OPÉRA DE LYON 2011-2012 : CARMEN de Georges BIZET le 5 juillet 2012 (Ms en scène : Olivier PY, dir.mus : Stefano MONTANARI)

Le décor

Comme toutes les productions d’Olivier Py, cette Carmen était très attendue, trop peut-être, parce qu’une certaine déception est au rendez-vous, scéniquement comme musicalement, malgré le côté très séduisant du spectacle, malgré le succès public, les longs applaudissements à la fin, la retransmission TV le 7 juillet dans toute la région Rhône Alpes.
C’est ma troisième Carmen en quelques mois, après le luxe de Salzbourg, après la  solidité de Venise, voici les Folies lyonnaises, Folies au sens de Folies Bergères, puisque loin de l’Espagne, c’est à une Carmen meneuse de revue du « Paradis Perdu » qu’Olivier Py nous convie.

Une vision du décor, à plusieurs niveaux © Stofleth

Un décor énorme de Pierre-André Weitz, tournant sur lui-même et tour à tour scène et premier rang de spectateurs, entrée et billetterie, coulisses, magasin à accessoires, loges, mur couvert de graffitis,  taverne de Lillas Pastia, souvent sur deux ou trois niveaux, avec à gauche une façade d’hôtel borgne, à droite un poste de police assez borgne aussi, des costumes très paillettes , de superbes lumières de Bertrand Killy et une volonté de tisser, tresser réalité et fiction, spectacle et récit, Bizet et Mérimée  de manière de plus en plus étroite jusqu’à la fin où tous les protagonistes deviennent des personnages de la revue. L’entrée de Don José dans la bande de contrebandiers, c’est en fait une entrée dans la troupe du « Paradis Perdu », pour y jouer le personnage du clown, si bien qu’au troisième acte on a l’impression de passer de Carmen à I Pagliacci, tant les situations sont mises en parallèle.
Bien sûr, les transpositions imposent une vraie gymnastique pour rendre le livret cohérent avec la proposition et pour permettre au spectateur d’y retrouver ses petits. Le texte très intéressant de Py inséré dans le programme de salle (Carmen comme revanche des sans grades et des marginaux ou des artistes sur l’ordre bourgeois: “c’est la revanche des perdants et des exclus, la revanche poétique et érotique de tous les pauvres” écrit-il) se retrouve dans la proposition scénique, dans la mesure où la troupe d’acteurs est composée de marginaux, acteurs-danseurs le jour, contrebandiers ou dealers la nuit, vision sulfureuse du monde du spectacle qui est bien dans l’ordre du regard petit-bourgeois ou de la tradition catholique d’ancien régime, mais je n’ai pas retrouvé dans la production de Py le souffle de son texte.

Carmen en Eve © Stofleth

Carmen gagne-t-elle en légitimité, en richesse, en épaisseur par rapport à une vision traditionnelle de l’œuvre de Bizet.  Pas sûr. Pas sûr non plus que toute cette machinerie, qui distrait le regard et satisfait l’amateur de “spectacle” soit une aide à se concentrer sur la problématique. Ce serait plutôt un facteur de dilution menant à voir le monde comme représentation ou comme apparence, et faire du personnage de Carmen un objet en vitrine, comme on le voit au-dessus de la billetterie du « Paradis perdu » ou une icône de femme fatale, une Lulu bis, entourée d’animaux d’une ménagerie à la Jérôme Bosch ou apparaissant comme

Carmen en Eve (2)© Stofleth

l’Eve de Cranach lorsqu’elle chante la Habanera, un serpent vivant autour du cou et assise sur un Léopard…
Olivier Py est un artiste, et il a donc des idées séduisantes, il sait organiser une scène: belle idée que le “doudou” rouge tenu par Don José, témoignage de l’amour de Carmen (à la place de la rose), dont le même se retrouve tenu par Escamillo au troisième acte : lorsque chacun exhibe son doudou rouge, l’effet est garanti.
Le traitement de Micaela, qui n’est pas non plus la frêle jeune fille de la tradition est digne d’intérêt : comme chez Calixto Bieito, leur baiser est loin d’être chaste. La scène du duo « parle-moi de ma mère » du premier acte  est d’ailleurs remarquablement réglée: Don José, troublé par des apparitions périodiques de Carmen qui l’aimantent  disparaît sans cesse dans les bras de la bohémienne à l’insu de la jeune fille;  c’est l’un des moments forts de la production.
Au total, je n’ai pas vu dans cette production  d’une qualité incontestable une vision si novatrice de Carmen. Py  se laisse aller à occuper l’espace de manière certes très acrobatique, sans laisser de répit au spectateur, mais sans non plus le surprendre. Une fois comprises les intentions et les principes du spectacle on toucherait presque (je dis bien presque) aux rives de l’attendu, voire de l’ennui. Certes, la surprise de l’image finale, où après sa mort, Carmen se relève dès que le rideau du « Paradis perdu » est baissé, devant un Don José interdit…tout n’était que fiction : faut-il donc croire à Carmen ? Le personnage à la fois frais et joyeux de Berganza dans la  production légendaire de Piero Faggioni à Edimbourg (1977), puis à Paris en 1980 (à la Scala en 1984-85, ce furent Verrett et Baltsa) m’est apparu soudain bien plus profond, bien plus riche de potentialités, bien plus vrai. Cette Carmen de Py est pour moi plus un exercice de style qu’un spectacle de référence. Je sens plus de maniérisme que de philosophie, plus d’affectation que de tripe.
Musicalement, nous n’y sommes pas non plus, et c’est sans doute encore plus délicat. Choisir un  chef et une Carmen venus du répertoire baroque a une signification réelle quant au rôle de la musique dans l’économie du spectacle. José Maria Lo Monaco est une Carmen dotée de beaux graves profonds, mais sans aigus et sans volume ; ajoutez à cela un vrai problème de diction (français totalement incompréhensible) et vous aurez les raisons qui font qu’on ne peut donner vraiment crédit à l’opéra de Lyon de ce choix, même si le dernier acte et le duo avec Don José est très bien mené et tenu, et même si l’artiste a une splendide présence scénique, elle est carrément inaudible dans les ensembles et devient opaque dès qu’elle monte à l’aigu . Les réserves de cette voix sont faibles, et les morceaux de bravoure passent un peu dans l’indifférence du public qui a du mal à applaudir.

Carmen et Don José © Stofleth

Yonghoon Lee est un Don José vocalement crédible, joli timbre sombre, très méditerranéen, puissance,  diction relativement bonne. Mais reste des problèmes de calibrage : dans une salle comme Lyon, aux dimensions relativement réduites, la voix part avec une puissance mal contrôlée quelquefois, alors qu’à d’autre moments on l’impression qu’elle n’est pas bien projetée  (notamment dans le registre central) avec des difficultés à chanter piano et à colorer (l’artiste est habitué aux rôles verdiens lourds) assez gênantes dans ce rôle qui demande beaucoup de contrôle et un art consommé de la modulation. Bref, il n’a pas vraiment le style, même s’il en a le volume et le format. Il reste que c’est un bel artiste et une voix de ténor à exploiter dans d’autres répertoires.
L’Escamillo de Giorgio Caoduro a un peu les mêmes problèmes que José Maria Lo Monaco : Escamillo doit avoir dans la voix cette « mâle assurance » et ce brillant superficiel exigé par le rôle. Ruggero Raimondi excellait dans cette composition. Ici, même si le timbre est agréable, la voix manque de volume et la montée à l’aigu est difficile : la gorge se resserre systématiquement au lieu de s’ouvrir. Le registre central est maîtrisé, le reste manque vraiment de technique.
Évidemment, seule française des quatre protagonistes, Nathalie Manfrino n’a pas de mal à triompher du texte (l’Opéra de Lyon aurait peut-être pu trouver en France une ou deux voix françaises aussi bien adaptées aux rôles que la distribution définitive arrêtée) : elle remplace Sophie Marin Degor prévue initialement et se sort du rôle de manière contrastée, mais honorable globalement. Le timbre est joli, très clair, elle sait colorer, mais au premier acte les aigus sont systématiquement courts : elle n’est pas aidée par une direction musicale très galopante qui laisse peu de souffle aux chanteurs. A l’inverse, son air du 3ème acte « je dis que rien ne m’épouvante » est beaucoup mieux dominé, plus intense, plus vibrant. Elle obtient le plus gros succès de la soirée, et c’est mérité.
Les autres rôles sont très correctement distribués et tenus : le Dancaïre (Christophe Gay) et le Remendado (Carl Ghazarossian) qui se travestissent dès le 2ème acte jusqu’à la fin (pour les besoins de la contrebande), donnent un vrai rythme au quintette, qui est réalisé dans un décor sur trois niveaux, les chanteurs passant de l’un à l’autre, ce qui ne facilite pas l’exactitude métronomique demandée pour sa réalisation ; les choses se passent avec bonheur cependant grâce à la Frasquita d’Elena Galitskaya et la jolie Mercedes d’Angélique Noldus, qui font un excellent trio des cartes, très bien réglé par la mise en scène d’ailleurs, encore sur plusieurs niveaux,
La direction musicale de Stefano Montanari est animée, très novatrice, et produit des sons inhabituels dans Carmen, avec des effets syncopés: longs silences, notes tenues très marquées, à l’orchestre, au chœur et chez les chanteurs, mais aussi rythme haletant, très sec (coups de timbales sourds par exemple), mais aussi son des cordes assez retenu, qui donne une couleur particulière de course à l’abîme, et qui laisse peu de respiration aux voix. Le résultat est quand même très séduisant, on n’a pas le relief sonore habituel, mais on a une incroyable énergie et une belle vitalité . Je crois d’ailleurs que et Py et Montanari voulaient un son qui puisse trancher avec l’habitude, et soit le moins « XIXème bourgeois » possible. Stefano Montanari qu’on connaît pour le répertoire baroque, surtout pour ses qualités de musicien chambriste et pour ses beaux Mozart à Lyon propose donc une Carmen un peu « ailleurs », et ce n’est pas  désagréable: c’est pour moi le plus convaincant de la soirée. Le chœur dirigé par Alan Woodbridge suit cette pente, avec bonheur là aussi.
A une semaine de distance, j’ai ainsi vu deux productions importantes de Carmen parties de deux présupposés différents. Bieito en fait une « espagnolade moderne » en prenant à rebours les clichés sur l’Espagne et les gitans et en proposant une fête sensuelle, Py offre la représentation du mythe dans une sorte de vision en abyme où le personnage de Carmen perd finalement en substance, devenant une icône plus qu’un personnage et où à chacun est assigné un rôle dans la clownerie de la vie. Mais l’éternelle histoire de Carmen rattrape la fiction dans la fiction qu’on a voulu construire et les troisième et quatrième actes, même présentés comme des représentations de revue, restent les plus directement intenses, et les plus” vrais”, comme si la réalité de l’histoire originelle dépassait la fiction de Py, ou que le théâtre était la vie : mais on en est depuis longtemps convaincu.
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Troisième acte © Stofleth

TEATRO LA FENICE VENISE 2011-2012: CARMEN de Georges BIZET le 26 juin 2012 (Dir.mus: Omer MEIR WELLBER, Ms en scène: Calixto BIEITO) avec Béatrice URIA MONZON.

La production de Bieito (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

La Fenice est un théâtre un peu spécial. Incontestablement c’est l’un des grands théâtres historiques d’Italie (La Traviata  y fut créée entre autres), mais c’est aujourd’hui un théâtre “difficile”. En effet, sa situation, au centre d’une ville de 70000 habitants inaccessible à la voiture, et son accès difficile pour les gens du territoire (il faut prendre la voiture, la parquer, ou prendre le train, puis aller chercher le Vaporetto, jusqu’au Rialto, puis environ 10 minutes de marche dans le dédale des ruelles vénitiennes),  environ 1h30 de transport, arriver pour la représentation de 19h (soit partir du bureau en avance etc…) et s’assurer que le dernier train ne parte pas avant 22h30 au bas mot. Il faut donc caler beaucoup de paramètres pour organiser sa sortie à l’opéra.  Sans doute une réflexion territoriale s’imposerait (un théâtre au Tronchetto ou à Mestre aurait pour sûr moins de charme, mais serait plus aisé d’accès pour les populations concernées) mais ce n’est pas le moment, dans une Italie en proie à la crise, même dans la très très riche Vénétie.
Alors les seuls spectateurs réguliers de La Fenice, ce sont les touristes, qui remplissent la salle qu’ils mitraillent de photos. C’est un public qui vient plutôt pour le lieu que pour ce qu’on y entend, on le sentait bien même pour un opéra aussi populaire que Carmen. Est-ce à dire que La Fenice “sert la soupe” aux touristes, rien de moins vrai. Il y a un véritable effort pour alterner des grands standards et des œuvres moins connues, comme récemment la Lou Salomé de Giuseppe Sinopoli. Et en tous cas même les standards sont confiés à des metteurs en scène et à des équipes artistiques de bon niveau. Il reste que remplir le théâtre pendant toute la saison est difficile.
Pour Carmen, le choix a été de proposer 13 représentations avec deux distributions: c’est le début de la haute saison  et Venise déborde de touristes, bonne occasion de remplir le théâtre (qui pourtant le soir où j’y étais n’était pas plein),  Carmen est un opéra très connu, et il était bien distribué, dans une mise en scène d’un des enfants terribles des plateaux, l’espagnol Calixto Bieito, qui a travaillé partout en Europe, sauf bien entendu en France… Des atouts incontestables pour attirer le public, d’autant que la distribution est bonne et le chef, Omer Meir Wellber, désormais connu comme un chef qui monte.
Et de fait, ce fut une très bonne soirée.
La production de Calixto Bieito proposée au Liceu de Barcelone en 2010, est un spectacle que Bieito a conçu initialement en 1999 et qui a déjà bien tourné, Espagne, Hollande, Suisse, Italie. Le théâtre de Bâle la propose cette année, pendant qu’elle tourne en Italie, à Palerme, Venise et Turin.  Ce n’est donc pas une proposition nouvelle, mais le spectacle, comme on dit “ne prend pas une ride” et constitue sans doute une des grandes réussites de Bieito, qui ne donne même pas dans la provocation.
Le plateau est semblable à une arène, avec un cyclorama au fond qui projette quelques ombres, il est vide au centre,

Acte 1

avec au premier acte une hampe à laquelle on va hisser le drapeau espagnol, au second acte un espace vide sur lequel arrive une vielle voiture Mercedes d’où sortent Carmen Frasquita, Mercedes, Dancaïre et Remendado qui vont “piqueniquer” avec quelques caisses d’alcool de contrebande. Le troisième acte (voir photos )  se déroule sur le même plateau dominé par un taureau géant, sous lequel un Torero pendant l’introduction a pris nu son “bain de pleine lune” (très jolie scène), le quatrième sur un espace vide, qu’on délimite à la craie, au centre duquel Carmen et Don José livreront leur dernier combat.

La production de Bieito (Bâle) Foto©Hans-Jörg Michel

C’est la foule qui fait tous les changements, c’est elle qui varie: foule de soldats au premier acte,  de bohémiens (d’aujourd’hui, et pas d’opérette) aux deuxième et troisième actes, une foule bigarrée enthousiaste au quatrième acte, derrière une corde, qui regarde le défilé qui est réduit à son strict minimum. De l’Espagne, il y a une présence continue du drapeau, mais aucune “espagnolade” sinon quelques éléments ironiques,  comme lorsque Frasquita et Mercedes s’habillent en gitanes d’opérettes pour séduire les douaniers, ou comme le taureau gigantesque qui reproduit en fait un taureau vantant une marque d’alcool qu’on voit sur le bord des routes et autoroutes espagnoles aujourd’hui. La vision de Bieito s’insère donc dans la réalité d’une Espagne d’aujourd’hui, et dans un monde bohémien qui serait contemporain (avec les clichés d’usage, par exemple l’emploi des vieilles Mercedes)

Violence et sensualité sont les caractères de ce travail: violence notamment dans le traitement des soldats au premier acte, à peine libérés de leur service ils “s’éclatent” ou saccagent (la cabine téléphonique du premier plan), ils poursuivent les femmes, les contraignent, se frottent outrageusement à la hampe, se moquent du drapeau, en bref, se comportent à l’opposé de leur statut de soldat protecteur.
Lillas Pastia est un peu Monsieur Loyal, qui regarde le drame se nouer en se reposant sur une chaise pliante, au deuxième acte, ou en dessinant sur le sol le cercle de craie, au dernier acte. Il est une sorte de regard de la destinée, distante et à la fois présente du deuxième au dernier acte.
Le dernier acte est vécu comme un combat entre Don José et Carmen, dans une arène délimitée par un cercle de craie: poursuite, désespérance, violence (Carmen est égorgée). De leur côté les relations homme/femme sont un éternel jeu sensuel: y compris Micaela, jeune fille moderne et non oie blanche, qui “ose” baiser sur la bouche un Don José qui se recule: on sait qu’il ne l’aime pas dès le premier acte.

La production de Bieito(Bâle) ©Hans-Jörg Michel

Quant à Carmen, elle n’a pour argument que son corps, dont elle use avec beaucoup de provocation: dans la scène avec Don José au deuxième acte, elle laisse par exemple tomber sa culotte, rouge comme il se doit et se jette sur Don José. Sexe et sang, voilà la leçon de cette Carmen forte, bien structurée, bien jouée aussi et qui présente de très beaux tableaux. Calixto Bieito sait vraiment manier les foules et construire un projet de grande rigueur et de grande cohérence. Ce projet a pu surprendre un public un peu interdit devant le toréador nu (pourtant un seul nu dans une production de Bieito, c’est plutôt de la pruderie) ou l’usage irrévérencieux qui est fait du drapeau espagnol, mais dans l’ensemble, il correspond à ce que l’on peut attendre d’une Carmen d’aujourd’hui, bien supérieur dans le propos à la pâle production de Salzbourg au printemps dernier.
Musicalement, on ne peut que saluer l’ensemble de la performance.
A l’orchestre d’abord, mené d’une main de fer par Omer Meir Wellber. J’avais déjà noté ses qualités dans une représentation de Carmen à la Staatsoper de Berlin: le rythme est vif, l’énergie permanente. La précision des attaques, les modulations, le suivi des chanteurs et des chœurs, tout cela est vraiment remarquable et mérite d’être noté. Bien des raffinements de l’écriture de Bizet sont mis en valeur, même si l’orchestre de La Fenice ne vaut pas celui de la Staatsoper de Berlin. Le chef devra me semble-t-il  laisser peut-être  ses musiciens respirer, il paraît un peu “directif” quelquefois, mais c’est un très bon travail de “concertazione”. Il est beaucoup plus convaincant dans la fosse de la Fenice pour Carmen que dans celle de la Scala pour Aida, même si je n’avais pas détesté son travail. Il reste que ce jeune israélien, ex assistant de Daniel Barenboim, est sans doute un chef d’avenir à l’opéra. Enfin, le chœur est très bien préparé par Claudio Marino Moretti , et les scènes de foule, notamment à la fin sont impressionnantes.

Béatrice Uria Monzon (à Barcelone) Foto ©Antoni Bofill

On ne présente plus la Carmen de Béatrice Uria Monzon, qui semble l’avoir dans les gènes: la voix est sonore, les aigus sont splendides (le grave un peu moins, avec une tendance à poitriner un peu), et le personnage est là, somptueux. Il est vrai qu’elle est en plus, d’une grande beauté, qui correspond exactement à l’image qu’on peut avoir de Carmen: elle se glisse avec un grand naturel dans le personnage voulu par Bieito (elle a déjà participé à la production de Barcelone) et le résultat est confondant. Le duo final donne le frisson.
Roberto Secco en Don José a toutes les notes, il a aussi une certaine intensité, mais il ne réussit pas encore à acquérir le style de chant voulu. La voix est lumineuse, mais les paroles n’ont pas encore le poids qu’il faut. Il chante, dirais-je, “à l’italienne”, avec un français clair mais encore mal dominé du point de vue des accents, il n’a pas les mezze voci, il ne sait pas adoucir suffisamment, bref il n’a pas encore suffisamment mastiqué ni domestiqué le rôle, même s’il est à certains moments émouvant  de brutalité et de gaucherie à la fois.
Alexander Vinogradov chantait Escamillo:  j’avais noté à Berlin où il chantait déjà le rôle une couleur vocale nettement plus orientée vers la basse que le baryton, et une inadéquation stylistique notable. Cette fois-ci c’est nettement meilleur du point de vue du style, même si pour la couleur nous n’y sommes pas vraiment:  incontestablement cette voix a une couleur slave tellement marquée que cet Escamillo peine à nous faire rêver de corridas. Il reste que Vinogradov ne dépare pas, et a une belle présence.
Ekaterina Bakanova compose une Micaela correcte, mais qu’on n’inscrira pas au nombre des Micaela qui font crouler un théâtre, n’est pas Genia Kühmeier qui veut. La composition est séduisante, la voix est jolie, le français est satisfaisant. Et elle passe bien la rampe.
Je regrette un peu que Frasquita et Mercedes n’aient pas été confiées à des voix françaises, l’accent ne convient pas toujours, et Frasquita (Sonia Ciani) a tendance à crier, sa voix un peu métallique ne convient pas, alors que celle de Mercedes (Chiara Fracasso) passait beaucoup mieux. Les rôles secondaires ont dans Carmen une grande importance, et notamment Mercedes et Frasquita, tout comme Dancaïre et Remendado, confiés à Francis Dudziak (il s’en est fait une spécialité, le rôle d’une vie) et Rodolphe Briand (Remendado), tous deux tout à fait à leur place, qui animent le quintette avec beaucoup d’allant.
Au total donc une belle soirée, dans ce théâtre étrange qui ressemble à une bonbonnière un peu froide, une grande dame qui se laisserait voir, sans vraiment avoir encore reconquis une âme. La politique artistique est assez rigoureuse cependant, et bien moins putassière qu’on  pourrait le craindre vu l’évolution de la ville.
Mais il est évident que le seul trajet de la gare au théâtre est toujours le même enchantement, tourisme ou pas, et que l’arrivée au petit “Campo San Fantin” reste  une émotion, quand la façade assez discrète de la Fenice se dresse, au détour d’une”calle”, et l’arrivée dans la salle croulant sous l’or après un hall d’entrée plutôt sobre fait toujours son effet.

Magie...

On a beau décrier l’évolution de Venise vers une sorte de Disneyland culturel, il est impossible de ne pas tomber sous le charme: on attend de voir Casanova au détour d’un rio, arrivant sur sa gondole à l’opéra. C’était une soirée de plaisir: à Venise, c’est presque un pléonasme.

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Au centre: Micaela, Carmen, Don José, Escamillo
Saluts

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2012 (Festival de Pâques de Salzbourg) le 9 avril 2012: CARMEN, de Georges BIZET (Dir.mus: Sir Simon RATTLE, Ms en scène: Aletta COLLINS) avec Magdalena KOŽENÁ et Jonas KAUFMANN.

Après le magnifique concert du 8 avril, les  abonnés au Festival de Pâques, ceux qui depuis quelquefois 45 ans, ont suivi fidèlement le Philharmonique de Berlin, ceux-là sont tristes ce soir, dernière de l’orchestre à Salzbourg. Avec Carmen, jamais donnée au Festival de Pâques, s’en va une époque, s’en va une tradition, une mémoire. Ils reviendront pour la plupart l’an prochain, pour voir, parce que Salzbourg, c’est bien sûr la musique, mais ce sont les amis qu’on retrouve, chaque année, avec les habitudes, les rites, les repas d’après spectacle au Zipfer, au Triangel, à Stern, au K&K ou à l’Elefant, autour des grandes tables où l’on refait le monde musical, où l’on rappelle des souvenirs radieux qui prouvent toujours qu’avant, c’était bien  mieux, où l’on se repasse tout le chemin parcouru depuis la jeunesse .
Pour ma part j’ai osé Salzbourg à 26 ans, pour la première fois, en 1979, l’été: Aida Karajan (Freni, Horne, Carreras, Cappuccilli, Raimondi), Böhm, Ariane à Naxos (Behrens-Gruberova), Levine, La Clémence de Titus et La Flûte enchantée (Tappy, Cotrubas), Dohnanyi, Der Rosenkavalier (avec Janowitz). Il y a quelque chose de proustien dans ces retrouvailles annuelles: même heure l’année prochaine, avec quelques cheveux blancs ou quelques rides en plus, et quelquefois aussi quelqu’ami en moins.
Alors oui, cette Carmen a bien le goût du tabac amer.
D’autant qu’une amie cruelle m’a glissé dans l’oreille, “bon, avec ce soir, ils ne laisseront pas trop de regrets”. Hier c’étaient les larmes, ce soir, une certaine indifférence.
Cette Carmen ne laissera pas un souvenir ému: certes, il y a des chanteurs sublimes, mais ni l’orchestre, ni la mise en scène n’ont frappé. Le succès a été important, avec quelques “buh” injustes pour Magdalena Kožená, mais ce n’était pas du délire.
La mise en scène de la chorégraphe britannique Aletta Collins est de celles qu’on rangerait dans les mises en scènes traditionnelles, mais elle ne se veut pas telle. D’abord, parce que chaque moment purement orchestral est chorégraphié, avec des danseuses qui sont autant de doubles de Carmen, et quelques doubles de Don José, dans un ballet plutôt attendu, mouvements de flamenco, jupes qu’on soulève, quelques portés. Mais souvent aussi la danse s’accompagne de cris, et donc on entend difficilement la musique, même dès l’ouverture, et quelquefois on ne l’entend plus du tout, d’autant, on le verra, que Sir Simon Rattle a opté cette fois (au contraire du Chant de la Terre) pour un orchestre plutôt discret, retenu, murmurant.
Les décors ne sont pas de ceux qui vous frappent (Miriam Buether), ils sont assez quelconques, avec des couleurs souvent vives, même s’ils font fonctionner le plateau immense du Grosses Festspielhaus.  Un premier acte qui se déroule dans une sorte de cour intérieure de la fabrique de cigares (mais ce pourrait être aussi un abattoir!) c’est un lieu de laideur; des caisses de cigarettes descendent, Moralès et Zuniga s’en fument une en ouvrant l’une des caisses. Lorsque la cloche sonne, tous font la queue devant la buvette, et les cigarières arrivent. Carmen, vêtue de noir pendant tout l’opéra, arborera cependant une robe orange froufroutante à la fin, pour mourir.

Changement de décor Acte I et II ©Forster

On passe du premier au second acte par un glissement latéral du plateau. Entre les deux décors, une fenêtre grillagée  où l’on voit Don José derrière les barreaux. Le second acte se déroule dans une boite d’entraîneuses, une maison de passe avec une mère maquerelle qui prend la place de Lillas Pastia (Barbara Spitz). Tout est  rouge sombre, on est en sous-sol, et à droite, une scène de cabaret (strip tease?) sur laquelle Carmen chantera pour Don José. Le troisième acte se déroule sur deux plans, le sol et le sous-sol (égouts?) où sont dissimulés les contrebandiers, le dernier acte dans une rue écrasée de soleil aux couleurs vives, où l’entrée du toréador a des allures de Carnaval, avec confettis et serpentins.
Nous dit-on quelque chose de plus sur l’histoire, pas vraiment: on a droit à une illustration un peu enrichie, avec des initiatives (Zuniga est tué par Don José au deuxième acte, un défilé de personnages avec des têtes géantes  de Carnaval au dernier acte) et des circulations pas mal faites (avec un podium enserrant l’orchestre sur lequel circulent chanteurs et danseurs, ou sur lequel Carmen avance vers le public pour lire à quelques spectateurs les lignes de la main…). Une Carmen qui se veut à grand spectacle, mais qui ne délivre rien.
Au total, une mise en scène que je qualifierais d’inutile, bien inférieure à celle d’Emma Dante à la Scala, avec un faux modernisme et un vrai conformisme. Certains diront que cela repose.
Au niveau musical, comme je l’ai écrit plus haut, Sir Simon Rattle a pris le parti de ne pas faire sonner l’orchestre, de le retenir, de privilégier des murmures, les cordes à peine effleurées, les flûtes ou les cors frappés de discrétion. Quand il y a du bruit sur scène, et il y en a beaucoup, entre les objets qui tombent et les cris, on n’entend plus rien. Des esprits chagrins ont dit que ce parti pris de discrétion orchestrale convenait à la voix de Madame Kožená (Madame Rattle à la ville), c’est un peu injuste et très méchant. Il reste que l’ensemble a manqué de dynamique, voire quelquefois de dramatisme , en tous cas n’a pas mis en relief la partition: le quintette du second acte par exemple, n’a pas la précision et le rythme diabolique habituels, avec des ralentissements qui font tomber la tension. Je m’attendais à entendre des phrases musicales inconnues, des solos d’instruments de rêve, à voir mis en avant l’architecture de cette musique, j’en suis pour mes frais. A quelque exception près, on sentait qu’il se passait souvent des choses intéressantes dans la fosse, mais on ne l’entendait pas vraiment. La seconde partie cependant a été plus tendue que la première franchement insatisfaisante, même si grâce à une nouvelle édition critique fondée sur la version Oeser, on entend quelques phrases d’une couleur nouvelle.
Sur scène, rendons justice au magnifique chœur de l’opéra de Vienne (Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor qui est au choeur de l’opéra de Vienne ce que les Wiener Philharmoniker sont à l’orchestre de la Staatsoper ), qui non seulement est musicalement impeccable, mais prononce un français d’une cristalline clarté, tout comme le chœur d’ enfants (Salzburger Festspiele Kinderchor) d’ailleurs dans une magnifique “garde montante”.

Images de répétition: Acte II ©Forster

Beaucoup ne donnaient pas cher de Magdalena Kožená dans Carmen. Disons le d’emblée, ils se sont trompés: Magdalena Kožená, sans être une grande Carmen, a surpris beaucoup de monde, par son engagement, son jeu, sa diction (un français remarquable) et même sa voix, notamment dans le registre central très travaillé. Car du côté des aigus et du très grave, c’est plus problématique. Les aigus sont au mieux très courts, au pire savonnés ou absents. C’est systématique, et cela en devient gênant. C’est un peu mieux du côté des notes les plus graves, mais on sent aussi une certaine difficulté.
Cependant, le personnage existe, voire existe trop (le dernier acte est un peu “surjoué”), et l’engagement scénique est total: alors que tout le monde ironisait sur sa blondeur slave, elle se présente en rousse passion, cheveux longs, pieds nus, et ma foi elle est crédible. Il faut bien dire qu’elle nous a un peu bluffés! Même avec les insuffisances remarquées, et très notables, elle reste une Carmen acceptable, qui ne mérite pas les quelques huées reçues.
En revanche, énorme triomphe pour la Micaela de Genia Kühmeier, une voix d’ange descendue des cieux: pureté, puissance, contrôle, émotion, elle a tout. Ses deux apparitions sont de très grands moments, notamment son troisième acte, qui arrache les larmes: Sir Simon Rattle eût été bien inspiré de lui faire aussi chanter la partie soliste du Requiem de Fauré deux jours avant! C’est une artiste qui vibre, qui fait frissonner, et une voix sublime de pureté.

Images de répétition, acte III ©Forster

Sublime aussi, notamment au dernier acte le Don José de Jonas Kaufmann. Jonas Kaufmann, malgré la gloire qui le précède, n’apparaît jamais sûr à 100% en scène, comme pouvait apparaître un Vickers. On sent toujours quelque fragilité, quelque engorgement, notamment au début. Mais dès que la voix s’ouvre, c’est une merveille: son “La fleur que tu m’avais jetée” est un miracle de retenue, et de contrôle, quasiment tout en mezze voci, et en notes filées. L’orchestre de Rattle appelle ce contrôle et appelle cette manière d’aborder l’air, jamais à pleine voix, toujours murmuré, toujours suppliant, au risque d’apparaître en-deçà de ses possibilités réelles.

Duo du dernier acte ©Forster

Quant au dernier acte et au duo avec Carmen, c’est d’une émotion, d’une retenue, d’une pudeur et d’une intelligence inouïes: toute la première moitié du duo est dite (je dis bien “dite” car tout est ici affaire de modulation, d’intelligence du texte, d’interprétation) sur le ton de la supplique, de la confidence intime, qui se tend de plus en plus pour exploser dans la seconde partie, avec des accents confondants de vérité . Le rôle est désormais si bien dominé que le chant est émotion pure, le timbre est bouleversant, l’accent fait chavirer. Absolument phénoménal, unique, jamais entendu cela comme ça. Face à lui, en ce dernier acte, Magdalena Kožená apparaît un peu artificielle et pâle.
En écoutant Escamillo (Kostas Smoriginas), on retombe brutalement sur terre. Comment faire voisiner un artiste tel que Kaufmann avec un chanteur dont on ne comprend pas un traitre mot, sans aucune projection, au chant engorgé, aux aigus sans brillant ni métal alors qu’il existe des barytons capables de chanter Escamillo avec un autre engagement et un autre volume.
Les autres rôles sont inégalement tenus: j’ai trouvé Mercédès (Rachel Frankel) et Frasquita (Christine Landshamer) faites prostituées jumelles par la mise en scène, un peu pâles, sans relief, sans existence: Frasquita au début du deuxième acte a lancé un “l’amour” (repris par Mercédès puis Carmen) crié, bien désagréable et bien acide. Un bon point pour le Dancaïre de Simone del Savio et le Remendado de Jean-Paul Fouchécourt, et aussi pour le Zuniga de Christian van Horn au beau timbre de basse.

En conclusion, une soirée qui sans convaincre du tout, a laissé des moments qui deviendront de grands souvenirs  (les vingt dernières minutes), mais Sir Simon Rattle a choisi un parti pris surprenant qui ne met pas l’orchestre en valeur, et la mise en scène est sans grand intérêt. Trop de points de réserve pour en faire une grande soirée, mais les éléments positifs et porteurs en font quand même une soirée de festival, car on n’entend pas un Kaufmann ou une Kühmeier tous les jours dans cette forme là.
Tout de même, ce n’est effectivement pas grâce à Carmen que les Berliner se feront regretter.

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 13 Janvier 2012: CARMEN de Georges BIZET, Ms en scène Sebastian BAUMGARTEN

J’ai décidé de m’offrir un week-end berlinois entièrement dédié au “Regietheater”. Après les réactions entendues sur les ondes et lues dans la presse sur le travail de Frank Castorf autour de la Dame aux camélias à l’Odéon, je pense que certains trouveront cette démarche suicidaire ou insensée…
Et pourtant, ce petit voyage à Berlin a plusieurs motifs qui m’apparaissent très légitimes.
Le premier est de comprendre comment travaille Sebastian Baumgarten: après son Tannhäuser de Bayreuth, je voulais en savoir plus sur d’autres productions, et la Komische Oper affiche en nouvelle production une Carmen qu’il met en scène et qui est un vrai succès public. Mais en plus ce week-end offrait une autre mise en scène de Baumgarten, Im weiss’n Rössl, plus connue en France comme “L’Auberge du Cheval Blanc” et la reprise d’une Traviata mise en scène de Hans Neuenfels (auteur du fameux Lohengrin de Bayreuth retransmis sur ARTE et qui a déchaîné les passions), deux Baumgarten + un Neuenfels, que demande le peuple !?
Mais cela ne suffisait pas, j’ai donc conclu ces journées par une soirée à la Schaubühne, pour voir Kabale und Liebe, de Schiller (qui a inspiré la Luisa Miller de Verdi), dans une mise en scène de Falk Richter dont j’ai vu une inoubliable version des “Trois Soeurs” de Tchekhov, dans ce même théâtre. Après quoi je serai réarmé pour affronter la production théâtrale en France, tiède et fade.
Quelques mots d’abord sur la Komische Oper de Berlin, théâtre qui porte ce nom depuis 1947, à l’instigation de Walter Felsenstein, et en hommage à l’Opéra Comique français né au XVIIIème siècle.
Situé à un pas d’Unter den Linden, sur la Behrensstrasse, le théâtre a été construit à la fin du XIXème siècle (1892) sous le nom de “Theater unter den Linden”, puis prend le nom de “Metropol-Theater” comme théâtre de revue et d’opérette. Il ferme en 1933 pour rouvrir un an après sous le nom de “Staatliches Operettentheater” (Théâtre National de l’Opérette) . En 1945, il est bombardé, tout est détruit sauf  la salle néobaroque restée intacte. Il est reconstruit, puis agrandi.

La Komische Oper est surtout connue pour le travail qu’y a effectué Walter Felsenstein dont les mises en scènes restent encore un modèle du genre, et qui vont donner à cette salle de taille moyenne (1240 places) un statut emblématique des institutions culturelles est-allemandes.

Trois caractères essentiels :
– d’abord, c’est un théâtre qui, pour permettre l’accessibilité à tous, présente toutes les œuvres en langue allemande. Il est très aimé du public berlinois et populaire.
– un répertoire assez large qui va des standards populaires du répertoire aux opérettes et aux musicals: on y voit aussi bien “Die Meistersinger von Nürnberg” que “L’auberge du Cheval Blanc” ou “Kiss me Kate”.
– un théâtre dont l’identité, fondée sur l’apport de Felsenstein, est celle d’ un travail théâtral soucieux d’inventivité et de modernité, et ce sont donc les mises en scène qui souvent attirent l’attention. Le choix de travailler sur des mises en scènes très contemporaines attire la presse et centre l’attention sur la Komische Oper: sans cela la presse s’intéresserait beaucoup moins au travail qui s’y fait.

Aujourd’hui, dans une ville de Berlin qui finance la culture fortement endettée, où trois opéras se partagent le marché (Staatsoper, Deutsche Oper, Komische Oper), on peut se demander quel rôle donner à la Komische Oper: présenter des œuvres en allemand a-t-il encore un sens à l’heure du surtitrage (le système est installé, comme à Vienne ou à Milan, dans les fauteuils et le spectateur a le choix entre allemand, anglais, français et turc)? La Komische Oper a-t-elle un avenir? Il est clair que c’est un théâtre très aimé du public, lié à l’histoire de Berlin, , à sa tradition et le fermer serait traumatique. Alors, Andreas Homoki, l’intendant actuel, qui termine son mandat (il va à Zürich pour succéder à Alexander Pereira), a accentué encore la part  d’une vision théâtrale très contemporaine, en invitant des metteurs en scène connus pour leurs positions radicales (Neuenfels, Bieito), mais donnant aussi la possibilité à des artistes plus jeunes de proposer des productions (Baumgarten, Kosky). Lui succèdera justement l’an prochain Barrie Kosky, australien, un autre enfant terrible de la scène contemporaine allemande et anglo-saxonne.
D’autres noms sont liés à la Komische Oper, le metteur en scène Harry Kupfer, les chefs Yakov Kreizberg, ou plus récemment,  Kirill Petrenko qui en fut un temps le directeur musical. En général c’est une rampe de lancement pour jeunes chefs, et un temple pour les metteurs en scène novateurs.
Ainsi, après le Tannhäuser plutôt contrasté et discuté de cet été à Bayreuth, j’ai voulu en savoir plus, ou plutôt en comprendre plus sur le metteur en scène Sebastian Baumgarten, pour ne pas rester sur une impression mitigée, et essayer de mieux rentrer dans son univers. J’ai donc à mon programme cette Carmen,  sa dernière production,qui remonte à novembre dernier, et Im weiss’n Rössl (L’auberge du cheval blanc) qui quant à elle remonte à Novembre 2010. Il s’agit donc de toute manière de productions récentes.
Quant à musique, j’ai rarement vu dans ce théâtre des production musicalement très médiocres, il reste que les deux autres opéras de la ville ont des troupes plus aguerries, et des chefs souvent plus avancés dans la carrière, mais pas forcément meilleurs.

Dernier acte – Photo Komische Oper

La distribution prévue en cette soirée du 13 janvier est plutôt la seconde distribution, avec un autre chef que celui de la première,  Josep Caballé-Domenech (38 ans), directeur musical de l’orchestre de Colorado Springs, élève de David Zinman, qui a montré une grande énergie et un grand sens dynamique dans sa direction, rapide, mais juste, qui suit les chanteurs avec attention et donne une vraie couleur à sa direction, en somme tout sauf un batteur de mesure. Il a su insuffler un vrai rythme, qui convient bien à la mise en scène.

Carmen - Photo Komische Oper

Les chanteurs, sans être exceptionnels, s’en sortent plutôt avec les honneurs, en premier lieu la Carmen de Katarina Bradic, très crédible physiquement,  à la voix sombre, bien posée, assez puissante: une belle Carmen (sa Habanera est très réussie, et  de plus chantée en français – le reste est en allemand-). Son Don José, Jeffrey Dowd, un ténor américain spécialiste des rôle plutôt lourds (Siegmund, Tristan, Frau ohne Schatten), en troupe à Essen, est loin de démériter et montre une belle intensité dans son chant. On préfèrerait évidemment l’entendre en français, mais il a du style, et le duo final avec Carmen est vraiment réussi. L’Escamillo de Günter Papendell, un des meilleurs membres de la troupe, à la voix très sonore et étendue, est légèrement décevant par rapport à ce que j’avais entendu précédemment (notamment dans Armide, de Glück, dans ce même théâtre, où il était vraiment remarquable). La Micaela de Erika Roos, tout jeune soprano lyrique, est très intense, possède déjà un chant très maîtrisé et impose sa personnalité en scène avec bonheur. Bonne Mercedès de Karolina Gumos, et Frasquita vaillante, à la voix un peu stridente, de la jeune Anastasia Melnik, de la troupe de l’Opéra Studio attaché à la maison. En somme, une distribution très honorable, sans vraie trouvaille, mais qui défend vaillamment la musique de Bizet et qui se glisse très bien dans les exigences de la mise en scène.

Sebastian Baumgarten a fait des choix moins radicaux que pour son Tannhäuser de Bayreuth, même si on reconnaît sa patte à la profusion d’idées, à la manière d’en rajouter, d’adapter les dialogues avec plus ou moins de bonheur, mais de garder tout de même l’essentiel du livret tout en le transposant de nos jours, dans un de ces quartiers maudits de la banlieue des villes. Le décor de Thilo Reuther représente au lever de rideau en premier plan une banque (Santander) éventrée sans doute par un attentat, et en arrière une de ces barres de cités , en état de délabrement avancé. Un décor de béton, explosé, où les soldats sont devenus des sortes de miliciens qui combattent les contrebandiers, ou plus des trafiquants révoltés que des contrebandiers d’opérette. Des vidéos s’égrènent, une fleur, jetée sur une route, des interrogatoires de police qui jouent sur le présent et le futur. Il n’y  plus de cigarière, mais des femmes qui fabriquent sans doute des poulets conditionnés, et qui les plument et les jettent dans une marmite après les avoir sacrifiés en une étrange cérémonie vaudou où Carmen est presque invoquée. Pas de garde montante ni descendante. Des dialogues modifiés, avec une importance plus grande, beaucoup plus grande donnée à Zuniga que dans la mise en scène traditionnelle, quelques coupures (choeur des enfants, choeur “un, dos, quartos”), des personnages rajoutés, notamment une danseuse de flamenco (Ana Menjibar qui remporte d’ailleurs un très grand succès, peut-être le plus marqué de la soirée), qui s’insère  dans les dialogues par de savoureuses adresses en espagnol, ou qui danse des intermèdes, accompagnée de deux guitaristes qui jouent aussi le rôle de continuo dans les dialogues (c’est d’ailleurs une bonne idée)…

Et malgré tout cela (je sens certains lecteurs pâlir), on a devant soi un spectacle fort, assez cohérent, avec de vrais moments de théâtre, qui viennent là où on ne les attendait pas: pas de rose jetée, mais un ballon de basket avec lequel joue Don José qui tombe sous les pieds de Carmen, qui renvoie la balle à José, où  s’ensuit un échange qui passe très vite de l’indifférence à l’échange vrai, au regard, à l’accroche, et ce qu’on prenait pour une provocation supplémentaire prend sens et devient un des moments les plus forts du spectacle.

Habanera - Photo Komische Oper

Carmen chantant sa Habanera n’est pas Carmen, mais une sorte de représentation fantasmatique de la mort, dans un costume très rigide, c’est la mort qui chante l’amour, enfant de Bohème. Elle ne devient Carmen qu’au moment de l’agression, très violente,  en fin de premier acte, qui provoquera son arrestation. C’est cette violence qui frappe: un monde de mort, de violence, de rapports de domination homme/femme, où l’amour porte irrémédiablement à la mort. Avec une métaphore qui est celle de la Corrida: sur une vidéo apparaît en projection “On ne doit pas avoir de doute au moment de la mise à mort c’est la loi de la Corrida”, une corrida illustrée en vidéo par deux mains, une masculine, une féminine, qui courent sur deux corps. Amour=corrida=mort, un motif que Baumgarten utilisera évidemment au dernier acte lors du duo. On oscille en permanence entre  hyperréalisme et idéalisme:

Micaela et José - Photo Komische Oper

Micaela est idéalisée, vêtue comme ces Vierges siciliennes ou andalouses qu’on promène sur des chars, en cape de satin bleu, avec des lumières scintillantes dans les cheveux, et son second monologue au troisième acte est vu comme un rêve de José, alors que  son entrée en scène au premier acte se confronte immédiatement au monde des hommes en rut, d’une violence plus forte que d’habitude. Il y a aussi hélas des moments où l’idée de la mise en scène tue l’intensité: dans le monologue des cartes (“La mort, toujours la mort…), Carmen entame une sorte de danse macabre chorégraphiée comme une danse de squelette, il faut bien le dire un peu ridicule. Une plus grande sobriété eût procuré un effet plus fort.
Au total un spectacle fait de profusion, avec l’exploitation d’idées somme toute banales sur l’œuvre (Eros/Thanatos, Carmen face à Don José comme le taureau face à son torero), d’autres meilleures, comme la violence qui naît de la très grande pauvreté, mais dans un style qui fonctionne et même séduit le public et dans une cohérence stylistique et plastique bien plus maîtrisée que dans le Tannhäuser de Bayreuth.

Incontestablement, ce spectacle est un grand succès, et attire un nombreux public, visiblement séduit (applaudissements et rappels sont interminables) et particulièrement jeune:  70% de la salle, pleine, a moins de trente ans, avec des classes et leurs professeurs, mais aussi des groupes d’adolescents, 14-15 ans, qui se sont mis sur leur 31 pour venir à l’opéra. Alors, si ce spectacle, pas totalement convaincant pour mon goût, mais plus réussi, incontestablement, que ce Tannhäuser de Bayreuth qui a tant fait couler d’encre, attire à l’opéra un public plus jeune, et plus disponible, alors, c’est qu’il atteint un but que bien d’autres n’arrivent pas à atteindre, et donc bravo l’artiste!!

SUMMUM de GRENOBLE 2011: CARMEN, par la FABRIQUE OPERA (Dir.mus: Patrick SOUILLOT)

 

Voilà une opération qui pourrait séduire: chaque année, Patrick SOUILLOT et sa FABRIQUE OPERA programment au Summum, la salle de Grenoble qui fait office de “Zenith” un opéra “populaire” pour un large public, chanté par des jeunes artistes avec un orchestre appelé  “L’Orchestre” qui est l’orchestre symphonique universitaire de Grenoble, et la collaboration de lycées professionnels qui fabriquent les costumes (Lycée Argouges) ou qui font les coiffures (Lycée Jacques Prévert) et le soutien d’une foule de structures et d ‘entreprises grenobloises . On a ainsi vu depuis quelques années La Flûte enchantée, La Traviata, West Side Story, Don Giovanni. C’était cette année le tour de Carmen qui a pulvérisé tous les records d’affluence puisque les quatre représentations étaient combles, on est venu de loin pour voir ce spectacle.
Mais autant la nature de l’opération, qui permet à des jeunes musiciens ou chanteurs, à des amateurs et à des élèves de participer de près à l’élaboration d’un spectacle est à saluer, à soutenir, à poursuivre, autant le résultat de l’entreprise confond par sa médiocrité notamment au niveau scénique. Le public accouru en foule qui fait un triomphe à l’ensemble ressort hélas avec l’idée qu’il a vu dans ce spectacle la Carmen de Georges Bizet, et cela en dit long sur les résultats réels du travail d’éducation du public des grandes institutions culturelles du territoire de Grenoble, à commencer par Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre-Grenoble.
Dans une ville qui a une grande tradition de spectacle vivant, où la MC2 (le plus grand complexe de spectacle vivant de France, et le plus subventionné: un auditorium de 1000 places, une salle de 1200 places, un petit théâtre de 250 places, une salle de création de 700 places, et des studios de danse etc.. etc..) ne désemplit pas, o
n doit s’interroger sur le sens de ce succès au détestable rapport qualité-prix: sans doute une soif d’opéra qu’on voit aussi se développer à travers la multiplication des opérations de retransmissions dans les salles de cinéma, sans doute aussi le résultat d’une impressionnante campagne de communication, sans doute enfin l’existence d’un public en demande que les réponses apportées par les structures en place ne prennent peut-être pas assez en compte.

Il n’est pas question évidemment d’apprécier ce spectacle sur les mêmes critères que les spectacles que je fréquente habituellement, ni de mettre en cause l’ensemble des participants, souvent bénévoles, enthousiastes et valeureux, mais force est de constater que le minimum requis n’est pas atteint. Les spectacles de ce type qui ont lieu dans les stades et les “Zenith” visent à rameuter un public nombreux sur des critères de spectaculaire, et essentiellement de divertissement: il faut du monde sur scène, de la couleur dans les décors, et la musique est bien entendu sonorisée: il est bien difficile de donner un avis musical dans ces conditions car chanteurs, choeur et orchestre ne sont pas au même niveau sonore.
C’est exactement le cas pour cette Carmen: c’est un spectacle de divertissement qu’il ne faudrait surtout pas prendre au sérieux et rapprocher d’une vraie entreprise artistique à prétention culturelle et musicale. On n’est pas vraiment à l’opéra.
La distribution est composée de jeunes chanteurs  qui ne sont pas indignes, mais dont tous ne sont visiblement pas encore prêts pour la scène. Carmen (Marie Gautrot) a un joli timbre de mezzo, mais quelques problèmes de justesse (air des cartes) et surtout une fâcheuse manière d’appuyer sur les consonnes pour donner au rôle une allure énergique, qui en réalité ne produit aucun effet, car elle ne sait pas interpréter. Le Don José de Rémy Poulakis ne rend pas justice au personnage, a une diction et un débit monocordes, une tenue en scène très problématique frisant le ridicule, et un souffle court, on est très très loin du compte! La Micaela de Sevan Manoukian est passable, elle n’a pas une voix homogène,avec une couleur
métallique et grèle dans le registre central, et avec une autre voix, un peu courte, dans les aigus. Fabrice Alibert a  des problèmes de souffle et de tenue scénique, il n’est pas encore prêt pour Escamillo. Frasquita (Joanna Malewski) a une voix acide et un peu trop de vibrato tandis que Mercedes (Landy Andriamboavonjy) semble, de tous, la plus en place. Au total, des rôles féminins tout de même un peu plus au point que les rôles masculins avec des problèmes pour tous, notamment dans la manière de respirer et le travail du souffle et  avec la débandade assurée dès que le rythme change (les passages dramatiques de la scène finale sont très problématiques). Le choeur composé d’amateurs n’est pas là non plus indigne loin de là, mais les hommes sont tout de même insuffisants (volume, pose de voix, décalages incessants avec l’orchestre) alors que les femmes en revanche sont bien plus au point.  Les faiblesses de l’orchestre (notamment au niveau des vents et des bois) font paradoxalement ressortir la difficulté de cette partition archi-connue, qui demande un raffinement et une précision qu’à aucun moment Patrick Souillot ne cherche à insuffler: au contraire il use  et abuse des changements de rythme, des accelérations brutales, surprenantes sans  aucun lyrisme. . L’orchestre fait de jeunes peut légitimement avoir des faiblesses, mais le chef n’aide pas à donner de la couleur à l’ensemble. A aucun moment la musique ne distille ne serait-ce qu’une seconde de poésie ni une quelconque émotion. Cela ne décolle pas.
Il faut dire aussi que la mise en scène (peut-on appeler cela une mise en scène?) de
Raphaëlle Cambray-Jouantéguy rassemble à peu près tout ce que l’on déteste à l’opéra: incohérences (mouvements chorégraphiques injustifiés), gestes convenus ou ridicules (Frasquita relève sa jupe laissant voir une culotte avec un coeur où vous pensez…),  maladresses dans l’organisation des entrées et sorties; pour le reste, on est dans le tape à l’oeil (éclairages hideux, jaunes, rouges, bleu pétrole, fluo), dans une approche très voisine de l’opérette dans le traitement des foules et de certaines scènes: nulle émotion, nulle idée, nul propos. Un travail fait à la va-vite: je ne sais combien de temps auront duré les répétitions, mais je crains qu’on n’ait pas vraiment pu travailler de manière approfondie. Il faut remplir le plateau, donner de la couleur, mettre de la foule pour faire de l’effet et mettre de la lumière (ah! ces “guirlandes de noël “entourant le décor dans la scène des cartes ou l’arcade-entrée de l’arène dans la scène finale). Quant aux costumes, qui sont joliment réalisés par les élèves du Lycée Argouges, ceux des solistes ne sont  malheureusement pas toujours du meilleur goût, au contraire de ceux du choeur, et ne correspondent pas toujours aux personnages: quelle idée d’affubler d’une robe gitane bleu et argent la Carmen tragique du dernier acte. Où a-t-on trouvé ce bleu hideux? sur les paquets de “Gitanes” bien connus? c’est à ça qu’on pense…Et quelles orientations la production a-t-elle données aux élèves pour le choix des couleurs, et de la réalisation ?
Mais ce qui me chagrine, ce n’est même pas le résultat général ni le niveau musical, car à l’évidence l’enthousiasme et l’engagement sont visibles partout: c’est qu’on trompe le public en lui faisant prendre ce travail comme un travail scénique exigeant, qui vise à l’excellence comme on l’a dit sur scène au moment des saluts. On va m’opposer l’affluence, le succès croissant, l’enthousiasme réel des spectateurs. qui certes, est riche de potentialités car il donnera peut-être envie d’aller à l’opéra.. Mais comment, dans une ville où l’opéra existe peu, et où la seule référence depuis quatre ou cinq ans sont ces productions de la Fabrique Opéra, le public pourrait-il se construire une “culture” lyrique ?
L’an dernier, La Fabrique Opéra avait présenté un Don Giovanni de Mozart , version Prague, donc tronqué de la moitié du second acte, en adaptant les récitatifs; cette année, où l’ensemble est tout de même  meilleur, les dialogues (très mal joués) sont souvent réadaptés dans un langage considéré comme “plus proche des gens” alors que le dialogue original est
par ailleurs   parfaitement clair et compréhensible . C’est vraiment présupposer que le public ne comprendrait pas l’original: ce n’est pas vraiment honorable et c’est surtout inutile

Et que, pour couronner le tout, les prix aillent de 29,50€ à 65€, c’est à dire  les prix d’un spectacle professionnel, qui ne correspondent en rien au niveau de ce qui a été présenté,  me paraît particulièrement délétère, là où des vraies salles comme l’Opéra National de Lyon affichent des prix qui vont de 13€ à 90 € pour de vrais spectacles d’Opéra de niveau international dans un espace fait pour cela: j’ai vu des gens qui venaient de la Drôme: ils investiraient peut-être moins en allant à Lyon qu’au Summum, et au moins ils verraient de l’opéra. Quant aux prix de la MC2, ils ne dépassent pas 42€. C’est bien montrer que l’entreprise de la Fabrique Opéra n’est pas si “populaire”, comme on essaie de nous le faire croire et qu’en matière de musique classique, mieux vaut faire confiance aux structures publiques.

En France, il est évidemment difficile de faire de l’opéra en dehors des grands centres urbains  nous ne sommes pas en Allemagne avec ses 250 théâtres de ville qui présentent chacun une saison d’opéra avec une troupe fixe. Dans le système à la française, l’opéra est réservé soit aux salles (une quinzaine en France) de grandes villes, soit au cinéma, soit à des spectacles de cet acabit (il y en a quand même d’un peu meilleurs dans le genre!): en terme d’éducation du public, qui , nous l’avons vu, est en demande, nous sommes bien à la traîne et bien loin du compte. Grenoble a bien un orchestre prestigieux en résidence, mais cet orchestre (les Musiciens du Louvre-Grenoble) répète à Paris et joue un certain nombre de programmes à Grenoble sans vraiment être “enraciné” sur le territoire. Comment monter un travail approfondi et au long cours pour construire un public et un projet autour du lyrique dans ces conditions ? On ne fait que gérer le public captif habituel de la musique, sans vraiment aller chercher des nouveaux publics avec les dents.
Grenoble est une ville de grande tradition théâtrale, de grande tradition chorégraphique, avec un vrai public, ouvert, disponible, formé, il est seulement dommage qu’elle laisse le champ de l’opéra et du lyrique à des projets de ce type, qui avec l’alibi de l’affluence, perdurent dans le médiocre parce qu’ils n’ont pas de visée artistique. Il y a de la vraie ressource professionnelle et je suis sûr, économique, pour construire au moins un vrai projet d’opéra par an dans les structures publiques de Grenoble.

Patience, confiance, fabriquons de l’opéra, et non un ersatz qui n’en a pas vraiment le goût.