OPERA NATIONAL DE LYON 2015-2016: DIE ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL de W.A.MOZART le 22 JUIN 2016 (Dir.mus: Stefano MONTANARI; Ms en scène: Wajdi MOUAWAD)

Belmonte (Cyrille Dubois) frappe la "tête de turc" ©Stofleth
Belmonte (Cyrille Dubois) frappe la “tête de turc” ©Stofleth

Le début à l’opéra de Wajdi Mouawad était très attendu, d’autant que L’Enlèvement au Sérail de Mozart se prête aujourd’hui à diverses interprétations, et devient bien plus qu’une turquerie joyeuse, à cause des événements vécus ces dernières années, comme l’a bien montré le travail de Martin Kusej au festival d’Aix en Provence, qui optait l’an dernier pour une traduction dramatique radicale du Singspiel, le transposant en enlèvement de Daesh, et se terminant dans le sang.
Wajdi Mouawad est un auteur-metteur en scène, avec une longue carrière théâtrale derrière lui ; il met aussi en scène ses propres textes ; c’est d’ailleurs là où il a rencontré ses plus grands succès en France. Rien d’étonnant que Serge Dorny lui ait donné l’occasion de modifier le dialogue, même avec le risque inhérent à ce type d’opération. Et c’est le dialogue new-look qui est , dans la mise en scène, la vedette de la soirée.
Wajdi Mouawad a donc travaillé à partir du texte de Mozart, et il a réussi à ne jamais en trahir l’esprit, et à garder à l’œuvre sa personnalité : il respecte par exemple l’époque, avec ses costumes, même si l’espace conçu par Emmanuel Clolus est abstrait. Et même si les costumes des turcs (d’Emmanuelle Thomas) sont très impersonnels, gris, et laissent totalement de côté le pittoresque. Rien de moins « turc » que cette turquerie. L’opération est donc de ce point de vue réussie. Mouawad s’appuie fréquemment sur le dialogue original, qu’il prolonge ou précise. Un seul exemple lorsqu’à la fin Selim évoque Lostados, dans l’original il signale que Lostados lui a tout pris, dont l’amour de sa vie « Dein Vater, dieser Barbar ist schuld, daß ich mein Vaterland verlassen mußte. Sein unbiegsamer Geiz entriß mir eine Geliebte, die ich höher als mein Leben schätzte. Er brachte mich um Ehrenstellen, Vermögen, um alles. Kurz, er zernichtete mein ganzes Glück. Und dieses Mannes einzigen Sohn habe ich nun in meiner Gewalt! Sage, er an meiner Stelle, was würde er tun? »
Le texte de Mouawad précise alors dans de longs développements que le père de Belmonte a épousé la femme en question, blonde aux yeux bleus, et qu’elle est la mère de Belmonte, ce qui ne change pas le sens du geste de Selim, mais change évidemment le regard de Belmonte sur l’aventure. Le dialogue allonge singulièrement l’œuvre, ce qui n’est pas contradictoire avec la tradition du Singspiel qui permet entre autres des variations voire des improvisations dans les dialogues avec autant d’importance que le chant (Singspiel= « jeu chanté »)puisque c’est le dialogue qui est action et chant qui est station.
Vu la thématique traitée par Mozart, ( vu aussi les circonstances politiques actuelles) qui affirme la clémence comme valeur suprême de l’humain, traitée aussi bien dans La Clémence de Titus que dans la Flûte enchantée, on pouvait s’attendre de la part de Mouawad à une intervention forte. Mozart s’affirme homme des Lumières et Mouawad a résolu de suivre Mozart et de souligner fortement les valeurs illuministes, de manière très démonstrative, mais en y introduisant et développant des thématiques d’aujourd’hui, comme le statut de la femme, tout en ne trahissant jamais l’original de Mozart. Disons  qu’il en développe les potentialités, qu’il le libère de certaines idées inhérentes au XVIIIème car ce qui intéresseMouawad est souvent évoqué en filigrane dans le dialogue original. Dans cet Enlèvement new-look, c’est la femme qui pour l’essentiel porte les valeurs de l’humanité, c’est elle aussi qui mène le jeu.
Rappelons rapidement l’histoire assez simple de L’Enlèvement au Sérail : une jeune aristocrate, Konstanze, sa servante Blonde et Pedrillo le valet de son fiancé ont été enlevés par des pirates barbaresques, comme on dit et le lot a été acheté par Selim Pacha, sans doute un gouverneur puissant de province ottomane. Belmonte, le fiancé de la belle Konstanze entreprend d’aller la libérer et se fait passer pour architecte. Ils fuient, mais son découverts, condamnés, d’autant plus que Belmonte est le fils du pire ennemi de Selim. Mais Selim pardonne, au nom de la clémence. Tous sont libérés et retournent chez eux.

Mouawad compose donc son propre Singspiel développé, avec de longs dialogues en allemand (traduction Uli Menke) qui devient d’une certaine manière l’œuvre, et le chant une sorte de parenthèse sur laquelle il intervient peu.

Ouverture ©Stofleth
Ouverture ©Stofleth

C’est bien là la première réserve à ce travail très sérieux et logique, documenté et globalement cohérent avec Mozart. Toute la mise en scène se concentre pratiquement sur le texte parlé, et Mouawad laisse les chanteurs vaquer à leurs occupations sur le texte chanté, mis en place de manière bien plus conventionnelle. Mouawad est essentiellement intéressé à ce que son texte soit porté : d’où une introduction longue, se tissant avec la musique de l’ouverture, pour l’occasion fragmentée, d’où un prologue essentiel pour la compréhension de l’histoire, mais qui fait qu’au bout de 10 minutes, on a à peu près compris l’option de mise en scène. Le prologue guilleret de Mozart se tresse donc avec un prologue théâtral tout aussi guilleret, où chez les Lostados on fête le retour des prisonniers, enlevés à la barbarie. Pour la peine on joue à la « tête de turc », un jeu de foire qui consiste à faire bouger une tête de turc figurée en tapant dessus avec un marteau. On s’amuse beaucoup, jusqu’au moment où c’est au tour de Blonde et Konstanze, qui se refusent à y jouer, au nom du fait que Selim leur a sauvé la vie, c’est alors qu’on va revenir à l’histoire, comme dans une structuration de théâtre dans le théâtre, d’illusion baroque, qui évidemment rappelle le mythe de la caverne platonicien.
De manière très habile, Mouawad mélange les moments d’ici et maintenant et les moments d’alors, dans des variations de dialogue croisées, à la fois bien faites et claires. Les dialogues se mélangent entre évocation et commentaires, mais assez vite la mise en scène va abandonner ce « théâtre dans le théâtre » pour ne retenir que l’évocation d’alors.
Mais Mouawad ne se contente pas de nous conter les vertus de l’humanisme, ni l’histoire des deux couples. Il va aussi s’appuyer sur l’histoire de l’opéra mozartien pour évoquer La Flûte enchantée, certaines scènes en semblent extraites, tant sont semblables les situations Pedrillo/Osmin Papageno/Monostatos par exemple, mais aussi les méditations de Konstanze (vêtue d’un blanc paminesque) qui font bien penser à Ach ich fühl’s. mais on sait cela et on sait combien La Flûte enchantée est redevable à L’Enlèvement au Sérail, variable mozartienne de l’opéra à sauvetage qui est si en vogue à la fin du XVIIIème.
Mouawad sait aussi quel intérêt Mozart porte aux histoires de couples et aux variations sur l’amour : il anticipe aussi Così fan tutte et c’est là sans doute la plus grande originalité de son travail, sa réflexion porte, plus encore que sur les valeurs humanistes, sur l’instabilité et la fragilité des choses humaines et notamment de l’amour. Et Konstanze et Blonde sont chacune à leur mode, saisies par ces tourments. Konstanze en mode héroïque, elle résiste, Blonde en mode résigné, elle se soumet aux lois locales puisque Selim a donné Blonde à Osmin, qui l’a épousée et dont il a même (on le voit à la fin) un enfant. Et Blonde est sensible à cet Osmin non pas bouffe mais sincèrement épris, et donc jaloux de Pedrillo, dont Blonde reste aussi amoureuse. Comme dans Così fan tutte, on peut aimer plusieurs hommes, sans en trahir aucun. Le cas de Konstanze est peut-être plus complexe et conduit d’une certaine manière à une Konstanze/Fiordiligi (qui ne cède pas, malgré un vrai sentiment pour Selim) et à une Blonde/Dorabella, qui cède et s’en accommode, au nom même de cette condition de la femme qui fait qu’ici comme en occident, servante elle était et servante elle restera. Ainsi donc dans ce maelström des sentiments et des situations, où personne n’est vraiment méchant, où les hommes sont tous sincèrement amoureux et où les femmes ont su apprendre que ceux qu’on appelle barbares ne sont pas plus ni moins barbares que nous, qu’ils sentent et qu’ils aiment comme nous.
C’est paradoxalement Belmonte qui n’a pas le beau rôle, il vient libérer Konstanze et les deux valets, mais  ne saisit pas, au nom de son sentiment tout égoïste, les émois et les doutes de Konstanze, dont on sent bien qu’il arrive au moment où elle serait prête à céder au Pacha. Et le côté juvénile de ce Belmonte, bien caractérisé par Cyrille Dubois, s’oppose à la maturité de Selim, un Peter Lohmeyer un peu déclamatoire, mais plus mur et plus sûr que Belmonte.
Enfin, l’espace essentiellement structuré par des cloisons s’ouvre sur un globe qu’on croit être d’abord le turban du turc vu de dessus, mais c’est aussi le monde « comme volonté et comme représentation » dirait l’ami Schopenhauer, un monde qui s’ouvre sur la prison, prison des femmes d’abord, le harem du Pacha, qu’on a vu d’abord représenté avec les enfants allant à l’école puis soignés chacun par une des mères-femmes du pacha, en une représentation en même temps gentiment satyrique, tandis que les janissaires sont comme des ombres mortes et grises, d’un monde qui n’a pas d’identité sinon celle d’une vague inquiétude.
Dans ce globe, d’abord harem, puis prison des quatre prisonniers après la découverte de leur fuite, finira Selim quand les autres partiront : à lui d’être désormais prisonnier de ses souvenirs. Et le mince rideau translucide qui sépare l’ici (chez Lostados) où l’on revient, et là-bas ( où tout n’a pas été noir), montre que la fin n’est pas si heureuse, longs regards des femmes, des regrets sans doute, et puis le retour aux anciennes amours : rien ne sera plus comme avant.
Ainsi Mouawad conclut-il ce qu’il a voulu être une histoire moralisante, avec son côté quelquefois préchi précha, un peu didactique, presque déictique, avec sa méditation sur les sentiments ,  sur l’universalité de l’amour et ses fragilités et sur l’humanité avec ses grandeurs et ses faiblesses. Un presque « conte pour adultes », venu d’une histoire assez conventionnelle de Mozart, mais démonstrative elle aussi, au service de l’universalité de l’humain. Et l’ensemble des lustres, lors de l’image finale, tous de cristal “occidentaux”, avec au milieu un luminaire oriental, montre que de l’aventure, il restera toujours quelque chose…C’est subtil, mais bien fait car c’est une belle métaphore des “Lumières”.

Dernière image ...lumières ©Stofleth
Dernière image …lumières ©Stofleth

L’opération est, je l’ai dit, réussie dans la forme, Mozart n’est pas trahi, mais prolongé, le Singspiel n’est pas trahi dans la forme mais mené jusqu’au bout et développé; la parole domine, car à l’évidence Mouawad y est plus à l’aise. Il a peut-être été pris au piège de l’opéra, qui impose un tempo plus rigoureux, qui impose aussi des mouvements ou des postures différentes, et cela il n’a pas su le mener à bien, il n’a pas su faire le lien théâtral entre musique et chant, d’autant plus difficile que ce dialogue était du Mouawad traduit en allemand, et que la familiarité avec l’allemand n’était pas – malgré les efforts visibles- partagé par tous, Cyrille Dubois en tête qui semblait devoir choisir entre le jeu ou la langue , au contraire de la Konstanze très à l’aise dans les dialogues parlés, et qu’évidemment tous les allemands et germanophones du plateau, dont la très jeune polonaise Joanna Wydorska qui chante fréquemment en Allemagne.
Un sentiment mitigé sur ce travail, très sérieux, très sensible, mais un peu démonstratif et un peu maladroit. On veut certes délivrer un message, mais fallait-il appesantir à ce point les dialogues pour délivrer un message que déjà Mozart avait pu délivrer, même partiellement et même si Mouawad voit dans l’histoire originelle une sorte de conte bien pensant de musulmans humains parce que touchés par les Lumières. Bien sûr, ce type de forme est datée et Mouawad a résolument essayé et c’est tout à son honneur, d’actualiser, mais trop de stabilo tue peut-être la lecture.

Dans ce travail tout concentré sur le dialogue, la « Gesamtkunstwerk » qui ferait tenir le trépied musique/chant/théâtre est un peu déséquilibré, et musique et chant plus qu’ailleurs vont se juger presque indépendamment du théâtre ou de la mise en scène. Stefano Montanari est incontestablement le maître de la fosse et le maestro de la représentation. Un rythme vif, sec, très marqué par des couleurs baroquisantes, sinon franchement baroques (percussions, bois). Tout cela est mené tambour battant, avec un sens de la pulsion particulier ; l’orchestre répond très positivement à ces sollicitations et pour une fois l’acoustique sèche du théâtre de Nouvel convient bien aux intentions du chef. Pas d’alanguissement, et une musique qui anime le plateau, et qui sait aussi accompagner les chanteurs, où l’on sait que les femmes sont très sollicitées ; j’ai bien aimé Montanari à chaque fois que je l’ai entendu à Lyon, il semble ici avoir approfondi son travail, et permis en même temps une vraie respiration au plateau, malgré le côté très serré du tempo. Le chœur de l’opéra, sollicité, mais de manière relativement réduite, fait preuve de ses habituelles qualités désormais, dirigé ici par Stephan Zilias.
La distribution est dans l’ensemble homogène, et fait preuve de nombreuses qualités, notamment dans le jeu (Osmin, excellent) et aussi dans le chant. J’ai employé le terme d’homogénéité, parce qu’on voit bien le travail d’équipe, parce qu’il n’y a vraiment pas de faiblesses, mais il reste que tous ne sont pas à l’aise dans une œuvre où notamment pour les femmes, la sollicitation est extrême : il fallait Jane Archibald pour triompher des trois airs de Konstanze, dont le redoutable Martern aller Arten mais pas seulement. Jane

Konstanze (Jane Archibald) et Selim (Peter Lohmeyer) ©Stofleth
Konstanze (Jane Archibald) et Selim (Peter Lohmeyer) ©Stofleth

Archibald remporte un triomphe mérité, ce ne sont qu’aigus et suraigus, agilités, variations et cadences, avec les reprises. Technique de chant maîtrisée, dominée, une perfection. Mais comme toutes les perfections, un peu froide. C’est un chant technique plus qu’un chant sensible. Je me souviens (ah, l’ancien combattant) de Christiane Eda-Pierre dans le rôle, qui fut une grande Konstanze pour moi (avec Böhm au Palais Garnier, eh oui), avec bien moins de moyens techniques qu’Archibald, mais une telle émotion, un tel ressenti, une telle sensibilité qu’elle emportait la mise. Archibald est magnifique, pour la tête, la technique, pour les amateurs d’acrobaties, mais pour le cœur, c’est autre chose.

Cet autre chose, on l’a eu avec Joanna Wydorska : une voix très petite,  qui monte correctement à l’aigu quand il faut (Durch Zärtlichkeit und Schmeicheln) même avec de toutes petites scories dans les passages, qui n’a pas la technique d’une Archibald, mais qui est tellement fraiche, tellement naturelle, tellement sensible dans son jeu qu’elle réussit à compenser et à convaincre : c’est une Blöndchen qui m’a beaucoup touché, et qui a su dominer ses maladresses par une personnalité scénique affirmée et très juste.
Le Pedrillo de Michael Laurenz n’a pas beaucoup d’airs à chanter, il a beaucoup à parler ; alors quand il chante, il montre que ça s’entend. La voix n’est pas si légère (j’ai entendu plus léger dans le rôle) et il donne de la voix, une voix large et puissante, avec un manque d’homogénéité entre les graves et les aigus, ces derniers un peu trop élargis, et manquant pour mon goût un peu de contrôle, mais l’ensemble se défend et le personnage est très bien campé, bien joué (et bien dit, ce qui est ici, on l’a compris, important).

Blonde (Joanna Wydorska) et Osmin (David Steffens) ©Stofleth
Blonde (Joanna Wydorska) et Osmin (David Steffens) ©Stofleth

L’Osmin de David Steffens tranche aussi sur les Osmin bouffes ou terribles qu’on a vu sur les scènes. Dans les quelques mots du programme, Mouawad insiste sur le fait qu’«il ne suffirait pas de faire d’Osmin un intégriste habillé de noir avec un couteau à la gorge de Blonde… », allusion à la mise en scène de Kusej à Aix, « pour se dédouaner et régler le problème ». La question est la vision de l’Islam dans l’Enlèvement, « compensée » par un Selim touché par la grâce des Lumières et donc un regard sur l’Islam qui reste, dit-il, “cauchemardesque”. Il lutte donc contre cette vision, on l’a dit, en présentant un monde de l’islam débarrassé de son imagerie d’opérette, tout de gris et de noir (sauf les femmes, en rouge), un univers d’une rigueur monastique et Osmin et Selim portent le même costume. Osmin est d’abord un amoureux qui cherche à retenir son amour, et Blonde a accepté la situation, en servant son Osmin comme elle « servirait » n’importe quel mari sous n’importe quels cieux (allusion à une sorte de statut universel de la femme), et en l’aimant, une des scènes les plus souriantes dans ce domaine est la manière dont elle le brosse, tendrement, alors qu’il est dans la baignoire, une scène d’intimité amoureuse dont on n’a pas l’habitude dans les visions ordinaires de l’œuvre de Mozart. L’Osmin de David Steffens est donc assez élégant, digne, mais défendant plus son amour et son privé que le palais, et sa voix est jeune, claire, et son chant très fluide et naturel. Cette jeunesse d’Osmin est frappante et le rend fragile, et tout sauf obtus, comme le voudrait la tradition. David Steffens réussit bien à incarner le personnage inhabituel, et sa jeunesse et son physique renvoient bien plus à un Sprecher qu’à un Monostatos dans La Flûte enchantée. Son chant expressif et bien profilé rend le personnage plus profond que Belmonte, l’autre amoureux qui n’a pas, répétons-le, le beau rôle.

Konstanze (Jane Archibald) et Belmonte (Cyrille Dubois) ©Stofleth
Konstanze (Jane Archibald) et Belmonte (Cyrille Dubois) ©Stofleth

Il n’a pas le beau rôle d’abord parce qu’il semble arriver dans un univers déjà balisé par les sentiments, un univers ordonné qu’il ignore et qu’il considère évidemment comme « barbare », même si Pedrillo l’avertit du caractère du Pacha. À ce propos d’ailleurs, il faut répéter que la société orientale et notamment ottomane était depuis longtemps traversée par l’occident (il faut lire à ce propos Mon nom est rouge  de Ohran Pamuk) et que des personnages comme Selim devaient exister, à l’évidence (Les Lettres persanes de Montesquieu en sont aussi une preuve en creux). Belmonte arrive à l’évidence avec ses idées préconçues, et la vision du prologue où il frappe allègrement sur la tête de turc montre qu’il n’y a pas eu de leçon. Un personnage que Cyrille Dubois incarne avec une certaine justesse. Certes, sans doute sa manière « appliquée » de parler l’allemand, et sa gêne visible lui donnent cet aspect hésitant et « ailleurs » : dans ce monde déjà ordonné qu’est le Sérail de Selim, il apparaît cet « autre » un peu décalé et un peu dérangeant. J’ai beaucoup d’estime pour ce chanteur que j’ai vu excellent plusieurs fois. C’est un de nos vrais espoirs. Il reste qu’il semble un peu gêné aux entournures par Belmonte qui est tout sauf un rôle facile. Pour moi Tamino est moins délicat. Comme Tamino d’ailleurs (et Titus), Belmonte est un rôle qui balise le chemin vers des rôles plus lourds comme Lohengrin. Ce n’est pas un rôle pour ténor léger, mais la voix de Cyrille Dubois qui n’est pas légère n’arrive pas à faire de ce Belmonte un personnage intéressant parce qu’elle manque d’expressivité, à moins que le personnage ne soit vraiment pas intéressant. En ce sens la prestation de Cyrille Dubois répond aux orientations de la mise en scène tant il semble traverser l’action sans jamais en comprendre les enjeux.
Je suis donc partagé.  Cyrille Dubois chante le texte mais sans lui donner corps, presque de manière absente et extérieure. Cela cadre avec le personnage voulu. Mais est-ce voulu justement ? Son profil jeune, amoureux et jaloux exprime un monde blanc ou noir, et la mise en scène souligne le monde de Selim comme un monde noir, en tempérant cependant l’impression par le tapis de pétales de roses qui marque la surface de jeu, rose et noir, rouge et noir, la couleur a son importance. Et d’ailleurs, le tapis de sol de cette surface couverte de pétales est par deux fois roulé et emporté, comme si on jouait sur l’apparence. Comme si des roses ne devaient rester que quelques traces ou quelques épines.
Cyrille Dubois ne convainc donc pas totalement, tant il semble gêné et peu naturel, beaucoup moins à l’aise que dans d’autres rôles.

Pétales de roses ©Stofleth
Pétales de roses ©Stofleth

Au total, une représentation qui incontestablement pose question, parce que le propos est juste, parce que le discours se tient, parce que le dialogue new-look n’enlève rien à la cohérence de l’ensemble et qu’il s’accroche bien à la musique, mais quelque chose laisse insatisfait: est-ce l’excès d’insistance et de didactisme ? est-ce une mise en scène qui semble un peu trop « conforme » et moins dérangeante que le propos ne laisserait le penser ? Est-ce la fin en interrogation ? Le spectacle laisse des questions irrésolues, mais l’ensemble musical, cast et orchestre est vraiment au point, au-delà des observations émises qui laissent aussi planer quelques interrogations (Cyrille Dubois). Une soirée lyonnaise, comme d’habitude stimulante, avec comme d’habitude une prise de risque. C’est bien ce qu’on attend de la scène française d’opéra la plus novatrice. [wpsr_facebook]

Pris au piège ©Stofleth
Pris au piège ©Stofleth

DE NEDERLANDSE OPERA 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON D’AMSTERDAM

Le caractère de l’opéra d’Amsterdam, c’est une qualité régulière, musicale comme scénique, et une ouverture vers la modernité et le contemporain. Dirigé depuis 25 ans par Pierre Audi, il possède un choeur, mais pas d’orchestre fixe, même si on y voit régulièrement  le Netherlands Philharmonic Orchestra et au moins une fois par an le Royal Concertgebouw. Ce sera encore le cas cette année (2014) pour un Falstaff (celui de Robert Carsen, vu à la Scala et ailleurs) de fin de saison dirigé par Daniele Gatti.
La saison 2014-2105 commence  le 2 septembre 2014 par six représentations d’une version scénique des Gurre-Lieder de Schönberg, avec notamment Burkhard Fritz, Emily Magee et Anna Larsson, mis en scène de Pierre Audi (décors de Christof Hetzer) et dirigé par le directeur musical Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra). Immédiatement après, le 3 septembre et pour trois représentations, c’est au tour de l’Orfeo de Monteverdi dans la vision de Sasha Waltz, dirigé par Pablo Heras-Casado (avec le Freiburger Barockorchester et le Vocalconsort Berlin).
En octobre, Patrick Fournillier (et le Residentie Orchestra) dirigera L’Étoile de Chabrier pour huit représentations à partir du 4 octobre avec Chritophe Mortagne, Stéphanie d’Oustrac et Hélène Guilmette, dans une mise en scène de Laurent Pelly, qui signera aussi les décors et les costumes.
Du 10 au 29 novembre pour 7 représentations, une nouvelle production de Lohengrin de Wagner dirigée par Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra) dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors du plasticien Jannis Kounellis avec Nicolai Schukoff, Juliane Banse, Günther Groissböck, Michaela Schuster et Evguenyi Nikitin.
En décembre, 10 représentations de La Bohème, de Puccini avec le Netherlands Philharmonic Orchestra dirigé par Renato Palumbo, dans une mise en scène de Benedict Andrews (metteur en scène australien à qui on doit une mise en scène de Grands et Petits de Botho Strauss passée par le Théâtre de la Ville en 2012) et des décors de Johannes Schütz avec Atalla Ayan (Rodolfo) et Grazia Doronzio (Mimi).
Du 20 janvier au 8 février, Il Viaggio a Reims de Rossini pour huit représentations  avec le Netherlands Chamber Orchestra dirigé par Stefano Montanari (Le comte Ory à Lyon) et mis en scène par Damiano Michieletto (cela décoiffera pour sûr), avec une distribution honorable, Nicola Ulivieri, Roberto Tagliavini, Carmen Giannatasio, Juan Francisco Gatell, Anna Goryachova et Nino Machaidze. En même temps, l’Opéra présentera une adaptation (version nouvelle) pour quatre représentations qui a nom Ramble to Reims spécialement pour le jeune public, avec le Netherlands Chamber Orchestra, dirigé par Aldert Vermeulen et une mise en scène de Marcel Sijm.
L’Opéra se transporte fin février / début mars au Stadsschouwburg Amsterdam (siège du Toneelgroep de Ivo van Hove) pour  Tamerlano  et Alcina de Haendel avec Les Talens Lyriques dirigés par Christophe Rousset. Trois représentations de Tamerlano avec notamment Delphine Galou, Sophie Karthäuser et Christophe Dumaux, et trois représentations de Alcina avec notamment Sandrine Piau et Varduhi Abrahamian (comme à Zürich), le tout dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors de Patrick Kinmonth (Samson et Dalila à Genève)  qui signera également les costumes avec le chœur de La Monnaie de Bruxelles (avec lequel le spectacle est en coproduction).
En mars et pour 10 représentations, Die Zauberflöte de Mozart dans la production de Simon McBurney (et les décors de Michael Levine) qu’on aura vu à Aix en Provence cet été, dirigée par Marc Albrecht – et Gergely Madaras fin mars- , avec notamment Maximilian Schmitt, Brindley Sherratt, Chen Reiss et Iride Martínez (Netherlands Philharmonic Orchestra).
En avril, Verdi à l’honneur avec Macbeth dirigé par Marc Albrecht (et le Netherlands Philharmonic  Orchestra) avec Tatiana Serjan et Scott Hendricks, ainsi que le Banco de Vitalij Kowaljow, dans une mise en scène d’Andrea Breth (et des décors et costumes de Martin Zehetgruber) (9 représentations à partir du 3 avril).
Il faudra nécessairement venir à Amsterdam en mai pour l’une des 7 représentations (à partir du 9 mai) du rarissime Benvenuto Cellini de Berlioz dirigé par Sir Mark Elder (avec le Rotterdam Philharmonic Orchestra) avec une jolie distribution, John Osborn, Orlin Anastassov, Laurent Naouri, Patricia Petibon et une mise en scène de Terry Gilliam (ex-Monty Python) et Leah Hausman (qui assure aussi la chorégraphie).
En juin, le Royal Concertgebouw Orchestra sera dirigé par Fabio Luisi pour une nouvelle production de Lulu de Berg, dans une mise en scène de William Kentridge et Luc de Wit, et des décors de William Kentridge et Sabine Theunissen. Mojka Erdmann sera Lulu, Jennifer Larmore la Geschwitz, Johan Reuter le Dr Schön et Alwa Daniel Brenna.
Même si je ne sens pas Luisi dans ce répertoire, une mise en scène de William Kentridge est attirante  et il faudra sans doute se rendre à l’une des huit représentations (première le 6 juin).
Comme toujours une saison équilibrée, stimulante par l’appel à des metteurs en scène imaginatifs et originaux, un peu moins cette année cependant par le choix de certain chefs. Mais peut-on résister à une Lulu‘ avec le Concertgebouw ou un Benvenuto Cellini? Et puis, Amsterdam (notamment pour un parisien) c’est une virée un dimanche, et un petit week-end charmeur  au bord des canaux: cela peut-il se refuser?
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OPÉRA NATIONAL DE LYON 2012-2013: DIE ZAUBERFLÖTE (LA FLÛTE ENCHANTÉE) de W.A.MOZART LE 4 JUILLET 2013 (Dir.mus:Stefano MONTANARI; Ms en scène: Pierrick SORIN et Luc DE WIT)

Le jour…©Stofleth

Connaissez vous le principe de la météo à la TV? Le journaliste devant un écran bleu regarde sur la droite une carte météo, et à l’écran la carte est incrustée sur l’écran bleu, comme si le journaliste évoluait devant alors qu’il est à côté. Illusion vidéo.
C’est ce principe qu’applique le vidéaste Pierrick Sorin pour cette Flûte Enchantée lyonnaise, chantée par les jeunes  studio de l’opéra de Lyon (dirigé depuis 2011 par Jean-Paul Fouchécourt) en deux distributions en alternance: les chanteurs chantent chaque jour, mais pas les mêmes rôles (par ex. le Tamino de la distribution A chante le premier homme d’armes dans la distribution B), seule, la Reine de la Nuit (Sabine Devieilhe) chante son rôle dans les deux.
Ce principe énoncé, je ne sais s’il sera facile au spectateur de la retransmission cinéma du samedi 6 juillet (qui atteint aussi Paris cette année) de repérer le trucage de manière si claire, puisqu’un des propos de la mise en scène est justement de proposer les chanteurs en trois dimensions sur le théâtre qu’on voit en direct sur un grand écran,  en vidéo sur des fonds divers (forêt, ciel, mur et fenêtre, fond aquatique).

Dispositif…©Stofleth

L’originalité du dispositif consiste en général en trois espaces divers : au centre un fond bleu devant lequel évoluent les personnages et sur les côtés de petites maquettes éclairées et reprises en caméra figurant les décors: le résultat de la fusion-incrustation des personnages et des petits décors se voyant sur l’écran au dessus de la scène. Des costumes colorés (même si les initiés du Royaume de Sarastro sont en blanc) , des décors d’albums d’enfants quelquefois désopilants, comme les enfants sur un nuage, sur une soucoupe volante, dans un panier d’osier,

Animaux…©Stofleth

les animaux (lion, éléphant, cheval) dont les têtes semblent voler en apesanteur, Sarastro sur fond de prairie fleurie dont les fleurs croissent à mesure de l’avancée de l’air.
Le procédé se répète pendant toute la soirée, et finirait par devenir répétitif (sans cesse entrée et sortie de figurants en collant bleu pour être invisibles à l’écran), mais le spectateur se laisse gentiment faire, et attend les idées de l’effet suivant. Certains sont moins réussis

Épreuves ©Stofleth

(paradoxalement les épreuves du second acte), d’autres mieux, comme la première apparition de la reine de la nuit, quelques scènes (notamment les scènes de chœur, échappent à ce procédé, sans créer d’effets alternatifs ou originaux: car pour le reste, il n’y a strictement aucune idée de mise en scène.

Apparition de la Reine de la Nuit ©Stofleth

Les personnages souvent contraints d’être devant ce mur bleu qui assure les effets d’incrustation ne peuvent donc bouger, et quand ils bougent, ils restent dans la plus stricte conformité à la tradition.
Certains se sont ennuyés et ont trouvé qu’on a vite viré au procédé, d’autres se sont laissés faire, et ont joué le jeu de l’image, de l’enfance, de la distance réel/virtuel, sans trop se malaxer la cervelle. C’est mon cas, le spectacle se laisse voir, il est frais, il rappelle des dessins d’enfants, des jeux (et des applications qu’on trouve aujourd’hui sur la toile pour se photographier dans des espaces virtuels) et on glisse aimablement du début à la fin. Ce n’est sûrement pas LE spectacle de l’année, ni à Lyon, ni ailleurs, mais c’est un spectacle agréable, vraiment agréable, et même sans tape à l’œil, vu que les effets se répètent et finissent par être attendus.
Du point de vue musical, c’est un peu différent; le studio de l’opéra de Lyon, ne fonctionne pas comme une école en continu mais travaille plutôt en sessions de préparation des productions (dans un village de Saône et Loire) entre lesquelles les jeunes chanteurs peuvent auditionner ou travailler. Le jeune Mauro Peter, Tamino de très grande qualité, ira l’an prochain à Zurich en troupe. C”est la première fois qu’une production entière est confiée à des jeunes issus du studio. On peut affirmer sans crainte que c’est une réussite. L’ensemble est homogène, et même si il y a des rôles qui manquent encore un peu d ‘assise, le spectacle tient très largement la route, à commencer justement par le Tamino de Mauro Peter, un jeune ténor qui pourrait être à l’orée d’une belle carrière. Magnifique ligne de chant, joli timbre, belle diction, la voix a la largeur voulue et le chanteur a du style, de l’élégance et de l’intelligence. Vraiment à retenir.
À retenir aussi, mais sa carrière est lancée (La reine de la Nuit à Paris, festival de Glyndebourne etc…), la Reine de la Nuit tout à fait extraordinaire de Sabine Devieilhe, dans la grande tradition des sopranos colorature à la française: une reine impeccable, avec tous les aigus, l’agilité, les vocalises stratosphériques. Le second air “Die Hölle Rache” est interprété avec une sûreté et une précision impressionnantes dans les notes piquées . Une prestation exceptionnelle.

 Le dispositif…©Stofleth

La Pamina de Heather Newhouse, familière du répertoire baroque, ne m’a pas impressionné au premier acte, même si la diction est bonne, si la musicalité est impeccable, le contrôle sur la voix sans reproche, j’ai trouvé que la projection  manquait de puissance, que le registre central n’était pas totalement convaincant. En revanche son second acte emporte l’adhésion par l’émotion diffusée, par l’interprétation très contrôlée, très juste notamment de son “Ach ich fühl’s”, par un contrôle impressionnant du souffle et simplement par une technique globale non seulement maîtrisée, mais presque sublimée par la science de l’interprétation. Magnifique.
Moins convaincant le Sarastro de Johannes Stermann, belle voix de basse qui pour moi manque un peu de maturité et d’étendue pour Sarastro dont il a la taille, mais pas l’épaisseur ni la présence.
Les trois Dames (Barbara Zamek, Camille Dereux, Dorothea Splilger) s’en tirent avec honneur, même si j’ai moins apprécié la troisième dame, et les enfants (avec quelques scories et quelques erreurs de mesure) très frais.
Le Papageno de Philippe Spiegel malgré un joli costume, manque de cette présence qui doit remplir la scène, et manque surtout d’épaisseur vocale. Peu d’aigu, un chant un peu monotone et jamais vraiment de relief: il est sympathique en scène, mais il lui manque cette légèreté, cette aisance, ce délié qui doit habiter les Papageno. Il lui manque enfin un chant au registre étendu, car la puissance n’y est pas. Un Papageno un peu en creux.
À noter également le très joli timbre et l’élégance de Rémy Mathieu qui compose un Monostatos qui pour une fois n’est pas caricatural. Tout le reste de la distribution (Sprecher et homme en armes de Jean Baptiste Mouret, homme  en armes de Jan Petryka, prêtres de Bonko Koradjov et Guillaume Andrieux, Papagena très fraîche et alerte de Caroline MacPhie) n’appelle pas de reproches, tout fonctionne à la perfection.
Tout fonctionne aussi vraiment sans problème avec le chœur  d’Alan Woodbridge et grâce à la direction musicale de Stefano Montanari. On pourrait préférer quelque chose de plus lyrique, de plus “poétique”, des tempos plus apaisés, plus de legato. Stefano Montanari , violoniste, vient du baroque, et “sonne” baroque, rythmes soutenus, sons très secs, tempos rapides, beaucoup d’énergie et un look un peu rock assez sympa , du Rockspiel à défaut de Singspiel. Tout cela est rondement mené, avec un orchestre précis et dont le son finalement surprend un peu pour Zauberflöte, mais finit par convaincre, en cohérence avec une acoustique de salle qui convient mieux à ce type d’approche.
Il en résulte ce qu’on appelle une bonne soirée, une très bonne soirée même qui ne laisse pas le public indifférent (très gros succès, plusieurs minutes de rappels). Je ne peux que vous encourager, lecteurs rhônalpins ou parisiens, à passer trois heures sous les étoiles samedi pour écouter cette Flûte dans la douce chaleur de l’été, et vous rafraîchir à la source Mozart, la plus jeune, la plus inventive, la plus jaillissante qui soit.
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La nuit…©Stofleth

OPÉRA DE LYON 2011-2012 : CARMEN de Georges BIZET le 5 juillet 2012 (Ms en scène : Olivier PY, dir.mus : Stefano MONTANARI)

Le décor

Comme toutes les productions d’Olivier Py, cette Carmen était très attendue, trop peut-être, parce qu’une certaine déception est au rendez-vous, scéniquement comme musicalement, malgré le côté très séduisant du spectacle, malgré le succès public, les longs applaudissements à la fin, la retransmission TV le 7 juillet dans toute la région Rhône Alpes.
C’est ma troisième Carmen en quelques mois, après le luxe de Salzbourg, après la  solidité de Venise, voici les Folies lyonnaises, Folies au sens de Folies Bergères, puisque loin de l’Espagne, c’est à une Carmen meneuse de revue du « Paradis Perdu » qu’Olivier Py nous convie.

Une vision du décor, à plusieurs niveaux © Stofleth

Un décor énorme de Pierre-André Weitz, tournant sur lui-même et tour à tour scène et premier rang de spectateurs, entrée et billetterie, coulisses, magasin à accessoires, loges, mur couvert de graffitis,  taverne de Lillas Pastia, souvent sur deux ou trois niveaux, avec à gauche une façade d’hôtel borgne, à droite un poste de police assez borgne aussi, des costumes très paillettes , de superbes lumières de Bertrand Killy et une volonté de tisser, tresser réalité et fiction, spectacle et récit, Bizet et Mérimée  de manière de plus en plus étroite jusqu’à la fin où tous les protagonistes deviennent des personnages de la revue. L’entrée de Don José dans la bande de contrebandiers, c’est en fait une entrée dans la troupe du « Paradis Perdu », pour y jouer le personnage du clown, si bien qu’au troisième acte on a l’impression de passer de Carmen à I Pagliacci, tant les situations sont mises en parallèle.
Bien sûr, les transpositions imposent une vraie gymnastique pour rendre le livret cohérent avec la proposition et pour permettre au spectateur d’y retrouver ses petits. Le texte très intéressant de Py inséré dans le programme de salle (Carmen comme revanche des sans grades et des marginaux ou des artistes sur l’ordre bourgeois: “c’est la revanche des perdants et des exclus, la revanche poétique et érotique de tous les pauvres” écrit-il) se retrouve dans la proposition scénique, dans la mesure où la troupe d’acteurs est composée de marginaux, acteurs-danseurs le jour, contrebandiers ou dealers la nuit, vision sulfureuse du monde du spectacle qui est bien dans l’ordre du regard petit-bourgeois ou de la tradition catholique d’ancien régime, mais je n’ai pas retrouvé dans la production de Py le souffle de son texte.

Carmen en Eve © Stofleth

Carmen gagne-t-elle en légitimité, en richesse, en épaisseur par rapport à une vision traditionnelle de l’œuvre de Bizet.  Pas sûr. Pas sûr non plus que toute cette machinerie, qui distrait le regard et satisfait l’amateur de “spectacle” soit une aide à se concentrer sur la problématique. Ce serait plutôt un facteur de dilution menant à voir le monde comme représentation ou comme apparence, et faire du personnage de Carmen un objet en vitrine, comme on le voit au-dessus de la billetterie du « Paradis perdu » ou une icône de femme fatale, une Lulu bis, entourée d’animaux d’une ménagerie à la Jérôme Bosch ou apparaissant comme

Carmen en Eve (2)© Stofleth

l’Eve de Cranach lorsqu’elle chante la Habanera, un serpent vivant autour du cou et assise sur un Léopard…
Olivier Py est un artiste, et il a donc des idées séduisantes, il sait organiser une scène: belle idée que le “doudou” rouge tenu par Don José, témoignage de l’amour de Carmen (à la place de la rose), dont le même se retrouve tenu par Escamillo au troisième acte : lorsque chacun exhibe son doudou rouge, l’effet est garanti.
Le traitement de Micaela, qui n’est pas non plus la frêle jeune fille de la tradition est digne d’intérêt : comme chez Calixto Bieito, leur baiser est loin d’être chaste. La scène du duo « parle-moi de ma mère » du premier acte  est d’ailleurs remarquablement réglée: Don José, troublé par des apparitions périodiques de Carmen qui l’aimantent  disparaît sans cesse dans les bras de la bohémienne à l’insu de la jeune fille;  c’est l’un des moments forts de la production.
Au total, je n’ai pas vu dans cette production  d’une qualité incontestable une vision si novatrice de Carmen. Py  se laisse aller à occuper l’espace de manière certes très acrobatique, sans laisser de répit au spectateur, mais sans non plus le surprendre. Une fois comprises les intentions et les principes du spectacle on toucherait presque (je dis bien presque) aux rives de l’attendu, voire de l’ennui. Certes, la surprise de l’image finale, où après sa mort, Carmen se relève dès que le rideau du « Paradis perdu » est baissé, devant un Don José interdit…tout n’était que fiction : faut-il donc croire à Carmen ? Le personnage à la fois frais et joyeux de Berganza dans la  production légendaire de Piero Faggioni à Edimbourg (1977), puis à Paris en 1980 (à la Scala en 1984-85, ce furent Verrett et Baltsa) m’est apparu soudain bien plus profond, bien plus riche de potentialités, bien plus vrai. Cette Carmen de Py est pour moi plus un exercice de style qu’un spectacle de référence. Je sens plus de maniérisme que de philosophie, plus d’affectation que de tripe.
Musicalement, nous n’y sommes pas non plus, et c’est sans doute encore plus délicat. Choisir un  chef et une Carmen venus du répertoire baroque a une signification réelle quant au rôle de la musique dans l’économie du spectacle. José Maria Lo Monaco est une Carmen dotée de beaux graves profonds, mais sans aigus et sans volume ; ajoutez à cela un vrai problème de diction (français totalement incompréhensible) et vous aurez les raisons qui font qu’on ne peut donner vraiment crédit à l’opéra de Lyon de ce choix, même si le dernier acte et le duo avec Don José est très bien mené et tenu, et même si l’artiste a une splendide présence scénique, elle est carrément inaudible dans les ensembles et devient opaque dès qu’elle monte à l’aigu . Les réserves de cette voix sont faibles, et les morceaux de bravoure passent un peu dans l’indifférence du public qui a du mal à applaudir.

Carmen et Don José © Stofleth

Yonghoon Lee est un Don José vocalement crédible, joli timbre sombre, très méditerranéen, puissance,  diction relativement bonne. Mais reste des problèmes de calibrage : dans une salle comme Lyon, aux dimensions relativement réduites, la voix part avec une puissance mal contrôlée quelquefois, alors qu’à d’autre moments on l’impression qu’elle n’est pas bien projetée  (notamment dans le registre central) avec des difficultés à chanter piano et à colorer (l’artiste est habitué aux rôles verdiens lourds) assez gênantes dans ce rôle qui demande beaucoup de contrôle et un art consommé de la modulation. Bref, il n’a pas vraiment le style, même s’il en a le volume et le format. Il reste que c’est un bel artiste et une voix de ténor à exploiter dans d’autres répertoires.
L’Escamillo de Giorgio Caoduro a un peu les mêmes problèmes que José Maria Lo Monaco : Escamillo doit avoir dans la voix cette « mâle assurance » et ce brillant superficiel exigé par le rôle. Ruggero Raimondi excellait dans cette composition. Ici, même si le timbre est agréable, la voix manque de volume et la montée à l’aigu est difficile : la gorge se resserre systématiquement au lieu de s’ouvrir. Le registre central est maîtrisé, le reste manque vraiment de technique.
Évidemment, seule française des quatre protagonistes, Nathalie Manfrino n’a pas de mal à triompher du texte (l’Opéra de Lyon aurait peut-être pu trouver en France une ou deux voix françaises aussi bien adaptées aux rôles que la distribution définitive arrêtée) : elle remplace Sophie Marin Degor prévue initialement et se sort du rôle de manière contrastée, mais honorable globalement. Le timbre est joli, très clair, elle sait colorer, mais au premier acte les aigus sont systématiquement courts : elle n’est pas aidée par une direction musicale très galopante qui laisse peu de souffle aux chanteurs. A l’inverse, son air du 3ème acte « je dis que rien ne m’épouvante » est beaucoup mieux dominé, plus intense, plus vibrant. Elle obtient le plus gros succès de la soirée, et c’est mérité.
Les autres rôles sont très correctement distribués et tenus : le Dancaïre (Christophe Gay) et le Remendado (Carl Ghazarossian) qui se travestissent dès le 2ème acte jusqu’à la fin (pour les besoins de la contrebande), donnent un vrai rythme au quintette, qui est réalisé dans un décor sur trois niveaux, les chanteurs passant de l’un à l’autre, ce qui ne facilite pas l’exactitude métronomique demandée pour sa réalisation ; les choses se passent avec bonheur cependant grâce à la Frasquita d’Elena Galitskaya et la jolie Mercedes d’Angélique Noldus, qui font un excellent trio des cartes, très bien réglé par la mise en scène d’ailleurs, encore sur plusieurs niveaux,
La direction musicale de Stefano Montanari est animée, très novatrice, et produit des sons inhabituels dans Carmen, avec des effets syncopés: longs silences, notes tenues très marquées, à l’orchestre, au chœur et chez les chanteurs, mais aussi rythme haletant, très sec (coups de timbales sourds par exemple), mais aussi son des cordes assez retenu, qui donne une couleur particulière de course à l’abîme, et qui laisse peu de respiration aux voix. Le résultat est quand même très séduisant, on n’a pas le relief sonore habituel, mais on a une incroyable énergie et une belle vitalité . Je crois d’ailleurs que et Py et Montanari voulaient un son qui puisse trancher avec l’habitude, et soit le moins « XIXème bourgeois » possible. Stefano Montanari qu’on connaît pour le répertoire baroque, surtout pour ses qualités de musicien chambriste et pour ses beaux Mozart à Lyon propose donc une Carmen un peu « ailleurs », et ce n’est pas  désagréable: c’est pour moi le plus convaincant de la soirée. Le chœur dirigé par Alan Woodbridge suit cette pente, avec bonheur là aussi.
A une semaine de distance, j’ai ainsi vu deux productions importantes de Carmen parties de deux présupposés différents. Bieito en fait une « espagnolade moderne » en prenant à rebours les clichés sur l’Espagne et les gitans et en proposant une fête sensuelle, Py offre la représentation du mythe dans une sorte de vision en abyme où le personnage de Carmen perd finalement en substance, devenant une icône plus qu’un personnage et où à chacun est assigné un rôle dans la clownerie de la vie. Mais l’éternelle histoire de Carmen rattrape la fiction dans la fiction qu’on a voulu construire et les troisième et quatrième actes, même présentés comme des représentations de revue, restent les plus directement intenses, et les plus” vrais”, comme si la réalité de l’histoire originelle dépassait la fiction de Py, ou que le théâtre était la vie : mais on en est depuis longtemps convaincu.
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Troisième acte © Stofleth

OPERA DE LYON 2010-2011 : FESTIVAL MOZART le 31 mars 2011 – LE NOZZE DI FIGARO DE W.A.MOZART (Dir.mus: Stefano MONTANARI, Ms en scène: Adrian NOBLE)

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Après Pouchkine, Mozart. Belle idée de Serge Dorny que de proposer en un mois les trois opéras de Mozart-Da Ponte en puisant dans le répertoire de l’opéra de Lyon  les productions montées les saisons précédentes, et en affichant une sorte de “troupe Mozart” composée de chanteurs qui dans  leur majorité participent aux trois productions, toutes trois signées Adrian Noble, comme les Pouchkine-Tchaïkovski étaient signées Peter Stein. Le résultat, des coûts contenus (ce sont des reprises) et une affluence de public pour un événement bien médiatisé.

La production des Noces de Figaro remonte à 2007, et la direction musicale en avait été confiée à William Christie et Jérémie Rhorer: c’est dire que Serge Dorny avait voulu donner une couleur nettement “baroque” à la lecture musicale, et l’appel à Stefano Montanari cette année confirme cette entrée.

montanari.1301737229.jpgJe connaissais Stefano Montanari comme violoniste qui fait partie de ces musiciens italiens qui depuis une quinzaine d’années essaient d’imposer dans la péninsule et en Europe une  interprétation “italienne” de la musique baroque, dans la lignée des Rinaldo Alessandrini,  Giovanni Antonini, ou Ottavio Dantone, avec qui il a travaillé comme premier violon de l’Accademia Bizantina. Il a désormais aussi une activité de chef d’orchestre, et son approche, à la fois très dynamique, mais aussi très sèche donne à l’ensemble du spectacle un côté haletant d’une folle journée très tendue, pas toujours tendre, mais en tous cas tourbillonnante. Sans doute les moments plus lyriques, ou mélancoliques en pâtissent-ils un peu (Air de Suzanne du dernier acte “Deh vieni non tardar” , ou les deux airs de la comtesse, et notamment le second “Dove sono” et même le fameux “Voi che sapete”de Chérubin).

a3.1301735842.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Il est vrai aussi que les voix choisies participent de ce parti pris qui valorise l’urgence, la sève et le désir, et moins la tendresse: elles sont souvent un peu froides (c’est frappant pour la comtesse de Helena Juntunen, très crédible en scène, très engagée, belle femme et belle actrice, moins marquée dans l’émotion: il est vrai que la mise en scène accentue le poids des désirs interdits plus que celui des coeurs meurtris), c’est aussi le cas de la Susanna de la jeune roumaine Valentina Farcas, très pétillante et juste sur scène, très entraînante, et particulièrement belle actrice, mais la voix est petite pour mon goût et pas suffisamment large pour Susanna: ce qui frappe chez les grandes Susanna (Lucia Popp par exemple) c’est à la fois l’aisance dans l’aigu, mais aussi une pâte vocale plus épaisse qui donne de la consistance à un air comme “deh vieni non tardar”. Ici, on a les aigus, incontestablement (Valentina Farcas chante Blonde dans Clemenza di Tito, ou Zerbinette d’Ariane à Naxos), mais la voix manque d’un peu de corps: au total là aussi l’impression de froideur domine celle de tendresse.
a2b.1301735834.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Le Cherubino de Tove Dahlberg est sans doute scéniquement l’un des plus justes que j’ai jamais vus, vraiment l’apprenti Comte qu’on attend, une fripouille qui sait à la fois exciter le désir et se faire pardonner. Dans le monde d’Adrian Noble, personne n’est tout à fait blanc ni tout à fait noir. Déjà dans la distribution de 2007,Tove Dahlberg confirme ici ses qualités. Mais là encore, la tendresse qu’on attendrait dans “Non so piu’ cosa son..” ou dans le “Voi che sapete..” laisse place à une sorte d’expression du désir qui sort par tous les pores et qui emporte tout. Le personnage rappelle beaucoup le Cherubino magnifique de Christine Schäfer dans la production de Christoph Marthaler à Salzbourg et Paris, mais Chistine Schäfer réussissait peut-être mieux à émouvoir et à rendre vocalement l’ambiguité et la complexité du personnage que Tove Dahlberg ici rend parfaitement, mais plus scéniquement que vocalement. On dit souvent que le rôle de Barberine est plus difficile qu’il n’y paraît et que son air minuscule du début de l’acte IV (L’ho perduta …me meschina) annonce une future Susanna. L’intensité de Elena Galitskaia dans cet air est vraiment étonnante, et la couleur de la voix annonce incontestablement une possible Susanna. Joli moment. Enfin Adrian Noble a présenté le couple Marzellina-Bartolo comme moins “vieux”, moins “barbons” que d’habitude. Bartolo est une sorte de vieux beau, et Marzellina a la cinquantaine énergique, vaguement ridicule avec ses cheveux roux, une sorte de vieille secrétaire des films américains. Il est dommage que son air du quatrième acte “Il capro e la capretta” appel à la solidarité féminine ait été coupé (tout comme l’air de Basilio “In quegl’anni”), mais la toute jeune Agnes Selma Weiland, qui appartient encore je crois à l’opéra Studio du théâtre de Brème, donne un vrai relief au personnage et en même temps une vraie fraîcheur, ce qui est paradoxal quand on pense à Marzellina, même si je garde une grande tendresse pour les compositions de Sophie Pondjiclis dans ce rôle où elle a incontestablement marqué les années 90 et le début des années 2000 (voir la production de René Jacobs au Théâtre des Champs Elysées).
Du côté des hommes, Bartolo surprend dans une production où le personnage n’est pas le ridicule habituel, il est confié à Andreas Bauer, basse en troupe à la Staatsoper de Berlin, qui donne relief et assise au personnage. On aime à retrouver Jean-Paul Fouchécourt dans un rôle de composition comme Basilio (lui qui fut inoubliable dans Platée). Fouchécourt est en train de prendre les rôles dans lesquels le grand Michel Sénéchal brilla naguère. Le comte de Rudolf Rosen en revanche déçoit un peu. Il est incontestablement le personnage dont l’entrée en scène ouvrant sa robe de chambre (il est en caleçon dessous) devant Susanna est une des idées les plus désopilantes et justes de la mise en scène, mais la voix manque de ductilité notamment dans son air du troisième acte “Hai già vinto la causa” où les vocalises finales manquent de souplesse et sont sérieusement “savonnées”, manque de projection aussi, et donc manque de relief. Dommage, car le personnage est très juste scéniquement.

a3c.1301735854.jpg© Jaime Roque de la Cruz

Ce n’est pas le cas du Figaro de Vito Priante, seul italien d’une distribution très germano-nordique, impeccable scéniquement et à la voix chaude, chaleureuse, bien posée, à la diction et à l’émission parfaites: un vrai Figaro, et sans doute un chanteur d’avenir. A noter que beaucoup ajoutent à leurs airs des cadences, pas toujours réussies pour mon goût mais qui ont le mérite de mieux inscrire l’œuvre dans son époque: quand j’ai commencé à aller à l’opéra, on n’entendait jamais de cadences dans les opéras de Mozart et notamment dans les Noces, elles ont commencé à apparaître sur scène dans les années 90, et c’est heureux, cela donne de la variété et de l’invention et cela ne fige pas la partition.
Tous ces artistes sont très engagés dans la mise en scène d’Adrian Noble, dont ils épousent parfaitement les demandes. Adrian Noble a situé sa trilogie aux USA, qui, dit-il, sont aujourd’hui l’Empire qu’était l’Empire d’Autriche à l’époque de Mozart, ainsi Cosi’ fan tutte est situé en Californie et Don Giovanni à Little Italy (Peter Sellars avait d’ailleurs déjà eu il y a  trente ans la même idée, alors révolutionnaire). En balayant la Trilogie de Da Ponte, Adrian Noble balaie la société américaine, et il situe ses Noces à Washington, à l’ombre de la Maison Blanche (on pense irresistiblement à l’affaire Monica Lewinski-Bill Clinton), le Comte est d’ailleurs à son entrée accompagné d’un garde en grand uniforme américain. Ce monde est très léger, très transparent (en suspension au dessus du plateau au premier acte les tables de mariage du troisième acte et les chaises), et sens dessus-dessous (les personnages marchent sur des plafonds à la Tiepolo) on voit aussi ce qui se passe dans le cagibi du second acte où est enfermé Cherubino puis Susanna, Cette transparence est en quelque sorte une gageure dans une œuvre où comme celle de Beaumarchais, les objets sont nombreux,envahissants, omniprésents et totalement indispensables au déroulement de l’intrigue: ainsi du fauteuil du premier acte apporté en scène en grande pompe. J’ai trouvé les deux premiers actes mieux réglés que les deux derniers.

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Le troisième acte est cependant, assez banal, plus illustratif qu’explicatif, seul moment où l’espace, envahi par les tables du banquet de mariage, est totalement (et volontairement?) contraint. Quant au quatrième acte, dans ce très beau décor de bosquets-nuages et ce bassin central au bord et dans lequel se roulent les personnages, on a besoin d’une très grande clarté des mouvements (qui est qui? qui est où? qui passe? qui reste?) tant c’est un ballet d’ombres. Ici, les choses ne sont pas réglées clairement et j’avoue avoir encore (et toujours) en référence la mise en scène de Strehler, qui maîtrisait (qui maîtrise, on la verra encore à Paris en fin de saison) tellement bien les entrées et les sorties, les passages, que tout était clair et identifiable en un ballet à la fois désopilant et poétique. On n’a rien fait de mieux depuis en matière de réglage de ce quatrième acte (peut être Jonathan Miller avec Abbado à Vienne et Ferrare?).

Il reste que dans l’ensemble on a là une production virevoltante, qui rend justice à cette folie voulue par Mozart, tant musicale (avec une direction rapide, énergique, contrastée) que scénique et une compagnie homogène, qui fait a fait finir dans la joie et l’enthousiasme ce Festival Mozart tout à l’honneur de l’Opéra de Lyon.

Quelques remarques complémentaires: une fois de plus, et peut-être encore plus que d’habitude, le théâtre était rempli de jeunes ce qui a fait craindre à certains spectateurs voisins une certaine agitation: rien de tout cela, je regardais çà et là les visages de ces jeunes, ils étaient captivés et souriants, un peu comme ce merveilleux visage qu’on voyait dans la “Flûte enchantée” de Bergman. “Lycéens et apprentis à l’Opéra” fait un magnifique travail grâce à la région Rhône Alpes, il faut le dire et le répéter sans cesse: c’est pour moi la meilleure manière de faire approcher l’opéra aux jeunes générations, en les confrontant à des productions de qualité, et à un répertoire riche et diversifié.
Ensuite, et cette remarque m’est plus personnelle, Le Nozze di Figaro, c’est mon opéra préféré de la trilogie Da Ponte, sans doute parce que ce fut mon premier opéra de Mozart (dans la mise en scène de Strehler, une chance inouïe donnée au jeune que j’étais en 1974), sans doute parce que j’ai toujours adoré le deuxième acte, et notamment sa seconde moitié, qui respire rien que par la musique, pendant 20 minutes sans récitatifs (une première, comme il est dit dans le film Amadeus de Milos Forman), une musique étourdissante qui épouse le théâtre, les mouvements et les cœurs, qui épouse la vie.