LUCERNE FESTIVAL 2010: Daniel HARDING dirige le MAHLER CHAMBER ORCHESTRA le 21 août 2010 (ELIAS, de Mendelssohn, avec Thomas QUASTHOFF, répétition générale)

Elias, de Felix Mendelssohn, n’est pas exactement une rareté, mais n’est pas exécuté régulièrement. c’est une très belle oeuvre, à la musique généreuse, où l’on entend à la fois des souvenirs de Haendel, de Bach bien sûr, et de Weber aussi mais que l’on sent aussi être la source d’inspirations postérieures. C’est une oeuvre au fort accent romantique, en deux parties, l’une à l’action plutôt dramatique, l’autre plus intériorisée. Elle est interprété par un bariton basse (Elias), un ténor, un soprano, un mezzo-soprano, et dans le choeur, huit solistes (quatre hommes, quatre femmes).L’histoire, tirée de l’Ancien Testament (Livre des Rois), raconte l’histoire d’Élie, qui menace son peuple de la sécheresse puisqu’il s’est détourné de l’Eternel et s’est remis à adorer les idoles. Le sacrifice d’un taureau va déterminer qui est le vrai Dieu, Baal ou Yaveh. Elie déchaîne le feu du ciel et le peuple reconnaît en l’Eternel le vrai Dieu, qui envoie la pluie. Dans la deuxième partie Élie est condamné à mort par la Reine, maison l’isole dans la montagne où il attend Dieu avec confiance, puis est aspiré vers le ciel dans un char de Feu.

J’ai entendu la répétition générale, enregistrée pour un disque, interprétée par Thomas Quasthoff, Michael Schade, Bernarda Fink, Julia Kleiter, l’extraordinaire Choeur de la Radio Suédoise, et le Mahler Chamber Orchestradirigé par Daniel Harding. Ce fut un vrai beau moment de musique. Daniel Harding a traversé une période difficile, et il m’est apparu plus sûr, avec un geste moins nerveux, cherchant une expression plus lyrique, plus ronde, moins rapide et moins tranchante que dans d’autres occasions. Il en résulte une pâte orchestrale superbe, une vraie osmose avec le choeur et les chanteurs, et un remarquable travail sur la couleur. Certes, ayant entendu le même orchestre (fondu dans le Lucerne Festival Orchestra) la veille, on reste étonné devant la différence d’épaisseur sonore, et même de clarté. Il reste que l’orchestre a été remarquable de bout en bout.

On reste éberlué par la qualité du choeur, dans les ensembles et dans les parties solistes, les quatre femmes notamment sont étonnantes, et les voix ont une qualité de voix solistes, et non de voix choristes. On connaît l’excellence de cette phalange, qu’Abbado a souvent dirigée aussi, et même si cette prestation merveilleuse est attendue de leur part, la surprise est toujours au rendez-vous. les quatre voix solistes sont remarquables elles aussi. Bernarda Fink chante sans jamais forcer, avec un naturel confondant, et une simplicité qui laisse tout décoratif pour aller à l’essentiel. Magnifique la prestation de Julia Kleiter, qui je dois le dire m’a étonné. je la considérais une bonne chanteuse, mais sans rien de particulier. Elle réussit à être , intense, lyrique: son “Höre Israel”, air d’entrée de la deuxième partie, est profondément émouvant et particulièrement réussi. Le ténore Michael Schade est comme toujours impeccable (il est Abdias), mais comme toujours aussi, un tantinet froid, et pas toujours vraiment expressif. Face à lui, le magnifique Élie de Thomas Quasthoff, à la voix chaude, parfaitement posée dans « Herr Gott Abrahams », un peu plus en difficulté dans les aigus et les vocalises de « Ist nicht des Herrn Wort wie ein Feuer », et particulièrement adapté à la toute la deuxième partie, splendide. Il reste que Thomas Quasthoff, peut-être fatigué, ne nous est pas apparu aussi sûr que dans d’autres concerts. Il est vrai aussi que la partie est redoutable, et que le rôle d’Élie est presque un rôle d’Opéra.

En conclusion, une très belle répétition générale qui a, je le sais, tenu ses promesses en concert.  Il reste à se procurer le disque, qui sortira dans les prochains mois: il vaudra sûrement le coup.

IN MEMORIAM CHRISTOPH SCHLINGENSIEF

transformphp.1282484185.jpgPhoto prise sur le site de la Staatsoper de Berlin

On le savait très malade, mais il était encore plein de projets et devait mettre en scène une création mondiale pour le Staatsoper de Berlin cet automne (Metanoia de Jens Joneleit, direction Daniel Barenboim). Christoph Schlingensief est mort hier, au termes de grandes souffrances et d’un long cancer du poumon qui a fini par le vaincre, par vaincre cet esprit libre, bouillonnant, amoureux de la vie, d’un courage exceptionnel ces dernières années.
C’est un grand du théâtre allemand qui disparaît. De la scène théâtrale et de la scène artistique, tant ses productions étaient souvent proches de la performance: les musées d’ailleurs faisaient aussi appel à lui. Passionné par l’Afrique, il travaillait en lien notamment avec le Burkina Faso et s’inspirait dans ses spectacles de l’art africain ou de la tradition africaine.
On le connaît peu en France, son style de travail ne correspond absolument pas à ce qu’on aime chez nous, ou du moins il n’était sans doute pas très lié aux cercles français de théâtre. J’ai vu pour ma part un seul de ses travaux, la fameuse mise en scène de Parsifal, au Festival de Bayreuth, en 2002, dirigée par Pierre Boulez pendant deux ans, puis par Adam Fischer pendant deux autres années. J’avais aimé ce spectacle, foisonnant, multiple, excessif, très intellectuel (trop?), qui m’a obligé à lire beaucoup, à me plonger dans Joseph Beuys et son oeuvre, et dans l’univers de Schlingensief, à travers son remarquable site internet http://www.schlingensief.com/start.php

Pierre Boulez m’avait dit de lui “mieux vaut avoir trop d’idées que pas assez “. En effet, son Parsifal était en fait, à travers le déroulement de l’oeuvre, une réflexion sur le religieux  et sur les idées que Wagner lui-même y avait introduit, une sorte de christianisme mâtiné d’Orient, que Schlingensief avait coloré aussi d’Afrique, à travers une lecture très originale  de la céremonie du Graal vue comme l’expression des forces les plus primitives et les plus animales et animistes du monde. Cette mise en scène avait agacé le public, beaucoup l’avaient carrément refusée, partant en cours de représentation. Elle bénéficiait au départ de l’extraordinaire direction de Pierre Boulez, et je dois dire que certaines scènes, notamment au premier et au troisième acte, m’avaient impressionné. le deuxième acte, plus “théâtral”, est toujours resté la partie plus faible du spectacle.
Il est sûr que l’on pouvait être dérouté par ces visions mêlant cinéma, art, performance, chant, musique, et que la compréhension était loin d’être immédiate, même si le travail n’avait rien d’une provocation gratuite, et était éminemment sérieux, motivé, intelligent, mais déroutant, échevelé,  inhabituel, alignant les idées les unes derrière les autres. En tous cas, son Parsifal m’a tant marqué que j’ai suivi ensuite régulièrement  son travail, et que je lisais son site avec beaucoup d’intérêt.

Il part deux mois avant son cinquantième anniversaire (24 octobre 1960-21 août 2010). Peu de gens l’auront connu en France et c’est très dommage. Il était un grand témoin de la vitalité de la scène allemande, discutable, discuté, passionnant. Bravo, bravo, bravo.

LUCERNE FESTIVAL 2010: Claudio ABBADO dirige le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 20 et 21 août 2010 (MAHLER: Symphonie n°9)


Comment décrire l’indicible ? Comment rendre compte avec des termes ordinaires de ce qui est de l’ordre de l’extraordinaire, de l’inexplicable, de l’expérience unique. Voici les mots qui pleuvaient de toutes parts à la sortie du concert, indicible…déchirant…incroyable…insoutenable. Insoutenable, oui, je pense que le terme est juste, comme ce silence qui clôt la symphonie, quand les notes s’égrènent, de plus en plus tenues, pour ne devenir qu’un souffle de son qui expire, et qui se terminent par un silence, écrit dans la partition, et qui a duré bien plus d’une minute en tenant en haleine le public, qui ne bougeait pas, puis remué par quelque mouvement (bonbons, toux) puis de nouveau plongé dans un silence de plomb, et Claudio Abbado, immobile, tendu dans une salle dont l’intensité de l’éclairage avait été abaissée.
Cette tension extrême a été suivie d’une ovation rare : près de 25 minutes debout, le public a continué d’applaudir avec une chaleur et une force inouïe, pour exploser et hurler lorsque, l’orchestre sorti, Claudio Abbado est apparu, seul, face au public en délire. Quant à moi, totalement bouleversé, défait, en larmes pendant tout le quatrième mouvement, de ces larmes qui coulent sans qu’on sache pourquoi, j’ai mis plus d’une demi-heure à retrouver raison. On ne peut aborder ce concert que par l’émotion, de cette émotion qui se crée à partir d’une succession d’étonnements qui conduisent à ne plus tenir compte de telle ou telle question technique, de telle ou telle erreur, mais qui arrivent à créer une totale fascination devant ce monument qui est en lui-même un monument dédié à l’émotion et écrit dans l’émotion.

Dernière symphonie de Mahler complètement terminée (de la dixième il reste l’adagio, et une version reconstituée – et donc discutée- de Deryck Cooke), la neuvième est le reflet d’une âme déchirée entre le monde qui l’appelle encore et l’au-delà vers lequel elle est irrémédiablement entraînée. Le ton est particulièrement mélancolique, la musique exprime à la fois résistance et résignation, mais les deux mouvements centraux, puisent leur source dans la musique populaire (le Ländler et la valse pour le deuxième mouvement) et le troisième est un rondo burlesque « obstiné », qui vire au grinçant qui rappelle un peu la septième symphonie et beaucoup le Wozzeck de Berg, pour se terminer en une danse macabre étourdissante. Le premier mouvement et le quatrième, mouvements plutôt lents qui entourent de manière inhabituelle deux mouvements rapides,  n’ont au contraire rien d’ironique, et si le quatrième est un long lamento qui s’apparente aux adagios de la 3ème, 4ème et de la 6ème, le premier est l’expression la plus haute et la plus déchirante de la nostalgie du monde. Du regard nostalgique à la résignation et au départ du monde : ici Mahler essaie de nouveau de montrer musicalement ce qu’il a dit ailleurs dans les Rückert-Lieder : « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (« j’ai été ôté du monde »). La neuvième est bien la plus douloureuse de ses œuvres, celle où le thème de l’adieu, du mourir, mais aussi du regard attendri et amoureux du monde, se fait le plus fort.
Au service de ce programme, le Lucerne Festival Orchestra a fait preuve d’un engagement inouï : on se souviendra bien sûr des premières mesures, ces notes en écho à peine effleurées, ces discrets appels qui semblent un peu désordonnés, puis la harpe, et les vents, qui aboutissent à l’exposé du thème mélodique aux cordes déjà déchirant, on se souviendra aussi des interventions extraordinaires de la harpe de Marie-Pierre Langlamet (des Berliner Philharmoniker), de celles de Reinhold Friedrich, et de tous les cuivres ; les vents sont proprement étourdissants : Jacques Zoon à la flûte et Sabine Meyer à la clarinette, et l’incroyable hautbois de Lucas Macias Navarro (Concertgebouw), que Claudio Abbado est allé féliciter à la fin. On a encore en tête le final diabolique du troisième mouvement, mené justement à un train d’enfer ; au quatrième mouvement, on a encore dans le cœur le dialogue bouleversant du violon de Kolja Blacher et de l’alto de Wolfram Christ, qui se répondent, comme des sons baudelairiens, en correspondance, et le violoncelle solo de Jens Peter Maintz. Les cordes suivent presque en symbiose la main gauche dansante d’Abbado, on a l’impression que les corps même traduisent par leur mouvement la volonté du chef, ou mieux, qu’il y a traduction simultanée en geste et en son, de cette main gauche d’une élégance unique. Le son est comme toujours d’une clarté cristalline et d’un grand raffinement, on entend tout, chaque instrument, chaque volume sonore, chaque rythme d’autant mieux dans cette salle à l’acoustique ingrate pour les voix, mais si somptueuse pour les orchestres. Les musiciens sont capables de sons filés jusqu’à la limite de l’audible, l’ensemble des violoncelles et des contrebasses est proprement ahurissant.

Le Lucerne Festival Orchestra est-il l’orchestre le meilleur du monde comme le dit la presse italienne ? je ne sais, car c’est une phalange tellement « subjective », tellement dédiée à son chef, que l’on ne peut préjuger de ce qu’elle ferait avec un autre chef (encore que la troisième de Mahler, avec Boulez remplaçant Abbado, à New York fut un autre miracle), ou si elle jouait aussi régulièrement qu’un autre orchestre.  Ici chaque concert est un moment, un événement : quel privilège de jouer seulement cinq ou six fois l’année,  parce qu’on en a envie, et avec un chef de prédilection ! C’est pourquoi il faut l’avoir écouté au moins une fois, comme une flaque d’éternité.
Il n’y a rien à conclure: nous avons vécu un pur moment de poésie, d’une intensité presque surnaturelle, si bien qu’il ne reste plus qu’à attendre évidemment avec impatience le second concert, demain,et à conseiller aux mélomanes parisiens (et les autres) de se mettre illico en quête de places restantes pour le 20 octobre prochain.

21 août 2010

Le concert qui s’est terminé dans les mêmes conditions délirantes que la veille, était pourtant très différent: techniquement supérieur (aucune erreur des vents, cors parfaits), il était pris sur un tempo plus rapide (environ cinq minutes de moins), c’était visible dès le premier mouvement (plus agressif que la veille) et surtout au quatrième. Le troisième a été littéralement ahurissant,  les dernières mesures incroyables de précision et de vélocité. La fin du quatrième mouvement a réussi à nous étonner encore, avec des sons si ténus qu’on se demande comment on les peut entendre encore. Dans l’ensemble, et pour conclure,  disons que si hier l’émotion primait, ce soir c’était l’intellect, hier l’âme, ce soir l’esprit. Mais l’expérience est de toute manière inoubliable.

 

LUCERNE FESTIVAL 2010: quelques considérations sur la “manière” Claudio ABBADO.

Le concept qui soutient le travail de Claudio Abbado avec ses musiciens est “Zusammenmusizieren”, faire de la musique ensemble: c’est un concept qui assimile le travail d’orchestre au travail de  musique de chambre. Chaque musicien doit à la fois avoir le sentiment de faire partie d’un ensemble, d’avoir son propre rôle à jouer et d’écouter les autres. Un des gestes fréquents de Claudio Abbado est de montrer les liens entre les pupitres, les systèmes d’écho et surtout, d’un signe discret, montrer à l’un ce que joue l’autre. L’habitude de jouer ensemble est le ciment qui construit le son “Abbado”.
Il y a une dizaine d’années, il renonça à diriger à Salzbourg Cosi fan Tutte et Tristan und Isolde, parce que l’orchestre, les Wiener Philharmoniker, ont coutume à Salzbourg, comme ils le font normalement à l’Opéra de Vienne, de changer les titulaires de pupitres entre deux représentations, ou deux répétitions, pour des raisons d’orgnanisation (repos, autres concerts etc..), ce qui fait que le chef n’a pas toujours le même ensemble en face de lui. Les Wiener sont des musiciens hors pair, et ils considèrent que cela n’a pas d’importance face au rendu définitif, vu qu’ils connaissent tous parfaitement les partitions qu’ils jouent et qu’ils se transmettent les instructions du chef. Or, Abbado voulait pour chaque opéra avoir en face de lui les mêmes musiciens. Les négociations échouèrent.
Effectivement le concept “Zusammenmusizieren” ne tient que si l’on a en face de soi la même équipe autour de la même oeuvre. Faire de la musique ensemble, c’est d’abord être ensemble, puis travailler ensemble en s’écoutant les uns les autres, et participer au travail commun. Ce qui frappe dans les répétitions de Claudio Abbado, c’est l’ambiance à la fois concentrée et détendue, et la participation des éléments singuliers au travail de tous, suggestions, discussions sont relativement fréquentes.
On a beaucoup discuté par le passé l’attitude de Claudio Abbado en répétition, et certains musiciens avaient l’impression de “ne rien faire”, de “perdre leur temps” car au contraire d’autres chefs, Abbado n’explique rien. Il n’est pas le maître, le Maestro (il déteste qu’on l’appelle ainsi), il se comporte plutôt en “primus inter pares”. C’est ainsi au fond qu’il se présenta aux Berliner Philharmoniker lorsqu’il en prit la direction: faire de la musique ensemble c’est être ensemble, sans qu’il y ait un chef et des exécutants, mais bien un groupe de musiciens autour d’une oeuvre et non autour d’un chef. Habitués à Karajan, certains des berlinois eurent quelque difficulté à s’adapter, et cela créa quelques problèmes. D’autres chefs imposent un style une manière de faire, interrompent tout le temps l’exécution pour parler, expliquer, indiquer. Les musiciens alors exécutent les volontés du chef qu’ils ont en face d’eux qui a des idées sur l’oeuvre: l’orchestre est alors un immense instrument au service d’une conception ou d’un individu. A cela s’ajoute que les musiciens des grands orchestres, à force de jouer certaines oeuvres, ont une manière de jouer et des habitudes qui se standardisent et tout cela ne cadre pas du tout avec la manière dont Claudio Abbado aborde les oeuvres, toujours d’un oeil neuf: quand il propose de jouer telle ou telle symphonie de Mahler, c’est qu’il a relu la partition, qu’il a eu de nouvelles idées, qu’il l’entend ou la voit autrement: effectivement Abbado est pour moi, un musicien toujours neuf, qui dit toujours quelque chose de nouveau, parce qu’il met toute sa sensibilité au service de la musique. Ainsi peut-on aussi comprendre sa volonté de travailler avce les jeunes: les jeunes n’ont aucune tradition derrière eux, sinon celle qu’on leur a inculqué dans leur formation, mais ils n’ont aucune pratique d’orchestre qui prédéterminerait leur approche. Et Abbado ne les “modèle” pas, il les laisse jouer, il les fait jouer, et il leur apprend à écouter, à s’écouter, à comprendre comment cela fonctionne, sans aucun autoritarisme, mais avec une autorité et une aura sans égales. D’où évidemment l’enthousiasme dont il est entouré. Certains orchestres ont pris cette attitude comme de la faiblesse, et pour un manque d’autorité, d’où des bavardages et un manque de concentration. On se rappelle comment il dénonça violemment sur l’antenne de France Musique, les musiciens de l’Opéra de Paris lors du Simon Boccanegra qu’il dirigea pendant l’ère Liebermann: il ne dirigea plus aucun orchestre français depuis.

On comprend aussi mieux qu’il n’ait pas prolongé son mandat à la tête des Berliner Philharmoniker. N’ayant plus rien à prouver, contraint de travailler en fonction d’une saison, d’un programme, d’un même orchestre, il s’est sans doute découvert une soif d’autonomie et de liberté alimentées par la perspective de la fondation d’un orchestre comme le Lucerne Festival Orchestra, fait d’amis, de musiciens choisis avec lesquels il avait l’habitude de travailler, ou qu’il avait accompagnés depuis leur jeunesse (comme ceux du Mahler Chamber Orchestra).
Ce qui caractérise l’activité d’Abbado depuis 2002, c’est justement cette volonté de travailler avec les jeunes (l’orchestre des jeunes Simon Bolivar du Venezuela avec lesquels il entretient un incroyable rapport affectif) ou avec des musiciens choisis (c’est le cas de Lucerne, du Mahler Chamber et de son dernier né, l’orchestre Mozart); il a ainsi en face de lui des artistes qui ont l’habitude de jouer avec lui, qui sentent ce qu’il veut, avec une sorte de compréhension à fleur de peau (regards, petits gestes, sourires)où la parole ne rajoute rien. Abbado parle peu en répétition: en répétition on joue, on s’écoute, et les choses se mettent presque “naturellement” en place. Quelquefois, Abbado va discuter avec l’un ou l’autre, donner quelques indications individuelles, mais cela reste très ponctuel. Au total, les musiciens qui viennent pour lui (à Lucerne par exemple), jouent aussi pour lui et se donnent complètement à l’oeuvre. Bien des concerts des dernières années à Berlin, et notamment ceux des toutes dernières saisons eurent cette couleur si particulière qui procura des moments d’exception. Abbado, oserais-je dire, est un “sensualiste musical”. C’est aussi pourquoi souvent les répétitions générales sont des moments de grâce: les musiciens sont détendus, sans la pression du concert, Claudio Abbado est souriant, et tout le monde joue au mieux et va jusqu’au bout: il en résulte quelquefois des moments inoubliables, comme la répétition générale de la Symphonie n°2 de Mahler “Résurrection” en 2003. 200 personnes dans la salle, toutes frappées de stupeur devant ce qu’elles entendaient.

Car il reste un mystère, qui est celui du charisme. Les pédagogues le savent bien: face à un groupe classe, les élèves sentent en quelques minutes l’aura – ou l’absence d’aura- de l’enseignant, et le groupe répond en fonction de cet indicible que nulle formation pédagogique ne saura donner. Il  est ainsi dans tous les rapports de groupe à un individu, et évidemment de la relation de l’orchestre à un chef. Quand Abbado prend la baguette, les musiciens se transforment, l’un nous parle de sa main gauche et dit qu’il fait danser sa main gauche comme Noureev, d’autres parlent de tout ce langage des choses muettes qu’il exprime:  regard, sourire, expressions diverses et de cela aboutit à un son qui ne peut se comparer à aucun autre. On le voit bien lorsqu’il laisse la baguette à son assistant pour écouter l’orchestre de la salle, puis qu’il la reprend après. D’une minute à l’autre, le son se fait plus clair, plus cristallin, plus fin. Et les auditeurs se demandent toujours si c’est une impression personnelle, gauchie par leur admiration inconditionnelle, mais constatent que les autres auditeurs ont eu la même. Sans le vouloir, sans le prévoir, l’orchestre sent et joue autrement. C’est le miracle Abbado.

LUCERNE FESTIVAL 2010: Il faut aller à Lucerne (2)

terrasse1.1282122792.jpgLe Festival de Lucerne est une structure légère, qui accueille pendant cinq semaines grands orchestres internationaux et solistes prestigieux, à l’occasion des tournées estivales ou par tradition. C’est par exemple une tradition qui remonte à Karajan que fin août, le Festival accueille le Philharmonique de Berlin.
Michael Haefliger, fils du ténor Ernst Haefliger, devenu intendant il y a un peu plus de dix ans, a redonné à ce festival un relief qu’il n’avait plus. D’abord, il en a changé le nom: les “Semaines musicales internationales de Lucerne” sont devenues le “Lucerne Festival”, plus court, plus net, plus clair. Ensuite, il a cherché à créer un espace artistique qui soit spécifique à Lucerne. il a pour cela profité de la construction par Jean Nouvel du Palais des Arts et des Congrès (KKL), qui abrite un Musée, un auditorium de 2000 places (Konzert Saal), une salle vaste aménageable (Luzerner Saal), un petit auditorium pour les conférences, et aussi pour permettre aux retardataires de voir les début du concert sur grand écran. A mon avis, cet ensemble, qui s’intègre parfaitement dans le paysage, est l’un des plus réussis de l’architecte français. Qui monte sur la terrasse, sous le toit, en retire une impression inoubliable.150820102276.1282122822.jpg

Il a profité de la disponibilité de Pierre Boulez et de Claudio Abbado d’élire domicile pendant quelques semaines sur les rives du lac des quatre cantons, l’un pour animer une académie, la Lucerne Festival Academy,  où sont analysées et interprétées des oeuvres du répertoire du XXème siècle et contemporain, l’autre pour recréer un orchestre fondé par Arturo Toscanini en 1938 en réponse à l’Anschluss, qui installait à Salzbourg la peste nazie. Lucerne est donc un Festival né de la volonté de défendre des valeurs fortes, opposées à toute forme de clôture et d’exclusion.

Claudio Abbado a quitté Berlin à un moment où sa carrière lui avait tout apporté, et où il ne pouvait plus prétendre à une position plus prestigieuse. La maladie a terni ses dernières années berlinoises, mais lui a permis aussi de rebondir musicalement, par des interprétations plus libres, plus radicales (son Beethoven s’est métamorphosé!): la musique l’a guéri, se plaît-il a dire. Il a donc rassemblé à Lucerne dans “son” orchestre à la fois les solistes avec lesquels il aime jouer, les chefs de pupitres avec lesquels il s’est entendu et sur lesquels il s’est appuyé, des musiciens d’orchestre de qualité exceptionnelle, et pour les tutti, du Mahler Chamber Orchestra, qu’il venait de fonder, un orchestre fait des jeunes musiciens ayant participé aux tournées du Gustav Mahler Jugendorchester, fondé à Vienne à la fin des années 80 pour intégrer des jeunes des pays de l’Est, qui ne pouvaient participer à l’aventure de l’Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne, qu’il avait aussi fondé, mais dix ans plus tôt. Je me souviens de la première saison du Lucerne Festival Orchestra, avec dans l’orchestre Natalia Gutman, le Quatuor Hagen, les frères Capuçon, Reinhold Friedrich à la trompette, des solistes du Philharmonique de Berlin, Emmanuel Pahud, Georg Faust, Stephan Dohr, Albrecht Mayer, Marie-Pierre Langlamet ou d’anciens membres de l’orchestre berlinois, comme Kolja Blacher, Wolfram Christ et même le vétéran Hanns Joachim Westphal, qui joue encore dans l’orchestre aujourd’hui. Bref, l’orchestre impossible dont tous les musiciens avaient, et ont encore en commun à la fois l’admiration pour Claudio Abbado, et l’habitude de jouer avec et pour lui. Jeunes et moins jeunes entretiennent avec lui un rapport affectif fort aussi important que le travail dans l’orchestre pour préparer les programmes proposés chaque année: l’atmosphère est évidemment particulière, l’échange muet entre orchestre et chef n’est pas reproductible ailleurs. Ambiance jeune, ouverte, détendue, amicale. Un vrai moment de grâce.
Les programmes ont un fil rouge, depuis 2003, ce sont les Symphonies de Mahler. Seule la Symphonie des Mille (la huitième) ne sera sans doute pas exécutée: elle ne correspond pas vraiment à l’univers de Claudio Abbado, et il ne l’a déjà faite que deux fois. Le reste des programmes tourne autour des grands classiques allemands (Beethoven-Brahms, mais aussi Bruckner, mais on a vu aussi des oeuvres russes (Rachmaninov, Prokofiev, Tchaikovski) ou françaises (Debussy, Ravel, Berlioz) et de l’opéra: cette année, Fidelio, et en 2004, le deuxième acte de Tristan und Isolde.

A la même période, à partir du 15 août, Pierre Boulez s’installe donc dans la Luzerner Saal et fait travailler les jeunes inscrits à l’académie pendant trois semaines, des heures durant (cinq à sept heures chaque jour) plusieurs programmes alliant ses propres oeuvres, des oeuvres récentes de compositeurs contemporains ou des classiques du XXème siècle (Stravinski, Mahler), répétitions d’orchestre, séances d’analyse, Master Classes de direction d’orchestre, conférences, conversations, tout est possible avec Pierre Boulez qui est un pédagoque né et qui aime expliquer, avec une grande clarté d’ailleurs, les oeuvres qu’il interprète ou qu’il présente. Il en résulte trois concerts, dont un grand concert symphonique (cette année la sixième de Mahler). Pendant tout ce mois d’août, ce qui frappe, c’est la présence à Lucerne des jeunes musiciens partout car si l’orchestre de la Lucerne Festival Academy est par force un orchestre de jeunes, la Lucerne Festival Orchestra est fait de musiciens qui ont eux aussi  quelques années de carrière seulement (une dizaine…une douzaine) c’est un orchestre de trentenaires. On les a connus à vingt ans, ils sont toujours là, mais souvent avec leur famille, leurs jeunes enfants.

A côté de l’Academy et du Lucerne Festival Orchestra, Lucerne désigne chaque année un ou deux artistes étoiles, cette année Hélène Grimaud et un compositeur en résidence, cette année Dieter Ammann, et quelquefois aussi un orchestre en résidence. Puis d’autres manifestations s’ajoutent, tables rondes, conversations, conférences, projections video.

Le Festival programme, comme je l’ai dit ailleurs, c’est aussi un cycle de piano en automne (Lucern Festival Piano) un cycle de concerts à Pâques (Lucerne Festival Easter) et quelques manifestations dans l’année (cette année une Master class de Bernard Haitink en décembre) . Comme on le voit, un vaste choix de manifestations, qui font du Festival de Lucerne la première manifestation culturelle en Suisse et comme je le répète depuis plusieurs mois, un lieu “où il faut aller”.
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LUCERNE FESTIVAL 2010: Andris NELSONS dirige le CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA avec Martin GRUBINGER (16 août 2010)

martin_grubinger_mwi.1281999342.jpgMartin Grubinger. Retenez ce nom. C’est un pur phénomène, pour qui “Frozen in Time”, concerto pour percussion et orchestre du compositeur israélien Avner Dorman (*1975) a été écrit. On se demande qui d’autre pourrait dominer ce jeu incessant et tourbillonnant de percussions multiples, celesta, marimba, cimbales, clochettes, tambour, caisses diverses, qui occupe rien moins que la moitié du plateau, séparé de l’orchestre par un paravent de plexiglas.
Martin Grubinger est désormais une gloire du monde germanique, titulaire du prix Würth des jeunes musicales 2010 (que Claudio Abbado a eu il y a quelques années). Artiste très engagé contre le racisme, la xénophobie, et combattant sans cesse pour la tolérance, il se produit dans tous les répertoires, classique, pop, jazz, musiques du monde et c’est toujours exceptionnel. La prestation est proprement étourdissante: acrobatique d’abord, mais avec une concentration palpable tant les regards sur le chef sont fréquents (directs ou via un moniteur), tour à tour violent, d’une vélocité incroyable, brutal, mais aussi léger, effleurant à peine les instruments, dans des mouvements d’une poésie étonnante (le mouvement lent du concerto produit une émotion d’une incroyable intensité) .L’orchestre d’ailleurs est lui aussi en tous points exceptionnel de précision et de maîtrise technique avec des sons à peine perceptibles contrastant avec des explosions phénoménales, avec des jeux entre le soliste et les percussions del’orchestre: il faut d’ailleurs se concentrer sur toute la musique et c’est difficile tant le soliste captive, capture l’oeil et l’oreille. Alors le résultat, c’est un triomphe avec une salle hurlant, debout, et un bis proprement ahurissant: un simple tambour, deux baguettes, et un jeu d’une vélocité jamais vue (il bat jusqu’à 1100 coups/minute) tenant les baguettes de deux mains, d’une main, d’une main et de l’épaule,  du bras, ou du coude, une baguette tapant sur l’autre et toutes deux sur le tambour: on regarde cela bouche bée, on entend le son étonnant, et on reste frappé de surprise, de stupeur. Tous, nous sommes restés interdits devant une telle maîtrise, fascinés par une telle démonstration d’art et de technique au plus haut degré de la perfection, dans un style sympathique et détendu, souriant, respirant la joie de jouer.

Alors, le reste du concert, plus traditionnel (Prélude de Lohengrin, Symphonie Pathétique de Tchaïkovski) pâlit forcément face à cette incroyable surprise, et pourtant, Andris Nelsons montre qu’il est un chef avec lequel désormais il faut compter. La manière dont il a dirigé la pièce de Avner Dorman (Création en Suisse) est tout simplement prodigieuse, avec un orchestre qu’en deux ans il a complètement conquis, et qui lui répond d’une manière immédiate.Le prélude de Lohengrin, pris très lentement (comme il le fait à Bayreuth où, vous le savez, il dirige d’opéra de Wagner) est un chef d’œuvre de construction, un crescendo très retenu et qui peu à peu fait découvrir les différents niveaux, jusqu’à l’explosion des cuivres si bien qu’on entend tous les instruments d’une manière qui rend l’architecture très claire, et l’approche très concentrée. La partie finale, avec le retour aux sons les plus ténus, les plus frêles, jusqu’au silence, distille elle aussi une forte émotion, .
Il se confirme (je l’avais noté l’an dernier) que l’orchestre est vraiment solide dans l’ensemble des pupitres même si certains ne m’ont pas convaincu (les contrebasses) et Andris Nelsons fait littéralement chanter les cordes qu’il sollicite à l’extrême.
Nous avions écouté la Pathétique dans cette même salle avec Claudio Abbado et les jeunes de l’Orchestre National Simon Bolivar du Venezuela en mars dernier. Avec un orchestre de jeunes, plus nombreux, Claudio Abbado faisait chanter l’orchestre,  le troisième mouvement avait laissé pantois tant il était une explosion sonore et l’ensemble, monumental et sentimental, produisait une émotion vive et durable. Rien de tout cela ici:  comme chez Jansons dont il est l’élève, Nelsons fait imploser l’orchestre, introduisant des équilibres nouveaux, retenant le son des cuivres et des vents, jouant du dialogue cordes-vents sans jamais faire dominer l’un par l’autre: ceux qui ont l’habitude des cuivres triomphants, notamment des trombones, en seront pour leur frais: il en résulte une forte tension interne, qui favorise les explosions, mais qui soigne en même temps les contrastes et qui crée chez l’auditeur une sorte de malaise, voire d’agacement devant une gestique très expressive, voire expressionniste et un son aussi expressif, mais en même temps contenu, compact. Abbado travaillait dans l’aérien, dans l’espace infini des sons, dans l’expansion, Nelsons compresse et travaille dans la masse orchestrale, dans un son à la fois très clair (on ne manque aucun pupitre) et épais, dur, peut-être plus intériorisé. C’est forcément moins impressionnant, mais ce n’est pas forcément moins émouvant.

Voilà donc un concert particulièrement surprenant, où le clou constitue la pièce contemporaine inconnue, vécue souvent par l’auditeur comme un passage obligé et ennuyeux, qui a rendu la soirée mémorable, par la grâce infinie d’un jeune artiste miraculeux. Il reste qu’il va falloir aussi désormais compter avec Andris Nelsons, qui se révèle un grand chef, aux options qui font discuter et qui ne laissent pas indifférent. Un coup d’oeil sur sa saison 2010-2011 en dit long quand on égrène les orchestres qu’il dirigera: outre le CBSO, il va diriger les Berliner Philharmoniker, les Wiener Philharmoniker, l’Orchestre de Paris, le WDR Sinfonieorchester, le Pittsburgh Symphony Orchestra, le Symphonie Orchester der Bayerische Rundfunk, et l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich. Il dirigera en outre au Metropolitan (la Dame de Pique), à Covent Garden (Madame Butterfly) et au Japon (Lohengrin en version concertante): c’est dire que ce chef né en 1978 joue désormais dans la cour des grands.

Une fois de plus, je vous invite à passer par Lucerne, chaque soir apporte ses miracles…sans oublier de surveiller les tournées de Martin Grubinger.

Programme

Richard Wagner (1813-1883)
Prélude de “Lohengrin”

Avner Dorman (*1975)
“Frozen in Time”. Concerto pour percussion et orchestre | Création en Suisse

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Pyotr Il’yich Tchaikovsky (1840-1893)
Symphonie n°6 en si mineur, Op. 74 “Pathétique”



LUCERNE FESTIVAL 2010: quelques notes sur FIDELIO (Claudio Abbado) du 15 août 2010

 


 

Il est difficile d’aller au-delà de ce qui a été écrit sur la représentation du 12. Néanmoins, puisque ce blog rend compte  « au quotidien » de ma vie de mélomane passionné et passionnel, je me dois de vous dire les traces laissées par le concert d’aujourd’hui.


Ce soir l’orchestre m’est apparu aller encore plus loin dans la dynamique et l’énergie, tout en restant dans la première partie particulièrement lyrique. On se souviendra ce soir de l’attaque orchestrale du chœur des prisonniers, à peine murmurée, comme un souffle qui s’élève ; on ne cesse d’admirer une fois de plus les quatre contrebasses, décidément extraordinaires, quelle que soit la place qu’on occupe dans la salle ; on reste ébloui par les cordes, acrobatiques, au son tellement chaud, et rond. Ces musiciens sentent et savent ce que veut Claudio Abbado et le suivent aveuglément, dans une sorte d’entrain et de liberté, de joie de jouer qu’on ne voit nulle part ailleurs.

  
Du côté des chanteurs, de petites différences : Jonas Kaufmann, a montré des signes de fatigue dans la manière de tenir la note du « Gott » initial : il n’avait pas la sûreté et l’homogénéité montrée lors de la précédente soirée, il se tenait la gorge, et a été légèrement en-deçà des prestations précédentes (mais on est dans l’infinitésimal), en revanche Nina Stemme était plus à l’aise, plus détendue et la voix a littéralement explosé, ce qui a rendu la première partie incontestablement plus tendue. Christof Fischesser dans Rocco a été de nouveau remarquable de chaleur, d’humanité et de présence, Peter Mattei comme d’habitude extraordinaire, une manière de perfection, et Falk Struckmann a sans doute fait ce soir sa meilleure représentation des trois (j’y inclus la répétition générale).
Quant au chœur Arnold Schönberg, il a montré des qualités de clarté, de diction, de puissance extraordinaires, mais aussi de retenue et de maîtrise du volume à laisser pantois.


 

Comme on le voit, les différences sont infimes et le résultat de la soirée est un succès mémorable : vingt minutes d’un public réputé réservé debout hurlant son enthousiasme, des rappels à n’en plus finir et une pluie de fleurs et de pétales sur la scène, cadeau désormais traditionnel du Club des Abbadiani Itineranti.

 

Quelle que soit la soirée, et même si ceux qui comme moi ont vu la générale et les deux concerts, ont préféré l’explosion de la répétition générale, qui a été un indicible moment d’émotion, ce Fidelio fut un de ces moments stendhaliens« qu’il vaut la peine de vivre »  comme il y en a peu, et nous nous sommes vraiment sentis des « happy few ».

LUCERNE FESTIVAL 2010: FIDELIO, de L.v. BEETHOVEN, dirigé par Claudio ABBADO, avec Jonas KAUFMANN et Nina STEMME le 12 août 2010.

L’inauguration du Festival de Lucerne se déroule traditionnellement de la manière suivante: une première partie est consacrée aux discours des officiels (le président du Festival – Hubert Achermann -, toujours, le président de la Confédération Helvétique, quelquefois, le ministre de la culture, Didier Burkhalter, cette fois-ci et ces discours sont suivis d’une intervention d’un intellectuel sur la thématique de l’année.

Cette année, Nike Wagner, arrière petite fille de Richard Wagner, fille de Wieland Wagner, et concurrente malheureuse de ses cousines pour la direction du Festival de Bayreuth a prononcé l’intervention inaugurale sur le thème de l’année “Eros”, qu’elle soutient être le thème central de l’histoire de la musique: le titre Eros Center Music, en dit long. Cette intervention a été très brillante, l’une des plus brillantes depuis Peter Sloterdijk il y a quelques années, et montre que la famille Wagner a bien de la ressource (Nike Wagner est actuellement directrice artistique de “Pèlerinages, Kunstfest Weimar “, un festival pluridisciplinaire qui se déroule à Weimar entre août et septembre). Ce motto “Eros”, oriente le programme du festival dont deux des sommets seront Fidelio dirigé par Claudio Abbado avec le Lucerne Festival Orchestra et Tristan und Isolde, dirigé par Esa Pekka Salonen, avec le Philharmonia Orchestra, dans la version de Peter Sellars et Bill Viola, vue à Paris.(sans compter la présence de Pierre Boulez, de l’Orchestre de Cleveland, des Berliner Philharmoniker, des Wiener Philharmoniker, du Concertgebouw…cinq semaines à faire tourner les têtes!).

Fidelio a donc ouvert le Festival: c’est la deuxième fois que Claudio Abbado aborde l’oeuvre de Beethoven. La première fois, il l’a proposée dans une production du cinéaste Chris Kraus à Reggio Emilia, Modena, Ferrara, Madrid et  au Festspielhaus de Baden Baden, la distribution allait du très correct au passable (Alfred Dohmen, Anja Kampe, Clifton Forbis/Christian Franz, Julia Kleiter, Giorgio Surian, Diogenes Randes, Jörg Schneider). Cette année, ce Fidelio, probablement prévu au départ pour ouvrir la salle modulable de Lucerne (salle de théâtre musical projetée et espérée par l’intendant Michael Haefliger, dont la naissance est problématique), est présenté en version semi-concertante, et devrait être enregistré par DECCA, avec Nina Stemme et Jonas Kaufmann, deux grandes stars du chant d’aujourd’hui, mais aussi Falk Stuckmann, Rachel Harnisch, Christoph Stehl, Christoph Fischesser et Peter Mattei. La production précédente avait péché par des chanteurs qui n’étaient pas tous du niveau requis par la direction musicale. Florestan notamment avait posé de très nombreux problèmes.

D’emblée disons-le, rien de comparable à Lucerne. Nous avons assisté à un Fidelio musicalement prodigieux, un de ces moments magiques où tout s’emboite merveilleusement. Fidelio est une oeuvre très difficile à distribuer: en plusieurs décennies, je n’ai pratiquement jamais entendu de Fidelio où les deux protagonistes soient vraiment à la hauteur. J’ai le souvenir unique de Hildegard Behrens et de Jon Vickers, mémorables à Paris. Même Waltraud Meier a toujours eu des difficultés dans Leonore.
On peut avoir l’un des deux, Léonore ou Florestan, rarement les deux et comme je l’ai dit, le dernier Fidelio d’Abbado péchait par son Florestan (Kaufmann était prévu à Madrid mais fut empêché par un problème de santé). Comme souvent avec Abbado, l’interprétation évolue et le Fidelio entendu ici n’a rien à voir avec celui d’il y a deux ans. Abbado emporte l’orchestre dans une dynamique tourbillonnante et à dire vrai stupéfiante. L’orchestre ne joue pas, il parle, il participe à l’action. Abbado sait impliquer les musiciens, il sait les faire chanter. On est encore sous le coup des cordes, si légères qu’elles sont à peine audibles des diminuendos de rêve, de ce son qui semble être celui d’un continuo et non d’un orchestre (les contrebasses emmenées par Alois Posch, ex-Wiener Philharmoniker sont à ce titre hallucinantes de poésie, de justesse, de fermeté, notamment au début du second acte), les vents sont éblouissants,  tout comme la trompette infaillible de Reinhold Friedrich, toute cette perfection produit un son qu’on dirait “mozartien” (on pense souvent à la Flûte enchantée) où c’est l’émotion qui domine et non la monumentalité, notamment pendant tout le premier acte, même si le rythme auquel Abbado emmène les musiciens sait aussi être agressif. Bien sûr c’est la seconde partie qui frappe le plus , avec son prélude – déjà noté il y a deux ans -, qui étreint le coeur et prépare si bien au monologue de Florestan. Mais déjà le final de la première partie, avec son choeur des prisonniers murmuré (magnifique, somptueux, mémorable Arnold Schönberg Chor), nous avait secoués. Oui, du grand art, bouleversant, époustouflant, nous projetant d’emblée au paradis du mélomane.La version est semi-concertante, mise en espace par une jeune metteur en scène, Tatjana Gürbarca, le décor, fait de redingotes grises de prisonniers, est de Stefan Heyne, et les lumières de Reinhard Traub. Disons le, cela n’ajoute rien à l’ensemble: on aurait aisément pu en faire l’économie: le sol est parsemé de bougies, la scène est surmontée d’un immense globe lumineux sur lequel se projette soit la terre, soit un oeil (Dieu?) ou une chandelle, globe inspiré d’une installation gigantesque de Olafur Eliasson à la Tate Modern de Londres.

 

 


La distribution, sans doute prévue pour l’enregistrement, est vraiment ce qu’on peut appeler une distribution de rêve, où même ceux pour qui on nourrissait des doutes (Falk Struckmann par exemple, si décevant à Orange) sont vraiment remarquables.
Le Rocco de Christoph Fischesser est sans reproche, la voix est ronde, bien posée, sans être exceptionnelle, mais cet artiste fait preuve d’une grande qualité de diction, et possède une indéniable présence. Rachel Harnisch n’est pas une chanteuse qui m’enthousiasme, même si cette fois-ci elle était plus engagée que d’habitude, et la voix est claire, l’aigu plus facile. Une très bonne prestation. Christoph Strehl (le Tamino de la Flûte enchantée d’Abbado), un peu fatigué pendant les répétitions est apparu un peu terne en Jaquino. Le Ministre (Don Fernando) de grand luxe de Peter Mattei était magnifique de noblesse, la voix est homogène, chaude, puissante. une fois de plus, cet artiste se montre à la hauteur (et même plus: son Fernando est exceptionnel). On l’attend dans d’autres grands rôles (sa prestation dans “de la Maison des morts” à la Scala reste dans les mémoires).
Falk Struckmann trouve dans Pizzaro un rôle qui correspond à l’état actuel de la voix. C’est un rôle essentiellement en force, qui n’exige pas une ductilité qu’il n’a plus, mais qui exige puissance et intelligence du texte qu’il possède au-delà de toute éloge: il est donc dans ce rôle-là  remarquable de présence et l’interprétation est vraiment d’une grande intelligence.
Il est tellement difficile de trouver une grande Léonore et un grand Florestan que l’on est ravi de trouver deux artistes à la hauteur des exigences et de la magnificence de l’orchestre. Nina Stemme a à la fois les aigus et les suraigus, elle domine à la fois le début de “Abscheulicher…”, et les acrobaties finales, elle a l’héroisme voulu et la rondeur lyrique quand il le faut, il lui manque un peu d’aura scénique et c’est dommage. Mais la présence vocale est formidable. Une immense prestation, mais pas autant que celle de Jonas Kaufmann, qui réussit là encore mieux qu’à Paris un Florestan de rêve et de légende. On reste frappé par la manière dont la note est tenue dans le “Gott…” initial, d’abord à peine murmurée, qui s’élargit peu à peu dans une homogénéité telle que la voix semble monter et s’étendre sans aucun effort, avec un timbre d’une telle pureté, tellement juvénile qu’il laisse rêveur,-même Windgassen ne fait pas aussi bien!- sans parler du crescendo final de l’air auxquels tant de ténors se sont heurtés (je me souviens de Jerusalem à Paris avec Barenboim il ya longtemps!). Tout le reste est éblouissant, éblouissant de clarté (on entend toutes les paroles), de technique, de maîtrise de la voix, et en plus tellement lyrique, tellement “humain” et en même temps tellement vrai dans l’interprétation. Le rôle qu’on sait redoutable semble facilement dominé, avec une simplicité et une facilité qui étonnent puis enchantent. C’est bluffant: cet artiste semble pouvoir tout chanter, et toujours avec justesse et intelligence.Le résultat c’est un miracle, dont la répétition générale avait déjà donné un aperçu extraordinaire (rarement un tel triomphe à une générale) avec un premier acte peut-être encore plus dynamique, mais à ce niveau peut-on encore faire une différence? Claudio Abbado, fatigué comme on le sait après les concerts de Berlin, s’est repris, il est détendu, souriant, extraordinairement dynamique. Diable d’homme! Il ne reste plus au mélomane en quête de paradis qu’à revenir dimanche 15 août,et vous tentez le coup si vous n’êtes pas très loin. On trouve souvent des places au dernier moment. Ou écoutez la radio suisse (DRS2) qui transmet le 15 (dimanche et non samedi comme je l’ai écrit précédemment de manière erronée) à 21h ce Fidelio bouleversant. Quand je vous disais qu’il faut aller à Lucerne!

index.1281515103.jpgOlafur Eliasson – The weather project 2003(Photo: Jens Ziehe)

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: Quelques échos de LOHENGRIN (Andris NELSONS – Hans NEUENFELS)

 

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Je n’ai pas vu ce Lohengrin, mais j’en ai beaucoup entendu parler et  j’en ai suivi la retransmission radio. Aussi, sans avoir l’intention de commenter, je voudrais transmettre quelques informations sur ce spectacle qui remporte un gros succès au Festival, parce qu’il y a Neuenfels, et parce que c’est la nouvelle production de l’année. 

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Photo Site  Komische Oper

Hans Neuenfels est peu connu du public français, beaucoup moins que Peter Stein, Thomas Ostermeier ou Christoph Marthaler. Il est pourtant l’un des metteurs en scène les plus connus en Allemagne, pour ses approches très radicales, c’est même un de ceux qui font peur. Il arrive à Bayreuth à la fin d’une carrière très riche de metteur en scène et d’auteur. J’ai vu de lui Cosi fan Tutte à Salzbourg en 2000, mais pas la Chauve Souris en 2001 qui a déchaîné les passions. Cosi fan tutte était vu comme une expérience d’entomologiste de Don Alfonso et se déroulait sur une sorte de boite à insectes naturalisés, comme si Don Alfonso allait observer les réactions des amants comme autant d’observations des insectes. Les amants étaient tous vêtus de la même tenue blanche et en principe impossible à distinguer. Cela m’avait paru une vision intelligente et neuve, sans être un travail qui avait marqué ma vie, bien que je m’en souvienne encore car c’était Abbado qui devait diriger, et celui-ci avait renoncé, puis la même année avait été frappé par la maladie, la direction musicale avait été assurée par Lothar Zagrosek.

Approche aussi expérimentale dans ce Lohengrin : la question posée (ainsi le dit-il dans une interview pour le mensuel Opernglas) est celle de la confiance demandée sans conditions dans un monde toujours plus informé, qui analyse, qui pose des questions, mais qui est de plus en plus indifférent et reste le même. « Dans un monde où rien ne se passe, où rien de neuf n’arrive, aucune utopie, que quelqu’un doive donner sa confiance sans conditions, sans questions à poser, voilà une thèse magnifique ! ». La mise en scène propose donc Lohengrin comme expérience à vivre dans un monde sans identité : le chœur est vu comme un ensemble de rats de laboratoire, qui assistent à l’expérience des seuls personnages qui vivent vraiment, les quatre protagonistes et le roi, personnage presque shakespearien (l’excellent Georg Zeppenfeld, sorte de Roi Lear dérisoire).

loh3.1281089115.jpg Photo Reuters (Site du Spiegel)

L’expérience échoue, car Elsa n’aime pas, et sans amour pas de question sans réponse, pas de confiance sans condition.
Voilà grosso modo le concept de ce travail qui je l’avoue excite ma curiosité, tant il a partagé la presse, comme toujours dans les mises en scène de Neuenfels qui ne laissent personne indifférent.

Du point de vue musical, ce que j’ai entendu à la radio m’est apparu de grande qualité.
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Photo DPA (Site du Spiegel)

Andris Nelsons jeune chef letton de 32 ans, directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra, l’un des meilleurs représentants de la jeune génération, élève de Mariss Jansons, a assumé la direction musicale de ce Lohengrin. Son approche, surprenante par sa lenteur, séduit (au moins à la radio) par un vrai travail sur la pâte orchestrale, par un son plein, charnu, et un très grand sens du phrasé. Un Lohengrin inhabituel, mais très séduisant, voilà ce que je me suis dit en l’écoutant.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Des chanteurs, je peux seulement dire que Lucio Gallo (premier chanteur italien invité dans un grand rôle à Bayreuth depuis des années)  ayant renoncé début Juillet, il est remplacé dans Telramund par Hans-Joachim Ketelsen, un baryton de qualité, sans être exceptionnel.  Evelyne Herlitzius est une Ortrud comme toujours très engagée, mais le chant n’est pas toujours contrôlé, les sons, notamment les plus gutturaux, sont quelquefois assez vilains.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Annette Dasch semblait être tendue lors de la retransmission de la première, elle l’a dit d’ailleurs et le vibrato au premier acte était fort accentué. Gageons que cela ira mieux dans les représentations suivantes.

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Photo Reuters (Site du Spiegel)

Reste Jonas Kaufmann (qui ne sera pas dans la distribution l’an prochain, hélas) avec son chant à la technique de fer, aux mezze voci de rêve, aux aigus triomphants, qui semble dessiner un Lohengrin un peu plus sombre, mélancolique, moins lumineux que d’habitude, mais tout aussi passionnant.

Voilà des considérations initiales, qui sont marquées par la frustration de ne pas avoir pu assister au moins à la seconde représentation (deux billets rendus pour une cinquantaine de demandes), mais ce sont des frustrations hélas habituelles à Bayreuth.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG le 2 août 2010 (Sebastian WEIGLE – Katharina WAGNER)

 

020820102257.1281000874.jpgLe sort m’a attribué cette année non pas des billets pour le nouveau Lohengrin, dirigé par Andris Nelsons, mis en scène par Hans Neuenfels, avec Jonas Kaufmann, Annette Dasch, Evelyn Herlitzius et Hans Joachim Ketelsen remplaçant Lucio Gallo, mais pour les Meistersinger, avec un Hans Sachs nouveau, le jeune britannique James Rutherford. J’ai déjà écrit l’an dernier sur cette production : à la revoir, on l’apprécie de plus en plus. Elle pose directement la problématique de l’artiste et du social, et s’affiche comme ouvertement idéologique, refusant de s’intéresser à la relation Eva-Stolzing (s’intéressant d’ailleurs un peu plus à la relation Sachs-Eva) c’est-à-dire évitant de traiter les relations entre individus, mais traitant bien plutôt la situation artistique et idéologique.

Du point de vue théâtral, les scènes d’ensemble sont assez bien traitées, la « Festwiese » finale manquant peut-être de mouvement, mais la partie finale est une telle explosion d’idées diverses que l’on n’y prête pas trop attention.
On peut rappeler le concept : au départ Hans Sachs et Walther von Stolzing sont les non conformistes, Beckmesser étant un personnage totalement coincé, engoncé dans la tradition et le conformisme bourgeois. Sachs refuse les rituels des maîtres, marche pieds nus, lui le cordonnier, et Walther est une véritable « tête à claques » pendant presque les deux premiers actes dans leur ensemble. Tout bascule au final du second acte, sorte de happening général (avec allusion à la Campbell Soup de Warhol) qui confine à l’anarchie, Sachs et Walther réalisent qu’ils ne veulent pas voir l’art mener à ça : Walther commence à nettoyer les peintures qu’il a gribouillées. Beckmesser au contraire se décoince ! Et c’est tout l’enjeu du troisième acte que de voir comment Sachs et Walther se « normalisent » au point de devenir l’un une sorte d’Hitler (Sachs), l’autre (Walther) un médiocre promoteur de l’art officiel., pendant que Beckmesser se lance dans la
performance échevelée, et fuit devant cette normalisation artistique encadrée par Sachs.

kthrina.1281001402.jpgBeaucoup de huées pour la mise en scène à la fin. La nouveauté venait donc de ce jeune anglais, James Rutherford, succédant à Franz Hawlata (génial acteur, mais sans voix), puis à Alan Titus (voix vieillie et acteur peu à l’aise dans le personnage voulu par la mise en scène ). La performance n’est pas concluante. Il est visiblement lui aussi mal à l’aise avec ce que la mise en scène lui demande (notamment à la fin), et ne bouge pas vraiment avec bonheur. Le chant n’est pas vraiment tout à fait au rendez-vous. Non qu’il chantât mal, mais la voix est engorgée, opaque, sans vraie projection, ce qui gêne beaucoup notamment au premier acte et dans les longs monologues. L’absence de personnalité scénique et aussi sans doute de maturité rendent son chant complètement inexpressif. Le reste de la distribution est honorable, avec trois magnifiques prestations, 

– d’abord le Beckmesser d’ Adrian Eröd, en tous points remarquable: c’est lui qui, avec Klaus Florian Vogt, emporte tous les suffrages : expressivité, intelligence du jeu et du chant, voix claire, bien projetée, une vraie performance, alors qu’il m’avait moins impressionné l’an dernier. En tous cas, voilà un chanteur à ne pas manquer. eroed.1281001429.jpg

– ensuite, Klaus Florian Vogt est vraiment l’un des plus beaux Walther qui soient, la voix est saine, lumineuse, solaire, puissante et il compose un personnage délirant !

– enfin, David (Norbert Ernst) est excellent à tous égards, et remporte un triomphe mérité (décidément, nous sommes dans une années à ténors).

On reste plus réservé sur les prestations de chanteuses : Michaela Kaune est une Eva correcte, mais sans vraie poésie, Magdalene (Carola Guber) semble cette année avoir plus de difficulté, sons désagréables, voix inégale et peu homogène.

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est éblouissant comme toujours, et l’orchestre dirigé par Sebastian Weigle, directeur musical à Francfort, reste comme l’an dernier un peu plat, sans mettre en exergue certains pupitres (les bois notamment). Même si tout cela sonne fort bien dans la salle, on reste avec l’ impression mitigée d’un travail très professionnel sans touche vraiment personnelle.

Il reste que la soirée a été bonne, et comme d’habitude, malgré les plaintes, les remarques acerbes, les critiques des productions, on n’a qu’une seule envie, c’est de revenir…

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