productions plus récentes de  Bieito (Zürich 2013/Berlin 2014) et Kriegenburg (Munich 2014) mais c’est l’occasion de la revoir. Gageons qu’il y aura des places….
De l’opéra du XXème – du siècle dernier, il y a environ 50 ans- , on passe aux origines, avec l’Incoronazione di Poppea (Février),  dans la production de Robert Wilson en scène en ce moment à Paris  avec au pupitre, comme à Paris, l’excellent  Rinaldo Alessandrini et dans la distribution Miah Persson, Monica Bacelli, Sara Mingardo; aussi une création, pour qui aime les sublimes lenteurs répétitives du maître américain.
Du 15 février au 14 mars, une nouvelle production d’Aida (la troisième vue à la Scala depuis 10 ans) confiée  à Peter Stein, avec Kristin Lewis (Aida) et Anita Rachvelishvili (Amneris) Fabio Sartori en Radamès, Carlo Colombara et Matti Salminen, tandis que George Gagnidze et Ambrogio Maestri alterneront dans Amonasro. Une distribution honnête sans être renversante, sous la baguette de Lorin Maazel, qui revient diriger Aida (il la dirigea en 1985, pour l’inauguration de la saison, production Ronconi avec Luciano Pavarotti et Maria Chiara). Vu la manière dont le public de la Scala l’a accueilli dans ses récentes apparitions, je prévois quelque agitation orchestrée bien sentie.
De fin février au 17 mars 2015, Lucio Silla de Mozart, une œuvre historiquement liée à Milan, où elle a été créée en 1772 au Regio Teatro Ducale dont l’incendie trois ans plus tard provoquera la construction de la Scala. C’est une équipe spécialisée dans le travail sur le baroque, le couple canadien Marshall Pynkoski pour la mise en scène et son épouse Jeannette Zingg pour la chorégraphie, qui assurera la production, venue avec armes et bagages de Salzbourg. Rappelons pour mémoire que la précédente production maison (coproduction avec La Monnaie qu’on a vue aussi au théâtre des Amandiers de Nanterre, était signée Patrice Chéreau et Richard Peduzzi).
Elle sera dirigée par Marc Minkowski, avec notamment l’excellente Marianne Crebassa et Rolando Villazon en alternance avec Kresimir Spicer (si j’ai bien lu le site de la Scala, très peu explicite pour les distributions, sans doute parce qu’elles ne sont pas complètes). A voir pour l’œuvre et pour la production.
Avec Carmen du 22 au 26 mars et du 4 au 16 juin commence la série des grands standards touristiques qui vont illustrer le reste de l’année, dirigée par Massimo Zanetti, qui n’est pas un mauvais chef mais dont les débuts prometteurs ne furent pas suivis d’une carrière de grand relief, dans la production d’Emma Dante, bien connue désormais, avec en alternance Elina Garanča (mars probablement) et Anita Rachvelishvili (juin) dans Carmen, Elena Mosuc et Nino Machaidze dans Micaela (deux voix de formats différents) et José Cura alternant avec Francesco Meli, deux ténors au répertoire et à la typologie vocale là aussi très différents. Une reprise honnête, d’une production correcte, sans qu’il y ait de quoi se précipiter sur le site pour réserver des billets.

 

EXPO 2015 MIlan: 1/05/2015- 31/10/2015
EXPO 2015 MIlan: 1/05/2015- 31/10/2015

De mai à fin octobre: L’EXPO

Pour l’ouverture de l’EXPO et presque seconde ouverture de la saison (ouverture au moins des opéras-EXPO), du 1er au 23 mai 2014, Turandot de Giacomo Puccini, dirigé par Riccardo Chailly, dans une mise en scène de Nicolaus Lehnhoff. Le vétéran de la scène allemande, dont on connaît à la Scala (et à Lyon) le Lohengrin et dont à Paris on a connu Die Frau ohne Schatten (1972, 1980) mais surtout cette saison La Fanciulla del West sera-t-il accueilli avec les égards dû à son âge par les hueurs professionnels de la maison ?
La distribution, au moins féminine, devrait satisfaire les aficionados puisque Nina Stemme en Turandot passera des saloons à la cité interdite et Maria Agresta sera une Liù sans doute émouvante. Du côté des hommes,  c’est moins excitant : le très solide Aleksandr Antonenko ne me paraissant pas un Calaf apte à faire rêver.

Mais évidemment, c’est le choix par Chailly (qui l’a enregistré) du final réécrit par Luciano Berio qui fait événement, dans le théâtre où l’œuvre fut créée il y a presque 90 ans, le 25 avril 1926 et pour laquelle Francesco Alfano écrivit la scène finale, jouée dans tous les théâtres. On viendra tous, évidemment, pour écouter ce que donne, à la scène, cette version radicalement différente de celle de Franco Alfano, sous la direction du tout nouveau directeur musical de la maison, notable interprète de Puccini.
Voilà maintenant me faire mentir puisque j’ai assimilé la période Mai-Novembre à la saison touristique de la Scala, alors que le théâtre affiche même une création de Giorgio Battistelli, du 16 au 29 mai 2015, CO2, qui verra débuter dans le temple milanais le jeune chef allemand Cornelius Meister, très apprécié, dans une production de Robert Carsen. Le livret, inspiré de l’ouvrage d’Al Gore, An inconvenient Truth, est une méditation sur la fin de la planète due aux désastres écologiques, en lien avec les thématiques de l’EXPO, avec dans la distribution l’excellent Anthony Michaels Moore. Avec Fin de Partie, de György Kurtag, coproduction avec Salzbourg qui clôt la saison comme son nom l’indique, ce seront les concessions au « modernisme » que même cette programmation sage va se permettre.

Exceptionnellement, à cause d’EXPO 2015, le Teatro alla Scala restera ouvert pendant l’été, et présentera une sorte de Festival Italien, illustrant évidemment le répertoire traditionnel de la maison, on verra donc successivement :

–       Du 28 mai au 11 juin : Lucia di Lammermoor dans la production maison actuelle de Mary Zimmermann, dirigé par Stefano Ranzani (bof bof) avec Diana Damrau et Elena Mosuc en alternance face à Vittorio Grigolo (et Juan José De Leon ?). Belle distribution, chef très passable. On peut faire l’impasse…

–       Du 12 au 23 juin, il sera impossible d’avoir des places à Cavalleria Rusticana/Pagliacci, dirigé par Carlo Rizzi (Moui…), mis en scène par Mario Martone. Elina Garanča (Santuzza, étonnant !) et Jonas Kaufmann (Compare Turiddù), dans Cavalleria Mara Zampieri dans Mamma Lucia, tandis que Marco Berti et Fiorenza Cedolins chanteront  I Pagliacci. Pour Jonas, et peut-être  Garanča…on courra.

–       Du 22 juin au 9 juillet, Tosca dans la production de Luc Bondy (MET, Munich, Scala) dirigé par Carlo Rizzi  qui signera le retour de Roberto Alagna (corrida avec le poulailler en perspective ?) avec Béatrice Uria-Monzon et Zeljko Lučić. Intéressante distribution, si Lučić fait le job. Le chef Carlo Rizzi au moins défendra l’œuvre, comme dans la production précédente.

–       Du 4 au 24 juillet, un Otello de Rossini, très rare à la Scala, dirigé par John Eliot Gardiner (rare, lui, dans Rossini), dans une production de Jürgen Flimm avec des décors d’Anselm Kiefer (c’est bien lui qui aura la vedette), et une belle distribution, Juan Diego Florez, Olga Peretyatko et Gregory Kunde : vaudra sans doute le voyage . A noter dans les tablettes.

–       Du 27 juillet au 10 août, Il Barbiere di Siviglia, dans la légendaire production de Jean-Pierre Ponnelle dirigée par Massimo Zanetti, et avec une étrange distribution faite de solistes de l’académie de la Scala et de plusieurs générations de chanteurs : Ruggero Raimondi ( !), Leo Nucci (…) et Massimo Cavaletti. Ce sera curieux, et nostalgique en diable.

–       Du 19 août au 2 septembre, l’inévitable et l’inratable Bohème, emblème de la Scala dans la production historique de Franco Zeffirelli (créée par Herbert von Karajan en janvier 1963, déjà avec Freni). Qui n’a pas vu cette Bohème a fait une erreur coupable, avec son lever de rideau au deuxième acte applaudi à chaque fois à scène ouverte depuis 50 ans. Une Bohème avec un vrai chef, Gustavo Dudamel, qui l’a déjà dirigée à Berlin – certes c’était un peu décevant, mais c’était il y a déjà longtemps- , et une distribution alternant Maria Agresta/Ailyn Pérez, Vittorio Grigolo/Ramon Vargas, Massimo Cavaletti/Gabriele Viviani. Allez-y, elle vaudra quelques larmes d’été…

–       Du 18 septembre au 13 octobre, une vraie production de remplissage, hommage aux années de Zürich de Pereira, qu’il a dû faire monter rapidement pour combler un trou, L’Elisir d’amore, de Donizetti, dirigé par l’inusable Nello Santi, habitué de Zürich, un chef de répertoire d’une sûreté à toute épreuve, que nous connaissions bien à Paris au temps de Liebermann (I Vespri Siciliani notamment, mais aussi Simon Boccanegra à la place d’Abbado l’année deux..) et qui fit de nombreux soirs de répertoire à Zürich. Autre compagnon de route de Pereira, Grischa Asagaroff, metteur en scène, qui revisite les vieilles mises en scène à ripoliner, actuellement en poste à Salzbourg. Un Elisir avec Vittorio Grigolo et Michele Pertusi, et le jeune ténor Atalia Ayan (qui doit alterner avec Grigolo : il y a 9 représentations entre septembre et octobre) ainsi que la jeune soprano talentueuse Eleonora Buratto. Bon, à visiter si vous êtes à Milan un soir de pluie et que Da Aimo e Nadia est complet ou fermé.

–       8 représentations automnales de Falstaff, du 14 octobre au 4 novembre, vont conclure la période de l’EXPO. Elles seront dirigées par Daniele Gatti dans la production très mondialisée de Robert Carsen que je viens de revoir à Amsterdam, mais avec une distribution un peu différente. À la Scala, c’est Eva Mei qui sera Alice, et Marie-Nicole Lemieux qui reprendra Quickly pour notre bonheur, Eva Liebau sera Nanetta, Laura Polverelli Meg Page, Massimo Cavaletti reprendra Ford et Francesco Demuro que les parisiens désormais connaissent bien (c’est l’Alfredo d’une Traviata inoubliable, je crois) sera Fenton. Mais l’intérêt c’est le Falstaff de Nicola Alaimo, qui devrait nous enchanter. Pour Gatti d’abord, pour Alaimo ensuite et pour Lemieux, allez-y, et si vous arrivez avant le 31 octobre, vous aurez même la possibilité de visiter l’EXPO.

–       Enfin, l’année de la Scala se terminera par Fin de Partie, un opéra de György Kurtag qui devait être créé à Salzbourg cette année, mais remplacé apparemment par une autre création de Dalbavie, Charlotte Salomon. Le spectacle, mis en scène par Luc Bondy, sera dirigé par Ingo Metzmacher et chanté en français entre autres par Jean-Sebastien Bou et Marie-Ange Todorovitch, pour 7 représentations entre le 29 octobre et le 13 novembre. Comme le rappelle le « pitch » de la Scala, Claudio Abbado avait dirigé des pièces de Kurtag sur des textes de Samuel Beckett et c’était un compositeur qu’il affectionnait. György Kurtag reste l’une des références de la composition aujourd’hui.

Au total, 19 titres, si l’on compte en sus deux événements exceptionnels

–       Werther, dirigé sous forme concertante par Georges Prêtre (depuis toujours très aimé à Milan) à l’occasion de ses 90 ans, avec Roberto Alagna, Béatrice Uria-Monzon et Laurent Naouri les 23 et 25 novembre 2014.

–       Une soirée dédiée à Donizetti par Edita Gruberova, qui osera les trois scènes finales des trois opéras « des reines » le 23 juillet 2015, Lucrezia Borgia, Anna Bolena, et Maria Stuarda avec au pupitre Marco Armiliato. À cette occasion, elle sera entourée des solistes de l’Académie de la Scala (« Accademia di Perfezionamento per Cantanti Lirici del Teatro alla Scala »).

 

La saison, qui s’efforce de réunir des distributions homogènes et dignes (pas d’Oksana Dyka à l’horizon), bien sûr manque d’imagination sur les titres proposés pendant la période de l’EXPO, mais cela fait partie du jeu obligatoire. Il reste que beaucoup de production peuvent attirer. Mais l’effort sur les œuvres modernes (Die Soldaten, Fin de partie et CO2) est non seulement louable et inattendu, mais surtout immense pour un théâtre qui a souvent eu du mal avec les œuvres d’aujourd’hui (encore que les Stockhausen et les Nono des années Abbado…). C’est évidemment stratégique, il s’agit de donner le change, pour montrer que la Scala est un théâtre ouvert à la création, moderne, un vrai théâtre d’aujourd’hui et pas un conservatoire de fossiles. Il s’agissait peut-être aussi de proposer une porte de sortie à Fin de Partie, qui ne sera pas présenté à Salzbourg cette année alors que c’était prévu. D’ailleurs, effectivement Salzbourg a fourni à Pereira l’occasion d’importation de productions : on l’en a accusé, mais le public se plaindra-t-il ? Enfin, l’idée des deux inaugurations, l ’une d’adieu par Barenboim  le 7 décembre avec Fidelio, et l’autre d’ouverture de l’EXPO avec Turandot et le nouveau directeur musical, est habile. Au total, la saison est peut-être pour partie touristique, mais elle ne manque pas d’allure et donne quelques occasions de passer le Simplon  le Fréjus, ou le Mont Blanc, en tous cas les Alpes.
L’EXPO donne aussi l’occasion  d’accueillir à Milan la fine fleur des orchestres internationaux dans une saison symphonique je crois unique dans les annales du théâtre, dans une ville dont les concerts symphoniques ne font pas vraiment partie de la culture, et dans un théâtre où les orchestres invités sont de plus en plus rares. Rome à ce titre est un peu plus gâtée.
Alors, les milanais doivent se réjouir en 2014-2015 d’entendre outre l’Orchestre de la Scala et son frère le Philharmonique de la Scala, les Wiener Philharmoniker (Jansons, dans Mahler 3), les Berliner Philharmoniker (Rattle, dans Bruckner 7), l’Orchestre de Paris (Paavo Järvi), Le Cleveland Orchestra (Franz Welser Möst) plusieurs orchestres vénézuéliens dont l’Orquesta Sinfónica Simón Bolívar (Gustavo Dudamel), le Concentus Musicus de Vienne (Harnoncourt), le Boston Symphony Orchestra (Andris Nelsons), le Budapest Festival Orchestra (Ivan Fischer) ou l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia (Pappano) et l’Israel Philharmonic Orchestra dirigé par Zubin Mehta. Le mélomane milanais pourra enfin entendre des chefs qui n’ont jamais été vus à Milan. Et Last but not Least, Pereira ose imposer Cecilia Bartoli dans un concert Vivaldi, concert final de l’EXPO dirigé par Diego Fasolis avec ses « Barocchisti ».

Incontestablement, la saison a bien plus d’attraits et d’intérêt que d’autres saisons plus proches de nous, mais sans discuter sur les titres, ce qui frappe, c’est que les choix de chefs sont pertinents pour la plupart des titres : Chailly, Metzmacher, Maazel, Alessandrini, Gatti, Barenboim, Dudamel, Eliot Gardiner sont des chefs de premier plan : quel théâtre d’opéra peut se permettre d’en afficher autant en même temps ?
Allez, réservez vos avions ou TGV, vos hôtels et vos billets : 2014-2015 sera aussi milanais. On peut discuter, pinailler, sghignazzare : La Scala, malgré les vrais/faux scandales, fait honneur cette année à son nom. [wpsr_facebook]

Scala: la salle
Scala: la salle

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2014-2015

La salle de Jean Nouvel
La salle de Jean Nouvel

Serge Dorny reste donc à Lyon.  En soi c’est une très bonne nouvelle. Pour lui c’est sans doute plus difficile. Après plus de 10 ans il est légitime d’aspirer à autre chose. La perspective de diriger un opéra historique comme celui de Dresde pouvait être d’autant plus intéressante que la programmation actuelle en est relativement médiocre si l’on excepte les quelques soirées dirigées par Christian Thielemann.  L’aventure mort-née laisse un goût amer. Et le retour à Lyon s’accompagne probablement d’un désir d’ailleurs : comment pourrait-il en être autrement ?
Le spectateur que je suis profitera donc néanmoins de ces prochains mois avec gourmandise. Serge Dorny propose une des programmations les plus complètes et les plus intelligentes d’Europe. En cela, il est le digne successeur de Jean-Pierre Brossmann. Combien de metteurs en scène, combien de chefs sont passés à Lyon avant de connaître une gloire internationale ?  Il suffit de penser à Kirill Petrenko ou à Kent Nagano.
Serge Dorny formé à l’école de Mortier a imposé un style,  une esthétique puisant largement dans l’école allemande ; ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Et le public lyonnais, depuis longtemps habitué à des œuvres sans concession, public formé à l’école de Planchon, de Chéreau,  un public qui va du TNP à l’opéra, de Villeurbanne à Lyon,  fait bon accueil à ces productions,  qui d’ailleurs ne sont pas toutes exceptionnelles et c’est bien normal, mais toujours d’un niveau plus qu’honorable au minimum.  Quel opéra en France peut se targuer d’accueillir Peter Stein, Olivier Py, François Girard, Christophe Honoré, Yoshi Oida, La Fura dels Baus, Ivo van Hove ou de faire découvrir David Bösch ou David Marton ?
L’an prochain,  dans une saison appelée « Au-delà du réel », nous reverrons La Fura dels Baus (Le Vaisseau fantôme),  Christophe Honoré (Pelléas et Mélisande), David Marton (Orphée et Eurydice) qui signa un si beau Capriccio, Olivier Py (reprise de Carmen), David Bösch qui crée à Lyon Simon Boccanegra au début de ce mois de juin proposera l’an prochain Les Stigmatisés de Schreker, une production très attendue. Pour la première fois, Stephan Herheim  présentera une production en France, sa Rusalka, déjà vue à Bruxelles et Barcelone, Martin Kušej (La Forza del Destino à Munich…) fera Idomeneo et Michel van der Aa créera à Lyon un opéra hyper technologique,   Le jardin englouti,  dans le cadre du festival désormais traditionnel dédié cette année aux jardins mystérieux.
Enfin, Jean Lacornerie, directeur du Théâtre de la Croix Rousse, élève et compagnon de route de Jacques Lassalle fera à la fois le musical de Broadway bien connu Le roi et moi de Rodgers et Hammerstein, et Roméo et Juliette de Boris Blacher, un compositeur peu connu, classé comme dégénéré par les nazis, spectacles tous deux présentés à La Croix Rousse.
Enfin comme chaque année en version de concert un opéra belcantiste de la première moitié du XIXème : Lyon commence un cycle Rossini avec la redoutable Semiramide dirigée par Evelino Pido’ avec Elena Mosuc.  Mais cette année, en plus, Joyce Di Donato,  prêtresse mondiale du bel canto notamment rossinien  ouvrira la saison par un concert exceptionnel le 22 septembre 2014.
Comme il se doit la programmation propose quelques grands standards, des œuvres du répertoire moins connues, des chefs-d’œuvre totalement ignorés dans des propositions scéniques qui excitent la curiosité:  l’opéra de Lyon reste l’un des meilleurs du monde pour l’innovation et le risque artistique.
Serge Dorny  réunit aussi les équipes musicales cohérentes, jeunes, qui reviennent souvent à l’opéra de Lyon,  et qui finissent par former une sorte de troupe ou tout du moins un groupe d’habitués.  C’est l’occasion d’entendre de belles voix encore protégées du star-system,  ou des chefs originaux , dynamiques,  dont on commence à entendre parler. Ainsi dans l’ordre chronologique découvrirons-nous :

– en octobre 2014, Le vaisseau fantôme  de Richard Wagner,  dans une production de Alex Ollé (La Fura dels Baus) qu’il se situe non dans le Nord mais dans le lointain Sud dans les cimetière de bateaux du Bangladesh,  restes rouillés de l’industrialisation occidentale.  Le chef en sera Kazushi Ono. Simon Neal ( qui a chanté Oedipe de Georges Enesco à Francfort cette année) sera le Hollandais,  Falk Struckmann Daland tandis que que Senta sera chantée par celle qui a stupéfié dans Erwartung, Magdalena Anna Hoffmann.

–En décembre 2014 et au tout début janvier 2015,  Rusalka, de Dvořák, dans l’étourdissante mise en scène du norvégien Stephan Herheim,   conte triste de la nymphe qui veut devenir mortelle et qui est victime de la méchanceté et de l’indifférence des hommes. La meilleure Rusalka du moment, Camilla Nylund, et le vaillant Dmitro Popov se partageront les principaux rôles tandis que Jezibaba sera interprétée par Janina Baechle. L’Orchestre est confié à Konstantin Chudovski, jeune chef russe qui commence a diriger partout en Europe.

–en décembre 2014 toujours mais au théâtre de la Croix-Rousse, Jean Lacornerie dans le cadre des spectacles jeune public présente et met en scène Le Roi et Moi de Rodgers et Hammerstein, le fameux music-hall de Broadway,  dirigé par Karine Locatelli.

–En janvier-février 2015,  Martin Kušej proposera Idomeneo de Mozart, dirigé par Gérard Korsten, bon chef pour ce répertoire, avec une jolie distribution Lothar Odinius, Kate Aldrich, Elena Galitskaya, et Maria Bengtsson (dans Elettra).

–En février-mars 2015 au théâtre de la Croix-Rousse Roméo et Juliette, de Boris Blacher, mis en scène de Jean Lacornerie et dirigé par Philippe Forget par le studio de l’Opéra de Lyon,  occasion de découvrir un compositeur peu connu qui fut  le maître de Gottfried von Einem ou d’Aribert Reimann.

– Du 13 au 29 mars 2015, le Festival annuel dédié cette année aux Jardins mystérieux avec trois opéras,  un opéra du répertoire,  un opéra jadis classé dans les dégénérés et qui revient sur les scènes désormais relativement régulièrement et une création.

  • Les Stigmatisés (Die Gezeichneten) de Franz Schreker (1918),  À voir absolument  dans une mise en scène de David Bösch dirigé par le jeune et talentueux Alejo Perez, et avec une belle distribution, Charles Workman, Magdalena Anna Hoffmann, Simon Neal, Markus Marquardt.
  • Orphée et Eurydice de Gluck,  mise en scène de David Marton,  dans la version de Vienne dirigée par Enrico Onofri, spécialiste du baroque et compagnon de route du Giardino Armonico et de Giovanni Antonini, avec un Orphée masculin, Christopher Ainslie (et son double Franz Mazura, qui aura alors 91 ans) et Elena Galitskaya en Eurydice.
  • Le jardin englouti de Michel Van der Aa, présenté au TNP de Villeurbanne en coproduction avec l’English National Opera et le Toronto Festival of Arts and Culture, dirigé par Etienne Siebens, qui travaille avec Michel van der Aa et participe à de nombreux projets contemporains, avec notamment Roderick Williams , Katherine Manley et Claron McFadden. Un opéra phénomène, réel, virtuel, digital

–fin avril et mai 2015 : reprise de Carmen dans la mise en scène discutée d’Olivier Py, et avec une tout autre distribution, sans doute meilleure que la première série, Kate Aldrich (Carmen), Arturo Chacon-Cruz,  qui fut Werther À Lyon dans la mise en scène de Rolando Villazon,  Jean-Sébastien Bou dans Escamillo (Claude l’an dernier) et Sophie Marin-Degor dans Micaela. L’orchestre sera dirigé par Riccardo Minasi , spécialiste du répertoire baroque qui succède au pupitre à un autre spécialiste du baroque, Stefano Montanari.

–en juin dernier opéra de la saison,  last but not least, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy,  dans une mise en scène très attendue de Christophe Honoré qui fait un lien entre Mélisande et Phèdre,  dans une intéressante distribution réunissant Bernard Richter, Hélène Guilmette, Sylvie Brunet-Grupposo, Vincent Le Texier et Jérôme Varnier, dirigé par Kazushi Ono.

Voilà une saison au total très stimulante,  qui excite la curiosité et va élargir la connaissance du répertoire. Face à une saison de l’Opéra de Paris particulièrement terne, le seul conseil qu’on puisse donner aux parisiens est de prendre un abonnement TGV et  un abonnement à l’Opéra de Lyon, car pas une production n’est à négliger. Dresde a beaucoup perdu et, pour cette année encore,  Lyon reste gagnant. [wpsr_facebook]