MAGYAR ÁLLAMI OPERAHÁZ (OPÉRA D’ÉTAT) BUDAPEST 2013-2014: FALSTAFF de Giuseppe VERDI le 21 SEPTEMBRE 2013 (Dir.mus: PÉTER HALÁSZ, Ms en scène: Arnaud BERNARD)

Kiril Manolov ©Attila Nagy

J’ai souvent écrit sur la vie musicale hongroise et notamment sur les frères  Ádám et Iván Fischer qui la dominent largement par leur stature internationale. La saison symphonique du Palais des Arts, le complexe moderne sis au bord du Danube, à deux pas du théâtre national, un bâtiment lui aussi neuf, fait pâlir l’Opéra d’État, notamment depuis qu’Ádám Fischer en a quitté la direction.
L’Opéra de Budapest, géré à l’allemande avec une troupe permanente, a une identité bien marquée avec deux salles, la salle historique splendide de la rue Andrassy et le théâtre Erkel, plus récent, plus grand (et plus laid). La troupe est assez solide: on y entend de bonnes individualités, notamment des ténors assez intéressants (comme Attila Fekete)   dont certains commencent une vraie carrière internationale (Atilla Kiss B); il y a aussi des artistes qui ont eu leur heure de gloire comme Livia Budai, ou qui sont assez connus dans le circuit des théâtres lyriques comme Judit Nemeth, Erika Miklósa ou Csilla Boross. On aimerait que ce théâtre puisse présenter plus régulièrement des grands opéras du répertoire hongrois, comme la saison dernière Hunyadi László, dans des productions rafraîchies, car c’est à peu près le seul endroit où l’on puisse en voir.
En cette ouverture de saison, comme l’an dernier, la rue Andrassy est rendue aux piétons, un grand écran est monté devant l’opéra pour que l’opéra représenté soit retransmis. Cette année en plus, on voit arriver à l’opéra en calèches des personnages en costume folklorique (ou pas), bref, c’est la fête; même si la température est un peu fraiche et que le public ne semble pas occuper tous les sièges extérieurs.
Cette année, bicentenaire Verdi oblige, la saison s’ouvre sur une nouvelle production de Falstaff, dirigée par le tout nouveau directeur musical (août 2013) Péter Halász, 37 ans “très influencé par Ádám Fischer” dit son site personnel, qui fut longtemps répétiteur puis Kapellmeister à Mayence, et puis à Aix la Chapelle dont il était directeur musical depuis Janvier 2013. Cela signifie qu’il a un large répertoire: il dirigera notamment cette saison outre Falstaff, la nouvelle production  de Die Frau ohne Schatten et de nombreuses soirées de répertoire. La mise en scène est confiée au français Arnaud Bernard, qui fut longtemps assistant de Nicolas Joel. Cela ne promet pas une folle inventivité, mais au moins un solide savoir faire.
Il faut pour Falstaff un orchestre vraiment rodé,  des bois particulièrement acérés, une précision redoutable dans les attaques et dans le tempo, car musique et voix doivent être sans cesse en rythme et un rythme très soutenu.
Malheureusement, tout le premier acte manque de respiration, et de netteté dans le son. L’orchestre n’est pas en phase, le son manque de clarté, l’ensemble manque de rythme et de précision, le tempo est trop lent, et évidemment cela pèse sur l’action, même si les chanteurs s’en sortent avec honneur. Le problème du tempo pèse vraiment sur les ensembles, sur la ligne générale, et l’orchestre semble nettement inférieur à ce que j’avais pu entendre les années précédentes, notamment aux cordes. Mais cela s’arrange peu à peu au deuxième acte et au troisième acte, musicalement bien mieux réussis, bien plus en accord avec le plateau , avec un rythme mieux marqué et un tempo plus cohérent. On peut penser que les choses iront de mieux en mieux au fil des représentations, mais le début de ce Falstaff a été inquiétant. Péter Halász a su au fil du déroulement du spectacle mieux asseoir sa direction et la représentation se termine avec un orchestre vraiment présent, et acteur, ce qui n’était pas le cas au début de la soirée.

Falstaff sous le chêne (Acte III) ©Attila Nagy

Les solistes, pris dans leur ensemble composent une distribution honorable, bien en phase avec la mise en scène, même si entre les individualités il y a de notables différences. Dans l’ensemble, les hommes sont plus à l’aise que les femmes. Le Falstaff  de  Kiril Manolov, baryton bulgare en troupe au Hessisches Staatstheater de Wiesbaden qui chante régulièrement dans les théâtres allemands (Essen, Nuremberg, Hambourg) est solide, la diction satisfaisante, la voix, sans avoir une qualité de timbre particulière, est bien posée, a une bonne projection, les aigus sont atteints (avec quelque difficulté parfois):  son Falstaff est correct, sans être exceptionnel .
Alik Abdukayumov est un Ford au timbre vraiment intéressant, avec une belle diction et une belle couleur. Certainement le meilleur du plateau (en tous cas la voix la plus notable pour sa qualité intrinsèque) même si le volume reste quelquefois insuffisant; mais c’est un bel artiste, qu’on voit en Autriche (Volksoper Wien, Linz)  voire en France (Montpellier), il appartient à la troupe du NationaltheaterWeimar. Au départ, il était vraiment convaincant, voire quelquefois excellent, mais vers la fin la voix a eu tendance à perdre un peu son éclat et sa projection. C’est néanmoins un nom à suivre.
Péter Balczó est un Fenton à la voix claire, bien posée, très bien projetée, et surtout la voix n’est pas si légère, ce qui donne au rôle un poids différent. Il avait par ailleurs un pied dans le plâtre et le metteur en scène en a fait un atout pour le personnage, ce qu’il a perdu en mobilité il l’a gagné en agilité. Bonne impression d’ensemble de cet intéressant ténor. Des autres rôles masculins, notons le Cajus honnête de Zoltán Megyesi .
Du côté des rôles féminins, se distinguent l’agréable Nanetta d’Emöke Baráth, une voix jeune et corsée et la Meg Page vraiment solide de Erika Gál, au très joli timbre. J’ai plus de réserves concernant la Alice Ford de Beatrix Fodor, une chanteuse déjà entendue dans Hunyadi László qui m’avait alors vraiment plu. La voix est assez large, mais trop stridente, quelquefois à la limite du cri, même si le personnage est bien campé.

Livia Budai et Kiril Manolov ©Attila Nagy

Quant à Lívia Budai en Miss Quickly,  elle a gardé par moments un grave somptueux et profond, mais l’ensemble est assez problématique pour l’homogénéité, la ligne, le volume, et la justesse. Il reste que sa prestation scénique et son abattage, et le souvenir de la chanteuse qu’elle fut aident à beaucoup pardonner.

Le tournage, acte III ©Attila Nagy

La mise en scène d’Arnaud Bernard place ce Falstaff sur un plateau de tournage d’une émission de télévision des années 50. Un  téléviseur géant dans lequel Falstaff lit un journal trône à rideau ouvert avant la représentation, puis disparaît pour réapparaître à la dernière mesure, fixant ainsi dans “l’écran” l’image finale. Entre ces deux moments, et notamment au troisième acte, on retrouve le plateau, les caméras, le décor, mais il n’en est pas fait grand chose, et quasiment rien dans les deux premiers actes.

La cuisine des Ford (Acte I) ©Attila Nagy

En revanche, le metteur en scène a vu le travail de Carsen sur Falstaff (voir notre compte rendu), en a adapté quelques idées et utilisé le parfum, parce qu’entre autres la scène chez Alice se passe, comme chez Carsen, dans une cuisine des années 50 même si agencée très différemment et comme chez Carsen  également, il habille son Falstaff en cavalier (veste rouge, bottes) avant d’aller chez Alice. On court beaucoup, un peu trop même notamment au début:  Bardolfo et Pistola sont traités un peu comme des clowns (gestes, mouvements, déplacements). Soulignons aussi le joli décor du 3ème acte avec un éclairage soigné du chêne de Herne qui crée une ambiance et l’abondance de figurants lors de la fantasmagorie qui ressemblent étrangement aussi à ceux de Carsen…
Même si elle ne brille  pas par l’originalité, cette mise en scène n’est pas dénuée d’efficacité avec des moments réussis et une troupe bien engagée. On aurait pu souhaiter une distribution plus homogène, mais dans l’ensemble on a passé une bonne soirée, largement suffisante pour reconnaître encore une fois à cette musique un dynamisme, une verve, et une jeunesse qui surprennent toujours et qui malgré les réserves, étaient bien présents ce soir.
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Image finale ©Attila Nagy