LA SAISON 2024-2025 DE L’OPÉRA NATIONAL DE LYON

Comme la plupart des maisons d’Opéra, l’Opéra national de Lyon sort des crises issues du Covid, dans une ville où il a constitué depuis plus d’un demi-siècle une référence nationale et un phare culturel. Mais même pour une ville comme Lyon, l’Opéra reste une charge, dans la mesure où elle affiche désormais une autre « vision » culturelle et dans une Région dont le fantasque président a en matière de culture une politique à peu près nulle avec dans la pratique parfois un parfum vaguement totalitaire.
L’opéra n’est pas en effet la priorité des écologistes dans les villes qu’ils gèrent, que ce soit Lyon, Strasbourg ou Bordeaux. Les écolos bordelais ont un opéra dont le rayonnement est inexistant, mais qui est un joyau patrimonial qu’il faut faire vivre – on aimerait intelligemment : il est difficile d’effacer d’un trait de plume la plus belle salle de France et de la voir programmer à petit feu sans âme. Quant aux malheureux édiles écolos strasbourgeois ou lyonnais, ils ont au contraire la malchance d’avoir des opéras qui sont plutôt bien dirigés, avec une fréquentation stable et flatteuse, et qui proposent une programmation de très grande qualité voire quelquefois exceptionnelle. Ces villes sont obligées – quelle guigne !- d’en tenir compte et donc bon an mal an de composer avec le boulet.
Rappelons tout de même que c’est la Ville de Lyon qui porte l’essentiel du budget (chiffres 2023) de l’institution avec 51,1%, chiffre auquel on doit rajouter la métropole à 7,8%, soit pour les forces locales 58,9%. L’État prend en charge comme plus ou moins partout ailleurs dans ce type d’institution 16,7% et la Région 6,7%. Nous avons par ailleurs souvent pointé la part très relative des régions dans les financements des opéras, qui devraient avoir au premier chef un rayonnement régional. Mais on n’en est pas encore là…

Alors, avec un réalisme qui fait contre mauvaise fortune bon cœur, les financements de l’Opéra de Lyon ont été stabilisés jusqu’à 2027 par un contrat Ville-Etat-Région, ce dont on peut se réjouir, d’autant que depuis des années, l’Opéra de Lyon est singulier dans le paysage français : programmation exigeante, mises en scènes novatrices, qualité musicale inattaquable, mais aussi et surtout un public globalement plus jeune qu’ailleurs, et dont la fréquentation ne faiblit pas (91% de remplissage en 2023).

Après une saison 2023-2024 exceptionnellement lourde, et des œuvres dont nous avions souligné l’an dernier la difficulté, y compris technique, le succès éclatant a été au rendez-vous au dernier festival et a montré l’incroyable qualité du travail accompli.

La saison 2024-2025 est moins chargée en œuvres lourdes, et d’une certaine manière plus « normale » tout en alternant des œuvres moins populaires ou contemporaines (Wozzeck, 7 minutes, Peter Grimes), des standards du genre comme Madama Butterfly, il Turco in Italia et des grandes œuvres du répertoire, La Forza del Destino, Cosi fan tutte et Andrea Chénier (ce dernier en version de concert).
La grande chance de l’Opéra de Lyon, c’est d’avoir un orchestre spécifique, le seul en France (si l’on excepte l’Opéra de Paris) et à la tête de son orchestre Daniele Rustioni, depuis 2017, qui a donné un coup de fouet d’un dynamisme sans précédent et qui l’a fait travailler et progresser d’une manière incontestable, d’autant que Rustioni est un chef italien qui à la différence de beaucoup de ses compatriotes, outre son répertoire atavique ose les répertoires allemands, russe, français . Ils se comptent sur les doigts d’une main les chefs italiens qui ont dirigé Wozzeck : ils s’appellent Abbado, Sinopoli, Gatti… A priori je n’en vois pas d’autres…

Alors oui, Rustioni est le fer de lance de cette maison.

Outre Wozzeck, il dirigera La Forza del destino, l’un des phares du répertoire italien, pour le Festival et la version concertante d’Andrea Chénier.

Pour le reste, comme toujours des distributions équilibrées et souvent bien composées, et des mises en scène d’aujourd’hui, avec cependant, quelques étonnements sur le choix de certains chefs qui ne correspondent pas au niveau affiché par ailleurs…

OPÉRA

Les œuvres

Alban Berg, Wozzeck
Umberto Giordano, Andrea Chénier (Concertant)
Gioachino Rossini, Il Turco in Italia
Giacomo Puccini, Madama Butterfly
Giuseppe Verdi, La Forza del Destino
Giorgio Battistelli, 7 minutes
Benjamin Britten, Peter Grimes
W.A.Mozart, Cosi fan tutte
Claire Mélanie Sinnhuber, Le sang du glacier (itin.)

 

Octobre 2024
Alban Berg
 : Wozzeck
7 repr. du 2 oct. au 14 oct. 2024 – Dir : Daniele Rustioni / MeS : Richard Brunel
Avec Stéphane Degout, Ambur Braid, Robert Watson, Thomas Ebenstein etc…
Orchestre, Chœurs et Maîtrise et solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon.
Coproduction Opéra Royal de Stockholm
La dernière production de Wozzeck à Lyon remonte à Septembre 2003, au tout début de la prise de fonction de Serge Dorny (janvier 2003) qui présentait alors la production aixoise (avec en Marie une jeune Nina Stemme…) de Stéphane Braunschweig, qui n’avait pu être présentée à Aix pour cause de grève des intermittents qui avait mis à bas toute la programmation des festivals.
Un peu plus de deux décennies après, c’est le temps habituel pour reproposer dans un système stagione à six ou sept productions annuelles une œuvre qui n’a pas la popularité de Traviata, même si elle est aujourd’hui part du grand répertoire international, ce qui rappelons-le n’était pas encore le cas il y a soixante ans (alors que l’œuvre a à peu près un siècle). Il est utile de rappeler que l’Opéra de Paris l’a accueillie (merci Pierre Boulez) seulement le 29 novembre 1963 soit 38 ans après sa création berlinoise. Je rappelle sans cesse que Berg et Schönberg étaient classés dans les rayons de la FNAC des années 1970 ou 80 en « musique contemporaine » …
La production lyonnaise a deux atouts immenses : Stéphane Degout (un lyonnais pur jus) dans le rôle-titre qu’il a mis à son répertoire à Toulouse en 2021 et Daniele Rustioni en fosse qui se confronte au chef d’œuvre de Berg et qui donc va largement exciter notre curiosité. Pour le reste on découvrira en Marie Ambur Braid, soprano lirico spinto canadien dont on parle beaucoup, et à qui on souhaite l’avenir de Nina Stemme qui l’a précédée à Lyon dans le rôle, et une solide distribution.
La mise en scène est assurée par Richard Brunel qui devrait s’inspirer du film de Peter Weir, The Truman Show.

Décembre 2024
Gioachino Rossini : Il Turco in Italia
9 repr. du 11 au 29 déc. – Dir : Giacomo Sagripanti/Clément Lonca – MeS : Laurent Pelly
Avec Adrian Sámpetrean, Sara Branch, Renato Girolami, Alasdair Kent, Florian Sempey etc…
Orchestre, Chœurs et Solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon
Coproduction Teatro Real Madrid, Nouveau Théâtre National Tokyo
C’est la production de fin d’année, avec 9 représentations, et le nom de Laurent Pelly qui la signe va évidemment attirer les foules : il est l’un des metteurs en scène les plus populaires en France et l’un des plus expérimentés, en plus c’est un fidèle de l’opéra de Lyon, où il a créé de nombreux Offenbach.
Et comme on espère faire le plein sans effort, pas besoin de trop en faire pour la distribution, dont les deux seuls noms intéressants sont Sara Branch, la nouvelle voix rossinienne et belcantiste venue d’Espagne, mais qui charme déjà la péninsule italienne, et Florian Sempey, toujours excellent dans ce type d’œuvre, qui incarnera Prosdocimo, ce personnage étrange qui fait surgir le théâtre dans le théâtre. Pour le reste, tous des rossiniens de série B.
En fosse, Giacomo Sagripanti, populaire un temps à l’Opéra de Paris et qui s’est fait ailleurs une réputation sur Rossini, qui s’est un peu dégonflée ces derniers temps. Plus intéressant peut-être d’écouter le jeune Clément Lonca, qui fut assistant de Rustioni, et qui mérite largement l’attention. Mais l’Opéra de Lyon ne communique pas les dates de l’un et de l’autre…

Janvier-février 2025
Giacomo Puccini : Madama Butterfly
7 repr. du 22 janv. au 3 fév. 2025 – Dir: Sesto Quatrini / MeS : Andrea Breth
Avec Ermonela Jaho/NN, Adam Smith, Mihoko Fujimura, Lionel Lhote, Carlo Bosi etc…
Orchestre, Chœurs et Solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon .
Coproduction festival international d’art Lyrique d’Aix en Provence, Komische Oper Berlin

Coproduite par l’Opéra de Lyon, la production d’Aix présentée en juillet 2024 au festival est ici proposée dans la même distribution, mais hélas sans Daniele Rustioni.
Au lieu d’aller chercher un autre bon chef, plutôt jeune et prometteur, on va chercher un routinier sans intérêt, Sesto Quatrini, comme si on considérait une partition de Puccini comme une simple piste de lancement des voix, sans en considérer la complexité ni la profondeur. Puccini a souffert de ce type de mépris qui le tenait à tort comme un compositeur « facile ».
Ermonela Jaho (qui ne l’oublions pas, a explosé à Lyon en 2009 dans Traviata pour rebondir ailleurs ensuite) est sans doute aujourd’hui l’interprète emblématique voire irremplaçable de Puccini. Donc, même si elle est en alternance avec une autre chanteuse, il faut se battre pour aller l’entendre. Elle y est déchirante et on ne peut rater ça.
Adam Smith est un jeune ténor au très beau timbre, qu’on lance aujourd’hui comme une voix d’or de demain. Pinkerton n’est pas un rôle très exposé, il devrait largement faire le job.
Lionel Lhote est exactement le profil pour Sharpless et puis, il y a en Suzuki Mihoko Fujimura, inoubliable Brangäne avec Abbado qui a été l’un des grands mezzos des vingt-cinq dernières années, à ne pas manquer au crépuscule de sa carrière sans oublier Carlo Bosi, le ténor de complément le plus fameux d’Italie, une figure d’excellence, et bientôt historique à l’impeccable phrasé, en Goro.
Quant à la mise en scène, elle est confiée (sans doute par Pierre Audi au festival d’Aix) à Andrea Breth, ce qui n’est pas pour moi une assurance (sa Salomé aixoise était particulièrement décevante) et qui ne m’a jamais convaincu… mais, comme on dit en italien : mai dire mai (jamais ne dire jamais).

Mars-avril 2025
Festival 2025 : Se saisir de l’Avenir

Giuseppe Verdi : La forza del destino
8 repr. du 14 mars au 2 avril – Dir : Daniele Rustioni / MeS : Ersan Mondtag
Avec Elena Guseva, Riccardo Massi, Igor Golovatenko, Michele Pertusi, Paolo Bordogna, Zinalda Tsarenko etc…
Orchestre, Chœurs et Solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon

Riccardo Massi et Elena Guseva sont des habitués de l’Opéra de Lyon, Guseva invitée au temps de Serge Dorny pour l’Enchanteresse, puis pour Tosca est revenue sous Brunel pour Dame de Pique, toujours aussi intense. Elle reviendra donc pour Leonora de Forza del Destino, une autre paire de manches qui est l’un des rôles les plus délicats du répertoire verdien.
Riccardo Massi lui aussi revient après son Dick Johnson de Fanciulla del West, digne mais pas inoubliable Là encore, Alvaro est d’une autre nature, un de ces rôles qui ne supporte pas les demi-mesures. À voir.
Pour le reste, Golovatenko est l’un des meilleurs barytons pour Verdi au monde, Pertusi toujours la plus grande basse italienne encore en activité, et Paolo Bordogna sans doute le meilleur baryton-basse bouffe italien aujourd’hui.
Que demander de plus ? Une Preziosilla qui fasse sonner son Rataplan, ce sera la charge de Zinalda Tsarenco, jeune mezzo en troupe au Mariinsky de Saint Petersbourg à qui l’on confie les grands rôles de mezzo. Vu la qualité du chant russe et de la troupe du Mariinsky, ça laisse de l’espoir. Tout ce beau monde dirigé par Daniele Rustioni dans son répertoire de prédilection, et dans ce Verdi qu’il connaît si bien.
Enfin, première apparition à Lyon d’Ersan Mondtag, phare naissant de la mise en scène germanique, à qui l’on doit le triomphal Silbersee de Kurt Weill à l’opéra National de Lorraine (créé à Anvers) et qui réalisera ici si je ne me trompe sa première mise en scène originale en France.
Elle a bien des atouts, cette Forza del Destino.

Giorgio Battistelli, 7 Minuti
6 repr. du 15 au 29 mars – Dir : Miguel Pérez Iñesta/ MeS : Pauline Bayle
Avec Jenny Daviet, Giulia Scopelliti, Jenny Anna Flory, Eva Langeland Gjerde
Orchestre, Chœurs et Solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon .

Créé en 2019 à l’Opéra national de Lorraine, 7 minuti est un opéra social qui s’appuie sur la luttes des travailleuses du textile de la firme Lejaby d’Yssingeaux en Haute Loire pour sauver leur emploi. Opéra social et choral puisqu’il met en scène un groupe d’ouvrières en lutte et en discussion contre la disparition de leur entreprise (qui n’a connu que des soubresauts hélas délétères depuis 2010), mais qui témoigne aussi d’une histoire forte de la région Auvergne Rhône-Alpes. Opéra aussi « local » en quelque sorte. Stefano Massini, le dramaturge florentin en a tiré une pièce à succès, on en a fait aussi un film, 7 minuti de Michele Placido, et enfin Giorgio Battistelli le célèbre compositeur italien s’en est emparé pour en faire un opéra de facture somme toute assez classique. Jenny Daviet, interprète favorite du Balcon et de Maxime Pascal que le site wanderersite.com a souvent saluée notamment dans Freitag aus Licht sera entourée notamment par des membres du Studio de l’Opéra de Lyon, passées et présentes.
L’orchestre est dirigé par Miguel Pérez Iñesta, jeune chef espagnol formé en Allemagne, et qui y fait bonne part de sa carrière, particulièrement actif et entreprenant si bien qu’il en devient un des chefs appréciés et réclamés sur le répertoire contemporain.
Nouvelle venue à l’opéra, Pauline, Bayle, une des metteuses en scène de théâtre les plus intéressantes de la jeune génération, actuelle directrice du Théâtre Public de Montreuil, en assure la mise en scène.
En inscrivant dans le Festival cet opéra très récent, l’Opéra de Lyon s’assure la présence d’un public venu peut-être pour Verdi et qui repartira avec une nouvelle expérience, différente et passionnante. C’est un choix de programmation plutôt intelligent.

 

Diana Soh : L’avenir nous le dira
6 repr. du 15 au  23 mars – Conception et MeS : Alice Laloy
Maîtrise de l’Opéra de Lyon
Coproduction Opéra national de Lorraine
Coréalisation TNP Villeurbanne
Au Théâtre National Populaire
Comme toujours au festival, le troisième spectacle est une plus petite forme, représentée dans un autre lieu que l’opéra. C’est ici un « opéra en trois mouvements pour orchestre mécanique » signé de la compositrice d’origine singapourienne Diana Soh, installée en France et qui avait déjà travaillé pour l’Opéra de Lyon sur l’opéra itinérant Zylan ne chantera plus en 2021. Le spectacle est conçu par Alice Laloy. Le titre parle de lui-même, Alice Laloy et la librettiste Emmanuelle Destremau ont imaginé une œuvre sur « nos lendemains » sous une forme encore un peu mystérieuse, mais avec en vedette la Maîtrise de l’opéra de Lyon

Mai 2025
Benjamin Britten : Peter Grimes
7 repr. du 9 au 21 mai – Dir : Wayne Marshall / MeS : Christof Loy
Avec Sean Panikkar, Sinéad Campbell-Wallace, Andrew Foster-Williams, Doris Soffel, Anne Sofie von Otter, Thomas Faulkner
Orchestre, Chœurs et Solistes du Lyon Opéra Studio de l’Opéra de Lyon

11 ans après un festival consacré à Britten et une production de Peter Grimes signée de Yoshi Oida et dirigée par Kazushi Ono, voilà que revient Peter Grimes.
La production (de 2015) est louée au Theater an der Wien qui l’a reproposée (à la demande du public) en 2021. C’est donc une production à succès et éprouvée, signée d’un des metteurs en scène de référence en Allemagne (Christof Loy) qui vient de signer la production strasbourgeoise de Guercœur. Rien qui ne soit pas prometteur de ce point de vue, sauf que si l’on voulait un Britten, d’autres œuvres non encore vues à Lyon eussent pu être proposées.
On connaît bien Sean Panikkar, et c’est un excellent chanteur, même si la voix ne me semble pas idéale pour Peter Grimes qui réclame peut-être un organe plus puissant, mais il y a deux légendes dans la distribution, Doris Soffel et surtout Anne Sofie von Otter en Miss Sedley, ce qui justifie presque le déplacement.
Plus surprenant le choix de Wayne Marshall en fosse, plus habitué à Gershwin et Bernstein (dont il a dirigé Candide à Lyon) et à un répertoire plus jazzy que Britten, même si les secrets de Britten ne doivent pas être étrangers à ce britannique. Il reste que ce choix laisse perplexe pour une œuvre aussi complexe et aussi réffinée…

 

Juin 2025
Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte
6 repr. du 14 au 24 juin 2025 – Dir : Duncan Ward / Mise en scène et vidéo : Marie-Ève Signeyrole
Avec Tamara Banješević, Deepa Johnny, Robert Lewis, Ilya Kutyukhin, Simone del Savio, NN
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon

Duncan Ward a dirigé Cosi fan tutte avec succès à L’Opéra du Rhin en 2022 (lire le compte rendu de Wanderersite.com, signé David Verdier) les lyonnais pourront ainsi confirmer l’excellente impression partagée.
Marie-Eve Signeyrole invitée pour la première fois à Lyon, signe la mise en scène, qui sera fondée comme d’habitude sur l’utilisation de la vidéo puisqu’elle en est avec Cyril Teste l’une des spécialistes en France. Distribution jeune, comme il se doit (encore que Tcherniakov à Aix et au Châtelet ait magnifiquement montré l’inverse) dont Simone del Savio est le plus connu.
On ne méprise pas un Mozart absent de l’opéra de Lyon depuis 2011, qui sera d’ailleurs aussi proposé en ce joli mois de mai 2024 en version concert par l’Orchestre National de Lyon, l’autre institution musicale avec Thomas Hampson en Alfonso….

 

Opéra itinérant
Claire-Mélanie Sinnhuber : Le Sang du glacier

5 repr. du 9 au 14 déc. 2024
Au Théâtre du Point du Jour puis en itinérance de mi-janvier à fin mars 2025, dans un camion-opéra.
Ensemble orch : Harpe, accordéon, violoncelle – MeS :  Angélique Clairand.

Angélique Clairand, dont le Peer Gynt a été accueilli favorablement en juin 2022 à Lyon, met cette fois-ci en scène une création de la compositrice Claire-Mélanie Sinnhuber sur un livret de Lucie Vérot Solaure qui traite de la fonte des glaciers, selon la formule de l’opéra itinérant affectionnée par Richard Brunel visant un autre public, plus jeune et qui ne va pas à l’opéra.


Opéra en concert

Octobre 2024
Umberto Giordano : Andrea Chénier

Direction musicale : Daniele Rustioni
Avec Riccardo Massi, Anna Pirozzi, Amartuvshin Enkhbat, Sophie Pondjiclis, etc…
Orchestre et chœur de l’Opéra de Lyon
Coproduction Théâtre des Champs-Élysées

Mardi 15 octobre 2024
À l’Auditorium, Lyon 3e

L’opéra de Giordano méritait peut-être plutôt une production, à l’instar d’Adriana Lecouvreur la saison dernière, mais le vérisme n’est pas si prisé en France. Outre Daniele Rustioni qui garantit la qualité d’ensemble, la distribution est solide, dominée par la Madeleine de Coigny d’Anna Pirozzi, et l’Andrea Chénier de Riccardo Massi, en voie de devenir le ténor italien de la maison Lyon. Mais c’est évidemment le Gérard d’Amartuvshin Enkhbat qui stimulera les curiosités, tandis qu’on reverra avec plaisir la très musicale Sophie Pondjiclis dans le personnage fugace mais tellement émouvant de Madelon.

BALLET

Voir le site de l’Opéra de Lyon

 

LES AUTRES MANIFESTATIONS

Un peu comme à l’Opéra de Paris, l’offre complémentaire lyonnaise est à la fois importante et touffue, donc peu lisible, malgré un intérêt certain.
Ainsi donc entre concert(s), tournées, musique de chambre, « pour les fêtes », concerts du studio, dans l’opéra, hors les murs, ailleurs et jusqu’à Milan ou Aix on s’y perd un peu et on aimerait un peu plus d’ordre dans les présentations. Les choses s’accumulent et c’est formidable pour le public d’y avoir accès, de pouvoir aller écouter des récitals ou des concerts de chant, mais l’impression reste celle d’une offre qui n’est pas pensée avec une vraie ligne, même si le public semble répondre régulièrement à chaque type de proposition, si l’on s’en tient aux statistiques 2023 communiquées dans le dossier de presse.

L’Opéra de Lyon, est hors Paris le seul Opéra en France à disposer d’un orchestre spécifique, et il manque, tout comme à Paris, une petite saison symphonique, qui ne fasse pas d’ombre à l’Orchestre National de Lyon mais qui permette de mieux structurer la visibilité d’un orchestre qui s’est montré, en fosse, remarquable. Si la vocation de l’Orchestre national de Lyon est d’être à rayonnement régional, celle de l’Opéra de Lyon est d’être en fosse, mais la programmation de l’Opéra reste limitée avec en 2023 37 représentations dans la grande salle et quelques représentations hors les murs (Aix et TCE), soit en tous cas moins de 50 représentations, ce qui laisse de la marge… Personne en France ne s’étonne d’ailleurs que ces grandes salles régionales prestigieuses aient une offre aussi limitée localement: 37 représentations, ça fait rire n’importe quel directeur de salle allemande et tout le monde va me répondre que ce n’est pas le même système etc… etc… je connais l’antienne mais je reste de l’avis qu’un grand opéra, non, ce n’est pas ça, même si c’est le cas de toutes les salles importantes en France, qui malheureusement n’en peuvent mais, coincées entre les tutelles, les budgets tendus, la « crise », les déficits, l’inflation et le reste…

Je pense donc que l’Orchestre de l’Opéra de Lyon affichant dans son programme à Lyon un seul concert (avec le chœur) , le 11 septembre 2024, autour de Camille Pépin et de Maurice Ravel et dirigé par Daniele Rustioni, c’est notoirement insuffisant.

Deux autres concerts sont programmés,

Un programme pour les jeunes, sorte de concert spectacle

L’orchestre cherche et trouve autour du monde les 13 et 16 nov (deux horaires) avec des comédiennes, l’orchestre étant dirigé par Fiona Monbet.

Le traditionnel concert de fin de saison de la Maîtrise, le 29 juin

Pourtant, en feuilletant le dossier de presse, on découvre aussi que le programme lyonnais proposé le 11 septembre est proposé en tournée à Milan et Turin, les 12 et 14 septembre à l’invitation du Festival MITO, plutôt orienté musique des XXe et XXIe siècle avec une œuvre supplémentaire, le splendide Pelléas et Mélisande de Schönberg dont on se demande pourquoi le poème symphonique n’est pas programmé dans le concert lyonnais à l’instar de celui de Turin, alors que probablement il sera préparé à Lyon. Le nom de Schönberg ferait-il (encore) peur ?

Plus généralement, un orchestre a besoin de travailler un répertoire symphonique hors fosse, et il ne serait pas exorbitant de proposer un concert symphonique par trimestre, dont un au Festival, sur des œuvres liées à la thématique, y compris avec un autre chef que le directeur musical. Il y a là vraiment un manque qui me laisse perplexe.

L’orchestre se produit en outre lors des deux concerts des fêtes, dirigés par Benjamin Lévy, les 31 décembre et 1er janvier,

  • 31 décembre : Concert de Réveillon
    Autour des années folles

(œuvres de Maurice Yvain, André Messager, Reynaldo Hahn) avec les membres du Studio

  • 1er janvier : Concert de Nouvel An,
    Autour d’Offenbach

Soit en tout 9 concerts hétéroclites (compris le concert spectacle), tous concentrés entre 11 septembre et 1er janvier… Ça n’est pas une programmation…

Récitals

4 récitals, trois récitals de piano et une soirée chant/piano à la programmation solide qui devrait attirer du monde

  • 9 octobre, Nelson Goerner
    Haendel, Schumann, Liszt, Chopin
  • 14 décembre, Elisabeth Leonskaja
    Beethoven (Op. 109 à 111)
  • 6 avril, Natalie Dessay et Philippe Cassard
    Barber, Chausson, Ravel, Beydts, Sondheim, Previn, Menotti, Hahn, Poulenc
  • 17 juin Katia et Marielle Labèque
    Ravel, Schubert, Debussy, Bernstein

Des concerts de musique de chambre
par les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Lyon

Dans trois lieux « emblématiques » lyonnais :

10-20 octobre (Musée Gadagne)
Mozart, Verdi, Puccini

24 novembre (Salle Molière)
Beethoven-Hummel

20-21 décembre (Amphi Opéra de Lyon)
Offenbach, Luis Mariano, Dalida

25-26 janvier (Musée Gadagne)
Ravel, Bizet, Offenbach, Smetana

1er – 2 février (Amphi Opéra de Lyon)
Beethoven-Mozart

15 février (Salle Molière)
Debussy-Chausson

5-6 avril (Amphi Opéra de Lyon)
L’Histoire du Soldat (Stravinski)

17-18 mai (Amphi Opéra de Lyon)
Saariaho-Debussy

14-15 juin (Musée Gadagne)
Ligeti, Danzi, Dvořák

Des récitals des membres du Studio
(Amphi Opéra de Lyon)

12 janvier, Filipp Varik, ténor
2 fevrier, Jenny Anne-Flory, mezzosoprano
15 février, Alexander de Jong, baryton
13 avril, Eva Langeland Gjerde, soprano
18 mai, Hugo Santos, basse

Hors les murs
A toute cette programmation s’ajoutent les opéras hors les murs en concert ( TCE Andrea Chénier) ou en version scénique, en juillet 2024 à Aix, Madama Butterfly (Prod. Andrea Breth) sous la direction de Daniele Rustioni et la reprise de Pelléas et Méilsande (prod.Katie Mitchell) sous la direction de Susanna Mälkki.
A l’Opéra national de Lorraine sera présenté L’Avenir nous le dira de Diana Soh les 4 et 5 avril et trois programmes de musique de chambre seront repris au Théâtre de Villefranche sur Saône.
Enfin s’ajoutent quelques manifestations spécifiques (Concert d’Hiver de la Maîtrise à la Basilique Saint Martin d’Ainay, 40 ans d’orchestre avec un récital de basson dans la salle Molière, le Requiem de Fauré à la Basilique Saint Bonaventure, ainsi qu’un Ciné Concert Laurel et Hardy proposé au Théâtre de la Renaissance à Oullins et au Théâtre Théo Argence de Saint Priest.

Quant au Ballet de l’Opéra de Lyon, il est l’autre carte de visite de l’institution, dans des tournées qui le mènent un peu partout en France, mais aussi en Chine, à Londres, à Dresde, à Berlin, en Italie, et à Bruges.

Au total l’activité est importante, les manifestations nombreuses et dans plusieurs lieux de la métropole lyonnaise, une activité hors les murs importante, en opéra et surtout en Ballet, mais c’est présenté de manière brouillonne, avec une « com » et des titres de concerts qu’on sent quelquefois un peu tirés par les cheveux, comme ce concert intitulé « Quand le jeune Mozart venait à Lyon » avec au programme Mozart (c’est attendu) mais aussi Verdi et Puccini (ce qui l’est moins, à moins qu’ils ne soient venus à Lyon en bande).

Il serait beaucoup plus clair pour le lecteur d’identifier le

  • Dans les murs (Grande salle et Amphi)
  • Dans la ville et la métropole
  • Hors les murs

Cela permettrait d’isoler les lieux et leur programmation spécifique et notamment de mieux isoler l’Amphithéâtre, qui est un lieu intéressant pour une autre ambiance de concerts et dont on pourrait construire une programmation « musique de chambre » et « musique de chant » assez sympathique.

Tel que se présente ce programme fait d’autres manifestations et de concerts divers, on a l’impression d’une absence de ligne programmatique claire, de thématiques mises au hasard, un peu bout à bout, d’un hétéroclite de qualité et de bonne volonté, mais sans colonne vertébrale : c’est dommage pour notre deuxième opéra de France.
De la musique avant tout chose, certes, mais aussi des propositions mieux articulées, moins de vrac, qui prennent modèle sur l’opéra et le ballet.
Il reste que sous ce rapport, plusieurs voyages à Lyon sont à programmer.

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014: SIMON BOCCANEGRA de Giuseppe VERDI le 11 JUIN 2014 (Dir.mus:Daniele RUSTIONI; Ms en scène: David BÖSCH)

Scène finale © Stofleth
Scène finale © Stofleth

J’avoue avoir du mal avec Simon Boccanegra.
L’œuvre est tellement liée à Claudio Abbado, je l’ai si souvent entendue avec lui, j’ai dans ma discothèque je ne sais combien d’enregistrements live de représentations à Milan, Tokyo, Paris, Vienne que j’entends l’opéra de Verdi au prisme des souvenirs de cet orchestre sublime d’une infinie tendresse, d’un raffinement inouï, un orchestre qui parlait et qui pleurait quand à la fin Fiesco et Simon chantent « piangi »… Aucun opéra de Verdi dirigé par Abbado ne l’a été avec un tel amour, une telle osmose, une telle adéquation entre un chef et un compositeur. Et en 1971, Simon Boccanegra était une quasi découverte : ce qu’on considère aujourd’hui comme normal était neuf, et encore plus neuf à l’Opéra de Paris en 1977 ou 1978, où c’est Abbado qui le créa (Freni/Ricciarelli, Ghiaurov, Cappuccilli, Schiavi, Lucchetti) à la tête d’un orchestre de l’Opéra de Paris qu’il renia fortement, mais qui néanmoins, en témoignent les vidéos, était en état de grâce. Mais il n’y a pas que Claudio Abbado, il y a aussi la production de Giorgio Strehler (Milan 1971) qui a fait le tour du monde et qui a fini sa carrière à Vienne, où deux imbéciles, le baryton Eberhard Wächter, et l’agent Ioan Holänder, qui avaient pris les rênes de la Staatsoper, décidèrent de la retirer des cadres et même de la détruire. Elle était trop liée à un directeur musical (Abbado) qui avait fait acheter la production milanaise lors de son arrivée (tout comme celle du Viaggio a Reims de Ronconi, ou celle du Pelléas de Vitez) et qu’ils ont contribué à éloigner. Strehler c’est d ‘abord l’image inoubliable de ce lever de rideau sur Amelia (Freni), fond de barque et de voile, dans un éclairage crépusculaire, c’est Simon chantant la mer au dernier acte pendant que des marins en contre jour hissent une voile, au son d’un orchestre d’une légèreté évocatoire qui garde pour moi un goût d’infini, c’est ce prologue dans la nuit avec la trouvaille géniale du même décor figurant intérieur et extérieur du Palais où Maria gît. On ne cesserait de trouver des perfections à cette production, une de ces productions hors du temps, qui pourrait être reprise demain et qui garderait tout son sens et toute sa puissance sur le public, cela reste pour moi peut-être le plus grand travail de Strehler à l’opéra, supérieur encore à sa production des Nozze di Figaro (celle de 1973, pas celle de 1981 qu’on voit encore à Bastille). Comment ne pas évoquer ces souvenirs, qui restent imprimés dans ma mémoire de mélomane, et qui réussissent même à effacer la production de Peter Stein de Salzbourg (2000) : pour célébrer le millénaire, Abbado avait choisi de reprendre l’œuvre avec les Berliner avec une distribution somptueuse mais qui n’arrivait pas à faire oublier la précédente : Mattila remarquable, Guelfi sans grande présence, Raimondi trop vieux, et surtout un sublime Alagna dont l’entrée en scène courant sur la plateau reste la plus belle image de cette soirée. La production est celle qui a cours encore aujourd’hui à Vienne. Il reste que les Berliner avaient réussi à recréer une magie musicale d’une rare intensité, notamment dans les moments les plus dramatiques (troisième et quatrième acte), je me souviens des bois stupéfiants, je me souviens de cordes imperceptibles, de jeux de sonorités qui m’avaient saisi, moi qui connaissais chaque respiration de cette œuvre. Abbado a aussi à cette époque dirigé Boccanegra avec la Mahler Chamber Orchestra, à Ferrare et en Emilie Romagne, ce fut musicalement – et surtout orchestralement somptueux, vocalement et surtou scéniquement plus discutable. J’ai entendu aussi dans Simon Boccanegra Solti et Te Kanawa (pour l’enregistrement à la Scala du disque qu’il grava chez Decca), Chailly à Munich avec Freni, et bien sûr, le spectacle décevant de Johan Simons à Bastille sous Mortier, qui évacua toute poésie et plaça l’intrigue sous les projecteurs exclusifs d’un réalisme politique vulgaire et cru, et imbécile, du genre Boccanegra au pays de Jean-François Copé, et récemment Barenboim (à Berlin et Milan) avec Anja Harteros et Placido Domingo. Barenboim n’était pas dans son univers, Domingo y était merveilleux, mais ce ténor barytonnant ne faisait que remuer les souvenirs du Domingo ténor verdien qui reste l’un des soleils de ma vie de mélomane, et Anja Harteros est la seule qui puisse rivaliser avec Freni. Il reste une production ratée (Federico Tiezzi, décors de Maurizio Balo’ qu’on a changés à la Scala pour des décors de Pier Paolo Bisleri), d’une infinie pauvreté, laide à voir (et à revoir, vu le nombre de reprises) : tant qu’à faire, mieux valait proposer un travail semi-scénique ou concertant. Vous pourrez je crois revoir la production cet automne à Milan…
Je sens le lecteur agacé : c’est bien joli tout ça, mais Lyon ?
Je sens le futur spectateur lyonnais inquiet : si le Wanderer commence par évoquer les miracles passés, c’est pour mieux faire passer la déception présente, en la justifiant et en soulignant que la comparaison était inégale.

Prologue © Stofleth
Prologue © Stofleth

Et pourtant… Et pourtant, je vous engage à aller voir ce Simon Boccanegra de Lyon, qui est une production très digne, très émouvante, et qui rend justice à Verdi. D’abord, elle nous permet de voir le travail d’un jeune metteur en scène dernière génération des scènes allemandes, David Bösch, qui fera l’an prochain toujours à Lyon Die Gezeichneten/les Stigmatisés de Franz Schreker), un travail peut-être pas totalement abouti, mais fermement mené, avec des intentions claires, et de très bonnes idées. Elle nous permet aussi d’écouter un jeune chef de trente ans, Daniele Rustioni,  qui ne m’avait pas totalement convaincu à la Scala dans d’autres Verdi (Trovatore, Un ballo in maschera), mais qui dans la fosse lyonnaise, fait preuve d’une maturité, d’un sens dynamique, d’une exigence notables. Elle nous permet enfin d’apprécier une distribution plus qu’homogène, avec sa faiblesse (Simon) et ses forces (les autres).

Acte II © Stofleth
Acte II © Stofleth

David Bösch travaille sur trois plans :
–       d’abord il fait du vrai théâtre, en plaçant l’intrigue dans un décor de Patrick Bannwart (qui a réalisé les vidéos avec Falko Herold)presque unique : une tour fermée au départ du prologue, et qui s’ouvre dès l’acte I comme si le prologue renfermait en lui même l’histoire (et ce n’est pas faux), en éliminant toute référence anecdotique, plus de mer, plus de Gênes, mais un sol jonché de papiers, vaguement trashy, mais des objets symboles, comme ces valises qui sont le seul décor de l’intimité d’Amelia au premier acte, des costumes très essentiels de Falko Herold, des costumes à la fois d’aujourd’hui et sans âge, mais qui savent identifier les fonctions : Amélia, toute jeune fille avec son doudou, Simon devenu Doge en redingote écarlate, les autres tous en gris dans un univers presque sans couleur. Le premier acte, par la disposition même du décor, par ce mur qui réduit l’espace de jeu, reprend le parti pris de Strehler dont le prologue se déroulait devant cette façade immense et muette du Palais de Fiesco, et malgré les différences esthétiques, reproduit la même ambiance. Pour quoi du vrai théâtre ? parce qu’avec des ingrédients minimaux, il raconte une histoire, il raconte les cœurs qui saignent, il raconte l’amour de ces êtres dont, Paolo le traître mis à part, aucun n’est lâche, aucun n’est mauvais, tous nobles, tous grands, tous humains, ballotés par les luttes de clans, mais tous obéissant fortement à une morale. Un seul exemple de ce travail : l’image finale du prologue, très forte, où le peuple salue la victoire de Boccanegra, pendant que lui, en haut de la tour, se montre au balcon avec le cadavre de Maria dans les bras : rien que par cette image, on comprend que Bösch est un vrai metteur en scène.

Image finale - Prologue © Stofleth
Image finale – Prologue © Stofleth

–       Ensuite, il inscrit aussi une vraie vision politique, sans concession : Simon est un autocrate, un populiste arrivé au pouvoir par l’intrigue (achat de voix), c’est la plèbe contre le patriciat, mais une plèbe travaillée par des manœuvres troubles, avec ses hommes de main, qui stimulent les réactions de la foule comme les réchauffeurs d’ambiance des studios télé, qui ont toujours à la main un poignard (on ne sait jamais…), qui représentent le peuple qu’ils manipulent et qui attendent des prébendes. Simon, qui pourrait être l’exemple du despote éclairé, gouverne une assemblée de vieillards chenus, avec leurs cannes, leurs déambulateurs, leurs béquilles, eux aussi travaillés et contraints par les sbires, une assemblée lige qui n’a rien du noble conseil qu’on voit habituellement: honneur, richesse, pouvoir, voilà ce qui a été promis au prologue à ceux qui ont fait l’élection, tous les autres sont des outils au service de l’ambition de quelques uns. Mais Bösch montre aussi les mécanismes politiques sous jacents à l’histoire : à la fin, ce sont bien les aristocrates qui reprennent le pouvoir, et les vaincus sont bien les « populares », vaincus, ou condamnés à mort. Ceux qui avaient fait l’élection de Simon, resté 25 ans au pouvoir, finissent écrasés, comme si les valeurs morales étaient portées par l’aristocratie et les valeurs démocratiques perverties dès le départ n’étaient que valeurs démagogiques. Toute ressemblance…
–       Enfin, Bösch est persuadé que le livret n’est pas clair, et essaie, tout en racontant l’histoire sur la scène, de clarifier la situation en doublant le récit scénique d’indications en surimpression vidéo qui scandent les moments clés, dans une esthétique de manga : inscriptions agressives, dessins de Maria petite fille qui grandit : jolie idée que de marquer les 25 ans qui passent entre le prologue et le premier acte par une Amelia/Maria qui se transforme, par des feuilles de calendrier qui tombent comme autant de feuillets d’automne.  Tout n’est pas réussi , le souci de clarifier finit par réduire le sens de l’histoire, par distraire sans toujours éclairer (usage immodéré du graffiti, comme signe politique et signe explicatif) : malgré ces réserves, et grâce à son décorateur et son vidéaste, David Bösch crée un univers, gris, mélancolique, voire grinçant, bien que l’histoire soit traversée d’amour. Amour d’Amelia pour Gabriele, amour de Simon pour sa fille, et à la fin, amour mutuel des deux vieillards ennemis qui se retrouvent dans une communion autour d’Amelia/Maria

Acte II © Stofleth
Acte II © Stofleth

L’amour naïf d’Amélia, toute jeune fille au départ, sert de fil rouge à sa propre maturation : c’est lorsqu’elle est enlevée à la fin du premier acte qu’elle va se révéler à la fois face à foule, où elle prend clairement l’initiative, et au deuxième acte face à son père, qu’elle affronte, et face à son fiancé, qu’elle empêche d’accomplir l’irréparable. L’amour, du père et du fiancé, moteur de la maturation d’une âme : Amelia est changée, à la fin. Elle a grandi et elle s’est grandie. C’est bien aussi l’amour qui clôt ce Simon Boccanegra, d’une manière un peu naïve et discutable, à moins que ce ne soit une vision d’Amelia elle-même. Devant une assemblée du peuple composée de mariés et mariées, Simon meurt et disparaît en partant rejoindre sa Maria perdue au prologue, au milieu de cette assemblée devenue en quelque sorte une assemblée de Bienheureux. Maria sa fille épouse son Gabriele, pendant que Maria morte accueille son Simon…bon…c’est quand même un peu lourd, mais peut-être justifiable dans la vision d’un récit réductible à un Manga.

Daniele Rustioni
Daniele Rustioni

À cette vision forte, correspond un travail du jeune Daniele Rustioni incontestablement réfléchi et préparé. Il arrive à obtenir de l’orchestre des sonorités riches, pleines, voire inattendues dans cette salle à l’acoustique si sèche. Le début du prologue est vraiment très réussi, à la fois dans la simplicité et la linéarité, avec un son très égal, et qui installe parfaitement l’ambiance. Mais c’est dans les moments les plus dramatiques et les plus tendus qu’il excelle. Il mène l’orchestre avec une battue précise, ferme, énergique, et malgré les contrastes ne couvre jamais le plateau, car il est très attentif aux voix. Daniele Rustioni a une grande expérience de l’opéra, il a étudié à Londres où il a dirigé de nombreuses petites compagnies qui lui ont permis à la fois de construire son répertoire et mieux appréhender les lois de la direction. Il a donc une très bonne technique, un large répertoire malgré son âge, et guide parfaitement l’orchestre. Il a probablement travaillé en bonne harmonie avec l’orchestre, qui ne connaissait sans doute pas l’œuvre et qui a montré, peut-être mieux qu’à d’autres occasions, une maîtrise technique remarquable. C’est cependant dans les parties les plus lyriques que Daniele Rustioni pèche un peu. Or, dans Boccanegra, elles abondent. J’ai été gêné par des tempi un peu rapides, là où je suis habitué à un orchestre plus aérien, avec une couleur plus affirmée. La musique passe un peu linéaire, sans modulation, sans toujours parler vraiment de la situation (c’est notable dans le duo Amelia/Boccanegra au 1er acte, dont la scène avait très bien commencé avec l’introduction orchestrale à l’air d’entrée d’Amelia Come in quest’ora bruna ou surtout dans la partie finale de l’acte III, insuffisamment vibrante pour mon goût. Il en résulte une interprétation un peu froide. Il reste que dans l’ensemble, Daniele Rustioni montre une belle capacité à dominer cette partition, tellement marquée surtout pour un italien, surtout pour le milanais qu’il est.

Comme souvent à Lyon, la distribution est à la hauteur, globalement homogène avec des prestations vraiment excellentes.

Ermonela Jaho
Ermonela Jaho

C’est le cas d’Ermonela Jaho, une Amelia fraîche, solide vocalement, qui sait aussi ammorbidire et jouer sur la voix (notamment au final de l’acte II, redoutable pour le soprano). Certes, elle n’a pas l’aura ni le phrasé d’une Freni (mais qui ?), ni la présence d’une Harteros, il reste qu’elle s’impose par sa jeunesse, par la manière très franche d’affronter le rôle, par des aigus puissants, pas gonflés artificiellement et sans vibrato. Je sais que beaucoup de sopraïnomanes ne l’estiment pas, mais cette interprétation plus qu’estimable les contredit. Il reste que ce chant techniquement très au point mériterait peut-être une interprétation plus personnelle, un effort plus grand pour colorer, pour incarner. Elle a le temps de mûrir sa vision. Le Paolo de Ashley Holland qui avec le bon Pietro (très présent dans cette mise en scène) de Lukas Jakobski, composent les méchants de cet opéra de nobles cœurs, est un Paolo qui tranche avec la tradition initiée par Felice Schiavi, de Paolo difformes, qui roulent des yeux globuleux, qui en font des sortes de Quasimodo de pacotille.. Il est inquiétant, il donne une jolie interprétation scénique de ce personnage duplice et finalement assassin. Et vocalement, il chante avec style, sans surjouer ou surchanter, et c’est au total une prestation bien dominée.

Andrzej Dobber, Ermonela Jaho, Pavel Černoch © Stofleth
Andrzej Dobber, Ermonela Jaho, Pavel Černoch © Stofleth

Pavel Černoch dans Gabriele Adorno est sans doute pour moi l’une des révélations de la soirée. J’avais déjà entendu ce chanteur à Berlin dans Butterfly, très honnête Pinkerton (dirigé par Andris Nelsons), il est ici un Adorno qui existe (ce n’est pas toujours le cas) totalement incarné, avec une intensité rarement atteinte dans son air du II Sento avvampar nell’anima. D’ailleurs, la mise en scène en fait un personnage lacéré, presque tragique et lui donne un poids inhabituel. Il se révèle l’un des Adorno les meilleurs qu’on puisse entendre aujourd’hui. Un nom à retenir, et un triomphe mérité aux saluts. Ricardo Zanellato est aussi un Fiesco très efficace. Ce chanteur est de solide niveau pour les personnages qu’il incarne habituellement. Dans Fiesco, il y a un plus : il n’a pas la profondeur sonore d’un Ghiaurov ou même d’un Raimondi, mais il propose un Fiesco plus humain, presque plus tendre, qui donne à la scène finale et au duo avec Simon une profondeur humaine réelle. Une prestation  remarquable à l’actif d’un chanteur plutôt discret dans le paysage d’aujourd’hui, qu’on espère voir plus souvent sur les scènes européennes. DobberEnfin, Simon Boccanegra, c’est Andrzej Dobber, une basse chantante. Le rôle est écrit pour un baryton, c’est même l’un des très grands rôles de baryton : il fut chanté par Cappuccilli, qui l’a chanté partout, comme Renato Bruson, l’autre baryton italien… Aujourd’hui je serais bien en peine de citer un baryton (Domingo est hors course évidemment) capable de tenir le rôle…enfin, oui, il y en aurait un, c’est Ludovic Tézier qui est fait pour; il en aura la noblesse, l’élégance et la puissance. On aurait pu rêver que Tézier, si lié à Lyon prenne le rôle à cette occasion, mais il doit faire son 1234ème Germont à l’Opéra Bastille pour une vraie nouveauté : La Traviata…un événement paraît-il…laissez moi rire. Dobber est un chanteur qui travaille essentiellement en Allemagne, un des bons chanteurs du marché d’aujourd’hui. Mais Simon n’est pas vraiment fait pour lui, notamment toute la première partie (Prologue et premier acte) : phrasé discutable, diction problématique, aigus serrés, chant tout en force, toujours poussé notamment à l’aigu, et donc peu d’élégance et peu de style. C’est mieux dans la deuxième partie, le personnage, plus las, peut afficher une voix fatiguée et donc Dobber est plus à l’aise. Tout l’acte III est vraiment bien dominé, voire émouvant, et il a des accents qui rappellent Van Dam, ce qui est plutôt bon signe. Mais cette émission voilée, cette voix un peu sourde ne convient pas au rôle et ne convainc pas. Un Simon discutable pour un Simon Boccanegra convaincant, c’est le seul point un peu gris d’une entreprise très bien défendue par ailleurs ; le succès auprès du public lyonnais a été total, de longs applaudissements, fournis, répétés pour une œuvre qui malgré sa renaissance, reste relativement rare sur les scènes : il est vrai qu’elle exige un vrai cast, et un chef ; c’est une prise de risque pour bien des théâtres. Mais qui ne risque rien n’a rien, chi non risica non rosica. Et l’Opéra de Lyon à cette occasion a rosicato. Il mérite les roses. [wpsr_facebook]

Saluts le 11 juin
Saluts le 11 juin

TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: MANON de J.MASSENET le 19 Juin 2012 (Dir.mus: Fabio LUISI, Ms en scène: Laurent PELLY)

Le Cours la Reine, Acte II - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

Sans doute suis-je de parti pris. Mais je n’aime pas Manon. Autant j’aime le roman de Prévost, autant j’écoute avec plaisir la Manon Lescaut de Puccini, autant celle de Massenet m’indiffère, et m’ennuie. Je trouve le tout début longuet, avec son ambiance « opérette » et il faut attendre de bien longues minutes le commencement de l’action. Le troisième acte (Saint Sulpice) et les deux derniers se sauvent par une action dramatique plus serrée, le dernier acte est assez poignant, mais pour accéder à ces moments, il faut passer par de grands trous noirs.
Néammoins, présent en Italie pour d’autres motifs, je n’ai pas résisté à aller à la Scala pour la Première de cette Manon, mise en scène de Laurent Pelly, dirigée par Fabio Luisi, qui a eu bien des mésaventures: Natalie Dessay initialement prévue a déclaré forfait. Anna Netrebko, qui connaît la production pour avoir chanté le rôle cette année au MET, a été appelée et était affichée pour les deux premières représentations, le reste étant donné à la jeune et valeureuse albanaise Ermonela Jaho, vue dans Traviata à Lyon et qui l’une des valeurs montantes du chant. Las, Anna Netrebko a annulé ses deux représentations et c’est Ermonela Jaho qui assume toutes les représentations . Loi des séries, ou conséquence d’un système qui finit par épuiser les chanteurs qui sautent d’un avion à l’autre? Netrebko et Kaufmann ont beaucoup annulé ces derniers temps et Natalie Dessay n’est pas bien en forme vocalement.

Saint Sulpice - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

N’importe, Ermonela Jaho et Matthew Polenzani sont de beaux artistes, et la soirée pouvait s’annoncer positive.
Manon n’est pas un rôle facile, la première partie est un peu légère, rôle enfantin, une sorte de soubrette avec des aigus faciles, l’orchestre devient de plus en plus prégnant dans les parties dramatiques et la voix doit évidemment exister face à un orchestre plus épais, des sopranos légers: Damrau, Dessay bien sûr l’ont affronté, et s’en sont sorties avec les honneurs professionnels, ce sont des dames du chant qui savent esquiver les difficultés. Netrebko avait il ya cinq ou six ans la voix exacte du rôle; il n’est pas sûr qu’elle l’ait aujourd’hui, où la voix s’est élargie, mais a perdu en soyeux et en timbre ce qu’elle a gagné en volume; il reste que c’est une grande artiste. Il faut aussi comprendre ce qui est dit et surtout, français oblige, avoir une diction impeccable.
Ermonela Jaho a les aigus, qu’elle négocie bien la plupart du temps, mais elle n’a pas beaucoup de grave, n’a pas non plus toujours le volume et surtout, n’a absolument pas la diction: on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’elle chante, et dans les parties plus parlées, son accent empêche son discours de passer la rampe. Il en résulte l’impression que le texte n’est pas toujours compris, et des difficultés à rentrer dans le rôle. Plus adaptée au départ au rôle de petite gamine de 16 ans qui domine le début, c’est joli, c’est propre, c’est frais; elle n’arrive pas à faire évoluer le personnage, joue la sensualité mais n’a aucune vraie sensualité en scène, et peu d’aura; de plus, dans la scène de Saint Sulpice, rate quelques aigus en proférant des sons pas très propres.
Sa prestation n’est pas scandaleuse, et d’ailleurs elle remporte un joli succès public (sans excès cependant) et ne se fait pas huer du public du « loggione » toujours prompt à défendre violemment les valeurs du chant. Elle a des moments plus émouvants (la fin évidemment), mais dans l’ensemble elle m’a laissé totalement froid, voire agacé de ne pas voir le personnage exister vraiment.
Matthew Polenzani n’a pas son problème de diction: son français est impeccable. Mais il faut attendre le dernier acte pour voir sortir les tripes. L’ensemble reste peu « senti », peu concerné, et si le chant est très correct et appliqué, il ne sort pas d’une élégance un peu froide. Ce chanteur est un joli styliste, je l’ai entendu dans du bel canto qu’il fait très bien, mais pour Des Grieux, il faut du relief, de la passion, de la tripe, je le répète. Il est magnifique au cinquième acte et il se passe quelque chose, mais il faut attendre quatre actes et c’est un peu pénible.
Un couple Manon-Des Grieux qui n’a pas le potentiel d’émotion et de passion voulu, (le premier acte est gentil sans plus) même si globalement, le chant n’est pas scandaleux, nous n’y sommes pas vraiment  et nous sommes un peu frustrés.
Le Lescaut de Russell Braun, sans être une voix exceptionnelle, a lui aussi une diction française modèle, et au moins est bon acteur, le Des Grieux de Jean-Philippe Lafont est encore bien sonore, il est vrai que ses interventions sont limités, mais cela fait plaisir de le revoir et d’entendre encore cette voix brillante. Le Guillot de Morfontaine de Christophe Mortagne en fait des tonnes, finit par être un peu vulgaire: ténor de caractère certes, ridicule certes, mais lassant. William Shimell ne fut jamais une jolie voix, mais il fut un joli personnage lorsqu’il était sur scène: mais là, c’est insupportable. La voix est vieillie, le timbre vilain, le français peu audible et Pelly en fait une sorte de pendant/pantin de Guillot, sans qu’on  voie le personnage exister. On ne cesse de grimacer en l’entendant. Notons les jolies Poussette (Linda Jung), Javotte(Louise Innes)et Rosette (Brenda Patterson).

Fabio Luisi

La surprise agréable vient de Fabio Luisi. Il réussit à faire ressortir de la fosse tout ce que la partition peut avoir de raffiné, c’est intense sans être tonitruant, c’est dramatique sans jamais couvrir les voix, un vrai travail de « concertazione ». Du Ring de New York à Manon (à New York et Milan), Fabio Luisi fait là un grand écart éclectique: mais il est vrai que ses années de série B dans les théâtres européens en font un des chefs qui a le répertoire le plus large. Luisi n’est pas un chef exceptionnel, ou très original, mais il est toujours juste, toujours en place, toujours sûr. Il était temps que la Scala fasse appel à lui, et je l’ai écrit ailleurs, on commence à le voir partout. Tant mieux. Hier pour moi, c’est lui que je retiendrai, car l’orchestre était vraiment présent, et il faisait (presque) aimer cette partition.
La mise en scène de Laurent Pelly est « alimentaire ». Laurent Pelly est un metteur en scène talentueux quelquefois, qui sait trouver avec sa complice Chantal Thomas des images justes. Je me souviens d’une représentation du Songe de Strindberg où la première image était un choc. Et puis suivie de trois heures d’un mortel ennui.
Il sait construire un propos ironique (voir la Fille du Régiment), sait réussir des spectacles « sur le moment »: il n’en reste pas vraiment grand chose après. Il a un vrai talent, mais il n’est pas sûr qu’il aille jusqu’au bout. Il préfère sans doute faire de la grande série  comme cette Manon XIXème pour souligner l’époque de la création plus que l’époque de l’histoire, mais sans rien dire de plus: cela ne change rien sinon au quatrième acte de voir clairement le père Des Grieux furieusement ressembler au père Germont de Traviata: intéressant, ce fil rouge des pères la morale, mais sans aller plus loin. On aurait tout fait en costume XVIIIème cela ne changeait pas le propos. De même la distance ironique, qu’on voit dans le traitement de Guillot de Morfontaine, est plus excessive que raffinée.
Le décor est assez stylisé, l’espace bien géré (joli décor de mansarde).

Hôtel de Trasylvanie Acte IV - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

La scène la mieux réglée est sans doute celle de l’hôtel de Transylvanie, avec son espace sur plusieurs hauteurs et ses éclairages. Mais s’ il suit l’intrigue, il ne la clarifie pas: la manière dont Lescaut fait s’éloigner les soldats qui accompagnent Manon sur la route du Havre n’est pas claire, et plusieurs fois, ce qu’on voit n’a pas cette clarté qui traduit scéniquement l’intrigue: l’enlèvement de Des Grieux est ridicule, la triche à l’hôtel de Transylvanie peu claire, l’entrée des agents malaisée. Plein de petits détails qui déçoivent: le Cours la Reine manque de brio, les mouvements sont mal construits. En bref un travail très superficiel, où la patte Pelly se note rarement. Dommage.
Au total, une soirée passable, qui n’a aucune accroche scénique vraiment forte, peu d’accroche vocale malgré une certaine qualité, incontestablement, mais pas toujours adéquate à l’œuvre; la seule source de vraie satisfaction est une direction musicale de grand niveau. Il faudra peu-être attendre quelques jours pour le tout se raffermisse. Mais je n’irai pas revoir Manon de si tôt.
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