En cette fin de saison, Covent Garden affiche outre Ariane à Naxos, Bohème, cette dernière nouvelle production de Maria Stuarda à peine plus de deux semaines après la première de la Manon Lescaut kaufmannienne, toujours à l’affiche.
Des 71 opéras de Donizetti, bien peu remplissent les affiches des théâtres, Don Pasquale, La fille du Régiment, L’Elisir d’amore et Lucia di Lammermoor sont les titres les plus fréquents. Anna Bolena a été créée à Vienne il y a peu encore avec Garanca et Netrebko. A l’Opéra de Paris, je n’ai pas souvenir que Maria Stuarda, Anna Bolena, Lucrezia Borgia ou Roberto Devereux aient été présentés.
C’est un répertoire difficile, qui ne souffre pas la médiocrité musicale : vu la légèreté des livrets en général, impossible de s’accrocher aux branches d’une mise en scène. Grande spécialiste, technicienne hors pair, Mariella Devia a défendu ce répertoire pendant toute sa carrière. Elle n’a pas fait la carrière internationale qu’elle pouvait mériter, et elle reste peu connue en France. Voilà une chanteuse intègre, sérieuse, qui n’a jamais menti : précision, agilité, contrôle vocal, justesse, aigus, elle a toutes les qualités vocales qu’exigent ces rôles, mais avec en scène une retenue et une timidité qu’on lui a souvent reproché. À la Scala, Caballé s’est fait jeter (Anna Bolena), Fleming s’est fait jeter (Lucrezia Borgia), Mariella Devia en revanche a toujours été bien accueillie, notamment lors de la dernière série de représentations de Maria Stuarda, en 2008, où elle faisait face à Anna-Caterina Antonacci . L’œuvre n’avait pas été reprise depuis 1971, avec Caballé et Verrett…
C’est dire que lorsqu’il y a une Maria Stuarda quelque part en un lieu accessible, mieux vaut y aller, d’autant qu’il y a une vraie tradition de bel canto chez les anglo-saxons, pensons à Sutherland, Sills, Horne, Verrett aussi et qu’en affichant Joyce Di Donato, qui aujourd’hui est la digne héritière des grandes aînées, Covent Garden donnait au public une garantie.
C’était ma première Première au ROH, ce qui m’a permis de constater que tutto il mondo è paese : les huées sont la chose du monde (lyrique) la mieux partagée. Contre la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser.
Au lever de rideau, surprise : les personnages sont en costumes contemporains, mais Elisabeth en costume du XVIème : installée derrière un pupitre du type « The president of the United States of America » elle chante son premier air comme un discours politique, puis restée seule, elle retire sa perruque rousse, et se retrouve chauve. Marie Stuart, elle aussi est en costume du XVIème siècle. On veut sans doute établir un rapport entre le XXIème siècle, où l’Écosse s’apprête à voter pour son indépendance et la revendication de Marie Stuart. « Mary Queen of Scots » sur la couronne d’Angleterre. Du XVIème au XXIème siècle : Écosse/Angleterre, c’est une vieille histoire…
C’est le fil ténu de la logique interne d’un travail qui n’est pas loin s’en faut l’un des plus limpides ou des plus réussis de la paire Caurier/Leiser : une gestion intéressante du face à face Elisabeth/Maria Stuarda, exacerbant les oppositions jusqu’à la caricature. Elisabeth entre dans la prison de Maria Stuarda, et s’installe à table ; on lui apporte un Picnic Basket qu’un spectateur de Glyndebourne ne désavouerait pas, on lui dresse la table, elle boit sa coupe de champagne et jette ses restes à Maria Stuarda agenouillée et soumise.
Autre idée un peu excessive, dans la salle d’exécution à l’américaine, ouverte sur l’extérieur par des fenêtres où regardent des spectateurs le bourreau qui va exécuter Maria Stuarda, attend et boit des rasades de whisky, comme s’il lui fallait du courage ou qu’il était vaguement dépressif, parce que selon les témoignages historiques le bourreau était saoul et s’y reprit à trois fois. Manière de jouer avec la vérité historique tout en jouant sur d’autres claviers, l’ironie, la distance, le whisky – écossais-…
Une seule trouvaille, un moment fort, lorsqu’enfermée dans la salle d’exécution, Maria tend à travers la fenêtre son bras pour saisir Leicester, qu’Elisabeth a forcé à assister à l’exécution.
Pour le reste, peu de travail de direction d’acteurs, des attitudes convenues, sans idées force autres que celles signalées, dans un décor essentiel de Christian Fenouillat fait à l’économie (Manon Lescaut aurait-elle coûté trop cher ? Coûter cher est évidemment le péché mignon de Manon…) Une première scène devant un panneau représentant Parliament House, quelques barrières de métal pour contenir la foule, et des canapés de cuir de type de ceux qu’on doit voir dans certains clubs privés londoniens…puis on passe chez Marie Stuart, en prison où va se dérouler le reste de l’opéra, dans un moderne quartier de haut sécurité ou un couloir de la mort. Pas de vérité historique vu que Marie Stuart a séjourné dans plusieurs châteaux (sa captivité a duré 19 ans, Elisabeth rechignant à un procès et encore plus, à une exécution).
Mais l’opéra n’est pas l’histoire, et la figure de Marie Stuart – victime – a bercé mes mythes historiques des années de jeunesse. Je me souviens d’ailleurs avoir lu dans la foulée et Marie Stuart et Don Carlos de Schiller…La construction, assez fidèle à Schiller, est évidemment dominée par la rencontre Elisabeth/Marie, qui n’a jamais eu lieu où Marie traite Elisabeth de bâtarde et signe ainsi son arrêt de mort. Tout la seconde partie n’est que lamento et déploration.
La mise en scène n’étant pas à la hauteur, la soirée a donc reposé entièrement sur la musique. Bertrand de Billy, le chef français qu’on ne voit pratiquement jamais en France a porté le plateau avec un sens du théâtre accompli, une attention aux chanteurs, essentielle dans ce type de répertoire, et au volume orchestral, qui ne couvre jamais les voix, mais aussi avec un rythme, une dynamique, une pulsation vibrantes. C’est vraiment la confirmation que Bertrand De Billy est un vrai chef d’opéra et que ce répertoire lui convient à merveille, bien mieux à mon avis que le répertoire wagnérien, où tout est parfaitement en place, mais sans cette petite lueur qu’on perçoit en revanche nettement dans cette Maria Stuarda. C’est un mystère pour moi que Bertrand de Billy n’ait jamais été invité à l’Opéra de Paris, qui pourrait très avantageusement se substituer à bien les Oren de passage…
La distribution est évidemment dominée par Joyce Di Donato. Enfin du vrai bel canto ! pourrait-on exulter. Une technique sans failles, sur toute l’étendue du registre (peut-être quelques problèmes dans le suraigu, mais vraiment minimes), un volume vocal très respectable, un travail sur le souffle exemplaire, avec des pianissimi exceptionnels, notamment dans la seconde partie où elle est bouleversante, une diction impeccable, les mots sont sculptés, colorés, modulés et cela rend l’interprétation évidemment intense. Mais ce qui projette sa Maria Stuarda au niveau des grands modèles de jadis, c’est aussi un timbre sombre (Joyce Di Donato a commencé mezzosoprano) qui m’a fait penser à certains moments à Leyla Gencer, ma Maria Stuarda préférée. Rien que pour elle, cela valait la traversée du Channel. Je ne pense pas qu’on ait eu droit depuis longtemps à une telle leçon de chant. Devia chantait merveilleusement Maria Stuarda ; Di Donato EST Maria Stuarda.
Carmen Giannattasio ne m’a jamais enthousiasmé. Je dois pourtant reconnaître que son Elisabeth se défend, avec des agilités au point, avec de la puissance, avec du style, avec aussi un effort notable d’interprétation. Toutefois, la voix n’a pas cette qualité intrinsèque qu’on attend dans ce répertoire, et les aigus et suraigus sont très acides. Certes, l’acidité vocale sied au rôle et ne gêne pas fondamentalement, mais il reste que dans les scènes avec Maria, l’homogénéité de couleur manque.
Leicester (Robert Dudley, l’amour historique d’Elisabeth), c’est le ténor espagnol Ismael Jordi, que les spectateurs de Bastille vont entendre dans Alfredo à la rentrée. S’il y a une tradition anglo-saxonne de bel canto pour les femmes, il y a pour les ténors une vraie tradition hispanique : Alfredo Kraus, Placido Domingo, José Carreras, Jaime Aragall, Ramon Vargas, Juan Diego Florez évidemment. Dans ce répertoire, souvenons-nous de Kraus, avec sa technique, avec ce timbre lumineux, ces pianissimi, et surtout cette émotion permanente dans la voix qui est la marque des très grands. Ismael Jordi a incontestablement une belle technique, une diction impeccable et une clarté du discours exemplaire. Il sait très bien projeter le son, l’aigu est très ouvert, mais c’est surtout le timbre qui m’est apparu vraiment séduisant, un timbre clair, lumineux, solaire, qui me rappelle le jeune Aragall. Peut-être doit-il encore travailler les aspects purement interprétatifs : la voix est vraiment intéressante mais il aurait intérêt à moduler un peu plus, à varier les accents. Il reste que c’est un ténor à suivre.
Matthew Rose est un Talbot (chargé de surveiller la reine d’Écosse) humain, qui prend le parti de Marie, et qui cherche à la sauver sans trahir Elisabeth, et marque une forme de loyauté aux deux reines, bien servie par un timbre chaud, velouté, qui produit un chant d’une grande humanité et le baryton Jeremy Carpenter est un William Cecil (l’ennemi de Marie) un peu plus pâle dans la vision des metteurs en scène, mais très correct vocalement
Le chœur du ROH est comme la veille particulièrement bien préparé par Renato Balsadonna, notamment dans la première partie.
Avec une mise en scène un peu plus convaincante, c’eût pu être une soirée anthologique. Cette Maria Stuarda est néanmoins l’une des soirées de bel canto qui marquera la mémoire, c’est assurément dans ce répertoire l’un des meilleurs moments d’opéra vécu ces dernières années, grâce à une formidable Di Donato, mais aussi à un plateau de bon niveau et surtout grâce à un chef de très grande qualité, ce qui ne se vérifie pas toujours dans ce répertoire où l’on entend beaucoup de médiocres. Habemus Reginam.[wpsr_facebook]