STAATSOPER BERLIN AM SCHILLER THEATER et DEUTSCHE OPER BERLIN 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON BERLINOISE

Non, tout ne marche pas en Allemagne. L’aéroport de Berlin-Brandeburg devait ouvrir en juin dernier, il ne sera opérationnel qu’en 2015, et encore, sa capacité est insuffisante dès l’ouverture: tant mieux, on continuera d’utiliser Tegel, bien plus pratique. La Staatsoper unter den Linden en travaux depuis deux ans, n’ouvrira probablement pas non plus dans les délais prévus et donc voilà encore ce théâtre contraint d’utiliser les espaces plus étroits du Schiller Theater, à une volée du rival la Deutsche Oper, en face sur la même avenue. A ce jour les deux théâtres ont publié leurs saisons respectives, mais pas le troisième larron, la Komische Oper. Trois opéras à Berlin, trois histoires, trois traditions différentes, trois publics aussi et donc un casse tête pour le politique désireux de rationaliser la situation, budgétaire notamment. Je m’en vais donc essayer de vous présenter les deux saisons, de ces deux théâtres qui sont des théâtres de répertoire, avec leur troupe et donc leur couleur.

La Staatsoper im Schiller Theater, Bismarckstraße 110

Héritier de la tradition lyrique historique de Berlin, la Staatsoper, à deux pas du palais impérial, était la Hofoper (Opéra de Cour) de l’Etat prussien, avec l’orchestre d’Etat, la Staatskapelle, il fut dirigé par les plus grands Richard Strauss, Leo Blech, Erich Kleiber, Clemens Krauss, Herbert von Karajan (1941-1945…) ; ce fut après la deuxième guerre mondiale et une longue reconstruction (1945-1955)  l’opéra d’Etat de Berlin Est, avec son public plus populaire, vitrine de l’art lyrique en Allemagne de l’Est, que Daniel Barenboim reprit en 1992 peu après qu’il a été écarté du Philharmonique de Berlin au profit de Claudio Abbado.  Royaume de Daniel Barenboim et de l’intendant Jürgen Flimm, resté peu de temps à Salzbourg et qui en dit des horreurs (commentant dans les journaux le fait qu’en ce moment Alexander Pereira ferraille avec son conseil d’administration et se trouve au bord du départ: Salzbourg use et abuse des intendants depuis le départ de Mortier), il est installé à l’étroit dans la salle du Schiller Theater qui contient moins de 1000 spectateurs.
La programmation de la Staatsoper est dans l’ensemble plus recherchée et plus raffinée que celle de sa voisine d’en face, la Deutsche Oper; d’une part Jürgen Flimm est homme de théâtre et à ce titre veille à ce que les productions soient faites par des metteurs en scène inventifs, l’an prochain par exemple, Tcherniakov, Philipp Stölzl, Sasha Waltz, Andrea Breth sont des acteurs de la scène d’aujourd’hui et représentent une certaine modernité. Du côté musical, Daniel Barenboim est un directeur musical très ouvert, très présent (trop disent ses détracteurs) qui va diriger trois des nouvelles productions (La Fiancée du tsar, Trovatore, Tannhäuser), mais aussi Don Giovanni, Simon Boccanegra, Wozzeck dans le répertoire, soit 6 productions au total, ce qui est très respectable, mais il a appelé aussi Zubin Mehta (deux productions, Salomé et Aida), Sir Simon Rattle (Katja Kabanova), Daniel Harding (Fliegende Holländer), Marc Minkowski (Il trionfo del Tempo e del Disinganno), René Jacobs (Rappresentazione di Anima e Corpo) ce qui promet de belles soirées.
Vu l’exigüité de la salle, elle peut accueillir plus facilement des opéras baroques, du théâtre musical, et la salle de l’atelier (Werkstatt) des opéras pour enfants ou des  petites formes. Ainsi donc la saison est plutôt séduisante, diverse et marque une vraie variété alliant répertoire, raretés, recherche; quant au reste du répertoire, il fait appel aux chefs maison, à la troupe locale, à des chefs très solides spécialistes de répertoire baroque ou classique (Christopher Moulds) ou italien (Massimo Zanetti).
Ainsi donc bonne partie de l’automne sera faite de nouvelles productions, après un Ballo in Maschera de répertoire (Production Jossi Wieler/Sergio Morabito, avec Norma Fantini (Amelia), Kamen Chanev (Riccardo), Marina Prudenskaia (Ulrica), Valentina Nafornita (Oscar), le tout dirigé parr Massimo Zanetti (septembre), dès le 3 octobre, et pour 6 représentations jusqu’au 1er novembre, la première nouvelle production, Zarskaja newesta (La Fiancée du Tsar) de Nicolai Rimski-Korsakov dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et dirigée par Daniel Barenboim avec une très belle distribution, Anatolij Kotscherga, Olga Peretyatko, Johannes Martin Kränzle, Pavel Černoch, Anita Rachvelishvili. Daniel Barenboim en profitera pour diriger un Wozzeck de répertoire mis en scène par Andrea Breth, avec Roman Trekel dans Wozzeck, Waltraud Meier (Marie), Graham Clark (Kapitän), Pavol Hunka (Doktor) et Štefan Margita dans le Tambourmajor: il faut le dire, c’est une splendide distribution (4 représentations du 4 au 12 octobre). Daniel Barenboim dirigera en octobre une reprise de Don Giovanni dans la production salzbourgeoise passionnante de Claus Guth (où Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur dès le début vit à fond ses dernières heures et règle tous ses comptes); comme à Salzbourg, c’est Christopher Maltman qui chante Don Giovanni, aux côtés de la Anna de Christine Schäfer et la Elvira de Dorothea Röschmann, du Leporello de Adrian Sâmpetrean (vu récemment dans le Macbeth milanais) de l’Ottavio de Rolando Villazon, de la Zerlina d’Anna Prohaska et du Masetto de Adam Plachetka (qui sera en revanche Don Giovanni à Vienne et à la Deutsche Oper); là aussi, une jolie réunion de bons chanteurs! (6 représentations du 18 octobre au 3 novembre).
Daniel Barenboim sera encore au pupitre pour un hommage de Sasha Waltz au Sacre du printemps de Stravinski, la création de Sacre un montage entre le Sacre du Printemps, la “scène d’amour” du Roméo et Juliette de Berlioz et L’après-midi d’un faune de Debussy pour deux représentations les 26 octobre et 2 novembre.
La programmation de novembre est faite de représentations de répertoire, La Traviata fameuse de Peter Mussbach, direction Domingo Hindoyan, avec Anna Samuil dans Violetta pour 3 représentations en novembre, 2 en février et 2 en mars, Die Zauberflöte (Production August Everding) direction du jeune Wolfram-Maria Märtig, avec Anna Prohaska en Pamina et Stephan Rügamer en Tamino et La Finta Giardiniera (Die Pforten der Liebe) de Mozart dans une nouvelle version du livret signée Hans Neuenfels, qui a aussi signé la mise en scène à l’automne 2012, dirigé par Christopher Moulds avec Stephan Rügamer et Anna Siminska.
Le 29 novembre 2013, la première très attendue  du Trovatore de Verdi pour 7 représentations (jusqu’au 22 décembre) dans la production de Philipp Stölzl (à qui l’on doit le Rienzi et le Parsifal de la Deutsche Oper, ainsi que le Fliegende Holländer actuellement en scène à la Staatsoper), dirigé par Daniel Barenboim avec Anna Netrebko (Leonora), Alexksandr Antonenko (Manrico), une voix un peu lourde pour le rôle à mon avis, Marina Prudenskaja dans Azucena et…Placido Domingo dans Il conte di Luna. Réservons notre vol…
Car en décembre, outre ce Trovatore, quelques Zauberflöte et Finta Giardiniera, ainsi que La Bohème (pour5 représentations jusqu’au 19 janvier (Anna Samuil dans Mimi et Josep Caballé-Domenech au pupitre) on pourra aussi voir Der Fliegende Holländer, dans la production de Philipp Stölzl (c’est son mois!) dirigé par Daniel Harding, avec Michael Volle dans le Hollandais, Emma Vetter (Senta) et Stephan Rügamer (Erik) (à partir du 12 décembre pour 4 représentations jusqu’au 29). Philipp Stölzl sera encore à la fête à la Staatsoper pour la production de fin d’année, une reprise de Orphée aux Enfers (Orpheus in der Unterwelt) d’Offenbach, dirigée par Günther Albers pour 4 représentations jusqu’au 12 janvier.
En janvier justement des représentations de répertoire de Bohème, de Zauberflöte, de Barbiere di Siviglia, pour en arriver le 25 janvier à la première représentation de Katja Kabanova, de Leoš Janáček, nouvelle production d’Andrea Breth, dirigée par Sir Simon Rattle pour 6 représentations jusqu’au 16 février, avec une magnifique distribution réunissant entre autres Deborah Polaski (Marfa) et Eva Maria Westbroek (Katja), Pavel Černoch (Boris), Stephan Rügamer (Tichon), Roman Trekel (Kuligin). En février on pourra coupler cette Katja Kabanova de luxe par une reprise de choix, celle de Salomé, car la production de Harry Kupfer sera dirigée par rien moins que Zubin Mehta, pendant un bon mois à la Staatsoper de Berlin et pour pour 4 représentations du 2 au 13 février, avec Camilla Nylund (Salomé) et Albert Dohmen (Jochanaan), mais aussi l’excellent Gerhard Siegel (Herodes) et Birgit Remmert dans Herodias; un “mois Mehta”, ai-je dit, parce le 15 février, il dirigera une série de 3 représentations (jusqu’au 23 février) de Aida, dans la mise en scène de Pet Halmen avec le quatuor Ludmila Monastyrska (Aida), Nadia Krasteva(Amneris), Franco Vassallo (Amonasro), Fabio Sartori (Radamès): on pouvait rêver meilleur cast, mais pour Zubin Mehta dans un grand Verdi on ne fera pas la fine bouche.
En fin de mois, une Tosca qu’on peut éviter (Mise en scène Carl Riha, direction Stefano Ranzani avec Maria José Siri, Thiago Arancam et Egils Silins). Traviata, Zauberflöte pour un mois de mars sans grand intérêt, sauf pour 6 représentations (16 mars-6 avril) des Nozze di Figaro dirigées par Christopher Moulds avec une jolie distribution qui vaut une soirée si l’on est à Berlin: Roman Trekel (Il conte), Dorothea Röschmann (La Contessa), Vito Priante (Figaro), Anna Prohaska (Susanna) et Rachel Frenkel (Cherubino, comme à Vienne).
Avril, c’est le festival annuel du 12 au 20 avec deux “must”:
– une nouvelle production de Tannhäuser, dirigée par Daniel Barenboim, dans une mise en scène chorégraphiée de Sasha Waltz (c’est incontestablement attirant) avec quelle distribution ! René Pape (Landgrave), Peter Seiffert (Tannhäuser), Peter Mattei (!!) (Wolfram), Marina Prudenskaja (Venus), Marina Poplavskaja (Elisabeth). (4 représentations du 12 au 27 avril)
– une reprise de Simon Boccanegra (mise en scène – mauvaise- de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo (Simon) et Anja Harteros (Amelia), Dmitry Belosselskiy (Fiesco), Fabio Sartori (Gabriele) les 13 et 17 avril.

Et peu après, à partir du 22 avril et jusqu’au 26 avril (3 soirs), une rareté, le Vin Herbé de Frank Martin, direction de Frank Ollu, et mise en scène de Katie Mitchell, avec entre autres Matthias Klink et Anna Prohaska, qui est une reprise d’un spectacle qui aura sa première à la fin du mois de mai 2013.
La première moitié du mois de mai 2014 sera baroque. Tout d’abord, une reprise de Rappresentatione di Anima et di Corpo de Emilio de’ Cavalieri, oeuvre fondatrice de l’opéra, dirigé par René Jacobs avec l’Akademie für Alte Musik Berlin, dans la mise en scène de Achim Freyer, avec notamment Marie-Claude Chappuis pour 4 représentations du 4 au 11 mai, puis de Dido and Aeneas, de Purcell (réédition de Attilio Cremonesi) dans une mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz, un magnifique spectacle dirigé par Christopher Moulds, reprise d’un spectacle de 2005 (je crois), avec l’Akademie für Alte Musik de Berlin.
On pourra voir (en passant) à partir du 18 mai une reprise de la production déjà ancienne de Philipp Himmelmann (2004) de Don Carlo de Verdi (version en 4 actes) pour 5 soirées du 18 au 30 mai, dirigée par Massimo Zanetti, avec René Pape dans Filippo II, Fabio Sartori dans Don Carlo et Alfredo Daza dans Posa, ainsi que Anna Samuil dans Elisabetta et Marina Prudenskaja dans Eboli et encore les 24 mai et 1er juin Tosca (avec Béatrice Uria-Monzon et Jorge de Leon cette fois).
Le mois de juin verra pour la dernière reprise de l’année (pour trois représentations les 7,9,11 juin) , encore un spectacle baroque: Il trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, avec Marc Minkowski au pupitre des Musiciens du Louvre – Grenoble  et dans la mise en scène de Jürgen Flimm avec notamment Charles Workman, Sylvia Schwartz,  et Delphine Galou et enfin  la dernière nouvelle production de l’année, Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny de Kurt Weill dans une mise en scène de Vincent Boussard, décors de Vincent Lemaire et costumes de Christian Lacroix  avec Wayne Marshall au pupitre de la Staatskapelle Berlin pour 6 représentations du 6 au 25 juin, avec le très bon Michael König dans le rôle de Jim Mahoney .
Toute la seconde moitié de juin est dédiée au festival Infektion! Festival für neues Musiktheater qui présentera
– le Lohengrin (1982) de Salvatore Sciarrino dans l’Atelier (Werkstatt) pour 5 représentations du 14 au 21 juin, mise en scène Ingo Kerkhof
– dans la grande salle de la Staatsoper la création d’un spectacle composé d’un opéra de Morton Feldman Neither (sur un texte de Samuel Beckett) et de Footfalls de Samuel Beckett, sur les lieux mêmes où Feldman et Beckett se rencontrèrent,  la mise en scène est de Katie Mitchell (qui a mis en scène Written on Skin de George Benjamin à Aix) qui combinera les deux œuvres, la Staatskapelle de Berlin sera dirigée par François-Xavier Roth et la soliste sera Laura Aikin pour 4 représentations du 22 au 29 juin.
Aschemond oder The Fairy Queen, un opéra de Helmut Oehring sur une interprétation de musiques de Henry Purcell dans une mise en scène de Claus Guth avec une distribution très stimulante, Marina Prudenskaja, Bejun Mehta, Andrew Staples, Roman Trekel et sous la direction de Michael Boder pour la Staatskapelle Berlin et de Benjamin Bayl pour l’Akademie für Alte Musik (23, 26, 28 juin)
– Enfin, une reprise de Lezioni di tenebra de Lucia Ronchetti créé le 30 janvier au Werkstatt d’après Giasone de Francesco Cavalli sous la direction de Max Renne (27 et 29 juin).
On peut constater à la fois la variété de l’offre de la Staatsoper qui va de l’opéra standard à au théâtre musical le plus contemporain, la qualité des chefs invités et celle des metteurs en scène ainsi que la bonne tenue des distributions. Le système est un mélange de système de répertoire et de stagione: la scène du Schiller Theater ne permet pas de toute manière une alternance complète. En tous cas de septembre à février, les mélomanes devraient trouver leur compte, sans oublier le Festival en avril et aussi le Festival de Théâtre musical en juin qui offre deux spectacles à voir de Katie Mitchell et Claus Guth. De quoi remplir bien des soirées berlinoises, à des prix  raisonnables vu que la plupart du temps les places vont de 20-28 € à 66-84 €  !

Deutsche Oper am Rhein, Bismarckstraße 35

Le cube de béton construit au début les années 60 (1961), salle à vision frontale de 1900 spectateurs environ fait suite à une histoire qui remonte au début du siècle. Face à l’opéra d’Etat (Staatsoper) , c’est un “opéra de quartier” lié au quartier très riche de Charlottenburg (la commune la plus riche de Prusse à l’époque) qui naît, appelé Deutsches Opernhaus, puis Städtische Oper (Opéra municipal) en 1925. Goebbels l’a appelé de nouveau Deutsches Opernhaus. Carl Ebert, l’intendant de l’époque, a quitté l’Allemagne pour éviter à avoir à se compromettre avec le régime: il retrouvera son poste en 1945. La salle de 1912, remodelée en 1935, fut détruite par un bombardement en 1943. La conception de la salle de 1961 est clairement celle d’une salle de répertoire, plutôt ouverte (vision frontale) qui fut l’Opéra de Berlin Ouest lorsque le mur sépara Berlin et que la Staatsoper fut celui de Berlin Est. Deux symboles donc et toujours la même rivalité (sous les nazis, Goebbels tenait la Deutsches Opernhaus et Göring la Staatsoper), qui continue au-delà de la “Wende”, après la chute du mur, tant les profils des deux théâtres sont différents (un peu comme Garnier et Bastille si les théâtres avaient deux administrations séparées). La Deutsche Oper est donc un véritable opéra de répertoire, avec des productions durables, très marqué encore par les années où Götz Friedrich fut son intendant, de 1981 à sa mort, en 2000.
Ses directeurs musicaux furent, entre autres, Bruno Walter, Ferenc Fricsay, Lorin Maazel, Gerd Albrecht, Christian Thielemann. Depuis 2009, le directeur musical est l’américain Donald Runnicles.
Six nouvelles productions en 2013-2014, et deux productions en version de concert, et 26 productions au répertoire, cela signifie une grosse trentaine de titres différents, sans compter les six productions dans la “Tischlerei” (l’ancienne menuiserie) salle de création dédiée aux expérimentations ouverte en novembre 2012. En 2013-2014, on jouera Berlioz (2) Bizet (1), Britten(1), Donizetti(3), Humperdinck(1), Janacek(1), Leoncavallo(1), Mascagni(1), Massenet(1), Mozart(4), Ponchielli(1), Puccini(2), Rossini(1), Verdi(7), Wagner(6, dont deux séries du Ring).
Une saison qui s’ouvre le 22 août par une création (unique soirée) dans le foyer de l’opéra, un opéra “accessible”(Begehbare Oper) sur des musiques de Maurizio Kagel et Christian Steinhäuser dans une mise en scène de Sven Sören Beye.
Mais c’est bien le Ring, dans la mise en scène désormais culte de Götz Friedrich qui va encore faire événement cette année: programmé deux fois dans deux distributions différentes, en septembre sous la direction de Sir Simon Rattle (qui se partage entre Deutsche Oper et Staatsoper!) et en janvier sous la direction de Donald Runnicles. C’est septembre qu’il faut choisir au vu de la distribution: Wotan, Juha Uusitalo (sept), Mark Delavan (janv); Alberich: Eric Owens; Loge: Burkhard Ulrich; Fricka: Doris Soffel (sept), Daniela Sindram (janv), Siegmund: Simon O’Neill (sept) Peter Seiffert (janv); Brünnhilde (Walküre): Evelyn Hertlizius (sept), Linda Watson (janv), (Siegfried) Susan Bullock,(Götterdämmerung) Evelyn Hertlizius (sept), Susan Bullock (janv) ; Sieglinde: Eva-Maria Westbroek(sept), Heidi Melton (janv);  Siegfried: Lance Ryan; Wanderer: Juha Uusitalo (sept), Terje Stensvold (janv); Mime: Burkhard Ulrich; Hagen: Hans Peter König; Waltraute: Anne Sofie von Otter; Gutrune: Heidi Melton; Günther: Markus Brück.
Anna Smirnova sera comme à Vienne Abigaille dans une nouvelle production de Nabucco dirigée par le jeune Andrea Battistoni, moins doué que l’autre jeune italien, Daniele Rustioni à mon avis (qui vient d’obtenir l’Opera Award du meilleur jeune chef) mise en scène de Keith Warner, avec Johan Reuter dans Nabucco (à partir du 8 septembre, en octobre et en décembre). La saison propose un autre Verdi, Falstaff, dirigé par Donald Runnicles, mise en scène de Christof Loy (hum), avec Markus Brück (Falstaff), Michael Nagy (Ford) , Joel Prieto (Fenton) et Barbara Haveman dans Alice Ford (7 représentations de novembre à janvier). Donald Runnicles dirigera aussi La Damnation de Faust de Berlioz, mise en scène de Christian Spuck, sur deux séries de représentations ( 4 en février-mars et 4 fin mai début juin) avec des choix de distributions cornéliens: en février Klaus Florian Vogt, Clementine Margaine, Samuel Youn, et en mai Matthew Polenzani, Elina Garanca, Ildebrando d’Arcangelo. On passera rapidement sur une nouvelle production d’Irina Brook de L’Elisir d’amore de Donizetti, dirigée par le très pâle Roberto Rizzi Brignoli avec Nicola Alaimo tout de même dans Dulcamara (5 soirs en avril mai) pour s’intéresser vivement à Billy Budd de Britten, pour 5 représentations en mai juin, dans une mise en scène de David Alden et dirigé par Donald Runnicles, avec John Chest en Billy Budd et Burkhard Ulrich en Edward Fairfax Vere. la saison se termine par quatre représentations concertantes, deux (4 & 7 juin) de Maria Stuarda de Donizetti (Paolo Arrivabeni, Joyce di Donato/Carmen Giannatasio), pour madame Di Donato, et deux (16 & 19 juin) de Werther de Massenet  (Donald Runnicles, Ekaterina Gubanova/Vittorio Grigolo): Grigolo en Werther…c’est le mauvais rêve de l’éléphant dans le magasin de porcelaines.
Du côté des reprises de répertoire, comptez sur des Bohème (7 fois en décembre) et des Tosca (6 fois en décembre, janvier, mai), des Nozze di Figaro (3 fois en février-mars), des Don Giovanni (6 fois de mars à juin) avec Adam Plachetka la trouvaille viennoise, et Sonja Yontcheva, 10 Zauberflöte (mise en scène Günter Krämer) d’octobre à mai, un Barbiere di Siviglia pour 6 représentations d’octobre à février (dirigé par Guillermo Garcia Calvo).
Les Verdi sont plus intéressants et se concentrent en automne (année du centenaire oblige) cinq titres sont proposés en plus de Nabucco et Falstaff dans la période:
Don Carlo (version en 4 actes) en octobre et surtout novembre, direction Donald Runnicles et mise en scène Marco Arturo Marelli, avec Hans Peter König, Paata Burchuladzé, Russel Thomas, Dalibor Jenis, Violeta Urmana et Anja Harteros/Barbara Frittoli (pour une soirée en novembre).
Macbeth (4 représentations en octobre et novembre), direction Paolo Arrivabeni, et mise en scène Robert Carsen, avec en Macbeth Thomas Johannes Mayer (octobre) et Simon Keenlyside (novembre), en Lady Macbeth Marianne Cornetti(octobre) et Ludmyla Monastyrska (novembre).
Otello (3 représentations en novembre), dirigé par Donald Runnicles, dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg, avec José Cura (Otello), Barbara Frittoli (Desdemona) et Thomas Johannes Mayer en Jago: malgré Kriegenburg, on peut passer.
Rigoletto (6 représentations en novembre, décembre et avril), mise en scène de Jan Bosse, direction Roberto Rizzi Brignoli, nouvelle production très contestée de la saison actuelle, avec Lucy Crowe (nov-déc)/Elena Tsallagova(avril), Andrzej Dobber(nov-déc)/Markus Brück(avril) et Ivan Magri(nov-déc)/David Lomeli(avril)
La Traviata (8 représentations entre octobre et avril) dans la mise en scène de Götz Friedrich, dirigée par Gérard Korsten et Ivan Repusic (avril) avec quatre Violetta (Dinara Alieva, Ailyn Perez, Alexandra Kurzak, Marina Rebeka), quatre Alfredo (Gyorgy Vasiliev, Stephen Costello, Yosep Kang, Dmytro Popov), quatre Germont (Etienne Dupuis, Simon Keenlyside – 1 fois-, Leo Nucci -1 fois- et Markus Brück en février et avril).

Du côté de Wagner, à part le Ring, la Deutsche Oper affiche des spectacles solides dans des distributions soignées:
Parsifal, à Pâques comme il se doit (5,18, 21 avril) dans la mise en scène assez réussie de Philipp Stölzl (nouvelle production de cette saison) , dirigé par Axel Kober, qui dirigera cette année Tannhäuser à Bayreuth avec Hans-Peter König (Gurnemanz), Stefan Vinke (Parsifal), Bo Skovhus (Amfortas) Bastiaan Everink (Klingsor) et Evelyn Herlitzius (Kundry)
Tristan und Isolde, en mai pour 3 représentations, dirigé par Donald Runnicles dans la mise en scène de Graham Vink, avec Nina Stemme et Stephen Gould, entourés de Albert Pesendorfer et Liang Li (Marke), Samuel Youn (Kurwenal) et Tanja Ariane Baumgartner (Brangäne). Pour le couple vedette, on ne peut manquer Nina Stemme dans Isolde.

Mais dans la liste des opéras de répertoire, émergent quelques moments qui devraient stimuler le plaisir du mélomane ou du fan.
Les Troyens (3 représentations en mars-avril): production de David Pountney, dirigée par Paul Daniel, avec Roberto Alagna (Enée), Ildiko Komlosi (Cassandre) et Béatrice Uria-Monzon (Didon), distribution intéressante et œuvre évidemment passionnante qu’on n’a pas vue depuis longtemps à Paris, ce foyer, paraît-il, du grand répertoire français.
Jenufa (3 représentations en février): production de Christof Loy diriége par Donald Runnicles, avec Hanna Schwarz, Will Hartmann, Jennifer Larmore et Michaela Kaune; là aussi, un ensemble digne d’intérêt
Cavalleria rusticana/Pagliacci  (4 représentations en mars) : on pourrait ranger cette production dans les soirées habituelles de répertoire, mais voilà, Santuzza sera Waltraud Meier dans Cavalleria et cela change tout et dans Pagliacci, Canio sera Stephen Gould et Nedda Carmen Giannatasio. C’est aussi le jeune Cornelius Meister, grand espoir de la direction en Allemagne qui sera au pupitre et la mise en scène est de David Pountney
La Gioconda (4 représentations en janvier-février), entrée au répertoire de Paris en ce moment, déjà au répertoire de Berlin depuis longtemps, La Gioconda mérite d’être vue au moins une fois même dans une vieille mise en scène de Filippo Sanjust, dirigée par l’excellent Jesus Lopez Cobos, avec Hui He, Marianne Cornetti, Marcelo Alvarez, Lado Ataneli. Une distribution solide, qui peut sauver l’honneur d’une œuvre un peu surannée.

Telles sont les perspectives des deux salles berlinoises: deux couleurs différentes certes, deux manière de gérer l’opéra certes, mais bien des similitudes:  toutes deux sont ouvertes au Regietheater  et à l’innovation sur scène,  on y retrouve les mêmes (Philipp Stölzl par exemple) ou quelquefois les mêmes titres en trop grand nombre (Don Carlo, Don Giovanni, La Traviata, Il Barbiere di Siviglia, Tosca, Bohème…) ce qui est regrettable et montre les effets pervers de la concurrence sur les grands standards. La Deutsche Oper travaille plus sur son répertoire (on le voit sur l’accumulation des Verdi et Wagner), la Staatsoper travaille plus sur “la” représentation dans une logique qui se rapproche du système stagione : en sera-t-il de même lorsqu’elle aura regagné Unter den Linden? Il faudra un jour qu’une décision soit prise pour que les deux institutions ne labourent pas le même champ.
Même si tout ne vaut pas le vol vers Berlin pour le mélomane français, il reste que pour le spectateur local, il y a de quoi aller voir de l’opéra chaque semaine, sinon chaque soir,  et de l’opéra, dans des productions souvent intéressantes: au moins ce n’est pas ennuyeux…Heureux berlinois. [wpsr_facebook]

WIENER STAATSOPER 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON ou LA VALSE VIENNOISE DES SPECTACLES

Opernball/Le Bal de l’Opéra, mondialement connu

Dans le paysage des théâtres qui sont des géants de l’opéra, Vienne est un incontournable. D’abord parce que l’histoire même de l’Opéra de Vienne, la tradition qui lui est liée, passe par des noms aussi divers et aussi essentiels que Gustav Mahler, Herbert von Karajan, Claudio Abbado; cette salle qui a écrit bonne part de l’histoire du chant européen (les années 50!) reste un des piliers de la musique  à cause de son orchestre, tantôt orchestre de la Staatsoper, tantôt tout simplement Philharmonique de Vienne: quel autre théâtre peut rivaliser sur ce plan? Enfin, la quantité de spectacles présentés en une saison (300 soirées en une année!) est aussi exceptionnelle. Pour toutes ces raisons, Vienne est hors norme. Et cet opéra a un public, un public de fans authentiques, un public attentif à son opéra, un public amoureux de ses chanteurs  capable  de faire des nuits et des jours de queue pour avoir accès à une place debout lors des grands événements, et, à cause même  du nombre important de places debout en bas au fond de l’orchestre et en haut, c’est un public  mélangé. Une semaine à Vienne et chaque soir à l’opéra pour une poignée d’euros, vous vous gorgerez de musique.
Il serait inexact de dire que chaque soir est un diamant, comment pourrait-il en être ainsi sur 300 soirs; il y a de grands soirs, des soirs solides, et des soirs plus ordinaires, un peu comme partout mais la marque de cette “Fabrique de l’Opéra” qu’est Vienne, c’est tout de même de garantir chaque soir un spectacle au moins satisfaisant.
Prenons un simple exemple, au hasard, les trois prochains soirs: nous sommes le 27 avril, il y a ce soir Werther, dirigé par Bertrand de Billy, avec Vesselina Kassarova et Roberto Alagna dans une mise en scène de Andrei Serban; demain 28 avril, deux spectacles: à 11h la Première de Pollicino de Henze, direction  Gerrit Prießnitz, mise en scène René Zisterer pour des représentations en mai et en décembre 2013 puis en mai 2014. Et le soir La Fille du Régiment dans la mise en scène de Laurent Pelly vue enfin  à Paris cet automne, pour 6 représentations en mai et 4 en octobre-novembre. En mai et octobre  la distribution  comprend Carlos Alvarez (Sulpice) et Dame Kiri Te Kanawa dans la duchesse de Crakentorp (j’avais vu la production à Vienne il y a quelques années, c’était alors Montserrat Caballé), en mai le couple ténor/soprano est la jeune Aleksandra Kurzak et John Tessier, en octobre Daniela Fally et Juan Diego Florez. Le 29, La Bohème, mise en scène de Franco Zeffirelli (la même qu’à la Scala), dirigée par Andris Nelsons et chantée par Kristine Opolais et Piotr Beczala, dernière Bohème de la saison, mais pas une saison sans Bohème et donc la saison prochaine on en prévoit 7 représentations, 3 en décembre ( Philippe Auguin au pupitre, avec Angela Gheorghiu et Vittorio Grigolo)  et 4 en mars ( Franz Welser-Möst au pupitre , avec Ramon Vargas et Maija Kovalevska ainsi que Adrian Eröd en Marcello) . On peut préférer tel ou tel, mais on doit reconnaître une certaine profusion.
C’est bien le défi auquel Dominique Meyer, premier français à diriger une institution nationale autrichienne dont le poids financier est énorme à l’échelle d’un pays comme l’Autriche, sans parler de son poids symbolique. On a beaucoup critiqué le système de répertoire: Claudio Abbado et Klaus Helmut Drese en 1986 voulaient s’y attaquer, bien mal leur en a pris tant les protestations ont été grandes. Le système de répertoire fait partie des gênes de la maison et l’on peut tout au plus l’aménager. C’est ce à quoi s’est attaqué Dominique Meyer, en essayant d’homogénéiser les soirées, de garantir un niveau correct chaque soir (ce qui n’a pas été le cas par le passé), de rafraîchir les productions anciennes, mais emblématiques (comme celles d’Otto Schenk) d’augmenter le nombre de répétitions, de consolider la troupe (et de fait, de plus en plus de membres de la troupe accèdent à des rôles de premier plan): au total, cela relativise l’impact des nouvelles productions faites dans ce théâtre non pour être des coups médiatiques, mais pour durer, chaque nouvelle production étant un investissement sur des années: cela explique aussi les choix de metteurs en scène qui mettent en modernité un éternel classicisme (Sven-Eric Bechtolf, Marco Arturo Marelli, David Mc Vicar) sans casser l’image de l’œuvre à l’instar d’un Bieito ou d’un Neuenfels .
A Vienne ce qui a toujours compté, c’est “prima la musica”, le chant et l’orchestre étant la marque de la maison depuis toujours, la mise en scène ne devant capter l’attention que si elle renforce l’impact musical. C’est un autre choix que font la plupart des théâtres allemands, notamment Munich ou Berlin. Ce qui frappe aussi dans la politique de Meyer, c’est la diversification de l’appel aux chefs et la chance donnée à des nouvelles figures, notamment françaises: dans le passé, les chefs français, Prêtre mis à part, étaient là pour les représentations de routine, Alain Lombard, Serge Baudo étaient habitués à des représentations perlées: j’ai ainsi vu un excellent Faust dirigé par Baudo avec Francisco Araiza,  Samuel Ramey et Gabriela Benackova (pas si mal!) un soir totalement anonyme de répertoire. Il appelle maintenant des Altinoglou, des Langrée, des Rhorer sur du répertoire très lié à la maison (les Mozart par exemple) ce qui est nouveau et sain pour tout le monde…il resterait à faire de même pour le répertoire italien (Rustioni , Noseda, Battistoni, Mariotti) . Ainsi vais-je essayer de montrer dans cette présentation de la saison, qui sera par force, un peu longue,  cette homogénéité et l’incroyable profusion de cette offre musicale.

Septembre-Décembre:

Il ne s’agirait pas  de prendre soirée par soirée les productions et distributions (sauf exception!), mais, on cherchera à signaler ce qui est digne d’intérêt, en ne nous contentant pas  des nouvelles productions et des Wiederaufnahmen (qui sont des reprises retravaillées) alors que ce qu’on appelle répertoire est une représentation de la soirée avec quelques raccords et un minimum de préparation: l’orchestre est rompu au répertoire et à l’alternance, certaines mises en scènes qui remontent aux années cinquante ne sont plus que des traces et les soirées ne valent évidemment que pour les distributions, qui de temps à autre sont des joyaux. Il faut donc toujours être attentif, car au détour d’un soir on peut avoir une distribution étincelante: pour une Tosca très ordinaire (275ème représentation) je me souviens en 1979 avoir eu Leonie Rysanek, José Carreras et Sherill Milnes…Cette Tosca, créée en 1958 par Margherita Walmann (Karajan/Tebaldi, Gobbi) , eh! oui, cela ne rajeunit pas, remplit les salles depuis la fin des années 50 (on en est à plus de 500 représentations), ce qui dans l’économie du répertoire est essentiel pour financer des nouvelles productions; on la verra 11 fois la saison prochaine avec Marco Armiliato au pupitre, Angela Gheorghiu et Marcelo Alvarez, ainsi que Zeljko Lucic en septembre, en janvier avec Paolo Carignani  au pupitre, Martina Serafin et Massimo Giordano, ainsi que Bryn Terfel, en mars avec Stefan Soltesz au pupitre, Norma Fantini et Yonghoon Lee, ainsi que Falk Struckmann, et en juin avec Philippe Auguin au pupitre, Violeta Urmana et Marcello Giordani ainsi que Thomas Hampson…Signalons quand même en septembre pour 4 soirs,  du 14 au 23 septembre,  un Otello de répertoire (mise en scène Christine Mielitz, direction Dan Ettinger) avec José Cura (hum), Dmitri Hvorostovsky en Iago et… Anja Harteros en Desdemona.
Tristan und Isolde pour deux séries, en septembre (nouvelle mise en scène de David Mc Vicar en 2012-2013) trois soirs dirigés par Franz Welser-Möst, GMD de Vienne, avec Linda Watson (hum), Peter Seiffert et Stephen Milling, en décembre quatre soirs dirigés par Myung-Whun Chung, avec Violeta Urmana, Robert Dean Smith, Albert Dohmen, Elisabeth Kulman et Mathias Goerne (belle distribution, à n’en pas douter) et Nabucco (mise en scène Günter Krämer hélas…), 4 soirs en septembre et 3 en mai, en septembre avec Paolo Carignani en fosse et Zeljko Lucic en Nabucco, Jennifer Wilson en Abigaille, et en mai avec Jesus Lopez-Cobos en fosse, et …Placido Domingo en Nabucco et Anna Smirnova en Abigaille (ce mezzo virerait-il soprano?). Signalons aussi au même moment un Simon Boccanegra dans la mise en scène de Peter Stein créée à Salzbourg par Claudio Abbado avec au pupitre Alain Altinoglou, Thomas Hampson en Boccanegra et Ferruccio Furlanetto en Fiesco, tandis que Tamar Iveri sera Amelia, et Joseph Calleja Gabriele.
En octobre, première nouvelle production de la saison, qui fera courir le monde, La Fanciulla del West, de Puccini, avec Jonas Kaufmann, Nina Stemme et Tomasz Konieczny et dirigée par Franz Welser-Möst, mise en scène Marco-Arturo Marelli pour 5 représentations les 3, 8, 11, 14, 17 octobre. On pourra combiner avec un Gala Verdi dirigé par Daniele Gatti, le 10 octobre, ou par Don Carlo le 16 octobre (version italienne), mise en scène de Daniele Abbado, et dirigé par Franz Welser-Möst avec une distribution très moyenne, excusez du peu: Anja Harteros en Elisabetta, Violeta Urmana en Eboli, Ferruccio Furlanetto en Filippo II, Ramon Vargas en Don Carlo et Ludovic Tézier en Posa (il y en a 3 représentations).
Peu après, toujours en octobre, Adam Fischer, l’excellent chef hongrois trop peu appelé en France, dirigera un Rosenkavalier (production mythique d’Otto Schenk), avec Peter Rose en Ochs, Renée Fleming en Marschallin, Mojka Erdmann en Sophie et Sophie Koch en Oktavian pour quatre représentations d’octobre, alors qu’il y en aura trois en avril, mais dirigées par Franz Welser-Möst, avec Anne Schwanewilms en Marschallin, Elina Garanca en Octavian, Wolfgang Bankl, néo-Kammersänger en Ochs et Ileana Tonca en Sophie.
Je vois avec effroi que nous ne sommes qu’en octobre et la liste des soirées s’allonge (avec à peine une nouvelle production et seulement du répertoire….).
Du 25 octobre au 4 novembre, 4 représentations de la première reprise retravaillée (Wiederaufnahme) de Anna Bolena, de Donizetti, mise en scène Eric Génovèse, dirigée par Evelino Pidò, avec deux dames très différentes du couple Netrebko/Garanca, mais non moins valeureuses, Krassimira Stoyanova et Sonia Ganassi. A voir, évidemment avec le lendemain Juan Diego Florez dans La Fille du régiment (retravaillé cette saison 2012-2013)…et avec Der Rosenkavalier, voilà trois soirs pour un petit week end viennois. Eh oui, Vienne c’est ça!
En novembre, il y aura un Ballo in Maschera de répertoire (mise en scène Gianfranco De Bosio, sans intérêt) dirigé par Jesus Lopez Cobos avec Sondra Radvanovski, Georges Petean, et Ramon Vargas (à voir si on est là par hasard, mais la distribution est solide).
Le 10 novembre, au matin, la Staatsoper fêtera le jubilé des 50 ans à la Staatsoper de Mirella Freni, Mirella, le soprano du cœur de tous les amoureux du lyrique de ma génération.
Pour trois soirs, Placido Domingo (il y a fort à parier qu’il sera la veille avec Mirella!) dirigera en novembre (11, 15, 19) Madama Butterfly, dans la mise en scène archéologique de Joseph Gielen (mais avec les décors de Foujita) avec Ana-Maria Martinez et Neil Shicoff repris en avril (5, 9, 14)  avec Bryan Hymel et Hui He, sous la direction de Jonathan Darlington.
Deuxième nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, dans la ville de la création, et donc une production destinée à durer longtemps: la mise en scène est de Patrice Caurier et Moshe Leiser, la direction musicale de Christoph Eschenbach pour 6 représentations du 17 novembre au 2 décembre, et trois représentations en juin 2014 dirigées par Constantin Trinks, et donc deux distributions, plutôt jeunes, pleines de talents émergents: Brindley Sherratt (Sarastro) et Benjamin Bruns (Tamino), Anita Hartig (novembre)/Valentina Nafornita(juin) en Pamina, Olga Pudova(novembre)/Iride Martinez(juin) en Königin der Nacht, tandis que Markus Werba en novembre et Nikolay Borchev en juin seront Papageno.
Joli trio vocal pour quatre représentations (Wiederaufnahme, du 23 novembre au 1er décembre) de Peter Grimes  de Britten dirigé par Graeme Jenkins dans la mise en scène de Christine Mielitz (cette dame a beaucoup travaillé à Vienne sous Joan Holaender), Ben Heppner (Grimes), Gun-Brit Barkmin (Ellen Orford) et Iain Paterson (Balstode).
En décembre, nous avons déjà évoqué Tristan und Isolde (nouvelle production 2012-2013), signalons Fidelio dirigé par Franz Welser-Möst, dans la mise en scène d’Otto Schenk du 19 au 29 décembre avec Ricarda Merbeth dans Leonore (hum), mais Peter Seiffert (Florestan), Tomas Konieczny (Pizzaro), et Matti Salminen (Rocco) et l’année se termine traditionnellement par Die Fledermaus (jusqu’au 5 janvier), dirigée cette fois par Bertrand de Billy, avec Herbert Lippert, Edith Haller, Angelika Kirschlager, Daniela Fally, Adrian Eröd et une des grandes stars du théâtre germanique, Peter Simonischek dans Frosch: qui n’a pas vu encore sur scène Peter Simonischek devrait en profiter! Nouvel an à Vienne (avec le concert du même nom et une Fledermaus, voilà un bon plan comme on dit aujourd’hui!)…

Janvier-Mars

Le mois de janvier est essentiellement un mois Mozart/Da Ponte avec deux reprises des productions de Jean-Louis Martinoty (appelé par Dominique Meyer) des Nozze di Figaro et de Don Giovanni et une reprise de Cosi’ fan tutte, mise en scène (plate) de Roberto de Simone et créé il y a longtemps déjà par Riccardo Muti dans la fosse. La production des Nozze di Figaro, dirigée par Jérémie Rhorer bénéficie d’un grande distribution (3 soirées du 9 au 15 janvier 2014): Simon Keenlyside (Il Conte), Genia Kühmeier (La Contessa), Anita Hartig (Susanna), Luca Pisaroni (Figaro) et Rachel Frenkel (membre de la troupe, mais déjà bien connue des scènes germaniques), comme Cherubino. Don Giovanni sera dirigé par Alain Altinoglou pour quatre soirs (11-21 janvier) avec Adam Plachetka (exemple même d’un membre de la troupe appelé à des premiers plans), Hibla Gerzmava (Anna) qui vient des plus grands théâtres de Russie, Rolando Villazon en Don Ottavio, Malin Hartelius en Elvira et David Bizic en Leporello. Quant à la production de Cosi’ fan Tutte (3 représentations du 13 au 20 janvier), elle sera dirigée par Patrick Lange; on sait combien j’apprécie ce jeune chef, dont j’attends l’arrivée dans les chefs de référence et qui pour l’instant reste sur les starting blocks au rang des bons chefs qu’on appelle en série B. Je l’ai entendu dans Rosenkavalier et Traviata à la Komische Oper de Berlin, et dans l’un comme dans l’autre ce fut l’un e des très belles surprises des dernières années. Outre Barbara Frittoli dans Fiordiligi, Nikolay Borchev (jeune baryton très prometteur) comme Guglielmo, Benjamin Bruns, membre de la troupe et excellent ténor, sera Ferrando, et Margarita Gritskova, autre membre de la troupe, comme Dorabella tandis que Pietro Spagnoli sera Don Alfonso et Sylvia Schwartz (elle aussi de la troupe de Vienne) Despina.
On passera sur l’Elisir d’amore, Tosca dont nous avons parlé plus haut et même trois représentations d’un Boris Godunov de fin de mois (23-31 janvier) même avec Ferruccio Furlanetto et Kurt Rydl pour en arriver à la troisième nouvelle prodcution de la saison, Rusalka (5 représentations du 26 janvier au 9 février), de Dvorak qu’on voit décidément aujourd’hui sur toutes les grandes scènes du monde quand l’œuvre fut oubliée pendant des années et des années. Dirigée par la référence en la matière, Jiri Belohlávek dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf (je trouve qu’on le voit beaucoup à Vienne, et que peut-être il ne vaut pas tant d’honneur), et une belle distribution comprenant entre autres  Michael Schade (Der Prinz), Krassimira Stoyanova (Rusalka), Janina Baechle (Jezibaba), Günther Groissböck (Der Wassermann).
Suivront une série de soirées alimentaires, Cavalleria Rusticana/Pagliacci dans la mise en scène de Ponnelle, dirigée par Paolo Carignani, avec Michaela Schuster (Santuzza) et Fabio Armiliato pour “Cav” et Neil Shicoff, Inva Mula et Ambrogio Maestri pour “Pag”, Il Barbiere di Siviglia, Manon (Andrei Serban/Frédéric Chaslin et Inva Mula/Ramon Vargas) pour nous arrêter un instant sur cette Salomé mise en scène sortie du formol de Boreslav Barlog (1972) avec ses décors “Secession” de Jürgen Rose, mais dirigée par Andris Nelsons, avec Gun-Brit Barkmin, le soprano “lirico-spinto” allemand qui monte, en Salomé, le couple Iris Vermillion (Herodias) et le très bon ténor de caractère Herwig Pecoraro (Herodes) ainsi que Falk Struckmann en Jochanaan (3 soirées du 7 au 13 février).
Première et entrée au répertoire (eh oui, il y a des œuvres qui sont passées encore entre les mailles du filet!) de Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea (6 représentations du 16 février au 12 mars) dirigée par Evelino Pidò et mise en scène de David McVicar, avec Elena Zhidkova (Principessa di Bouillon), Massimo Giordano (Maurizio), Angela Gheorghiu (Adriana) et Roberto Frontali (Michonnet). Distribution solide pour une œuvre immortalisée par Mirella Freni dans ces 20 dernières années, et Magda Olivero pour l’éternité.
Signalons aussi en mars avec quelques Bohème et Tosca une courte reprise (trois représentations du 7 au 14 mars) de l’excellent Eugen Oneghin mis en scène par Falk Richter (2009), cette fois-ci dirigé par Patrick Lange avec Nadia Krasteva (Olga), Dinara Alieva (Tatjana), Mariusz Kwiecien (Oneghin), Rolando Villazon (Lenski) et Ain Anger (Gremin), que du beau monde,  ainsi que de Wozzeck dans la mise en scène d’Adolf Dresen (créée par Claudio Abbado) pour trois représentations du 23 au 30 mars, avec au pupitre Daniele Gatti et une jolie distribution comprenant Matthias Goerne (Wozzeck) Wolfgang Bankl (Doktor) Evelyn Herlitzius (Marie).

Avril à Juin

Avril s’ouvre sur un Rigoletto de répertoire dans la mise en scène de Sandro Sequi (spectacle créé par Riccardo Muti pour Edita Gruberova en 1983…), dirigé par Jesus Lopez-Cobos avec l’inusable Leo Nucci, le duc de Franceso Meli, et la Gilda de Valentina Nafornita et une Madama Butterfly (voir plus haut), mais c’est une importante première qui va marquer le mois, puisque la production de

Le Lohengrin de Barrie Kosky, remplacé en avril 2014

Lohengrin de Barrie Kosky (récente, vu les durées viennoises, à peine 30 représentations) sans doute trop contestée, va laisser la place à une production d’Andreas Homoki: on reste sur la cohérence, puisque à la production de l’actuel directeur de la Komische Oper de Berlin succède celle de l’ancien directeur. Dirigée par Bertrand de Billy, une garantie de solidité, elle affiche une très belle distribution dominée par Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Camilla Nylund (Elsa), Günther Groissböck (Heinrich der Vogler), Wolfgang Koch (Telramund) et Michaela Maertens (Ortrud) qui vient de remplacer un soir Dalayman dans le Parsifal new yorkais et qui commence à émerger dans les rôles de grand mezzo.
Dans l’alternance du mois d’avril, outre Rosenkavalier (voir plus haut) signalons aussi une Ariadne auf Naxos, nouvelle mise en scène de Sven-Eric Bechtolf (encore!) dans la saison 2012-2013, sous la direction de Michael Boder (un bon chef peu connu en France) en avril (3 représentations du 15 au 22 avril) et Franz Welser-Möst en juin (3 représentations du 11 au 20 juin) avec Sophie Koch (avril)/Christine Schäfer(juin) (Der Komponist), Stephen Gould(avril)/Klaus Florian Vogt (juin) (Bacchus), Iride Martinez (avril)/Daniela Fally (juin) (Zerbinetta) et l’émergente Meagan Miller en avril face à Emily Magee en juin(Primadonna), deux distributions intéressantes, entre les deux mon cœur balance…
A Vienne comme partout dans le monde de culture germanique, Pâques, c’est le moment de Parsifal, dirigé en 2014 ( trois représentations du 17 au 24 avril) par Franz Welser-Möst, dans la mise en scène désormais consommée et presque usée de Christine Mielitz, avec cette fois Mathias Goerne (Amfortas), Peter Rose (Gurnemanz), Johan Botha (Parsifal) et surtout Waltraud Meier en Kundry.
Mai s’ouvre sur Nabucco avec Domingo (voir plus haut) et une reprise bien distribuée de Faust de Gounod, mise en scène (sans doute une provocation débridée…) de Nicolas Joel (2008) dirigé par Bertrand de Billy, avec Anna Netrebko (Marguerite), Erwin Schrott (Mephisto) (s’il prononce aussi bien le français que l’italien, cela promet…), Piotr Beczala (Faust) Adrian Eröd (Valentin): une distribution faite pour les fans viennois, vu la popularité d’Anna Netrebko et d’Erwin Schrott…(3 représentations du 2 au 10 mai). Passons sur un Andrea Chénier moyennement attirant (Direction Paolo Carignani, Mise en scène Otto Schenk avec Norma Fantini, Johan Botha et Anthony Michaels-Moore), une Clemenza di Tito (mise en scène Jürgen Flimm, direction Adam Fischer) qui pourrait attirer grâce au Tito de Toby Spence et à la Vitellia de Véronique Gens (3 représentations du 11 au 15 mai), une Traviata (production de Jean-François Sivadier vue à Aix) dirigée par Louis Langrée, distribuée avec des artistes plutôt émergents, Myrto Papatanasiu en Violetta, Piero Pretti en Alfredo et Giovanni Meoni en Germont (4 soirs du 16 au 25 mai), une Cenerentola (encore de Sven-Eric Bechtolf !!) dirigée par Jesus Lopez-Cobos, un spécialiste, avec Maxim Mironov (ténor rossinien émergent) qui succède à l’autre ténor rossinien émergent, Dmitri Kortchak qu’on a vu en décembre 2013 pour nous arrêter sur un mystère qui ne peut s’expliquer que par l’incroyable gloire de Edita Gruberova à Vienne, une série de quatre Norma concertantes (du 8 au 21 mai), dirigées par Yurij Yurkevych, avec Massimo Giordano en Pollione et Nadia Krasteva en Adalgisa.
Dernier point saillant du mois de mai, une reprise retravaillée (Wiederaufnahme) pour 6 représentations du 23 mai au 4 juin des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, dirigés par l’excellent Marko Letonja, mis en scène par Andrei Serban avec Piotr Beczala en Hoffmann  et Ildar Abdrazakov dans les quatre méchants et Daniela Fally (Olympia), Marina Rebeka (Antonia) et Nadia Krasteva (Giulietta).
Dominique Meyer a confié à Jeffrey Tate (qui fut l’assistant de Boulez à Bayreuth) la direction du Ring des Nibelungen en mai-juin 2014, après l’incroyable triomphe de Christian Thielemann dans la même production (de Sven-Eric Bechtolf, bien entendu), dans une très belle distribution: Tomasz Konieczny en Wotan et Wanderer, Elisabeth Kulman en Fricka, Eric Owens (l’extraordinaire Alberich du MET) en Alberich (dont si je ne me trompe ce doit être la première apparition à Vienne), Nina Stemme en Brünnhilde, Gun-Brit Barkmin en Sieglinde, Ain Anger en Hunding, Stephen Gould en Siegfried, Herwig Pecoraro en Mime, Attila Jun en Hagen (30/31 mai et 5,8 juin et 19, 22, 25, 29 juin). le mois de juin affiche des reprises de spectacles de l’année, dont Les Contes d’Hoffmann, La Cenerentola, Ariadne auf Naxos, L’Elisir d’amore et Zauberflöte(voir plus haut) mais la dernière nouvelle production  qui conclura la saison  (5 représentations du 18 au 30 juin) est Príhody lisky bystrousky (en langage clair: La petite renarde rusée) de Leos Janácek, dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Otto Schenk, avec Gérard Finley, Wolfgang Bankl et Chen Reiss. musicalement inattaquable, car Welser-Möst aime ce répertoire, et sans doute d’un classicisme léché avec ce travail d’Otto Schenk à qui Dominique Meyer veut rendre hommage.
Nous voici au terme du voyage. Une saison comprenant 48 titres différents (+ Die Zauberflöte für Kinder – la Flûte enchantée pour enfants), 6 nouvelles productions, 3 Wiederaufnahme, qui reflète une politique globale de rafraichissement du répertoire, pilier de cette salle et de sa tradition, et des nouvelles productions qui ne peuvent être à cause de cette politique, des feux de paille (ou de paillettes) mais des investissements pour le futur, d’où des choix  de metteurs en scène (modernes ou classiques) susceptibles de passer les modes et permettant une alternance facile. Du point de vue des distributions, des choix toujours pertinents qui sont en même temps des garanties avec un directeur musical présent, qui joue vraiment son rôle, et qui a l’avantage d’avoir des dizaines d’œuvres à son répertoire. Gérer, tout en garantissant une saison régulière au quotidien, avec ses “hits” , c’est ce à quoi doit s’attacher tout manager à Vienne. Peut-être la venue plus fréquente de chefs de référence couronnerait-elle cette politique: les chefs de légende ont fait la légende de ce théâtre, quelques jours légendaires par an feraient du bien à la santé (Fanciulla ?). Il faut évidemment faire régulièrement le voyage de Vienne ! En combinant Staatstoper avec  concerts au Konzerthaus ou au Musikverein et un spectacle au Theater an der Wien dont la politique va évidemment là où ne va pas la Staatsoper.
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Le grand escalier

 

 

GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2013-2014 : LA NOUVELLE SAISON

Le Grand Théâtre fait un très gros effort cette année en montant l’intégralité du Ring de Wagner, par épisodes, et en deux séries en mai 2014, c’est une grande affaire pour un théâtre et il faut saluer l’effort et la performance. Cela pardonne un mois de janvier quasiment sans programmation et le remplacement d’un titre par autant de récitals de chant d’artistes de renom culminant avec Jonas Kaufmann le 30 mars. On entendra donc en récital les voix prometteuses de l’académie du Théâtre Marinskij (vu la richesse actuelle du marché des voix russes, ce sera sans nul doute intéressant) le 20 octobre 2013, Soile Isokoski le 17 novembre, Leo Nucci le 20 décembre 2013, Ferruccio Furlanetto le 12 janvier 2014, Lawrence Brownlee le 21 janvier, Anna Caterina Antonacci le 11 mai 2014.
Du point de vue des opéras, notons d’abord un spectacle lié au Ring, autour du personnage de Siegfried, Siegfried ou qui deviendra le seigneur de l’anneau…“En compagnie de Richard Wagner, une “Fantasy musicale de Peter Larsen”, comme dit le programme
livret et arrangement musical de Peter Larsen les 21, 22, 23 mars 2014, et un spectacle venu de la Ruhrtriennale, mis en scène par Heiner Goebbels, visant à faire redécouvrir le compositeur Harry Partch, Delusion of the Fury, créé en janvier 1969 à Los Angeles, au Pasadena Art Museum, pour deux représentations au Bâtiment des Forces Motrices les 28 et 29 mars 2014.
Venons-en à la saison d’opéra qui présentera 7 productions nouvelles, deux reprises (La Chauve Souris et Das Rheingold, inclus dans les deux Ring complets du mois de mai) ainsi qu’un opéra en version de concert, le Siegfried français, Sigurd d’Ernest Reyer qu’il aurait été intéressant de monter mais visiblement les moyens disponibles ne le permettaient pas: deux soirées en concerts peuvent être remplies (au Victoria Hall), six ou sept représentations c’est déjà plus incertain. La distribution comprend le jeune Andrea Carre dans Sigurd, qui fit si bonne impression en Macduff dans le Macbeth de Metzmacher/Loy de ce même théâtre, Anna Caterina Antonacci en Brunehilde, l’excellent Nicolas Courjal, Anne Sophie Duprels, Marie-Ange Todorovitch et Michael Helmer, le chœur du Grand Théâtre toujours bien préparé par Ching-Lien Wu, le tout sous la direction de Frédéric Chaslin. Cette œuvre qui raconte l’histoire de Siegfried, créée à La Monnaie de Bruxelles en 1884, qui fit les beaux soirs de l’opéra de Paris est un grand opéra à la française avec deux ballets, qu’on ne joue plus depuis les années 1930…(un enregistrement radio dans les années 1970). Une curiosité qu’il faudra donc redécouvrir (6, 8, 10 octobre 2013).
La saison ouvrira par une série de Nozze di Figaro (6 représentations du 9 au 19 septembre) dans une production fameuse de Guy Joosten prise au De Vlaamse Opera d’Anvers/Gand, dirigée par le solide Stefan Soltesz, bien connu des scènes allemandes et autrichiennes dans une distribution assez solide, Russel Braun, Malin Byström, Stéphanie d’Oustrac en Chérubin, Ekaterina Siurina (Susanna) et David Bizic en Figaro (qui fut le Masetto de la production du Don Giovanni de Michael Haneke à Garnier en 2006), un ensemble de bon niveau. Successivement en novembre et pour quatre représentations du 7 au 16 octobre, Die Walküre, première journée du Ring confié à  Dieter Dorn, Jürgen Rose, et Ingo Metzmacher dans une distribution en demi-teinte, des artistes solides, Petra Lang en Brünnhilde, Elena Zhidkova en Fricka, Günther Groissböck en Hunding et d’autres plus discutables (pour mon goût, bien évidemment, Michaela Kaune (qui ne m’a jamais convaincu) en Sieglinde, Tom Fox en Wotan qui n’a pas enthousiasmé dans Rheingold. Quant à Will Hartmann (Siegmund) il sera à découvrir dans un rôle où je ne l’ai pas entendu, mais c’est un artiste de bon niveau.
En décembre, la traditionnelle opérette de Noël, une reprise, pour 7 représentations du 13 au 31 décembre de La Chauve Souris, en français dans le texte, reprise de la production du Grand Théâtre  de 2008 (qui est la production du Festival de Glyndebourne de Stephen Lawless et Benoît Dugardyn), mais en version française, dirigée par le vétéran Theodor Guschlbauer, qui présida aux destinées du Philharmonique de Strasbourg  pendant tant d’années, avec une belle distribution française, Nicolas Rivenq, Noëmi Nadelmann (bon, elle est suisse de Zürich…), René Schirrer, Marie-Claude Chappuis (suisse elle aussi, de Fribourg), Marc Laho (bon, il est belge), Olivier Lalouette. Rien en Janvier sinon deux concerts de chant (voir ci-dessus) et en février, 3 représentations de Siegfried (les 2, 5, 8 février), (Dorn/Metzmacher) avec le ténor britannique John Daszak en Siegfried, Petra Lang en Brünnhilde, Tomas Tomasson en Wanderer, Maria Radner en Erda, Andreas Conrad en Mime, Stephen Humes en Fafner, John Lundgren en Alberich, un ensemble à tout le moins très respectable. Même si je n’ai jamais entendu John Daszak, il est important de connaître d’autres ténors que ceux du “Siegfried’s Tour” (Lance Ryan, Stephen Gould, Ian Storey). Fin février et mars (du 28 février au 10 mars), 7 représentations du Nabucco de Verdi dans une mise en scène de Roland Aeschlimann et dirigé par John Helmer Fiore (actuel directeur musical de l’Opéra d’Oslo et ex-directeur muscial du Deutsche Oper am Rhein), avec Franco Vassallo dans Nabucco (un des deux Macbeth récents de la Scala), Csilla Boross en Abigaille (elle en a la couleur glaciale en tous cas), Leonardo Capalbo en Ismaele (un des Alfredo de la récente Traviata genevoise), Roberto Scandiuzzi en Zaccaria (alternant avec Marco Spotti) et Stéphanie Lauricella en Fenena (alternant avec Ahlima Mhamdi), une distribution qui vaut aujourd’hui aussi bien que n’importe quelle autre distribution, y compris celles de la Scala, vu l’indigence des propositions verdiennes.
Presque rien en avril, mais du 23 avril au 2 mai, Götterdämmerung, avec une distribution faite d’habitués des scènes wagnériennes et de nouveaux venus: Petra Lang en Brünnhilde, Edith Haller en Gutrune, Michele Breedt en Waltraute, Johannes Martin Kränzle en Günther, puis John Lundgren en Alberich, et les émergents John Daszak en Siegfried, Jeremy Milner en Hagen (jeune basse qui commence à accéder à des rôles de premier plan, cover dans Hagen à Seattle). Les deux Ring complets qui auront lieu les 13, 14, 16, 18 mai et les 20, 21, 23, 25 mai 2014 concluront cette année très wagnérienne, mais pas la saison. Car en juin, pour clore la saison, une rareté pourtant très connue (pour un seul air), La Wally de Alfredo Catalani pour 6 représentations du 18 au 28 juin dans des décors et costumes de Ezio Toffolutti (du classique donc), mais le site du Grand Théâtre n’indique pas la mise en scène? , sous la direction de Evelino Pidò (une garantie musicale) avec Barbara Frittoli dans Wally, Balint Szabo, Andrzej Dobber et Gregory Kunde, une distribution très soignée (même si Gregory Kunde n’a plus les moyens d’antan). Que dire de l’œuvre, créée en 1892 à Milan? Si on est gentil on dira que découvrir une rareté est toujours stimulant, et qu’il faut venir voir le spectacle; si on est méchant, on dira qu’on attend l’air “Ebben? Ne andrò lontana” immortalisé par le film Diva de Jean-Jacques Beineix en s’ennuyant, et qu’une fois l’air passé on s’ennuie encore plus, mais qu’il faut quand même voir le spectacle si on est curieux. Mais on ne peut dire que l’œuvre  soit passionnante, même si la distribution réunie est plutôt bonne.
Au total, une saison qui montre qu’un théâtre qui ne compte pas parmi les tout premiers européens peut monter un Ring (malgré la relative déception de l’or du Rhin, je continue d’avoir confiance en Ingo Metzmacher pour nous surprendre), que le reste des choix est défendable: les genevois peuvent s’abonner sans crainte.
Je ne vois pas néanmoins de spectacles qui (Ring à part, qu’un wagnérien-pélerin ne peut manquer) motivent un déplacement pour un mélomane éloigné (Sigurd, peut-être?). Il reste que les habitants de Rhône-Alpes n’auront pas de Ring accessible en région avant longtemps, et que cela vaut la peine d’être signalé pour prendre son bâton de pèlerin…Et si les hôtels de Genève sont hors de prix, ceux d’Annemasse et de Saint Julien en Genevois sont très accessibles et à portée de bus de la métropole suisse. Cette saison genevoise 2013-2014 est donc à considérer avec sympathie pour tous les mélomanes de la région: entre Lyon et Genève, deux profils différents, deux options managériales différentes, et donc une véritable offre, d’une grande richesse pour les habitants des Alpes et de la vallée du Rhône intéressés par la musique .

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BAYERISCHE STAATSOPER (MUNICH) 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

La façade de la Bayerische Staatsoper

Dans le paysage des opéras européens, la Bayerische Staatsoper a une place particulière. Je l’ai écrit souvent, c’est une institution d’une stabilité modèle. Vous y alliez en 1980, vous y retournez en 2013, et les rituels sont les mêmes, les repères sont les mêmes, jusqu’à la glace à la vanille aux framboises chaudes avec un public à peu près immuable, des jeunes habitués aux places debout au public chic de l’orchestre, plutôt habillé, et quelquefois à la bavaroise.  Le  cadre, restauré et remis à neuf il y a 50 ans après les bombardements de la seconde guerre mondiale, est élégant, d’un rose apaisant et tout cela fait qu’on s’y sent bien: contrairement à d’autres salles, on lit à tous les étages l’histoire du théâtre, bustes des directeurs musicaux ou de grands chefs, portraits de chanteurs, de chefs, de directeurs: Sir Peter Jonas, Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta (pas trop réussi!). J’aime me promener dans un théâtre qui respire son histoire, et du même coup ravive mes souvenirs. A Munich, pour ma part, ils s’appellent Sawallisch et Kleiber.
L’Opéra est actuellement dirigé par Nikolaus Bachler, un autrichien qui a dirigé les Wiener Festwochen, la Volksoper de Vienne et le Burgtheater, c’est à dire (Staatsoper mis à part) les plus grosses institutions viennoises; c’est un soutien des grands metteurs en scène allemands et du théâtre à l’allemande, ce qui ne manque pas de susciter l’ire des opposants (je lisais encore récemment quelques remarques acerbes contre sa politique sur le fameux blog italien de la Grisi – Il corriere della Grisi). A noter que son directeur de casting est Pål  Moe qui le fut à Paris sous Hugues Gall.
La saison 2013-2014 marque le début au pupitre de Generalmusikdirektor de Kirill Petrenko qui succède à Kent Nagano, GMD depuis 2006, dont le départ de Munich a étonné tous les mélomanes. Kent Nagano devrait aller à Hambourg comme GMD de l’Opéra (il succède à Simone Young) à partir de 2015 et à Göteborg dès la saison prochaine. Au vu de l’accueil chaleureux du public à chacune de ses apparitions, et du succès incroyable, et mérité qu’il a reçu lors des représentations auxquelles j’ai dernièrement assisté, Kent Nagano sera sans doute regretté, même si Kirill Petrenko est considéré comme un  futur (déjà) grand de la baguette. Le chef russe a déjà dirigé l’Opéra de Meiningen, en Thuringe, unedes jolies salles d’Allemagne, avec un passé riche de grands musiciens (Hans von Bülow, Richard Strauss, Max Reger), puis la Komische Oper de Berlin, il arrive à Munich l’année-même de ses débuts dans le Ring à Bayreuth.

Munich est un théâtre de répertoire à l’allemande, avec une troupe qui a toujours été de très bon niveau et il offrira en 2013-2014  5 nouvelles productions dans la saison (et deux lors du festival). Dernière originalité justement, le mois de juillet est le mois du Festival, les Münchner Opernfestspiele qui en général proposent des représentations du répertoire de l’opéra avec des distributions exceptionnelles, des nouvelles productions reprises dans la saison suivante, et les nouvelles productions de la saison passée avec leur distribution originale (dans ma jeunesse mélomaniaque je faisais des allers/retours Bayreuth-Munich, “courant” de Chéreau à Kleiber et passant la moitié des nuits à rouler sur les 219 km qui séparent les deux villes. Cet heureux temps n’est plus (enfin..presque).
Cette année, la saison propose donc cinq nouvelles productions, dont une par l’opéra studio qui n’est pas encore fixée et trois dirigées par Kirill Petrenko, Die Frau ohne Schatten, de Richard Strauss mise en scène de Krzysztof Warlikowski (6 représentations en novembre-décembre et deux en juin-juillet dirigées par Sebastian Weigle), avec Adrianne Pieczonka, Johann Botha, Deborah Polaski, Wolfgang Koch (John Lundgren en juin-juillet), et hélas Elena Pankratova, La Clemenza di Tito de Mozart dans une mise en scène de Jan Bosse, né en 1969, connu surtout comme metteur en scène de théâtre (il a été metteur en scène résident du Deutsches Schauspielhaus Hamburg et de 2007 à 2010 il a rempli cette fonction au Maxim Gorki Theater de Berlin) avec notamment Toby Spence et Kristine Opolais, en février 2014 et en juillet ( dirigé par Adam Fischer, puisque Petrenko sera en répétition à Bayreuth en juillet 2014 et ne dirigera pas à Munich pendant le Festival) et enfin Die Soldaten de Zimmermann, dans une mise en scène de Andreas Kriegenburg (celui du fameux Ring munichois) en mai et juin 2014, avec une distribution dominée par Barbara Hannigan dans laquelle on note Hanna Schwarz (la Fricka de Chéreau!) , Endrik Wottrich (hum…) et Michael Nagy.
La dernière nouvelle production de la saison, c’est La Forza del Destino de Verdi dirigée par Asher Fisch (hum) mise en scène par Martin Kušej (cela c’est prometteur) avec…Anja Harteros et Jonas Kaufmann, entourés de Ludovic Tézier, Nadia Krasteva et Vitalyi Kowaljow du 22 décembre au 11 janvier et 3 représentations du 25 au 31 juillet. Vous savez désormais où passer le nouvel an 2014…
Le festival propose deux nouvelles productions, Guillaume Tell de Rossini en version française, mise en scène du  jeune Antú Romero Nunes, né en 1983, actuel metteur en scène résident au Maxim Gorki Theater de Berlin) grande promesse de la scène allemande, dirigé par Dan Ettinger, chef israélien qui commence à se faire un nom (directeur musical du Nationaltheater de Mannheim, il commence à diriger régulièrement au MET), donc une équipe relativement jeune, avec une très solide distribution: Michael Volle, Marina Poplavskaia, Bryan Hymel, Günther Groissböck. Eh oui, notre directeur de l’opéra de Paris-qui-veut-valoriser le-répertoire-français, n’a pas été capable de monter un Rossini français (l’an prochain, c’est Lyon et la Scala qui coproduisent le Comte Ory, quant à Moïse, depuis 1984, disparu dans les oubliettes de l’histoire): il faudra aller à Munich voir ce  chef d’œuvre qu’est Guillaume Tell.
Dernière nouvelle production du Festival, L’Orfeo de Monteverdi, dirigé par l’excellent Ivor Bolton, sans doute le prélude à une trilogie dans une mise en scène du jeune et talentueux David Bösch (qui mettra en scène le Simon Boccanegra de Lyon en 2014) avec Christian Gerhaher dans Orfeo, ce qui suffit à motiver pour faire le voyage et coupler avec La Forza del Destino (5 représentations du 20 au 30 juillet).
Mais dans un opéra de répertoire, il faut aussi repérer les reprises: à Munich il y a souvent de beaux soirs, voir de grands soirs, les distributions sont presque toujours très solides. Vous serez rarement déçus.
Commençons par les représentations dirigées par Kirill Petrenko: il va reprendre en décembre 2013 Tosca (4 représentations du 6 au 18 décembre) avec Catherine Naglestad et Massimo Giordano dans la mise en scène bien connue de Luc Bondy, en janvier Eugen Onegin dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski avec Kristine Opolais, Edgaras Monvidas et Artur Rucinski,  Der Rosenkavalier pour 3 représentations début mars (2, 5, 8 mars) dans la légendaire production de Otto Schenk avec Soile Isokoski, Peter Rose, Alice Coote, Martin Gantner, Mojka Erdmann reprise pour 4 représentations fin juillet 2014 dans la même distribution, mais dirigé par Constantin Trinks, un chef qu’on commence à voir beaucoup, Boris Godunov dans la mise en scène de Calixto Bieito toujours en mars 2014 (5 représentations) du 16 au 31/03 2014 avec Anatoli Kotscherga en Boris, Gerhard Siegel en Schuiskij, Brindley Sherratt en Pimen.
Voilà quelques occasions de sauter dans un TGV pour Munich, il y en a d’autres dans le reste du répertoire, même si il manque au pupitre quelques grands chefs, il y a de bons voire de grands chanteurs et donc les amoureux du chant trouveront de quoi étancher leur soif. Veut-on Mozart? en septembre un Don Giovanni dirigé par Louis Langrée, dans la mise en scène de Stephan Kimmig, avec Simon Keenlyside, Dorothea Röschmann, Bernard Richter, Kyle Ketelsen, Elza van der Heever…pas si mal, surtout si on prolonge (nous sommes en septembre octobre) par des Nozze di Figaro dirigées par Ivor Bolton, avec Stéphane Degout et Genia Kühmeier, ainsi que Vito Priante en Figaro. A la même période, un Wozzeck  dirigé par Lothar Koenigs, mise en scène Andreas Kriegenburg avec Simon Keenlyside, Wolfgang Ablinger-Sperrhake et la Marie de Angela Denoke. On compte pas mal de représentations de Rigoletto, dans la mise en scène très discutée de Arpad Schilling dirigée en octobre par Stefano Ranzani(moui) mais en avril et mai par Marco Armiliato (c’est nettement mieux) avec selon les dates Franco Vassallo, Joseph Calleja, Erin Morley ou Alexandra Kurzak. Signalons au passage la production vue à Lyon (Gregor Jarzyna) de L’enfant et les sortilèges (Ravel) et Der Zwerg (Alexander von Zemlinsky) dirigée comme à Lyon par Martyn Brabbins (octobre), fin octobre et novembre une Rusalka (Production de Martin Kušej) avec Kristine Opolais et Georg Zeppenfeld entre autres, dirigée par le jeune et excellent Tomáš Hanus, une reprise du Trovatore (version Olivier Py) créé en juin prochain, avec Jonas Kaufmann (eh! oui,  Jonas Kaufmann est munichois, il est là, sous la main) mais sans Anja Harteros remplacée par Krassimira Stoyanova, ce qui est très bien aussi et le Luna de Vitalyi Bilyy, que je viens à peine de voir en Macbeth à la Scala, et qui est un chanteur très honnête, sous la direction de Paolo Carignani. Signalons encore en novembre une bonne Zauberflöte (direction Ivor Bolton, mise en scène sans doute surannée de August Everding, je la vis au début des années 1980) mais très bien distribuée: Toby Spence, Günther Groissböck, Albina Shagimuratova (magnifique reine de la nuit) et Genia Kühmeier, sans oublier les trois enfants du Tölzer Knabenchor. Passons sur une Bohème avec Ana Maria Martinez (en décembre) ou Anita Hartig (en mai, préférable) mais le mois de décembre, entre cette Bohème de routine, et Tosca (Petrenko et Naglestad) ,  Forza del Destino (Kaufmann et Harteros) et Hänsel und Gretel, mise en scène de Richard Jones et dirigé par Tomáš Hanus,  on a de quoi passer de bonnes soirées. En lisant cette programmation, et ce n’est pas fini, vous comprenez sans doute qu’il faut passer par Munich !
Entrons en 2014. En ce début janvier très chargé en productions intéressantes (Eugen Onegin, La Forza del Destino par exemple) on trouve aussi La Traviata, avec plusieurs distributions en janvier, avril, juillet 2014: Paolo Carignani dirigera les représentations de janvier et juillet, Pietro Rizzo celles d’avril. Bien sûr, il faudra supporter la mise en scène de Günter Krämer (mais toutes ses productions ne sont pas ratées), mais les distributions ne sont pas indifférentes: Violetta sera Ailyn Pérez en janvier, la très attendue Sonya Yoncheva en avril et Diana Damrau pour le Festival en juillet, Alfredo sera Charles Castronovo en janvier, Rolando Villazon (qui fait de Munich une de ses scènes de référence) en avril et Joseph Calleja en juillet. A noter que ce dernier qui chantait surtout au MET commence à se faire entendre un peu partout en Europe et c’est justice. quant à Germont, ce sera Thomas Hampson en janvier, Leo Nucci en avril et Simon Keenlyside en juillet. Avouez que ce n’est pas si mal au total, pour des reprises de répertoire. notons aussi en janvier (4 représentations) une belle reprise de La Calisto de Cavalli dans la mise en scène de David Alden et sous la direction de Ivor Bolton, avec notamment Christophe Dumaux et Danielle de Niese, dans la seconde quinzaine de janvier et en juin/juillet 2014, une reprise de Der Fliegende Holländer sous la direction de Gabriel Feltz en janvier et juillet, et Asher Fisch une fois en juin, dans la mise en scène de Peter Konwitschny, qui fut sous Peter Jonas le metteur en scène de référence des Wagner, dans une distribution riche, Evguenyi Nikitin en janvier dans le Hollandais (Johan Reuter en juin et Alan Held en juillet), Kwanchoul Youn en Daland (janvier) et Hans Peter König (en juin juillet), un florilège des meilleurs Erik du moment, Michael König en janvier, Klaus Florian Vogt une fois en juin, et Peter Seiffert en juillet, et deux Senta de référence, Anja Kampe en janvier et juin et Adrianne Pieczonka en juillet. Enfin, toujours en janvier, Kent Nagano reviendra au pupitre pour une reprise de la dernière création mondiale (2012) de Jörg Widmann, livret de Peter Sloterdijk, Babylon,  pour trois représentations dans la mise en scène de La Fura dels Baus(Carlus Padrissa) avec Willard White, Anna Prohaska, Gabriele Schnaut;  en janvier et février, retourne aussi pour trois représentations (dernière le 5 février) Turandot, dans une mise en scène là encore de Carlus Padrissa (La Fura dels Baus) avec Lise Lindstrom (Turandot) Yonghoon Lee (Calaf) et Anita Hartig (Liù). Toujours en février, une reprise des Contes d’Hoffmann, dans la mise en scène de Richard Jones (vue à la TV) pour trois représentations là aussi, production dirigée par Constantin Trinks, avec Joseph Calleja, grand titulaire actuel du rôle, l’excellent Laurent Naouri, Kate Lindsey dans la Muse et Nicklausse et Rachel Gilmore (Olympia) , Eri Nakamura (Antonia) et Brenda Rae (Giulietta).
Du 13 au 24 février (5 représentations),  belle distribution pour une reprise de Turco in Italia de Rossini dirigé par Maurizio Benini et mis en scène par Christof Loy(hum), qui comprend Ildebrando d’Arcangelo et Nino Machaidze, mais aussi Lawrence Brownlee et l’excellent Vito Priante, en passe de devenir le baryton Mozart/Rossini du moment. A ce Turco in Italia répondra en mars pour 4 représentations (du 4 au 12) une série de Cenerentola, dirigée par Riccardo Frizza dans la mise en scène légendaire de Jean-Pierre Ponnelle, avec Tara Erraught dans Angelina, Lawrence Brownlee en Ramiro, Alex Esposito en Alidoro. En mars et juin aussi, Madama Butterfly dans deux distributions (celle de juin me paraît un peu plus stimulante) dirigée par Keri Lynn Wilson en mars (3 représentations du 11 au 19 mars) et Daniele Rustioni (3 représentations du 12 au 19 juin), dans une mise en scène de Wolf Busse avec Olga Guryakova (mars) et Ana Maria Martinez (juin), Dmytro Popov ( mars) Joseph Calleja (juin) en Pinkerton Levente Molnar (mars) et Markus Eiche (juin) en Sharpless, Okka von der Damerau étant Suzuki dans les deux distributions.
Une reprise de Salomé illuminera la fin du mois de mars avec Asher Fisch au pupitre, dans la mise en scène de William Friedkin qui sera l’écrin de Nadja Michael dont au connaît l’interprétation engagée, entourée de Alan Held, Gabriele Schnaut, Andreas Conrad, Joseph Kaiser. Du solide, tout comme cette reprise de la vieille Carmen de Lina Wertmüller, dirigée par Carlo Montanaro (un chef italien habitué des fosses d’opéra de répertoire) dans une distribution classique et honnête, Anita Rashvelishvili, Olga Mykytenko, Marcello Giordani (un urlando furioso…) et le très bon Kyle Ketelsen (27 mars-3 avril, 3 représentations). En avril, on reverra aussi, outre La Traviata (voir ci-dessus), le Simon Boccanegra mis en scène par Dmitri Tcherniakov (nouvelle production de juin 2013), dirigé par le solide Bertrand de Billy, un français ignoré voire totalement inconnu en France et qui écume les scènes allemandes et autrichiennes pour 4 représentations en avril, avec George Gagnidze (hum), Krassimira Stoyaniova (mille fois oui!), Vitalij Kowaljow et Stefano Secco, ainsi que le Parsifal traditionnel et pascal de Peter Konwitschny, dirigé cette fois par Asher Fisch, avec Angela Denoke (Kundry), Nicolai Schukoff (Parsifal), Kwanchoul Youn (Gurnemanz) et Levente Molnar (Amfortas). Asher Fisch, dont le nom revient souvent semble presque avoir le statut de deuxième chef invité et remplacer Petrenko là où le GMD traditionnellement est au pupitre (notamment le Parsifal de Pâques), le rôle que Fabio Luisi rempli au MET par rapport à James Levine. Enfin, cet avril très diversifié se conclura par un Rigoletto (Arpad Schilling pour la production  et Marco Armiliato dans la fosse) dont nous avons déjà parlé plus haut. Si en mai Anita Hartig sera Mimi dans une Bohème de répertoire dirigée par Marco Armiliato, on retrouvera aussi L’Elisir d’amore (mise en scène David Bösch) dirigé par Carlo Montanaro avec Alexandra Kurzak et Pavol Breslik, Ambrogio Maestri et Levente Molnar (du répertoire de bonne série) et Ariadne auf Naxos, un opéra très lié à ce théâtre, dirigé par Asher Fisch, dans la mise en scène de Robert Carsen, avec Ricarda Merbeth dans la Primadonna, Jane Archibald dans Zerbinetta, Angela Brower dans le Compositeur et Robert Dean Smith comme Bacchus: une distribution solide qu’on retrouvera presque intégralement en juillet 2014 pour une représentation où cependant Sophie Koch sera le Compositeur.
En mai-juin 2014 (23 mai-7 juin) aussi 5 représentations et une en juillet (le 30) destinées à remplir le tiroir-caisse, du Barbiere di Siviglia, dirigé par l’honnête Antonello Allemandi dans une mise en scène de Ferruccio Soleri (l’Arlecchino légendaire du Piccolo Teatro de Milan) avec Kate Lindsey dans Rosina, le jeune russe Rodion Pogossov en Figaro, Peter Rose en Basilio et surtout (pour les caisses et la joie du public) Juan Diego Florez en Almaviva!
Juin sera très marqué par la nouvelle production de Die Soldaten (Kirill Petrenko/Andreas Kriegenburg) que nous avons déjà évoquée, mais notons quand même outre Madama Butterfly (voir ci-dessus) deux reprises d’importance, I Capuletti ed i Montecchi de Bellini du 11 au 18 juin,dans la mise en scène de Vincent Boussard et les costumes de Christian Lacroix avec rien moins que Elina Garanca dans Romeo, la jolie Ekaterina Siurina dans Giulietta et le très bon Matthew Polenzani dans Tebaldo, et la direction (sans doute propre) de Riccardo Frizza et surtout le Macbeth  de Verdi, pour les débuts du Festival (deux représentations les 27 juin et 1er juillet 2014), dans la mise en scène de Martin Kušej, et sous la direction de Paolo Carignani avec Simon Keenlyside (!) et Anna Netrebko (!!), il faut y courir,  Ildar Abdrazakov en Banco et Joseph Calleja en Macduff. A ne pas manquer évidemment.
Nous avons plus ou moins passé en revue toutes les représentations du mois de Festival 2014, que vous pourrez retrouver dans le corps du texte, sauf deux représentations spéciales de juillet (les 20 et 27) pour l’apparition annuelle d’Edita Gruberova dans ses rôles de bel canto de prédilection et dans ses plus beaux restes: ce sera l’an prochain Lucrezia Borgia, mise en scène de Christof Loy, direction Paolo Arrivabeni, avec Pavol Breslik, John Releya, et Silvia Tro Santafé.
On le voit au terme de ce long parcours, que la saison munichoise est riche, variée, d’un niveau très régulier, de très correct à remarquable, avec des productions la plupart du temps relativement récentes. Trois remarques cependant: la première c’est que Kirill Petrenko semble un GMD  peu moins présent que Nagano les années précédentes (mais c’est une première année) et qu’il semble avoir une béquille du nom d’Asher Fisch ; la deuxième, suite exacte de la première, c’est que je ne pense pas que Kirill Petrenko pourra pendant longtemps ne pas diriger pendant le Festival alors qu’il est le GMD et donc je doute qu’il dirige tous les Ring de Bayreuth prévus (4 ans au bas mot); la troisième, c’est que le prix à payer de distributions régulièrement bonnes (c’est largement le cas), c’est l’absence de grands chefs de référence (à part Petrenko et Nagano, ce sont plutôt de bons chefs de répertoire auxquels on fait appel) même si la présence de jeunes (Trinks, Rustioni) est à remarquer.
Il reste quand même une certitude, c’est que Bayerische Staatsoper a sans doute la saison la plus complète, la plus fournie, la plus équilibrée des grands théâtres européens, et surtout, celle où le niveau est le plus régulier (vers le haut). Je ne peux donc que vous engager à faire le voyage de Munich, en essayant de combiner avec des grands concerts de l’orchestre de la Radio bavaroise ou des Münchner Philharmoniker.
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La salle

 

THÉÂTRE / COMÉDIE DE VALENCE 2012-2013: LE MISANTHROPE de MOLIÈRE, mise en scène de Jean-François SIVADIER le 17 AVRIL 2013.

La scène des portraits © B.Enguerand

Depuis janvier dernier, cette production du Misanthrope de Molière effectue une grande tournée en France, avant de passer le mois de mai à l’Odéon à Paris. La salle de la Comédie de Valence était pleine en ce 17 avril. Saluons donc au passage les choix de programmation et l’action de la Comédie de Valence sur le territoire valentinois, qui a su créer un vrai public, passionné, et qui a su éduquer aux différentes facettes du théâtre par une programmation diversifiée, intelligente, très contemporaine. De plus, Richard Brunel, son directeur, très sensible à l’éducation artistique et culturelle, laboure les écoles et les établissements scolaires du territoire: il est en train de construire un vrai public de spectateurs avertis. On ne peut que s’en féliciter et c’est donc avec plaisir qu’on se rend dans ce lieu chaleureux où voisinent jeunes et retraités, tous amoureux du théâtre.
Je compte Jean-François Sivadier comme l’un des vrais protagonistes de la vie théâtrale en France; il a ces dernières années apporté un authentique sang neuf à cette belle endormie qu’est la scène théâtrale française. Il s’est fait connaître en 1997 avec son “Italienne avec orchestre“, un spectacle qui a beaucoup marqué l’amateur d’opéra qui sommeille(?) en moi. J’avais beaucoup aimé La Vie de Galilée et La Mort de Danton (les deux en 2005) et plus récemment sa désopilante et déglinguée Dame de chez Maxim’s (2009) et sa Traviata d’Aix en 2010. C’est dire que ce Misanthrope m’attirait, notamment après l’extraordinaire travail d’Ivo van Hove à la Schaubühne (vu l’an dernier aux ateliers Berthier) qui est resté ma référence récente.

Le dispositif scénique

Sivadier en fait d’abord un jeu de tréteaux, avec des clins d’oeil évidents à la Commedia dell’Arte, utilisant des matériaux pauvres (c’est presque de l’Arte Povera) pour construire un décor monumental et impressionnant (Daniel Jeanneteau, Christian Tirole, Jean-François Sivadier), sacs poubelles réduits à l’état de confettis jonchant le sol, chaises d’école arrangés en lustres, rideaux légers noirs au fond ou blancs en travers de la scène dans lesquels les comédiens se roulent, un décor évocateur de luxe fait de matériaux ordinaires, un décor qui est méditation sur “être et apparence”, thème de la pièce. De même les costumes très habiles (Virginie Gervaise), à mi chemin entre les costumes XVIIème et des costumes contemporains, suggérant les rubans, les extravagances évoquées par les couleurs flashy(bas d’Oronte), rhingraves suggérées par des pantalons un peu kilts,  et des perruques traditionnelles et monumentales (Cécile Kletschmar) qu’on met et enlève, y compris sur des costumes modernes (même si d’un rouge agressif, comme Philinte) . Seules les femmes restent (un peu) plus traditionnelles, avec quand même des costumes un peu déglingués (Arsinoé), de la couleur du décor (Célimène) ou en rouge  pour Philinte, Acaste -plutôt orange- et Arsinoé (ce semble être une couleur qui fasse signe) quant au noir ou au brun, il est réservé aux autres (Célimène, Alceste, Clitandre). Seule Eliante est en bleu ciel, diaphane.
Comme sur les tréteaux, (et un peu comme chez Peter Brook), les comédiens attendent leur tour en fond de scène, assis ou autour d’une table: l’espace théâtral n’est pas vide, il est au contraire encombré (fontaines, jets d’eaux, tas de chaise) il semble qu’on soit dans un parc dont on dessine les parcours au balai. Sur cet espace, on court,  on glisse, on danse, on chante dans un perpétuel mélange de musique baroque (Vivaldi par exemple) et actuelle (« should I stay or should I go »).
Au début surtout, la mise en scène ne cesse de travailler sur le “clin d’œil au public”, à commencer par l’adresse en alexandrins, prononcée par Vincent Guédon, saluant le public et l’avertissant d’éteindre les mobiles.
Le Misanthrope est sans doute la pièce qui s’adapte le mieux à une lecture contemporaine, les jeux de salon, les codes sociaux, la sclérose sociétale, les pièges de la séduction sont des universaux sur lesquels tout metteur en scène peut “surfer”. L’actualité de Molière, l’incroyable puissance du texte apparaissent d’autant plus et frappent avec la même vigueur aujourd’hui qu’hier. Les phénomènes de cour et de réseau sont encore et toujours d’une terrible actualité, lorsque l’on brandit un journal avec le portrait de Berlusconi. Et toutes les tirades sur le mensonge ou la vérité sonnent tellement actuelles: est-il un spectateur dans la salle qui ne pense à certain Ministre du budget?
Alors Sivadier (et Nicolas Bouchaud, qui avec Véronique Timsit, a collaboré à la mise en scène) propose une vision qui est à la fois évocatrice du XVIIème et parfaitement en phase avec notre temps, gestuelle, mouvements, chutes se réfèrent évidemment au théâtre de farce qui fonde la première époque de la comédie de Molière: les personnages secondaires, et notamment les marquis sont farcesques par leurs habits, lorsqu’ils se retrouvent en sous-vêtements, lorsqu’ils enfilent leur perruques monumentales, Alceste qui chante, qui se déglingue, qui glisse, est évidemment au centre de la farce; Oronte est une caricature magnifiquement habitée par Cyril Bothorel dont la seule présence physique maigre et dégingandée est jouissance pure.  Quant à l’alexandrin, il est si bien en place et si naturellement présent qu’on l’oublie, sauf quand on ménage des effets comiques (“treuve”), le texte est dit avec une telle fluidité par tous que l’alexandrin devient part du plaisir, part du jeu, et jamais forcé, jamais gênant, et malgré tout toujours présent.
La scène I de l’acte I est partiellement vue comme une sorte de prologue, aux deux tiers le rideau latéral tombe et semble dire, la pièce commence. Et elle commence fort. Toute la première partie(actes I et II) est d’un niveau exceptionnel: du rythme, de l’action, des trouvailles, cela vibre, cela vit, cela virevolte: c’est un total bonheur qu’on ne retrouve pas, hélas aux actes III et IV, où cela devient plus sérieux, plus grinçant, et où tous les acteurs ne portent pas le texte avec un égal bonheur. Certes, la pièce est une comédie grinçante, tire vers l’amertume voire le drame personnel, mais ce changement assez brusque me paraît peut-être un peu malheureux. On traverse quelques trous noirs qui rendent l’ensemble du spectacle un peu inégal pour mon goût. Heureusement, l’acte V, fait de tous les coups de théâtre et de trouvailles scéniques superbes retrouve l’inventivité initiale. L’image d’Alceste traçant au balai sur le sol un cercle et tournant dans une sorte de vide, est vraiment étonnante et marque le spectateur.
Évidemment, l’ensemble du spectacle est porté par la performance extraordinaire de Nicolas Bouchaud. Il compose un Alceste comme on en rêve, excessif, ridicule, buté, pathétique, mais aussi pitoyable, erratique, paumé. Il est tout à la fois et constitue évidemment la colonne vertébrale d’un spectacle qui tient en grande partie grâce à lui. Non seulement la performance physique est étonnante, mais plus encore la performance vocale: comme un chanteur, il colore à l’infini une voix a priori suave et douce, il module le volume jusqu’à des hurlements à peine supportables, ce qu’il fait de sa voix m’a totalement bluffé.

Norah Krief (Célimène) et Nicolas Bouchaud (Alceste) © Br.Enguerand

Face à lui, la Célimène de Norah Krief est totalement inhabituelle: très peu “coquette”, très peu séductrice, beaucoup plus femme “de tête”, libre et décidée à le rester, avec un jeu souvent distancié, assez digne et absolument pas dans l’ensemble un personnage moliéresque traditionnel qui pècherait lui-aussi par excès. Elle n’est pas “la coquette”, mais une femme qui se libère et qui joue avec les hommes, qui calcule ses pas dans la société. Elle sait le type d’appui social dont elle a besoin dans une société tout de même dominée par les hommes et elle manœuvre plus peut-être qu’elle ne joue. D’une certaine manière, elle fait preuve d’une certaine  sincérité à la fois avec Alceste et dans sa manière de gérer son parcours social et sa place: j’ai beaucoup aimé sa scène avec Arsinoé.
Philinte (Vincent Guédon), habillé d’un costume “normal” mais d’un rouge criard  joue malgré le rouge cet équilibre qui semble lui coller à la peau depuis le XVIIème. Il a une élégance notoire dans la manière de dire le texte, qu’il manie avec une certaine ironie, dans la manière aussi de s’effacer ou de se fondre dans le groupe, notamment avec les marquis  ou devant Célimène. Philinte cherche non pas à épouser les vices du temps, mais les traverse avec distance, il s’en sert surtout pour “avoir la paix”, plaçant l’exigence de sincérité là où il y a enjeu, au contraire d’Alceste qui en arrive à lui même agir comme ce monde auquel il en veut tant (avec Eliante, il se conduit non seulement comme un mufle, mais il lui propose un marché de dupes faisant voler en éclats cette exigence de sincérité à tout prix qu’il affiche comme un drapeau). Philinte, à la voix qui ne s’élève jamais, qui accepte les débordements d’Alceste de manière stoïque et fataliste, sait aussi entrer dans la folie de cour, notamment dans la scène des portraits : il prend du monde ce qui lui permet de le traverser sans encombres.

Nicolas Boucaud et Vincent Guédon © B.Enguerand

Le Philinte de Vincent Guédon utilise le monde (mais nul ne dit qu’il s’en accommode) juste ce qu’il faut pour flotter, et ne cesse de jouer ce que les autres attendent de lui, mais on sent dans sa manière de dire, sa manière de jouer, sa manière d’être une autonomie très construite.
J’ai dit combien Cyril Bothorel donnait à Oronte un véritable profil, avec une vraie dégaine, de cette dégaine que seuls les gens très bien en cour peuvent se permettre sans qu’on les juge. Molière d’ailleurs analyse avec une acuité chirurgicale ce monde qui ne se construit qu’en réseau et qui fait payer cher les services non rendus, ce même monde (de gauche ou de droite) qu’on retrouve aujourd’hui à grenouiller de manière veule autour du pouvoir.
Sur les autres personnages, j’ai un peu plus de réserves: l’Arsinoé de Christèle Tual ne m’a pas convaincu, même si son entrée dans une sorte de char divin (fait de bric et de broc comme le reste) est assez réussie. Elle ne me dit rien et son costume défraichi un peu excessif des gens qui n’ont plus que le costume pour briller ne l’aide pas non plus (Cornelia Kirchhoff à la Schaubühne avait une autre allure, une autre tenue!). Les marquis Acaste et Clitandre jouent leur rôle avec efficacité (Stephen Butel en Acaste a de bons moments) dans une mise en scène où ils ne sont pas ridicules, mais des archétypes de courtisans, c’est à dire d’animaux de cour.

Philinte (Vincent Guédon) et Eliante (Anne-Lise Heimburger) © B.Enguerand

Quant à Eliante (Anne-Lise Heimburger), elle joue un peu trop la discrète et n’affiche pas une personnalité marquée, comme si le personnage n’avait pas vraiment intéressé Sivadier.
D’immenses qualités s’affichent dans cette production qui veut montrer un monde déglingué, à la ville comme sur la scène, comme si la scène était la métaphore d’une situation sociétale déliquescente, des qualités marquées dans la mise en scène, mise en espace, mise en texte, en dépit de moments centraux un peu “vides”, qui donnent l’impression que le texte se suffit à lui même sans que l’on sente la présence forte du metteur en scène, sans vraies idées, sans vraie lumière. C’est dommage, car lorsqu’il reprend les rênes, la scène explose.
Du point de vue du jeu, Sivadier travaille avec une troupe de comédiens qui l’accompagnent et qui traversent ses diverses productions, c’est un vrai bonheur que cette cohésion, dominé par un impérial Nicolas Bouchaud, qui s’empare du rôle et de l’espace pour les plier à son jeu, qui n’est jamais dans le surjeu, qui réussit à nous agacer, nous époustoufler, mais aussi nous attendrir: cet Alceste n’est pas tout d’une pièce, c’est un polymorphe qu’on finit par aimer, malgré soi. Alors, Sivadier ne détrône pas dans mon coeur et mon souvenir la production d’Ivo van Hove à la Schaubühne (rien que penser à Judith Rosmair me fait fondre de nostalgie), mais ce Misanthrope est à voir, notamment pour Bouchaud qui est l’une des immenses références de notre théâtre.
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Nicolas Bouchaud (Alceste) et Vincent Guédon (Philinte) © France 3/ Culturebox

 

SALLE PLEYEL 2012-2013: CLAUDIO ABBADO dirige le MAHLER CHAMBER ORCHESTRA (BEETHOVEN, Soliste: Martha ARGERICH et MENDELSSOHN)

Martha (Pleyel, 14 avril 2013)

Il y a quelques semaines à Lucerne, j’assistais à une Master Class de direction d’orchestre de Bernard Haitink. Il encadrait quelques jeunes venus de tous les continents dans des œuvres de Beethoven, Mozart, Debussy entre autres. Ceux-ci prenaient la baguette, puis aussitôt après, si les choses allaient moins bien que prévu, il la prenait lui aussi pour “montrer” une battue, un geste, un tempo… A peine prenait-il la baguette et à peine le son montait-il qu’on était dans un autre univers: l’orchestre (Festival Strings Lucerne) , sur un geste, sonnait différemment, comme un petit miracle qui se répétait à chaque intervention. Il y eut effectivement quelques moments (Bruckner!) proprement miraculeux.
Peut-on expliquer comment un chef vous change un son et un orchestre? Comment sur un geste, y compris minimal, les choses s’entendent différemment.
Hier soir, à Pleyel, Claudio Abbado et Martha Argerich, avec la Mahler Chamber Orchestra, ont offert au public parisien une soirée miraculeuse, une de ces soirées phénoménales dont on se souviendra longtemps. A-t-on déjà entendu le concerto n°1 de Beethoven comme ça? A-t-on jamais entendu la symphonie n°3 de Mendelssohn “Écossaise” comme ça? On n’en a pas le souvenir, tant tout nous est apparu neuf, tant le son, les rythmes, les couleurs étonnaient au sens très fort , tant on était étourdi de tant de nouveauté. Tant ces pièces connues sonnaient inconnues, et tant tout cela se déroulait  dans une atmosphère apaisée, détendue, souriante.
Une fois de plus, Abbado nous indique ce qu’est faire de la musique ensemble. C’est faire de la musique jamais recommencée, une musique de tous les possibles, y compris des risques, des pianissimis d’une légèreté inouïe, un son du plus grêle au plus rond, au plus plein, au plus éclatant avec un orchestre d’à peine 50 musiciens qui sonnent comme le double.
On avait bien remarqué à Lucerne le mois dernier qu’Abbado était dans une forme éblouissante, énergique, planant, volant avec la musique. Et qu’avec Argerich il forme un couple complice (un peu comme avec Pollini) : ils se parlent pendant les pauses entre deux mouvements, ils se sourient, il s’écoutent avec gourmandise (après s’être titillés quelquefois en répétition), et Argerich incroyablement concentrée ne cesse d’écouter l’orchestre, de fixer un instrument, de lui répondre, pendant qu’Abbado en écho propose le son adapté, la couleur adaptée à la soliste: aucun contraste entre un soliste qui irait son chemin et un orchestre qui dirait autre chose; ici on fait la musique, sans théâtre, sans gestes énormes, sans grimaces, on est dans la musique, tous ensemble, noyés dans ce bonheur-là.
Il y a un mystère Abbado: pendant les répétitions, là ou d’autres expliquent aux musiciens ce qu’ils veulent, ou bien sculptent chaque note pour obtenir le son voulu, l’effet voulu, lui travaille beaucoup en amont avec les assistants, relit avec attention les partitions et lorsqu’il est face à l’orchestre, il fait jouer, en faisant recommencer quand il l’estime nécessaire, mais sans mot dire ou à peine, écoutant les remarques des musiciens, qui peuvent faire telle ou telle proposition: cette manière de procéder a souvent eu  le don d’agacer, certains pupitres et non des moindres disant que les répétitions d’Abbado sont inutiles. Et pourtant, pour le Tristan de Berlin en 1998, il avait demandé un grand nombre de services d’orchestre signe que les répétitions comptent pour lui: il n’est pas comme Knappertsbusch qui les détestait. Mais dès que le concert arrive, les plaintes  sont oubliées, et c’est la surprise, à l’orchestre comme dans le public. C’est aussi qu’Abbado désormais, depuis qu’il a quitté Berlin ne dirige plus que des orchestres avec lesquels entretient une relation régulière: Orchestre Mozart, Lucerne Festival Orchestra, Mahler Chamber Orchestra (beaucoup moins qu’il y a quelques années), Berliner Philharmoniker. Lorsqu’il travaille avec un autre orchestre comme l’orchestre du Maggio Musicale Fiorentino ou celui de la Scala récemment, il mélange deux phalanges, une connue de lui , une moins connue et place en tant que de besoin ses musiciens fétiches comme chefs de pupitre. Car il travaille aussi avec des musiciens qu’il a connus quelquefois depuis les temps du Gustav Mahler Jugendorchester qui connaissent sa manière de faire de la musique ou qui sont des instrumentistes hors pair qu’il a repérés. Ainsi la Mahler Chamber d’hier avait une couleur un peu “Lucerne”, un peu “Mozart” avec un premier violon venu du Lucerne Festival Orchestra et du Gewandhaus de Leipzig, Sebastian Breuninger (reconnaissable à sa manière de se “démener” comme un diable), mais aussi le contrebassiste vénézuélien Johannee Gonzalez. Nouveau venu un surdoué de la clarinette, époustouflant, inouï, l’autrichien Andreas Ottensamer, (père et frère clarinettistes aux Wiener Philharmoniker). Bref, un Mahler Chamber Orchestra sur mesure pour Abbado, malgré le grand niveau de la formation “ordinaire”.
Le concerto n°1 op.15 de Beethoven, premier des concertos (publié en 1801), a été pourtant composé après le deuxième, en 1795/96, créé à Vienne en 1800, n’était pas très aimé de son auteur qui le considérait comme une œuvre “du passé”. De fait l’influence de Haydn et de Mozart se fait sentir et la longue introduction orchestrale initiale fait irrésistiblement penser à Mozart. Dès le début, Abbado accentue les contrastes par des première mesures très retenues, très légères, dont le thème est repris aussitôt de manière plus éclatante, avec plus de brio, sans se départir d’une incroyable fluidité et d’un magnifique jeu avec les bois, somptueux:  tout cela sonne comme une sorte d’ouverture, avec son accord final assez brutal, qui fait entrer le piano de manière presque furtive par contraste. Le premier mouvement est un jeu d’arabesques entre le piano et l’orchestre autour du thème principal. Le toucher de Martha Argerich, jamais agressif, très fluide, et produisant en même temps un son d’une netteté et d’une précision incroyables emporte les rythmes en une parfaite osmose avec l’orchestre, avec l’impression d’un tissu parfaitement tressé orchestre/soliste sans jamais de solution de rupture. Si le son du piano est à la fois fluide et net , celui de l’orchestre est incroyablement transparent, laissant chaque instrument s’exprimer, Abbado laisse jouer, tout en construisant les architectures si bien qu’on a l’impression d’un Beethoven renouvelé, à la fois intime, juvénile, presque farceur et en même temps déjà grave. Si le troisième mouvement, un rondo  énergique, très rapide et acrobatique au piano, est étourdissant de maîtrise technique – mais peut-on alors parler de maîtrise technique tant la technique disparaît derrière tant de naturel et tant de joie –  le dialogue devient presque souriant et joueur, ce jeu de renvois de “répliques” au sens théâtral du terme, si donc tout cela cloue le public sur place et le fait exploser, c’est le second mouvement qui m’a littéralement chaviré: le début au piano aux accents plus beethovéniens, presque hésitants, presque par effraction, avec l’orchestre fusionnel accompagnant ces premières mesures  d’abord, mais prenant la suite sur le même thème, avec la même couleur: la performance des bois (basson et clarinette) est étonnante et entame un dialogue avec le piano qui va se poursuivre de manière sublime pendant tout le mouvement. On a l’impression d’une aria qui se développe au piano, affirmée, puis allégée, puis hésitante, avec des effets de main gauche tels que l’on serait pas étonné d’apprendre que Martha a quatre mains! Les reprises à l’orchestre lissés et polis à un point de discrétion et de légèreté totalement bouleversants  Ce fut un moment magique, magique parce qu’en même temps d’une incroyable simplicité, avec un naturel confondant: on entend à peine les cordes accompagnant le piano, on entend en écho les cuivres, ou les bois et jamais envahissants, un système d’échos qui crée à la fois la douceur et une impression de paix mélancolique et suspendue (ah! les toutes dernières mesures de ce mouvement!)
Triomphe immédiat, salle debout pendant de longues minutes et enfin un bis (Schumann), évidemment merveilleux, merveilleux de technique, de fluidité, de simplicité. Martha Argerich toute simple dans sa grandeur.

Martha (14 avril 2013)

La symphonie n°3 “Écossaise”, esquissée à partir d’un voyage de Mendelssohn en Écosse en 1829, a été terminée et créée à Leipzig en 1842 . On ne sait que dire…devant l’évidence; on n’a jamais entendu cela, et ce dès le début, où pas un seul instrument n’échappe à l’oreille. Chaque son est clair, identifiable, isolable et fusionne à la fois avec les autres donnant une vision unitaire de l’ensemble.  L’intervention des cordes quelques mesures après le début est hallucinante de présence, de mystère, de grandeur et de subtilité. D’une œuvre souvent jouée, d’emblée un regard neuf qui change l’idée qu’on en avait. L’introduction du second thème du premier mouvement,  retenue, avec un orchestre qui retient le volume, qui atténue l’enchainement, motive un effet de crescendo dès la reprise du thème, avec une accélération qui entraine l’auditeur dans un effet de tension extraordinaire et qui ne le quittera pas. jusqu’à la fin. Effet d’espace, effet de paysage aux couleurs incroyables, qui rend palpable une sorte de discours, l’impression fréquente chez Abbado que l’orchestre parle, tient un discours qu’on perçoit et qu’on comprend par le cœur plus que par l’esprit: sa manière de laisser les musiciens aller, son regard (quand on a la chance de le voir de l’arrière scène), ses sourires, ses larges gestes englobants et jamais vraiment martiaux ou didactiques, sa main gauche qui danse la musique, tout cela fait monter l’émotion et provoque une sorte d’adhésion, d’engagement de chaque pupitre: on a l’impression qu’une lumière se fait. Les effets de pianissimis ou de retenue de la clarinette (Andreas Ottensamer encore une fois, retenez ce nom, il est époustouflant), les modulations de la phrase, la sûreté des cuivres, qui en même temps ne sont jamais envahissants (ils en auraient l’occasion pourtant) cela crée une subtilité du discours, avec une telle science des rythmes, de l’espace qu’on a l’impression que l’écriture de Mendelssohn est une traduction  musicale d’une page de Chateaubriand.
Le deuxième mouvement “vivace” cueille l’auditeur déjà capturé par son optimisme, sa joie, sa gaieté, et son relief, avec les interventions des bois totalement renversantes, il faut imaginer, au milieu de ces sons qui dansent,  le regard sur le visage du chef, quelquefois extatique lorsqu’il entend un moment réussi, lorsqu’il comprend que l’orchestre est en train de jouer exactement ce qu’il veut et comme il veut. La fin, qui s’allège progressivement jusqu’à la disparition du son laisse le spectateur suspendu et surpris mais c’est pour ménager l’entrée dans l’adagio, avec son dialogue initial cordes/cuivres, rythmés par des pizzicatis d’une légèreté à se damner, l’ensemble étant d’une couleur qui annonce Brahms . Les cors (avec le nouveau premier cor du Mahler Chamber Orchestra, Jose Vicente Castelló) sont ahurissants lors de l’énoncé du second thème, à la fois  plus funèbre, plus sombre, et qui lorsque tout l’orchestre est emporté, bouleverse, que dis-je, tourneboule l’auditeur. Tristesse, retenue, mais aussi majesté, noblesse jamais démonstrative, jamais extérieure, nous sommes tout en nous, retournés dans un paysage intérieur qui se structure en nous et qui fait monter l’émotion et, oui, les larmes. En écrivant ces lignes, il me semble encore entendre ces voix qui se reprennent l’une l’autre la mélodie, au cor, aux bois, aux cordes dans une alternance fluide et en même temps marquée.
A quatre vingt ans, Abbado recrée une autre disponibilité vers ces pages, il les recrée, il replace Mendelssohn au centre du monde symphonique, en proposant cette vision incroyablement profonde, subtile, construite, comme si il voulait nous rappeler, nous imposer la subtilité et l’incroyable couleur de cette musique.
Un dernier mouvement qui commence par des voix des cordes, du basson, des cors, alternés pour exploser ensuite et élargir le propos; le rythme n’est pas rapide, mais très marqué,  le dialogue bois et flûte avec l’ensemble de l’orchestre commence à donner l’impression d’une machine merveilleuse qui se structure elle même, d’un orchestre qui n’a plus de besoin de son chef pour produire le son juste, de plus en plus d’ailleurs Abbado sourit presque sans interruption. Reprise de la mélodie par des pupitres différents en une magnifique unité, une harmonie étonnante dans les rythmes et dans la couleur, une explosion chromatique telle un feu d’artifice . Je le répète ce qui frappe c’est que ces pages finales, qui pourraient être lourdes, notamment au moment de la conclusion un peu grandiloquente, restent aériennes. La conclusion est précédée d’un moment où l’orchestre s’éteint littéralement après un solo de clarinette renversant, comme si les sons peu à peu et progressivement se faisaient d’abord discrets puis disparaissaient dans le silence. Alors du même coup ce moment ultime et un peu grandiloquent devient presque soulagement, après la retenue et l’effacement; Abbado conclut et  n’en accentue pas la lourdeur presque hymnique, au contraire, le son au lieu d’exploser martialement comme on l’entend quelquefois, gagne progressivement en expansion, mais reste un infime ton en dessous d’un final qui serait trop invasif, trop marqué: Abbado refuse le spectaculaire, refuse un son théâtral qui serait minutieusement calibré et mis en scène. Il construit une monumentalité fondue dans un paysage,  qui s’y intègre sans jamais en imposer. Oui, un Mendelssohn pareil c’est phénoménal.

Tout en essayant de rendre quelques impressions fugaces, j’ai presque oublié de dire les larmes qui coulent, de dire les longs, les interminables applaudissements,  de toute la salle debout, en délire, comme rarement on en voit à la pause et à la fin (près de 12 minutes). Un ami m’avait envoyé un sms de Ferrare après le concert de vendredi 12 “concerto incredibile, uno di quelli storici”. Comme il avait raison.
Il y avait dans mon abbadothèque intime le concert du 15 avril 2002 à Salzbourg, où une septième de Beethoven ahurissante avait mis toute une salle à genoux, il y aura désormais le 14 avril 2013 où un couple de  jeunes gens de la musique ont fait éclater le soleil et le bonheur. Abbado, ou la musique de l’éternel printemps.
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Claudio fait saluer le basson et la clarinette (14 avril 2013)

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2012-2013 : FESTIVAL JUSTICE/INJUSTICE : CLAUDE, de Thierry ESCAICH et Robert BADINTER le 11 AVRIL 2013 (Dir.mus:Jeremy RHORER, Ms en scène: Olivier PY)

Jean-Sébastien Bou ©Stofleth

Claude,  d’après Claude Gueux la nouvelle de Victor Hugo, musique de Thierry Escaich qui réalise là son premier opéra et livret de Robert Badinter (pour lui aussi une première), est sans doute ce qui a motivé le festival 2013, Justice/Injustice: trois opéras Fidelio/Il Prigioniero et Claude dont le cadre est une prison et dont le thème est l’injustice.
Victor Hugo raconte l’histoire de Claude Gueux, qui a volé pour faire vivre sa famille (sa maîtresse et l’enfant qu’il a eu d’elle) et qui se retrouve condamné à 5 ans de travaux forcés, à Clairvaux. Il est fort, il a faim, et un prisonnier, Albin lui propose de partager son pain . Naît alors une amitié-amour que le directeur ne supporte pas par simple jalousie. Claude est en effet un ouvrier-prisonnier modèle, qui arrange les conflits, fait tampon entre l’administration et les prisonniers, et de plus travaille bien: obligé de s’adresser à lui pour faciliter les rapports avec les prisonniers, le directeur finit par le haïr. Et ordonne de séparer Albin de Claude. Claude ne supporte pas cette séparation, demande obstinément chaque jour au directeur de revenir sur sa décision, lequel refuse tout aussi obstinément. Alors Claude, dans l’impossibilité faire recours, décide de faire justice et tue le directeur, puis cherche en vain à se suicider Il est condamné à mort et guillotiné.
Cette histoire courte, que beaucoup de collégiens d’aujourd’hui lisent en classe, ne pouvait évidemment que séduire Robert Badinter, pourfendeur de la peine de mort et moteur de son abolition en 1981. L’histoire raconte comment un homme pauvre et sans instruction, mais intelligent et modéré, humain, sensible, se voit contraint par une logique implacable au  meurtre et au suicide.
De cette histoire, le librettiste s’est tenu aux faits, sans essayer de reprendre  toute la partie finale, le récit du procès et les  justifications et considérations  de Hugo qui constituent un bon tiers de la nouvelle. La prose hugolienne sortie du contexte est sans doute difficile à mettre en théâtre et en espace, d’autant que celle de Claude Gueux est faussement simple, avec de petits paragraphes qui sont autant de petits faits alternant avec des réflexions de Hugo, on passe alternativement du récit au discours: “Mettez un homme qui contient des idées parmi des hommes qui n’en contiennent pas, au bout d’un temps donné, et par une loi d’attraction irrésistible, tous les cerveaux ténébreux graviteront humblement et avec adoration autour du cerveau rayonnant. Il y a des hommes qui sont fer et des hommes qui sont aimant. Claude était aimant.” Il y a quelque chose d’une parabole dans le récit hugolien.
Le livret oblige à des raccourcis, oblige à laisser dire à la musique ce que le texte ne dit pas, et oblige la mise en scène à lire ce qu’il y a entre les lignes. Badinter et Escaich ont choisi une structure à la Wozzeck, une succession de scènes, un prologue, 16 scènes et un épilogue (Wozzeck a quinze scènes et dure 1h30, comme Claude) entrecoupés d’interludes musicaux. Il y a là une incontestable référence dramaturgique, la volonté d’un opéra qui soit une sorte de parcours, avec des scènes qui sont autant de flashes ou d’étapes vers un dénouement inéluctable. L’autre référence est celle de l’écriture d’une sorte de Passion, dont on a les composantes: des dialogues, mais aussi des récitants, et une présence du chœur en fond de scène (excellent chœur de l’Opéra de Lyon dirigé par Allan Woodbridge), une passion autour d’un personnage qui devient peu à peu christique comme le souligne le texte de Claire Delamarche dans le programme de salle. Ces choix imposent un texte simple qui peut apparaître simpliste, même lorsqu’il reprend la lettre du texte de Hugo; comme je l’ai écrit, hors contexte, le texte de Hugo peut aussi tomber à plat et le livret peut apparaître schématique, exagérément pathétique, alors qu’en fait il ne fait que suivre un sillon déjà tracé. Ainsi de cette belle phrase “Vous savez tous qu’Albin était mon frère. Je n’ai pas assez de ce qu’on me donne ici pour manger. Même en n’achetant que du pain avec le peu que je gagne, cela ne suffirait pas. Albin partageait sa ration avec moi ; je l’ai aimé d’abord parce qu’il m’a nourri, ensuite parce qu’il m’a aimé” qui devient chez Badinter “Choeur des détenus: Albin est venu, qui t’a donné ton pain
Claude: Oui, il est venu. Il m’a aidé, d’abord parce qu’il m’a nourri, ensuite parce qu’il m’a aimé
Le livret alterne aussi récit et dialogues, le récit est tenu soit par le chœur, soit surtout par deux personnages qui interviennent plusieurs fois, reprenant en résumé certains éléments du texte de Hugo, des récitants  qui joueraient le rôle de l’Évangéliste dans la Passion selon Saint Matthieu de Bach.
Mais il transforme aussi les circonstances: Claude Gueux n’est plus un voleur qui cherche à nourrir sa famille, mais un canut pris sur une barricade (nous sommes à Lyon, aux pieds de la Croix Rousse) et Claude devient ainsi un héros de l’injustice et de la répression. Ainsi le livret, pour accentuer la démonstration et marquer de manière plus dramatique le texte invente des situations: l’entrepreneur pour qui travaillent les ouvriers, qui exige toujours plus en donnant toujours moins et qui soudoie le directeur, ou les apparitions de la petite fille de Claude (scène 10). La référence à la Passion, la construction en oratorio avec chœur et une partie de l’orchestre en fond de scène, tout cela installe  un aspect rituel dans l’œuvre, marquée ainsi par le religieux. D’autant que  tout se déroule à Clairvaux, dont l’abbaye fondée par Saint Bernard a été transformée en prison en 1804 : cette ritualisation a évidemment aussi à voir avec le lieu, Clairvaux lieu de prière, d’ascèse et de travail depuis ses origines.
Malgré tout cela, ou à cause de tout cela, les choix du livret et le texte n’ont pas toujours l’effet dramatique voulu, parce que la construction reste linéaire: elle crée des situations dramatiques, elle crée des moments, mais qui  se répètent et deviennent comme une litanie de malheurs qui s’abattent sur Claude, Albin et les prisonniers. Il en résulte une vision très manichéenne avec les malheureux et les méchants, même si vols, viols, et violence essaiment le quotidien des prisonniers, tout cela semble plus ou moins écrêté:  Claude en justicier sauve Albin d’un viol (dans la mise en scène de Py), avant que ce dernier ne lui offre son pain. Trop de malheur tue le malheur. Et la musique de Thierry Escaich, pleine de climax, de crescendos, de crises, d’explosions, finit par s’installer dans une sorte d’habitude qui enlève du relief à l’histoire.

Thierry Escaich ©Guy Vivien

La richesse de l’orchestration, de l’instrumentation (y compris l’orgue: Escaich est  organiste) et la palette de couleurs qui en découle, accentue presque paradoxalement l’impression de répétition, de similitude de chaque moment. Il se passe avec la musique la même chose qu’avec le texte: la musique se déroule, presque pareille à elle-même, qui bannit au bout de quelques scènes tout inattendu. Au lieu de nous installer dans le théâtre, nous devenons spectateurs  d’une Passion christique, d’un oratorio mis en espace (un peu comme ce qu’a fait Sellars avec la Passion selon Saint Matthieu à Salzbourg et Berlin) et non d’un opéra mis en scène . Au lieu de la lourde machine d’Olivier Py et Pierre-André Weitz, on pourrait tout aussi bien imaginer un espace vide, hiératique et cela fonctionnerait sans doute aussi bien.
La mise en scène d’Olivier Py soutient le propos de Badinter et Escaich et le prolonge d’une manière démonstrative. Lors du viol collectif d’Albin, le livret parle de jeu de ping-pong, la didascalie dit “Albin est expédié d’un détenu à l’autre” et Py traduit la violence des mots par une violence des gestes. Elle accorde aussi à la structuration de l’espace une grande importance avec deux structures de décor monumentales qui en tournant sur elles-mêmes (comme dans sa Carmen, toujours à Lyon) laissent apparaître de hauts murs irrespirables, avec un espace de jeu réduit accentuant l’impression d’étouffement, ou bien le bureau du directeur, comme une sorte de boutique, de niche confortable qui tranche avec le reste, et

Le mur de cellules ©Stofleth

surtout l’impressionnant dispositif du mur de cellules, comme un mur d’images, sorte de structure qui favorise le voyeurisme et qui laisse voir les détenus dans l’intimité de la cellule fractionnant l’histoire en petites histoires individuelles, un peu comme ces icônes byzantines structurées comme des vignettes de bande dessinées,

Le mur de cellules, révélateur des intimités ©Stofleth

où l’on découvre la nature homosexuelle de la relation Claude-Albin, sans doute réelle dans l’histoire originale dont s’est inspirée Hugo, esquissée chez Hugo, et montrée par Py.
Il y a là de très jolies scènes, par exemple la manière dont le travail des ouvriers est présenté: ils se passent une roue qu’ils manient, et se frappent en rythme la poitrine, comme des mouvements automatiques d’une machine ou d’une chaîne de montage. De très belles images aussi, comme le procès bâclé, ou comme cette scène finale, où la guillotine prend la place centrale du crucifix, avec une ballerine maladroite qui traverse la scène, pendant que sur la gauche,

Scène finale ©Stofleth

Claude, tenant dans la main son pain (allusion à sa faim permanente, à l’histoire avec Albin,  mais aussi à la Cène) reste dans une attitude fixe, presque fixée pour l’éternité, sous la neige qui tombe.  Un joli travail, solide, cohérent, collant à l’action, illustratif et didactique comme des fresques  racontant des scènes bibliques dans une église.

Jérémy Rhorer qui lui aussi comme Escaich est organiste,  accompagne cette grosse machinerie scénique et musicale avec une énergie, une agilité, une disponibilité exemplaires, des gestes précis, un œil partout et sur chaque pupitre;  on l’a vu plutôt dans un répertoire plus classique, avec des phalanges bien plus légères et il montre par son engagement et son autorité qu’il est désormais prêt à sortir du type de répertoire d’où il a émergé.
Enfin, la distribution réunie  on le sent, adhère pleinement à l’entreprise, par son engagement dans la mise en scène et dans le chant. Les deux personnages récitants ( Rémy Mathieu, Philip Sheffield) sont remarquables par leur diction, qui leur donne une très belle présence. Laurent Alvaro avec sa belle voix de basse (le surveillant général et l’entrepreneur, absents de l’original hugolien ) est noir à souhait. S’il est un personnage émouvant et d’une belle présence scénique, c’est Rodrigo Ferreira, Albin au physique à peu près opposé au texte de Hugo, qui décrit “Un jeune homme, pâle, blanc, faible” là où nous voyons un vrai gaillard en pleine force. En revanche, beaucoup de réserves dans sa voix de contre-ténor, qui arrive peu à dominer l’orchestre, et dont le timbre n’a pas la pureté voulue, mais, peut-être en cohérence avec l’histoire, cette voix affiche une telle fragilité qu’elle lui donne non l’étrangeté habituelle mais au contraire une certaine humanité.

Le directeur (J.Ph.Lafont) et Claude (J.Seb.Bou) ©Stofleth

Jean-Philippe Lafont compose dans le directeur un vrai personnage, une sorte de Scarpia sans subtilité, brutal, indifférent dont la voix de baryton n’accuse aucune espèce d’humanité, tout d’une pièce, très affirmée. Une très belle interprétation. Enfin, il faut saluer la performance physique et vocale de Jean-Sebastien Bou, baryton lui-aussi, qui face à la voix d’une seule pièce de Lafont, compose au contraire un personnage tout en subtilité et en humanité, en douceur de timbre (c’est un Pelléas) aussi avec une jolie palette de couleurs. Un engagement et une interprétation vibrants.
Un beau spectacle à l’actif de l’Opéra de Lyon, très travaillé, attentif, plein de sens, très bien servi par une distribution exemplaire mais en même temps et paradoxalement un spectacle qui ne suscite pas toujours l’émotion et peut provoquer malgré sa brièveté une certaine lassitude. Le livret et la musique ne réussissent pas à créer la tension suffisante pour une adhésion directe , à mon avis parce que l’œuvre hésite entre une forme théâtrale et une forme “oratorio” sans jamais trancher. Mais le succès rencontré autour du public lyonnais amène évidemment à souhaiter, comme toute création, que cette première présentation soit riche de potentialités, de reprises, d’autres visions, et qu’aussitôt née, elle ne soit pas remisée au cimetière des trop nombreuses créations d’un printemps, qui vivent ce que vivent les roses.
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Dispositif de Pierre-André Weitz ©Stofleth

 

TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: MACBETH de Giuseppe VERDI le 9 AVRIL 2013 (Dir.mus: Valery GERGIEV; Ms en scène Giorgio BARBERIO-CORSETTI)

Les sorcières ©Brescia et Amisano

 

Les images du spectacle sont celles de la distribution A (Lucrezia Garcia, Franco Vassallo, Stephan Kocan)

La nouvelle production du Macbeth de Verdi à la Scala pose à nouveau la question de l’identité de ce théâtre et des relations avec son (ou ses) public(s).
Il n’était pas absurde de proposer une nouvelle production d’une œuvre qui a fait les beaux soirs de ce théâtre depuis des dizaines d’années (il suffit de voir la liste des chefs et des Lady Macbeth qui se sont succédé depuis 50 ans) , en proposant cette année la version originale de 1847. D’autant que la dernière production de Graham Vick a été affichée de 1997 à 2008 et qu’elle n’est pas l’une des plus réussies de ce metteur en scène. En proposant à Giorgio Barberio-Corsetti de mettre l’œuvre en scène, Stéphane Lissner appelle l’un des metteurs en scènes en vue de la scène italienne, assez populaire à l’étranger. En appelant Valery Gergiev, il s’assure un chef de premier plan (encore qu’il ne convainque pas toujours dans Verdi), et il compose une distribution faite d’artistes plutôt jeunes, en s’appuyant sur la génération « émergente », cast A comme cast B et donne enfin à un chanteur italien dans la force de l’âge le rôle-titre, marqué à jamais par Piero Cappuccilli. Pas de soprano italien depuis des lustres (sauf en cast B Paoletta Marrocu) pour Lady Macbeth (Maria Callas, Birgit Nilsson, Shirley Verrett, Ghena Dimitrova, Maria Guleghina) et donc pas d’exception à la règle : Lucrezia Garcia (vénézuélienne) alternant avec Tatiana Serjan (russe) .

Le cast A affichait des chanteurs qui ont accédé récemment à la gloire internationale, Stefano Secco pour Macduff, Stefan Kocan la basse slovaque, Franco Vassallo peut-être plus connu dans ses rôles rossiniens que verdiens. Lucrezia Garcia est peut-être plus hasardeuse dans Lady Macbeth : on aurait pu afficher une artiste plus affirmée pour un rôle redoutable entre tous, encore fallait-il qu’il y en eût. Car beaucoup de chanteuses ont circulé récemment dans la Lady , mais jamais convaincantes Iano Tamar (Lyon, Berlin), Nadja Michael (Munich), Jennifer Larmore (Genève), Paoletta Marrocu (Zürich), Erika Sunnegårdh (Vienne). Il faudra donc attendre…
L’accueil violemment négatif qui a accueilli la production lors de la première pose aussi la question du public de la Scala. Le directeur d ‘un très grand opéra me disait qu’il n’accepterait jamais de diriger la Scala à cause de son public. Un public à la fois conservateur, peu éduqué à l’opéra et à ses évolutions (les représentations d’opéra du XXème sont, à de rares exceptions près, beaucoup plus difficiles à remplir), dont une partie des fans de lyrique du poulailler (“Loggione”) se pose systématiquement en gardien du temple (quel temple d’ailleurs?)  en huant toute nouvelle production du répertoire italien et notamment verdien ou puccinien. Un public souvent peu sympathique ou peu disponible. En cela, il a plutôt évolué en mal. Même si j’ai plusieurs fois souligné la crise du chant italien et les difficultés de la Scala à afficher des succès dans le répertoire verdien.
Cette année, après des Wagner globalement réussis (triomphe de Lohengrin et  succès d’estime du Vaisseau fantôme), un immense succès pour Falstaff (Harding-Carsen), un Nabucco en demi-teinte (Luisotti-D.Abbado), voilà un Macbeth très mal accueilli (Gergiev) qui n’en demandait pas tant. Fallait-il renoncer à ce titre parce qu’aucun théâtre n’est en capacité d’afficher une distribution aujourd’hui qui puisse égaler celles du passé, dans ce théâtre et ailleurs? Il faudrait alors renoncer à la moitié sinon plus du répertoire verdien. Depuis la période Claudio Abbado (1968-1986) et Paolo Grassi, et malgré les efforts de certains des successeurs (Cesare Mazzonis), les différentes administrations de la Scala n’ont pas vraiment réussi à “éduquer” un public devenu au fil des ans plus “touristique”, plus conservateur, moins ouvert à la modernité. Certes, les années Lissner ont un peu corrigé le tir au niveau des productions, mais elles ont été plus soucieuses de l’effet immédiat que d’un travail très approfondi au niveau de l’éducation des jeunes et du public, pour lui faire accepter autre chose que du standard de luxe. La caractéristique de la politique Abbado était assez claire. Le directeur musical avait pour objectif de préparer et orchestre et public à des répertoires nouveaux et la stratégie portait plus sur les concerts symphoniques de la fameuse “saison symphonique” d’automne que sur les opéras. Abbado ne dirigeait pas plus que deux ou trois productions par an, mais était largement présents sur les concerts. La saison symphonique a disparu, et Milan est une ville indigente en matière de concerts. Les abonnements populaires (abonnements “ouvriers”) disparus, les concerts symphoniques, disparus si l’on excepte les quelques concerts du Philharmonique de la Scala, les concerts réguliers de solistes, disparus (sauf les concerts de chant). C’est à un travail approfondi avec un directeur musical qui soit aussi un (ré)organisateur (une sorte de Generalmusikdirektor à l’allemande) qu’il faudrait soumettre la musique à Milan. Ainsi, lors de ce Macbeth qui voisinait avec l’ouverture d’une de ces foires milanaises qui attirent les affaires, le public était largement international, particulièrement slavophone, comme il y a quelques années ces japonais qui venaient pour un acte dans une loge louée par une agence de tourisme  prendre une photo et partir. A la Scala, on vient quelquefois pour l’opéra, souvent pour la Scala et y être, ou pour se retrouver entre soi, comme dans n’importe quel théâtre municipal de province. Objet touristique plutôt que culturel, la Scala risque bien d’y perdre son âme (je crains EXPO 2015) , si ce n’est déjà fait.
Dans ce contexte, une minime partie du public s’est bruyamment radicalisée (à trois ou quatre bien placés dans la salle, on peut largement créer une bronca mémorable!). Même si le public mélomane et averti n’est toujours qu’une minorité dans une salle d’opéra, c’est lui qui “fait” la salle, c’est lui la mémoire du théâtre, c’est lui la racine. Rappelons ce que disait Paolo Grassi, légendaire directeur du Piccolo Teatro avec Strehler, puis sovrintendente de la Scala: “La Scala est un chêne dont les racines sont au poulailler”. Et dans la nourriture italienne offerte à ce public, il y a bien peu de sources de satisfactions. Les productions verdiennes restent pâles.

Shirley Verrett, Lady Macbeth de Strehler/Abbado

Prenons l’histoire récente scaligère de Macbeth: la production de Strehler (qu’on peut voir encore puisqu’il en existe un enregistrement TV) fut une référence. Je l’ai vue non à la création, mais en 1985, sans Shirley Verrett mais avec Ghena Dimitrova, Piero Cappuccilli, Nicolai Ghiaurov, Claudio Abbado. Ce fut  une pierre miliaire de mon parcours.Pourquoi n’en avoir point fait une sorte de référence maison, comme la Bohème de Zeffirelli. Graham Vick(1997) et aujourd’hui Barberio-Corsetti (2013) n’apportent rien de plus, et je dirais même sont en retrait par rapport à cette production de 1975. Ce sont des productions comme disent les italiens ” d’ordinaria amministrazione”.
La production de Giorgio Barberio-Corsetti ne mérite absolument pas les huées qu’elle a reçues, ni les horreurs qu’on a débitées à son endroit. C’est un travail honnête, avec quelques jolis moments, dans un espace scénique organisé en deux façades nues sur lequel sont projetées des vidéos

Les dictateurs en fond de scène ©Brescia et Amisano

(sang, photos de dictateurs – Staline et Hitler – entre autres) dans un temps indéterminé plutôt contemporain (des années 30 aux années 2000). Les deux façades tournent sur elles mêmes pour laisser voir des espaces intérieurs structurés par des escaliers. Les sorcières sont vues comme un groupe de clochardes et leurs interventions sont ponctuées de chorégraphies quelquefois acrobatiques (de Raphaëlle Boitel) ou ratées (la forêt de Birnam). le couple Macbeth/Lady Macbeth apparaît dès de départ comme isolé, mais si le propos est à peu près semblable, rien à voir avec la vision décapante de Dimitri Tcherniakov à Paris où le couple renvoyait clairement au couple Ceaucescu, donnant à Macbeth une couleur très actuelle et très lisible par le public. Rien de si clair ici, même si le travail sur la dérive du pouvoir est ici évident et presque obligatoire et si l’idée d’un processus qui dépasse l’histoire et le temps est rendue, on reste quand même sur sa faim: tout cela est bien timide (pensons à la radicalité d’un Van Hove à Lyon plaçant Macbeth à Wall Street et faisant du peuple révolté les indignados d’aujourd’hui). C’est bien timide et c’est confus parce que cela part dans toutes les directions, idéologique, psychanalytique, irrationnel sans véritablement s’engager dans un propos clair et vraiment lisible: il reste que tout cela ne dérange pas, ne devrait pas déranger un public d’opéra du XXIème siècle. Visiblement, le public de la Scala ou du moins certains de ces éléments n’a pas encore atteint l’âge mûr ou n’a pas encore les références suffisantes pour supporter cette timide (et fausse) modernité.

Lucrezia Garcia ©Brescia et Amisano

On a dit aussi pis que pendre de la distribution A et de la direction de Valery Gergiev. Je ne peux me prononcer puisque j’ai vu la distribution B, composée de chanteurs en général plutôt jeunes et plutôt prometteurs. Tatiana Serjan (Lady Macbeth) fait partie des valeurs confirmées et écume les scènes italiennes (elle refera Lady Macbeth au prochain Mai Musical Florentin, en alternance avec Raffaella Angeletti); sa Lady est solide,  intense, elle a l’étendue du registre, les aigus redoutables (dont le dernier, le fameux contre ré bémol) et réussit une composition et musicale, et scénique qui impose le respect; son brindisi (si colmi il calice) s’impose du point de vue musical, même si le souvenir du personnage de  Jennifer Larmore à Genève reste très présent en dépit des incertitudes du chant. Elle remporte avec justice un beau succès et fait sans nul doute partie des chanteuses qui tiennent le rôle et le défendent avec vigueur. Certes, la diction n’est pas trop claire, mais dans l’ensemble, rien de notable à redire sur la prestation.

©Brescia et Amisano

Le Macbeth de Vitalyi Bilyy (formé à Odessa, en Ukraine) a un timbre juvénile, chaleureux, coloré, sa diction est acceptable, même si la couleur n’est pas suffisamment italienne. Stylistiquement cela gène, malgré un très joli phrasé qui montre un sens du chant et même du bel canto. Le chant et l’expression sont intenses, les aigus présents, même si insuffisamment projetés: seul le volume reste insuffisant, surtout dans une salle telle que la Scala et il est obligé de forcer dans les grands monologues. Indéniablement, dans une salle plus petite (Fenice, Pergola, Bologne) son Macbeth passerait mieux. Cela reste très honorable.  Adrian Sampetrean (Banquo), d’origine roumaine, a un peu le même problème de volume. C’est une voix bien posée, au timbre plutôt clair pour une basse, à la diction impeccable, parfaitement compréhensible. Il lui manque un peu de profondeur et de volume pour s’imposer (dans les Banquo récents, je reste sur la magnifique impression produite à Genève par Christian Van Horn). Mais là aussi, la prestation est honorable.
Le succès public vient des deux ténors, Macduff (Wookyung Kim) et Malcolm (Antonio Coriano). Wookyung Kim remporte un triomphe à l’issu de son air O figli o figli miei… Ah, la paterna mano, voix claire, ronde, phrasé impeccable, tension, mélancolie, qualité interprétative, une voix à suivre, tandis que le jeune Antonio Coriano en Malcolm montre dans ses brèves interventions vaillance,  justesse, et prise sur le public, un ténor italien à suivre lui-aussi. Actuellement, il est le Malcolm des scènes italiennes (Florence, Milan, Rome).

La forêt de Birnam ©Brescia et Amisano

Le chœur est évidemment sans reproche, tant au niveau du volume, du phrasé que de l’intensité dans le final de lacte I (Schiudi, inferno, la bocca) ou le très fameux patria oppressa à l’acte IV, un grand moment d’émotion, musicale encore que la mise en scène (distribution de la soupe au peuple) soit un peu anecdotique: Christof Loy (oui…oui)avait fait beaucoup mieux à Genève.
Je nourris suffisamment de préventions envers Valery Gergiev pour souligner cette fois que son travail de direction et de “concertazione” m’est apparu en place, précis, attentif, notamment dans la deuxième partie, avec un magnifique Acte IV. J’ai plus de réserves sur le début, rapide, superficiel, sans âme, avec des notes en place mais une musicalité absente. Peu à peu s’impose un rythme et une respiration. Même si je continue à penser que Gergiev n’est pas un chef pour Verdi, il a une énergie et une vitalité qui manquent à bien d’autres. Au final, et malgré un début très discutable, c’est plutôt une bonne surprise.
On aura compris que si rien n’est totalement exceptionnel dans ce Macbeth, rien n’est non plus scandaleux, absolument rien.  Une représentation honorable qui témoigne de l’état médiocre du grand chant verdien aujourd’hui.  La soirée passa agréablement même si on est loin des étoiles, loin du Capitole, mais pas si près non plus de la Roche Tarpéienne.[wpsr_facebook]

Stephan Kocan, Franco Vassallo, Lucrezia Garcia (Cast A), apprition du spectre ©Brescia et Amisano

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2012-2013 : FESTIVAL JUSTICE/INJUSTICE : IL PRIGIONIERO de Luigi DALLAPICCOLA /ERWARTUNG de Arnold SCHÖNBERG le 7 AVRIL 2013 (Dir.mus: Kazushi ONO; Ms en scène: Alex OLLÉ, LA FURA DELS BAUS)

Lauri Vasar ©Opéra de Lyon/Fernandez

Le festival 2013 est bien équilibré dans sa programmation: une création (Claude), un grand standard (Fidelio) et deux œuvres appariées en une soirée, plutôt rares sur les scènes, Il Prigioniero (créé en 1949 en version de concert à Turin et en 1950 au Comunale de Florence) de Luigi Dallapiccola et Erwartung d’Arnold Schönberg (Créé en 1924 à Prague).
Le rapprochement des deux œuvres interroge sur la valeur de la quête: celle  du prisonnier de Dallapiccola condamné par  l’inquisition  qui rampe jusqu’à la lumière pour croiser finalement le Grand Inquisiteur qui l’amène  au supplice et peut-être au salut (Fratello…andiamo)  et celle d’Erwartung (Attente), quête d’une femme errant dans une forêt à la recherche de l’amant, dont elle découvre le cadavre et que peut-être elle a tué.
Il Prigioniero a peut être plus à voir avec le thème de l’année Justice/Injustice, puisque Dallapiccola au sortir de la guerre renvoie aux condamnations arbitraires (Il s’inspire de Victor Hugo – la rose de l’Infante- et du Don Carlos de Schiller, mais surtout d’un récit des Nouveaux contes cruels de Villiers de l’Isle Adam, La torture par l’espérance où le prisonnier est  “rabbi Aser Abarbanel, juif aragonais, qui, prévenu d’usure et d’impitoyable dédain des Pauvres, — avait, depuis plus d’une année, été, quotidiennement, soumis à la torture” selon les termes exacts du texte de Villiers). Celui de Dallapiccola n’est pas vraiment décrit, on ne sait pas la cause exacte de sa condamnation, qui a probablement à voir avec la répression des Flandres par Philippe II. C’est la lutte contre l’oppression et pour la liberté qui en est l’enjeu.
L’action est assez linéaire: Il Prigioniero rencontre sa mère dans un prologue intense à qui il raconte que le geôlier l’a appelé frère, puis le geôlier arrive, l’appelle de nouveau frère “Fratello”, et l’expression répétée est un moment clef de l’œuvre et le remet sur la route de l’espérance en lui parlant des Flandres, de la révolte des Gueux qui pourrait être fatale à Philippe II. Le geôlier part en laissant la porte ouverte, et le prisonnier de glisse dans le souterrain de l’official de Saragosse où il fait des rencontres effrayantes, jusqu’au moment où il croise le Grand Inquisiteur, qui a les traits du geôlier: frappé de stupeur, il se laisse conduire au supplice en répétant “Liberté?”.
Le dispositif scénique imaginé par Alex Ollé (La Fura dels Baus) et son décorateur Alfons Flores est unique pour les deux opéras, un cyclorama, une large colonne de tulle centrale, un plateau tournant autour, noir oppressant pour Il Prigioniero, projections à plusieurs niveaux pour Erwartung. Les éclairages de Marco Filibeck installent parfaitement cette atmosphère oppressante qui de plus sied parfaitement à l’espace de l’Opéra. Cette présence obsédante du noir fait du décor une sorte de prolongement de la salle.
Dans Il Prigioniero, Alex Ollé raconte cette dernière nuit comme un rêve où défilent différents personnages à commencer par la mère. Il situe le prologue après la mort du prisonnier, au moment où la mère vient voir le cadavre de son fils, couvert d’un drap, sorti du noir comme du frigidaire de la morgue. Du même coup, dès la fin du prologue, le récit se construit avec le prisonnier qui se lève, dévêtu, et qui va revivre, comme remonter le temps immédiat où les différents interlocuteurs vont défiler sur la tournette où sont installées une succession de portes qu’on va franchir peu à peu. Le mot “fratello”, central dans l’oeuvre est chanté à la perfection, avec une vérité extraordinaire aussi bien par le héros que par le geôlier (Raymond Very, remarquable). La mère devient un des personnages qui défilent, on y voit aussi, outre les prêtres du livret,   un double du héros ou un jeune enfant, image d’innocence originelle, Alex Ollé joue sur les regards, les points de vue -du prisonnier, du spectateur-;

Il prigioniero ©Opéra de Lyon/Fernandez

il analyse aussi les rapports troubles que peut entretenir le geôlier avec le prisonnier (qu’il prend tendrement sur les genoux). Même rapport de tendresse étrange et effrayante avec le Grand Inquisiteur (Raymond Very encore) , sorte d’image double qui provoque le trouble final du héros et son suicide (il s’ouvre les veines  au lieu d’être emmené au bûcher. Un rêve, un retour en arrière, un rêve dans le rêve, plusieurs niveaux de lectures dans ce travail très attentif qui laisse vraiment une impression forte, amère, d’une insondable tristesse, et servi par une impeccable distribution: le baryton estonien Lauri Vasar presque christique, est d’une criante vérité, avec sa voix chaude et son timbre doux et plaintif, dans sa semi nudité fragile et vaguement érotisée (scène avec le geôlier), il a la puissance, la couleur, et une diction claire de l’italien. De même Raymond Very, qui colore sa voix d’une manière confondante en collant au texte qu’il prononce impeccablement, et qui construit un personnage inquiétant et passionnant rien que par l’écoute de la performance vocale. La mère (Magdalena Anna Hoffmann) est aussi très intense, avec ses aigus dardés qui créent une forte tension dès le début. Les jeunes Christophe de Biase et Thierry Grobon, du Conservatoire de Lyon, complète une distribution très homogène et qui sait transmettre l’atmosphère irrespirable de l’œuvre.
Enfin, le chœur (invisible) de Alan Woodbridge est impressionnant, dans cette nuit, en imposant une présence invisible et là encore oppressante. La direction de Kazushi Ono rend cette atmosphère glacée avec une exactitude d’une précision exemplaire. L’orchestre est d’une grande clarté, explose d’une multitude de sons et de couleurs, tantôt chatoie, tantôt se concentre fortement dans une atmosphère de clair obscur, et fait bien ressentir la parenté entre les deux œuvres, distantes de 25 ans. On sait que Kazushi Ono excelle dans ce répertoire.

Erwartung ©Opéra de Lyon/Fernandez

La vision de Erwartung est musicalement exemplaire. Kazushi Ono donne à cet orchestre à la fois la tension voulue, le mystère par un soin particulier donné aux couleurs: on connaît l’histoire de ces quelques scènes où une femme erre dans une forêt en quête de quelque chose ou quelqu’un, elle butte sur le cadavre de son amant. Son apparition finale ensanglantée amène à penser qu’elle l’a tué. Une œuvre cryptique, qui peut-être la représentation d’un espace psychologique, qui peut-être simplement un récit qu’on doit suivre sans autre forme de procès. Trente minutes de musique, séparées en quatre scènes aux ambiances marquées par la différence d’images projetées, par le passage de la femme au fond de scène; une fois de plus est utilisée la tournette. Les projections sont utilisées sur tous les supports du décor, et l’impression de forêt dense est très habilement rendue, et le jeu des projections  qui investissent l’espace jusqu’au fond de scène, de niveaux divers, est particulièrement bien rendu, d’autant que la femme circule entre ces différents espaces, avec l’impression produite qu’elle erre vraiment entre les arbres. Le résultat esthétique est impressionnant; autant dans Il Prigioniero le décor fonctionnait comme un espace auquel on ne réussissait jamais à se raccrocher, accentuant l’idée d’irrationnel, et de construction mentale. Autant ici au contraire on a une sorte d’hyperréalisme avec des changements d’ambiance, des lueurs, une façade, des objets en superposition, des branches en gros plan, des arbres qui pourraient sans doute être une métaphore de l’âme de la femme et l’on pourrait presque se passer du cadavre de l’amant, bien réel, qui vient remplir l’espace et devenir une sorte de centre de préoccupations.

Erwartung ©Opéra de Lyon/Fernandez

Il faut tout de même reconnaître que les motifs sont répétitifs, que l’impression de redite est forte, malgré la prouesse technique incontestable, une sorte de sur place que la performance très honnête de Magdalena Anna Hoffmann n’arrive pas à faire progresser. La chanteuse a la voix, du moins elle remplit l’espace du l’Opéra de Lyon, elle n’est pas dénuée d’une certaine présence, mais un tel rôle est réservé à des chanteuses hors normes, qui dès leur entrée remplissent la scène et fascinent, des Jessie Norman par exemple qui par un seul effet vocal et aussi un seul geste vous chavirent. Il ne suffit pas de passer la rampe, il faut la piétiner, l’envahir, l’investir, et ce n’est pas le cas malgré ses qualités de Magdalena Anna Hoffmann.  Une prestation très digne qui ne réussit pas néanmoins à faire décoller le spectacle.
Au total, un rapprochement qu’Ollé souligne par la confrontation de deux univers mentaux où la prison est dans les têtes, avec la grande réussite, la pleine osmose avec Il prigioniero, spectacle incontestablement très fort, et le relatif échec d’Erwartung, où malgré la prouesse technique et la beauté plastique du plateau, il ne réussit pas à installer la fascination, sans doute aussi parce que la soliste ne réussit pas pour sa part à imposer sa présence et son aura sur la scène: seule en scène, face à l’orchestre luxuriant de Schönberg, il faut être un monstre sacré, ce qu’elle n’est pas encore.
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Erwartung ©Opéra de Lyon/Fernandez

 

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014 : LA NOUVELLE SAISON

Coeur de Chien dans la mise en scène de Simon Mc Burney

Tous les théâtres font connaître leurs saisons, j’arrive à peine à suivre: les saisons de Covent Garden, Vienne, Munich, Zürich, Dresde sont parues déjà depuis quelques semaines, mais Lyon vient de paraître et je lui donne la priorité du cœur et de la géographie. La saison lyonnaise de 2013-2014 est riche, variée, et affronte un répertoire à la fois très connu (Dialogues des Carmélites, Les Contes d’Hoffmann,  Le Comte Ory, Simon Boccanegra, ) et des œuvres inconnues ou peu connues en France (Coeur de Chien, de Raskatov, ou Tender Land de Copland) et un Festival Britten en avril, avec trois œuvres plus ou moins célèbres (Peter Grimes, The turn of the Screw, Curlew River), des tournées (Edimbourg, Japon) et des spectacles en périphérie de Lyon (Oullins, TNP Villeurbanne): tout cela atteste de la vitalité de notre second opéra national, qui ne cesse d’oser, d’innover avec des taux de fréquentation qui flirtent avec le 95%. Voilà une salle qui affiche une politique sans concessions, et que le public suit, aveuglément.
La saison ouvrira donc en octobre avec Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc dans une mise en scène de Christophe Honoré (le cinéaste auteur entre autres de La belle personne, inspiré de La princesse de Clèves en 2008), dirigé par Kazushi Ono, avec notamment Laurent Alvaro, Sebastien Guèze, Hélène Guilmette et Sylvie Brunet.
En novembre, une représentation concertante de Norma, qui concluera le cycle Bellini dirigé par Evelino Pido’, avec Carmen Giannatasio (hum!) dans Norma, Sonia Ganassi dans Adalgisa(ça c’est bien mieux!) et Marcello Giordano dans Pollione. Norma est très rare sur les scènes, très difficile à distribuer aujourd’hui, mais c’est une occasion de l’entendre et il faudra être au rendez-vous.
En décembre une reprise, assez bienvenue, de la production de Laurent Pelly des Contes d’Hoffmann d’Offenbach avec l’excellent John Osborn en Hoffmann, Laurent Alvaro en Coppelius/Dapertutto/Miracle/Lindorf, Désirée Rancatore, Patrizia Ciofi se partageront les quatre rôles féminins (si on inclut Stella) et l’excellente Angélique Noldus sera La Muse. Une bonne distribution qui permettra d’entendre aussi l’édition de Jean-Christophe Keck et Michael Kaye, la plus récente avec les manuscrits retrouvés il y a quelques années.
On vient de le voir à la Scala, on le verra en janvier 2014 à Lyon sous la direction de Martyn Brabbins: Coeur de Chien (A dog’s heart), de Alexander Raskatov, inspiré d’un texte de Boulgakov créé en 2010 à l’Opéra d’Amsterdam  arrive dans la mise en scène de la création du génial Simon Mc Burney qu’Avignon a vu dans l’adaptation du Maître et Marguerite du même Boulgakov. C’est un très grand événement musical, il faudra y courir. En février, au théâtre de la Croix Rousse, The Tender Land d’Aaron Copland créé en 1954 au New York City Opera, reprise du spectacle donné au théâtre de la Renaissance d’Oullins en 2010 dans la mise en scène de Jean Lacornerie. Il sera dirigé par un jeune chef, Philippe Forget (qui alternera aussi avec Kazushi Ono dans Les Contes d’Hoffmann).
En février-mars, une nouvelle production, coproduite avec la Scala du Comte Ory (1828) de Rossini, pour lequel il a recyclé bonne part des musiques du Viaggio a Reims de 1825. Dirigé par Stefano Montanari, bien connu désormais à Lyon (il a fait le festival Mozart, la Flûte enchantée et Carmen) et mis en scène par Laurent Pelly qui devrait exceller dans cette folle histoire, la distribution est dominée par Dmitry Korchak et Désirée Rancatore qui sont des rossiniens reconnus.
Le TNP de Villeurbanne accueillera en mars pour trois représentations exceptionnelles I went to the house but did not enter de Heiner Goebbels, créé eu Festival d’Edimbourg 2008, et accueilli par de nombreux scènes européennes. L’œuvre est composée de quatre textes (TS Eliot, Maurice Blanchot, Franz Kafka et Samuel Beckett) et chantée par les voix du prestigieux Hilliard Ensemble.
Avril, c’est le moment du Festival annuel consacré la saison prochaine à Benjamin Britten. Trois opéras en alternance, Peter Grimes dans une mise en scène de Yoshi Oida, dirigé par Kazushi Ono, avec notamment Alan Oke et Michaela Kaune, The Turn of the Screw (le tour d’écrou), dirigé également par Kazushi Ono, mise en scène de Valentina Carrasco et le plus rare Curlew River, un opéra en format réduit, peu d’accessoires, quelques musiciens, mis en scène par Olivier Py (production du festival d’Edimbourg). Isabelle Aboulker présente Jeremy Fisher au théâtre de la Croix Rousse en juin, un opéra destiné aux enfants sur un livret de Mohamed Rouabi, mis en scène par Michel Dieuaide.
Toujours en juin la saison se terminera  à l’Opéra de Lyon avec Simon Boccanegra, l’un des opéras les plus beaux de Verdi, dans une mise en scène du jeune David Bösch, un des metteurs en scène émergents de la scène allemande, actuellement metteur en scène résident à Bochum et remarqué depuis 2006 après avoir remporté le concours des jeunes metteurs en scène de Salzbourg. Le chef est  également jeune, 30 ans, déjà monté au pupitre de la Scala et considéré comme l’un des plus prometteurs de la Péninsule, Daniele Rustioni. La distribution est solide, avec Ermonela Jaho en Amelia (elle fut à Lyon Traviata), Andrzey Dobber en Simon, Riccardo Zanellato en Fiesco et Pavel Cernoch en Gabriele Adorno.
On le voit, une saison diverse, exigeante, avec des titres aussi bien contemporains que classiques, mais presque pas de grands standards, si l’on excepte Les Contes d’Hoffmann. Des metteurs en scène prestigieux (Pelly, Py, McBurney, Oida) et une place laissée aux jeunes, sur scène comme dans la fosse. Une fois de plus l’Opéra de Lyon permet d’explorer autre chose que le répertoire habituel, et de plonger dans la modernité ou dans les classiques revisités. Entendre dans une même saison une telle diversité, une telle palette de la musique la plus ouverte avec Benjamin Britten, Alexander Raskatov, Heiner Goebbels, Aaron Copland, Francis Poulenc, Giuseppe Verdi, Jacques Offenbach  et Gioacchino Rossini, il n’y qu’à Lyon qu’on peut l’oser. Une fois de plus Serge Dorny affiche sa différence, et c’est tout à son honneur.
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David Bösch