PETITES BARBARIES (1) : LA MORANÇAIS OU SAINTE JEANNE DES ABATTOIRS CULTURELS

Elle s’appelle Christelle Morançais, personne ne la connaît, hors les Pays de la Loire même si Emmanuel Macron, toujours à l’affût d’idées géniales, avait paraît-il pensé un jour à elle comme première ministre. Comme c’est une femme politique sérieuse et responsable, elle a décidé de porter les coupes budgétaires aux subventions  à la culture au sport et au monde associatif  à 100 millions d’Euros quand on lui en demandait 38 ou 40, d’un geste noble et sacrificiel fait au nom de l’urgence budgétaire.

Bien évidemment, il s’agit de se faire remarquer en ces temps instables où les gouvernements peuvent valser facilement, et de montrer qu’on ose (ah, mais !) et qu’on est prête au cas où… et donc de se profiler d’abord personnellement comme une brave apparatchik proche du candidat Edouard Philippe.
Alors on s’attaque courageusement… à la culture qui coûte évidemment trop cher, sans doute noyautée par les mal pensants et la gauche honnie. L’artifice est tellement grossier et tellement rebattu qu’il en dit long sur la fraicheur des idées de Madame Morançais…
La culture est toujours la première (dans tous les bords politiques il faut hélas le reconnaître) à faire les frais des périodes de vaches maigres parce que les réductions budgétaires n’y font de mal à personne ou du moins elles ne provoquent que des cris localisés, et qu’on peut opposer aux saltimbanques les grandes priorités, la santé, l’école etc… d’autant que les artistes ne bloquent pas les ronds-points et n’ont pas de parpaings, ni de pneus enflammés ni de lisier à balancer sur les préfectures.

En découvrant le nom de cette illustre inconnue aux idées rances, je me disais qu’en Pays de la Loire, La Folle Journée de Nantes qui fête ses trente ans cette année avait fait accéder à la culture et à la joie de s’y plonger des milliers de français, et en face de cette vérité, je me demandais combien de divisions culturelles Madame Morançais avait-elle alignées, combien de français avait-elle revivifiés par son action ? Au vu de son sens de la com, on le saurait si elle pouvait afficher une véritable idée ou action culturelle d’envergure…

Mais des idées ? quelle horreur…

Il y a quelques mois, j’avais noté d’ailleurs dans un article de ce blog en 2023 sur les opéras en France le rôle très chiche de la Région Pays de la Loire dans les initiatives des opéras locaux Nantes et Angers, pour faire circuler les productions et travailler de conserve. Que n’ai-je su qu’un phare culturel du nom de Morançais présidait à ses destinées.
Il est vrai aussi que le rôle des Régions dans le financement de la Culture reste très réduit (entre 3 et 4 %), face aux investissements des villes et des métropoles. C’est un véritable problème, nous en reparlerons par ailleurs, car c’est une des questions fortes de l’organisation culturelle des territoires sur laquelle il faudrait revenir.

Les éructations de Madame Morançais appellent néanmoins quelques réflexions :

  • On reste frappé par l’absence totale de cohérence dans l’action politique générale dont le geste de madame Morançais est un exemple. Laissons de côté le fait que la culture reste totalement absente des débats politiques, des paris sur l’avenir, et que la dernière réflexion globale remonte … à Jack Lang en 1981. Depuis, on vit sur ce qui a été mis en place alors avec quelques rustines et quelques cautères, mais sans véritablement faire de la culture le simple élément d’un projet politique global, quel que soit le parti, de l’extrême droite à l’extrême gauche… Dans les débats politiques des dernières années – et ils furent nombreux- pas un mot sur la culture. Il est vrai aussi que l’élévation spirituelle de ces débats reste à prouver.

Il est par ailleurs étrange par exemple que Madame Morançais, à la tête de la région depuis 2017, se réveille en 2024 pour claironner que les dépenses engagées pour la culture par la région sont à ce point inutiles, qu’elle puisse faire passer de 40 à 100 millions les restrictions. On se demande bien ce qu’elle a donc fait les années précédentes, cette Sainte Jeanne des Abattoirs Culturels [1]? Où était sa vigilance ?

  • Il paraît que cela permettrait de recentrer la Région sur ses missions « les plus légitimes et les plus utiles : l’emploi, la jeunesse, les transitions ».
    Il est bien évident que pour Sainte Jeanne des Abattoirs Culturels la culture ne fait pas partie des missions « les plus utiles », ne génère pas d’emplois, n’a aucun effet sur la jeunesse, et ne contribue pas aux transitions. Il est bien évident que les retombées économiques des manifestations culturelles sont nulles, alors que toutes les études montrent que les investissements culturels ont des retombées évidentes sur les territoires.

Mais des études ?… Quelle horreur !

Si madame Morançais parle de coûts (les subventions ça coûte, c’est de l’assistanat), elle ne voit pas en la culture un investissement. Encore moins rentable…
Et si nous nous interrogions sur le coût induit d’une madame Morançais, coût réel, coût politique, coût symbolique, coût éthique ?

  • Mieux, et bien plus grave à mon avis, cette Sainte Jeanne des Abattoirs Culturels, s’en prend à une culture « subventionnée » et « politisée ».
    Nous y voilà. La gentille région donne des sous à des vilains gauchistes. Mais là il y a une faute d’analyse évidente, Sainte Jeanne des Abattoirs Culturels s devrait penser à ce qu’est une subvention.
    Une subvention versée à une institution culturelle quelle qu’elle soit l’est au nom d’une utilité culturelle et sociale en termes de création, de diffusion, et d’animation d’un territoire et ne devrait pas l’être au nom de considérations « politiques ». Si la région jusque-là a subventionné des structures, c’est qu’elle les estimait utiles, et subitement, nous l’avons dit, elle les estime nuisibles inutiles, politisées ? Singulière incohérence… Réveil tardif…
    Une subvention versée à une institution culturelle, à partir du moment où la décision est prise de la verser, dépend donc de considérations d’utilité publique : c’est le sens de la subvention. Parler de culture « politisée » c’est entrer dans des considérations délétères, c’est laisser entendre qu’il y a une culture « non politisée » ou « dépolitisée » qu’on subventionnerait plus volontiers, porte d’entrée au régime des copains et des coquins.
    À partir du moment où une collectivité publique commence à faire le distinguo entre culture dite « politisée » et culture dite « non politisée », elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. Un seul exemple : le spectacle « Passeport » d’Alexis Michalik est-il un bon spectacle ou non, voilà la seule question qui puisse justifier d’une subvention, et pas qu’il soit un spectacle « politique » ou non. Poser ce type de question c’est le début d’un totalitarisme culturel, la petite barbarie du début qui finira par mener à la grande barbarie.
    Oui, Madame Sainte Jeanne des Abattoirs Culturels, ce n’est pas votre décision en soi qui fait problème politique, mais ses attendus : ils vous déshonorent, parce que vous dévoyez le sens de ce qu’est une politique culturelle de la collectivité publique que vous dirigez, parce que vous n’avez fait preuve là que d’un geste de bas étage populiste, s’attaquant au plus fragile, un geste de lâcheté, bref, un vrai geste d’opportuniste. J’ai vraiment confiance : vous êtes prête pour d’autres barbaries.

[1] Allusion à la pièce de Bertolt Brecht, créée en 1932 (Titre original : ie heilige Johanna der Schlachthöfe)