LA SAISON 2024-2025 DE L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS

C’est la Grande Boutique, c’est même la plus grande boutique au monde, avec ses deux théâtres dont chacun à lui seul pourrait faire le bonheur d’une grande capitale. L’Opéra Bastille est plus vaste que la plus grande salle d‘Allemagne, celle de Baden-Baden, et Garnier équivaut à Scala, Vienne ou Covent-Garden.

À Paris, pour étancher la soif d’opéra et de ballet de cette capitale bien connue comme phare de la musique mondiale, il faut deux salles d’un total de 4700 places à remplir.

L’État (alors de gauche) l’a voulu ainsi.
Conséquences ?

  • Il faut financer deux maisons au fonctionnement différent, et la moindre grève (un mot qui n’est pas inconnu chez les personnels de l’opéra) risque de faire vaciller le fragile équilibre de la maison. C’est ainsi que l’institution a été lourdement mise à mal ces dernières années avec les mouvements sociaux divers et la crise du coronavirus.
  • Il faut remplir au mieux les salles par une politique capable à la fois de rameuter les foules par des productions tiroir-caisse tout en gardant çà et là cette inévitable touche de « modernité » que sont les mises en scènes qui feront hurler un public parisien d’opéra assez peu disponible et peu ouvert mais qui feront un peu de buzz médiatiqIl faut à l’instar d’un théâtre de répertoire, remplir les cases vides des distributions de manière assez industrielle, avec un peu de stars et beaucoup de tout venant, et la nouvelle troupe locale composée de 9 chanteurs est encore un embryon de ce qui serait nécessaire pour faire tourner la boutique sur des forces locales, d’ailleurs on en parle moins…
  • Il faut ne pas (trop) faire appel aux stars de la baguette, chères et capricieuses, comme ce Gustavo Dudamel qui a eu le front de démissionner à peine (ou presque) nommé au poste de directeur musical de la maison.
    Faut-il d’ailleurs un directeur musical ? Les spectateurs ont-ils vu la différence depuis le départ de Dudamel ? Les productions qu’il avait dirigées étaient-elles si miraculeuses qu’on s’en souvienne encore avec des sanglots d’émotion ?
    Un directeur musical dirige quelques titres par an (trois à quatre au mieux) mais travaille surtout avec l’orchestre lors des concerts : c’est là qu’il se frotte au travail artisanal répété, c’était ce que faisait Barenboim à Berlin ou Abbado à Milan et encore plus Muti à la Scala à qui on reprochait même de trop diriger.
    Sans directeur musical, il y aura la saison prochaine seulement deux concerts symphoniques, concentrés en septembre et décembre 2024, et dans mon souvenir, il n’y a jamais eu de vrais cycles, comparables aux Akademiekonzert de Munich, à ceux de l’Orchestra del Teatro alla Scala, doublés par la saison de la Filarmonica della Scala à Milan, ou de la Staatskapelle Berlin à Berlin, et je ne parle pas du Philharmonique de Vienne, composé pour l’essentiel de musiciens de l’orchestre de la Wiener Staatsoper.
    Autre option, le directeur musical est là comme Sawallisch jadis à Munich, pour 70 soirées par an. Plus aucun chef ne le fait. Allez demander à un Jurowski (à Munich) ou à un Chailly (à Milan, deux productions par an) un tel régime !
    D’ailleurs, peu de stars de la baguette consentent désormais à descendre dans la fosse d’un opéra qu’ils ne dirigent pas par ailleurs comme directeur musical, sauf exceptions (Vienne un peu, Berlin un peu et Milan, vraie exception cette saison qui accueille notamment Thielemann et Petrenko)

Et à Paris, en 2024-2025, au milieu de chefs dont le niveau oscille de médiocre à très bon, il n’y aura qu’une seule star, Teodor Currentzis.

Mais l’État, surtout en cette période, ne veut pas d’ennuis avec l’opéra, de ces crises dont la longue histoire de la maison nous a abreuvés. L’État ne veut pas de directeurs provocateurs à la Mortier, ou flamboyants à la Lissner, il veut la paix et la concorde et surtout pas de vagues.
Ainsi, il semble avoir trouvé en Alexander Neef le gendre idéal, discret, bon gestionnaire, ne provoquant pas de polémiques, dans le vent pour introduire de la diversité, à l’écoute, et pas trop marqué artistiquement pour ne pas dire complètement plat de ce côté. Pour une fois, on n’entend pas de bruits sourds autour de lui ni de rumeurs dans les salons. Il vient donc d’être prolongé jusqu’en 2032, un mandat exceptionnellement long ce qui veut dire pour la puissance publique « tranquille pendant 8 ans » … On testera sur pièces car en la matière on en a vu d’autres.
En tous cas, Alexander Neef si tout va bien durera tout le temps du mandat du prochain Président (ou de la prochaine Présidente) de la République…

A – OPÉRA

Voici donc la saison 2024-2025 de L’Opéra National de Paris, qui ne mérite (au moins pour le lyrique) ni excès d’honneur, ni indignité. Le plat pays qui est le mien…
Nous verrons ce qu’il en est du ballet, particulièrement important à Paris.

Les productions :
Note :
je ne comprends toujours pas la politique affichée en matière de titres. A priori on donne le titre en français (on est en France scrogneugneu), mais The Rake’s progress et non La carrière d’un libertin, Il Trittico et non Le Tryptique, et L’Isola disabitata non L’île déserte et Il viaggio, Dante et pas Le Voyage, Dante. Il faut être logique. Ou tout, ou rien. Alors je donne les titres originaux dans la langue dans laquelle les opéras seront donnés, ce qui est après tout le plus logique.

Nouveaux spectacles :

Offenbach : Les Brigands
Rameau : Castor et Pollux
Wagner : Das Rheingold
Debussy : Pelléas et Mélisande
Haydn : L’Isola disabitata

Dusapin : Il viaggio, Dante
Puccini : Il Trittico

Reprises :
Verdi : Falstaff
Puccini : Madama Butterfly
Gounod: Faust
Donizetti: La Fille du régiment
Mozart : Die Zauberflöte
Stravinsky : The Rake’s Progress
Verdi : Rigoletto
Janáček : Příhody lišky Bystroušky (la petite renarde rusée)
Bellini : I Puritani
Verdi : Don Carlos
Massenet : Manon
Rossini : Il Barbiere di Siviglia
19 titres dont 7 nouvelles productions, 7 opéras en français mais 5 opéras de répertoire français, ce qui est respectable et rassurera les vestales gallicanes.

a) Nouvelles productions :

Comme toujours, les nouvelles productions sont concentrées dans la deuxième partie de l’année, pour facilités d’exécution budgétaire.
APJ= Avant-première jeunes

Septembre-octobre 2024/Juin-juillet 2025
Jacques Offenbach : Les Brigands
9 repr. du 21 sept au 12 oct/8 repr. du 26 juin au 12 Juil.
APJ 18 sept.
Dir : Stefano Montanari (Sept-Oct)/Michele Spotti (Juin-Juillet)/MeS : Barrie Kosky
Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Helene Schneidermann, Doris Lamprecht etc…
Palais Garnier
Barrie Kosky a intérêt à réussir son coup pour remplir Garnier pendant 18 représentations, mais il est familier du fait. Deux chefs, Stefano Montanari, spécialiste de belcanto, baroque et Rossini, et donc très préparé à Offenbach, et Michele Spotti qu’on a entendu à Berlin dans La Belle Hélène et à Lyon dans Barbe Bleue avec une distribution solide faite de tous les spécialistes du genre, comme Vidal, Beuron et surtout Naouri, mais on note aussi deux piliers du lyrique Doris Lamprecht et Helene Schneidermann, qui savent remplir les scènes par leur intelligence et leur présence. À ne pas rater évidemment.

Janvier-Février 2025
Jean-Philippe Rameau : Castor et Pollux
12 repr du 20 janvier au 23 février 2025 – Dir : Teodor Currentzis/MeS : Peter Sellars
APJ le 18 janvier
Avec Jeanine de Bique, Stéphanie d’Oustrac, Reinoud van Mechelen, Marc Mauillon
Orchestre et chœur Utopia
Palais Garnier
Une opération « à la mode » et « à la mode salzbourgeoise », sans doute conçue ailleurs que dans les officines parisiennes, puisqu’on retrouve la paire Currentzis/Sellars (comme leur Clemenza di Tito par exemple) et que Teodor Currentzis en cure de dépoutinisation vient avec son nouvel orchestre et son chœur Utopia. Belle distribution, magnifique opéra, et opération habile qui va rameuter les foules. Encore une production à ne pas rater.

Richard Wagner : Das Rheingold
7 repr. du 29 janv. au 19 fév. – Dir : Pablo Heras-Casado / MeS : Calixto Bieito
APJ le 25 janvier
Avec Ludovic Tézier, Brian Mulligan, Gerhard Siegel, Marie-Nicole Lemieux, Eve-Maud Hubeaux, Simon O’Neill etc…
Opéra-Bastille
Mon petit doigt me dit que les dates permettent aux amateurs étrangers en goguette de coupler Wagner et Rameau, curiosités esthétiques de l’hiver à l’Opéra. C’est une production Lissner prévue avec Philippe Jordan, qui a sauté avec le Covid et les très noires heures de l’Opéra de Paris quand il s’y met. Voilà donc enfin ce Ring, en espérant que Calixto Bieito soit plus inspiré que dans ses dernières productions.
Avec Pablo Heras Casado au pupitre, cela nous donne un vrai Ring Ibérique. Je n’ai pas trouvé Heras-Casado renversant à Bayreuth dans Parsifal, ni dans aucun opéra où je l’ai entendu, mais sans doute me trompé-je car les trompettes de la renommée ne cessent de sonner, à vide pour mon goût.
Pour moi, le seul véritable attrait, c’est évidemment Ludovic Tézier en Wotan, il a la voix et le charisme, et si ça marche comme c’est probable il sera le Wotan réclamé partout ailleurs dans les prochaines années parce qu’on a besoin de nouveaux Wotan. Sinon, une distribution sans indignité, avec Hubeaux en Fricka (belle idée) et Lemieux en Erda, mais hélas Brian Mulligan en Alberich, et là c’est une vraie mauvaise idée (mais à Paris on a un vrai tropisme anglo-saxon qui fait prendre des vessies pour des lanternes) face à Gerhard Siegel Mime qui lui est un grand chanteur. Quant à Simon O’Neill en Loge… voire les tropismes locaux.


Février-Mars 2025
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
9 repr. du 28 février au 27 mars 2025 – Dir : Antonello Manacorda / MeS : Wajdi Mouawad
APJ le 25 février
Avec Sabine Devieilhe,  Sophie Koch, Huw Montague Rendall, Gordon Bintner, Jean Teitgen etc…
Opéra-Bastille
La production de Robert Wilson a largement fait son temps, de 1997 à 2017 et une nouvelle production se justifie. Confiée à Wajdi Mouawad, elle devrait attirer le public vu la popularité de l’artiste. La distribution avec Sabine Devieilhe et Sophie Koch, ne souffre pas de discussion, le Golaud de Gordon Bintner, interprète expressif et de forte présence scénique non plus, ainsi que l’Arkel de Jean Teitgen . On pousse beaucoup (effets d’agences…) en ce moment Huw Montague Rendall, chanteur très élégant et bon acteur, et le voilà en Pelléas mais la voix relativement petite risque de se perdre dans le vaisseau Bastille. Ce chanteur avait en effet déjà des difficultés à se faire entendre à Munich dans Il Conte des Nozze di Figaro.
Quant au choix d’Antonello Manacorda en fosse, alors qu’il ne manque pas de bons chefs pour Debussy, il est inexplicable et me laisse plus que quelques doutes.

Pascal Dusapin
Il viaggio, Dante
6 repr. du 21 mars au 9 avril – Dir : Kent Nagano / MeS : Claus Guth
APJ le 19 mars
Avec Bo Skovhus, Giacomo Prestia, Dominique Visse, David Leigh, Christel Loetzsch
Jennifer France.
Palais Garnier
« Operatorio » très habilement mis en scène par Claus Guth et déjà à Aix magnifiquement dirigé par Kent Nagano, ce voyage dantesque arrive à Paris avec une distribution modifiée puisque Bo Skovhus à la présence scénique saisissante succède à Jean-Sébastien Bou dans le rôle de Dante et David Leigh à Evan Hughes dans celui de Virgilio.
Le travail de Pascal Dusapin avait été accueilli favorablement à Aix, espérons qu’il en soit de même à Paris.

Avril-mai 2025
Giacomo Puccini : Il Trittico
10 repr. du 29 avril au 28 mai – Dir : Carlo Rizzi /MeS : Christof Loy
APJ le 26 avril
Avec Asmik Grigorian, Karita Mattila, Hanna Schwarz, Roman Burdenko, Misha Kiria, Enkelejda Shkosa, Joshua Guerrero etc…
Opéra-Bastille

Il Trittico n’a pas bénéficié à Paris de plusieurs reprises, c’est la troisième production, et aucune des deux autres n’a été reprise. On aurait pu rêver que la production de 2010 signée Luca Ronconi et présentée en 2008 à la Scala soit reproposée, comme hommage à un des grands metteurs en scène disparus, même si le spectacle a été étrillé par la presse… Mais Ronconi ne doit pas être très connu dans les étages élevés de l’Opéra-Bastille.
On reprend donc la production salzbourgeoise de Christof Loy. C’est un bon metteur en scène, en espérant que cette fois on puisse reprendre plusieurs fois le spectacle, même si Il Trittico est un défi pour les théâtres, à cause de sa distribution nombreuse et complexe.
En fosse, Carlo Rizzi. Faute de meilleure idée (mais en a-t-on beaucoup à Paris en la matière ?), c’est une assurance tous risques contre les aventures, chef très solide qui portera sans nul doute une distribution qui est celle de Salzbourg ou peu s’en faut toute construite autour d’Asmik Grigorian, la vedette de la soirée, qui chante les trois rôles, à la manière des grandes du passé.
Autour d’elle, quelques autres grandes (Karita Mattila, Hanna Schwarz), des chanteurs de la nouvelle génération comme Joshua Guerrero, belle voix de ténor entendue dans Faust de Mefistofele à Rome et surtout l’excellent Misha Kiria, qui explose dans les rôles bouffes rossiniens, et qui sera ici GiannI Schicchi. Enfin une grosse erreur à mon avis, Roman Burdenko dans Michele, baryton solide mais jamais convaincant dans des rôles italiens même s’il avait convaincu Salzbourg…
Une production toute faite, conçue ailleurs, c’est du garage de luxe et non une politique artistique. Mais au moins, le succès sera au rendez-vous.

Spectacle de l’académie
Mars 2025
Joseph Haydn : L’Isola disabitata
6 repr. du 11 au 21 mars 2025 – Dir : NN /MeS : Simon Valastro
2 matinées scolaires les 17 et 20 mars
Spectacle de l’Académie.
Amphithéâtre de la Bastille
Un metteur en scène qui est danseur et chorégraphe, Simon Valastro, pas de chef désigné, et spectacle accueilli (enterré ?) dans l’amphithéâtre de Bastille.
La Scala programme systématiquement en septembre dans la grande salle le spectacle de son Académie avec chœur et orchestre de jeunes dans un opéra du répertoire et une production éprouvée et populaire avec un bon chef et avec au moins une star dans la distribution faite pour le reste des membres de l’académie. Et la salle est remplie de jeunes. C’est une idée intéressante pour valoriser un travail non ?
A Munich, la Bayerische Staatsoper la prochaine saison confie son festival Ja,Mai ! à son studio. Et le plus souvent c’est au théâtre Cuvilliés, prestigieux théâtre baroque, que la production (une vraie nouvelle production) est accueillie.
Deux exemples qui montrent qu’on peut confier une vraie production et non une production à l’économie qui est marquée immédiatement « spectacle de jeunes ». Politique bizarre qui montre un manque de confiance dans les artistes qu’on forme et surtout le soin de limiter les pertes. Un Rossini à Garnier à des prix accessibles et très ouvert aux jeunes pourrait faire au moins un petit événement. Mais non. On reste dans le confidentiel sans gloire. Minable et comme souvent, sans imagination.

 

b) Reprises de répertoire

Septembre 2024
Giuseppe Verdi : Falstaff
7 repr. du 10 au 30 septembre 2024 – Dir : Michael Schønwandt – MeS : Dominique Pitoiset
Avec Ambrogio Maestri, Iván Ayón RIvas, Marie-Nicole Lemieux, Andrei Kymach, Olivier Boen, Gregory Bonfatti, Federica Guida.
Opéra-Bastille.
On commence la saison petit-pied avec une reprise sans grand intérêt. Certes, le Falstaff d’Ambrogio Maestri et la Quickly de Marie-Nicole Lemieux, mais une mise en scène passe-partout et un chef pas vraiment idoine pour cet opéra de chef. À ignorer.

Septembre-octobre 2024
Giacomo Puccini : Madama Butterfly
A : 8 repr. du 14 sept au 6 oct.
B : 6 repr. du 10 au 25 oct.
Dir : Speranza Scappucci MeS : Robert Wilson
Avec :
A : Eleonora Buratto, Aude Extrémo, Stefan Pop, Christopher Maltman, Carlo Bosi etc…
B: Elena Stikhina, Aude Extrémo, Stefan Pop, Christopher Maltman, Carlo Bosi etc…
Opéra-Bastille.
Après le début de saison pour remplir le vide avec Falstaff, cette Butterfly est faite pour que le touriste de passage puisse aller à Garnier pour Les Brigands et voir cette Butterfly vieille de 31 ans mais signée Robert Wilson en 1993 à Bastille, qui a rendu bien des services au tiroir-caisse. Avec une cheffe populaire (Speranza Scappucci) et une alternance de deux Butterfly, une chanteuse (Buratto) et une fausse gloire (Stikhina) on espère remplir Bastille, on remarque Aude Extrémo en Suzuki, on est surpris de Maltman en Sharpless qui mérite un plus beau rôle, complètement sous-distribué, et on rigole franchement de Stefan Pop en Pinkerton. Si vous y tenez, évitez Stikhina, et privilégiez Buratto.

Charles Gounod : Faust
8 repr. du 26 sept. au 18 oct. 2024 – Dir : Emmanuel Villaume – MeS : Tobias Kratzer
Avec Pene Pati, Alex Esposito/John Releya, Florian Sempey, Amina Edris, Marina Viotti, Sylvie Brunet-Grupposo, Amin Ahangaran
Opéra-Bastille
Pour un, tu as les deux, le couple à la ville Pene Pati/Amina Edris se retrouve ici à la scène, on aura donc une voix anonyme, gentillette et sans caractère pour une Marguerite créée dans cette production par la très grande Ermonela Jaho… Manière intelligente de construire des distributions. Alex Esposito (en alternance avec John Releya) et Florian Sempey complètent un cast où on relève même le nom de Marina Viotti en Siebel. Direction de Emmanuel Villaume, soit, mais seulement 8 représentations d’un Faust si typique du répertoire parisien quand à la même période il y en a 13 pour Butterfly.  Cherchez l’erreur, à moins que, comme je le sens, il y ait une réserve pour la mise en scène pourtant remarquable de Tobias Kratzer qui depuis sa création malheureuse et covidée n’a eu droit qu’à 6 représentations en public. Avec ces 8 cela fera en trois ans 14, soit à peine une de plus que la série des Butterfly alimentaires cette saison. Quand on a connu les catastrophes qui ont suivi l’abandon de la production Lavelli, on se demande pourquoi cette grande production qui fut une des victimes du Covid n’est pas mieux servie. On a l’impression qu’on la programme contraint et forcé. Trop intelligente et brillante pour Paris sans doute ?

Octobre-Novembre 2024
Gaetano Donizetti : La Fille du Régiment

12 repr. du 17 oct. au 20 nov – Dir : Evelino Pidò – MeS : Laurent Pelly
Avec Julie Fuchs, Lawrence Brownlee, Felicity Lott, Lionel Lhote, Susan Graham etc…
CQFD : 12 repr. (seulement 8 pour Faust…) pour la super production vue revue et repassée partout dans le monde depuis près de deux décennies de Laurent Pelly qui refait un tour à Bastille dans une jolie distribution, avec le très sûr mais très habituel Evelino Pidò, et deux mythes Susan Graham en Marquise de Berkenfield et Dame Felicity Lott en Duchesse de Crackentorp, tandis que Julie Fuchs sera Marie et Lawrence Brownlee Tonio. Du velours pour le tiroir-caisse.

Novembre 2024
W.A.Mozart : Die Zauberflöte

10 repr. du 2 au 23 novembre 2024 – Dir : Oksana Lyniv – MeS : Robert Carsen
Avec Pavol Breslik, Jean Teitgen, Aleksandra Olczyk, Nikola Hillebrand, Mikhail Timoschenko, Mathias Vidal etc…
Opéra-Bastille
Encore une fois Zauberflöte pour 10 représentations dans la production Carsen vue et revue depuis 2014 (presque une fois par saison). Carsen, le Canada Dry de la modernité dans une production passable et sans grande saveur, avec un cast correct sans plus (si l’on excepte Teitgen et Breslik) et en fosse Oksana Lyniv, gage de féminisation des podiums, mais pas forcément d’un Mozart novateur.
Du rien qui fait de la mousse.

Novembre-décembre 2024
Igor Stravinsky : The Rake’s Progress

7 repr. du 30 nov. au 23 déc. 2024 – Dir : Susanna Mälkki – MeS : Olivier Py
Avec Golda Schultz, Stanislas de Barbeyrac, Iain Paterson, Cilve Bailey, Jamie Barton etc…
Palais Garnier
C’est la troisième fois que réapparaît cette production d’Olivier Py des années Mortier, globalement appréciée à sa création dans une distribution qui voit un inattendu Stanislas de Barbeyrac en Tom Rakewell et le bien pâle Iain Paterson en Nick Shadow, tandis que Golda Schultz sera Anne Trulove. Un cast contrasté où l’on note Jamie Barton qu’on essaie partout de vendre comme un mezzo-soprano de qualité en Baba la turque. En fosse, une vraie garantie : Susanna Mälkki, qu’on suivra avec une attention particulière.

Décembre 2024/Mai-juin 2025
Giuseppe Verdi : Rigoletto
A : 8 repr du 1er au 24 déc. 2024 (Dir : Domingo Hindoyan – MeS : Claus Guth)
B : 10 repr. du 10 mai au 12 juin 2025 (Dir : Andrea Battistoni – MeS : Claus Guth)
Avec
A : Liparit Avetisyan, Rosa Feola, Roman Burdenko
B : Dmitry Korchak, Slávka Zámečníková, George Gagnidze
Opéra-Bastille
Mazette ! 18 représentations en deux séries, cela sent son tiroir-caisse à plein nez, avec un titre qui attire, dans une production qui pourtant a fait crier un certain public Vade retro Guthanas !.
Les atouts : les Gilda, Rosa Feola en décembre et l’excellente Slávka Zámečníková en mai et juin. Les ducs de Mantoue (Liparit Avetisyan en Décembre et Dmitry Korchak en mai juin) sont pour l’un une voix à découvrir (Liparit Avetisyan) plutôt correcte et l’autre une voix connue depuis longtemps et qui vient de chanter un Arnold superbe à la Scala (Dmitry Korchak).
Les (grandes) douleurs : les deux Rigoletto, Roman Burdenko qui ne fonctionne ni par phrasé ni par style dans le répertoire italien et George Gagnidze sans aucun intérêt dans aucun rôle.
Pour le reste, notons Alexander Tsymbalyuk en Sparafucile dans la distribution B et Aude Extrémo en Maddalena dans la distribution A
En fosse de très bons professionnels, que ce soit Domingo Hindoyan ou Andrea Battistoni.
Si on a envie…

Janvier-Février 2025
Leoš Janáček :
Příhody lišky Bystroušky (la petite renarde rusée)
6 repr. du 15 janv. au 1er fév. – Dir : Juraj Valčuha – MeS : André Engel
Avec Elena Tsallagova, Iain Paterson, Paula Murrihy, Frédéric Caton, Eric Huchet etc…
Opéra-Bastille

Troisième reprise de cette production Engel (ère Mortier) depuis 2008, et absente depuis 14 ans de la scène de l’Opéra-Bastille, cette reprise se justifie avec l’éternelle et très émouvante Renarde d’Elena Tsallagova, irremplaçable dans le rôle. Très remplaçable en revanche Iain Paterson, et pour le reste distribution solide, avec du très solide en fosse, l’excellent Juraj Valčuha qui pourrait être plus fréquent à Paris (lui confier Pelléas par exemple aurait été une meilleure idée que le choix qui a été fait).

Février-mars 2025
Vincenzo Bellini : I Puritani
10 repr. du 6 févr. au 5 mars 2025 – Dir : Corrado Rovaris / MeS : Laurent Pelly
Avec Lisette Oropesa, Roberto Tagliavini, Lawrence Brownlee, Vartan Gabrielian etc…
Opéra-Bastille
C’est évidemment Lisette Oropesa qui fait tout le prix de cette reprise de la production indifférente de Laurent Pelly, dirigée cependant par Corrado Rovaris, bon spécialiste de ce répertoire. Pour le reste Roberto Tagliavini et Lawrence Brownlee garantissent un vrai niveau.
Pour Lisette Oropesa…

Mars-Avril 2025
Giuseppe Verdi : Don Carlos

7 repr. du 29 mars au 25 avril – Dir : Simone Young / MeS : Krzysztof Warlikowski
Avec Charles Castronovo, Marina Rebeka, Ekaterina Gubanova, Christian van Horn, Andrzej Filończyk, Alexander Tsymbalyuk etc…
Opéra-Bastille
Quand on a connu les distributions initiales de Don Carlos et puis la reprise en italien Don Carlo à Bastille, on est un peu surpris de l’absence totale d’effort sur cette reprise, aussi bien en fosse où Simone Young n’est pas une verdienne A.O.C loin de là et où la distribution est assez passe-partout. Avec une Rebeka en Elisabeth qui promènera son chant glacé et sans âme et Castronovo qui devient le Don Carlos de répertoire (comme sorti d’un catalogue) un peu partout. Par ailleurs, Gubanova est une chanteuse intelligente, (mais Eboli ?), et essayer Andrzej Filończyk en Posa peut être intéressant. Quant à Van Horn c’est une grande belle voix de basse, ce qui ne suffit pas toujours pour faire un Philippe. Distribution non pensée, pour un tel chef d’œuvre…

Mai-juin 2025
Jules Massenet : Manon
8 repr. du 29 mai au 20 juin 2025 – Dir : Pierre Dumoussaud /MeS : Vincent Huguet
Avec
(29/05 – 6/06) Nadine Sierra, Benjamin Bernheim (jusqu ‘au 9 juin)(9-20/06) Amina Edris, Roberto Alagna (à partir du 11 juin)
Et Andrzej Filończyk, Nicolas Cavallier, etc…
Opéra-Bastille
En alternance, le ténor en vogue, et celui qui le fut et qui reste fascinant en Des Grieux, Nadine Sierra en Manon écrase Amina Edris, voix jolie mais assez anonyme.
Pierre Dumoussaud en fosse, c’est une garantie.
Pour les amateurs de “petites tables”.

Juin-juillet 2025
Gioachino Rossini : Il Barbiere di Siviglia
12 repr. du 10 juin au 13 juil. – Dir : Diego Matheuz – MeS : Damiano Michieletto
Avec Levy Segkapane, Carlo Lepore, Isabel Leonard (10/25 juin) /Aigul Akhmetshina (28/06-13/07), Mattia Olivieri, Luca Pisaroni etc…
Une des productions tiroir-caisse de la maison.

Belle distribution au moins pour les voix masculines avec des artistes nouveaux et vraiment intéressants comme Levy Segkapane et Mattia Olivieri et d’autres plus expérimentés et toujours excellents comme Carlo Lepore et Luca Pisaroni.
Du côté féminin, ne manquez pas Aigul Akhmetshina et privilégiez donc juillet et non juin parce qu’Isabel Leonard est une Rosine trop vue et revue.
En fosse, pourquoi un chef aussi pâle que Diego Matheuz quand l’Italie regorge de chefs jeunes et valeureux pour Rossini ?

B – BALLET

 

L’espoir renaît ?
(Par Jean Marc Navarro)

Les quinze dernières années nous ont offert tout loisir d’observer avec fascination la béance entre le discours officiel de l’Opéra national de Paris arguant avec aplomb d’un prétendu « équilibre de programmation de danse entre classique et contemporain » et la réalité d’un évincement progressif mais forcené du répertoire académique, jusqu’au naufrage des dernières propositions de Mlle Dupont. Depuis l’arrivée du nouveau directeur de la danse José Martinez, une petite transformation semble s’opérer, petite touche par petite touche.

  • Dans la programmation, évidemment :

José Martinez, qui demeure fidèle à sa cohérence entre propos et actes, maintient voire accentue son ambition pour un équilibre réel et non fantasmé vers des saisons plus barycentrées sur des affiches classiques au sens large. Paquita (Pierre Lacotte), dont la dernière reprise remonte à 2015 et La Belle au bois dormant (Noureev d’après Petipa), qui n’a pas présentée depuis fin 2013 (cela donne le tournis !), reviennent à l’affiche, enfin ; Martinez engage là un travail de reconstruction massif mais salutaire car le corps de ballet a perdu de sa mémoire collective, de son corps commun l’empreinte de ces œuvres et peu sont les solistes qui ont incarné les rôles titres. Avec l’entrée au répertoire de Sylvia dans la production de Manuel Legris en fin de saison, c’est un joli signe d’inscription de la Compagnie dans son histoire qu’offre le directeur de la danse. L’œuvre a été créée à l’Opéra de Paris, Manuel Legris avait dansé dans la production de Lycette Darsonval à l’École de danse, y a créé 20 ans plus tard l’Aminta de Neumeier (aux côtés, excusez du peu, de Mlles Loudières et Platel, de Nicolas Le Riche et… d’un certain José Martinez), en a remonté une version académique à Vienne puis à Milan ; après une nouvelle éclipse de 20 ans, voilà donc l’œuvre de retour à Paris

Grandes productions « néo-classiques » aussi au rendez-vous avec les reprises de Mayerling et Onéguine. La date que tout le monde a déjà noté en lettres d’or et de larmes dans l’agenda : 1er mars 2025 – après plus de 20 ans d’étoilat, à porter au sommet les couleurs de la sacro-sainte École française, qui est désormais plus un slogan qu’une réalité mais dont après Jean-Guillaume Bart ou Manuel Legris il incarne les derniers feux (avant une renaissance ?), Mathieu Ganio, joyau de la Compagnie, fera ses adieux à la scène dans le chef d’œuvre de Cranko. Comme Manuel Legris 16 ans avant lui, comme Isabelle Ciaravola 11 ans avant lui. On y sera. On ovationnera. On pleurera. Il n’est pas annoncé de Défilé du Ballet pour l’occasion (Mathieu Ganio en ferme la marche depuis qu’il est Doyen du Ballet) ; on espère que la chose sera tout de même organisée à titre exceptionnel pour rendre pleinement hommage à celui est l’une des grandes figures du monde de la danse de ce dernier quart de siècle !

Après des années de saisons beaucoup moins riches en grosses machines, espérons que le Ballet (154 danseurs hors surnuméraires) tienne le choc physique pour absorber ce remède de cheval que propose José Martinez !

Coloration plus contemporaine avec la soirée d’ouverture de saison de danse. Le Maître William Forsythe remontera son résolument enthousiasmant hit Blake Works I et travaillera à la refonte de Rearray dans une version pour ensemble de danseurs tandis que le chorégraphe Johan Inger, dont la patte contemporaine n’a rien de disruptif ni d’outrancièrement conceptuel, fera ses débuts à l’Opéra. Le Défilé du Ballet sera proposé sur certaines dates de cette série.

Belle soirée également en vue avec le double bill Sharon Eyal / Mats Ek ! La reprise du chef d’œuvre d’absurde qu’est Appartement (dernière reprise en 2012, encore plus ancienne que pour La Belle!) y côtoiera une création… sur pointes ! L’anecdotique Play et sa piscine de boules vertes rempliront les caisses à l’occasion des fêtes. La saison se clôturera par une création d’Hofesh Shechter, un des derniers oripeaux des programmations imaginées par Aurélie Dupont.

L’École de danse présentera ses habituelles démonstrations et son spectacle. Vivement le retour du Gala des Écoles, où Mlle Platel invite des élèves d’écoles de ballet du monde entier et qui est à chaque fois une fête extraordinaire !

  • Dans la vie de la Compagnie ensuite.

La mise en valeur de talents non étoilés dans les rôles principaux des ballets académiques présentés cette saison, la suspension du concours de promotion pour les Sujets (pour accéder au rang de Premier danseur), le changement très notable de tonalité des artistes dans leurs interventions médiatiques ou instragramesques (il semblerait que dire son plaisir de la danse classique ne soit plus tabou !), la remise en place de soirées jeunes chorégraphes, laissent entrevoir un petit changement d’atmosphère, de dynamique collective dont le temps dira s’ils se pérennisent.

  • Dans le rapport au public enfin (ou surtout ?).

L’engagement d’annoncer les distributions des rôles principaux très en amont des représentations a été tenu – même si la valse des blessures a conduit à ce que, sur la série de 13 représentations de La Fille mal gardée, seules 2 fussent in fine conformes aux annonces initiales (les statistiques ne sont guère plus flatteuses pour la série de Don Quichotte concomitante) ! Les séances de répétitions publiques, très appréciées des balletomanes, ont fait un retour remarqué – même si elles sont désormais payantes. Révolution par ailleurs : le directeur communique en personne sur les réseaux sociaux, que manifestement il consulte régulièrement.

Bref, en douceur, en cohérence, en confiance, sans esbrouffe, il semble que José Martinez prenne le temps de travailler sur l’ensemble des dimensions qui permettront au Ballet de regagner l’âme et le niveau qu’il a perdus. « Commencerait-on à entrevoir la possibilité de reprendre le chemin de la ligne 8 pour aller voir du ballet à l’Opéra, après tant de saisons de vache anorexique ? », nous interrogions-nous lors de la présentation par José Martinez d’une saison 2023-2024 qu’il n’avait eu les moyens que de marginalement remanier. À ce train-là, la lumière au bout du tunnel risque de vite apparaître .

 

C – ET LE RESTE…


Le reste, il est un peu confus, signe du relatif manque d’intérêt pour ces diverses manifestations qui pourtant pour certaines permettent :

  • Aux forces de la maison de se produire pour elles-mêmes
  • Aux artistes locaux (Académie ou troupe dont on a tant parlé) de se produire
  • À un plus large public d’accéder à des manifestations pour des tarifs moins socialement sélectifs.

Mais pour cela, il faudrait une communication plus ciblée, un agenda plus lisible, bref, une politique plus rigoureuse qui hiérarchise et sache communiquer.

L’offre n’est pas inexistante mais désordonnée et mal mise en valeur (déjà dans la brochure, assez peu hiérarchisée ou classée). On compte 2 concerts symphoniques, 2 galas, 4 récitals de stars à Garnier, 4 midis musicaux, 4 concerts de musique de chambre dans l’Amphithéâtre de Bastille, 13 concerts rencontre au Studio-Bastille et 7 concerts récital des artistes de l’Académie dans l’Amphithéâtre de Bastille, un concert de gala spécial académie à Garnier, et un concert dit « ADO » (apprentissage de l’orchestre) fait soit un peu moins de 40 manifestations diverses, ce qui n’est pas indifférent.

Alors j’ai essayé de structurer pour comprendre l’articulation des différentes offres :

Concerts et manifestations des Forces de l’Opéra

  1. Concerts symphoniques (à la Philharmonie de Paris):
    – 13 sept. 2024 : Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Tugan Sokhiev
    Chostakovitch : Symphonie n°4
    – 9 décembre 2024 : Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Teodor Currentzis
    Stravinski : L’Oiseau de feu, suite de ballet (1945)
    Ravel : Daphnis et Chloé, suite n°2, la Valse
    Deux concerts qui semblent posés là par hasard alors qu’une petite saison symphonique régulière (5 concerts ?) dont l’objet serait de valoriser l’orchestre et d’inviter des chefs prestigieux qu’on n’entend pas en fosse, ce qui pourrait leur donner envie d’y descendre…
    Sokhiev et Currentzis ont les profils qu’il faut, mais il faudrait peut-être construire (pas forcément à la Philharmonie, mais à Bastille par exemple) un travail de programmation plus rigoureux et articulé
  2. Concerts de musique de chambre– Midi musicaux au Palais Garnier
    Les 27 octobre 2024, 23 mars, 4 mai, 22 juin 2025
    Musique de Chambre à l’Amphithéâtre Olivier Messiaen à Bastille
    Les 4 oct. et 20 déc. 2024, 18 janvier, 8 mars et 3 mai 2025Concerts thématiques intéressants mais à l’agenda totalement anarchique. Le spectateur doit pouvoir compter sur des rendez-vous fixes, identifiables, lisibles. Ici, c’est le petit bonheur la chance, et ce n’est pas la meilleure voie pour attirer un public plus large.
  3. Concerts-rencontre (au Studio-Bastille)
    Là encore une excellente initiative (concerts commentés de musiciens ou d’artistes du chœur) , et cette fois-ci un peu mieux structurée et organisée selon une périodicité assez lisible (1 concert/quinzaine à 13h en 2024, après cela se brouille)
    Les 3, 17 oct, 7, 21, 28 nov, 12 déc. 2024
    Les 6, 27 févr, 27 mars, 3 avr., 22 mai, 5, 26 juin 2025


    Chant lyrique
       

        a) Récitals de chant (Palais Garnier)

L’art du récital se perd et ces 4 grands noms du chant, à des stades différents de la carrière devraient attirer du public,. Raison de plus pour déplorer encore une fois un agenda disloqué alors qu’une programmation étalée sur la saison (un récital par mois par exemple) pourrait permettre à un public de revenir à ces manifestations avec des noms incontestables du chant d’aujourd’hui qu’on n’entend pas forcément dans la saison. L’offre est insuffisante pour une institution comme Paris.

 

24 nov. 2024: Benjamin Bernheim (piano Carrie Ann Matheson)
9 mars 2025 : Renée Fleming (piano NN)
20 mars 2025 : Nathalie Dessay (piano Philippe Cassard)
19 mai 2025 : Elina Garanča
(piano Malcolm Martineau)

b) Concerts et récitals des artistes en résidence à l’Académie

On ne peut que saluer la mise en valeur de l’Académie, structure ouverte à une trentaine d’artistes (chanteurs, musiciens, metteurs en scène…) qui se produisent aussi bien dans des concerts spécifiques que dans des spectacles. L’histoire récente de l’Opéra national de Paris montre que la formation des jeunes fait structurellement partie de sa mission depuis des décennies, mais a été élargie par la fondation de l’Académie par Stéphane Lissner, sur le modèle de celle qu’il avait fondée à Aix-en-Provence.
L’intérêt d’une Académie, vaste atelier sur le modèle des Botteghe médiévales autour d’artistes de renom est d’offrir aux jeunes artistes de participer à des spectacles de la saison et côtoyer des professionnels de tous ordres et de tous niveaux.
L’Opéra affiche aussi une volonté sociale marquée, pour labourer les banlieues peu concernées par l’opéra ou l’outre-mer qui jusqu’à des temps récents n’avait pas été l’objet d’un grand intérêt.
Tout cela est éminemment positif, mais si les initiatives sont nombreuses, elles vont un peu dans toutes sortes de directions, sans véritable ligne ni affichage.
Si l’on compare avec la Scala, qui possède depuis 1997 une Académie fondée par Riccardo Muti, elle affiche un orchestre de jeunes spécifique qui outre des spectacles-maison, est invité dans d’autres manifestations (comme le Festival Donizetti de Bergamo mais pas seulement). Il suffit de se rendre sur le beau site de l’Académie de la Scala pour constater l’architecture forte du projet et la manière dont le théâtre communique.

À l’Opéra de Paris, si le projet a plus ou moins la même ambition, il suffit de comparer le spectacle de l’Académie, très discret dans l’Amphithéâtre Olivier Messiaen, marqué « spectacle de jeunes » un peu timide comme on l’a signalé, et celui de la Scala, cette année Il Cappello di paglia di Firenze, du 4 au 18 septembre prochain, un des spectacles de la saison dans la grande salle dont l’orchestre (de l’Accademia) est dirigé par un chef aussi expérimenté que Donato Renzetti, pour comprendre qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.
A Paris, il y a aussi une tentative de former un orchestre de jeunes (le projet ADO, Apprentissage de l’Orchestre), mais encore très discret.
Enfin, si les mécènes abondent pour financer l’Académie de l’Opéra de Paris, on reste stupéfait que ne soient pas sollicités des Fonds européens dans le cadre du Fonds social Européen par exemple qui n’apparaît pas, alors que ce type de projet entre évidemment dans les critères d’attribution. Mais l’Europe…c’est comme l’Orient, c’est compliqué…

  •          Palais Garnier: Concert de gala

Orchestre de l’Opéra national de Paris, Dir : Patrick Lange
Thème : Bizet et ses contemporains.

  •          Amphithéâtre Olivier Messiaen : Récitals et Workshop
    26 sept. 2025 : concert d‘ouverture
    16 oct, 13 nov, 18 déc 2024, 9 avr, 14 mai 2025
    20 juin 2025: Workshop de mise en scène

Une remarque, pour clore ce chapitre : on a tant claironné la naissance d’une troupe, et pourtant ses artistes ne semblent pas mis en valeur par des récitals qui pourraient les faire mieux connaître. Dans la forêt d’initiatives, pourquoi pas des rencontres avec la troupe maison ? A moins que ces rencontres soient bien dissimulées et que je ne les aie pas repérées…

 

  • Manifestations de prestige

Leur fonction est de récolter des fonds et de permettre aux mécènes d’inviter leurs affidés et de profiter du cadre prestigieux de Garnier, toujours moins triste que Bastille et qui permet par ses espaces publics vastes, d’organiser des manifestations brillantes.

Deux « Galas »

  1. 24 janvier 2025
    150 ans du Palais Garnier
    1875-2025, le Palais Garnier malgré l’existence de Bastille reste le symbole de « L’Opéra » dans ce qu’il a de riche, de doré, d’exclusif, et de machine à rêvesAlors, pour le fêter seront réunies orchestre et chœurs, corps de ballet, Académie, école de danse, c’est-à-dire toutes les forces de l’Opéra National de Paris et pour couronner le tout Ludovic Tézier et Lisette Oropesa. 
  2. 11 mai 2025
    Concert des Ambassadeurs de Rolex
    (Partenariat Opéra national de Paris et Philharmonique de Vienne)

Les ambassadeurs Rolex, Juan Diego Flórez, Sir Bryn Terfel, Sonya Yoncheva, Yuja Wang, Rolando Villazon « rejoignent sur scène les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Vienne pour une performance inédite »(sic).
Le bénéfice de ce concert sera intégralement reversé à l’Orchestre Lyrique des  Jeunes de l’Opéra national de Paris (projet ADO que nous avons déjà évoqué).

 

Conclusion

 

La situation financière dramatique de l’Opéra national de Paris les années précédentes a imposé la patiente reconstruction entamée par Alexander Neef doit être saluée, ce qui nécessite des spectacles susceptibles de réunir un public nombreux, et donc éviter les spectacles soi-disant élitistes (je déteste cet adjectif qui déterminerait à l’opposé des spectacles « populistes »). De fait, les metteurs en scène – car c’est là le nœud de l’affaire- des nouvelles productions (Kosky pour Offenbach, Sellars et Currentzis, Wajdi Mouawad sont des personnalités populaires à Paris– encore que Kosky n’ait pas fait grand-chose à Paris, mais sa réputation le précède). Calixto Bieito est un choix Lissner que Neef ne peut que prendre par force, mais un Ring ne peut que faire le plein, vu que même la lamentable production Krämer l’avait fait… Pour le reste, Guth pour Pascal Dusapin est la niche contemporaine plus admissible que lorsqu’il touche à Bohème, quant au Trittico, c’est Grigorian qui fait fonction d’aimant.

On note une lente évolution positive sur le ballet et un certain désordre dans l’offre complémentaire (concerts et récitals).
Au total, c’est Ludovic Tézier en Wotan qui est l’événement de la saison, le seul.
Pour le reste, des choses attendues, même si elles peuvent paraître excitantes (la formule Sellars-Currentzis est déjà largement consommée et consumée) et sinon, ordinaire administration et quelques étrangetés.
Cette maison dite nationale financée à 40% par l’État et pour le reste par la recette et le mécénat est une victime de la politique lamentable de l’État à son égard qui l’a voulue trop grosse et trop coûteuse mais qui l’accuse en même temps de coûter trop cher, dans le genre « qui veut noyer son chien… » au milieu d’une politique culturelle qui est la vingtième roue du carrosse macronique. Nous en avons déjà longuement abordé la question cf. notre article : « La valse des branquignols »

Alors, notre opéra national n’est pas responsable d’être un mastodonte et même avec ses incohérences, ses surprises, ses choix bizarres, je l’aime pour son histoire, pour ce qu’il m’a appris, pour le rôle qu’il a eu dans mon histoire mélomaniaque.

LA SAISON 2023-2024 DU THEATER BASEL

@DR/WIKIpedia

ET SI ON ALLAIT À BÂLE?

Nous proposons à nos lecteurs pour la première fois de découvrir la saison lyrique du Theater Basel, qui offre en outre une saison théâtrale et une saison de ballet.
En effet, ce théâtre est assez particulier dans le paysage, par une programmation souvent imaginative, pas forcément au niveau des titres, mais au niveau des offres qui les soutiennent, cette année par exemple, les manifestations proposées autour du Ring des Nibelungen, dont seront présentés Das Rheingold et Die Walküre.

C’est aussi un théâtre accessible depuis la France, au public alsacien et franc-comtois (Une quarantaine de kilomètres de Mulhouse, 180 kilomètres de Strasbourg et à portée d’autoroute de toute la Franche Comté) et à trois heures de TGV de Paris avec un aéroport (Bâle Mulhouse) fréquenté par les low-coast. Il y a donc des arguments forts qui nous induisent à offrir dans nos comptes rendus une place à cette institution que le Wanderer fréquente depuis plus d’une quinzaine d’années, sans jamais avoir été déçu.
En outre Bâle est une ville fort sympathique qui a d’autres atouts, et si on peut l’estimer un peu chère pour des bourses françaises, on peut toujours loger en Allemagne, à trois kilomètres, tout près de la frontière à Weil am Rhein, ou à Saint Louis en France, voire à Mulhouse et les prix pratiqués par le théâtre sont bien plus raisonnables que ceux pratiqués à Genève ou Zurich.

Il y a en plus des arguments touristiques qui ne sont pas indifférents aux amateurs d’art, notamment l’architecture (Bâle est une des capitales européennes de l’architecture) et l’art contemporain, avec le Musée Tinguely, et la Fondation Bayeler ainsi qu’en Allemagne sur la frontière, le Vitra campus, un vaste espace qui mêle architecture, design art, nature dont le Vitra Design Museum conçu par l’architecte Frank Gehry. Enfin pour les amateurs de réjouissances aquatiques, attenant à Vitra et toujours à Weil am Rhein, le Laguna Badeland.
Vous n’y pensiez peut-être pas, mais Bâle peut être un vrai but de long week-end, à l’occasion d’une ou plusieurs soirées d’opéra qui souvent valent la peine.

Le Theater Basel, institution municipale est un ensemble moderne, abritant la grande salle de spectacle d’environ mille places, une plus petite salle (kleine Bühne) de 320 places et à deux cents mètres le Schauspielhaus, le théâtre de prose, avec une salle d’environ 500 places et c’est dans tous ses espaces un lieu accueillant et agréable.
La saison, composée d’opéra, de ballet et de théâtre propose environ 600 représentations. L’intendant actuel est le metteur en scène Benedikt von Peter qui à l’instar de son collègue de Zurich, assume la mise en scène du nouveau Ring.
C’est un théâtre de troupe, (acteurs comme chanteurs) et c’est par Bâle que Simon Stone qui y était en résidence a commencé sa carrière européenne, mais pas un théâtre de répertoire au sens strict, beaucoup de nouvelles productions et quelques reprises. Enfin chaque production bénéficie pour l’essentiel de 10 à 18 représentations dans l’année ce qui laisse un vaste choix pour les dates. Pas de productions proposées seulement pour une dizaine ou une douzaine de jours.

La saison 2023-2024 propose les 10 productions d’opéra suivantes (7 NP et 3 reprises):

Nouvelles productions
Wagner :
Das Rheingold
Die Walküre

Herbert Grönemeyer :
Pferd Frisst Hut

Georges Bizet :
Carmen

Claudio Monteverdi :
L’incoronazione di Poppea

W.A.Mozart :
Requiem

Ambroise Thomas :
Mignon

Reprises :

Rossini :
Il Barbiere di Siviglia

Weber :
Der Freischütz

Verdi :
Rigoletto

 

NOUVELLES PRODUCTIONS

Septembre-Octobre 2023

Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen
Das Rheingold

8 repr. du 9 sept. au 22 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Michael Borth, Michael Laurenz, Solenn’ Lavanant Linke, Hanna Schwarz, Lucie Peyramaure, Andrew Murphy etc…
Sinfonieorchester Basel

Die Walküre
8 repr. du 16 sept. au 23 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Solenn’ Lavanant Linke, Ric Furman, Artyom Wasnetsov, Theresa Kronthaler.
Sinfonieorchester Basel

Le Ring n’a pas été monté à Bâle depuis quarante ans, et au-delà de la représentation du cycle wagnérien, c’est à un effort de contextualisation des thèmes traités dans le cycle wagnérien qu’invite le Theater Basel en élargissant les représentations à un « Festival » qui s’appuie sur les thématiques du Ring pour les insérer dans des perspectives actuelles, multiples et quelquefois inhabituelles, soulignant ainsi l’actualité d’une œuvre qui continue de nous parler.
L’entreprise, toujours lourde pour un théâtre,  sera dirigée par Jonathan Nott, actuellement directeur musical de l’Orchestre de la Suisse Romande, que nous avions entendu diriger un Ring concertant très correct à Lucerne avec son ancien orchestre, les Bamberger Symphoniker.
La distribution est composée de jeunes chanteurs à découvrir et d’autres plutôt bien connus à commencer par la légende Hanna Schwarz en Erda, la Fricka de Chéreau continue de chanter et c’est toujours un plaisir très évocatoire et personnel de l’entendre, Loge est confié à Michael Laurenz, que nous entendons souvent et Wotan au baryton-basse local, le canadien Nathan Berg, que nous avions entendu dans Philippe II  en 2021/2022, chanteur expressif et précis. Fricka sera Solenn’ Lavanant Linke, Sieglinde Theresa Kronthaler, et Brünnhilde Trine Moller, chanteuse danoise à la voix bien trempée. C’est évidemment l’occasion de découvrir des voix nouvelles (Ric Furman en Siegmund, Artyom Wasnetsov en Hunding,  à un moment où bien des chanteurs wagnériens arrivent en fin de carrière. C’est aussi l’occasion de découvrir les artistes de la troupe bâloise qui est loin d’être médiocre.
Évidemment impossible de connaître l’approche scénique sinon qu’elle portera sur la question du patriarcat, et qu’il y aura des marionnettes.
De toute manière, un Ring ne se rate pas, d’autant que celui-ci est à portée de main.

 

Ein Ring Festival
En écho aux représentations du Ring, plusieurs manifestations de complément sont prévues, en illustration, en contraste, changeant les contextes, dans et autour du théâtre concentrées entre septembre et octobre, avec aussi des initiatives surprenantes et heureuses, comme de mettre en vente deux places pour Die Walküre (mais aussi pour d’autres titres comme Carmen, Requiem et Rigoletto) en fosse d’orchestre pour observer l’opéra « vu de la fosse ».

Pour ce Festival autour du Ring ont été invitées des compagnies de théâtre de milieux différents aussi bien que d’approches esthétiques diversifiées à adopter des perspectives ouvertes sur le drame de Wagner avec un regard critique. Le collectif Gintersdorfer/Klassen, qui travaille avec des performeurs de Côte d’Ivoire, rencontrera le duo de théâtre documentaire Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura. L’artiste sonore britannique Matthew Herbert développera une installation chorale participative sur la Theaterplatz. Ainsi est conçu le Festival « Ein Ring Festival » à partir du 9 septembre. Une série de late night et des manifestations d’introduction complètent ce programme de ‘Der Ring – Ein Festival’. Sans oublier que la ville de Bâle est traversée par le Rhin, lieu central de la Saga wagnérienne…

Rheinklang, ein Chorritual :
Compositeur : Matthew Herbert
Chorégraphie : Imogen Knight
Chœur et chœur supplémentaire du Theater Basel
Hommage au Rhin qui traverse la ville, avant chaque représentation de Rheingold entre le 9 septembre et le 6 octobre sur la Theaterplatz. Chants du chœur et bruits de l’eau du Rhin tissés par Matthew Herbert se mêlent en un prélude à la représentation..


Gold, Glanz und Götter
Du 10 septembre au 8 octobre
Concept et mise en scène :
Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura
Avec Klaus Brömmelmeier, Johannes Dullin, Sascha Bitterli, Lulama Taifasi, Nadejda Petrova Belneeva
La lutte pour le pouvoir est le moteur du Ring wagnérien. Les deux metteurs en scène Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura sont d’importants représentants du théâtre documentaire, héritier d’Erwin Piscator, qui plonge dans la réalité contemporaine pour en dénoncer les dérives. Ici, il s’agira d’explorer les centres de pouvoir à Bâle à partir des implications politiques de l’œuvre de Wagner. Le spectacle conçu comme un parcours se déroulera dans les coulisses du théâtre la plupart du temps interdits au public (deux représentations par jour, de 18h à 19h30 et de 20h à 21h30. 

Der Youpougon-Ring
9 repr. du 22 sept. au 8 oct.
Concept: Monika Gintersdorfer et Knut Klassen
Avec Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Hauke Heumann, Gadoukou la Star (Edmond Franck Yao), Cora Frost, Annick Prisca Abgadou, Spaguetty Mazantomo etc…
(Dans la grande salle)
Une performance qui passe au crible les thèmes du Ring et ses mythes entre magie, domination, culte des héros, au travers de diverses formes d’expression esthétiques et culturelles, danse, culture pop etc… dans une perspective transculturelle s’appuyant notamment sur des artistes ivoiriens.

 

 

Novembre 2023-Mai 2024
Herbert Grönemeyer
Pferd frisst Hut

  • du 4 nov. 2023 au 18 mai 2024 (Dir : Thomas Wise/MeS : Herbert Fritsch)

Sinfonieorchester Basel

Le célèbre compositeur-interprète allemand Herbert Grönemeyer, l’une des stars de la pop outre-Rhin crée cette comédie musicale d’après « Le chapeau de paille d’Italie » de Labiche dans une mise en scène d’Herbert Fritsch, l’un des metteurs en scène les plus réclamés aujourd’hui sur les scènes du monde germanique (on lui doit par exemple  Il Barbiere di Siviglia à la Staatsoper de Vienne) et dirigé par l’américain Thomas Wise directeur des formations musicales du Theater Basel.
Après les débuts du Ring Wagnérien, un contraste plus léger qui ne manquera pas d’attirer un nombreux public.

Janvier-juin 2024
Kurt Weill-Bertolt Brecht
Die Dreigroschenoper

15 repr. du 13 janv. au 19 juin 2024 – Dir : Sebastian Hoffmann/MeS : Antú Romero Nunes
Avec  Elmira Bahrami, Aenne Schwarz, Thomas Niehaus, Jörg Pohl, Barbara Colceriu, Sven Schelker, Paul Schröder , Chanteuse – Cécilia Roumi

Au Schauspielhaus
Dans le cadre plus réduit du Schauspielhaus, dans la mise en scène du directeur « Théâtre » du Theater Basel, Antú Romero Nunes de qui nous avions vu à Hambourg un Ring « parlé »  et qui aime travailler sur les frontières texte-opéra, voilà l’une des œuvres les plus difficiles à monter, et qui pourtant fait partie du répertoire classique de toute scène lyrique ou théâtrale. Opéra ou théâtre ou les deux, nous avons voulu inclure cette production marquée « théâtre » dans la programmation musicale du Theater Basel. Il sera intéressant de voir ce qu’en fait Antú Romero Nunes, justement à cause de la nature hybride de l’œuvre.

Février-juin 2024
Georges Bizet
Carmen

15 repr. du 3 févr. au 11 juin 2024. (Dir : Maxime Pascal/MeS : Constanza Macras)
Avec Edgaras Monvidas/Rolf Romei, Kyu Choi, Rachael Wilson/Jasmin Etezadzadeh, Sarah Brady etc…

(Existence de places en fosse)
Sinfonieorchester Basel

Maxime Pascal est devenu l’un des chefs français les plus demandés notamment dans le répertoire contemporain. On va l’entendre à Salzbourg dans The Greek Passion

de Martinu d’après Le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis. Le voilà dans la fosse pour l’opéra le plus connu du répertoire lyrique international, Carmen, à l’autre bout du spectre en quelque sorte. La chorégraphe Constanza Macras et sa compagnie Dorky Park combinent danse, texte, musique films en spectacles interdisciplinaires. Elle est en résidence à la Volksbühne de Berlin. Elle essaiera de s’attaquer à la diversité du mythe de Carmen dans toutes ses implications.  Dans la distribution, Edgaras Monvidas en Don José, bien connu des scènes lyriques et l’américaine Rachael Wilson, qui fut l’un des meilleurs éléments de la troupe de la Bayerische Staatsoper de Munich et désormais en carrière un peu partout.

Mars-mai 2024
Claudio Monteverdi

L’incoronazione di Poppea
11 repr. du 3 mars au 25 mai – Dir : Laurence Cummings – MeS : Christoph Marthaler
Avec Kerstin Avemo, Jake Arditti, Anne-Sofie von Otter, Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Stuart John Jackson etc…
La Cetra Barockorchester
Une représentation « historiquement informée » sous la direction de Laurence Cummings, solide spécialiste de ce répertoire. Une distribution de bon niveau, homogène, où l’on reconnaît Jake Arditti, le Nerone de la production 2022 d’Aix en Provence et surtout l’Ottavia de Anne-Sofie von Otter, chanteuse fétiche de Christoph Marthaler, qui signe la mise en scène. C’est l’un des phares de la mise en scène des trente dernières années, une figure incontournable toujours contestée et souvent incomprise, et qui pourtant entre sarcasme, ironie, mélancolie et poésie sert un théâtre toujours respectueux de la musique (il est lui-même musicien). Derniers spectacles vus, Giuditta de Lehár et Lear de Reimann à la Bayerische Staatsoper . Nous avions vu de lui à Bâle une Grande Duchesse de Gerolstein commençant en Offenbach et finissant en opéra baroque sur la guerre et la mort qui était un spectacle fort et dérangeant. On ne manque pas un Marthaler, il faut y aller sans aucune hésitation.

 

Avril-juin 2024
W.A.Mozart
Requiem

11 repr. du 20 avril au 15 juin – Dir : Ivor Bolton – Francisco Prat/MeS : Romeo Castellucci
Sinfonieorchester Basel (Existence de places en fosse)
Coprod. Festival d’Aix en Provence, Adelaide Festival, Wiener Festwochen, Palau des Arts Reina Sofia di Valencia, La Monnaie Bruxelles, Teatro San Carlo Napoli

La production du Requiem de Mozart au Festival d’Aix (édition 2019) avait été triomphalement reçue, pour sa fraicheur, sa vie foisonnante, sa poésie. Après Bruxelles et venant juste d’être présentée à Naples en mai 2023, la voilà au Theater Basel, dirigée par un grand spécialiste de ce répertoire Ivor Bolton (en alternance avec Francisco Prat) qui plus est directeur musical du Sinfonieorchester Basel. Si vous n’avez pas vu ce spectacle, c’est l’occasion de le découvrir, car il s’agit d’une des plus belles réussites de Romeo Castellucci.

Mai 2024
Ambroise Thomas
Mignon

20 mai 2024 (semi concertante) – (Dir : Hélio Vida – MeS : Tilman aus dem Siepen)
Collegium Musicum Basel
Opernstudio OperAvenir
Une production du Studio de l’œuvre de Thomas rare sur les scènes, mais célèbre à cause de Goethe (Mignons Lied, Kennst du das Land…), chaque théâtre d’un peu d’importance a un studio et ces centres de formation-apprentissage se sont multipliés ces dernières années.
La direction musicale est assurée par Hélio Vida, jeune chef brésilien formé entre autres à Nancy qui dirige le Studio du Theater Basel et la mise en scène (ou en espace) par Tilman aus dem Siepen, jeune metteur en scène formé à Berlin qui vient d’intégrer le Theater Basel comme assistant à la mise en scène.

 

REPRISES

Octobre-Décembre 2023
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia
10 repr. du 14 oct. au 31 déc. – Dir : Hélio Vida/MeS : Nikolaus Habjan
OpernStudio OperAvenir
Sinfonieorchester Basel
Nikolaus Habjan originaire de Graz est considéré comme l’un des maîtres de la mise en scène alliant marionnettes et acteurs. Il a produit ce Barbiere di Siviglia en fin de saison 2021-2022 pour le studio avec un beau succès et la production est reprise pendant les trois derniers mois de l’année 2023, notamment pour la période des fêtes du 15 au 31 décembre mais aussi en tournée à Zug et Winterthur. L’orchestre est dirigé par le directeur du studio OperAvenir Hélio Vida. Les reorésentations hybrides pour marionnettes sont fascinantes et valent le déplacement.

 

Octobre-Novembre 2023
Carl Maria von Weber

Der Freischütz
6 repr. du 15 oct. au 12 nov. – Dir : Titus Engel – MeS : Christoph Marthaler
Avec
Sinfonieorchester Basel

Un chef parmi les plus intéressants aujourd’hui qu’on a entendu ces dernières années à Lyon Genève et à Munich notamment (Giuditta, dans la mise en scène de Marthaler) et de nouveau ici avec la mise en scène de Christoph Marthaler. Ce couple seul vaut le voyage pour une œuvre très connue mais paradoxalement rarement représentée. La distribution n’est pas connue, mais l’équipe Engel/Marthaler est une garantie suffisante pour ne pas manquer cette reprise d’une production de l’automne 2022, aux couleurs tragicomiques, dans une société de chasseurs. L’univers de Marthaler est à la fois singulier, touchant et juste.

Novembre 2023-janvier 2024
Giuseppe Verdi
Rigoletto

10 repr. du 30 nov. au 21 janv. 2024 – Dir : Michele Spotti-Thomas Wise/MeS : Vincent Huguet

Avec Pavel Valuzhin, Nikoloz Lagvilava, Regula Mühlemann/ Álfheiður Erla Guðmundsdóttir
Sinfonieorchester Basel (avec places en fosse)
Michele Spotti après un Don Carlos qui a marqué la saison 2021-2022 est revenu à Bâle en 2022-23 pour une œuvre de Verdi plus populaire, Rigoletto, avec le même metteur en scène, Vincent Huguet. La production été plutôt bien accueillie notamment pour sa distribution et la direction musicale particulièrement colorée du jeune chef italien, et la reprise est affichée avec les mêmes. Autant d’arguments pour ne pas hésiter à faire le déplacement.

 

Conclusion

La saison lyrique du Theater Basel n’affiche que quelques rares stars, mais elle donne envie, parce que les initiatives autour des spectacles sont intéressantes, parce que l’offre est variée, tant au niveau des styles musicaux que de la couleur des mises en scène et parce que l’expérience montre que le niveau n’y est jamais médiocre.
Voilà bien des raisons pour lesquelles un lecteur intéressé par l’opéra doit penser à un déplacement à Bâle, parce qu’aucun théâtre français ni suisse n’a cette originalité ni cette couleur.

@DR/ Girlsberger

LA SAISON 2023-2024 DU TEATRO SAN CARLO DE NAPLES

SABLES MOUVANTS

L’exercice est périlleux. La période est instable. Nous avons évoqué la question de Stéphane Lissner, qui a attaqué l’État italien pour l’interruption brutale de son contrat, à cause du Décret-loi du 4 mai dernier et nous avons aussi évoqué la position pour le moins fuyante de la municipalité de Naples qui a pris acte du départ forcé du Sovrintendente. Le site du théâtre porte encore comme Sovrintendente et Direttore artistico Stéphane Lissner, en attendant développements ultérieurs, le décret-loi n’est pas encore devenu loi, mais …
En tous cas, le seul départ attesté est celui de José Luis Basso, chef des chœurs, qui dirigera à partir du 1er septembre le chœur du Teatro Real de Madrid, ce qui est indicatif de la situation fragile du grand théâtre napolitain à plusieurs niveaux.
– D’une part les derniers développements ont évidemment posé de nombreux points d’interrogation sur l’avenir de la programmation construite par Stéphane Lissner et sur la pérennité de ce qu’il a commencé à construire.
– D’autre part, le départ brutal de Lissner a créé un appel d’air dans lequel les syndicats se sont engouffrés et les travailleurs du théâtre ont déclenché des grèves et une agitation qui a amené à de récentes annulations entre mai et juin 2023.
– Enfin le talon d’Achille de ce théâtre n’est pas tant sa force de production que ses forces artistiques, chœur et orchestre, qui n’ont pas le niveau requis pour les ambitions affichées qui sont celles d’égaler au moins L’Opera di Roma et un jour le Teatro alla Scala, même s’il faut reconnaître que leurs dernières prestations s’étaient très nettement améliorées par rapport à ce qu’on avait l’habitude d’entendre. Ambitions légitimes au regard de l’histoire glorieuse d’une institution qui a sans doute plus contribué encore à l’art lyrique et à la gloire du répertoire italien que la Scala elle-même : la liste des premières mondiales napolitaines donne le vertige.

L’Opera di Roma est une institution récente, qui remonte à la fin du XIXe et dont l’identité était d’être l’opéra de la capitale de la nouvelle Italie, Milan et Naples étant les opéras de l’Histoire, auxquels on ajoutera le Teatro La Fenice de Venise, construit en 1792 (c’est le plus récent des théâtres historiques) resté au long du XIXe siècle un théâtre de référence, dans une ville qui a créé le théâtre d’opéra public dès le XVIIe.

Bref, aller au San Carlo est une plongée dans une histoire riche, prestigieuse, représentant une ville qui trouve ses racines dans l’antiquité et qui fut pendant des siècles la seule vraie capitale italienne, restant aujourd’hui encore l’une des villes européennes les plus fascinantes.
À ce titre, et au-delà de toutes les polémiques qui ont entouré Stéphane Lissner pendant les dernières années, l’entreprise qu’il a commencé d’édifier au San Carlo se justifie pleinement, mérite qu’on s’y intéresse et qu’on la salue, même s’il ne faut pas négliger le travail de remise à plat patient effectué par celle qui l’a précédé à ce poste, Rosanna Purchia, l’une des grandes représentantes du management théâtral en Italie, restée de 1976 à 2009 directrice de l’organisation et de la réalisation de la production artistique  au Piccolo Teatro, celle qui a accompagné toutes les directions, Giorgio Strehler, Jack Lang, Luca Ronconi et rendu possible la continuation de la production dans ce théâtre de légende.

Car le San Carlo est une institution depuis longtemps sur le fil du rasoir, qui a besoin de travaux de réfection et de restauration dont certains entamés en 2023, qui a besoin d‘une réflexion sur ses forces artistiques, et qui a aussi besoin d’une politique artistique sur le long terme, les trois ensemble formant un « en même temps » très délicat à combiner et à tisser sur un terrain aussi mouvant que le terrain napolitain. Quand on possède le plus beau des palais, si les fondations sont fissurées, le risque, c’est l’écroulement.
C’est là toute l’histoire des dernières décennies de ce Théâtre merveilleux, un des grands joyaux de l’architecture théâtrale italienne, né 41 ans avant la Scala, en 1737 et qui reste pour tout amoureux de l’art lyrique un lieu d’émotion pure. Et quel que soit le futur immédiat de l’institution, les successeurs, s’ils trouvent des saisons construites, auraient bien tort de les détruire (au nom de la politique bien connue des dépouilles), même si elles sont signées Lissner. Son ombre portée sera encore là, mais les futurs gestionnaires du lieu pourront officiellement s’en parer, ce qui est de bonne guerre. Reste à savoir s’ils seront des gens intelligents ou des sbires, ce qui est une autre histoire au vu de la main politique qui se saisit de la culture (dont elle se soucie comme d’une guigne, dans la bonne tradition née sous Berlusconi) en Italie…

Nous présentons la saison napolitaine telle qu’elle a été annoncée il y a déjà quelques mois, elle sera sans doute réalisée. Dans le cas contraire les uns accuseront la politique « dispendieuse » de Lissner (c’est pour le moins discutable on va le voir), les autres l’incapacité à maintenir un niveau digne au plus vieux théâtre d’opéra en Italie. Mais si les contrats artistiques ont été signés, il n’y pas de raison de douter car les rompre coûterait plus cher… Une autre question est de savoir si les artistes qui avaient envie de dire oui à Lissner (qui a du réseau et de l’influence) diront oui aux successeurs… à eux de jouer.

 

LA SAISON LYRIQUE

Les productions lyriques 2023-2024

13 opéras dont 11 en version scénique. Dans les compositeurs, le répertoire italien en prend la moitié avec 5 compositeurs sur les 10 proposés où Verdi se taille la part du lion (4 opéras). On remarque immédiatement que les nouvelles productions « en propre » du San Carlo sont limitées à la Turandot inaugurale, les autres sont des coproductions (Vespri siciliani, La Gioconda, Maria Stuarda), des productions louées ailleurs (Le château de Barbe Bleue/La voix humaine, Norma) et des reprises de productions marquantes du San Carlo, manière de rappeler que ce théâtre a aussi en magasin des productions de grand niveau (Don Giovanni, La Traviata, Elektra, Carmen), deux opéras enfin sont proposés en version de concert et particulièrement bien distribués, Luisa Miller et Simon Boccanegra.
Bien sûr ce sont des solutions claires pour moins dépenser, de montrer habilement que l’on tient compte de budgets resserrés, sans renoncer à la qualité. Et il faut reconnaître que bien des titres valent le voyage.

Bartok : Le château de Barbe-Bleue/Poulenc : La voix humaine
Bellini : Norma
Bizet : Carmen
Donizetti : Maria Stuarda
Mozart : Don Giovanni
Ponchielli : La Gioconda
Puccini : Turandot
Verdi :
I vespri siciliani
Luisa Miller (Concertant)
La Traviata
Simon Boccanegra (Concertant)
Strauss : Elektra

 

Analyse de la saison

 

Décembre 2023
Giacomo Puccini : Turandot

7 repr. du 9 au 17 déc. – Dir : Dan Ettinger /MeS : Vasily Barkhatov
Avec :
(A) [9, 12, 15, 17]
Sondra Radvanovsky, Yusif Eyvazov, Rosa Feola
(B) [10,13,16] Oksana Dyka, Seok Jong Baek, Amina Edris
et
Nicola Martinucci, Alexander Tsymbalyuk, Alessio Arduini, Gregory Bonfatti Francesco Pittari Nouvelle production Teatro San Carlo.
Le seul nom d’Oksana Dyka est un repoussoir pour la distribution B, qu’on évitera donc.
Tous les rôles de complément sont bien distribués, et on notera la présence de Nicola Martinucci, classe 1941, en Altoum, lui qui fut un des fréquents Calaf des années 1980 et 1990. Yusif Eyvazov sera sans doute un solide Calaf pendant que Madame est à la Scala pour Don Carlo, Rosa Feola la seule Liù possible aujourd’hui, et évidemment la grande Sondra Radvanovsky, lirico spinto de référence saura sûrement donner à la Princesse de glace une couleur plus moirée que les voix métalliques qu’on entend le plus souvent. Au pupitre, Dan Ettinger, chef polymorphe au large répertoire, nouveau directeur musical.
Le metteur en scène russe Vasily Barkhatov est l’un des noms qui émerge ces dernières années. On lui doit la très belle production de « L’Enchanteresse » à l’Opéra de Francfort dont Wanderersite a rendu compte. Tout cela laisse bien augurer de cette production.
Une bonne suggestion serait de coupler Scala et Naples. L’inauguration romaine du 27 novembre (Mefistofele) se poursuit jusqu’au 5, c’est un peu juste pour les dates mais quelques jours en Italie hors saison sont toujours à prendre.

Janvier – Février 2024
Giuseppe Verdi : I vespri siciliani

5 repr. du 21 janv. au 3 févr. – Dir : Henrik Nánási /MeS : Emma Dante
Avec Mattia Olivieri Piero Pretti Alex Esposito Maria Agresta etc…
Nouvelle production, Coprod. Teatro Massimo di Palermo/Teatro Comunale Bologna/Teatro Real Madrid
On a vu à Palerme cette somptueuse production, sicilienne en diable (normal vu à la fois le titre et les origines d’Emma Dante), où l’on parle d’antimafia et Wanderersite en a rendu compte. Malheureusement, si Palerme a osé la version originale en français, Naples ne s’y risque pas et propose I Vespri Siciliani dans une distribution de très bon niveau, avec Mattia Olivieri en Monforte, Maria Agresta en Elena et surtout Alex Esposito en Procida. En Arrigo (Henri), le très bon Piero Pretti sans doute plus à l’aise dans la version italienne que la française qui exige un ténor à la Raoul des Huguenots… Dans la fosse, le chef Henrik Nánási, excellent dans bien des répertoires, qu’on n’attendait pas forcément dans Verdi. Ceux qui adorent cet opéra (dont je suis) prendront le train.

Février 2024
W.A.Mozart : Don GiovannI

6 repr. du 16 au 27 févr. – Dir : Constantin Trinks /MeS : Mario Martone
Avec Andrzej Filończyk Antonio Di Matteo Roberta Mantegna, Bekhzod Davronov Selene Zanetti Gianluca Buratto Valentina Naforniţa Tommaso Barea
Reprise prod.2002
Il est si difficile de trouver une distribution adéquate pour Mozart aujourd’hui qu’un Don Giovanni excite immédiatement la curiosité. La production est une reprise maison de Mario Martone, largement présentable, le chef fait partie de la génération des chefs allemands solides, qui proposera un Mozart de tradition et sans bavures, et la distribution présente quelques choix particulièrement intéressants, en premier lieu Andrzej Filończyk, baryton-basse polonais qui fait largement carrière en Italie dans le rôle-titre, parce que c’est vraiment un excellent chanteur avec face à lui, le Leporello de Gianluca Buratto qui vient de l’univers baroque et qu’on commence à voir sur toutes les scènes. Roberta Mantegna plus entendue dans Verdi que Mozart sera Donna Anna, la voix puissante saura répondre aux exigences techniques du rôle, mais saura-t-elle l’incarner ? Et Selene Zanetti sera Donna Elvira, délicieux soprano d’une autre couleur qu’il sera intéressant d’écouter dans ce rôle redoutable. Notons aussi le moins connu Bekhzod Davronov qui a si favorablement impressionné dans le rôle du prince Kouraguine dans Guerre et Paix de Prokofiev (Bayerische Staatsoper), assez à l’opposé du caractère d’Ottavio qu’il incarnera à Naples. Dans l’ensemble une reprise qui excite la curiosité.

Mars 2024
Vincenzo Bellini : Norma

4 repr. du 16 au 26 mars – Dir : Lorenzo Passerini /MeS : Justin Way
Avec Anna Pirozzi, Ekaterina Gubanova, Freddie De Tommaso, Alexander Tsymbalyuk etc…
Prod. du Teatro Real Madrid (2021)
La production de Justin Way avait en 2021 à Madrid laissé quelques doutes (théâtre dans le théâtre), mais il est difficile de trouver aujourd’hui une production satisfaisante, tant l’œuvre reste rare sur les scènes et difficile à monter. Le chef Lorenzo Passerini est l’un des chefs les plus en vue de la jeune génération et donc c’est un vrai plus. La distribution est solide, mais pas vraiment belcantiste, ni PIrozzi ni Gubanova ne sont des Belliniennes d’origine contrôlée, et Norma n’est ni Tosca, ni Nabucco, ni Aida. Tsymbalyuk, basse bien connue, sera sans doute un bon Oroveso, et toute notre curiosité ira au Pollione du jeune Freddie De Tommaso, lancé désormais sur les scènes internationales, ténor au timbre chaleureux et plutôt intéressant.
C’est louable de monter Norma de toute manière, alors, bon vent.

Avril 2024
Amilcare Ponchielli : La Gioconda

6 repr. du 10 au 17 avril – – Dir : Pinchas Steinberg /MeS : Romain Gilbert
Avec
(A) 10, 13, 16 avr. : Anna Netrebko, Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Anita Rashvelishvili, Alexander Köpeczi, Kseniia Nicolaieva
(B) 11, 14, 17 avr. : Liana Haroutounian, Giorgio Berrugi, Ernesto Petti, Yulia Matochkina,
Alexander Köpeczi, Kseniia Nicolaieva
Nouvelle production, Coprod. Gran Teatre del Liceu, Barcelona
Ce sera la ruée, vu le trio de tête Netrebko/Kaufmann/Tézier. Je ne parie pas trop sur Anita Rashvelishvili en Laura mais bien plus en Yulia Matochkina qui chante dans la distribution B, intéressante aussi avec Liana Haroutounian, sans doute titulaire en B et doublure en A.
On ne commente pas : il faut pour Gioconda un mythe. J’entendis (la seule fois, en scène) Callas en fin de parcours dans Suicidio et noyé dans mes larmes, je compris en « live » pourquoi elle était un mythe, alors que la voix était détruite.
Tézier et Kaufmann seront là aussi pour compléter la fête, une de ces soirées à ne pas manquer.
Production du jeune français Romain Gilbert qu’on commence à voir sur les scènes et qui fera sans doute un travail spectaculaire, mais sûrement pas révolutionnaire, d’ailleurs, l’œuvre ne s’y prête pas et le public qui viendra ne l’attend pas. En fosse, Pinchas Steinberg, très grand professionnel, une assurance pour l’orchestre. Réservez vos places…

Mai 2024
Béla Bartók : Le Château de Barbe Bleue
Francis Poulenc : La voix humaine

4 repr. du 24 au 30 mai – Dir : Edward Gardner/MeS Krzysztof Warlikowski
Avec (Bartók) Elīna Garanča, John Relyea/(Poulenc) Barbara Hannigan
Prod. Opéra national de Paris/Teatro Real Madrid
Duo de stars pour cette production phare qui a fait les beaux soirs de l’Opéra de Paris et du Teatro Real de Madrid. Après Rome, Krzysztof Warlikowski arrive à Naples, le sud italien s’ouvre plus que le nord à la mise en scène d’opéra, mais historiquement (et contrairement à ce qu’on croit) le sud italien était le lieu de l’innovation économique et artistique et le nord en a tiré, sucé la substantificque moelle.
En fosse, l’excellent Edward Gardner, connu désormais partout mais pas en Italie, à qui l’on doit un magnifique Peter Grimes à Munich et sur la scène, à côté du solide John Relyea en Barbe Bleue, Elīna Garanča en Judith qu’on ne doit manquer sous aucun prétexte. Quant à Barbara Hannigan, la production a été créée pour elle, c’est une des chanteuses fétiches de Warlikowski, et dans l’œuvre de Poulenc, elle sera sans doute époustouflante…
Vous savez ce qui vous reste à faire.

Juin 2024
Giuseppe Verdi : Luisa Miller
2 repr. (version concertante) les 5 et 9 juin – Dir : Daniele Callegari
Avec Nadine Sierra, Gianluca Buratto, Michael Fabiano, Valentina Pluzhnikova, Artur Ruciński, Krzysztof Bączyk
Il est un peu curieux que cet opéra créé au San Carlo ne fasse pas l’objet d’une production, sans doute parce qu’il est un peu moins populaire que d’autres Verdi. Il bénéficie en revanche de la direction de Daniele Callegari, un excellent chef d’opéra, actuel directeur musical de l’Opéra de Nice et pas toujours considéré à sa juste valeur, ainsi que d’une distribution de haut niveau dominée par Nadine Sierra et Michael Fabiano, très connus (et avec raison) et entourés d’Artur Ruciński, Gianluca Buratto, Krzysztof Bączyk, excellents professionnels. Ajoutons la présence en Federica de la jeune mezzo Valentina Pluzhnikova, issue de l’Accademia del Teatro alla Scala, et remarquée l’an dernier à Bergamo dans Chiara e Serafina, à l’orée d’une carrière qui s’annonce bien.

Gaetano Donizetti : Maria Stuarda
4 repr.  du 20 au 29 juin – Dir : Riccardo Frizza/ MeS : Jetske Mijnssen
Avec Pretty Yende, Aigul Akhmetshina, Francesco Demuro, Carlo Lepore, Sergio Vitale etc…
Nouvelle production, coprod . avec Dutch National Opera, Palau de les Arts Reina Sofia Valencia.
Désormais demandée dans pas mal de scènes lyriques européennes, Jetske Mijnssen vient de mettre en scène avec un relatif succès semble-t-il Anna Bolena  à Naples, première brique de la trilogie qui se poursuit donc la prochaine saison avec Maria Stuarda dont le rôle-titre est confié à Pretty Yende, voix séduisante et émouvante, personnalité peut-être moins convaincante en scène. Face à elle l’Elisabetta d’Aigul Akhmetshina, astre montant très rapidement dans le ciel des mezzo-sopranos, tant on voit son nom sur pas mal de distributions un peu partout. Elle avait impressionné dans Polina de Dame de Pique à Baden-Baden en 2022. Autour, une distribution de bonne facture (Demuro, Lepore, Vitale) et un chef donizettien pur sucre, puisqu’il est le directeur musical du festival Donizetti de Bergamo, Riccardo Frizza.  Une production qui a des arguments pour séduire.

Juillet 2024
Giuseppe Verdi : La Traviata

6 repr. du 14 au 30 juillet – Dir : Giacomo Sagripanti /MeS : Lorenzo Amato
Avec Lisette Oropesa, Xabier Anduaga, Luca Salsi etc…
Reprise d’une production maison 2018
L’été lyrique napolitain avait commencé on s’en souvient en 2020 avec de grands concerts en plein air et des stars (Netrebko, Kaufmann) sur la Piazza del Plebiscito alors que le monde était encore secoué par la pandémie (un siège sur deux, masques etc…), l’idée d’un été festif s’est désormais concentrée autour du théâtre, offrant des productions populaires dont la distribution est susceptible d’attirer non seulement le public local, mais aussi le touriste de passage. C’est le cas de cette Traviata qui a tout pour plaire : Lisette Oropesa qui en est aujourd’hui la titulaire incontestée un peu partout, Luca Salsi, le baryton italien le plus célèbre, et Xabier Anduaga, belcantiste à la voix importante et délicate qui visiblement tient à élargir son répertoire. En fosse, Giacomo Sagripanti, qui n’est pas le pire des chefs de répertoire.
Les ingrédients y sont, et si vous passez par Naples en cette fin de juillet.

Septembre-Octobre 2024
Richard Strauss : Elektra

4 repr. du 27 sept. au 3 oct. – Dir : Mark Elder / MeS : Klaus Michael Grüber
Avec Ricarda Merbeth, Evelyn Herlitzius, Elisabeth Teige, John Daszak, Łukasz Goliński etc…
Reprise prod.2003
Une production de Klaus Michael Grüber, même ressorties des placards, même de vingt ans d’âge, même déjà reprise dans l’intervalle, cela ne se manque pas, notamment pour ceux qui ne connaissent pas cette légende du théâtre et de la scène lyrique qui a marqué de son empreinte les trente dernières années du XXe siècle, décédé trop tôt et emporté en 2008 par la maladie. C’est déjà un motif de déplacement. Même si Ricarda Merbeth n’est pas mon Elektra de cœur, c’est une des voix importantes du rôle, et elle voisine avec l’immense Herlitzius qui fut une Elektra phénoménale avec Chéreau, cette fois Clytemnestre, et en Chrysothemis Elisabeth Teige, la dernière découverte de Bayreuth (Der Fliegende Holländer 2022) où elle sera en plus Sieglinde et Elisabeth en 2023. Trio de choc, mise en scène à voir…il est pourtant regrettable que l’entreprise ait été confiée à la baguette sans aucun intérêt de Sir Mark Elder, que je n’ai jamais réussi à trouver convaincant quand je l’ai entendu, à commencer par Die Meistersinger von Nürnberg à Bayreuth en 1981, qu’il dirigea un an seulement…

Octobre 2024
Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra
2 repr. (version concertante) les 11 et 13 oct. – Dir : Michele Spotti
Avec Ludovic Tézier, Michele Pertusi, Ernesto Petti, Francesco Meli, Marina Rebeka
Un Simon Boccanegra concertant mais qui au vu de la distribution vaut bien des versions scéniques ; le couple Tézier-Pertusi, deux astres des scènes, qu’on a déjà vu dans le Don Carlo inaugural de la saison présente 2022-2023 se retrouve pour deux représentations, Meli en Gabriele Adorno de très grand luxe, Marina Rebeka en Amelia aura la voix, mais sans doute pas l’émotion attendue dans un rôle qui en demande tant. Mais ne chipotons pas…
En fosse Michele Spotti, qui pas à pas devient l’un des chefs les plus fréquents du répertoire italien : il affronte de plus en plus Verdi, Don Carlos et Rigoletto à Bâle par exemple alors qu’on le considérait comme essentiellement rossinien. Avec Boccanegra, il accède à la cour des grands.
Deux représentations qui sont de réelles promesses.

Octobre – Novembre 2024
Georges Bizet : Carmen
8 repr. du 25 oct. au 3 nov. – Dir : Dan Ettinger/MeS : Daniele Finzi Pasca
Avec Aigul Aktmetshina/Viktoria Karkacheva, Dmytro Popov/Jean-François Borras, Mattia Olivieri/Ernesto Petti, Selene Zanetti/Carolina López Moreno etc…
Reprise prod. 2015
La saison s’achève avec un must, l’opéra le plus représenté au monde (et ici 8 représentations d’une reprise, ce qui veut dire un bon rapport financier pour le théâtre). La Production est signée du tessinois Daniele Finzi Pasca, qui avait ouvert l’ère Aviel Cahn à Genève par une belle réussite, Einstein on the Beach, de Philip Glass.
Deux distributions qui chacune ont leur prix, à commencer par les deux Carmen, incarnées par les deux mezzos qui explosent en ce moment, Aigul Aktmetshina et Viktoria Karkacheva : notez leur nom, elles vont inonder les scènes dans les prochaines années. À Dmytro Popov vaillant sans plus, on préfèrera Jean-François Borras en Don José pour d’évidentes raisons à la fois idiomatiques, techniques et artistiques : le ténor français cultive l’art du chant avant celui du ténor ténorisant. Mattia Olivieri est désormais un des barytons de choix dans les chanteurs italiens, bon acteur, qui devrait convenir à Escamillo, et de son côté Selene Zanetti a tout d’une idéale Micaela. Je conseillerais presque (si vous êtes à Naples) de voir les deux distributions, tant les deux Carmen incarneront deux facettes très différentes du personnage.
En fosse, Dan Ettinger, solide, sûr, mais pas inoubliable.

 

BALLET

Il y a une grande tradition napolitaine du ballet et celui du San Carlo est dirigé par Clotilde Vayer venue de l’Opéra de Paris où elle était directrice adjointe de la danse. Le ballet du San Carlo essentiellement composé de « precari » (CDD) a été consolidé l’an dernier par la création de 21 CDI, le but étant d’arriver à une compagnie stable d’une quarantaine de membres, le théâtre a donc ouvert un concours où 80% des reçus appartenaient au corps de ballet du San Carlo en CDD.  On perçoit là encore les problèmes de gestion d’un théâtre qui n’a pas, comme nous l’écrivions toute la stabilité voulue pour être « en état de marche ».
La saison 2023-24 propose quatre soirées de ballet de répertoire plutôt classique.
Le ballet est dans toutes les maisons un moyen d’engranger de la trésorerie puisque les corps de ballet sont des troupes qui coûtent en salaire et pas en cachets, et qu’en général les soirées affichent complet.
On ne s’étonnera pas de voir à la fois des productions de ballets louées ailleurs sans doute rarement ou pas présentés à Naples et un minimum de six soirées par production. Toujours s’affiche la prudence de gestion dans un théâtre fragile.

Décembre 2023- Janvier 2024
Ludwig Minkus : Don Quichotte

7 repr. du 23 déc. au 4 janv. (Chor : Rudolf Noureev-Marius Petipa/Dir : Martin Yates)
4 repr. « Familles » (à 12h, version réduite, musique enregistrée) les 24 et 31 déc/3 et 4 janvier).
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Royal Swedish Opera

Un des grands ballets du répertoire académique, une chorégraphie de Noureev ; programme de fin d’année idéal.

 

Avril-mai 2024

Serguei Prokofiev : Romeo et Juliette
6 repr. du 28 avr. au 5 mai (Chor : Kenneth McMillan/ Dir : Paul Connelly)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Royal Birmingham Ballet

Un autre des grands piliers du répertoire de ballet, créé au Royal Ballet de Londres en 1965 par Rudolf Noureev et Margot Fonteyn. Et cette chorégraphie est devenue un mythe, reprise sur toutes les scènes du monde, signée de Kenneth McMillan mort en 1992, qui allie modernité et classicisme.

 

Juillet 2024
Soirée Jérôme Robbins

5 repr. du 19 au 28 juillet ( Chor : Jérôme Robbins/Dir : Philippe Béran/Piano : (Chopin) : Aniello Mallardo Chianese ; (Ravel) : Alessandra Brucher)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo

Autre chorégraphe mythique, popularisé par sa chorégraphie et sa mise en scène de West Side Story à Broadway en 1957 puis par le film de Robert Wise en 1961 dont sont présentés trois pièces courtes mais très symboliques :
In the night, ballet en quatre mouvements, sur les musiques des  Nocturnes n° 1 op. 27, n° 1 e n. 2 op. 55, n° 2 op. 9 de Fryderyk Chopin
Afternoon of a faun, du poème symphonique Prélude à l’après-midi d’un faune, de Claude Debussy
En sol , Concerto en sol majeur pour piano et orchestre de Maurice Ravel

 

Septembre 2024
La danse française de Serge Lifar à Roland Petit
6 repr. du 7 au 11 sept. (Chor : Serge Lifar- Roland Petit/Dir : Philippe Béran)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Teatro dell’Opera di Roma

Suite en Blanc, Extrait de Namouna d’Édouard Lalo
Chorégraphie : Serge Lifar reprise par Charles Jude
L’Arlésienne
, musique de Georges Bizet
Chorégraphie : Roland Petit reprise par Luigi Bonino
Le jeune homme et la mort
, musique de Jean-Sébastien Bach
(Passacaille en do mineur, BWV 582)
Chorégraphie : Roland Petit reprise par Luigi Bonino

Une soirée composée de trois ballets piliers du répertoire parisien qui clôt une saison à la fois réduite mais diverse par les styles combinant petites formes et grands ballets.

 

CONCERTS ET RÉCITALS

 

Dans une ville qui au contraire de Rome n’a pas une offre musicale très étoffée en dehors du San Carlo, le rôle d’une saison symphonique est déterminante, nous l’avons d’ailleurs déjà évoqué. La suppression en 1992 de l’Orchestra Scarlatti de la RAI puis le regroupement en un seul orchestre à Turin a mis en difficulté la vie musicale napolitaine. La naissance de la Nuova Orchestra Scarlatti dès 1993 a tenté non sans vaillance de combler le vide. Il reste que le San Carlo reste le centre musical de référence.
Ainsi sont programmés en 2023-2024 15 concerts et récitals (exactement 6 récitals et 9 concerts, sur l’ensemble de l’année dont trois concerts du directeur musical Dan Ettinger. Souvent, les chefs invités de la saison lyrique dirigent un concert symphonique en complément, mais on trouve aussi d’autres noms. Chaque concert est donné une seule fois, signe que le public n’est pas encore tout à fait reconstitué pour ce type de manifestation.

Il reste qu’il manque à cette programmation une meilleure lisibilité (séparer les concerts des récitals de chant par exemple). En revanche la programmation des récitals est visiblement destinée à attirer le public (par exemple, la chanson napolitaine, qui gagne à être connue par ailleurs), exclusivement ciblée sur les airs d’opéra populaires. Notons de Luca Salsi fait la part belle au Verdi français, ce qui est une excellente idée.
Un étalement plus clair des concerts symphoniques tout au long de la saison serait aussi souhaitable.

20 Décembre 2023
Concert de Noël

Orchestra e coro del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger

Schubert : Symphonie n°5 en si Bémol majeur D.485
Mozart : Grande messe en ut mineur K.427
Nadine Sierra, soprano
Ana Maria Labin, soprano
Attilio Glaser, ténor
Adolfo Corrado, basse

26 Janvier 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Pinchas Steinberg
Nikolai Lugansky, piano

Rachmaninov : Concerto n°3 en ré mineur pour piano et orchestre, op.30
Chostakovitch : Symphonie n°5 en ré mineur, op.47

2 février 2024
Jonas Kaufmann
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Jochen Rieder
Extraits de The Great Caruso, Love Story, Gladiator, Once Upon a Time in America, West Side Story, South Pacific
Musiques de Nino Rota, Bernard Herrmann, Max Steiner, Franz Waxman, Leonard Bernstein

24 février 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Ingo Metzmacher
Adriana di Paola, mezzosoprano
Francesco Castoro, ténor
Dario Russo, baryton

Stravinsky, Ballet avec chant en un acte
Beethoven Symphonie n°7 en la majeur op. 92

14 mars 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Marco Armiliato
Lucas Debargue, piano
Matilda Lloyd, trompette

Beethoven, Egmont , ouverture en fa mineur op.84
Chostakovitch, Concerto n°1 op. 35 pour piano et orchestre à cordes accompagné de trompette op.35
Mendelssihn, Symphonie n°4 en la majeur op.90

20 avril 2024
Maria Agresta, hommage à Naples

Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Antonio Sinagra
Maria Agresta, soprano

Raffaele Viviani, “Bammenella”
Ernesto De Curtis / Edoardo Nicolardi, “Voce ’e notte”
Totò, “Malafemmena”
Ernesto Tagliaferri / Nicola Valente / Libero Bovio, “Passione”
Eduardo Di Capua / Vincenzo Russo, “I’ te vurria vasà”
Mario Pasquale Costa / Salvatore Di Giacomo, “Era de maggio”
Rodolfo Falvo / Enzo Fusco, “Dicitencello vuje”
Salvatore Cardillo / Riccardo Cordiferro, “Core ’ngrato”
Filippo Campanella / Raffaele Sacco, “Te voglio bene assaje”
Ernesto De Curtis / Giambattista De Curtis, “Torna a Surriento”
Gaetano Lama / Libero Bovio, “Reginella”
Eduardo Di Capua / Alfredo Mazzucchi / Giovanni Capurro, “’O sole mio”
Enrico Cannio / Aniello Califano, “’O surdato ’nnammurato”
Ernesto De Curtis / Libero Bovio, “Tu ca nun chiagne”
Alberto Barberis / Michele Galdieri, “Munasterio ’e Santa Chiara”
Francesco Paolo Tosti / Gabriele D’Annunzio, “’A vucchella”

 

10 mai 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Edward Gardner
John Relyea, basse

Berlioz, le carnaval romain, ouverture op.9
Moussorgski, Chants et danses de la mort, cycle de quatre chants pour voix et orchestre
Brahms, symphonie n°4 en mi mineur op.98

11 mai 2024
Récital
Barbara Hannigan, soprano
Bertrand Chamayou, piano

Zorn, Jumalattaret
Scriabine, Sélection d’extraits pour piano seul
Messiaen, Chants de Terre et de Ciel

24 mai 2024
Récital
Nadine Sierra, soprano
Vincenzo Scalera, piano

Gounod, Roméo et Juliette, “Ah, je veux vivre”
Gustave Charpentier Louise, “Depuis le jour”
Richard Strauss
“Allerseelen”, op. 10 n. 8
“Ständchen”, op. 17 n. 2
“Morgen”, op. 27 n. 4
“Wiegenlied”, op. 41 n. 1
“Cäcilie”, op. 27 n. 2
Giuseppe Verdi La traviata, “È strano… Sempre libera”
Gaetano Donizetti Don Pasquale, “Quel guardo il cavaliere… So anch’io la virtù magica”
Heitor Villa-Lobos “Melodia Sentimental”
Ernani Braga “Engenho Novo!”
Joaquín Rodrigo Cuatro madrigales amatorios
“¿Con qué la lavaré?”
“Vos me matasteis”
“¿De dónde venís, amore?” “De los álamos vengo, madre”
Gerónimo Giménez El barbero de Sevilla, “Me llaman la primorosa”

7 juin 2024
Récital
Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Bizet “Pastel” “Voyage”
Hahn “Si mes vers avaient des ailes”
Martucci Notturno, op. 70 n. 2
Rossini  Guillaume Tell, “Sois immobile”
Donizetti La favorite, “Léonor, viens, j’abandonne“
Verdi
Les vêpres siciliennes, “Au sein de la puissance”
Macbeth, “Honneur, respect, tendresse”
Martucci Notturno, op. 70 n. 1
Verdi Don Carlos, “C’est moi, Carlos… C’est mon jour… Carlos, écoute”

 

22 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger
Leonidas Kavakos, violon

Ravel, Tzigane, Rhapsodie de concert pour violon
Sibelius, Sérénade n°1 en ré majeur pour violon et orchestre op. 69
Chausson, Poème pour violon et orchestre op.25
Schumann, Symphonie n°4 en ré mineur op.120

28 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger
Gregory Kunde, ténor

Liszt, Eine Faust-Symphonie d’après Goethe pour soliste, chœur d’hommes et orchestre S.108

4 juillet 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : James Ga ffigan
Lisette Oropesa, soprano

Schubert, Symphonie n°3 en ré majeur D.200
Mozart
“Vado, ma dove? Oh Dei!”, K. 583
“A Berenice… Sol nascente”, K. 70
Tchaikovski, Romeo e Giulietta, Ouverture-fantaisie en si mineur

6 octobre 2024
Jonas Kaufmann/Ludovic Tézier
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Jochen Rieder
Jonas Kaufmann, ténor
Ludovic Tézier, baryton

Giuseppe Verdi
La forza del destino, Ouverture
“Solenne in quest’ora”
“Morir! Tremenda cosa!”
“La vita è inferno all’infelice”
“Invano Alvaro ti celasti al mondo”

Giuseppe Verdi
I vespri siciliani, Ouverture

Amilcare Ponchielli La Gioconda,
“Enzo Grimaldo, Principe di Santafior”
Danza delle ore
“Cielo e mar!”

Giuseppe Verdi Otello, “Tu?! Indietro! Fuggi!”
Giacomo Puccini La bohème, “O Mimì, tu più non torni”
Giuseppe Verdi Don Carlo, “Dio, che nell’alma infondere”

28 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Mikko Franck
Anna Tifu, violon

Sibelius, Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, op. 47
Bruckner, Symphonie n°7 en mi majeur

FESTIVAL DE PIANO

Quatre rencontres avec des pianistes de renom à la fin du mois de mai forment le « Festival de piano ».

Samedi 25 mai 2024
Gregory Sokolov
Programme à annoncer

Mardi 28 mai 2024
David Fray

Bach, Aria avec 30 variations, en sol majeur pour clavecin, BWV 988 “Variations Goldberg”

Liszt,
Années de pèlerinage. Deuxième année: Italie, S. 161
Sposalizio
Années de pèlerinage. Troisième année, S. 163
Les jeux d’eaux à la Villa d’Este
Années de pèlerinage. Deuxième année: Italie, S. 161
Sonetto 104 del Petrarca
Après une lecture de Dante

Mercredi 29 mai 2024
Mikhail Pletnev

Scriabine, vingt-quatre préludes, op. 11
Chopin, vingt-quatre préludes pour piano, op. 28

Vendredi 31 mai 2024
Francesco Piemontesi

Beethoven
Sonate n° 21 en ut majeur pour piano, op. 53 “Waldstein”
Sonate n° 30 en mi majeur pour piano, op. 109

Debussy, Préludes pour piano – Livre II, L. 131

 

MUSIQUE DE CHAMBRE :

Comme à la Scala, dont nous avons salué l’initiative, le théâtre propose une programmation spécifique de musique de chambre, 9 concerts très variés avec des membres de l’orchestre du San Carlo, une fois par mois, le dimanche à 18h à un tarif plutôt séduisant aussi bien pour le public local que les touristes de passage.

Les dates sont :

Dimanche 7 janvier : Andante appassionato
En ouverture du cycle, en grande formation de chambre  (« I reali Filarmonici ») dans un programme Saint-Saëns, Fauré, Rimski-Korsakov, Rachmaninov, Respighi

Dimanche 4 février : Mozart
Deux pièces de Mozart, le Divertimento pour cordes en mi bémol majeur « Grand trio » K.563 et le Quatuor n°1 pour flûte et cordes en ré majeur K.285

Dimanche 10 mars : Bach/Haydn/Ries
Un parcours du XVIIIe au XIXe pour cordes, flûte et clavecin

Dimanche 21 avril : Violoncelles du Teatro San Carlo
Les ensembles de violoncelles sont toujours spectaculaires, ici dans un programme Bach, Aeschbacher, Forino, Elgar, Rachmaninov, Villa-Lobos

Dimanche 12 mai : Stravinski/Khatchaturian/Bartók
Programme de trois trios pour violon, clarinette et piano qui commencera par l’Histoire du Soldat de Stravinsky.

Dimanche 16 juin : Omaggio alla lirica italiana
Des arrangements d’airs célèbres de Rossini, Verdi, Puccini pour vibraphone, violon, alto, contrebasse

Dimanche 15 septembre : Real Cappella del Teatro San Carlo
Formation baroque du Teatro San Carlo (violons, alto, violoncelle, contrebasse, orgue) dans un programme Pergolèse, l’un des plus grands représentants de l’école napolitaine, avec soprano et contralto :
Salve Regina pour soprano, quatuor à cordes et basse continue,
Salve Regina pour contralto, quatuor à cordes et basse continue,
Stabat Mater pour soprano, contralto, quatuor à cordes et basse continue.

Dimanche 20 octobre : Rossini/Mendelssohn
Programme pour cordes
Rossini,
Sonate à quatre n°1 en sol majeur pour deux violons, alto et violoncelle
Sonate à quatre n°2 en la majeur pour deux violons, alto et violoncelle
Mendelssohn, Octuor en mi bémol majeur pour cordes op.20

Dimanche 10 novembre : Mahler
Direction musicale : Maurizio Agostini
Mahler, Symphonie n°4 en sol majeur (arrangement d’Erwin Stein pour formation de chambre)

 

 

Conclusion

Au total, la programmation du San Carlo a une grande cohérence, elle est sensible aussi au public local, par sa prudence dans les choix de répertoire, mais aussi par une certaine variété de l’offre à tous niveaux. La programmation lyrique est loin de manquer d’intérêt, la programmation symphonique assez ouverte et les concerts de musique de chambre ont un programma souvent séduisant, ils sont aptes à attirer un public moins habituel, curieux de pénétrer dans cette salle mythique, à un tarif particulièrement avantageux (15 Euros).
En somme, cette programmation démontre une activité, une ambition, et déjà un bilan car les deux saisons précédentes n’ont pas fait rougir.

C’est pourquoi voir l’État italien déstabiliser brutalement l’institution pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’artistique a quelque chose de désolant, voire d’imbécile mais hélas habituel.

Il reste à espérer qu’une solution pour le théâtre soit trouvée qui le consolide, et que cette merveille ne retombe pas dans les sables mouvants du passé.

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2018-2019: BARBE-BLEUE de JACQUES OFFENBACH, le 14 JUIN 2019 (Dir: Michele SPOTTI; Ms: Laurent PELLY)

Carl Ghazarossian (Saphir) et Jennifer Courcier (Fleurette): une idylle bucolique…© Stofleth


Il y a quelque chose de familial dans cette production du Barbe Bleue de Jacques Offenbach présentée à Lyon depuis le 14 juin dernier. Familial parce que si un théâtre a rendu hommage à Offenbach, c’est bien l’Opéra de Lyon depuis plus de deux décennies, et avant même l’arrivée de Serge Dorny. Il est donc naturel qu’en 2019, deux centième anniversaire de sa naissance, Lyon affiche cette nouvelle production (en fait création à Lyon)  de Barbe Bleue, mais aussi qu’à la fin de l’année l’opéra affiche une reprise de la production de Pelly du Roi Carotte, dont la révélation avait beaucoup marqué il y a quatre ans.
Familial aussi par la fidélité marquée envers Laurent Pelly, qui a lié son nom à toutes les productions lyonnaises d’Offenbach. Serge Dorny a compris, en continuant de lui confier les Offenbach ce que cette fidélité signifiait pour la maison, pour la couleur et la cohérence de l’approche mais aussi pour les habitudes de travail avec une équipe qu’on connaît et qu’on aime. D’où cette impression d’aisance et de fluidité qu’on voit notamment dans la manière dont le chœur (emmené cette fois par l’excellente Karine Locatelli, responsable de la maîtrise de l’Opéra de Lyon) joue, chante et danse avec une joie visible et une liberté régénératrice. Serge Dorny aime inscrire sa programmation dans des fidélités, très diverses, qui créent des habitudes chez le public mais aussi dans le personnel de la maison. C’est ce que j’appelle « quelque chose de familial » : le retour de Pelly, c’est le retour du cousin rigolo qui va mettre une ambiance joyeuse dans le travail.
Ce travail est d’abord marqué par la mécanique de précision nécessaire à toute œuvre d’Offenbach, comme à toute opérette d’ailleurs. Il en va de l’opérette ou de l’opéra-bouffe comme des pièces de Feydeau : sans le rythme, sans le tempo soutenu, sans l’impeccable travail millimétré, tous les effets tombent à plat.
On chante et on danse au rythme de la musique avec des mouvements calculés, des gestes bien réglés dans une chorégraphie impeccable, le tout avec une fluidité scénique qui est la caractéristique du travail de Laurent Pelly.

Une scène de la MeS de Stefan Herheim (Komische Oper Berlin) © Iko Freese/drama-berlin.de


L’approche n’a rien de commun avec la mise en scène de la Komische Oper de Berlin (Stefan Herheim); elle est plutôt réaliste, notamment le décor initial de ferme, qui aurait pu être idéalisé et pastoral, mais qui est au contraire particulièrement ancré dans une réalité agricole d’aujourd’hui, tas de fumier compris, avec l’évocation de titres des faits divers dramatiques que sont les disparitions de femmes façon serial-killer.

Décor de l’acte I, la ferme, sous les titres de journaux locaux © Stofleth

Le cadre principal des deuxième et troisième actes est celui d’un salon qui pourrait être le salon de n’importe quel palais avec sur la droite en reproduction géante les titres de la presse à scandale ou de la presse du cœur qui relate les histoires des princes et des princesses. Là aussi, le réalisme domine dans la représentation car Pelly inscrit l’histoire dans un cadre, avec ses références et ses rapports au quotidien, d’où ensuite les décalages créés dans la loufoquerie. L’opposition de la presse locale de faits divers et la presse “people” donne aussi une idée de la distance qui existe entre les deux univers.

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Le mariage de Saphir et Hermia/Fleurette à la Cour © Stofleth

La nature d’Offenbach comme l’a souligné Barrie Kosky dans son interview publiée dans Wanderer est d’être en prise directe avec son temps pour tourner en dérision les manies ou les personnages politiques ou mondains de l’époque,  avec en premier lieu un regard acéré sur les jeux du pouvoir. Il affirme d’ailleurs le rôle d’aiguillon de l’opérette, qui parce qu’elle est populaire se permet une grande liberté de ton qui va de l’ironie sur le pouvoir aux grivoiseries marquées.
Les courtisans au début du deuxième acte chantent d’entrée
« Notre maître va paraître,
au Palais nous accourons,
force grâces force places,
voilà ce que nous voulons »
Ils sont ridiculisés dans leur manière de saluer : quand Bobèche entre, sa première réplique est « ils sont plus bas qu’hier… parfait ! ». La dénonciation de la cour et de ses petits travers est permanente. Pour rendre un peu l’effet qu’Offenbach pouvait avoir sur les spectateurs du temps il suffirait de faire de Bobèche et de son épouse une imitation d’Emmanuel Macron et de Brigitte ou de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni : les phénomènes de cour sont récurrents ; quant à Barbe-Bleue on pourrait lui donner les traits de quelque séducteur invétéré et infatigable profitant de sa position… il y en a eu dans le monde politique récent…. On verrait alors si le pouvoir le supporterait. On se rappelle que Les Grenouilles d’Aristophane dans la mise en scène de Luca Ronconi à Syracuse affichait tous les personnages du personnel politique berlusconien de l’époque et leurs effigies furent retirées par l’action légale d’un obscur et imbécile berlusconien local.

La cour de Bobèche (Christophe Mortagne) © Stofleth

La question du rapport à l’époque n’est pas posée en des termes aussi directs par Pelly qui reste plus sage à cet égard mais la satire est bien claire et bien des excellences qui gravitent autour du pouvoir pourraient se reconnaître sous la figure des courtisans. La loi du genre est celle du comique et de la gentillesse et ainsi la monstruosité de Barbe-Bleue est-elle compensée par l’astrologue Popolani et celle de Bobèche par le comte Oscar; Offenbach met en scène des monstres parallèles: d’une part le roi jaloux de son pouvoir et de rivaux éventuels auprès de sa femme qu’il fait tuer et d’autre part Barbe-Bleue épouseur et meurtrier.
Voilà qui ne valorise ni le pouvoir ni la classe aristocratique; il faut toujours voir derrière ces histoires loufoques une lecture de la société du temps. Le genre opérette en France n’a pas survécu à l’affadissement de ses œuvres les plus traditionnelles tout comme d’ailleurs la culture des chansonniers : l’heure est au consensus mou et télévisuel, pour aseptiser les spectacles et anesthésier le spectateur. Et la véritable opérette ne mange pas de ce pain fade.

Il est clair qu’Offenbach s’adresse à un public averti qui sait lire entre les lignes, un public plutôt urbain, voire exclusivement parisien. Laurent Pelly reste en-deçà d’une satire trop directe et préfère travailler à la mécanique comique et à une vision plus générique et moins ciblée, même si le premier acte est vraiment inscrit dans une réalité socialement dégradée. Il travaille donc plus directement sur la question des classes sociales et sur la manière dont les paysans/agriculteurs sont exploités par les aristocrates/patrons ( les puissants du coin) comme on le ressent dans la relation de Barbe-Bleue aux paysannes et à la question de la « Rosière » : il s’agit simplement d’une resucée du droit de cuissage  déjà dénoncé par Beaumarchais de Le Mariage de Figaro.

Par ailleurs, la relation du « prince charmant »  Saphir déguisé et de la bergère Fleurette, au-delà du lien à l’univers des contes de fées (dont Barbe-Bleue est d’ailleurs aussi issu), est une allusion claire au monde de la Pastorale et aux bergers d’Arcadie, une image de paradis dont Pelly se libère en insérant le premier acte dans la dure réalité du travail agricole.
Il y a en effet une culture classique et mythologique largement partagée à l’époque dont les références aujourd’hui ont disparu et qui nécessitent adaptation, même si les interventions d’Agathe Mélinand sont limitées.
Il est vrai que la culture classique et ses références étaient naturelles à l’époque d’Offenbach , elles sont aujourd’hui moins claires au public. Si Fleurette est une allusion probable à l’expression « conter fleurette », le nom qu’on lui donne à la cour, Hermia, est issu du Songe d’une Nuit d’été de Shakespeare et c’est le nom de la fille du Roi Égée. En revanche le roi et la reine au-delà des assimilations modernes dont pourrait rêver sont vus comme des rois et reines de contes de fées pris à rebours en quelque sorte: loin d’être bienveillant le roi Bobèche est lâche, vaniteux, cruel et la reine un peu cruche ; ainsi le personnage de Boulotte est-il essentiel à la trame parce qu’il rompt tous les usages policés de la Cour notamment dans les rapports hommes-femmes (le baiser sauvage à Saphir), par son absence totale de retenue.
Boulotte est une nymphomane aux formes avantageuses « c’est un Rubens ! » chante-on d’elle à l’acte I . Elle rompt tous les codes, c’est le ver dans le fruit ou le loup dans la bergerie. Il est donc essentiel que le rôle soit interprété une chanteuse-actrice qui remplisse la scène car c’est sans conteste le rôle principal (confié à la création à Hortense Schneider). Boulotte, c’est ce qu’elle est (bien en chair) et c’est aussi ce qu’elle fait car elle boulotte les hommes par sa nymphomanie permanente. Elle est en quelque sorte le versant féminin de Barbe-Bleue. On peut supposer que le couple qu’elle formera au final sera assez explosif.
Comme on le voit l’ensemble n’est pas si simple. C’est une œuvre  à plusieurs entrées qui peut donner cours à des mises en scène très diverses. ; aussi Barbe-Bleue n’est-elle pas une œuvre secondaire comme on a pu l’écrire, même si elle est peu jouée. Et la vision de Pelly  n’est pas une vision au premier degré, mais reste relativement loin de lourds symboles : elle laisse l’imaginaire du spectateur vagabonder.

Musicalement les choses ne sont pas si simples non plus.  
Offenbach a beaucoup étudié Mozart et beaucoup écouté Rossini et lu ses partitions. Il ne faut jamais oublier que Rossini, même après avoir renoncé à écrire des opéras, reste le compositeur le plus célèbre et le plus joué en Europe, et surtout une référence qu’on retrouve soit chez un Donizetti ou un Auber, soit dans le Grand Opéra qu’il a créé avec son Guillaume Tell. Or Offenbach est à l’écoute des modes du temps,  et connaît parfaitement son Rossini et les grands compositeurs qui ont essaimé depuis 1830.
Comment ne pas reconnaître Rossini dans la tempête du début du deuxième tableau de l’acte II par exemple. Ou dans la scène entre Barbe-Bleue et Boulotte au bord de la mort un écho des drames du Grand Opéra, avec ses excès et sa grandiloquence? Et ce qui fait la difficulté de l’approche musicale c’est qu’il peut être à la fois mozartien avec un orchestre assez léger et puis passer à un mode symphonique plus lourd comme dans ce deuxième tableau de l’acte II dans les caves du château qui ressemblent à l’antre d’un médecin légiste. On trouve donc à la fois des ruptures de style (on peut passer de Mozart à Meyerbeer), des ruptures de tempo très nombreuses, ce qui rend l’approche délicate, où seuls les chefs qui ont la précision, les impulsions, le nerf et une musicalité accomplie peuvent réussir à dominer un style où l’on retrouve sur le mode parodique Rossini Donizetti et Meyerbeer tout à la fois.
Cette maîtrise, le jeune chef milanais Michele Spotti la possède déjà à 26 ans : dès le départ on sent une impulsion, un rythme, une nature: il fait apparaître les différentes couleurs de la partition et surtout fait entendre son épaisseur sonore variable, de la légèreté de l’ouverture à des moments plus imposants dans le deuxième ou le troisième acte. Tout cela en fait l’artisan principal de la réussite de la soirée : il y a longtemps que l’on n’avait pas entendu un Offenbach si raffiné et si juste, dans le style, dans la couleur mais aussi dans l’ironie et la parodie. Un chef italien pour Offenbach, cela paraît évident quand on sait où puisait sa veine parodique le génial « Mozart des Champs Elysées » comme Rossini lui-même l’avait appelé. Et pourtant ils ne sont pas si nombreux les chefs de la Péninsule qui s’y sont frottés. L’orchestre excellent le suit et fait tout entendre, sans une seule scorie, avec une rare dynamique.
Voilà un nom à retenir, qui s’ajoute à la liste déjà longue des jeunes chefs italiens qui émergent depuis quelques années, et qui constitue une génération très riche d’avenir. C’est aussi le signe de la qualité de la formation à la direction d’orchestre dispensée au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan.
Nous avons déjà évoqué le chœur excellent dirigé par Karine Locatelli, rompu à l’exercice par une longue fréquentation des mises en scène de Pelly et de cette musique. Le chœur de Lyon, un peu comme celui d’Amsterdam, est très perméable aux mises en scènes et s’adapte avec engagement à toutes les situations, tout en gagnant régulièrement en qualité.
Du côté de la distribution voisinent des vieux routiers d’Offenbach et des jeunes, les jeunes plutôt du côté des voix féminines et les vieux routiers du côté des hommes, si l’on excepte le très bon prince Saphir de Carl Ghazarossian. Offenbach, pas plus qu’il n’est facile à diriger, n’est pas facile à chanter. Yann Beuron, excellent Barbe-Bleue, très efficace, possède l’abattage (c’est le cas de le dire…) vraiment désopilant dans son rôle de « parrain » des faubourgs ou des fermes, mais avec quelques rares problèmes sur les suraigus; la voix garde néanmoins sa souplesse, et compose le personnage délirant (et un peu inquiétant) qu’on attend.

Yann Beuron (Barbe-Bleue) au milieu des “rosières” putatives © Stofleth


Christophe Gay est le « gentil » astrologue Popolani, qui ne fait rien d’autre que de récupérer à son profit (ou au profit de son « Popol ») les femmes que Barbe-Bleue a condamnées, en les gardant dans un salon capiteux, à l’atmosphère de maison close (très close en l’occurrence), voix claire, très expressive, agilité sur scène et jeu très naturel et fluide.
Christophe Mortagne est le roi Bobèche ridicule et odieux, qui fait tuer les courtisans qui courtisent sa femme de trop près. C’est une caricature de souverain autoritaire (un peu comme le Roi Carotte qu’il a joué à Lyon justement), mais plus que celle de Napoléon III, c’est celle de tout pouvoir abusif et lâche, comme si l’un n’allait pas sans l’autre. Bobèche a tous les défauts du genre, d’autant plus autoritaire qu’il n’a point d’appui pour garantir son pouvoir, d’où sa manière rapide de vendre sa fille à Barbe-Bleue qui est quant à lui une réelle menace armée. C’est ainsi que s’expliquent les comportements du Comte Oscar (Thibault de Damas, voix bien timbrée de baryton basse, avec un bonne diction, utile dans un rôle très parlé) et de Popolani pour Barbe-Bleue: ils essaient de limiter la casse en « trahissant » à leur profit.
Le Prince Saphir est dans ce quatuor une (in)utilité au départ. Le personnage est fade, c’est Hermia (Fleurette) qui va le chercher et l’impose, les personnages féminins semblent plus décidés et dynamiques que les personnages masculins. Il s’oppose néanmoins en duel à Barbe-Bleue, qui n’en fait qu’une bouchée: il est donc quand même chevaleresque. Carl Ghazarossian n’a pas une voix très puissante, mais s’en tire avec un bon phrasé et une bonne projection, tout comme la reine Clémentine d’Aline Martin.
La jeune Hermia/Fleurette (Jennifer Courcier) a une voix claire et juvénile, au volume cependant limité, mais c’est une interprète fraiche et engagée scéniquement.
Enfin, Boulotte, rôle principal, mené tambour battant par la jeune Héloïse Mas, qui a à la fois la présence et le dynamisme, dans un rôle qui pourrait vite sombrer dans la vulgarité et pour lequel elle garde un entrain joyeux et jamais graveleux. La voix est puissante, homogène, contrôlée avec de beaux aigus et des graves bien timbrés. Elle donne à ce rôle une belle personnalité et l’incarne avec bonheur. Il faudra la réentendre dans d’autres rôles. Elle a triomphé et ce n’est que mérité.
Au total, la soirée a laissé le public ravi, souriant, qui chantonnait souvent en sortant. Offenbach avait opéré, dans la maison qui l’a le mieux servi depuis des décennies. Au vu de la manière piteuse dont ce bicentenaire est fêté en France, ce sont les maisons de région, pas seulement Lyon d’ailleurs, qui portent le flambeau. Ce Barbe-Bleue est à revoir à L’Opéra de Marseille en décembre et janvier.

Yann Beuron (Barbe-Bleue) et Héloïse Mas (Boulotte) © Stofleth

La représentation:
Jacques Offenbach (1819-1880)
Barbe-Bleue (1866)

Opéra-Bouffe en trois actes de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
adapté par Agathe Mélinand

Direction musicale: Michele Spotti
Mise en scène et costumes: Laurent Pelly
Adaptation des dialogues: Agathe Mélinand
Décors: Chantal Thomas
Lumières: Joël Adam

Barbe-Bleue: Yann Beuron
Le Prince Saphir: Carl Ghazarossian
Fleurette: Jennifer Courcier
Boulotte: Héloïse Mas
Popolani: Christophe Gay
Le roi Bobèche: Christophe Mortagne
Le Comte Oscar: Thibault de Damas
La reine Clémentine: Aline Martin

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Chef des choeurs: Karine Locatelli

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2019-2020

L’Opéra de Lyon (Arch. jean Nouvel)

Plus on avance dans la lecture des saisons de l’Opéra de Lyon, et plus on mesure l’évolution d’une programmation qui aujourd’hui affirme sa singularité, dans les choix des metteurs en scène et des œuvres, dans les choix culturels, tout en affirmant la présence répétée de compagnons de route; en ce sens, Serge Dorny est bien l’héritier de Gérard Mortier, avec qui il a travaillé au tout début de sa carrière. Plus  on considère d’ailleurs les programmes des opéras en Europe, et plus on ressent l’absence de Mortier, de sa vivacité intellectuelle, de son sens dialectique redoutable, de sa soif de culture sous toutes ses formes, de sa manière de considérer le monde, et de voir comment le traduire sur une scène d’opéra.

Dorny quittant Lyon à la fin de la saison 2020-2021, le processus de recrutement de son successeur est lancé, moins médiatisé que celui du successeur de Lissner à Paris, mais peut-être plus difficile. Le travail à Paris est plus ou moins calibré: du répertoire, des nouvelles productions, le ballet et sa crise endémique depuis le départ de Brigitte Lefèvre et deux théâtres à gérer avec les soucis inhérents, sans compter le regard d’une presse toujours à l’affût de la faute de l’abbé Lissner, comme elle le fut de celle de l’abbé Mortier. Il faut un profil artistique certes, mais bien plus en ce moment un gestionnaire capable d’être aussi visionnaire, denrée rare. Mais même avec un médiocre, l’histoire a prouvé que la machine continuait de tourner, car ce type d’institution a une force d’inertie qui la fait survivre même à une direction problématique.

C’est peut-être plus difficile à Lyon parce que la structure est plus fragile et dépend étroitement (au niveau du lyrique) de la programmation appuyée sur huit grosses productions presque toutes nouvelles. Certes, le théâtre est aujourd’hui un théâtre européen prestigieux, ce qu’il n’était plus en 2003 à l’arrivée de Dorny : il traversait une crise de succession depuis la fin de l’ère Erlo-Brossmann, qui, ne l’oublions pas, fut elle aussi brillante et solide et qui a construit l’identité de cette maison. N’oublions surtout pas les directeurs musicaux de leur période, qui ont eu nom John Eliot Gardiner et Kent Nagano et des productions enviables.
Après l’ère Dorny, ne souhaitons pas de crise de succession similaire. Mais il est vrai qu’autant reconstruire un théâtre dure plusieurs années, autant le mettre à terre ne peut durer que quelques mois.
Ce sera difficile pour le successeur qui devra ou bien proposer des saisons radicalement différentes, ou bien suivre le chemin ouvert par Dorny avec des inflexions, d’autres choix et d’autres esthétiques, mais toujours profondément enracinées dans la modernité, dans le style de La Monnaie de Bruxelles qui a toujours gardé quelque chose de la couleur donnée initialement par Mortier.
L’Opéra de Lyon est en France un fer de lance, qui accumule les réussites, il ne faudrait pas que cela s’émousse. Et pour l’instant, je ne vois pas vraiment qui en France pourrait continuer le travail initié à Lyon par Dorny.
La machine lyonnaise est une machine construite pour un rythme de stagione, un titre par mois à peu près, qui a atteint un rythme de croisière . Elle a trouvé aussi un équilibre musical, avec des chefs aussi différents que Kazushi Ono et aujourd’hui Daniele Rustioni, qui ont consolidé la qualité de l’orchestre, et Stefano Montanari, qui a emporté l’adhésion dans le répertoire XVIIIe sans parler du chœur, souvent splendide, investi, et très engagé aussi dans le travail scénique ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs.
Enfin, du point de vue scénique, cette maison a une singularité qui marque la différence avec les autres scènes françaises et bien des scènes européennes : Lyon a fait découvrir à la France des metteurs en scène en vue ailleurs, mais ignorés chez nous, comme David Bösch, ou Axel Ranisch la saison prochaine, des artistes à l’univers très singulier comme David Marton, des cinéastes qui se sont lancés dans l’opéra comme Christophe Honoré, et la saison prochaine Olivier Assayas. Bref, Dorny a affirmé l’opéra comme un art de notre temps (dans la lignée de Mortier) mais il a aussi offert à Lyon une visibilité internationale que cette salle n’avait jamais eue, montrant un taux de remplissage enviable avec un répertoire à mille lieux de la complaisance, sans oublier aussi une ouverture aux jeunes, soutenu en cela par la Région Auvergne Rhône-Alpes et les Ministères de l’Éducation nationale (rectorats de Lyon et de Grenoble) et de la Culture (DRAC Rhône-Alpes) .
Un séminaire fort riche sur Lessons in Love and Violence de George Benjamin (présenté à l’Opéra partir du 14 mai dans la mise en scène de Katie Mitchell) destiné à des formateurs de l’Éducation Nationale et des responsables de structures culturelles vient de s’y dérouler avec un énorme succès, par ailleurs quelques collèges isolés ont des classes à horaire aménagées expérimentales « Opéra » pour ne citer que deux opérations parmi d’autres : l’action de l’Opéra de Lyon ne se limite pas à la ville de Lyon et commence à vraiment rayonner.  Tous les spectateurs de Lyon savent que pour n’importe quel spectacle, il y a dans la salle des jeunes, qui d’ailleurs dès les beaux jours, envahissent le péristyle comme terrain d’entraînement de Hip Hop.

La saison 2019-2020 ne déroge pas à la tradition, avec un dosage subtil de titres traditionnels (Rigoletto, Le Nozze di Figaro, Tosca, Guillaume Tell), d’opéra en concert (Ernani) de titres rares (Irrelohe de Schreker), une création (Shirine de Thierry Escaich ) et deux reprises :  un titre plus bref (L’Enfant et les sortilèges), et un succès pour les fêtes (Le Roi Carotte, d’Offenbach).
Hors de la salle de l’opéra de Lyon, l’opéra se déplace au Théâtre de la Croix Rousse, ou au théâtre de la Renaissance à Oullins pour des formes diverses, destinées à un public plus jeune, ou plus large, plus divers en tous cas

  • The pajama game, comédie musicale de Broadway de 1954 (à Oullins et à la Croix Rousse)
  • I was looking at the Ceiling and Then I saw the Sky (de John Adams) (Croix Rousse)
  • Gretel et Hänsel (Engelbert Humperdinck & Sergio Menozzi)(Oullins)

Enfin, hors salle, comme troisième œuvre (avec Rigoletto et Irrelohe) du Festival 2020 dont le thème sera « La Nuit sera rouge et noire », au théâtre du point du jour, La Lune de Carl Orff.
On le voit, l’offre est variée, alternant grands standards, création, titres inconnus, et formes diverses pour toucher tous les publics.

Octobre

Guillaume Tell (7 repr. Du 5 au 17 octobre)
Le chef d’œuvre de Rossini, la référence du « Grand Opéra » romantique dans sa version originale en français (créé à l’Opéra de Paris en 1829). Daniele Rustioni au pupitre, évidemment, et dans une mise en scène d’un des jeunes metteurs en scène les plus intelligents et imaginatifs d’Allemagne, Tobias Kratzer (qui mettra en scène cette année Tannhäuser au festival de Bayreuth). Avec évidemment John Osborn inévitable dans le rôle d’Arnold, Nicola Alaimo, le grand baryton italien dans Tell, un rôle un peu hors de l’habitude pour lui, Jane Archibald dans Mathilde et Enlelejda Shkosa dans Hedwige.
Grande œuvre, grande distribution, grand metteur en scène, à ne manquer sous aucun prétexte.

Novembre

Ernani (6 novembre)
En version de concert (qu’on verra aussi au TCE à Paris le 8 novembre), un opéra du jeune Verdi dans le sillon tracé par Attila en 2017 et Nabucco en 2018), peu connu en France inspiré de Victor Hugo, avec l’Ernani du moment sur toutes les scènes du monde : Francesco Meli ; Il sera entouré du Carlo de Amartuvshin Enkhbat, qui a triomphé dans Nabucco en 2018, du Silva de Roberto Tagliavini et de l’Elvira de Carmen Giannatasio (seul élément de la distribution qui suscite dans ce rôle terrible un petit doute de ma part). Orchestre et chœur dirigés par Daniele Rustioni.

L’Enfant et les sortilèges (7 représentations du 14 au 19 novembre)
Reprise de la production très visuelle de Grégoire Pont et James Bonas qui avait eu tant de succès en 2016. Une manière d’ouvrir le théâtre aussi à un autre public qui entre à l’opéra pour un spectacle d’une heure.  La production a déjà triomphé et revient précédée d’une flatteuse réputation, avec une qualité musicale garantie, puisque l’orchestre sera dirigé par Titus Engel, un jeune chef suisse vivant à Berlin qui aura ouvert un mois auparavant la très attendue nouvelle saison du Grand Théâtre de Genève. Le chœur sera dirigé par Karine Locatelli cheffe valeureuse de la Maîtrise, et les solistes seront ceux du Studio de l’Opéra de Lyon.

Décembre :

The Pajama Game (11 représentations : du 12 au 14 décembre au Théâtre de la Renaissance à Oullins, du 18 au 29 décembre au Théâtre de la Croix Rousse).
Une comédie musicale de Broadway à Lyon, pour les fêtes, en parallèle avec Le Roi Carotte à l’Opéra. La première en 1954 à Broadway fut triomphale : Le livret,  signé Georges Abbott et Richard Bissell, la mise en scène Jérôme Robbins, la chorégraphie Bob Fosse. Rien de moins !
Évidemment, la Croix-Rousse n’est pas Broadway,  et l’œuvre présentée le sera avec une orchestration allégée dirigée par Gérard Lecointe et une mise en scène qui convienne à l’espace de la Croix Rousse, signée Jean Lacornerie et Raphaeël Cottin. Et plein de jeunes sur scène.

Le Roi Carotte (9 représentations du 13 décembre au 1er janvier)
Reprise de la production de Laurent Pelly dont le nom est à Lyon indissolublement lié à Offenbach, manière aussi de fêter doublement l’anniversaire de ses deux-cents ans après le Barbe-Bleue qui  fermera la saison 2018-2019.
C’est le jeune Adrien Perruchon qui dirigera, un talentueux jeune chef qui commence à émerger, on y retrouvera Yann Beuron, Christophe Mortagne, Chloé Briot, Julie Boulianne. À voir évidemment : on ne rate pas un Offenbach pareil, dont le destin fut si difficile.

Janvier

Tosca (9 représentations du 20 janvier au 5 février)
Présentation à Lyon de la production coproduite avec Aix en Provence 2019, signée Christophe Honoré, qui revient à l’Opéra après son superbe Don Carlos de 2018. Dirigée par Daniele Rustioni, elle sera interprétée par les mêmes chanteurs qu’à Aix, sauf le ténor (ce n’est peut-être pas un mal), soit Angel Blue (Tosca) et Massimo Giordano, une belle voix italienne brillante qui était Ismaele dans le Nabucco de Novembre 2018,  dans Mario, ainsi qu’Alexey Markov l’un des meilleurs barytons actuels, pour Scarpia. À noter la présence une des Tosca mythiques des années 90, Catherine Malfitano, une des très grandes de la fin du siècle dernier dans le rôle de la Prima donna, double de Tosca.
Un must comme on dit, parce que Tosca manque à Lyon depuis 1979, parce que la production est excitante, avec Rustioni et Honoré aux manettes, et aussi pour Malfitano, une de ces immenses qui dès qu’elle était en scène, aimantait tous les regards.

Février

I was looking at the Ceiling and Then I saw the Sky de John Adams ( 9 représentations du 13 au 25 février) au Théâtre de la Croix Rousse.
La préparation du Festival (deux grosses productions à répéter dans l’Opéra) nécessite en février que la programmation s’externalise. C’est une excellente initiative que de proposer une forme plus légère, très peu connue en France hors des spécialistes, créée à l’Université de Berkeley en 1995, d’un des grands compositeurs de la fin du XXème siècle, John Adams (l’auteur de Nixon in China, de la Mort de Klinghoffer, de Docteur Atomic, très lié à Peter Sellars). La mise en scène en sera confiée à Macha Makeieff, une garantie, l’ensemble instrumental à Philippe Forget, et le chant aux chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon. Inutile de souligner qu’il faudra aller voir ce spectacle qui permettra de découvrir un John Adams peut-être moins connu.

Mars

Festival 2020 : La Nuit sera rouge et noire
(du 13 mars au 2 avril)
Un titre pastichant le mot laissé par Gérard de Nerval le soir de son suicide “La nuit sera noire et blanche”:  sang et mort, inquiétude, drame, amours névrotiques, assassinats. Trois œuvres dont deux inconnues en France (Irrelohe, et La lune) et la troisième un grand standard de l’opéra, Rigoletto. On est donc dans le contraste savamment calculé.

Rigoletto (9 représentations du 13 mars au 2 avril)
Cette nouvelle production en coproduction avec Munich (qui a au répertoire un Rigoletto qu’il est temps de changer) est confiée pour la mise en scène à Axel Ranisch à qui l’on doit récemment une très belle production de Orlando Paladino au Festival de Munich de 2018. Cinéaste, metteur en scène de théâtre, acteur, Axel Ranisch, né en 1983, est l’un des artistes émergents sur la scène de l’opéra, et bien qu’encore jeune, il a derrière lui une longue liste de productions et films.
Rigoletto, ce sera Roberto Frontali, qui a triomphé à Rome en décembre dernier dans le rôle, Gilda sera Nina Minasyan et un Duc de Mantoue à découvrir, Mykhailo Malafii un jeune ukrainien à la voix étonnante.
La direction sera aussi confiée à un jeune chef italien qui concentre l’attention actuellement, Michele Spotti, que les lyonnais auront découvert dans Barbe-Bleue d’Offenbach en juin 2019. Beau retour d’un titre qui manque à Lyon depuis 1976.

Irrelohe (6 représentations du 14 au 28 mars)
Voilà la grande inconnue du Festival, un opéra de Schreker, c’est déjà rare, même si on le connaît mieux désormais et notamment Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) déjà vu à Lyon en 2015. Irrelohe, créé à Cologne en 1924 par Otto Klemperer est une partition complexe qui n’a pu se maintenir au répertoire, même s’il en existe deux enregistrements et puis Schreker, devenu un « dégénéré » sous le nazisme a été victime de l’histoire et ses œuvres ont peu survécu à la guerre. Irrelohe néanmoins a été récemment repris à Bonn (2010) et Kaiserslautern (2015). La production lyonnaise est une création française. L’œuvre dont le titre signifie « Les flammes folles » est une histoire qui ressemble au Trouvère de Verdi et qui finit aussi dans les flammes.
C’est David Bösch, désormais l’une des références de la mise en scène d’aujourd’hui en Allemagne, (on lui doit Simon Boccanegra à Lyon et aussi Les stigmatisés ), qui assurera aussi celle d’Irrelohe, créant ainsi un fil d’une œuvre de Schreker à l’autre, et la direction sera assurée par Bernhard Kontarsky, connu à Lyon depuis longtemps, un des très grands spécialiste des œuvres du XXe siècle. Dans la distribution, les lyonnais retrouveront Stephan Rügamer, déjà vu à Lyon dans Le Cercle de craie (Zemlinsky) et Piotr Micinsky, qui a triomphé dans Masetto du dernier Don Giovanni et surtout dans l’Enchanteresse où il jouait le rôle de Mamyrov, le méchant.
Serge Dorny renouvelle autour de Schreker l’opération qui a conduit L’Enchanteresse au succès. Mais David Bösch est un metteur en scène un peu plus sage que Zholdak…

La Lune (7 représentations du 15 au 22 mars) au Théâtre du Point du Jour (Lyon 5ème)
L’œuvre, signée Carl Orff (le compositeur des Carmina Burana) a été créée en 1939, à la veille de la guerre, par Clemens Krauss à Munich. Elle s’inspire d’un conte de Grimm, et raconte d’une certaine manière, la naissance de la Lune, qui éclaire la nuit. Elle a l’avantage d’être exécutable aussi par une petite formation (deux pianos, orgue et percussion) et a été confiée au duo-Grégoire Pont et James Bonas qui ont proposé L’Enfant et les sortilèges en 2018, repris dans la saison 2019 à cause du grand succès. Ce sera sans doute encore un enchantement visuel.

Avril

Gretel et Hansel (6 représentations au Théâtre de la Renaissance à Oullins)
L’œuvre de Engelbert Humperdinck, adaptée par Sergio Menazzi est présentée hors les murs (après le mois de Festival, l’opéra se repose un peu et abrite les répétitions de la création mondiale du mois de mai) .C’est une production où la Maîtrise de l’Opéra de Lyon joue un rôle déterminant et l’orchestre sera donc dirigé par sa responsable artistique Karine Locatelli, avec des solistes du Studio de l’OpéraLa production est confiée à Samuel Achache, Molière 2013 du spectacle musical, membre du collectif artistique de la Comédie de Valence, un metteur en scène qui aime particulièrement le théâtre musical.

Mai

Shirine (6 représentations du 2 au 12 mai)
Opéra de Thierry Escaich, sur un livret de Atiq Rahimi. C’est la deuxième création mondiale à Lyon de Thierry Escaich après Claude (livret de Robert Badinter) en 2013. C’est le poète perse Nizami Ganjavi qui a inspiré le librettiste Atiq Rahimi (Prix Goncourt 2008). Shirine raconte une histoire d’amour impossible entre le Roi de Perse Khosrow et Shirine, une princesse chrétienne d’Arménie. On perçoit immédiatement les échos que pareille histoire peut avoir aujourd’hui.
La direction en est confiée à Martyn Brabbins, grand spécialiste du XXe siècle qu’on a déjà vu dans la fosse de l’Opéra de Lyon (L’Enfant et les sortilèges de Ravel, Der Zwerg de Zemlinsky, Cœur de chien de Raskatov), et la mise en scène sera assurée par Richard Brunel (qui a fait aussi à Lyon en 2012 L’Empereur d’Atlantis ou le Refus de la Mort de Victor Ullmann et en 2018 Le Cercle de Craie de Zemlinsky) . Dans la distribution, des chanteurs francophones très valeureux, Julien Behr, Hélène Guilmette, Jean-Sébastien Bou (qui chantait Claude dans l’opéra précédent d’Escaich) et Laurent Alvaro.

Juin

Le nozze di Figaro (8 représentations du 6 au 20 juin 2019),
L’œuvre de Mozart clôt la saison 2018-19, comme Don Giovanni avait clôt 2017-18, et les deux sont confiées à Stefano Montanari, l’un des chefs les plus réclamés aujourd’hui notamment en Italie dans le répertoire mozartien et rossinien, à qui Dorny a donné une de ses premières chances il y a quelques années. Venu du baroque, Montanari se caractérise par une énergie peu commune, un travail sur la pulsation à l’opéra qui aboutit à des résultats souvent triomphaux, tant l’œuvre retrouve une incroyable vie. Il fait partie comme d’autres des compagnons de route que Dorny a su fidéliser.
Pour ce Mozart, Serge Dorny fait de nouveau appel à un cinéaste pour sa première mise en scène d’opéra, Olivier Assayas qui est aussi scénariste, et dont l’univers pourrait très bien convenir à cette folle journée. Dans la distribution, on trouve les noms de Nikolay Borchev (le Comte), le très bon Dandini de la Cenerentola lyonnaise signée Herheim, Mandy Fredrich (la comtesse), un des sopranos importants en Allemagne aujourd’hui pour les rôles de lyrique (Marguerite de Faust, Agathe de Freischütz), Figaro sera Alexander Miminoshvili, dont Wanderersite écrivait à propos de son Erimante dans l’Erismena d’Aix en Provence en 2017 « belle basse barytonnante aux graves profonds, au chant souple et au timbre chaleureux doué d’une jolie expressivité en colorant bien les paroles » .

 À ce riche programme s’ajoutent des concerts dirigés par Daniele Rustioni ou Stefano Montanari, des récitals (Ian Bostridge, Maria Joao Pires), des concerts de musique de chambre dans le cadre lumineux du Grand studio de ballet dont les programmes font écho à celui de la saison.

Enfin l’Opéra de Lyon partira en tournée, à Aix en juillet 2019 pour Tosca, à la Ruhrtirennale de Bochum en août 2019 où sera proposé Didon et Enée Remembered (David Marton, Festival 2019) et en octobre 2019 à l’opéra de Mascate (Oman) pour l’Enfant et les Sortilèges dans la production reprise en novembre 2019 à Lyon de Grégoire Pont et James Bonas.

Vous en conviendrez, tout cela vaut bien quelques allers et retours en TGV, pour découvrir des nouvelles œuvres, des metteurs en scène inconnus et aussi, ne l’oublions pas des chanteurs souvent jeunes mais très valeureux, découverts par le conseiller vocal de l’Opéra de Lyon, Robert Körner.
Il y a plein de raisons de se retrouver à Lyon et pas seulement au Festival. Je suis déjà impatient pour ma part de découvrir le Guillaume Tell signé Rustioni-Kratzer.
Mais je n’ai qu’un seul regret, c’est que certaines productions qui ont marqué le public n’aient pas fait l’objet de captations, faute de financements. Je pense par exemple à l’Elektra de Berghaus et à la Damnation de Faust de David Marton, mais on pourrait en citer d’autres, comme l’Enchanteresse