OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (1): SPECTACLES A RETENIR – BRUXELLES, AMSTERDAM, STRASBOURG, ZÜRICH, BÂLE, MUNICH

Si l’offre locale ne vous suffit (satisfait)  pas, si vous en avez la possibilité, ou si vous prévoyez un seul voyage en Europe pour voir l’opéra de vos rêves, ce petit résumé des spectacles qui m’apparaissent intéressants peut vous aider, ou même simplement nous faire tous rêver. J’ai évidemment mes préférences, Berlin, Munich, Amsterdam, Bruxelles…mais si le blog n’est pas une affaire de goût, alors inutile d’en créer un!!
Se reporter aux articles sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

1) Les spectacles qui m’attirent

BRUXELLES

Le Théâtre de la Monnaie a été élu Maison d’opéra de l’année par Opernwelt dans son édition annuelle “Jahrbuch 2011”.
Les curieux peuvent aller voir le très rare Oedipe, de Georges Enescu, (22 octobre- 6 novembre) dir.mus Leo Hussain et mise en scène Alex Ollé de la Fura dels Baus. Mais comme c’est une coproduction avec l’Opéra de Paris, on va bientôt le voir sur les rives de la Seine.
Deux spectacles m’attirent tout particulièrement pour des raisons différentes,

Rusalka, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Adam Fischer, l’une des plus belles productions de ces dernières années en Europe, à voir absolument (et à revoir ) encore plus si vous ne connaissez pas Stefan Herheim. J’irai pour sûr la revoir. C’est  du 6 au 13 mars, avec deux distributions en alternance et c’est A NE PAS MANQUER.

Il Trovatore, mise en scène, Dimitri Tcherniakov, dir.mus. Marc Minkowski. Certes, je ne suis pas loin de là un fan de Minkowski, certes, la distribution ne m’enthousiasme pas (Poplavskaia…), mais il y a Tcherniakov, et surtout, Il Trovatore, qu’on ne voit presque plus sur les grandes scènes tant c’est difficile à réussir, c’est mon opéra chéri de Verdi. Toute nouvelle production de Trovatore est bonne à prendre, et celle-là offre au moins une mise en scène qui devrait être intéressante.

A signaler aussi dans la saison, en décembre, une Cendrillon de Massenet mise en scène par Laurent Pelly et dirigée par Alain Altinoglu

AMSTERDAM

Comme d’habitude une belle saison à l’Opéra d’Amsterdam avec des titres alléchants (Elektra, Don Carlo (avec M.Petrenko en Philippe II) , Deidamia, Il turco in Italia et d’autres. J’en retiens un que je veux absolument voir , c’est

Kitège (La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia, et soyons pédants  “Сказание о невидимом граде Китеже и деве Февронии”) de Rimski Korsakov. On ne donne pas suffisamment d’œuvres de Rimski Korsakov en Europe occidentale, j’ai vu il y a longtemps à Reggio Emilia “Le conte du tsar Saltan” (d’où est extrait le très fameux Vol du Bourdon), ce fut un enchantement, dans une mise en scène sublime de Luca Ronconi. On appelle Kitège quelquefois le Parsifal russe, l’oeuvre est très poétique, et mérite vraiment d’être connue. Puisque c’est l’occasion, j’irai pour sûr, d’autant que la mise en scène est de Dimitri Tcherniakov (encore lui!) et la direction du nouveau directeur musical du lieu, Marc Albrecht. (8 février-1er mars)

A signaler en outre un Parsifal intéressant en fin de saison, bien distribué (Christopher Ventris, Petra Lang) dans une mise en scène de Pierre Audi, dirigé par Ivan Fischer (12 juin-8 juillet)

STRASBOURG

L’Opéra du Rhin présente des saisons toujours intéressantes ces dernières années (rappelons le Ring mis en scène par David McVicar) et cette année, je retiens deux spectacles:

Les Huguenots, de Meyerbeer, mise en scène, Olivier Py, dir.mus, Daniele Callegari avec une belle distribution (Mireille Delunsch, Laura Aikin, Karine Deshayes). Cette production présentée l’an dernier à Bruxelles a fait exploser les Thalys du dimanche, gageons qu’elle fera exploser cette fois les TGV-Est. Oeuvre très rare désormais, difficile et lourde à monter et à distribuer. Meyerbeer ne fait plus recette, et c’est un peu dommage. (14-28 mars à Strasbourg et 13-15 avril à Mulhouse)

Farnace, d’Antonio Vivaldi . je ne suis pas un fou de répertoire baroque, mais j’aime beaucoup Vivaldi, et surtout qu’à Strasbourg, c’est Diego Fasolis qui dirigera et Lucinda Childs qui assurera chorégraphie et mise en scène. Diego Fasolis est un chef suisse (organiste) de plus en plus réclamé notamment pour ce type de répertoire . Quant à Lucinda Childs, inutile de la présenter. Belle opération en perspective. (18-28 mai à Strasbourg et 8-10 juin à Mulhouse)

ZÜRICH

L’Opernhaus Zürich change de mains, puisque Alexander Pereira part à Salzbourg et qu’arrive de Berlin Andreas Homoki. Les saisons de Zürich sont toujours très variées allant vers tous les répertoires, et tous types de mise en scène, avec des productions souvent soignées, les productions wagnériennes de ces dernières années furent souvent des références. Aussi, ne sera-t-on pas étonné si j’ai choisi de voir à Zürich:

Die Meistersinger von Nürnberg (22 janvier-18 février), mise en scène: Harry Kupfer, dir.mus. Daniele Gatti. De Kupfer le dernier Tannhäuser (à Zürich justement) ne m’a vait pas déplu, et je suis curieux d’entendre Gatti après son très beau Parsifal (à Bayreuth, mais aussi à Zürich dont il est directeur musical). Mais ce qui m’intéresse au plus haut point c’est une belle distribution dominée par Michael Volle, que je tiens comme le plus grand baryton-basse wagnérien actuel, qui avait fait à Bayreuth un extraordinaire Beckmesser et à Zürich un Wolfram anthologique, qui laisse loin derrière tous ceux que j’ai entendus avant et depuis. Rien que pour lui je ferais le voyage, alors si on ajoute Salminen, et Juliane  Banse, voilà d’excellentes raisons de se précipiter à Zürich.

Mais il y en a au moins quatre autres (parmi un vaste choix):

Palestrina, de Pfitzner, populaire en Allemagne, mais rarissime en France, en décembre 2011-janvier 2012 (10 décembre-12 janvier), dirigé par l’excellent Ingo Metzmacher -un des grands chefs allemands qu’on ne voit jamais en France…)- dans une mise en scène de Jens-Daniel herzog, dont j’avais vu il y a quelques années Königskinder de Humperdink avec Jonas Kaufmann (et Metzmacher aussi) toujours à Zürich. Belle distribution, et donc spectacle à ne pas rater.

Otello ossia il Moro di Venezia de Rossini, l’autre Otello, une occasion d’entendre Cecilia Bartoli dans un théâtre dont la salle est adapté à sa voix, et les excellents John Osborn dans le rôle titre et Javier Camerana dans Rodrigo, dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et une direction musicale  de Muhai Tang, l’ex-chef du Zürcher Kammerorchester. On pourra aussi voir la Bartoli dans une reprise du Comte Ory, même équipe pour la mise en scène et la direction (fin décembre 2011).

Don Carlo, en mars, dirigé par Zubin Mehta et mis en scène par Sven Eric Bechtolf (le metteur en scène du Ring viennois (4 mars-9 avril), avec Anja Harteros, Vesselina Kassarova, Matti Salminen et Fabio Sartori ce qui n’est pas une mauvaise distribution, loin de là: Salminen est encore un très grand chanteur. On ne dédaigne pas un Don Carlo, mais il y a une forte concurrence pas bien loin de Zürich

Le Prince Igor, de Borodine. Encore une œuvre peu donnée qui bénéficie de la direction de Vladimir Fedosseyev et d’une mise en scène de David Pountney (15 avril 2012-29 avril 2012), avec une distribution de bon niveau (Egils Silins, Olga Guryakova), une raerté à ne pas manquer.

Comme on le voit, le voyage à Zürich pourrait devenir une habitude tant le répertoire et varié et les productions attirantes.

BÂLE

Le Theater Basel  n’est pas à négliger (il fut lui aussi désigné récemment Théâtre de l’année par Opernwelt)  si vous êtes ouverts aux mises en scènes décoiffantes et au regietheater, la plupart des productions sont faites avec la troupe locale, de qualité en général avec quelques invités. On y voit souvent de très intéressantes productions de Christoph Marthaler (on se rappelle de la Grande Duchesse de Gerolstein). Cette année je vais sans doute faire le déplacement pour une Carmen qui promet.

Carmen: mise en scène Calixto Bieito, dir.mus. Gabriel Feltz (du 18 décembre 2011 au 10 juin 2012) avec Tanja Ariane Baumgartner, Svetlana Ignatovich, Solenn’ Lavanant-Linke, Agata Wilewska, Karl-Heinz Brandt, Eung Kwang Lee. J’avais vu dans ce même théâtre un Don Carlos en français du même Calixto Bieito qui m’avait impressionné par sa logique et sa justesse malgré son aspect particulièrement provocateur.

Signalons pour les fans de Marthaler un spectacle de théâtre musical (Première le 25 novembre 2011, dernière le 9 avril) Lo Stimolatore Cardiaco Una soluzione transitoria…mise en scène Christoph Marthaler, dir.mus Bendix Dethleffsen/Giuliano Betta.

MUNICH

L’Opéra de Munich est à n’en pas douter l’une des institutions lyriques qui affichent en Europe un des plus hauts niveaux en permanence. C’est là que Kleiber dirigeait le plus souvent, c’est là que l’on a vu les plus belles productions wagnériennes ou straussiennes (un héritage de Wolfgang Sawallisch, qui fut l’âme de cette maison durant des décennies). Aujourd’hui, le directeur musical sortant est Kent Nagano, le futur directeur est Kirill Petrenko, un chef excellent qui devrait diriger le Ring du bicentenaire Wagner à Bayreuth.
Dans les nouvelles productions, c’est incontestablement Der Ring des Nibelungen, dirigé par Kent Nagano qui attire, dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg, metteur en scène né à l’est en 1963 (Magdeburg), ex directeur du Thalia Theater de Hambourg et actuel directeur du Deutsches Theater de Berlin, qui compte parmi les grands d’aujourd’hui. Une distribution comprenant des wagnériens désormais éprouvés (on retrouvera Katharina Dalayman en Brünnhilde, Juha Uusitalo en Wotan, Sophie Koch en Fricka) mais aussi  des nouveaux venus ou des prises de rôle (Anja Kampe en Sieglinde, Klaus Florian Vogt en Siegmund, Johan Reuter en Wotan de Rheingold); A suivre sans nul doute! (début en février, puis Walkyrie en mars, puis Siegfried en mai et Götterdämmerung en ouverture du festival de Munich fin juin).

Signalons aussi

Turandot, mise en scène de Carlos Padrissa (La Fura dels Baus) et dir.mus. Zubin Mehta, l’équipe du Ring de Valence/Florence se retrouve avec sa Brünnhilde, la magnifique Jennifer Wilson aborde cette fois la glaciale princesse Turandot. En décembre avec Zubin Mehta, en avril dirigé par Dan Ettinger.

Mais trois reprises m’attirent dont une m’électrise rien qu’à la lecture de la distribution pour lesquelles je vais faire sans doute les 800 km qui me séparent de Munich:

– Don Carlo en janvier (15 janvier 2012-29 janvier 2012) avec la meilleure distribution dont on puisse aujourd’hui rêver: Anja Harteros (Elisabetta), Jonas Kaufmann (Don Carlo), René Pape (Philippe II), Marius Kwiecen (Posa), Anna Smirnova (Eboli). Pour les parisiens, Marius Kwiecien fut le Roi Roger dans la belle production de l’opéra de Szymanowski mise en scène par Warlikowski . C’est un magnifique baryton qui vient de triompher dans Don Giovanni au MET. Les autres on les présente pas…  Direction Asher Fisch (qui fera la Veuve Joyeuse à paris le mois suivant), qu’importe alors que la production soit une reprise de la mise en scène de Jürgen Rose qui ne brille pas par l’imagination, mais qui garantit quelques images. A NE MANQUER SOUS AUCUN PRETEXTE

Roberto Devereux de Donizetti, pour l’encore si grande et inusable Edita Gruberova, dirigé par Friedrich Haider, dans une mise en scène de Christof Loy (que je n’aime pas beaucoup, voir les Vêpres Siciliennes de Genève) avec Joseph Calleja, très bon ténor qu’on voit plus au MET qu’en Europe. A voir absolument, pour l’œuvre rare et pour la dame…

Parsifal, en avril, pour Pâques comme il se doit  dans une reprise de la mise en scène de Peter Konwitschny (celui qui a fait aussi le Tristan vu en juillet dernier dans cette salle), dirigé par Kent Nagano avec une distribution très alléchante: Waltraud Meier (Kundry), Christopher Ventris (Parsifal), Michael Volle (Amfortas), Stephen Milling (Gurnemanz) Gerd Grochowski (Klingsor)…rien que des très bons…

En bref, entre Munich et Zürich, cela promet de belles virées!

A suivre…Berlin, Vienne, Londres, New York, Florence, Rome etc…

 

2) Le spectacle à ne pas manquer dans cette série à mon avis:

DON CARLO A MUNICH évidemment, en janvier,  si on aime le beau chant!

LES PROGRAMMES 2012 DE CLAUDIO ABBADO AU 21 JUIN 2012

MARS

Lundi 5 mars 2012
Ferrara, Teatro Comunale, 20h00

Mahler Chamber Orchestra
Claudio Abbado, direction
Martha Argerich, piano

Beethoven: Egmont, ouverture
Mozart: Concerto pour piano et orchestre n° 25, KV 503
Schubert: Symphonie no. 4, “Tragique”

Mardi 6 mars 2012
Reggio Emilia,Teatro Valli 20h00

Mahler Chamber Orchestra
Claudio Abbado, direction
Martha Argerich, piano

Beethoven: Egmont, ouverture
Mozart: Concerto pour piano et orchestre n° 25, KV 503
Schubert: Symphonie no. 4, “Tragique”

AVRIL

Dimanche 1er avril 2012 – Naples, Teatro San Carlo
Projet spécial L’ORCHESTRA MOZART RENCONTRE LE CINEMA RUSSE
en collaboration avec la  Cinémathèque de Bologne

ORCHESTRA MOZART
ORCHESTRA E CORO DEL TEATRO SAN CARLO
CLAUDIO ABBADO direction
SARA MINGARDO mezzosoprano

PROKOFIEVLieutenant Kijé
PROKOFIEV Alexander Nevskij (Projection du film  de Sergei Eisenstein de 1938)

MAI

Jeudi 10, Vendredi 11, Dimanche 13 mai 2012

Berlin, Philharmonie, 20h00
Berliner Philharmoniker
Claudio Abbado, direction
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano
Isabelle Faust, violon

Schumann: Genoveva, ouverture op. 81
Berg: Concerto pour violon “A la mémoire d’un ange”
Berg: Altenberg-Lieder. op. 4
Schumann: Symphonie no. 2, op. 61

 

JUIN

Samedi 2 Juin,  20h00

Bologna, Auditorium Manzoni, 20h00
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction
Maria Joao Pires, piano

Beethoven: Egmont, Ouvertüre, op. 84
Mozart: Concerto pour piano, la majeur, K 425
Beethoven: Symphonie no. 3, mi bémol majeur, op. 55, “Eroica”

Mardi 5 Juin,  20h00

Paris, Salle Pleyel,
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction
Radu Lupu, piano

  • Ludwig van Beethoven, Ouverture Egmont opus 84
  • Robert Schumann, Concerto pour piano opus 5
  • Robert Schumann, Symphonie n° 2

Lundi 11 Juin,  20h00

Bologna, Auditorium Manzoni, 20h00
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction
Rachel Harnisch, soprano
Sara Mingardo, alto
Javier Camarena, ténor
Paolo Fanale, ténor
Alex Esposito, basse
Arnold Schoenberg Chor

Mozart: Missa Solemnis, ut majeur, K 139, “Waisenhaus Messe”
Schubert: Messe, mi bémol majeur,  D 950 

 

JUILLET

Samedi 28 juillet 2012

Salzburger Festspiele
Haus für Mozart, 20h30.

Mozart, Messe KV.139
Schubert, Messe D.950

Rachel Harnisch, Sara Mingardo, Javier Camarena, Paolo Fanale, Alex Esposito,
Arnold Schoenberg Chor
Orchestra Mozart
Dir: Claudio ABBADO

AOÛT
Lucerne Festival

Mercredi 8, Jeudi 10, Vendredi 11 août 2012

Lucerne, KKL,  18h30 (8), 19h30 (10 et 11)
Lucerne Festival Orchestra
Chor des Bayerischen Rundfunks
Schwedischer Rundfunkchor
Tölzer Knabenchor
Claudio Abbado, direction
Beethoven: Musiques pour Egmont
Mozart: Requiem

 

Vendredi 17 et Samedi 18 août 2012

Lucerne, KKL, 19h30(17), 18h30(18)
Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado, direction
Radu Lupu, piano

Ludwig van Beethoven: Concerto pour piano et orchestre no. 3, op. 37
Anton Bruckner: Symphonie no. 1, WAB 101

SEPTEMBRE

Dimanche 16 et Lundi 17 septembre 2012

Vienne, Musikverein, 19h30
Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado, direction
Maurizio Pollini, piano

Mozart: Concerto pour piano, no. 17, sol majeur, K 453
Bruckner: Symphonie no. 1, do mineur

Mercredi 19 septembre 2012

Moscou, Salle Tchaïkovski,  20h00
Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado, direction
Maria Joao Pires, piano

Mozart: Concerto pour piano, no. 17, sol majeur, K 453
Bruckner: Symphonie no. 1, do mineur

Vendredi 21 septembre 2012

Hambourg, Laiesz Halle,  20h00
Lucerne Festival Orchestra
Claudio Abbado, direction
Maria Joao Pires, piano

Mozart: Concerto pour piano, no. 17, sol majeur, K 453
Bruckner: Symphonie no. 1, do mineur

Dimanche  23 septembre 2012, 20h00

FERRARE
CONCERT  EXTRAORDINAIRE POUR LA VILLE DE FERRARE
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
CLAUDIO ABBADO, direction

Anton Bruckner, Symphonie n°1 en ut mineur  WAB 101

OCTOBRE

Mardi 30 octobre, 20h00
Milan, Teatro alla Scala
Filarmonica della Scala
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction
Daniel Barenboim, piano

Chopin: Concerto pour piano no. 1 en mi mineur, op.11
Mahler: Symphonie no. 6, “Tragique”

NOVEMBRE

Dimanche18, mardi 20, mercredi 21 novembre, 19h30

Vienne, Musikverein
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction

Beethoven: Coriolan, ouverture
Schumann: Symphonie no. 2
Mendelssohn-Bartholdy: Symphonie no. 3, la mineur, op. 56, “Ecossaise”

DECEMBRE

Lundi 3 décembre

Francfort, Alte Oper, 20h00
Orchestra Mozart
Claudio Abbado, direction

Julia Kleiter, soprano
Isabelle Faust, Gregory Ahss, violon
Jacques Zoon, flûte
Michala Petri, flûte à bec
Lucas Macias Navarro, hautbois
Guilhaume Santana, basson
Reinhold Friedrich, trompête
Alois Posch, contrebasse

Oeuvres de Johann Sebastian Bach:
Suite pour orchestre no. 2, BWV 1067
Concerto pour violon no. 1, BWV 1041
Concerto Brandebourgeois no. 2, BWV 1047
Cantate “Jauchzet Gott in allen Landen”, BWV 51
Suite pour orchestre no. 4, BWV 1069

Mardi 4 décembre

Baden-Baden, Festspielhaus, 20h00
Orchestra Mozart

Claudio Abbado, direction

Julia Kleiter, soprano
Isabelle Faust, Gregory Ahss, violon
Jacques Zoon, flûte
Michala Petri, flûte à bec
Lucas Macias Navarro, hautbois
Guilhaume Santana, basson
Reinhold Friedrich, trompête
Alois Posch, contrebasse

Oeuvres de Johann Sebastian Bach:
Suite pour orchestre no. 2, BWV 1067
Concerto pour violon no. 1, BWV 1041
Concerto Brandebourgeois no. 2, BWV 1047
Cantate “Jauchzet Gott in allen Landen”, BWV 51
Suite pour orchestre no. 4, BWV 1069

Lundi 10 décembre

Palermo, Teatro Massimo, 20h00
Orchestra Mozart

Claudio Abbado, direction

Julia Kleiter, soprano
Isabelle Faust, Gregory Ahss, violon
Jacques Zoon, flûte
Michala Petri, flûte à bec
Lucas Macias Navarro, hautbois
Guilhaume Santana, basson
Reinhold Friedrich, trompête
Alois Posch, contrebasse

Oeuvres de Johann Sebastian Bach:
Suite pour orchestre no. 2, BWV 1067
Concerto pour violon no. 1, BWV 1041
Concerto Brandebourgeois no. 2, BWV 1047
Cantate “Jauchzet Gott in allen Landen”, BWV 51
Suite pour orchestre no. 4, BWV 1069

OPERA DE PARIS 2011-2012: FAUST, de Charles GOUNOD (Dir.mus.: Alain ALTINOGLU, ms en scène: Jean-Louis MARTINOTY avec Roberto ALAGNA) le 16 octobre 2011

Beaucoup de bruit pour “rien”

A lire certains articles ou blogs, on allait avoir affaire à une représentation “indigne”, ce n’est pas le cas. Cette mise en scène n’est pas indigne, mais elle est globalement ratée. Au sortir de ce Faust, on n’est certes pas enthousiaste, à aucun niveau, mais certes pas scandalisé non plus, on a vu bien pire. La mise en scène de Jean-Louis Martinoty pèche par excès, par  accumulation  et finit par se noyer.
Martinoty n’est pas un provocateur, c’est un metteur en scène sérieux d’une grande culture germanique, qui a fait des spectacles corrects (les Mozart de Vienne, le Pelléas du théâtre des Champs Elysées, et quelques autres qui m’avaient séduit en leur temps (une belle Ariane à Naxos couleur Klimt en 1986 à l’Opéra Comique, si je me souviens bien) .
Monter Faust n’est pas particulièrement facile à l’Opéra de Paris (souvenons-nous de Lavelli) et justement, venir après Lavelli n’est pas si facile non plus, tant le public des vieux habitués a encore la production en tête (elle date de 1975 et elle a duré 28 ans, dernière en 2003, passant de Garnier à Bastille sans encombres, au contraire des Nozze di Figaro de Strehler qui ont dû subir transformation et affadissement).  En tous cas, si ce spectacle ne m’a pas  plu, il ne m’a pas (trop) gêné, et si j’y ai vu des choses un peu ridicules ou mal fichues (le final notamment), j’y ai vu aussi de bonnes idées, et même quelques beaux moments.
Commençons donc par cette mise en scène,  qui a horrifié une certaine partie du public et de la presse. Martinoty propose une vision très didactique de l’œuvre, qui va souligner à gros traits des éléments constitutifs du mythe.  Faust est un scientifique, son cabinet est donc une gigantesque bibliothèque, un capharnaüm où l’on distingue un globe terrestre, une lunette, une sorte de jardin en miniature sous globe, un piédestal où apparaîtra le jeune Faust, un Rhinocéros (en fait une horloge monumentale) de bronze doré (aux cornes phalliques?) supportant un obélisque translucide où apparaîtra l’ombre de Marguerite, un portrait de Mephisto en costume traditionnel. Bon c’est beaucoup, mais c’est aussi la représentation des cabinets de curiosités qui devaient ressembler à ça… L’espace est assez impressionnant, semi-circulaire rappelant nettement l’espace lavellien  – galeries circulaires, fer forgé, colonnettes – tout se passera sur l’espace central  comme chez Lavelli, sorte d’espace tragique dévolu à l’action,  il est dominé par une gigantesque croix qui écrase l’ensemble des scènes -sauf Walpurgis, évidemment-. En fond de scène, en disant “rien”, Faust éclairera un énorme “Rien” qui luira (ou non) tout au long de l’opéra. L’idée de ce premier acte? Faire chanter le Faust-vieillard par un autre chanteur, âgé, Rémy Corazza, que j’ai vu chanter des petits rôles à Garnier dans les années 70. il ne s’en sort pas si mal et cette voix un peu vieillie finalement donne cohérence à ce début. Ainsi l’apparition qui fait s’écrier “Ô merveille!” à Faust n’est pas celle de Marguerite, mais celle du Faust jeune, vêtu d’un tee shirt couleur or, qui apparaît un peu comme un jeune Dieu. C’est une image de Marguerite, une statue (ombre) sous verre dissimulée dans l’obélisque (voir plus haut). L’idée n’est pas mauvaise, allez. L’acte suivant, de la kermesse, est assez semblable d’esprit à ce qu’on voyait chez Lavelli, défilé de la bourgeoisie provinciale, ici plus marquée par l’ambiance où évolue Faust, universitaires, jeunes médecins ou étudiants en médecine, soldats (légionnaires…) dans une ambiance de danse macabre, sous un christ-squelette gigantesque couronné de fleurs. Valentin est ainsi un légionnaire en partance et Marguerite est vêtue d’une petite robe et d’une coiffe de petite fille bien sage. Le veau d’or est chanté traditionnellement au milieu de cette assemblée, rien de terriblement neuf.
La scène du jardin se déroule dans une sorte de reproduction du jardin sous verre dont on parlait plus haut, vision luxuriante de ce que pourrait être un jardin d’Eden à la Cranach, avec un lit (recouvert de feuillages) au milieu. Ce lit central dit bien l’espace du désir, un des points centraux de la mise en scène, aux dires de Martinoty dans le programme de salle. Effectivement, Marguerite étendue dans ce lit et saisie (tordue?) de désir irrépressible appellera Faust à la fin de l’acte (Viens! Viens!). une seule bonne idée, mais vraiment bien réussie dans cet acte: c’est Mephisto qui habille Marguerite des fameux bijoux, en une sorte de ballet déjà vaguement érotique.
La scène de l’église est transposée après le choeur “Gloire immortelle de nos aïeux”, on verra pourquoi. et au lieu du jardin d’Eden au centre du dispositif, un jardin mort, arbres morts, et branchages au lieu de la luxuriance précédente. De Cranach on passe à Kaspar David Friedrich…Le chœur est réglé de manière très démonstrative: des bourgeois rutilants, un accueil de sous-préfecture et l’arrivée d’un corbillard recouvert d’un drapeau et de quelques éclopés (merci Lavelli) qui reçoivent une décoration. C’est la même idée, de manière plus lourdement démonstrative, que chez Lavelli. Autre bonne idée cependant, pas de duel entre Valentin et Faust, mais une illusion de duel conduite par Mephisto qui fait se battre Valentin seul contre le vent, et qui donne à Faust au dernier moment l’épée meurtrière qui agit presque avant que de toucher Valentin.
La scène de l’église dans cette mise en scène, est en fait la scène des obsèques de Valentin, d’où son déplacement après le meurtre: Marguerite en est exclue, regardée, méprisée par tous ceux qui pénètrent dans la nef, dont Siebel , et Méphisto, vêtu en prêtre tient à Marguerite le discours d’exclusion de l’église: discours de Satan et discours de l’église se rejoignent: ça aussi, c’est une bonne idée. Marguerite pénètre dans l’église quand tous sont sortis et poignarde son bébé sur le cercueil du frère (mmoui, un peu exagéré dans le genre mélo).
La croix qui dominait le décor descend au sol pour la nuit de Walpurgis (pas de ballet…Gounod lui même le détestait), et devient la passerelle qui permet à Faust de se mêler aux reines de l’antiquité: il se couche sur une croix (une autre) et se laisse crucifier de désir par ces dames qui le déshabillent (enfin…commencent à…) . Si le dôme de verre de Lavelli était descendu, on se serait presque cru revenir trente ans en arrière.
Dernière acte, comme chez Lavelli, Marguerite est en camisole de force, et dans la même position (et la même coiffure) que jadis Freni, dans un décor où bonne partie des livres qui garnissaient la bibliothèque du début jonchent le sol. Mais libérée par Faust, après avoir chanté “Anges purs, anges radieux” elle tire vers elle une guillotine gigantesque, s’offre au couperet, le Moine qui est là se découvre, c’est Valentin qui va accueillir sa sœur au cieux après l’avoir promise au bourreau. Une procession portant alors la relique de sa tête passe en chantant “Christ est ressuscité”, Faust la suit, rentrant “littéralement” dans le rang et au loin Méphisto observe.
Mais beaucoup de maladresses et trop de personnages: pourquoi Siebel prend-il l’eau bénite du troisième acte auprès d’un prêtre et de deux enfants de chœur qui passaient par là? Pourquoi ces scènes au lavoir où on lave des linges tachés de sang(tiens tiens, d’où vient cette idée légère…) les amies de Marguerite l’écoutent chanter la chanson du roi de Thulé, puis la lamentation initiale du quatrième acte. Au total trop de lourdeur, trop de volonté démonstrative, trop de nuisances qui troublent l’audition et n’apportent pas grand chose. car au total, on en n’a pas plus appris qu’il y a 36 ans avec Lavelli, c’est très largement le même propos, avec un peu plus de fatras, et beaucoup moins de poésie, et encore moins d’émotion.

L’émotion est-elle née de la musique et du chant? Pas plus. Non que les protagonistes n’aient pas le niveau requis, loin de là, mais ils n’arrivent pas à faire vibrer un seul instant.

D’abord, de bons points pour  le Siebel très frais d’Angélique Holdus (sera-t-elle la Renée Auphan d’aujourd’hui,  qui marqua tant le rôle) et surtout la Dame Marthe si bien caractérisée par Marie Ange Todorovitch qu’on est très heureux de retrouver, et qui semble prête à succéder à Jocelyne Taillon dans les Marthe mythiques, en version moins charnue que la grande Jocelyne!
Tassis Christoyannis (excellent Monfort l’an dernier à Genève dans les Vêpres siciliennes) est là aussi  excellent, très intense, très contrôlé même si la couleur n’est pas celle d’un baryton Martin: c’est lui qui remporte avec justice le plus grand succès.
Paul Gay est un Méphisto de belle allure, très bon acteur, il campe un personnage vif, ironique, distancié, avec une diction impeccable, une bonne voix (notamment dans la scène de l’église, où il est vraiment magnifique). Mais la voix est pour mon goût un peu trop claire. J’aime des basses profondes dans ce rôle. Il reste que la prestation est très satisfaisante. Un très beau chanteur.
Inva Mula chante la partie de Marguerite sans difficulté (sauf dans le suraigu, très tendu: la voix n’a plus de réserves) et donne à son interprétation une certaine intensité, mais ne réussit jamais à se départir d’une certaine froideur, avec une diction douteuse, et donc n’arrive jamais à émouvoir (à m’émouvoir, au moins). Cette chanteuse, de qualité certes, ne m’a jamais touché…et dans Marguerite, l’ombre de Mirella Freni dont chaque note palpitait et respirait le drame et l’émotion est encore trop présente (je vous renvoie à l’enregistrement de Prêtre, pourtant pas extraordinaire).
Le cas de Roberto Alagna est plus délicat à mon avis: la voix a perdu beaucoup de son timbre magique, même si l’aigu reste solide. Pour attaquer les notes, le timbre change, comme si la voix avait perdu en homogénéité, en couleur, en velouté. Et il n’y a plus de grave, complètement détimbré dans la cavatine “Salut, demeure chaste et pure”. L’aspect du personnage est toujours  juvénile, vif en scène, mais le chanteur a perdu beaucoup de ce qui en faisait un artiste d’exception. Quand on écoute Domingo chez Prêtre, pourtant dans un rôle qui n’est pas vraiment fait pour lui, on est frappé justement par l’unicité de cette voix, qui est distille la même lumière dans tous les registres; ici, on sent que la voix souffre, qu’il n’y a plus cette même facilité insolente. Au jeu des comparaisons, quand on pense à ce que faisait jadis Nicolai Gedda, fabuleux (jamais je n’entendis une cavatine aussi bien dite) et même Alain Vanzo, on est un peu triste pour Alagna. Ce n’est pas lui qui remporte le plus grand succès, et je ne suis pas sûr que ce type de rôle lui convienne encore.

Déception également pour le chœur: exactement comme la semaine dernière pour Tannhäuser, il m’a semblé que le chœur n’avait pas la présence, la vaillance et le brillant habituels sur cette scène. On avait envie de plus d’énergie, de plus d’engagement, de plus d’éclat. Rien de tout cela mais une prestation appliquée sans plus.
Enfin, Alain Altinoglu, qui a remplacé Alain Lombard parti avant terme, dirige l’orchestre avec attention, précision, et souci du détail. Mais là aussi, je trouve un certain manque d’énergie et un tempo un tantinet trop lent pour moi. Il en résulte une interprétation un peu pâle, et sans vrai relief pour mon goût, sans vibration, sans poésie, même si l’ensemble reste très honorable.

Au total, dans un écrin sans bijoux mais débordant d’excès, on est passé à côté: Martinoty a voulu trop en faire, trop en dire:  à trop charger la barque elle chavire. Tout finit par sonner creux. L’équipe musicale est de bon niveau, mais on est quand même assez loin du très  grand niveau. Ce fut une matinée d’un dimanche ensoleillé où le temps a glissé assez agréablement, sans rien, de ce rien tant répété dans cette œuvre, sans rien pour accrocher vraiment l’oreille et surtout le cœur. Et donc beaucoup de bruit pour rien.

NB: A réécouter pour l’éternité Gedda/Los Angeles/Christoff avec un André Cluytens comme toujours au rendez-vous.

 

OPERA DE LYON 2011-2012: LE NEZ de Dimitri CHOSTAKOVITCH (Ms.en scène William KENTRIDGE, Dir.Mus: Kazushi ONO

Une fois de plus, ce spectacle a fait mouche: l’Opéra de Lyon ne désemplit pas et chaque soir c’est un triomphe: Le Nez, de Dimitri Chostakovitch, qui l’eût cru, est le spectacle à ne pas manquer de cette rentrée. Les quatre représentations d’Aix avaient créé la curiosité et l’événement, Lyon propose sept représentations (dernières le 20 octobre) avec la même distribution ou presque. Le fait d’avoir déjà vu la production permet de se concentrer sur des détails, de mieux appréhender le texte (même si les sous-titres sont très mal placés, et je ne sais ce que peuvent en voir les spectateurs des 5ème et 6ème balcons), et surtout de revivre l’intense plaisir connu la première fois. Cette oeuvre est une explosion d’inventivité, de jeunesse, d’ironie, une sorte de dessin animé sonore que la production de Kentridge renforce sans jamais écraser la musique. L’explosion visuelle qui correspond à cette explosion sonore ne gêne jamais l’audition, mais la renforce sans cesse, et construit une telle solidarité entre scène et fosse qu’on pourrait se demander si l’on ne tient pas là une sorte de version définitive…Il aurait fallu aller voir cette année la production de Zurich (Ingo Metzmacher au pupitre et Peter Stein à la mise en scène), qui a connu sa dernière le 8 octobre, pour se faire une idée claire. Il reste que les deux petites heures passées à Lyon sont un indicible plaisir.
Un plaisir parce que le spectacle repose solidement sur les trois pieds du trépied lyrique:
– une direction d’orchestre au petit poil, d’une redoutable précision, encore plus qu’à Aix peut-être, qui suit avec une minutie métronomique les éléments du spectacle qu’elle accompagne presque comme si elle illustrait, elle commentait ce qui se passe en scène, comme une musique de film. Kazushi Ono fait un travail magnifique avec l’orchestre de l’Opéra de Lyon, (les musiciens ont l’air de s’amuser comme des fous!) dans un répertoire où il excelle
– une distribution exemplaire, où chacun est à sa place, dans le jeu comme dans la voix. la voix de Vladimir Samsonov sonne mieux dans la salle plus petite de l’Opéra de Lyon. On retrouve avec plaisir le désopilant Ivan de Vassily Efimov, et naturellement l’exceptionnel sergent de Andrei Popov. Tous (c’est la même distribution qu’à Aix) sont vraiment excellents acteurs et remarquables chanteurs: on note encore une fois leur diction exceptionnelle et leur engagement prodigieux
– une mise en scène étonnante, qui ne laisse pas un instant de répit, qui nous entraine dans un tourbillon d’images mais qui en même temps est un remarquable travail historique sur le constructivisme russe, sur le monde intellectuel de l’époque, mais aussi sur la société russe dans ses racines et sa diversité. Elle utilise la vidéo, le cinéma d’animation, les collages, et explose sans cesse en images diverses: la scène du journal est encore une fois l’une de mes préférées, mais la première scène du coiffeur est aussi à la fois surprenante et exacte, collant remarquablement au texte de Gogol. J’ai déjà écrit un compte rendu lors de ma première vision à Aix, je n’ai qu’à ajouter une seule chose: Allez-y, allez-y, allez-y, c’est jusqu’au 20 octobre, risquez si vous n’avez pas de billet, il y a toujours de places de dernier moment.

OPERA DE PARIS 2011-2012: TANNHÄUSER de Richard WAGNER le 9 octobre 2011 (Dir.mus: Sir Mark ELDER, Ms en scène: Robert CARSEN)

Cette production de Robert Carsen, datant de l’ère Mortier (2007), avait naguère bénéficié de la présence de Seiji Ozawa au pupitre, qui avait porté l’orchestre à incandescence, et d’une distribution  de très haut niveau, avec notamment un Matthias Goerne exceptionnel en Wolfram,  un très bon Stephen Gould en Tannhäuser, et de la grande Eva Maria Westbroek en Elisabeth, Venus étant confiée à Béatrice Uria-Monzon. A l’époque, une grève avait perturbé les représentations. L’agitation sociale actuelle à l’Opéra de Paris n’est pas nouvelle…
Carsen déplace l’ambiance et le sujet, transpose Tannhäuser dans un milieu artistique mondain, avide d’expositions, mais aux idées plutôt conformistes: la thématique dominante en est celle de l’artiste en avance sur son temps, isolé et incompris il n’y a rien de religieux là-dedans et la thématique de la rédemption disparaît, mais l’ensemble reste assez cohérent. Une fois admis le postulat de départ, la mise en scène notamment pendant les premiers et deuxième acte suit le livret et l’on pourrait presque remplacer les costumes modernes par des costumes médiévaux et l’on aurait à peu près un Tannhäuser traditionnel. L’utilisation de l’espace de la Salle au deuxième acte n’ajoute pas grand chose, sinon d’assimiler la “Teure Halle” à la salle de l’Opéra, la belle affaire…puisque le postulat n’est pas de dire que Tannhäuser est un chanteur mais un peintre…Ainsi les pélerins partent-ils à Rome avec leur tableau, comme autant de péchés, ils portent leur croix, et quand ils reviennent, il n’y a plus que l’armature: le tableau c’est ce qui doit être éliminé. Il reste qu’il est difficile de faire adhérer le texte à ce qu’on voit, au deuxième acte surtout.
C’est au troisième acte que la mise en scène m’apparaît la plus intéressante: elle rejoint (étrangement) les idées exprimées par Baumgarten à Bayreuth cette été: le Venusberg est en nous et nous le portons et nous balançons sans cesse de Vénus à la vertu: Wolfram seul se roule dans le lit de Vénus, enlaçant la robe d’Élisabeth, comme le fera Tannhäuser quelques instants après, et au final, Vénus et Élisabeth deviennent en quelque sorte deux faces de la même femme, habillées de la même manière, elles posent pour le peintre (les peintres, puisque Wolfram lui aussi vit en quelque sorte ce que vit Tannhäuser) qui ainsi trouve l’inspiration. Le final devient alors le triomphe du peintre reconnu par le monde: il a trouvé sa voie dans l’oscillation Vénus/Élisabeth et le rideau se ferme sur une exposition de toutes les Vénus possibles de la peinture occidentale. C’est peut-être la vision de Wolfram qui est la plus intéressante, un Wolfram introverti, un peu coincé dans son look d’étudiant attardé, qui réprime l’explosion de ses désirs car tout  le reste des personnages est singulièrement “conforme” à l’habitude.
Robert Carsen est un metteur en scène qui fleurit sur les scène d’opéra, justement parce que ses spectacles sont toujours soignés, qu’ils ont souvent des idées, et surtout que son approche semble “moderne” sans risque, et qu’au total il n’est pas dérangeant, une sorte de Canada Dry de la mise en scène (ça tombe bien, il est canadien). Il a donc tout pour plaire au public et surtout aux directeurs d’opéra, qui aiment les spectacles qui pourront être repris sans histoires.
Du point de vue de la distribution, Nicolas Joel a réuni une distribution de très haut niveau, qui rivalise largement avec la compagnie originale. Nina Stemme faisait ainsi ses débuts à l’Opéra de Paris (il est temps…) dans un rôle qui lui va parfaitement. La puissance de la voix est toujours impressionnante et Élisabeth ne sollicite pas son organe comme peut le faire Brünnhilde. En écoutant encore attentivement cette artiste, je confirme clairement que la couleur n’est pas celle d’une Brünnhilde ou d’une Elektra, mais bien d’une Sieglinde, d’une Elisabeth, d’une Christothemis: bien que suédoise, elle n’est pas une Nilsson comme je l’ai lu çà et là de la part de gens qui n’avaient sûrement pas entendu la Nilsson. Nina Stemme est beaucoup plus une Rysanek. J’avais remarqué sa fatigue perceptible à Munich en Juillet dernier, mais aussi sa somptueuse Sieglinde il y a trois semaines à Lucerne. Du point de vue de l’intensité et de la force dramatique, je lui préfère (mais  suis-je objectif?) Anja Harteros, qui avec moins de moyens, étaient littéralement bouleversante à Milan au deuxième acte. Il reste qu’on a là une très grande Élisabeth. Sophie Koch en Vénus n’a pas raté son entrée dans le rôle: voilà une Vénus physiquement crédible (même si c’est une figurante qui est nue au lever de rideau et affiche des formes très avantageuses) et vocalement impeccable aux aigus triomphants, avec une voix vibrante, chaude, vivante, presque érotique. Nous tenons là un mezzo wagnérien de tout premier ordre: Sophie Koch est en train d’entrer peu à peu dans le panthéon des mezzos wagnériens indispensables: elle est une grande Brangäne, une très belle Fricka, et a présent une belle Vénus. A quand Bayreuth?
Christopher Ventris est un bon Tannhäuser, à la voix claire et lumineuse, un peu tendue au final du 2ème acte, et du redoutable 3ème acte. Je lui préfère quand même Stephen Gould, plus urgent, plus dramatique à mon goût ou même Peter Seiffert à la voix plus large de vrai Heldentenor. Mais il reste que sa prestation est vraiment très honorable. Stéphane Degout compose un personnage humainement très vrai, au chant mesuré, contrôlé, à la diction parfaite, un très grand Wolfram, d’une particulière intensité, qui peut rivaliser avec les grands Wolfram du moment (et même avec Goerne), mais qui n’atteint pas à mon avis le niveau bouleversant de Michael Volle cet hiver à Zurich dans la production de Kupfer. Ceci étant, Degout est vraiment l’un de nos chanteurs les plus talentueux et il reçoit un succès très mérité. Seule déception, le Landgrave de Christof Fischesser, un chanteur que j’aime beaucoup, mais qui m’est apparu en deçà du rôle, un peu grave peut-être pour la couleur de sa voix. Parmi les autres, on remarque le beau Biterolf de Tomas Konieczny, un baryton qui “monte” en ce moment. En tous cas, l’ensemble de la distribution n’appelle pas de remarque désobligeante: c’est une belle réunion d’artistes de qualité qui compose ce Tannhäuser.
On peut alors regretter que l’on ait fait appel à Sir Mark Elder pour diriger la production. De tous les Tannhäuser de ces dernières années, c’est sans doute la direction la plus pâle qu’on ait pu entendre: à Zurich, c’était Ingo Metzmacher, peu connu en France hélas, à Bayreuth, Thomas Hengelbrock qu’on entend encore souvent à l’opéra dans du répertoire XVIIIème, à Paris même, c’était Ozawa. Aucune comparaison possible avec aucun de ces chefs. Sir Mark Elder, très apprécié outre Manche (mais pas à Bayreuth, où il ne dirigea qu’un an les Maîtres Chanteurs il y a une trentaine d’années), n’est pas arrivé du tout à rendre l’épaisseur de la partition, à rendre audible les différents pupitres: rien n’est mis en relief, rien n’est vraiment souligné, sinon la ligne mélodique dominante. les tempos sont quelquefois lents, ce qui rend encore plus ennuyeux l’audition car la lenteur ne permet pas de s’accrocher à une audition analytique de l’orchestre: l’orchestre s’ennuie, les spectateurs s’ennuient, et cela a des effets sur le chœur, qui m’est apparu en deçà de ses prestations habituelles avec quelques menus décalages. Dans une œuvre où le chœur est déterminant et si attendu, c’est tout de même dommage: habituellement le chœur final fait vibrer la salle, ici, c’est certes toujours impressionnant (on est chez Wagner tout de même), mais reste un tantinet extérieur, sans l’engagement total qu’on pourrait attendre. Je continue à ne pas comprendre certains choix de Nicolas Joel en matière de chefs.
Au total, une bonne reprise “de répertoire” dans une mise en scène à succès, mais inégale, notamment pour les deux premiers actes, une direction musicale pâle et sans intérêt, avec une distribution de très haut niveau qui provoque un grand succès public, mais qui ne réussit pas à inscrire cette soirée (matinée) dans les grandes soirées d’opéra. On continuera à se souvenir des premières, grâce à Ozawa.
Une note très sympathique et optimiste, j’étais assis entre des jeunes (18-20 ans) ayant bénéficié de places à prix réduits de dernier moment. Ils étaient visiblement fous d’opéra. Ils m’ont rappelé les moments bénis des années 70 ou 80 où grâce aux places “étudiant”, j’ai pu voir à l’orchestre pour 10F Karajan dirigeant le troisième acte de Parsifal ou Böhm dirigeant la Flûte enchantée et l’Enlèvement au Sérail (oui oui, ce n’était pas complet!!).
La relève est assurée !

SALLE PLEYEL 2011-2012: Claudio ABBADO dirige le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 8 octobre 2011 (MOZART, BRUCKNER)

Stratosphérique…

“Concerto stratosferico”. Cette réflexion d’un spectateur italien traduit à merveille l’émotion qui  m’a étreint, et visiblement qui a étreint une salle en délire (on pouvait y voir Pierre Boulez, ainsi que Daniel Harding) à la fin du concert donné par le Lucerne Festival Orchestra ce samedi 8 octobre, à l’occasion de sa tournée d’automne (Baden-Baden le 6, Paris le 8 , Londres les 10 et 11 avec un programme légèrement différent). Le programme du concert était celui donné à Lucerne le 19 août, Mozart Symphonie n°35, “Haffner” et Bruckner Symphonie n°5 dont j’ai alors rendu compte. J’ouvrais l’article ainsi  “Les concerts de Claudio Abbado, je le répète recèlent toujours des surprises. Celui du 19 août n’a pas dérogé à la règle. Un programme symphonique assez classique (Mozart ; Bruckner)… Haffner+5ème de Bruckner, c’est le programme annoncé pour le concert de la salle Pleyel (Samedi 8 octobre) pour lequel il reste des places. Après avoir entendu le concert, je ne peux que vous dire: précipitez-vous sur internet pour emporter les dernières places, vous ne le regretterez pas.”
Les mélomanes qui ne se sont pas précipités auront eu tort. Car ce fut encore une énorme surprise, et un immense moment de musique, de ceux qui ne se reproduisent que rarement. Des amies ayant entendu le concert de Baden-Baden m’avaient averti que la Symphonie de Bruckner était différente, et peut-être encore meilleure qu’à Lucerne; elles avaient ajouté qu’en revanche le Mozart n’avait pas beaucoup évolué. Et là, à Paris, la symphonie de Mozart a sonné complètement différemment. A Lucerne, le dernier mouvement mis à part (celui qui fait écho au “O, wie will ich triumphieren” d’Osmin dans l’Enlèvement au Sérail), l’ensemble était apparu certes très jeune, plein d’allant, mais  on est ce soir encore au-delà. Les coups de timbale de Raymond Curfs, qui ce soir a été tout à fait extraordinaire, tant dans Mozart que dans Bruckner, rythment une sarabande endiablée, avec des contrastes incroyables, les cordes après avoir été  légères, à peine effleurées, à peine audibles,  explosent subitement dans un son plein, charnu, – et charnel- gourmand, le second mouvement est magnifique de subtilité, le troisième très scandé, le quatrième encore plus rapide, plus énergique, plus ahurissant de virtuosité qu’à Lucerne. La salle est visiblement très surprise, vu la très longue ovation qui accompagne le final et l’explosion des bravos. On entend les spectateurs se réjouir de voir Abbado en pleine forme et qui sont stupéfiés de la force et de l’énergie de ce Mozart explosif et tout en sève. Effectivement, cette “Haffner” est un vrai prélude à une “folle journée” et fait  irrésistiblement penser aux “Nozze di Figaro”. Ce que j’ai écrit après le 19 août se vérifie, mais va encore au-delà, pour un concert qui devient anthologique.
Les qualités de l’interprétation de Bruckner notées dans mes précédents compte rendus se vérifient évidemment, mais il y a encore plus de force, plus de luminosité, plus d’énergie dans l’approche. A la monumentalité est préférée la luminosité, la clarté, par une incroyable mise en relief des architectures, des sons pris isolément. Bien sûr, il faut saluer la perfection des cuivres emportés par Reinhold Friedrich, toujours aussi éblouissant de technique, et des cors, emmenés par Alessio Allegrini, mais ce sont les bois qui époustouflent, la flûte de Jacques Zoon, le hautbois de Macias Navarro et la clarinette (ce n’est pas Sabine Meyer, absente, mais la clarinette solo, très différente, frappe par ce son à la fois mélancolique et somptueux). Cette ivresse sonore se lit dès le début, dans le contraste entre l’attaque des contrebasses et des violoncelles, très retenue, sourde, mais très clairement audible dans une salle à l’acoustique très (trop?) analytique, puis le son plein, très rond, somptueux des altos et les violoncelles : c’est tout simplement stupéfiant. On saluera aussi les interventions débordantes d’énergie de Raymond Curfs aux percussions, le  final de la Symphonie est là aussi digne d’anthologie et son intervention décisive pour clore ce monument. On ne sait que citer: un deuxième mouvement d’une suavité étonnante, un scherzo qui bouscule, un final qui écrase et qui élève en même temps,  “hymne à l’énergie” inébranlable. On a là une interprétation quasi définitive.
Évidemment, chaque soirée est particulière: le son de Pleyel n’a rien à voir avec celui de Lucerne, ni de Baden-Baden, gageons qu’à Londres ce sera encore différent. Mais ce qui a frappé, c’est que, par rapport à Lucerne, on se trouve face à une énergie renouvelée, à une force peu commune (dans Mozart comme dans Bruckner), à une luminosité unique: c’est cette impression de lumière, aveuglante, qui frappe ici. Abbado ne dirige pas, il fait de la musique, même dans sa manière de diriger, il semblait différent,  encore plus immergé, et l’orchestre, son orchestre, le suivait avec un engagement et une joie inouïes: j’étais par chance assis à l’arrière scène et les musiciens se regardaient les uns les autres, se faisaient de petits signes de connivence quand une phrase était réussie, et se sont congratulés à la fin d’une manière si sentie, si profonde, que rien qu’en les regardant, on comprenait à quel événement le public parisien avait été convié.

On est d’autant plus étonné que, sans doute à cause des prix affichés pour ce concert “de gala”, la salle n’ait pas été totalement remplie. Les programmes (une feuille de chou) étaient vendus à 10 Euros, le double de Lucerne, qui pourtant ne plaisante pas en la matière. Que l’on ne puisse accéder à un événement de cette nature que la bourse bien remplie, c’est à dire que la musique classique à ce niveau de perfection ne soit accessible qu’à un cercle de privilégiés ou d’irréductibles fans me désole. Certes, Bruckner n’est pas un compositeur favori du public, certes André Furno et Piano **** n’a jamais été un philanthrope, certes faire venir le Lucerne Festival Orchestra doit revenir très cher, mais la Cité de la musique, coproducteur,  est un organisme public: j’ai reçu de nombreux mails signalant encore deux jours avant la disponibilité de places à à peu près tous les prix: la salle était quand même bien remplie, mais tout de même, pour un tel concert, on eût aimé qu’elle soit pleine.
Il y a le 5 juin prochain Salle Pleyel juin un concert de l’Orchestra Mozart, dirigé par Abbado, dans un programme Schumann (Concerto pour piano, avec Radu Lupu, Beethoven, Symphonie n°7) : ce concert affiche complet sans doute à cause d’un programme plus “séduisant” . Faites quand même tout pour vous glisser parmi les spectateurs.

Wolfgang Amadé Mozart (1756-1791)
Symphonie en ré majeur, K. 385 “Haffner”
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphony No. 5 en si bémol majeur, WAB 105
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Direction Claudio ABBADO
Salle Pleyel, 8 octobre 2011

PS: L’enregistrement de cette soirée sera diffusé par France Musique le 18 octobre prochain. A ne pas manquer.

TEATRO ALLA SCALA 2010-2011: DER ROSENKAVALIER de Richard STRAUSS le 1er octobre 2011 (Dir: Philippe JORDAN, ms en scène Herbert WERNICKE)

Depuis  l’émotion qui m’a étreint au moment du trio final, la première fois que je vis Le Chevalier à la Rose à l’opéra – c’était la pâlichonne production parisienne de Rudolf Steinboeck, dirigée par Horst Stein, avec Christa Ludwig, Yvonne Minton, Lucia Popp dans des décors de Ezio Frigerio-, il y a toujours au moins un instant où mon cœur bat un peu plus vite, où les larmes sont (au moins) prêtes à couler. Elles coulèrent abondamment quand je vis Kleiber à Munich (Jones, Fassbaender, Donath) plusieurs fois, par bonheur. Kleiber, c’était une explosion sonore dès la première mesure:  il arrivait sur le podium et en une seconde, toute la masse de l’orchestre explosait dans une urgence inconnue jusqu’alors et une joie haletante et profonde mêlée d’intense émotion ne nous lâchait plus.

Il y a des œuvres qui appellent les larmes et Le Chevalier est de celles-là, il y a des œuvres qu’on ne se lasse pas d’entendre et le Chevalier est de celles-là. Il y a des œuvres enfin qui ne laissent qu’un goût de bonheur dans le cœur et Le Chevalier est de celles-là. C’est dire avec quelle joie j’ai fait le voyage de Milan, attiré par le trio de dames ( Schwanewilms, Di Donato, Archibald) affiché par le Teatro alla Scala. Jadis Kleiber y officia aussi, en 1976 (Lear, Fassbaender, Popp) et la partie du public qui le vit alors s’en souvient encore, évidemment.

La dernière production de 2003 (Mise en scène de Pier Luigi Pizzi, dir.Jeffrey Tate) ne m’avait pas fait vibrer. Et j’avoue ne pas avoir encore trouvé mon chef straussien de prédilection aujourd’hui: Sinopoli, qui a beaucoup dirigé Strauss,  ne m’avait jamais convaincu, et je ne suis pas aujourd’hui maniaque de Christian Thielemann, j’en suis resté, en bon ancien combattant, à Böhm, Sawallisch, Solti, Kleiber, qui ont illuminé mes soirées straussiennes et cette lumière-là brille encore en moi, jamais éteinte, toujours vive, indétrônée.
Il se trouve cependant qu’à chaque fois que j’ai entendu Philippe Jordan dans ce répertoire, il m’a plu, accroché, et souvent convaincu. Son approche très élégante, assez marquée par la musique de chambre, sa manière de faire émerger les notes, de clarifier le jeu instrumental, tout cela me plaît tout particulièrement et tranche assez avec le Strauss qu’on entend habituellement. Et samedi soir 1er octobre à la Scala fut notamment grâce à lui une très belle soirée straussienne. Honneur aux dames: la Sophie de Jane Archibald est très émouvante. La voix n’est pas très grande ( aucune des trois d’ailleurs n’a ce qu’on appelle une grande voix, de ce point de vue, c’est assez homogène), mais le style et les inflexions sont justes et son duo de la Rose au deuxième acte est vraiment de grand niveau. De plus, elle compose un personnage très juste, très frais. Le Chevalier de Joyce Di Donato peut surprendre, on a l’habitude d’entendre cette magnifique artiste  dans Mozart, ou Rossini, et à cette voix claire on peut préférer des timbres plus sombres (Tatiana Troyanos fut mon Chevalier chéri), elle respire jeunesse et joie de vivre, et la voix est vraiment exceptionnelle, avec une très belle diction. Quant à Anne Schwanewilms, dont la voix a dans certaines inflexions quelque menue acidité, elle chante la Maréchale comme un long Lied, avec un sens du texte et de la diction qui confondent et qui émerveillent. Rarement il m’a été donné d’entendre un monologue du premier acte aussi fort, aussi intense, avec une simplicité et un naturel tout à fait exceptionnels, sans aucune recherche d’effets. Là non plus, la voix n’est pas immense, mais quelle performance! Quelle intelligence ! Quelle présence!

A ce trio de haut niveau, il faut rajouter  Peter Rose, qui compose un Ochs vocalement impeccable, avec de vrais graves; il propose un personnage jamais outré, n’en fait jamais trop, et ainsi en devient presque émouvant au troisième acte. Hans-Joachim Ketelsen est un Faninal honorable, et les rôles secondaires sont eux aussi très honorablement distribués et tenus, notamment Ingrid Kaiserfeld en Marianne Leitmetzerin et Hélène Schneiderman en Annina. Seule (grosse) déception, Marcelo Alvarez en chanteur italien. Vaut-il la peine d’afficher un tel nom pour un tel rôle? Et pour pareil résultat. Sauf à penser que cette contre performance est voulue par la mise en scène (le ténor ridicule et mauvais) force est de constater que nous n’y sommes pas. Difficultés a négocier aigus et passages, style douteux, aucune élégance dans un rôle qui en demande ( voir Gedda dans l’enregistrement de Karajan), en somme, un vrai ratage.

L’orchestre dont ce n’est pas le répertoire de prédilection, – Sawallisch en son temps avait beaucoup souffert pendant les répétitions de “La femme sans ombre” – a vraiment été cette fois exemplaire. Comme je l’ai dit plus haut, et comme les parisiens le savent, Philippe Jordan n’est pas un chef à effets, il ne recherche pas les gros contrastes ou les explosions sonores. Il est un vrai ” concertatore” soignant beaucoup les relations thématiques, cherchant à isoler les instruments, pour mettre en valeur les thèmes ( voir par exemple la manière dont il exalte l’instrumentation dans la présentation de la rose, et notamment le hautbois). L’introduction du troisième acte est un modèle d’attention à chaque pupitre, dont il obtient des sons d’un grand raffinement et d’une grande légèreté. Cette interprétation presque chambriste séduit sans aucun doute et le chef obtient un très gros succès du public. Ce travail remarquable, qui confirme l’aisance de Philippe Jordan dans ce répertoire, gagnerait cependant à mon avis  à avoir en plus une petite touche de fantaisie, voilà une qualité de son père Armin que le fils Philippe pourrait faire sienne, au moins quelquefois. Quand on a de telles qualités techniques, il faut aussi savoir oser!

La mise en scène de Herbert Wernicke a fait un bon tour d’Europe. Rappelons qu’elle est née pour Salzbourg, du temps de Gérard Mortier, il y a une quinzaine d’années et qu’elle fait partie de ces productions initiées par Mortier à Bruxelles, Salzbourg ou Paris qui continuent à vivre et à séduire. Citons pour mémoire La Clemenza Di Tito des Hermann, Katia Kabanova de Marthaler, l’affaire Makropoulos de Warlikovski. A Salzbourg d’ailleurs, le très large plateau du Grosses Festspielhaus donnait à la scène finale une grandeur mélancolique inoubliable. Wernicke place l’intrigue dans la Vienne du début du XXème siècle, et c’est en quelque sorte “la dernière valse” d’un monde de la légèreté qui s’éteint. L’œuvre est créée à Dresde en janvier 1911, trois avant la guerre et le début de l’engloutissement des empires européens. Fondée sur des jeux de reflets et d’images (salons viennois, salle du théâtre, fosse) elle n’est jamais outrancière, notamment au troisième acte, et reste toujours juste. Sa peinture des personnages, notamment la Maréchale très digne, très naturelle, et en même temps d’une criante humanité, et Octavian, jeune et fougueux, mais tendre bien personnifié par Joyce Di Donato, la Sophie enfantine, comme sortie d’un couvent, habillée de noir à la fin est vraiment bouleversante. La présentation de la rose, qui avec l’escalier et les costumes blancs (Octavian en haut de forme blanc à la Fred Astaire) rappelle les revues américaines de Music hall et renvoie la scène au monde des apparences et des paillettes, installe bien avec ses jeux de reflets et de miroir dont nous avons parlé cette idée d’un monde qui n’est plus celui du réel, un monde en suspension qui ne voit rien venir. Ce travail, bien repris par Alejandro Stadler ( rappelons que Herbert Wernicke est mort prématurément en 2002) garde une très grande force et réussit en actualisant l’intrigue et en transposant l’époque, à en maintenir intact le charme, et à donner à l’œuvre une réelle force intemporelle. Les parisiens connaissent certes la production, mais la Scala a réussi à afficher une qualité musicale exceptionnelle, rarement atteinte dans cette œuvre aujourd’hui.
Grande soirée et donc grande joie.