BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013: DAS LIEBESVERBOT (LA DÉFENSE D’AIMER) de Richard WAGNER (Ms en scène: Aron STIEHL, Dir.mus: Constantin TRINKS)

Image finale

Pour une surprise, c’en est une ! Après Die Feen moyennes à l’Oper Leipzig (reprise à Bayreuth en version de concert), après un Rienzi musicalement sans gros problèmes mais scéniquement indigent, voilà Das Liebesverbot, le moins connu des trois, le moins joué des trois, et incontestablement le meilleur moment, le meilleur spectacle de ce pré festival. un spectacle un peu fou, une musique que Rossini ou Auber auraient pu reconnaître, une verve totalement inconnue, un chef extraordinairement doué, un plateau homogène, sans vedettes (Christiane Libor exceptée) mais très solide, et enfin un metteur en scène, qui sait ce que rythme, ce que musique, ce que direction d’acteurs veut dire. Devant cette vraie réussite, on ne peut que regretter les erreurs de marketing et d’image qui conduisent à ces rangs déserts, ces gradins vides, ces trous dans le public de ce dimanche en matinée. Voilà un spectacle d’où on sort heureux, et surtout où tout le monde chantonne les refrains entrainants, guillerets, sautillants de l’auteur de Parsifal.
Voilà une musique qui non seulement se laisse entendre, mais qui, lorsqu’on se concentre sur l’orchestre, est souvent subtile, avec quelques strates mozartiennes, et une compréhension stylistique de l’opéra rossinien étonnante: sens du crescendo, sens des ensemble, sens des rythmes, sens aussi du lyrisme dans ces moments où les âmes s’expriment, comme ce magnifique duo initial de Mariana et Isabella, qui s’ouvre sur une phrase musicale qu’on retrouvera telle quelle dans Tannhäuser. Et Wagner nous étonne encore plus, et l’on ne peut que comprendre mieux le parcours qui le conduit là où l’on sait. Avec Die Feen, il aborde l’opéra à la Weber ou à la Marschner, fantasmagorique, horriblement difficile à chanter, mais aussi varié, coloré, même si dramaturgiquement longuet. Avec Rienzi, il montre qu’il sait faire un Grand Opéra à la Meyerbeer (ne dit-on pas de Rienzi qu’il est le meilleur opéra de Meyerbeer?), une grosse machine dramatique et spectaculaire. Avec Das Liebesverbot, il fait une incursion dans un style qu’on lui croit étranger, celui de l’opéra italien, rossinien, et même de l’opéra à la Auber avec airs, ensembles, dialogues, mais là où l’orchestre des opéras bouffes rossiniens est assez réduit, Wagner propose une oeuvre longue, avec des choeurs importants, un grand orchestre symphonique et une lourde distribution (trois sopranos, trois ténors etc…) tout en faisant, paradoxalement  le choix de la légèreté, pour une oeuvre inspirée de Mesure pour mesure de Shakespeare, dont il fait  une oeuvre un peu déjantée où il joue le carnaval, la gaieté, la folie.
J’avais bien entendu l’oeuvre au disque, et remarqué ce style inattendu; mais à la scène, avec une mise en scène adéquate qui vous met dans sa poche dès le début, et un orchestre impeccable qui vous enlève à un rythme totalement fou, vous finissez par vous demander pourquoi cette partition a si peu droit de cité. Ce n’est pas un immense chef d’oeuvre, mais c’est une pièce passionnante, qui s’écoute avec un réel plaisir, et même un réel intérêt. Un moment de musique, de joie,  de sourire, qui fait oublier et la salle de sport, et l’audience clairsemée, et qui vous fait dire que les absents ont vraiment eu tort.

Constantin Trinks


L’artisan de cette réussite, c’est sans conteste le chef Constantin Trinks, ce jeune chef, remarqué à Strasbourg pour Tannhäuser et qui commence à diriger dans les grands théâtres allemands (Dresde, Munich etc…) mène tout cela à un rythme d’enfer, avec une dynamique, une fluidité et une précision remarquables. L’orchestre du Gewandhaus est d’une clarté cristalline, tous les pupitres s’entendent, les violons, les cuivres, les bois: tout est si lisible et audible que l’on perçoit avec évidence les caractères de cette partition, les inspirations, les éléments pris ailleurs que Wagner fait siens, mais aussi ce qui fera de Wagner ce qu’il est aujourd’hui pour nous. La direction de Trinks agit comme révélateur pour le spectateur, mais elle est aussi l’élément qui scande, qui fait avancer, qui sécurise le plateau. Ce jeune chef de 38 ans ans (né à Karlsruhe) au geste clair, aux indications nettes fait à l’évidence partie des baguettes à suivre dans les prochaines années.
L’autre artisan de ce succès, c’est le metteur en scène Aron Stiehl. Il signe une véritable mise en scène, avec un vrai travail sur le jeu, les mouvements, les rythmes. Il fait de cette oeuvre une pièce de carnaval, joyeuse et folle, avec des costumes de bandes dessinée (de  Sven Bindseil) et des mouvements chorégraphiques qui rappellent la comédie musicale . Le décor unique de Jürgen Kirner divise le plateau en trois parties, séparées par des cloisons mobiles, qui déterminent trois ambiances: un espace d’une nature tropicale et  sauvage, grandes feuilles, fleurs, couleurs, pour l’ambiance de carnaval, l’amour, la liberté, un espace composé de tiroirs numérotés, fermés ou ouverts, une sorte d’espace administratif plus contraint, froid, géométrique, qui rappelle des murs d’urnes funéraires sans doute le monde où évolue Friedrich, le régent qui impose l’ordre moral, et un espace nu et blanc, avec une croix qui se projette au mur, qui est l’espace initial des novices. On passe alternativement de l’un à l’autre, mais celui qui domine est sans conteste celui de la nature où les coeurs se livrent dans une sorte de liberté aimable.
L’histoire pour faire bref reprend la pièce “Measure for measure” de Shakespeare: un roi de Sicile quitte le pays en le laissant au régent Friedrich, et en lui demandant de faire régner l’ordre moral et d’empêcher tout débordement social et moral, notamment en fermant tous les lieux d’amusement et en interdisant les manifestations du carnaval et toute manifestation amoureuse. Première victime, Claudio, condamné à mort parce qu’il est amoureux de Julia, à qui il a promis le mariage, et frère d’Isabella, une jeune novice . Pour le sauver, Isabella intercède auprès de Friedrich, qui contre toute les règles qu’il a édictées, lui demande son amour pour prix de son intervention. Mais Isabelle découvre que Friedrich n’a pas encore signé la condamnation, révèle au peuple la supercherie, et au final, Friedrich est confondu et humilié, Claudio libéré, Luzio le jeune ami de Claudio peut aimer Isabella, et là où l’amour était interdit, l’amour devient le guide du carnaval final.

En répétition

La distribution est dominée par l’Isabella de Christiane Libor, qui devient la spécialiste des œuvres de jeunesse de Wagner (elle est déjà le soprano principal de référence pour Die Feen) . Les aigus sont éclatants, bien projetés, bien tenus, et s’élargissent à plaisir. Le registre central est moins agréable à écouter que les aigus, et la voix a perdu en homogénéité: il est vrai que le rôle est lourd, que la mise en scène lui demande beaucoup d’abattage. Il reste que la prestation sans être exceptionnelle, reste très appréciable, comme pour l’ensemble d’une distribution sans noms particulièrement connus, appartenant tous ou à peu près à la troupe de Leipzig. On remarquera l’excellent Friedrich de Tuomas Pursio, baryton basse au timbre agréable, à la voix bien projetée, qui sait donner de la couleur à ce rôle de méchant tourné en ridicule et qui s’engage vraiment en scène et dans l’économie générale du spectacle. Les deux ténors Bernhard Berchthold (Luzio) et David Danholt (Claudio) sans être des voix de premier ordre se défendent avec vaillance, avec une préférence pour le joli timbre de David Danholt. Notons aussi la jolie Mariana de Anna Schoeck qui accompagne dans le duo initial l’Isabella de Christiane Libor et qui a un joli timbre de soprano, bien contrôlé, et la pétillante Dorella de Viktoria Kaminskaite. Le Brighella (chef des sbires) de Reinhard Dorn est une basse bouffe (une sorte d’Osmin qui chanterait) dont la voix est épuisée, mais le personnage est posé et fait rire le public et passe malgré des insuffisances musicales.
Au total donc un spectacle frais, réussi qui sera repris cet automne à Leipzig (allez-y si vous pouvez) et un peu plus tard (en novembre) à Trieste. Et puis n’oubliez pas de guetter les apparitions de Constantin Trinks, il en vaut la peine.
On a un peu oublié grâce à toute cette fraîcheur, les erreurs de “com”, le programme de salle au design douteux et en tous cas bien peu lisible, le public qui n’est pas au rendez-vous, et au total le mauvais service rendu à ces oeuvres qui méritent plus que deux lignes méprisantes dans une histoire de la musique. J’ai découvert que “la défense d’aimer” peut être l’occasion d’un vrai plaisir, ne vous en défendez pas non plus.
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Ambiance de l’acte 2

OPER LEIPZIG 2012-2013: DIE FEEN de Richard WAGNER le 24 février 2013 (Dir.mus: Ulf SCHIRMER; Ms en scène Renaud DOUCET)

Acte I ©Kirsten Nijhof

Fallait-il remonter Die Feen? La presse allemande a été divisée là-dessus, le plus radical étant Manuel Brug dans Die Welt qui affirme non seulement qu’il ne fallait pas le faire, mais que c’est une honte qui déshonore Leipzig d’avoir investi dans l’opération. Excessif.
Cette année de bicentenaire est évidemment l’occasion de remonter ces œuvres peu connues qui  élargissent notre connaissance de l’œuvre: c’est toujours stimulant d’en apprendre un peu plus sur son compositeur chéri.
La production de Leipzig cependant ne restera pas dans les mémoires, et on peut s’en étonner: vu les feux de la rampe braqués sur Wagner et son bicentenaire, sur les représentations de Bayreuth et sur le partenariat Bayreuth/Leipzig, on pouvait penser qu’un soin tout particulier aurait été mis sur la distribution d’un ouvrage il est vrai très difficile à bien distribuer puisqu’il exige un soprano qui soit à la fois une Leonore de Fidelio,  une Agathe et une Elsa, et un ténor qui soit un peu Siegfried, un peu Max et un peu Florestan. Si nous y sommes presque avec Christiane Libor comme soprano dans Ada, nous en sommes loin, très loin avec Arnold Bezuyen dans Arindal. Et dans l’ensemble, cela reste bien médiocre.
C’est un peu paradoxal vu l’absence de ces œuvres sur les scènes, mais il existe un certain nombre d’enregistrements des opéras de jeunesse de Wagner et chacun peut donc se faire une opinion ou se construire une culture. En ce qui concerne Die Feen, une version intéressante et assez abordable (30€) avec les forces de l’opéra de Francfort dirigées par Sebastian Weigle vient de sortir, et il existe au même prix une version dirigée par Gabor Ötvös avec les forces du Théâtre de Cagliari, mais la référence de l’ouvrage reste l’enregistrement de Wolfgang Sawallisch, un coffret assez cher (60€ environ chez Orfeo) qu’il faut se faire offrir.
Wagner a 20 ans en 1833 et il produit une de ces œuvres où il va mettre presque tout ce qu’il sait, et un peu de ce qu’il fera. En 1833, le théâtre de Leipzig n’en veut pas et il faudra attendre le 19 juin 1888 pour que l’opéra soit créé à Munich sous la direction de Franz Fischer (mais avec Richard Strauss comme répétiteur, poussé par Hermann Levi le créateur de Parsifal). Finalement la première représentation à Leipzig a lieu en 1938, et c’est dans cette ville la seconde fois que l’opéra est monté. Si dans l’histoire de l’œuvre on compte pas mal de représentations concertantes, il y encore peu de productions, dont celle début 2009 au Châtelet, dirigée par Marc Minkowski, dans une mise en scène d’Emilio Sagi, avec déjà Christiane Libor.
L’histoire, inspirée d’un conte de Carlo Gozzi, La donna serpente, raconte les amours de Arindal, héritier d’un royaume de Tramond, avec Ada, une fée rencontrée en chassant une biche, à qui il est permis pour un temps (8 ans)  d’aimer ce mortel, à condition qu’il ne lui demande jamais qui elle est. Ils ont le temps de s’aimer, d’avoir deux enfants, mais Arindal pose la fatale question et se trouve expulsé du royaume des Fées. Il revient dans son royaume ravagé par la guerre, décide de le défendre contre l’ennemi et Ada est résolue à le suivre et à devenir mortelle, mais  lui impose des épreuves pour vérifier la solidité de son amour: elle lui fait notamment voir son armée décimée par un ennemi dont elle a pris la tête et  fait disparaître leurs enfants dans les flammes. Horrifié, Arindal la maudit et se trouve incapable d’aller défendre son pays contre l’ennemi: mais Ada lui révèle que tout cela n’était que sortilèges, mais maudite par son amour elle a perdu son pari et doit rester pétrifiée 100 ans avant de redevenir immortelle.
Arindal est désespéré et abdique, pendant que Morald défend le royaume et en devient le roi, partageant le pouvoir avec Lora, soeur d’Arindal. C’est alors que l’enchanteur Groma lui remet épée, bouclier et lyre. Tel Orphée muni de sa lyre, il enchante le royaume des morts et les pierres se réveillent et libèrent Ada. Tout est bien qui finit bien, Arindal est rendu immortel et aimera Ada à jamais.
On retrouve des thèmes déjà exploités à l’opéra (les épreuves, dans Zauberflöte, sauf que là, Arindal perd) ou bien évidemment le mythe d’Orphée qui enchante la monde par son chant. On retrouve aussi la question de l’identité si chère à Wagner (Lohengrin…) puisqu’on y retrouve la question à ne pas poser.
Du point de vue musical, l’influence de Weber se fait sentir, mais aussi de Marschner, mais aussi de Schubert,  mais aussi de Beethoven, mais aussi de Mozart (scène de dépit amoureux de Gernot et Drolla) dans une œuvre haletante, au rythme un peu répétitif, aux longueurs marquées, avec cependant de jolis moments. Ecouterait-on Die Feen si Wagner n’avait pas écrit le reste, sans doute pas, mais on écoute aussi les œuvres en fonction d’une histoire, d’une construction, d’un futur: on reconnaît donc çà et là des esquisses mélodiques qui donneront des airs fameux du deuxième acte de Tannhäuser, quelques éclairs qu’on retrouvera aussi dans Fliegende Holländer, en bref, le premier “grand” Wagner puisera dans ces archives là. Mais déjà Wagner se montre impitoyable avec les voix et notamment avec sa soprano à qui il impose un air au deuxième acte de plus de dix minutes qui épuise la chanteuse et avec son ténor aux aigus massacrants.
La mise en scène est de Arnaud Doucet et les décors et costumes d’André Barbe, une paire franco-canadienne qui fonctionne ensemble telle la paire Patrice Caurier-Moshe Leiser ou Jossi Wieler-SergioMorabito.
L’idée de départ en est assez banale: une famille est réunie à Leipzig (salon, cuisine américaine, réunion familiale) et le père écoute une retransmission des Fées de Wagner à l’Opéra de Leipzig, il plonge dans l’œuvre (ce qui, dirait Manuel Brug, est déjà héroïque!) à ce point qu’il va s’identifier avec le héros. A la fin, il retourne à son état de père de famille moderne, quand son épouse rentre de la salle de sport: toute la soirée, il sera habillé d’un cardigan rouge-orange et jamais il n’endossera les habits de preu chevalier.
Cela donne ainsi l’occasion de changements de décors fréquents, utilisant à plein la machinerie de Leipzig: ponts, tournette, apparitions d’un monde légendaire quelquefois réussi

L’arbre…©Tom Schulze

(l’apparition initiale des fées au pied d’un arbre très suggestif), d’autres fois moins (le palais d’Arindal, calqué sur la salle des Minnesänger de Neuschwanstein ou la descente aux enfers par une rampe d’escalier infinie) mais toujours entre le rêve/le dessin d’enfant et la maison de poupée.

Acte II ©Kirsten Nijhof

Une mise en scène non dérangeante, assez lisible, plus lisible en tous cas que celle de Emilio Sagi au Châtelet, mais moins jolie aussi. Peu de travail d’acteur, quelques éléments ironiques sur la manie de l’amateur d’opéra, sur la caricature des légendes médiévales, sur le théâtre aussi avec ses fumées, ses disparitions, sa magie. Mais tout cela manque singulièrement de poésie (sauf le tableau initial des Fées, vraiment très réussi) et globalement d’intérêt (mais ce livret permet-il autre chose?).
Musicalement, Ulf Schirmer dirige l’orchestre du Gewandhaus et c’est donc dans l’ensemble réussi dans la fosse, précision, rondeur, justesse: on se prend pourtant à rêver de ce que d’autres chefs auraient pu faire de cet orchestre, Minkowski d’abord, dont les Musiciens du Louvre au Châtelet étaient plus ductiles, plus vifs, plus légers, plus imaginatifs, mais aussi un Harding ou même un Weigle dont le récent enregistrement est plus clair et plus dynamique. On pense aussi au regretté Sawallisch!
L’ouverture, qui est longue (presque quinze minutes) devrait pour “passer” être menée sur un autre rythme, moins lourd, moins massif, moins pâteux, elle en devient ainsi interminable. Le moment le plus réussi est le deuxième acte, plutôt allégé, plutôt bien conduit, bien mené, et qui montre les qualités de souplesse éminentes de l’orchestre.  Ulf Schirmer, bon chef de répertoire, n’est pas un inventeur et il me semble que pour faire vivre cette musique pleinement, il faut inventer, dans les contrastes, dans la couleur, dans la syncope des rythmes, dans les passages de la vivacité au lyrisme plus contenu: la baguette de Schirmer n’est pas magique ou n’a pas la magie voulue pour cela.
Il reste que l’accompagnement orchestral est ce qu’il y a de meilleur au niveau musical, car le chœur (chef de chœur Alessandro Zuppardo), très sollicité, est très décevant, un ton en-dessous, jamais vraiment protagoniste alors que ses interventions mériteraient une meilleure mise en valeur. C’est pourtant un chœur habitué à Wagner, mais ici il m’a semblé moins en forme que d’autres fois.
Mais le véritable point noir, c’est la distribution formée de membres de la compagnie locale, corrects et d’invités (les Gäste), plus en difficultés. Dans les bonnes surprises, la Drolla de Jennifer Porto et de Gernot de Milcho Borovinov, bien en place, sonores, vifs en scène. Le magicien Groma assez élégant vocalement de Igor Durlovski, apparaissant en final comme Deus ex machina,  costumé en Wagner, Guy Mannheim en Gunther et Roland Schubert en Harald, très acceptables et les deux fées dont les noms sont pris à Gozzi Zemina (Viktorija Kaminskaite) et Farzana ( Jean Broekhuizen), l’ensemble des rôles de complément n’appelle pas de remarques acerbes au contraire des protagonistes
Detlef Roth en Morald s’en sort bien dans les deux premiers actes, mais son troisième acte est un naufrage, les aigus ne passent pas, la voix se coince, sans aucune ductilité et finit par produire des sons inappropriés pour le moins. Ce chanteur entendu dans Amfortas à Bayreuth m’a surpris. J’attendais bien mieux. Très décevant.
La Lora de Eun Yee You pourtant vaillante et brave n’a pas du tout le calibre voulu: elle ne fait pas de faute de chant, elle s’en sort même pas si mal eu égard à cette voix minuscule qui n’a pas le volume ni la largeur exigée par ce rôle. Elle doit s’imposer face à l’orchestre, notamment au début du deuxième acte, réussit tant bien que mal par la technique à exister, mais c’est vraiment tout petit. Une voix très légère de soubrette pour un rôle de soprano lyrique: cela coince forcément.
Arnold Bezuyen dans Arindal n’a pas du tout la voix exigée pour le rôle lui non plus, mais pour des raisons différentes. C’est un Heldentenor au son fixe, à la voix droite, appuyée sur un registre central puissant: une voix en bois. Or, il faut une voix qui soit plus versatile, plus mobile, moins fixe et un timbre plus clair: ici si le centre passe assez bien (son air initial du troisième acte est assez réussi) dès qu’il monte à l’aigu, la voix se rétrécit, il n’y a plus de volume, plus d’air, tout se resserre et c’est presque inaudible ou graillonnant. Pas de registre aigu, pas de grave, seul je l’ai écrit plus haut le registre central sauve la prestation, sauf que le rôle sollicite beaucoup les aigus et qu’ils sont à peu près tous ratés, trop fixes, sans éclat, avec un timbre opaque: c’est si peu techniquement adapté qu’il est difficile de donner une couleur quelconque à ce chant. Une erreur de distribution.

Christiane Libor et Arnold Bezuyen ©Kirsten Nijhof

Christiane Libor, qui doit être l’un des seuls sopranos capables de mener le rôle jusqu’au bout m’était apparue plus brillante au Châtelet. En tous cas, si les aigus restent triomphants, si la vaillance est là, l’air redoutable du deuxième acte la fatigue singulièrement et le deuxième acte se termine de manière un peu tirée, avec de menus problèmes d’intonations dus à l’épuisement. Cela s’arrange au troisième acte (où elle est moins  sollicitée il est vrai). Il reste que c’est la seule des trois protagonistes à vraiment s’en sortir avec les honneurs et à produire une prestation conforme à quelque réserve près à ce qu’exige la partition. Bravo, elle sauve la distribution par sa présence vocale, la seule à en avoir une.
On le voit, une soirée plutôt contrastée, qui ne correspond pas à ce qu’on attendrait d’un tel événement, unique en Allemagne. Que la mise en scène soit discutable ou passable, c’est la loi du genre, et celle-ci ne mérite ni excès d’honneur ni indignité. La direction musicale ne fait pas tout pour sauver l’œuvre, mais n’est pas là non plus ce qui pèche le plus, mais la distribution (notamment les protagonistes masculins) n’est vraiment pas  à la hauteur de l’enjeu.
Les parisiens qui ont vu les représentations du Châtelet peuvent en rester là, car la tenue en était bien meilleure, et la musique plus au point, plus conforme à ce qu’on peut attendre. Inutile donc de faire le déplacement, et même pas à Bayreuth, où la représentation est concertante (ce sera peut-être plus dur…) et où Christiane Libor ne chantera pas. Ces Fées ont manqué de magie musicale. Attendons le tricentenaire de la naissance en 2113 ou le bicentenaire de la mort en 2083…
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Wagner descend parmi nous…©Tom Schulze