IN MEMORIAM FRANCO ZEFFIRELLI (1923-2019)

Cecilia Gasdia et Franco Zeffirelli (en 2019) ©Pucciarello

Franco Zeffirelli n’est plus, il a quitté la scène à 96 ans, à quelques semaines de la première de sa dernière production, La Traviata au Festival des Arènes de Vérone, dirigé aujourd’hui par Cecilia Gasdia, qui fut sa Violetta à Paris en 1986, dans cette production monumentale qui enchanta les spectateurs de Garnier, largement inspirée du film qu’il réalisa avec Teresa Stratas en 1982.
Zeffirelli, c’est d’abord un symbole de la culture italienne du grand spectacle, une culture qui vient de très loin, où le visuel domine, et impressionne le public. Il fut élève de Visconti dont on connaît le souci maniaque de l’exactitude, et il a continué cette tradition de la représentation mimétique, avec en outre un sens du faste qui a marqué pour longtemps l’image de l’opéra.
Ce n’est pas un inventeur, mais d’abord le défenseur d’une tradition, devenu avec le temps une icône. Les inventeurs scéniques de la deuxième partie du XXème siècle s’appellent plutôt Visconti, Strehler, Ronconi, voire Carmelo Bene, mais Zeffirelli est de son vivant devenu une trace, trace d’un passé glorieux, trace d’un passé aussi mythologique de l’opéra dont Maria Callas est l’exemple et il a fini par représenter ces années de gloire.
C’est cela qu’il faut sans doute garder de lui, en dehors d’une personnalité hors norme, en dehors d’idées politiques que je ne partage pas, en dehors des spectacles qu’on a pu voir ces dernières années.
Incontestablement, c’était un grand faiseur de spectacle, qui savait ce que voulait dire « spectaculaire », qui savait aussi frapper l’œil, quelquefois à outrance: l’Aida qu’il avait mise en scène pour l’inauguration de la saison 2006/2007 (sous l’ère Lissner) en était un tel exemple d’excès que la Scala elle-même lui préféra bientôt son autre mise en scène du chef d’oeuvre verdien, remontant à 1963 dans de sublimes décors peints de Lila de Nobili, plus « archéologique », plus poétique, et aussi plus réussie au niveau esthétique.
Mais il savait aussi s’adapter puisque c’est lui qui réalisa l’Aida du Teatro Verdi de Bussetto (300 places) qui est vraiment un pur chef d’œuvre, classique et intimiste, particulièrement émouvant que tout fan d’opéra doit avoir vue une fois dans sa vie (la production sera reprise dans quelque mois en automne 2019 pendant le Festival Verdi et cette reprise prévue prendra une toute autre signification avec la disparition de son créateur).
Mon goût personnel m’a rarement porté vers le travail de Zeffirelli; les lecteurs de ce Blog et du Site du Wanderer savent avec quelle conviction nous soutenons les mises en scènes novatrices, mais néanmoins Zeffirelli a toujours fait partie de mon paysage, comme la référence d’un temps révolu et en même temps l’image d’un artiste qui demeurait impressionnant par le parcours qu’il représentait.
Il était surtout pour moi celui qui au cinéma avait su traduire les émotions que le lecteur adolescent passionné que j’étais de Roméo et Juliette de Shakespeare avait ressenties : le film de Zeffirelli que j’ai vu à sa sortie traduisait exactement les émotions perçues à la lecture, et l’histoire des amants de Vérone a pour moi encore aujourd’hui les images du film. Et je ne parle pas de l’effet incroyable que la musique de Nino Rota eut sur moi. C’est un film de ma jeunesse, qui me fit découvrir le nom même de Zeffirelli, et qui m’accompagne encore.
Au cinéma encore, sa Traviata avec Teresa Stratas (La Lulu de Chéreau) fut un autre choc, très différent. J’y vis l’effort pour retrouver des émotions perdues, celles de Callas (il n’aura échappé à personne l’assonance Callas/Stratas ni les origines grecques de ces deux chanteuses) en travaillant à l’extrême, avec une perception d’une rare sensibilité, le visage et les regards de Teresa Stratas, une personnalité scénique bouleversante qui a marqué tous ceux qui la virent sur scène ou à l’écran. Là aussi, le regard cinématographique de Zeffirelli me frappa et je lui suis reconnaissant d’avoir par là perçu quelque chose d’impalpable, la profondeur sensible d’un visage qui disait beaucoup sur la personnalité d’une chanteuse qui se brûla elle aussi dans ses rôles.
Voilà, je n’étais pas fan de Franco Zeffirelli, mais il me valut des émotions adolescentes qui marquent pour la vie, et reste associé à une Traviata qui ne fut pas sans doute musicalement un must, mais qui fut quand même un choc durable. Pour cela, merci, Maestro!

Teresa Stratas dans « La Traviata », film de Franco Zeffirelli (1982)