OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2016: OTELLO de Giuseppe VERDI le 27 MARS 2016 (Dir.mus: Christian THIELEMANN; Ms en scène: VINCENT BOUSSARD)

Otello Acte I ©Forster
Otello Acte I ©Forster

Un Otello de Verdi est toujours un événement. Parce que l’œuvre traîne derrière elle des chanteurs et des chefs légendaires. Sans l’un ou l’autre, il est difficile qu’un Otello réussisse, ce qui n’est pas le cas d’autres opéras de Verdi. La période actuelle est sans Otello : Antonenko ? oui il a la voix, mais inodore et sans saveur. Botha ? Oui, il a la voix, l’élégance, le timbre, mais scéniquement…Alagna ? oui, sans aucun doute l’aura, le charisme, mais peut-être pas le format vocal, notamment pour les esultate initiaux et pour la tension voulue par le rôle et donc à terme pour la préservation de sa voix. Alors le petit monde lyrique attend Jonas Kaufmann, et en attendant Kaufmann, les festivals tournent en rond.

Bien sûr, j’ai été bercé aux Otello de Jon Vickers et Placido Domingo, vus et revus sur scène, mais aussi un Carlo Cossutta, bien oublié qui ferait sans nul doute aujourd’hui les délices de tous les festivals, mais aussi de chefs : Solti, Kleiber, Abbado, et ceux là on ne les oublie jamais non plus.
Pour honorer le thème du Festival, Shakespeare et ses tout juste quatre siècles depuis sa disparition en 1616, on aurait pu envisager Falstaff, il y a les voix, il y a les metteurs en scène, mais Falstaff (déjà proposé 2 fois en 25 ans) ne remplirait peut-être pas la salle, parce qu’il n’a pas le parfum du spectaculaire. Macbeth ? il y a les voix pour, et là aussi les possibilités de metteurs en scène, mais pour Salzbourg, le choix de la Lady ferait peut-être problème. Il y avait aussi les Shakespeare non verdiens, comme le Lear de Reimann, mais Reimann aurait fait fuir le festivalier (vu l’effet Henze sur le public lors d’un des concerts), ou oser Das Liebesverbot, de Wagner, un titre que Thielemann aurait pu très largement porter, dans une production non coupée qui eût pu être la référence moderne. Mais à Pâques à Salzbourg, c’est de la grosse machine standard et distribuée au sommet qu’il faut.
Alors il a fallu se rabattre sur Otello, avec une distribution à 100% non italienne, et un chef réputé, mais dont l’univers reste germanique, malgré ses efforts pour casser l’image (Cavalleria/Pagliacci l’an dernier), et sans Kaufmann, qui a dû promettre à Pappano de prendre le rôle à Londres.

Acte I Cassio (Benjamin Bernheim) Jago (Carlos Alvarez ©Forster
Acte I Cassio (Benjamin Bernheim) Jago (Carlos Alvarez ©Forster

Et c’est l’échec, avec une distribution inattendue  sur le papier, chacun des chanteurs étant dans son aire une référence. Dorothea Röschmann est une mozartienne accomplie et un modèle de style, José Cura a encore une voix, malgré de longues interruptions de carrière, et bien qu’il ait chanté le rôle il y a 20 ans dans la dernière production  à Pâques de l’Otello d’Abbado (Ermanno Olmi, à oublier) lors d’une tournée des Berliner à Turin. Carlos Alvarez en Iago, l’un des grands stylistes et l’un des grands barytons de l’époque, mais désormais sur le crépuscule. Lodovico est Georg Zeppenfeld, bien sous dimensionné pour un tel artiste, et un jeune ténor très remarqué là où il passe, Benjamin Bernheim en Cassio.
La mise en scène a été confiée à une équipe française, Vincent Boussard pour la mise en scène, Vincent Lemaire pour les décors, et Christian Lacroix pour les costumes . Un travail qui n’a pas du tout emprunté le chemin du Regietheater, et ne travaille pas du tout sur la « Personenführung », le travail sur les personnages, mais sur les ambiances. Certaines critiques de la presse allemande ont vu dans la mise en scène un « style français », je m’inscris en faux contre ce genre de qualificatif, d’abord, parce qu’il n’y a pas de « style français » dans la mise en scène actuellement en France, il n’y a même pas de style d’ailleurs. Boussard signe un travail dans son genre plutôt élégant et réussi, bien que ce ne soit pas du tout le type de travail que je désire au théâtre. Dans ce lieu, on a vu Karajan (mais l’été et pas à Pâques), qui n’était pas vraiment un metteur en scène, mais qui ne voulait pas que ce qu’on voit puisse perturber la musique : son film à ce titre est édifiant (mais il avait Freni et Vickers…), Ermanno Olmi (avec Abbado ) s’est fourvoyé (mais il y avait Domingo, Raimondi et Frittoli) . L’Otello présenté cette année est la deuxième production depuis la fondation du Festival de Pâques, qui est plus harmonieuse, et plus esthétique, sinon esthétisante avec quelques moments vraiment réussis (notamment le premier acte, plutôt bien, voire très bien mené) et pour moi plus réussie qu’Olmi.

On a d’ailleurs peu de productions du chef d’œuvre de Verdi à Salzbourg depuis 1967 : l’été, ce fut Karajan en 1970-71-72, puis Abbado à Pâques 1996, et enfin Riccardo Muti l’été (production Stephen Langridge) en 2008 avec déjà Carlo Alvarez en Iago. A chaque fois, ce n’est pas la mise en scène qui fit briller la production.

Vincent Boussard se saisit de l’histoire et l’illustre, sans s’attarder trop sur la caractérisation des personnages, mais construisant, comme je l’ai dit, une ambiance, des images qui tentent d’expliquer ce qui se passe : pendant le duo, dans une sorte de boite isolée, avec un miroir (cet amour est-il réel ou un reflet) et un ciel uniformément étoilé (la nuit, protectrice des amants – voir Tristan), s’inscrit en vidéo un mouchoir voletant (l’avenir et la menace). L’image est belle, et aussi juste : la fonction dramaturgique du duo est d’être le seul moment de « pur amour » de l’œuvre puisque dès l’acte II la machine à détruire se met immédiatement en place. En soi, c’est un climax. Plus dure sera la chute.
Le premier acte est plutôt réussi, même si les chœurs sont désespérément face à l’orchestre, tous vêtus de noir, de ce noir sombre et nocturne, avec un immense voile poussé par le vent non dénué d’élégance par sa monumentalité, avec sa table sur laquelle évolue Cassio singulièrement mis en valeur dans une scène qui n’est pas toujours lisible et qui est ici très claire. La mise en valeur de Cassio sur cette immense table (qui est une seconde scène et qu’on retrouve au 3ème acte) avec sa coupe de vin (qui semble du jus de pamplemousse rose) sert la clarté dramaturgique du propos. Elle met en même temps en valeur le chant de Cassio (qui le mérite) et force le public à la concentration. Tout cela est bien fait, avec l’enchaînement sur le duo Otello/Desdemona, concentré sur le centre du dispositif, et comme hors du temps et hors la trame.

Scène finale , l'ange noir se décompose ©Forster
Scène finale , l’ange noir se décompose ©Forster

Boussard va utiliser en écho le même principe d’isolement « dans une boite » pour la scène du meurtre de Desdemona, qui deviendrait presque une pantomime, avec une Desdemona réelle et une Desdemona-image (personnifiée par sa robe) , au dessus de la porte, presque une image sainte, image de transfiguration.

L'Ange noir (Sofia Pintzou) et Otello (José Cura) ©Forster
L’Ange noir (Sofia Pintzou) et Otello (José Cura) ©Forster

On navigue entre le réel et le symbolique, notamment aussi à travers cet ange noir, le démon qui mourra avec Otello, et qui apparaît comme une immense bactérie à chaque moment clé de la descente aux enfers de la jalousie et de la destruction, un ange noir qui se prend lui même à ce jeu de la mort, puisque une de ses ailes prend feu au contact des bougies qui couvrent la table immense du 3ème acte et que parcourent les personnages, entre des rangées de bougies vacillantes, qui semblent aussi bien des cierges ou un espace mystérieux dans lequel il faut passer, en risquant et son corps et sa vie (jeu sur les voiles, fragilité du chemin, chute de bougies à terre, et embrasement de l’aile de l’ange). Tout cela est emblématique de fragilités et de mort.

Desdemona (Dorothea Röschmann) Otello (José Cura) et l'Ange noir (Sofia Pintzou) ©Forster
Desdemona (Dorothea Röschmann) Otello (José Cura) et l’Ange noir (Sofia Pintzou) ©Forster

Boussard s’intéresse donc plus aux images, aux emblèmes, aux symboles, sans que l’imagerie ne soit jamais dérangeante, mais elle est à peu près le seul véritable intérêt d’un travail qui s’intéresse peu au jeu et aux interactions entre les personnages qui ne font guère que ce qu’on voit sur toutes les scènes. Il se contente d’illustrer l’histoire du mieux possible, avec de jolis éclairages de Guido Levi.

Acte III, sc.finale: Georg Zeppenfeld (Lodovico)©Forster
Acte III, sc.finale: Georg Zeppenfeld (Lodovico)©Forster

Les costumes de Christian Lacroix (co-réalisés avec Robert Schwaighofer) dont on aurait pu croire en lisant la presse (qui annonçait 2,5km de tissu) qu’il allait faire un « froufroutello » sont plutôt rigoureux, en autant de taches d’ambiances : noirs au premier acte, rouges au troisième à la scène de l’arrivée de l’envoyé du Doge, assez riches mais sans décorations ni chamarrures inutiles.
Certaines images sont réussies, certaines scènes, sans toujours avoir une vérité dramaturgique vraiment marquée, « se laissent voir », avec une tendance à un esthétisme un peu superficiel, mais certaines autres restent insuffisamment fouillées. C’est le cas de la grande scène finale du troisième acte (l’envoyé du doge), qui n’a pas vraiment ni vie ni tension, même si les excès d’Otello qui conduisent le chœur à se retourner, laissant le héros seul, en constituent le seul « moment » , mais pour le reste, il n’y pas grand chose.
Au total ce travail est illustratif, donne à voir plus qu’à penser, et ce qu’on voit est plutôt étudié, mais hélas, comme je l’ai écrit, je ne vois pas de mise en scène de cette œuvre qui ait jusqu’ici marqué (ou animé) les esprits, et j’en arrive à penser que celle de Terry Hands de l’opéra de Paris en 1976 reste encore l’une des plus réussies.
Mais une mise en scène seule ne fait pas une soirée, car elle est nourrie et se nourrit de l’urgence du plateau et de la fosse. S’il n’y a pas de lecture conjointe scène/fosse, la mise en scène s’éteint.
Or, la fosse est ici singulière.
Singulière parce qu’on entend un Otello  très inhabituel. Le travail de Christian Thielemann ne peut laisser indifférent tant l’approche change complètement le paradigme.
Il ne s’agit pas de disserter sur l’italianità ou non de cet Otello. Car Carlos Kleiber qui fut sans doute le plus grand chef pour cette œuvre n’est pas italien, non plus que Furtwängler, qui en laissa aussi une très belle trace (avec Ramon Vinay et Dragica Martinis). C’est l’option du chef, très marquée, qui me paraît ne pas être cohérente avec ce que dit la composition.
En optant pour une clarté analytique qui fait entendre la moindre poussière de la partition la nettoie jusqu’à ce qu’il n’y ait plus ni nerf, ni aspérité, ni pulsion, mais une boite vidée de toute substance et de toute vie, Thielemann dévitalise Otello. C’est magnifiquement exécuté par une Staatskapelle Dresden prodigieuse de netteté, merveilleusement propre, sans scorie aucune et qui laisse découvrir des phrases musicales, des détails qui nous avaient échappé depuis toujours et met en valeur sans aucun doute la richesse infinie de la partition de Verdi. Si vous voyez la Joconde au microscope, vous en verrez les moindres détails pigmentés, mais le tableau vous échappera et c’est ce qui se passe ici. Il y a dans la musique de Verdi et dans l’Otello notamment un travail sur les contrastes, sur les explosions suivies d’apaisements d’un lyrisme extrême qui mime sans cesse les écartèlements de l’âme perturbée d’Otello, il y a une chaleur, celle des nuits moites où se trament les drames qu’on n’entend ni ne ressent ici. Ainsi de l’explosion initiale, de cette entrée dans l’opéra in medias res qui doit être brutale, globale, surprenante (Kleiber ne laissait aucun répit entre le salut au public et faisait exploser déjà la première note, en se retournant vers l’orchestre) ici déjà on l’entend décomposée, déconstruite, ce qui tue l’effet voulu. Quelquefois, cela fonctionne très bien, notamment dans le crescendo qui conduit à la crise du premier acte autour de Cassio où tout le crescendo devient mimétique à la scène et à l’orchestre, comme si les instruments jouaient ce qui se trame en scène (les bassons, superbes !), quelquefois, et le plus souvent, cela fait perdre et la tension dramatique, et le fil musical, le legato et la pulsion.
Cet Otello n’halète pas, il a la netteté froide de ces tableaux de Bronzino ou de Pontormo sans jamais avoir le trait tremblant du Titien qui en ferait toute l’humanité. Il en résulte un certain ennui, du distant, du beau, triste sans être ardent. De cette histoire de passion ravageuse et mortifère, Thielemann fait une histoire de composants chimiques vus au microscope.
Et il n’est pas aidé par le plateau. Le chœur est très correct (Sächsischer Staatsopernchor Dresden, direction Jörn H. Andresen), mais pas exceptionnel, notamment au troisième acte où les aigus exigés restent timides et un peu tirés.
Après le forfait de Johan Botha, le Festival a fait appel pour Otello à José Cura, une vieille connaissance à la carrière interrompue puis reprise, qui a été une star filante à la fin des années 90. Une voix forte, une certaine intelligence, mais un raffinement qui se fait attendre. La voix est assez opaque, projette mal, et le timbre est singulièrement sourd. Le personnage existe malgré tout, et les derniers moments sont bienvenus. Malgré les défauts actuels de la voix, la prestation est loin d’être scandaleuse, et le chanteur se défend et défend assez bien le rôle. On n’est pas au niveau d’un Festival comme celui de Salzbourg Pâques, mais José Cura préserve la représentation, et on est loin du naufrage que certains prédisaient. Il y a de l’intelligence dans ce chant, il y a de l’émotion, même si ce n’est jamais bouleversant, et cela ne répond pas exactement aux exigences d’un rôle il est vrai redoutable. J’ai entendu Cura plusieurs fois dans Otello, je n’ai jamais vraiment aimé. Cette fois-ci, je n’ai pas vraiment détesté.
En 1996, Domingo masquait quelques insuffisances, des aigus savonnés, quelques instabilités, mais était impérial et bouleversant au quatrième acte, en phase avec l’orchestre comme rarement on a pu entendre sur une scène. Ici Cura arrive à moduler certains moments, mais en dépit des efforts réels, c’est un peu tard.

Otello (José Cura) et Jago (Carlos Alvarez) ©Forster
Otello (José Cura) et Jago (Carlos Alvarez) ©Forster

Carlos Alvarez a perdu une certaine suavité vocale, un timbre d’une douceur ineffable qui en faisait le prix dans des rôles comme Posa. Son timbre plutôt sombre convient à Jago, mais il il faut noircir à plaisir (ce qui faisait le prix d’un Raimondi, même en fin de carrière en 1996), sans être un histrion. Alvarez est très équilibré, est toujours un styliste et un vrai « diseur » du texte. En ce sens son Jago, sans être pleinement réussi (le credo manque de l’agressivité et des aigus qu’on attendrait) est assez bien défendu, notamment dans toutes les scènes avec Otello et dans les ensembles ; ses duos avec Otello ont une vérité singulière, l’ensemble du premier acte est bien mené, c’est encore un Jago très défendable sans être à son sommet d’il y a quelques années.

Au total, les deux protagonistes masculins sans être stupéfiants, s’en sortent, avec les honneurs, malgré les problèmes dus à des voix un peu fatiguées, mais aussi quelquefois à un orchestre qui ne les aide pas toujours (tempi, volume).

Dorothea Röschmann (Desdemona) ©Forster
Dorothea Röschmann (Desdemona) ©Forster

Le plus gros problème tient à Dorothea Röschmann, dont on se demande ce qu’elle vient faire dans cette galère. Cette chanteuse dont on apprécie les prestations mozartiennes, qui a du style, de l’élégance semble ici avoir perdu toute ligne de chant. L’air du saule ou l’ave Maria restent froids, comme des exercices de style très maniérés, sans une ligne naturelle et sans vibration aucune, complètement extérieurs. Mais ce qui frappe surtout, c’est que la chanteuse a dû travailler l’aigu pour l’élargir aux dépends des graves et même du centre, il en résulte des aigus surdimensionnés, sans legato, sans ligne, qui surgissent, surprennent, gênent, et cassent la mélodie. Vraiment, on est loin d’une Desdemona, Festival ou non. Une très grosse déception, d’autant que j’aime vraiment beaucoup cette artiste.
Dans les rôles de complément, notons que Georg Zeppenfeld (avec un chapeau claque…) n’est pas parfaitement à l’aise non plus dans Lodovico (mais il a si peu à chanter) et que l’Emilia de Christa Mayer  se défend bien au quatrième acte, et le Rodrigo de Bror Magnus Tedenes et le Montano de Csaba Szegedi sont très honnêtement distribués.

Benjamin Bernheil (Cassio) à l'acte I ©Forster
Benjamin Bernheil (Cassio) à l’acte I ©Forster

Du point de vue du chant, on se souviendra seulement de Benjamin Bernheim dans Cassio, seul sur son immense table, mis en valeur dans son ivresse naissante, au chant impeccable. Cassio n’est pas toujours un personnage mis en relief, plutôt pâle dont la voix de ténor très lyrique doit faire pendant à celle dramatique d’Otello. Ici, les qualités apparaissent immédiatement, ainsi que la personnalité scénique, le style, la diction et la projection sans défauts. La pure beauté du chant, ce soir, c’est Cassio qui nous l’a offerte. Retenez donc ce ténor, qui mérite une belle carrière.

Ainsi donc ce fut une soirée plutôt contrastée, un Otello largement inaccompli, victime d’annulations (Johan Botha, Dmitri Hvorostovsky) ou d’erreurs de casting (Dorothea Röschmann), dont le meilleur du plateau est le Cassio de Benjamin Bernheim. Le bilan est maigre, malgré la valeur des uns et des autres, et avec un orchestre de grande qualité conduit vers une interprétation qui est loin de me convaincre. La mise en scène offre un cadre relativement élégant mais insuffisamment fort pour faire pencher la balance. Attendons l’Otello du futur…[wpsr_facebook]

Acte III (scène finale) ©Forster
Acte III (scène finale) ©Forster

SALZBURGER FESTSPIELE 2014: FIERRABRAS de Franz SCHUBERT, le 19 AOÛT 2014 (Dir.mus: Ingo METZMACHER; Ms en sc: Peter STEIN)

Chez les Maures © Monika Rittershaus
Chez les Maures © Monika Rittershaus

Fierrabras est rare sur les scènes.
Pour ma part, je n’en ai pas revu depuis la production de Ruth Berghaus dirigée par Claudio Abbado à la Staatsoper de Vienne en 1989, avec une Karita Mattila toute jeune et en état de grâce, et de plus grandes voix que dans la présente production: Hampson, Gambill, Protschka, Mattila, Studer . C’était une reprise de la production créée en 1988 aux Wiener Festwochen (Theater an der Wien) avec le Chamber Orchestra of Europe dont il nous reste l’enregistrement DG qui jusqu’ici fait encore autorité. Metzmacher a des voix au format plus réduit presque plus mozartien.
L’œuvre, composée en 1823 a été créée sur scène en 1897 au Hoftheater de Karlsruhe, sous la direction de Felix Mottl, c’est dire qu’on ne s’est pas empressé de la proposer dans les théâtres.
C’est une œuvre haletante, alternant airs, ensembles et quelques dialogues en une succession pratiquement ininterrompue. Les airs sont moins nombreux que les ensembles, trios, duos, et surtout moins développés, assez courts, même si certains (premier air de Florinda) sont diablement difficiles. C’est un Schubert explosif, qui raconte une histoire médiévale au livret complexe qui aurait pu être imaginée pour quelqu’opéra baroque : amours contrariées, guerres, amitié éternelle, Chevalerie, Francs, Maures, Roland, Charlemagne. Mais qui renvoie aussi aux plus récentes “pièces à libération”, dont Fidelio est le meilleur exemple, mais dont Cherubini a usé avant Beethoven (notamment dans sa Lodoiska – 1791- que je cite tout le temps, parce que je suis désespéré de ne pas la voir sur les scènes françaises, au moins une fois…). Un Chevalier généreux libère une tendre jeune femme enfermée dans une tour, ou l’inverse, puisque dans Fierrabras, à l’instar de Fidelio jamais bien loin, c’est la femme (Florinda) qui libère son amoureux.
C’est aussi un Schubert prolixe, qui puise son inspiration aux meilleures sources, Weber bien sûr, le grand maître de l’opéra romantique qu’il cite çà et là, et Beethoven, dont le Fidelio inspire toute la dernière partie. Le rythme des ensembles est tel qu’il laisse peu de temps et d’occasion aux voix de s’installer, et de se développer : cela nuit à certains rôles (Charlemagne, Roland). En revanche, Eginhard, Emma, Florinda et Fierrabras sont beaucoup plus sollicités. Il faut quand même une distribution de premier plan pour pratiquement tous les rôles, un aussi petit rôle que Maragond demande une belle présence vocale dans la première scène de Florinda à l’acte II.

Chez les Chrétiens © Monika Rittershaus
Chez les Chrétiens © Monika Rittershaus

Pour faire simple, si c’est possible, l’histoire raconte comment Emma, fille de Charlemagne, est amoureuse d’un Chevalier aux origines modestes, Eginhard, tandis que Fierrabras, prisonnier de Charlemagne et fils du maure Boland vaincu, est depuis longtemps embrasé d’amour pour elle. Pourtant, surprenant Eginhard et Emma dans les jardins, il va promettre à Eginhard de protéger Emma, mais surpris par Charlemagne, il est accusé d’avoir séduit la jeune fille et se fait sans mot dire enfermer pour une faute qu’il n’a pas commise, afin d’éviter de compromettre Emma et Eginhard.
De son côté, Florinda fille de Boland est amoureuse depuis aussi longtemps de Roland qu’elle a rencontré précédemment, et lorsqu’elle apprend que les Maures ont fait prisonnier la troupe des Chrétiens venus pour proposer la paix, elle va tout faire pour les libérer et les faire fuir, mais Roland est surpris dans sa fuite et condamné à mort, seul Eginhard arrive à rejoindre la cour de Charlemagne, raconte l’histoire, rétablit la vérité, fait libérer Fierrabras qui immédiatement prend la tête de l’armée chrétienne pour libérer les prisonniers et sauver Roland. Ce qui est dit est fait, Charlemagne est vainqueur, la paix des braves peut être signée et les couples Eginhard/Emma et Florinda/Roland peuvent enfin s’aimer au grand jour, comme quoi les mariages mixtes et les mésalliances existent depuis Charlemagne…
Pour cette nouvelle production, Alexander Pereira a fait appel à des artistes qu’il a souvent invités à Zürich, c’est le cas d’Ingo Metzmacher, présent il y a deux ans pour Die Soldaten, il y a un an pour Gawain, et cette année pour Fierrabras, dans un répertoire où on l’entend peu.
Pour la mise en scène, il a appelé Peter Stein. Cette année, avec Harry Kupfer (79 ans) pour Rosenkavalier et Peter Stein (77 ans) pour Fierrabras, Pereira a privilégié des stars de la mise en scène des années 70 ou 80, qu’il avait déjà sollicités à Zürich.
Peter Stein , le fondateur de la Schaubühne de Berlin, a été la référence du théâtre allemand pendant de nombreuses années, les parisiens connaissent notamment son Rheingold avec Solti à Garnier, qui a laissé un très grand souvenir. Ceux qui aiment le théâtre se souviennent de manière émue de sa Phèdre, que je considère pour ma part comme la meilleure mise en scène de la tragédie de Racine des 30 dernières années, de son Faust intégral en 2 jours à Hanovre pour EXPO 2000, à Berlin et à Vienne ou, à Salzbourg même, de sa Cerisaie vraiment exceptionnelle. Les spectateurs de Lyon ont pu apprécier ses Tchaïkovski/Pouchkine, et notamment son Mazeppa... Il fut le directeur de la programmation théâtrale à Salzbourg pendant les premières années Mortier. S’il a moins de présent, Peter Stein a un grand passé, et à ce titre, il inspire le respect.
J’ai lu et entendu que sa production de Fierrabras était un peu faisandée dès la première : l’opéra de papa, voire de grand-papa. Il en va ainsi des jugements : à Bayreuth, Castorf fait hurler pour provocation, à Salzbourg, où les mises en scènes (depuis le départ de Mortier) sont quand même du genre rassurant pour un public à 450€ la place d’orchestre (voir Il Trovatore de Alvis Hermanis, merveilleux exemple de transposition rassurante pour public esthétisant), Stein fait sourire et passe pour un traditionnaliste has been… tout cela n’est qu’incohérence et stupidité de jugements à l’emporte pièce .

Fuite d'Eginhard © Monika Rittershaus
Fuite d’Eginhard © Monika Rittershaus

Peter Stein a en effet choisi de proposer une vision apparemment très traditionnelle de Fierrabras, beaucoup plus que ce qu’avait fait Ruth Berghaus aux Wiener Festwochen il y a 26 ans, puis à la Staatsoper. Mais il le fait avec intelligence et finesse, un peu comme ce qu’avait fait son compère Klaus Michael Grüber à Bologne il y a bien longtemps en proposant des Vespri Siciliani inscrits dans les décors de la création certes, mais bien vivants dans l’actualité…
Il acte deux points à mon avis essentiels :

–       d’une part, cette histoire a effectivement la saveur des récits du passé, des contes et légendes qu’on lisait dans des livres jaunis, avec des gravures surannées remplies de personnages aux attitudes convenues bien identifiables dans leurs costumes, le beau Chevalier Blanc face au Prince Noir, les bons chrétiens dans leurs costumes immaculés, les méchants maures tout de noir vêtus  : c’est le choix d’ambiance qu’il propose, en inscrivant l’action dans des décors de gravures du XIXème tels qu’on pouvait les voir par exemple dans les romans de Walter Scott. Ce ne sont pas des décors imités de décors de l’époque, mais bien plutôt de livres illustrés de l’époque…car ce livret est une sorte de roman scénique.

–       d’autre part, cette histoire de Maures et de Chrétiens qui se réconcilient a un étrange parfum, aujourd’hui où de nouvelles guerres de religion se dessinent et où l’obscurantisme montre qu’il a un beau présent et malheureusement encore un grand futur.  Il va donc truffer son travail de petits gestes emblématiques qui prennent de nos jours toute leur signification (notamment le jeu sur le voile des femmes maures et leur libération…).

Femmes franques © Monika Rittershaus
Femmes franques © Monika Rittershaus

Ainsi, les attitudes sont-elles convenues, notamment au départ, où les personnages sont un peu comme saisis dans un moule de plâtre : le premier chœur des fileuses (qui m’a rappelé au passage le Vaisseau fantôme, et bien sûr la Gretchen am Spinnrade de ce même Schubert), avec leurs rouets dont un long silence isole le bruit, la fixité convenue des attitudes, tout cela évidemment inscrit l’intrigue dans un milieu, une ambiance particulières, dans un décor de toiles peintes imitant les gravures d’époque, avec des personnages qui semblent sortis du papier, tant leurs attitudes sont stéréotypées.
Il y a de belles réussites esthétiques, comme le défilé où Eginhard va se retrouver prisonnier. Mais les attitudes convenues, les Chevaliers en rang d’oignon, l’Empereur sur son trône, l’Emma éplorée et un peu gnan gnan de Julia Kleiter (remarquable vocalement au demeurant), tout cela sent son conte de fées ou son histoire-de- Charlemagne-racontée-aux-enfants.

Femmes maures © Monika Rittershaus
Femmes maures (Florinda et Maragond) © Monika Rittershaus

Peu à peu, Peter Stein va déplâtrer ses attitudes, et notamment dès le second acte : la scène Florinda/Maragond est réglée d’une tout autre manière. Visiblement le personnage de Florinda l’intéresse : attitudes plus naturelles (elle se vautre sur le sofa), vivacité, chant moins convenu et plus incarné. On rentre dans le vif du sujet qui est ici la libération de la femme maure (suivez mon regard…) et là Peter Stein nous dit des choses différentes. Dans un premier temps, dans l’intimité des appartements, Florinda et Maragond ne se couvrent pas le visage. Dès que la cour de Boland et les Maures se réunissent, elles se couvrent aussitôt. Mais quand Florinda décide d’aller libérer les chrétiens pour sauver son Roland, elle se dévoile et reste au milieu de ces soldats la seule femme dans leur prison. Au passage il faut signaler la beauté et la justesse des décors de Ferdinand Wögerbauer, notamment les ambiances mauresques très réussies, ou le jeu de lumière sur la tour où les Chrétiens sont prisonniers.

Emma (Julia Kleiter) & Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus
Emma (Julia Kleiter) & Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus

Ce qui intéresse Peter Stein, c’est évidemment de raconter une histoire humaniste de réconciliation entre grandes âmes, que ce soit Fierrabras, Eginhard ou Roland. Toute la fin d’ailleurs, est inspirée de Fidelio : la trompette lointaine sonne les scènes finales comme dans Fidelio, et dès lors, ce ne sont que scènes de réconciliations et chœurs joyeux. C’est bien de réunion des grandes âmes qu’il s’agit et Peter Stein a une belle inspiration finale en faisant que Boland le Maure, qui était éloigné et isolé au milieu de la fête et de la réunion de couples, serre la main de Charlemagne, sous l’impulsion de Fierrabras entre les deux qui tient les deux mains, dans la même position que Bill Clinton entre Rabin et Arafat. L’allusion est tellement aveuglante qu’elle fait du même coup relire l’ensemble du propos. Autre signe de second degré : le cœur rouge qui marque la scène finale, en fond de scène, première incursion d’une couleur dans ce décor en noir et blanc, l’amour triomphe et tout le monde est content…

Chrétiens chez les maures © Monika Rittershaus
Chrétiens chez les maures © Monika Rittershaus

Au-delà des allusions à notre actualité, Peter Stein réussit assez à rendre cette histoire touffue et complexe simplement lisible, par le jeu des couleurs noir/blanc, par la séparation des scènes par de courts baisser de rideau,  faisant de chaque scène comme une gravure différente, et permettant de mieux digérer les éléments de la scène précédente et de mieux appréhender les éléments du récit, en les séparant scène à scène. Lisibilité, discret second degré, précision des gestes et bonne identification des personnages, voilà un travail très respectueux du livret, très fidèle à l’histoire et à l’ambiance : après tout, on applaudissait quand Lavelli faisait un Faust de Gounod non médiéval mais actualisé à l’époque de la création, avec ses références à Baltard et à la morale bourgeoise qui sous tend toute l’histoire, ici Peter Stein renvoie au XIXème siècle dans ses représentations de l’Orient et du Moyen âge, d’une manière proche des représentations que pouvait en avoir Schubert, c’est aussi une actualisation à l’époque de la création, mais avec d’autres outils et d’autres références. Il y a là une finesse de lecture qu’il faut souligner : c’est bien un Fierrabras XIXème qui nous est présenté, et non médiéval
Musicalement, ce que nous avons entendu n’a rien à voir avec l’enregistrement de Claudio Abbado, au point que certains passages sont à peine reconnaissables. Il ne s’agit pas pour moi de préférer l’un à l’autre, car les options musicales sont radicalement différentes. Abbado comme souvent misait sur la fluidité, la ductilité et l’élégance, pour un Schubert qui coulait comme de l’or fondu, dans une proposition à la fois théâtrale et profondément symphonique. Comme dans le trio avec Chœur n°12 à l’acte II, qui débute lorsque Boland ordonne de prendre les chevaliers (Ergreift sie…) dont le mouvement fait tant penser à l’épisode de La Gorge au Loup de Freischütz de Weber, où Abbado choisissait de mettre en valeur des phrases musicales précises dans un discours d’une rapidité marquée, là où Metzmacher au contraire choisit d’autres phrases, donnant à la scène une toute autre couleur avec un tempo différent.

Prisonniers dans la tour © Monika Rittershaus
Prisonniers dans la tour  avec Florinda © Monika Rittershaus

C’est que Metzmacher a choisi une toute autre lecture, plus hachée, plus heurtée, plus marquée, plus sculptée en quelque sorte, privilégiant les contrastes, les oppositions, dans une vision peut-être plus démonstrative, chez l’un on avait un fleuve musical rapide, chez l’autre un torrent interrompu par des rapides, la descente du Danube puissant contre celle plus accidentée du Colorado. Admirables les Wiener Philharmoniker, malgré quelques menues imprécisions aux cuivres (encore…) qui n’entament pas l’impression sonore somptueuse, les cordes incroyables (les violoncelles ! les altos !) et la clarté de la lecture imposée par le chef qui met au jour de manière très différenciée et presque didascalique les éléments divers de la partition. Une approche plus démonstrative et didactique, mais qui m’a permis de découvrir des aspects de la partition qui m’ont échappé à l’audition du CD, et dont j’ai peine à me souvenir l’unique fois où j’entendis l’œuvre en salle. Une version qui accompagne avec vigueur le plateau, et notamment dans des ensembles menés de manière très dynamique, presque rossinienne, et qui met au jour une partition décidément surprenante. Metzmacher met en relief  de manière très analytique les filiations, les ambiances weberiennes et beethoveniennes, le romantisme échevelé et il est parfaitement convaincant, dramatique, théâtral.

 

Charlemagne à la fleur de l'âge
Charlemagne à la fleur de l’âge

Dans un opéra où les ensembles sont essentiels, le chœur est d’importance centrale : la prestation du Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, préparé par Ernst Raffelsberger est impeccable, un modèle de musicalité, de précision, de fraîcheur et de présence.
Je l’ai esquissé, il n’est jamais facile de chanter Schubert, et particulièrement Fierrabras. On est surpris de l’abondance des ensembles et des duos ou trios, de leur dynamisme, de leur tempo rapide qui empêche un peu les voix de s’épanouir.  On a peu l’occasion d’apprécier notamment la belle voix grave et sonore de Georg Zeppenfeld, un Charlemagne qui n’a rien du vieillard à la barbe fleurie, mais plutôt de l’Empereur dans la force de l’âge, comme dans certaines représentations. Les quelques rares moments où il peut chanter de manière continue, les qualités de son grave et de sa manière de projeter, mais aussi de son phrasé apparaissent immédiatement, mais dans les ensembles (nombreux) il disparaît un peu et semble plus en difficulté. Même remarque pour le Roland de Markus Werba, presque un rôle secondaire dans le livret, ou au moins dans la mise en scène où ce héros universel de la littérature courtoise disparaît presque au profit d’Eginhard. La prestation est très correcte, mais sans emphase ni démonstration.
Enfin Peter Kálmán dans Boland montre un peu de fatigue et surtout une voix qui ne projette pas bien, faisant contrepoint à un Charlemagne plus en relief.
L’Emma de Julia Kleiter a les qualités de fraîcheur qu’on lui connaît, avec un chant plein d’émotion retenue dont le volume s’impose dans les ensembles, elle est très émouvante, mais le personnage reste pâle, confiné dans des attitudes convenues. Elle est réfugiée dans la plainte et le lamento, une sorte de victime, mais surtout un personnage sans initiative, dramaturgiquement passif. Cela convient à la plainte élégiaque. Elle se laisse porter par son chant et par les événements.
Tout au contraire la Florinda de Dorothea Röschmann est une hyperactive, très engagée, révoltée : la mise en scène et le livret en font comme le vrai moteur de l’action, celle qui se révolte contre sa condition, qui combat pour son amour et qui n’hésite pas à trahir son père et son pays au nom de ses propres valeurs .  Dorothea Röschmann prête sa voix à ce personnage très dynamique, et son premier air très difficile entre vélocité, aigus, énergie passe avec bonheur, même si la voix m’est apparue un peu moins puissante que par le passé et pour tout dire un peu vieillie (mais ce n’est peut-être qu’une impression): c’est elle qui porte l’action, et qui impose par son chant une vigueur rafraîchissante. J’ai signalé par ailleurs la belle (mais courte) présente vocale de Marie Claude Chappuis.
Michael Schade se tire avec honneur de Fierrabras, rôle redoutable parce que justement très peu sollicité par des airs et beaucoup plus par des ensembles. Il a donc peu l’occasion de mettre en relief ses qualités de phrasé. La voix semblait un peu fatiguée et ne réussissant pas à dominer les ensembles, voire moins projetée et moins puissante qu’habituellement, notamment face à l’Eginhard de Benjamin Bernheim. Une voix très claire, presque en demi-teinte pour ce héros qui perd en amour ( son Emma aimée, qui épouse Eginhard) ce qu’il gagne en noblesse (artisan de la réconciliation chrétiens-maures).

Eginhard (Benjamin Bernheim) prisonnier © Monika Rittershaus
Eginhard (Benjamin Bernheim) prisonnier © Monika Rittershaus

Le plus notable de la soirée, sans aucune hésitation, c’est le ténor Benjamin Berheim, qui dans le rôle d’Eginhard, affirme une personnalité musicale de premier ordre, avec une voix magnifiquement contrôlée, sans aspérités, ouverte et montant à l’aigu sans difficulté, voire avec force. Il s’impose dans les airs et dans les ensembles avec une telle facilité et une telle élégance qu’on peut sans aucun doute envisager pour lui un riche avenir. Je me réjouis parce qu’après l’avoir vu à Lyon dans Edmond de Manon Lescaut de Puccini, j’avais écrit en 2010. : Notons quand même l’excellent Edmond de Benjamin Bernheim: il faudra l’écouter dans d’autres rôles, car il a chanté sa partie de manière particulièrement élégante et stylée, qui tranchait avec le désordre de Didyk. Une confirmation donc. Voilà un ténor avec lequel il faudra compter.
Ainsi donc ce Fierrabras faussement archéologique avec son petit air suranné d’opéra d’antan se montre-t-il une production sensible et intéressante pas si détachée que cela de l’actualité immédiate. L’opération est pour ma part réussie, encore faudrait-il que ce Schubert-là gagne en présence sur les scènes dans l’avenir, pour la musique et pour le message humaniste du livret par ailleurs maladroit de Joseph Kupelwieser.[wpsr_facebook]

Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus
Fierrabras (Michael Schade) © Monika Rittershaus