LA SAISON 2023-2024 DU THEATER BASEL

@DR/WIKIpedia

ET SI ON ALLAIT À BÂLE?

Nous proposons à nos lecteurs pour la première fois de découvrir la saison lyrique du Theater Basel, qui offre en outre une saison théâtrale et une saison de ballet.
En effet, ce théâtre est assez particulier dans le paysage, par une programmation souvent imaginative, pas forcément au niveau des titres, mais au niveau des offres qui les soutiennent, cette année par exemple, les manifestations proposées autour du Ring des Nibelungen, dont seront présentés Das Rheingold et Die Walküre.

C’est aussi un théâtre accessible depuis la France, au public alsacien et franc-comtois (Une quarantaine de kilomètres de Mulhouse, 180 kilomètres de Strasbourg et à portée d’autoroute de toute la Franche Comté) et à trois heures de TGV de Paris avec un aéroport (Bâle Mulhouse) fréquenté par les low-coast. Il y a donc des arguments forts qui nous induisent à offrir dans nos comptes rendus une place à cette institution que le Wanderer fréquente depuis plus d’une quinzaine d’années, sans jamais avoir été déçu.
En outre Bâle est une ville fort sympathique qui a d’autres atouts, et si on peut l’estimer un peu chère pour des bourses françaises, on peut toujours loger en Allemagne, à trois kilomètres, tout près de la frontière à Weil am Rhein, ou à Saint Louis en France, voire à Mulhouse et les prix pratiqués par le théâtre sont bien plus raisonnables que ceux pratiqués à Genève ou Zurich.

Il y a en plus des arguments touristiques qui ne sont pas indifférents aux amateurs d’art, notamment l’architecture (Bâle est une des capitales européennes de l’architecture) et l’art contemporain, avec le Musée Tinguely, et la Fondation Bayeler ainsi qu’en Allemagne sur la frontière, le Vitra campus, un vaste espace qui mêle architecture, design art, nature dont le Vitra Design Museum conçu par l’architecte Frank Gehry. Enfin pour les amateurs de réjouissances aquatiques, attenant à Vitra et toujours à Weil am Rhein, le Laguna Badeland.
Vous n’y pensiez peut-être pas, mais Bâle peut être un vrai but de long week-end, à l’occasion d’une ou plusieurs soirées d’opéra qui souvent valent la peine.

Le Theater Basel, institution municipale est un ensemble moderne, abritant la grande salle de spectacle d’environ mille places, une plus petite salle (kleine Bühne) de 320 places et à deux cents mètres le Schauspielhaus, le théâtre de prose, avec une salle d’environ 500 places et c’est dans tous ses espaces un lieu accueillant et agréable.
La saison, composée d’opéra, de ballet et de théâtre propose environ 600 représentations. L’intendant actuel est le metteur en scène Benedikt von Peter qui à l’instar de son collègue de Zurich, assume la mise en scène du nouveau Ring.
C’est un théâtre de troupe, (acteurs comme chanteurs) et c’est par Bâle que Simon Stone qui y était en résidence a commencé sa carrière européenne, mais pas un théâtre de répertoire au sens strict, beaucoup de nouvelles productions et quelques reprises. Enfin chaque production bénéficie pour l’essentiel de 10 à 18 représentations dans l’année ce qui laisse un vaste choix pour les dates. Pas de productions proposées seulement pour une dizaine ou une douzaine de jours.

La saison 2023-2024 propose les 10 productions d’opéra suivantes (7 NP et 3 reprises):

Nouvelles productions
Wagner :
Das Rheingold
Die Walküre

Herbert Grönemeyer :
Pferd Frisst Hut

Georges Bizet :
Carmen

Claudio Monteverdi :
L’incoronazione di Poppea

W.A.Mozart :
Requiem

Ambroise Thomas :
Mignon

Reprises :

Rossini :
Il Barbiere di Siviglia

Weber :
Der Freischütz

Verdi :
Rigoletto

 

NOUVELLES PRODUCTIONS

Septembre-Octobre 2023

Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen
Das Rheingold

8 repr. du 9 sept. au 22 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Michael Borth, Michael Laurenz, Solenn’ Lavanant Linke, Hanna Schwarz, Lucie Peyramaure, Andrew Murphy etc…
Sinfonieorchester Basel

Die Walküre
8 repr. du 16 sept. au 23 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Solenn’ Lavanant Linke, Ric Furman, Artyom Wasnetsov, Theresa Kronthaler.
Sinfonieorchester Basel

Le Ring n’a pas été monté à Bâle depuis quarante ans, et au-delà de la représentation du cycle wagnérien, c’est à un effort de contextualisation des thèmes traités dans le cycle wagnérien qu’invite le Theater Basel en élargissant les représentations à un « Festival » qui s’appuie sur les thématiques du Ring pour les insérer dans des perspectives actuelles, multiples et quelquefois inhabituelles, soulignant ainsi l’actualité d’une œuvre qui continue de nous parler.
L’entreprise, toujours lourde pour un théâtre,  sera dirigée par Jonathan Nott, actuellement directeur musical de l’Orchestre de la Suisse Romande, que nous avions entendu diriger un Ring concertant très correct à Lucerne avec son ancien orchestre, les Bamberger Symphoniker.
La distribution est composée de jeunes chanteurs à découvrir et d’autres plutôt bien connus à commencer par la légende Hanna Schwarz en Erda, la Fricka de Chéreau continue de chanter et c’est toujours un plaisir très évocatoire et personnel de l’entendre, Loge est confié à Michael Laurenz, que nous entendons souvent et Wotan au baryton-basse local, le canadien Nathan Berg, que nous avions entendu dans Philippe II  en 2021/2022, chanteur expressif et précis. Fricka sera Solenn’ Lavanant Linke, Sieglinde Theresa Kronthaler, et Brünnhilde Trine Moller, chanteuse danoise à la voix bien trempée. C’est évidemment l’occasion de découvrir des voix nouvelles (Ric Furman en Siegmund, Artyom Wasnetsov en Hunding,  à un moment où bien des chanteurs wagnériens arrivent en fin de carrière. C’est aussi l’occasion de découvrir les artistes de la troupe bâloise qui est loin d’être médiocre.
Évidemment impossible de connaître l’approche scénique sinon qu’elle portera sur la question du patriarcat, et qu’il y aura des marionnettes.
De toute manière, un Ring ne se rate pas, d’autant que celui-ci est à portée de main.

 

Ein Ring Festival
En écho aux représentations du Ring, plusieurs manifestations de complément sont prévues, en illustration, en contraste, changeant les contextes, dans et autour du théâtre concentrées entre septembre et octobre, avec aussi des initiatives surprenantes et heureuses, comme de mettre en vente deux places pour Die Walküre (mais aussi pour d’autres titres comme Carmen, Requiem et Rigoletto) en fosse d’orchestre pour observer l’opéra « vu de la fosse ».

Pour ce Festival autour du Ring ont été invitées des compagnies de théâtre de milieux différents aussi bien que d’approches esthétiques diversifiées à adopter des perspectives ouvertes sur le drame de Wagner avec un regard critique. Le collectif Gintersdorfer/Klassen, qui travaille avec des performeurs de Côte d’Ivoire, rencontrera le duo de théâtre documentaire Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura. L’artiste sonore britannique Matthew Herbert développera une installation chorale participative sur la Theaterplatz. Ainsi est conçu le Festival « Ein Ring Festival » à partir du 9 septembre. Une série de late night et des manifestations d’introduction complètent ce programme de ‘Der Ring – Ein Festival’. Sans oublier que la ville de Bâle est traversée par le Rhin, lieu central de la Saga wagnérienne…

Rheinklang, ein Chorritual :
Compositeur : Matthew Herbert
Chorégraphie : Imogen Knight
Chœur et chœur supplémentaire du Theater Basel
Hommage au Rhin qui traverse la ville, avant chaque représentation de Rheingold entre le 9 septembre et le 6 octobre sur la Theaterplatz. Chants du chœur et bruits de l’eau du Rhin tissés par Matthew Herbert se mêlent en un prélude à la représentation..


Gold, Glanz und Götter
Du 10 septembre au 8 octobre
Concept et mise en scène :
Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura
Avec Klaus Brömmelmeier, Johannes Dullin, Sascha Bitterli, Lulama Taifasi, Nadejda Petrova Belneeva
La lutte pour le pouvoir est le moteur du Ring wagnérien. Les deux metteurs en scène Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura sont d’importants représentants du théâtre documentaire, héritier d’Erwin Piscator, qui plonge dans la réalité contemporaine pour en dénoncer les dérives. Ici, il s’agira d’explorer les centres de pouvoir à Bâle à partir des implications politiques de l’œuvre de Wagner. Le spectacle conçu comme un parcours se déroulera dans les coulisses du théâtre la plupart du temps interdits au public (deux représentations par jour, de 18h à 19h30 et de 20h à 21h30. 

Der Youpougon-Ring
9 repr. du 22 sept. au 8 oct.
Concept: Monika Gintersdorfer et Knut Klassen
Avec Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Hauke Heumann, Gadoukou la Star (Edmond Franck Yao), Cora Frost, Annick Prisca Abgadou, Spaguetty Mazantomo etc…
(Dans la grande salle)
Une performance qui passe au crible les thèmes du Ring et ses mythes entre magie, domination, culte des héros, au travers de diverses formes d’expression esthétiques et culturelles, danse, culture pop etc… dans une perspective transculturelle s’appuyant notamment sur des artistes ivoiriens.

 

 

Novembre 2023-Mai 2024
Herbert Grönemeyer
Pferd frisst Hut

  • du 4 nov. 2023 au 18 mai 2024 (Dir : Thomas Wise/MeS : Herbert Fritsch)

Sinfonieorchester Basel

Le célèbre compositeur-interprète allemand Herbert Grönemeyer, l’une des stars de la pop outre-Rhin crée cette comédie musicale d’après « Le chapeau de paille d’Italie » de Labiche dans une mise en scène d’Herbert Fritsch, l’un des metteurs en scène les plus réclamés aujourd’hui sur les scènes du monde germanique (on lui doit par exemple  Il Barbiere di Siviglia à la Staatsoper de Vienne) et dirigé par l’américain Thomas Wise directeur des formations musicales du Theater Basel.
Après les débuts du Ring Wagnérien, un contraste plus léger qui ne manquera pas d’attirer un nombreux public.

Janvier-juin 2024
Kurt Weill-Bertolt Brecht
Die Dreigroschenoper

15 repr. du 13 janv. au 19 juin 2024 – Dir : Sebastian Hoffmann/MeS : Antú Romero Nunes
Avec  Elmira Bahrami, Aenne Schwarz, Thomas Niehaus, Jörg Pohl, Barbara Colceriu, Sven Schelker, Paul Schröder , Chanteuse – Cécilia Roumi

Au Schauspielhaus
Dans le cadre plus réduit du Schauspielhaus, dans la mise en scène du directeur « Théâtre » du Theater Basel, Antú Romero Nunes de qui nous avions vu à Hambourg un Ring « parlé »  et qui aime travailler sur les frontières texte-opéra, voilà l’une des œuvres les plus difficiles à monter, et qui pourtant fait partie du répertoire classique de toute scène lyrique ou théâtrale. Opéra ou théâtre ou les deux, nous avons voulu inclure cette production marquée « théâtre » dans la programmation musicale du Theater Basel. Il sera intéressant de voir ce qu’en fait Antú Romero Nunes, justement à cause de la nature hybride de l’œuvre.

Février-juin 2024
Georges Bizet
Carmen

15 repr. du 3 févr. au 11 juin 2024. (Dir : Maxime Pascal/MeS : Constanza Macras)
Avec Edgaras Monvidas/Rolf Romei, Kyu Choi, Rachael Wilson/Jasmin Etezadzadeh, Sarah Brady etc…

(Existence de places en fosse)
Sinfonieorchester Basel

Maxime Pascal est devenu l’un des chefs français les plus demandés notamment dans le répertoire contemporain. On va l’entendre à Salzbourg dans The Greek Passion

de Martinu d’après Le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis. Le voilà dans la fosse pour l’opéra le plus connu du répertoire lyrique international, Carmen, à l’autre bout du spectre en quelque sorte. La chorégraphe Constanza Macras et sa compagnie Dorky Park combinent danse, texte, musique films en spectacles interdisciplinaires. Elle est en résidence à la Volksbühne de Berlin. Elle essaiera de s’attaquer à la diversité du mythe de Carmen dans toutes ses implications.  Dans la distribution, Edgaras Monvidas en Don José, bien connu des scènes lyriques et l’américaine Rachael Wilson, qui fut l’un des meilleurs éléments de la troupe de la Bayerische Staatsoper de Munich et désormais en carrière un peu partout.

Mars-mai 2024
Claudio Monteverdi

L’incoronazione di Poppea
11 repr. du 3 mars au 25 mai – Dir : Laurence Cummings – MeS : Christoph Marthaler
Avec Kerstin Avemo, Jake Arditti, Anne-Sofie von Otter, Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Stuart John Jackson etc…
La Cetra Barockorchester
Une représentation « historiquement informée » sous la direction de Laurence Cummings, solide spécialiste de ce répertoire. Une distribution de bon niveau, homogène, où l’on reconnaît Jake Arditti, le Nerone de la production 2022 d’Aix en Provence et surtout l’Ottavia de Anne-Sofie von Otter, chanteuse fétiche de Christoph Marthaler, qui signe la mise en scène. C’est l’un des phares de la mise en scène des trente dernières années, une figure incontournable toujours contestée et souvent incomprise, et qui pourtant entre sarcasme, ironie, mélancolie et poésie sert un théâtre toujours respectueux de la musique (il est lui-même musicien). Derniers spectacles vus, Giuditta de Lehár et Lear de Reimann à la Bayerische Staatsoper . Nous avions vu de lui à Bâle une Grande Duchesse de Gerolstein commençant en Offenbach et finissant en opéra baroque sur la guerre et la mort qui était un spectacle fort et dérangeant. On ne manque pas un Marthaler, il faut y aller sans aucune hésitation.

 

Avril-juin 2024
W.A.Mozart
Requiem

11 repr. du 20 avril au 15 juin – Dir : Ivor Bolton – Francisco Prat/MeS : Romeo Castellucci
Sinfonieorchester Basel (Existence de places en fosse)
Coprod. Festival d’Aix en Provence, Adelaide Festival, Wiener Festwochen, Palau des Arts Reina Sofia di Valencia, La Monnaie Bruxelles, Teatro San Carlo Napoli

La production du Requiem de Mozart au Festival d’Aix (édition 2019) avait été triomphalement reçue, pour sa fraicheur, sa vie foisonnante, sa poésie. Après Bruxelles et venant juste d’être présentée à Naples en mai 2023, la voilà au Theater Basel, dirigée par un grand spécialiste de ce répertoire Ivor Bolton (en alternance avec Francisco Prat) qui plus est directeur musical du Sinfonieorchester Basel. Si vous n’avez pas vu ce spectacle, c’est l’occasion de le découvrir, car il s’agit d’une des plus belles réussites de Romeo Castellucci.

Mai 2024
Ambroise Thomas
Mignon

20 mai 2024 (semi concertante) – (Dir : Hélio Vida – MeS : Tilman aus dem Siepen)
Collegium Musicum Basel
Opernstudio OperAvenir
Une production du Studio de l’œuvre de Thomas rare sur les scènes, mais célèbre à cause de Goethe (Mignons Lied, Kennst du das Land…), chaque théâtre d’un peu d’importance a un studio et ces centres de formation-apprentissage se sont multipliés ces dernières années.
La direction musicale est assurée par Hélio Vida, jeune chef brésilien formé entre autres à Nancy qui dirige le Studio du Theater Basel et la mise en scène (ou en espace) par Tilman aus dem Siepen, jeune metteur en scène formé à Berlin qui vient d’intégrer le Theater Basel comme assistant à la mise en scène.

 

REPRISES

Octobre-Décembre 2023
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia
10 repr. du 14 oct. au 31 déc. – Dir : Hélio Vida/MeS : Nikolaus Habjan
OpernStudio OperAvenir
Sinfonieorchester Basel
Nikolaus Habjan originaire de Graz est considéré comme l’un des maîtres de la mise en scène alliant marionnettes et acteurs. Il a produit ce Barbiere di Siviglia en fin de saison 2021-2022 pour le studio avec un beau succès et la production est reprise pendant les trois derniers mois de l’année 2023, notamment pour la période des fêtes du 15 au 31 décembre mais aussi en tournée à Zug et Winterthur. L’orchestre est dirigé par le directeur du studio OperAvenir Hélio Vida. Les reorésentations hybrides pour marionnettes sont fascinantes et valent le déplacement.

 

Octobre-Novembre 2023
Carl Maria von Weber

Der Freischütz
6 repr. du 15 oct. au 12 nov. – Dir : Titus Engel – MeS : Christoph Marthaler
Avec
Sinfonieorchester Basel

Un chef parmi les plus intéressants aujourd’hui qu’on a entendu ces dernières années à Lyon Genève et à Munich notamment (Giuditta, dans la mise en scène de Marthaler) et de nouveau ici avec la mise en scène de Christoph Marthaler. Ce couple seul vaut le voyage pour une œuvre très connue mais paradoxalement rarement représentée. La distribution n’est pas connue, mais l’équipe Engel/Marthaler est une garantie suffisante pour ne pas manquer cette reprise d’une production de l’automne 2022, aux couleurs tragicomiques, dans une société de chasseurs. L’univers de Marthaler est à la fois singulier, touchant et juste.

Novembre 2023-janvier 2024
Giuseppe Verdi
Rigoletto

10 repr. du 30 nov. au 21 janv. 2024 – Dir : Michele Spotti-Thomas Wise/MeS : Vincent Huguet

Avec Pavel Valuzhin, Nikoloz Lagvilava, Regula Mühlemann/ Álfheiður Erla Guðmundsdóttir
Sinfonieorchester Basel (avec places en fosse)
Michele Spotti après un Don Carlos qui a marqué la saison 2021-2022 est revenu à Bâle en 2022-23 pour une œuvre de Verdi plus populaire, Rigoletto, avec le même metteur en scène, Vincent Huguet. La production été plutôt bien accueillie notamment pour sa distribution et la direction musicale particulièrement colorée du jeune chef italien, et la reprise est affichée avec les mêmes. Autant d’arguments pour ne pas hésiter à faire le déplacement.

 

Conclusion

La saison lyrique du Theater Basel n’affiche que quelques rares stars, mais elle donne envie, parce que les initiatives autour des spectacles sont intéressantes, parce que l’offre est variée, tant au niveau des styles musicaux que de la couleur des mises en scène et parce que l’expérience montre que le niveau n’y est jamais médiocre.
Voilà bien des raisons pour lesquelles un lecteur intéressé par l’opéra doit penser à un déplacement à Bâle, parce qu’aucun théâtre français ni suisse n’a cette originalité ni cette couleur.

@DR/ Girlsberger

GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE (OPÉRA DES NATIONS) 2016-2017: DER VAMPYR d’après Heinrich MARSCHNER le 19 NOVEMBRE 2016 (Dir.mus: Ira LEVIN; Ms en scène: Antú ROMERO NUNES)

Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

Der Vampyr,
Opéra romantique en deux actes de Heinrich August Marschner, livret de Wilhelm August Wohlbrück
Créé au Theater der Stadt, Leipzig, le 29 mars 1828
Mise en scène : Antú Romero Nunes (reprise par Tamara Heimbrock)
Dramaturge : Ulrich Lenz
Décors : Matthias Koch
Costumes : Annabelle Witt
Lumières : Simon Trottet
Musique additionnelle : Johannes Hoffman

Avec :

Tómas Tómasson (Lord Ruthven), Chad Shelton (Sir Edgard Aubry), Laura Claycomb (Malwina), Maria Fiselier (Emmy), Jens Larsen (Sir Humphrey Davenaut), Ivan Turšic (George Dibdin).

Choeur du Grand Théâtre de Génève. Chef de chœur : Alan Woodbridge
Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Ira Levin

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Une initiative vraiment intelligente et stimulante : proposer l’un des succès de l’époque romantique d’un auteur, Heinrich Marschner dont certains grands (Wagner) se sont inspirés. Les représentations ou les enregistrements de Marschner se comptent sur les doigts d’une main et pourtant, c’est une musique qui a traversé l’époque : la musique haletante de Die Feen n’est pas sans rappeler le rythme continu et jamais essoufflé de Der Vampyr qui vient de triompher à l’Opéra des Nations, siège provisoire du Grand Théâtre de Genève. Les dimensions de la scène imposent de chercher des productions qui puissent d’adapter et empêchent les très grosses machines que permettait le Grand Théâtre.

Allié pour l’occasion à la Komische Oper de Berlin, le Grand Théâtre de Genève propose Der Vampyr dans la production de Antú Romero Nunes, le jeune metteur en scène allemand qui a travaillé souvent sur les livrets d’opéra. Il s’est fait connaître notamment par un travail sur Don Giovanni et a produit à Hambourg un spectacle singulier sur le Ring de Wagner, en s’appuyant exclusivement sur le livret qu’il a un peu trituré, à dire vrai. Pour ce Vampyr, il a complètement mis à plat un livret d’environ 3h, en le réduisant à 1h15 de musique.
On doit s’interroger sur l’opportunité de cette chirurgie. Car ce qu’on se permet sur Marschner, aujourd’hui largement inconnu, se le permettrait-on sur Wagner ou sur Verdi ? Dans la curiosité générale pour l’œuvre, on a souvent peu fait cas de l’avertissement clair du Grand Théâtre, il ne s’agit pas de l’opéra de Marschner mais d’un spectacle de théâtre musical sur Marschner : c’est Der Vampyr, d’après Marschner.  Si le Grand Théâtre de Genève a pris ses précautions, et respecte le contrat avec le spectateur, la validité de l’opération pose question.
Certes, Antú Romero Nunes est familier de la chirurgie sur les livrets et c’est un metteur en scène souvent adepte du « texte/prétexte », même si son Guillaume Tell à Munich en 2015 reste très sage et très respectueux. Mais de la même manière, un opéra inconnu reproposé sur les scènes mériterait à mon avis une présentation intégrale, peut-être plus difficile parce qu’il faut trouver les chanteurs qui puissent apprendre un opéra peu affiché sur les scènes et donc avec un rapport investissement /retour sur investissement problématique. Il est évidemment plus facile de convaincre des artistes de n’apprendre qu’un ou deux airs d’une version charcutée.
C’est un débat préalable. L’élargissement actuel des répertoires, qui est le corollaire de programmations trop conformes et d’un public moins stimulé par la nième Bohème ou la nième Traviata, qui çà et là commence à déserter les salles, exige une politique en la matière : ici on coupe les ballets (dans tous les opéras français à commencer par Faust), là des pans entiers du livret (rappelons-nous Rienzi réduit à un peu plus de deux heures à la Deutsche Oper de Berlin dans une production pourtant passionnante). C’est un problème de programmation et de politique culturelle. Ou bien l’on fait une opération culturelle de redécouverte d’une œuvre et on la présente dans sa structure d’origine, ou l’on explore d’autres voies.

Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

La Komische Oper de Berlin et le Grand Théâtre de Genève ont choisi une voie moyenne, s’appuyant à la fois sur la redécouverte de l’œuvre et la singularité du spectacle de Antú Romero Nunes. Nunes s’intéressant à la question du vampire et à la représentation de l’horreur (au sens des films dits d’« horreur ») et non à la question plus subtile du romantisme, de l’inquiétude, de la nature et des êtres limites et de la fragilité des jeunes filles rêveuses (Malwina est bien proche de Senta, fascinée par un être hybride et prête à se jeter dans les flots).
L’intérêt plus spécifique de Genève est aussi dû à ce que l’œuvre, au moins le texte de John Polidori, « The Vampyre », dont elle s’inspire, soit née dans les soirées de mauvais temps à la villa Diodati, à Cologny, au bord du Léman, où séjournaient Byron et les Shelley : la vision moderne du vampire et l’histoire de Frankenstein sont donc nés près de Genève comme le rappelle opportunément le programme de salle. Dracula vaut bien une messe noire…
Ainsi donc ce spectacle naît de plusieurs signes croisés, la volonté de présenter une œuvre singulière et peu connue, la volonté aussi de s’inscrire dans une identité locale, et celle probable de proposer un « arrangement » suffisamment étoffé pour que le public ait une idée claire de l’original de Marschner, et suffisamment référencé dans notre « modernité » pour que le spectacle ait un rythme et une allure non pas « archéologiques », mais celle d’un spectacle musical divertissant qui ait prise sur tous les publics. Pari réussi : le spectacle a fait un triomphe.

Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

Antú Romero Nunes a donc travaillé sur la représentation de l’horreur au théâtre, sur les effets sur le public, sur les références artistiques et notamment cinématographiques. D’une certaine manière et pour faire court : il fait un « film d’horreur théâtral » : les premières minutes après l’ouverture, sous lumière stromboscopique, font voir un vampire qui vient dans la salle enlever une frêle jeune fille hurlante au premier rang, pour la dépecer (cœur et intestins y passent) après avoir bu son sang. C’est vif, rapide, bien fait et dégoulinant. Suivent un chœur fait de zombies, référence à la Nuit des morts vivants, et des dépeçages en série : les membres volent, les entrailles explosent, et les personnages traversent ce bal singulier avec la tension voulue par l’ambiance.
À l’arrangement scénique correspond l’arrangement musical puisqu’à la musique de Marschner on a ajouté une musique contemporaine de Johannes Hofmann qui reproduit certaines musiques de films d’horreur : charcuter et truffer sont les deux mamelles de cette production. Il faut d’ailleurs reconnaître que l’articulation entre la musique originale et les inserts contemporains est très bien faite.

Au-delà des observations sur la justification de l’opération, d’une part, au-delà de la fidélité à l’œuvre, d’autre part, le spectacle fonctionne, les spectateurs rient, il est bien fait, rythmé, excessif en diable (si je peux me permettre l’expression) et les chanteurs sont parfaitement insérés dans la mise en scène. Mais il fonctionne comme un objet presque indépendant, une expérience sur l’horreur représentée, et sur les effets sur le public : si le film d’horreur avec sa relation au réalisme peut faire peur, le théâtre fait basculer l’ensemble dans la caricature, même surprenante, le sang pisse, les entrailles volent, et personne n’y croit (heureusement) mais s’amuse bien. Dans ce style les 80 minutes finissent par être répétitives.

Tomás Tómasson (Lord Ruthven) version séducteur Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Tomás Tómasson (Lord Ruthven) version séducteur Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

Dans la logique de l’histoire qui est histoire de séduction, Lord Ruthven tel qu’il est hypnotise peut-être mais ne séduit pas, c’est la relation au monstre qui est en jeu (il a des mains d’animal crochues par exemple) : la relation au séducteur Don juanesque est une des références possibles (même tonalité musicale d’ailleurs). Le Dracula de Christopher Lee avait quelque chose d’aristocratique et de séduisant, le vampire de Tómas Tómasson habillé par Annabelle Witt est un personnage de dessin animé ou de bande dessinée.
Le décor (Matthias Koch) fait de toiles peintes (les appartements de Sir Davenaut par exemple ou de projections, correspond au style des opéras du début du XIXème, et la chauve-souris initiale qui enserre un sablier qui à la place du sable fait couler le sang (un sanglier ? pardonnez, mais j’ai osé…) fait de loin penser à la représentation de la reine de la nuit (en araignée) dans la mise en scène de Kosky de Zauberflöte.
La production est faite de  décors légers qui conviennent bien à l’Opéra des nations, et qui en ont sans doute facilité le transport de Berlin. Seule originalité (si l’on peut dire) du dispositif scénique, un promenoir derrière la fosse d’orchestre qui permet un voisinage plus fort des spectateurs et du plateau, et un jeu amusant avec le chef d’orchestre chassé de son podium. Une production efficace, et probablement assez économique, avec de beaux effets multiples des éclairages (de Simon Trottet).

Tomás Tómasson (Lord Ruthven) version vampire Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Tomás Tómasson (Lord Ruthven) version vampire Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

En ce qui concerne le plateau, il affiche comme à Berlin Tómas Tómasson qui passe ainsi du débonnaire Hans Sachs (à la Komische Oper) au terrible Lord Ruthven. Toujours doué d’une diction remarquable, il affiche une voix à la sécheresse marquée qui a quelque difficulté avec la tension requise par le rôle, toujours violent. Les aigus passent mais quelquefois à la limite, et le timbre est relativement ingrat, ce qui peut fonctionner pour ce rôle. Il reste que le personnage est vraiment incarné, que le jeu est très juste, avec quelquefois cette légère touche aristocratique et une alternance de violence sauvage et de retenue (quand il est avec Davenaut et qu’il cherche à « épouser » Malwina.
L’histoire réduite se concentre sur deux des trois jeunes filles à séduire en 24h pour avoir l’autorisation de rester sur terre à hanter les vivants, la première est expédiée ad patres en quelques minutes, c’est celle qui est enlevée au public, la deuxième, Emmy, est aussi enlevée à l’amour des siens – et du jeune George Dibdin (Ivan Turšic) – après quelques péripéties, mais c’est Malwina qui sera la troisième, et qui sera sauvée. Ainsi donc la recomposition du metteur en scène implique-t-elle une gradation qui finalement correspond aussi à l’original.
Face à un lord Ruthven qui est un peu un ogre, le jeune George Dibdin (Georg est d’ailleurs le prénom choisi par Wagner pour Erik dans sa première version du Fliegende Holländer) confié à Ivan Turšic de la troupe de la Komische Oper (vu dans David des Meistersinger), avec sa voix claire et un joli timbre, il défend le rôle (très secondaire) non sans présence.
Face à Lord Ruthwen, le véritable ancêtre de l’Erik du Fliegende Holländer wagnérien, est Sir Edgar Aubry, déchiré entre sa loyauté envers Lord Ruthven, qu’il a suivi et dont il a découvert la véritable nature, et son amour pour Malwina. Confié au ténor américain Chad Shelton, le rôle a notamment un air assez tendu et difficile (les ténors de l’époque avaient toujours fort à faire) : la voix est claire, la diction impeccable et la préparation parfaite comme souvent avec les artistes d’outre atlantique, c’est un vrai ténor lyrique, mais avec du souffle et une belle projection, l’un des gros succès de la soirée.

Jens Larsen (Sir Humphrey Davenaut) en version Rossini Der Vampyr © GTG/Magali Dougados
Jens Larsen (Sir Humphrey Davenaut) en version Rossini Der Vampyr
© GTG/Magali Dougados

Enfin Jens Larsen, voix efficace de basse profonde, qui lui aussi appartient à la troupe de la Komische Oper de Berlin, est Sir Humphrey Davenaut, le père qui sacrifie sa fille en croyant la caser, une basse qui renvoie en version Dracula à un Don Magnifico rossinien (La Cenerentola remonte à 1817) qui serait alors un Don Horrifico. La situation en tous cas est la même.

Avec Malwina © GTG/Magali Dougados
Avec Malwina (Laura Claycomb)
© GTG/Magali Dougados

Du côté féminin, Laura Claycomb est Malwina : elle éprouve quelque difficulté à entrer dans le personnage, et si les notes sont faites, l’interprétation reste en retrait, sans véritable engagement et la prestation ne réussit pas à être vraiment convaincante parce qu’inexpressive dans un rôle qui se prête pourtant à travailler la diversité des sentiments. Cela reste un peu monocolore.

 

 

 

 

 

Avec Emmy Perth (Maria Fiselier) © GTG/Magali Dougados
Avec Emmy Perth (Maria Fiselier)
© GTG/Magali Dougados

En revanche la jeune Maria Fiselier, très récente recrue de la troupe de la Komische Oper, est une Emmy Perth convaincante, émouvante, avec une voix très bien placée et vibrante. L’expression du sentiment, la poésie, la fraicheur : tout y est et c’est elle qui emporte visiblement le cœur du public : une vraie découverte.

Le chœur du grand théâtre, bien préparé par Alan Woodbridge, et bien inséré dans la mise en scène, est lui aussi particulièrement convaincant, dans le rôle de groupe de morts vivants voulu par la mise en scène.
Ce devait être le russe Dmitri Jurowski dans la fosse et ce fut l’américain Ira Levin qui a fait une carrière entre l’Amérique du Sud (notamment au Colon de Buenos Aires) et divers théâtres allemands. Il a su parfaitement rendre la tension de cette musique et son halètement, son rythme continu et effréné, sa pulsation dramatique. L’orchestre lui répond de manière impeccable et l’on aurait aimé en entendre plus de l’œuvre avec ces couleurs-là et ce sens-là de la dynamique. Cette musique telle qu’elle a été concentrée n’a pas un moment d’apaisement, et ne laisse pas « tranquille ». Ce continuum de tension qui ressemble à une sorte de course à l’abîme fait évidemment penser à Weber, une source d’inspiration notable (on pense à Freischütz), mais aussi à certains moments des opéras de Schubert : il y a une sorte de couleur commune à ces opéras que Wagner va savoir utiliser notamment dans Die Feen, dont le halètement permanent et le rythme rappellent la musique de Marschner.
Voilà donc une redécouverte, en forme d’apéritif sanguinolent. On aimerait désormais qu’un théâtre ose la totalité de l’œuvre et reporte à la lumière ce succès notable du XIXème romantique. En tous cas, cet « assaggio » de Marschner a remporté les suffrages du public, qui a fait à cette production un très bel accueil. L’appel du sang ?[wpsr_facebook]

Malwina (Laura Claycomb), Sir Edgar Aubry (Chad Shelton), Sir Humphrey Davenaut (Jens Larsen ) © GTG/Magali Dougados
Malwina (Laura Claycomb), Sir Edgar Aubry (Chad Shelton), Sir Humphrey Davenaut (Jens Larsen ) © GTG/Magali Dougados

LES SAISONS 2016-2017 (7): GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Wozzeck (prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago
Wozzeck (prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago

Préserver l’industrieuse Genève des méfaits d’un théâtre, c’est ce qu’en une soixantaine de pages, le plus célèbre des genevois, Jean-Jacques Rousseau préconise dans sa fameuse « Lettre à D’Alembert sur les spectacles ». Mais au moment même où Rousseau écrit, cette opinion est déjà battue en brèche puisque l’opéra est représenté dans plusieurs salles, dont « La Grange des étrangers » puis le théâtre de Neuve, ancêtre de l’actuel Grand Théâtre inauguré en 1879. Le Grand Théâtre fait pour accueillir le Grand Opéra, il ouvre en effet avec le Guillaume Tell de Rossini. Il y a par ailleurs à Genève une vraie tradition wagnérienne : depuis la reconstruction du Grand Théâtre, incendié en 1951 (suite à une erreur de mise en place d’effets spéciaux pour Die Walküre) et réouvert en 1962, on a connu à Genève plusieurs productions du Ring complet, bien plus nombreuses qu’à Paris. La tradition historique du Grand Théâtre, c’est la grosse machine lyrique : si c’est Guillaume Tell qui ouvre en 1879 le Grand Théâtre tout neuf, c’est Don Carlos de Verdi qui ouvre en 1962 le nouveau théâtre de 1500 places à vision frontale, avec sa large scène, plus faite pour accueillir Les Huguenots ou Götterdämmerung que Cosi fan tutte.
J’ai abordé il y a quelques jours à propos de Zürich la situation de l’Opéra en Suisse, et notamment les trois théâtres les plus importants, Zürich, Genève, Bâle. Zürich est la capitale économique de la Suisse et son opéra est le plus riche. Genève est une ville internationale dont l’Opéra est le plus vaste du pays, et la plus grande scène, mais moins riche que Zürich. Il en résulte que chacune des deux institutions fonctionne selon les systèmes qui se partagent la culture lyrique d’aujourd’hui, Zürich, théâtre de culture germanique, est un théâtre de répertoire, et Genève, de culture plutôt latine, est un théâtre de stagione.

Si l’on s’appuie et sur l’histoire et sur la culture théâtrale locale, Genève est un théâtre de stagione plutôt destiné (historiquement, c’est pour cela qu’il est né) à promouvoir des grands spectacles : l’opéra de Genève est né pour célébrer une bourgeoisie travailleuse  et enrichie, qui voulait par son théâtre imiter…le Palais Garnier, dont le Grand Théâtre est le lointain cousin. Il n’y a pas de hasard si le suisse Rolf Liebermann, administrateur général de l’Opéra de Paris, l’un des grands princes de l’Opéra du XXème siècle, a fait en sorte qu’Hugues Gall, son bras droit, devienne l’heureux directeur du Grand Théâtre à partir des années 1980, où son action fut déterminante sur une quinzaine d’années. À son départ pour Paris en 1995, plusieurs directeurs se sont succédés, Renée Auphan, de 1995 à 2001, puis de 2001 à 2009 Jean-Marie Blanchard qui donna au Théâtre un incontestable prestige artistique, mais que des crises successives dans les dernières années, dues à des problèmes d’organisation technique et administrative, ont contraint à ne pas renouveler son contrat. C’est Tobias Richter, venu du Deutsche Oper am Rhein, qui en est depuis le directeur général
Pour une ville comme Genève, le Grand Théâtre est une nécessité en terme d’image: une ville siège de plusieurs organisations internationales doit avoir un théâtre de prestige ; c’est aussi une nécessité culturelle, et stratégique ; la plus grande ville francophone de Suisse se doit de répondre en écho à la plus grande ville germanophone. Mais autant le théâtre de Zürich reste par delà les vicissitudes une maison de référence, celui de Genève doit faire face quelquefois à des crises (à la fin des années Blanchard) mais aussi à des problèmes structurels (le Grand Théâtre est fermé pour deux ans à cause d’importants travaux sur la structure) et même à des problèmes d’identité culturelle : dans le concert des théâtres européens et francophones de référence, Genève a perdu un peu de relief, face à sa voisine Lyon à la politique artistique beaucoup plus dynamique, mais aussi face à des structures comme l’Opéra des Flandres ou La Monnaie, qui devraient être comparables à Genève et qui ont une ligne artistique plus lisible.
Il faut dire que Genève a aussi un fort handicap, qui est l’absence d’un orchestre maison : l’Orchestre de la Suisse Romande, qui fut l’une des plus prestigieuses phalanges d’Europe, se partage entre la fosse du Grand Théâtre et le podium du Victoria Hall, sans avoir réussi à retrouver un chef qui lui redonne le lustre perdu ni perméabilité des chefs: on voit rarement, très rarement même, le directeur musical de l’OSR dans la fosse de l’opéra, comme si on voulait bien marquer les domaines de chacun, alors qu’on gagnerait sans doute à plus de cohérence, mais aussi de cohésion. Espérons en Jonathan Nott, qui a si bien réussi à Bamberg, et qui est aussi un bon chef d’opéra.
Et dans les deux ans qui viennent, le Théâtre s’est replié dans la structure provisoire qui servit à la Comédie Française, le Théâtre éphémère devenu à Genève Opéra des Nations, situé dans le voisinage des Nations Unies, une structure à la capacité moindre (un millier de places) et aux possibilités techniques inférieures au Grand Théâtre, ce qui impose une programmation plus limitée en termes de répertoire, qui correspond bien moins à la tradition maison : au Grand Opéra et à Wagner, dont la dernière production du Ring (Metzmacher, Dieter Dorn et Jürgen Rose) a constitué le climax des dernières années, va se substituer un travail sans doute concentré sur l’Opéra Comique français (tradition française oblige), le Bel Canto (qui rappelons-le est plutôt destiné à ces salles de dimensions moyennes), Mozart et le baroque (qui n’est pas vraiment la tradition locale, bien que la Salle Théodore Turrettini, dans le bâtiment des Forces motrices, ouverte en 1997, se destinât originellement à ce type de répertoire).
Enfin, la question du public de Genève se pose : un public vieillissant, plutôt traditionnel, et mondain, et une politique qui n’est pas vraiment dirigée vers les jeunes générations (de 20 à 45 ans) : le public de Lyon par comparaison a une moyenne d’âge inférieure à 50 ans et une forte proportion de public de moins de 25 ans. Reconstituer un public, cela prend du temps, et les travaux actuels ne facilitent pas l’entreprise.
Comme on le voit, la situation n’est pas simple et tout lecteur de la saison de Genève doit avoir en tête et cette histoire, et cette tradition, et surtout les conditions actuelles de travail, techniquement plus limitées, qui impliquent une offre à la fois plus modeste et plus diversifiée, mais en même attirante pour déplacer le public de la Place Neuve en plein centre, aux marches de la Ville.

La tradition de la stagione est respectée, pour une saison de septembre à juin (de 10 mois) et sept nouvelles productions. La question technique de l’adaptabilité des formats de production à l’Opéra des Nations fait que les productions maison du Grand Théâtre peuvent difficilement rentrer dans la salle provisoire, et qu’il faut donc soit produire du neuf, soit coproduire, soit louer des spectacles ailleurs, et pour garantir des levers de rideau en nombre correct, proposer d’autres formes, comme le théâtre pour enfants, les récitals ou l’opéra en version de concert. Ce sont 30 mois de jonglage qui attendent l’administration du Théâtre.

PRODUCTIONS d’OPÉRA

SEPTEMBRE

Manon de Jules Massenet
La saison s’ouvre sur un des opéras les plus populaires du répertoire français, pour un des grands mythes de la littérature, de la scène et du cinéma, le mythe de Manon (tiens, d’ailleurs un Festival « Manon » aurait sans doute été bienvenu, avec les ballets et les films, mais aussi des œuvres en version de concert comme la suite de Manon écrite par Massenet Le Portrait de Manon, ou l’opéra comique d’Auber ) . En complément est prévue seulement la Manon Lescaut de Puccini en concert.
La direction musicale est assurée par le slovène Marco Letonja, un chef de qualité directeur musical du Philharmonique de Strasbourg, (qui avait déjà dirigé la Medea de Cherubini) et la mise en scène par Olivier Py, qui revient à Genève après sa trilogie du diable (sous Blanchard) sa Lulu et son célèbre Tannhäuser qui fit découvrir certaines réalités masculines à des spectateurs qui n’en revenaient pas (et Nina Stemme par la même occasion). Olivier Py, digne directeur du Festival d’Avignon, s’est beaucoup assagi, d’aucuns diraient assoupi, mais cela garantit quand même un niveau de qualité enviable.
La distribution affiche Patricia Petibon et Bernard Richter, deux garanties. Patricia Petitbon qui était la Lulu de Py, sera sa Manon, d’ici à faire un lien entre les deux, il n’y a qu’un pas que franchit d’ailleurs le pitch du site du Grand Théâtre.
Coproduction avec l’Opéra Comique de Paris, dont l’espace et les possibilités scéniques ne sont pas trop différentes de l’Opéra des Nations, et qui lui aussi est en travaux…
Du 12 au 27 septembre (8 représentations)

NOVEMBRE

Der Vampyr, de Heinrich Marschner

Voilà une excellente initiative qui va faire courir tous les curieux de nouveauté, et surtout les lyricomanes. On dit toujours que l’opéra wagnérien naît de l’écoute de Weber et de Schubert, bien sûr on oublie les italiens, mais on oublie surtout Marschner qui à l’époque avait autant de succès que les autres dans le genre de  l’opéra fantastique. Sur un livret de Wilhelm August Wohlbrück, d’après Der Vampir oder die Totenbraut (1821) de Heinrich Ludwig Ritter, basé sur la nouvelle The Vampyre de John Polidori.  La production présentée cette saison à la Komische Oper Berlin a évidemment fait couler quelques quantités d’encre, dans une mise en scène du metteur en scène allemand Antú Romero Nunes, ce qui nous garantit le tripatouillage du livret dont il s’est fait la spécialité, lui qui s’est fait connaître en présentant des livrets d’opéra en version théâtrale. C’est un metteur en scène inconnu hors d’Allemagne (on lui doit notamment à Munich un Guillaume Tell très sage et un Ring sans musique à Hambourg). Y aura-t-il à Genève les coupures qu’on lui a reprochées à Berlin ?
En tous cas la distribution est stimulante, avec notamment Tómas Tómasson (Klingsor dans le Parsifal de Barenboim/Tcherniakov à Berlin), Jens Larsen (en troupe à la Komische Oper), Shawn Mathey  et Laura Claycomb. L’orchestre sera dirigé par le remarquable Dmitri Jurowski, ce qui garantit une très haut niveau musical.
Du 19 au 29 novembre (7 représentations). Il FAUT aller voir ce spectacle, vaut le TGV, et tous moyens de transports possibles y compris le bus si on habite le genevois français ou Annemasse.

DÉCEMBRE-JANVIER

La Bohème, de Giacomo Puccini
J’écrivais dans la présentation de saison de Zürich que « toute reprise de La Bohème est alimentaire ». À l’évidence, cette série de 12 représentations avec grosso modo 2 distributions en période de fêtes est faite pour remplir et salle et caisses. Il est évident qu’il faut des opéras populaires pendant ces deux ans de travaux, et les anciens se souviendront qu’à Paris, La Bohème, qui est entrée au répertoire du Palais Garnier en 1973, était auparavant un titre destiné à l’Opéra Comique au format bien plus réduit. Cette version conviendra donc à l’Opéra des Nations.
Deuxième règle : pour attirer le public pour les grands standards de l’opéra, il ne faut surtout pas l’effrayer . Et donc il est à attendre une mise en scène sage. Mathias Hartmann a réalisé une Elektra à Paris sous Mortier, et c’est la même équipe qui a fait le Fidelio  du Grand Théâtre de la saison 2014-2015 qui n’avait pas fait l’unanimité. L’orchestre sera dirigé par Paolo Arrivabeni l’un des chefs habitués de ce répertoire, et la distribution est solide sans être exceptionnelle. Rodolfo sera Aquiles Machado qui roule sa bosse entre Las Palmas et Moscou dans les rôles traditionnels de ténor italien. Mimi sera d’une part la charmante Ekaterina Siurina, et d’autre part Ruzan Mantashyan, soprano lyrique qui a débuté il ya deux ou trois ans et qui a beaucoup chanté Musetta.
Musetta en revanche sera en alternance Julia Novikova soprano colorature qu’on commence à voir dans de nombreux théâtres et la jeune Mary Feminear des jeunes solistes en résidence  au Grand Théâtre. A dire vrai, cette distribution est un peu passe partout, on compte sur l’effet “titre” pour attirer le public, et pas vraiment sur les solistes.
À noter, plus intéressant, un spectacle jeune public de Christof Loy sur « Les scènes de la vie de Bohème » préparatoire à cette série de représentations (voir plus loin)
Du 21 décembre au 5 janvier (12 représentations).

JANVIER FÉVRIER

Il Giasone, de Francesco Cavalli.
Un opéra de carnaval, qui traite évidemment des amours de Médée et de Jason, en version moins tragique que d’habitude. C’est l’excellent Leonardo Gárcia Alarcón qui dirigera la Capella Mediterranea, son orchestre, choisi pour cette série de représentations, ce qui garantit évidemment la cohésion et un travail approfondi alors que l’an dernier (pour Alcina les musiciens de la Capella Mediterranea assuraient seulement le continuo). Il est bon de créer des fidélités, notamment dans un répertoire moins familier du public de ce théâtre. Cela permet de tisser des liens artistiques et musicaux, mais aussi de fidéliser un public peut-être nouveau. Avec le transfert à l’Opéra des Nations, il serait bon d’afficher une ligne de programmation en évolution, qui puisse inclure ce type de collaboration plutôt stimulante.
C’est le jeune et talentueux contreténor Valer Sabadus qui sera Giasone, et la mezzo norvégienne spécialiste de ce répertoire Kristina Hammarström, vue dans Alcina cette saison, tandis que Dominique Visse le grand contreténor français sera Delfa.
Une belle distribution, bien construite, dans un spectacle qui sera mis en scène par l’italienne Serena Sinigaglia dans des décors d’Ezio Toffolutti, c’est à dire une ambiance sans doute plutôt traditionnelle mais élégante, ce qui changera de l’analytique David Bösch (Alcina cette année), invité cette prochaine saison pour Mozart.
Du 25 janvier au 7 février (7 représentations)

MARS

Wozzeck (prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago
Wozzeck (prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago

Wozzeck d’Alban Berg

Wozzeck (Thomas Koniezcny)(prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago
Wozzeck (Thomas Koniezcny)(prod.McVicar) ©Andrew Cioffi/Lyric Opera Chicago

Une production louée, pour un opéra qu’on ne reprend pas régulièrement. On peut supposer que c’est une décision peut-être récente parce que la distribution est en cours, et que seul le Wozzeck du remarquable Tomasz Konieczny est affiché (mais c’est déjà une garantie) qui a créé la production en 2015 à Chicago. La production est de David McVicar, au modernisme modéré (un type d’approche qui convient aux USA) et qualifiée « d’humaniste » par la critique américaine. L’orchestre sera dirigé par le suisse Stefan Blunier le GMD de l’opéra de Bonn et directeur musical du Beethoven Orchester Bonn (qui devrait quitter ses fonctions en fin de saison).
Du 2 au 14 mars 2017 (7 représentations)
Production du Lyric Opera de Chicago

MAI

Così fan tutte, de W.A.Mozart
Il eût été étonnant que dans une salle aussi adaptée à Mozart que l’Opéra des Nations, celui-ci fût absent. Così fan tutte, 6 chanteurs, recours au chœur limité, est un opéra idéal pour ce type de lieu au rapport scène-salle très favorable. La distribution est soignée, Veronica Dzihoeva (Fiordiligi), Alexandra Kadurina (Dorabella), Steve Davislim (Ferrando), Vittorio Prato (Guglielmo), Monica Bacelli (Despina) et Laurent Naouri (Don Alfonso), l’orchestre est dirigé par Hartmut Haenchen le chef allemand qu’on va voir pas mal dans la région puis qu’il dirige Elektra et Tristan à Lyon, et la mise en scène est confiée à David Bösch, le metteur en scène en vogue en ce moment (il vient de proposer Idomeneo à Anvers, il prépare Meistersinger à Munich et il a mis en scène Alcina à Genève)
Du 30 avril au 14 mai (8 représentations)

JUIN

Norma (Prod Wieler Morabito) ©OperStuttgart
Norma (Prod Wieler Morabito) ©OperStuttgart

Norma, de Vincenzo Bellini.
Je vis Norma il y a déjà longtemps à Genève (June Anderson, Inès Salazar). On compte sur les doigts les productions de Norma qui tiennent la route et on attend le moment où la Scala aura le courage de mettre à l’affiche cet opéra qui y manque depuis une  quarantaine d’années (dernière Norma scaligère: Caballé). C’est une gageure. Le récent forfait d’Anna Netrebko attendue à Londres en est une preuve. Il faut une Norma, et le marché en a plusieurs, mais aucune n’est incontestable, sauf la Bartoli, mais dans des conditions spéciales. Sans doute la réussite dans Medea d’Alexandra Deshorties à Genève a donné l’idée de lui confier le rôle de la druidesse. Elle sera entourée de Marco Spotti dans Oroveso, et Ruxanda Donose dans Adalgisa; Pollione n’est pas encore distribué…
La production a été louée à Stuttgart, elle remonte à 2002  et elle est signée Jossi Wieler et Sergio Morabito dans des décors d’Anna Viebrock, la décoratrice fidèle de Christoph Marthaler. La production a voyagé, en Russie, en Sicile, et a été assez souvent reprise à Stuttgart où elle avait obtenu le qualificatif d'”Event of the Year” à sa création; c’est l’américain John Fiore (Parsifal à Genève, Tristan à Zürich), un authentique musicien de grande qualité qui dirigera l’OSR.
Du 16 juin au 1er juillet (7 représentations)

Norma (Prod Wieler Morabito) ©OperStuttgart
Norma (Prod Wieler Morabito) ©OperStuttgart

A ces sept productions, on doit ajouter trois titres en version de concert qui complètent la programmation.
The indian Queen, de Henry Purcell
La dernière œuvre de Purcell que son frère acheva, une histoire d’amour entre Aztèques et Incas. Concert unique pour ouvrir la saison en profitant d’une tournée de MusicAeterna, et de son chef Teodor Currentzis, une star fantasque de la baguette, ainsi que des chœurs de l’opéra de Perm, qui présentent en version de concert une production de 2013 de l’Opéra de Perm.
Avec Johanna Winkel, Paula Murrihy, Ray Chenez, Jarrett Ott, Christophe Dumaux, Willard White.
Le 4 septembre 2016.

Manon Lescaut, de Giacomo Puccini
Pour faire écho à la Manon de Massenet, celle d’un Puccini encore jeune qui par cette Manon Lescaut devient une célébrité. Pour l’occasion, sont invitées les forces du Teatro Regio de Turin sous la direction de leur chef Gianandrea Noseda. Manon Lescaut sera Marie José Siri, Des Grieux Gregory Kunde, et Lescaut confié à Dalibor Jenis.
Le 30 mars 2017

Orleanskaya Deva (Орлеанская дева )(La Pucelle d’Orléans).
Une rareté, dans la saison de l’OSR, qui aura lieu au Victoria Hall, un opéra dérivé de Die Jungfrau von Orléans de Schiller, pour 3 soirées.
La distribution comprend Ksenia Dudnikova (Jeanne d’Arc), Migrant Agadzhanyan (Charles VII) et Mary Feminear (Agnès Sorel), tous deux jeunes solistes en résidence au Grand Théâtre de Genève, et entre autres, Roman Burdenko et Aleksey Tikhomirov. L’orchestre de la Suisse romande sera dirigé par le remarquable Dmitry Jurowski.
Les 6, 8 et 10 avril 2017

Et dans la programmation quelques productions pour la jeunesse qu’il faut signaler

Le chat botté, de César Cui. César Cui, un compositeur russe important du XIXème siècle (mort en 1918) qui n’est pratiquement plus jamais représenté. C’est l’occasion de découvrir sa musique dans une production de Strasbourg de 2013, dirigée par Philippe Béran et dans une mise en scène de Jean Philippe Delavault. Les interprètes en sont les jeunes solistes en résidence à Genève.
Dates : Octobre, sans autre précision

Scènes de la vie de Bohème, d’après Henry Murger et Puccini.
Version pour piano de La Bohème de Puccini, présentée en 2011 au Deutsche Oper am Rhein à Düsseldorf, sur une idée de Christof Loy pour jeune public
Pas d’autres précisions et dates prévues entre fin novembre et décembre 2016, en amont des représentations de La Bohème.

Pierre et le Loup/le Carnaval des animaux
Une spectacle créé en octobre 2016 qui devrait être donné tout au long de la saison où Philippe Béran initiera les enfants à la chose musicale (instruments)
Pas d’autres précisions

 

Enfin, un certain nombre de récitals :

13 septembre 2016, 19h30
Thomas Hampson,
baryton

29 septembre, 19h30
Erwin Schrott, Rojotango
Erwin Schrott le baryton basse avec 7 musiciens aborde l’univers du tango.

 Mercredi 12 octobre, 19h30
Camilla Nylund, soprano,
Helmut Deutsch, piano
Wagner, Mahler, Strauss

27 janvier 2017, 19h30
Christian Gerhaher, baryton,
Gerold Huber, piano
Schumann

Vendredi 17 mars à 19h30
Joyce di Donato, mezzo soprano
Orchestre (lequel ?) dirigé par Maurizio Benini

Mardi 9 mai à 19h30
Karita Mattila,
Ville Matvejeff, piano

Dimanche 28 mai, 19h30
John Osborn/Linette Tapia

Samedi 17 juin, 19h30
Patricia Petibon
Suzanne Manoff, piano
La saison 2016-2017 de Genève ne manque pas d’intérêt, même si tout n’est pas d’égale qualité, du moins sur le papier. La situation impose effectivement moins de productions, et habilement la saison est présentée sans faire la différence entre les représentations scéniques et les concerts : on est piégé par la présentation du site.
Justement, les spectacles de complément (notamment les spectacles pour enfants et les récitals) semblent présentés par le site un peu à la va vite, sans dates, sans grandes précisions comme si les choses étaient encore en cours…. Quant aux récitals, à part les textes de présentation un peu racoleurs, certains indiquent vaguement un programme, d’autres même pas de pianiste ou d’orchestre, ni évidemment de programme. Je ne suis pas particulièrement bégueule, mais cela me paraît de la part d’un théâtre de ce niveau un peu léger. En principe, les programmes sont annoncés, les pianistes sont annoncés. Annoncer le nom seul veut dire que le public va aller au concert sur le seul nom…Au moins une phrase du genre “Programme TBA” serait acceptable a minima. C’est se moquer gentiment de son public que de procéder ainsi.
Et puisque la saison présente un nombre de productions réduit, pourquoi ne pas envisager des actions de complément autour des productions qui enrichiraient la programmation sans énormes frais supplémentaires (projections, conférences).
Enfin, que pour une production aussi importante que Wozzeck la distribution ne soit pas indiquée ne laisse pas d’étonner. Où est la précision horlogère suisse ? [wpsr_facebook]

Der Vampyr (Prod.Antú Romero Nunes) ©Iko Freese :drama-berlin.de
Der Vampyr (Prod.Antú Romero Nunes) ©Iko Freese :drama-berlin.de

MÜNCHNER OPERNFESTSPIELE – BAYERISCHE STAATSOPER 2013-2014: GUILLAUME TELL de Gioacchino ROSSINI le 2 JUILLET 2014 (Dir.mus: Dan ETTINGER; Ms en scène: Antù Romero NUNES)

Guillaume Tell ©Wilfried Hösl
Guillaume Tell ©Wilfried Hösl

Guillaume Tell (1829) a été créé pour l’Opéra de Paris qui ne lui a pas rendu cet honneur : une seule production récente (il y a douze ans environ) et jamais reprise pour cette œuvre essentielle dans l’histoire et le débat sur l’art lyrique . Elle clôt la période productive de Rossini et tout ce qui rattache le « genre opéra » aux formes du XVIIIème, pour en ouvrir une autre, dont Rossini sera la référence, celle du grand opéra et du melodramma romantique. Inutile de revenir sur l’incroyable gloire de Rossini dans l’Europe musicale de l’époque, il suffit de savoir que des saisons entières de la Scala sont construites autour de titres du cygne de Pesaro et ce pendant des années.
Guillaume Tell est une œuvre aux dimensions importantes, aux formes variées, airs, bel canto, ballet mais aussi chœurs gigantesques, grands ensembles, concertati : elle dure plus de 4h – même si le bistouri est passé à Munich pour la réduire à 3h… et c’est un mauvais point car pour des œuvres aussi rarement données, on peut s’interroger sur le sens des coupures. Il faudrait au contraire présenter les raretés in extenso et notamment avec les musiques de ballet.

Il reviendrait à l’Opéra de Paris d’en proposer une version de référence, si les éditions le permettent parce qu’avec Rossini, la dernière édition à la mode n’est jamais la définitive, et surtout si les programmateurs de cette maison avaient des idées et surtout si on commençait à prendre en compte son histoire et ses traditions. Mais je viens de m’apercevoir que j’ai utilisé deux mots, histoire et tradition, qui font très mal. Mieux vaut pour Paris prononcer les mots standard et gestion. C’est donc Munich qui fait cet honneur à une œuvre qui est l’une des deux nouvelles productions des prestigieux Opernfestspiele 2014, dans une mise en scène assez surprenante du jeune Antú Romero Nunes, un des metteurs en scène très en vue de la jeune génération allemande (il est né à Tübingen) et qui plus est spécialiste du théâtre de Schiller, dont les librettistes de Rossini, Étienne de Jouy et Hyppolite Bis, se sont librement inspirés.
Il signe là sa première mise en scène d’opéra.
Il faudrait longuement disserter sur Rossini et son rôle moteur dans la production musicale de l’époque. S’il a su diversifier son écriture en italien, en produisant aussi bien des opéras bouffe que des opéras seria, il va conquérir rapidement à Paris ses galons de compositeur de référence, et conçoit des nouvelles versions en Français d’opéras déjà écrits comme Il Viaggio a Reims dont il reprend la musique pour faire Le Comte Ory, ou Maometto II dont il fait Le Siège de Corinthe, ou Mose’ in Egitto dont il fait le superbe Moïse et Pharaon avec une écriture qui s’élargit et qui correspond à l’Opéra de Paris, déjà perclus du fantasme de l’énormité. Il a compris qu’à Paris, la grandeur est la nourriture quotidienne : incontestablement à l’époque Paris est la capitale de la musique…tempus fluctuat.
Guillaume Tell constitue une réelle nouveauté : Rossini s’essaie à des formes nouvelles, notamment dans les ensembles, dont toute la période romantique va s’inspirer, tout en gardant les caractères de sa musique, les fameux crescendo dont la scène finale est un exemple parfait à la fois de fidélité et de réadaptation, les acrobaties vocales sont moins gratuites et démonstratrices, et plus liées à  des ressorts psychologiques : il s’y montre plus proche d’un Verdi par exemple. Et il va aussi rompre avec l’air qui arrête l’action, suspendu, pour l’insérer mieux dans la trame générale.
L’intrigue de Guillaume Tell , directement inspirée du drame de Schiller Wilhelm Tell (1804) plonge dans la légende de la conquête de l’indépendance des Cantons suisses sur l’occupant Habsbourg. Un souffle de liberté court l’opéra, et là aussi Rossini sent les aspirations du présent (on est en 1829, et Charles X qui le protège d’ailleurs et lui a versé une pension royale au propre et au figuré, n’en a plus pour très longtemps).
Abondance de personnages, mais peu de voix solistes : un baryton pour Tell, un ténor (à aigus…) pour Arnold et un soprano lirico colorature (un peu spinto quand même) pour Mathilde. Si Guillaume Tell est le titre de l’ouvrage, et la scène la plus spectaculaire la fameuse épreuve de la pomme, l’opéra est construit sur deux couples, Guillaume Tell et son fils Jemmy, un rôle de Travesti héroïque, et Arnold fils du Pasteur Melcthal et Mathilde, fille de l’empereur, qui s’aiment malgré la distance sociale et politique entre eux..

Guillaume Tell scène I  ©Wilfried Hösl
Guillaume Tell scène I ©Wilfried Hösl

On pourrait penser que l’horrible Gessler, qui gouverne au nom de l’Empereur et exerce sur les suisses un pouvoir tyrannique, ait un rôle essentiel. Il n’en est rien : il apparaît essentiellement dans la seconde partie, et notamment dans la scène de la pomme.
Si la voix de Tell et celle de Gessler sont assez bien définies (beaucoup de barytons peuvent chanter Tell, beaucoup de basses peuvent chanter Gessler), il en va tout autrement d’Arnold et Mathilde, qui constituent le nœud de toute distribution de Guillaume Tell.
Arnold est un rôle de ténor, demandant une certaine épaisseur vocale, une voix douée d’une bonne assise, mais surtout des aigus ravageurs. Un type de ténor qu’on a déjà un peu rencontré dans l’Aménophis de Moïse et Pharaon, il faut là-dedans un Gedda (style, diction, aigus), plus qu’un ténor rossinien traditionnel de type Florez.
Nicolai Gedda, Chris Merritt, Luciano Pavarotti l’ont chanté : Merritt et Gedda avaient le style (en français) Pavarotti les aigus, mais pas tout à fait le style (encore que pour la version italienne…). Arnold, c’est Henri des Vêpres Siciliennes de Verdi doublé d’Enée des Troyens. Soit le ténor impossible.
Au disque Mathilde a été chantée par Caballé (en Français) et par Cheryl Studer et Mirella Freni(en italien). Caballé avait les aigus, la ductilité et la largeur voulue (n’oublions jamais que Caballé a aussi été une Sieglinde), Cheryl Studer n’était colorature que dans sa tête. Il faut une chanteuse capable d’agilités, capable de contrôle sur la voix, capable de notes filées, capable de chanter pianissimo, mais aussi fortissimo. Freni est Freni, mais elle ne restera pas la Mathilde du siècle.
Le dernier enregistrement est celui de Antonio Pappano avec l’Accademia di Santa Cecilia et Gérard Finley dans Tell, John Osborn, dont c’est le répertoire, en Arnold ;  Mathilde est Malin Byström, peu compréhensible et sans grand intérêt. Quant à Antonio Pappano, ce répertoire lui va bien : vivacité, finesse, rondeur.
Certes, le rôle de Mathilde peut être chanté en italien et on pourrait trouver quelques voix possibles, mais c’est une œuvre qu’il faut afficher en français, car elle installe un genre qui fera florès dans les années qui suivent, le Grand Opéra à la française.

Bref, que d’aiguilles à chercher dans la même botte de foin.
Comme je l’ai souligné, la représentation munichoise, en français (c’est bien) a été sérieusement coupée (c’est mal). Les coupures, quand elles sont si importantes procèdent le plus souvent d’un accord entre le chef et le metteur en scène. Elles concernent la plupart du temps (c’est le cas ici), le ballet. On aurait pu trouver des solutions semblables à celles trouvées pour Don Carlos, de Bieito  à Bâle où la musique de ballet avait été exécutée en flonflon à l’entracte dans le foyer, ou mieux, celle de Konwitschny qui avait fait du ballet une pantomime désopilante « Rêve d’Eboli ». Rien de tout cela ici. Le ballet, rupture dramaturgique, n’a sans doute pas les faveurs de Antù Romero Nunes
Les coupures concernent aussi des reprises non faites, des airs raccourcis etc…
Pour des opéras longs à la dramaturgie lâche, le metteur en scène désire le plus souvent éviter de diluer l’intrigue et préfère la muscler en raccourcissant, d’autant quand il veut construire un concept .
Antù Romero Nunes dont c’est la première mise en scène d’opéra a fait un travail typique de Regietheater : lecture du livret, analyse de situation, liens possibles avec l’actualité ou possibilités d’actualisation, élaboration d’un concept dramaturgique appuyé sur la situation mais pas forcément sur le livret. La lecture de l’œuvre se propose d’en révéler des possibles, pour éviter d’être illustrative et paraphrastique.
J’ai lu ailleurs que ce spécialiste de Schiller n’en respectait pas toujours le texte ou les vers. Comme Castorf, il plie le texte à une problématique que le théâtre doit illustrer : voilà un théâtre dramaturgique et conceptuel, un théâtre œuvre  autonome et non serviteur d’une œuvre .
Avec un matériau comme Tell, il dispose de la Suisse et sa nature, élément essentiel dans le travail de Rossini, d’une occupation totalitaire sadique et violente, d’un amour impossible entre un suisse et une princesse issue de la famille impériale et donc de l’occupant, et d’un Guillaume Tell apparemment issu d’une famille bien ordinaire , une famille de « braves gens » au sens de Brassens, avec une femme , très mère suisse à défaut d’être mère juive, remettant son nœud de cravate lors des fêtes, s’occupant de son enfant, un peu hyperactif et GuillaumeTell, affligé de pulls over assez croquignolesques dont tout enfant redoute de voir sa grand mère en tricoter…

Drapeau étoilé européen ©Wilfried Hösl
Drapeau étoilé européen ©Wilfried Hösl

Le propos est clair : il s’agit de projeter l’action à l’éclairage d’une Suisse d’aujourd’hui, qui vient de faire parler d’elle pour quelques votations isolationnistes et vaguement xénophobes qui serait remplie de familles tranquilles et bien pensantes, et entourée par des puissances extérieurs agressives (l’Europe, nous est suggéré un drapeau étoilé qu’on agite à l’apparition de Gessler, mais une Europe déjà noire et fascistoïde). Ainsi est suggéré qu’à la situation de Tell, libérateur d’une la Suisse réellement envahie, se superpose la situation d’aujourd’hui d’une Suisse se vivant comme agressée par l’extérieur, Tell devenant porteur non plus de liberté, mais de clôture, d’où la vision petite bourgeoise de la famille (désopilante Madame Tell de Jennifer Johnston) et du petit peuple de bonnes gens autour de leur Pasteur Melcthal qui chantent le Seigneur, les cieux, le travail et les amours : Travail Famille Patrie.
Nunes suggère évidemment une nation confinée autour de valeurs de petits blancs. L’image initiale de ces couples de mariés qui chantent leur bonheur dans le giron de Dieu, et l’air de Ruodì accours dans ma nacelle, timide jouvencelle du genre pastorale, devient un air de mariage, fondement de la famille : on le verra aussi dans la caricature qu’est la famille Tell.
Ce peuple suisse gentillet est donc un peu rabougri et au final dangereux. Dans cette vision, les bons ne sont pas si bons (Tell est très dur avec Arnold) et le couple Mathilde/Arnold (Mathilde ne chante pas dans l’ensemble final) finit dans l’ambiguïté : Mathilde s’éloigne seule, mais Arnold la retient d’une main, pendant qu’il chante avec les autres « liberté redescends des cieux »…on ne sait ce qu’il adviendra…
Est-il pertinent de substituer aux Habsbourg l’Union Européenne qui serait oppressive et qui empêcherait les vaillants petits suisses de vivre pleinement leur liberté ? Nunes a une vision très radicale de l’affaire, et veut réellement détruire le message inscrit dans l’œuvre, qui est évidemment pour Rossini qui sent le vent tourner, une manière d’évoquer l’esprit révolutionnaire français : quelques mois plus tard, c’est 1830…et déjà sur la scène on chante « liberté redescends des cieux »…
Au service de ce message au total ambigu parce que personne ne se sauve vraiment, une construction particulièrement complexe, qui veut mettre au centre la scène de la pomme, qui achève dans le suspens la première très longue partie (près de 2 heures) : Tell tire, l’enfant s’écroule, rideau.
La deuxième partie s’ouvre sur l’ouverture traditionnelle, déplacée au climax de l’œuvre : elle s’accompagne de changements d’ambiances rapides dans le décor, comme si le ballet du décor racontait l’histoire, comme si Jemmy qui vient d’être sauvé par l’habileté du père s’arrêtait une fraction de seconde (du genre Les Choses de la Vie de Claude Sautet) pour voir défiler sa courte vie. L’Ouverture célébrissime devenant un concentré d’histoire.
Fallait-il déplacer l’ouverture et la mettre au centre de l’œuvre  comme un moment suspendu, j’en doute, d’autant que la musique de Rossini est très claire dans l’ouverture et présente la problématique de l‘ensemble de l’œuvre, le début en solo de trois violoncelles, place la nature sereine comme élément porteur de l’œuvre. La deuxième partie renvoie à la nature sauvage, la tempête (comme dans beaucoup d’opéras de Rossini, il y a une tempête, à la fois dans l’ouverture et dans la dernière partie de l’œuvre : la tempête semble avoir englouti Tell mais il s’est sauvé, comme les vrais héros) et la troisième partie (la cavalcade) renvoie évidemment à la guerre et aux hommes. Nature sereine, nature troublée, humain serein, humain guerrier. C’est une histoire en elle-même : était-il besoin de la faire glisser ailleurs pour raconter à peu près la même histoire, pour donner de l’épaisseur à Jemmy (du genre tempête sous un crâne…). Un Jemmy souvent négligé et qui ici devient un personnage central, vivant, extraordinairement interprété par la magnifique Evguenyia Sotnikova, d’une confondante vérité, d’une fraîcheur inouïe (et quelle voix !).

Teel, Jemmy, Gessler  ©Wilfried Hösl
Teel, Jemmy, Gessler ©Wilfried Hösl

Car tout commence à rideau ouvert et salle discrètement éclairée, dans le silence, puis, brutalement, sans crier gare, un assassinat dans une lumière aussi crue que l’ambiance précédente était douce, puis sans transition, en contraste, les couples de mariés chantant Quel jour serein le ciel présage. Tout cela en à peine 30 secondes. Oui, c’est incontestablement du bon théâtre, avec ses effets, sa virtuosité, mais peut-être aussi inutile.
Nunes est sans doute un excellent metteur en scène : d’emblée, il construit avec des éclairages de Michael Bauer très efficaces et remarquables de netteté, de vraies ambiances, de vraies ruptures, une vraie dramaturgie. Il sait aussi parfaitement gérer les foules, le chœur compose des mouvements particulièrement étudiés, parfaitement antinaturels aussi : il ne s’agit pas de faire comme si on était dans la vie, mais composer une image de théâtre ; il travaille aussi sur la manière de dire le texte, demande aux chanteurs d’insister sur certaines syllabes, d’appuyer sur certains mots, c’est le cas pour Michael Volle (à la diction parfaite…), enfin s’il ne travaille pas trop sur les interactions entre personnages, il travaille quand même beaucoup sur les attitudes, très étudiées : nous sommes sans conteste au cœur de la cérémonie théâtrale, celle qui se donne à voir, d’une manière presque maniériste et alors qu’il modernise l’action, il propose d’une manière syncrétique Tell le petit bourgeois à lunettes qui va tirer sur son fils non au pistolet comme chacun s’attend à le voir faire dans cette ambiance complètement modernisée, mais avec une arbalète, conformément à la légende : là aussi on oscille entre l’histoire, son interprétation et le regard sur l’histoire : Tell en vieux pull tirant à l’arbalète, c’est à la fois incongru et conforme, inquiétant et rassurant. Comme l’ensemble de ce travail.
Enfin, le décor envahissant et fascinant de Florian Lösche, occupe bonne part de l’attention, un décor en perpétuel mouvement, fait d’ énormes tubes, je dirais de tuyaux d’orgues disposés en maison, en cathédrale (magnifique) en forêts, mais aussi en montagnes : manière d’être le plus antiréaliste possible et en même temps fortement évocateur, notamment à l’aide des éclairages de face ou d’arrière, vers la salle, englobant le théâtre dans l’ensemble. Au passage, quelle perfection technique, des mouvements énormes qui bouleversent l’espace sans cesse, mais dans un incroyable silence ! Un décor en mouvement de tubes parallèles ou qui se croisent, des tuyaux d’orgue qui sont autant de pièces isolées, fermées les unes aux autres, qui enferment, sans libérer, qui bougent fascinent et écrasent sans jamais vraiment être invitantes, comme autant d’obstacles : des pièces de métal glacé porteuses du pessimisme ambiant.
Et pourtant au total, pouvons nous suivre Nunes dans sa vision ? Avec toutes ces qualités, conceptuelles et techniques, avec son sens du mouvement et de la vision, avec son sens profond de ce qu’est le théâtre, il a péché par excès : trop de choses, trop d’enjeux derrière les yeux, pas assez de simplicité. Chercher les degrés de profondeur et les possibles d’une intrigue fonctionne jusqu’à un certain point. J’ai évoqué plus haut l’ouverture et sa double valeur illustrative avec un discours musical et un discours scénique, le décor impressionnant qui envahit trop la scène : on passe son temps à chercher à identifier les formes qui se construisent et se déconstruisent souvent d’ailleurs au rythme de la musique. À trop vouloir signifier, même avec une virtuosité technique et théâtrale impressionnante, à trop tirer la corde à la fin elle se casse. Qu’emporterons-nous de cette vision ? De belles images, quelques jolies idées : l’idée qu’Europe et Suisse aujourd’hui sont plongées dans la même violence, qu’au rabougri suisse correspond l’assèchement humain d’une Europe trop étouffante, que tout le monde est dans le même sac, que même l’amour s’étiole, ou survit à peine. Que Tell et Gessler exercent tous deux la même violence, l’une identifiée et totalitaire, l’autre tout aussi totalitaire, mais pire encore car elle se cache sous le masque de la bonne conscience. La bonne conscience contre l’absence de conscience de l’ennemi.

Arnold et Mathilde, un couple...lointain ©Wilfried Hösl
Arnold et Mathilde, un couple…lointain ©Wilfried Hösl

À ce titre je crois que Nunes eût pu s’intéresser plus à Mathilde qui finit par trahir l’occupant-l’Empereur son père- non pas au nom de son amour, mais au nom de l’humanité (envers Jemmy).
Beaucoup de subtilité, trop sans doute pour une œuvre qui demandait d’abord à être écoutée et lue du public : le message est brouillé.
Cette extrême complexité du propos (il faudrait aussi relever les traces schillériennes de cette lecture) refuse totalement l’idée de nature profuse, si présente dans la musique de Rossini. Luca Ronconi à la Scala, avec ses vidéos gigantesques de cascades, de lacs, d’eaux en mouvement et de prairies, et son décor en forme de parlement bernois, inscrivait la Suisse et ses clichés comme élément porteur de l’œuvre. Antù Romero Nunes lui a préféré la Suisse en creux, celle cachée par les clichés et il nous dit qu’elle n’est pas bien belle, mais en même temps le non-Suisse ne l’est pas non plus ; personne n’est à sauver…la musique peut-être.
La musique justement, emmenée par Dan Ettinger. Le chef israélien propose une lecture techniquement en place, et claire, avec un souci de ne pas imposer de vision monolithique. C’est un bon chef , mais qui n’est pas là à mon avis dans son répertoire.
En effet, le son est souvent trop fort, sans beaucoup de place pour la légèreté, pour la douceur, pour la souplesse. Cette musique est bien plus fluide, que ce que nous avons entendu et qui manquait de legato, et singulièrement de ligne. Il a subi quelques huées, injustes, qui lui reprochaient sans doute d’avoir déplacé l’ouverture. Une direction sans couleur, sans doute plus scandée que rythmée, pleine d’aspérités. Une direction plutôt premier degré, qui n’essaie pas d’accompagner la mise en scène dans sa manière de creuser le propos. Pourtant, on voit à quelles sources Verdi a puisé certains moments de son Nabucco, et le dynamisme de certains ensembles, et Ettinger ne fait pas grand chose pour révéler tout ce que cette musique peut avoir de novateur sous ses airs faussement ronflants : c’est une musique alternant énergie et légèreté, subtilité et force, fragilité et solidité, avec un extraordinaire dynamisme, et souvent une très grande poésie.
Il reste qu’Ettinger est un chef d’opéra, très attentif aux voix, et les voix sont sans doute ce soir ce qui a été le plus convaincant, comme souvent à Munich, avec son cortège de petits rôles parfaitement tenus notamment par la troupe : le Walter Furst de Goran Jurić par exemple, à la voix sonore et chaude, le Rodolphe de Kevin Connors avec ses faux airs de Mussolini des Alpages, le Leuthold sonore de Christian Rieger, l’excellent Ruodì d’Enea Scala, au timbre séduisant et suave, même si la technique d’attaque des aigus a été un peu malmenée au début , l’Hedwige de Jennifer Johnston, un « type » fagoté en tailleur rouge, très naturelle en scène, très disponible pour le jeu et l’ironie.

Jennifer Jonhston
Jennifer Jonhston

Le Melcthal père de Christoph Stephinger impose une voix forte, bien projetée, bien timbrée aussi, sans beaucoup d’harmoniques mais très correcte pour le rôle.

Günther Groissböck
Günther Groissböck

Le Gessler de Gunther Groissböck n’est pas aussi impressionnant que d’habitude, sans doute à cause de la langue avec laquelle il a un peu de difficulté. Lui qui d’habitude dit les textes avec une justesse et une clarté exceptionnelle s’en sort mal avec le français, mais il impose scéniquement un vrai personnage, avec des attitudes d’une grande force, et une manière de marcher très particulière à la fois martiale et hésitante qui m’a séduit.
Evguenia Sotnikova est un Jemmy exceptionnel, par le jeu d’abord, enfant insupportable, du genre salle gosse hyperactif et qui se glisse partout, on a peine à reconnaître un soprano derrière cette figure d’enfant mal degrossi mais surtout avec une voix éclatante, qui s’impose à l’aigu avec une extraordinaire facilité et domine les ensembles, qui sait aussi être émouvante, une vraie découverte que cette chanteuse qui a fait ses classes à Saint Petersburg puis dans l’opéra-studio du Bayerische Staatsoper.

Michael Volle, Dan Ettinger, Marina Rebeka
Michael Volle, Dan Ettinger, Marina Rebeka

Marina Rebeka, qui vient de Riga en Lettonie est encore un soprano peu connu en France, mais qu’on commence à entendre aussi bien au Royaume Uni qu’en Allemagne : elle est Mathilde. Cette voix plus habituée à Traviata et aux rôles plus légers de lirico-colorature, n’a pas une prononciation française claire, ni d’ailleurs une diction exemplaire, mais malgré le français le chant passe quand même avec beaucoup d’élégance. La voix n’a peut-être pas suffisamment d’assise, manque de largeur pour le rôle, mais aussi bien les agilités que les notes filées, aussi bien le bel canto que le plus héroïque réussissent à imposer un personnage peut-être fragile, mais cohérent. J’ai l’habitude de Mathilde plus imposantes physiquement et vocalement, mais Marina Rebeka, dont le timbre n’est peut-être pas exceptionnel, arrive à émouvoir et à chanter avec beaucoup de sensibilité.
Bryan Hymel lui non plus n’a pas un timbre à faire rêver, la voix ne se distingue pas par des beautés spécifiques, mais, technique américaine oblige (pour moi, il n’y pas de formation plus solide que la formation anglo-saxonne), il y a tout : d’abord une diction exemplaire, le seul dont on comprenne chaque mot, prononcé clairement, projeté avec élégance, ensuite, une grande facilité à l’aigu, bien ouvert, sûr, et un beau contrôle sur la voix et sur le souffle qui permet des filati, des notes tenues. Bref, un Arnold comme il se doit, avec les qualités et la vocalité du rôle. Même si la présence en scène reste un peu frustre, c’est un magnifique artiste, à réserver pour tout rôle de ténor impossible du répertoire français, qui en a tout un rayon à offrir.

Michael Volle
Michael Volle

Enfin, Michael Volle est un Guillaume Tell en grande forme vocale, avec une voix large, sonore, dont l’amplitude remplit avec facilité la salle du Nationaltheater. Lui aussi est doué d’une diction exemplaire, peut-être juste un peu moins claire qu’Hymel, mais avec un sens des mots, et de la couleur qui stupéfie. On sait bien que Volle est un immense baryton ; il prend ici le public presque à contre emploi tant on le pensait éloigné de ce type de répertoire. Le rôle est imposant, mais stylistiquement moins problématique  qu’Arnold. Volle s’en empare, en fait un personnage étonnant, avec ses cravates tordues, ses pulls impossibles et ses lunettes qu’il enfile (avec juste raison) au moment du tir sur la pomme, personnage étonnant dont le look ne correspond pas à la voix, d’une incroyable noblesse. Grandiose prestation.

Voilà, vous avez peut-être trouvé mon propos très développé, mais on ne rencontre pas Guillaume Tell tous les jours, et vous l’avez compris, j’ai pour Rossini une grande admiration et pour cette œuvre une immense tendresse. Pour l’écouter, je vous renvoie à Freni, Pavarotti, Milnes, Ghiaurov avec Chailly, pour la version italienne un peu en technicolor (mais il faut vendre), et pour la version française, un Lamberto Gardelli un peu trop plan-plan, mais Gedda, mais Caballé, mais surtout notre grand Gabriel Bacquier. Vous voulez des surprises ? plongez-vous dans ce Rossini-là. [wpsr_facebook]

Munich, 2 juillet 2014
Munich, 2 juillet 2014