LES SAISONS 2016-2017 (3): KOMISCHE OPER BERLIN

Die Zauberflöte Prod. Susanne Andrade (1927) ©Iko Freese :drama-berlin.de
Die Zauberflöte Prod. Susanne Andrade (1927) ©Iko Freese :drama-berlin.de

On pourrait penser à d’autres théâtres plus prestigieux, plus conformes aux étapes  habituelles du mélomane voyageur: Royal Opera House, MET, La Monnaie, Amsterdam, mais  c’est décidément la Komische Oper de Berlin qui a ma préférence. D’abord parce que c’est un lieu qui a une histoire culturelle forte, et qui a traversé la fin de l’Empire allemand, la république de Weimar, le nazisme, la DDR, et les bouleversements de la réunification sans abdiquer sa nature profonde, au point que le mensuel Opernwelt lui a décerné le titre envié d’Opéra de l’année en 2007 et en 2013.
La Komische Oper, c’est l’histoire d’un théâtre mythique, qui s’appelle Theater in der Behrensstrasse au XVIIIème où ont été créés Goetz de Berlichingen de Goethe ou Nathan der Weise de Lessing, puis à la fin du XIXème Theater Unter den Linden et bientôt Metropol Theater : il y a toujours eu un théâtre là où existe aujourd’hui la Komische Oper. Le Metropol Theater a été le théâtre mythique de l’Opérette et des revues satiriques dans la Berlin des débuts du XXème jusqu’aux années 30, mais l’abondance de compositeurs juifs qui ont dû fuir le nazisme a interrompu cette fête permanente.  Après la 2ème guerre mondiale, il rouvre en 1947 (miraculeusement, alors que le bâtiment a été bombardé et détruit, la salle est intacte, dans son style néo baroque de la fin du XIXème) et devient, sous la direction de Walter Felsenstein, un des lieux fondateurs de l’école de mise en scène moderne, universellement admiré dans le monde du théâtre. La Komische Oper de Berlin s’inscrit dans la tradition d’un théâtre ouvert et populaire (les prix pratiqués sont très raisonnables) et l’appellation « Komische Oper » s’inscrit là aussi dans une tradition née au XVIIIème en France qui a fait de l’Opéra Comique la réponse « populaire » à l’Opéra. C’est donc une scène « alternative » au sens où elle montre d’autres voies possibles, notamment en matière de mise en scène, c’est sa tradition, mais aussi de répertoire car l’opérette y tient une place non négligeable. Ainsi parmi les trois opéras berlinois, la Komische Oper est « différente » ; aussi invité-je ceux qui passent par Berlin de ne jamais oublier que c’est la Komische Oper qui est dépositaire de la tradition berlinoise moderne, plus que les deux autres institutions, aussi importantes soient-elles, et donc d’y aller faire un tour.

Le metteur en scène australien Barrie Kosky  en est actuellement l’intendant, c’est un homme à tout faire ( et notamment un nombre respectable de productions) qui a réorienté la politique de la maison dans plusieurs directions :

  • Le répertoire baroque : ses spectacles d’ouverture lorsqu’il a pris les rênes de la maison ont été la trilogie monteverdienne, un triomphe auprès du public, d’autant que la salle de 1200 places aux dimensions moyennes le permet.
  • L’opérette berlinoise, et notamment celle qui avait été ostracisée par les nazis, celles des années 20 et qui triompha sur la scène du Metropol
  • L’accueil d’un nouveau public, et notamment de l’importante communauté turque qui habite Berlin : ainsi, les surtitrages sont systématiquement en turc, entre autres langues, et la politique des publics est soucieuse de cette population.
  • Auparavant, tous les opéras étaient donnés en langue allemande (comme à la Volksoper de Vienne). Désormais, les opéras sont donnés en langue originale.
  • Et bien sûr, la continuation d’une tradition d’innovation scénique, d’appel à de nouveaux metteurs en scène (notamment anglo saxons comme “1927”, Benedict Andrews ou Keith Warner) et à des expériences scéniques différentes. N’oublions pas que les Hans Neuenfels, Harry Kupfer, Andreas Homoki (qui fut intendant avant Kosky) et bien d’autres ont beaucoup fréquenté cette maison, dans le sillage de la tradition instituée par Walter Felsenstein

Pour 2016-2017, voici les nouvelles productions :

Octobre 2016: Il barbiere di Siviglia de G.Rossini pour 12 représentations dans l’année (jusqu’en juillet), une nouvelle production signée Kirill Serebrennikov, metteur en scène russe à succès en Russie (Le Coq d’Or au Bolshoï) qui a présenté « Les idiots » en 2015 au Festival d’Avignon, et au pupitre Antonello Manacorda, ex-premier violon du Lucerne Festival Orchestra qui a embrassé la carrière de chef d’orchestre. C’est le très talentueux ténor Tansel Akzeybek qui sera Almaviva aux côtés de la Rosine de Nicole Chevalier, membre de la troupe d’origine américaine qui chantera la version pour soprano.

Novembre 2016 : Peter Pan de Richard Ayres, un opéra pour enfants (11 représentations jusqu’à février 2017), dans une mise en scène de Keith Warner et dirigé par Anthony Bramall. Sur commission conjointe de l’Opéra de Stuttgart et de la Komische Oper. L’Opéra pour enfants « comme des grands ».

Décembre 2016 : Période de Noël, période d’opérette.

Die Perlen der Cleopatra, d’Oscar Straus. Une opérette folle, une Egypte berlinisée, avec l’équipe de Ball im Savoy (fantastique spectacle) emmenée par la star Dagmar Manzel qui a aussi à son actif la recréation cette saison de Eine Frau, die weiß, was sie will!, un étourdissant show créé lui aussi au Metropol Theater en 1932 adapté en français en Madame, je veux en 1935. Oscar Straus (sans le s final, pourtant dans son vrai nom , pour le pas être confondu avec les autres Strauss) d’origine juive, a dû fuir le nazisme à l’Anschluss, se réfugier en France, puis à Hollywood, on lui doit des opérettes très célèbres dont Rêve de Valse et Trois Valses.
Dagmar Manzel et le chef Adam Benzwi feront revivre ce délire (créée au Theater an der Wien en 1923 entre autres par Richard Tauber), satire de la culture bourgeoise dans une mise en scène de Barrie Kosky, comme le fol et joyeux Ball im Savoy. À ne manquer sous aucun prétexte pour se réconcilier avec l’opérette.

Marinka d’Emmerich Kálmán. Encore un compositeur d’opérettes à succès, contraint de s’exiler parce que juif (même si, dit-on, Hitler adorait tellement ses opérettes qu’il lui offrit le tire d’Aryen d’honneur) on lui doit notamment Princesse Czardas et Comtesse Maritza. Marinka est une opérette créée à New York en 1945, qui revient à Berlin sous forme concertante (avec costumes) pour deux soirs seulement. (Direction musicale Koen Schoots)

Janvier 2017 : Petrouchka (Stravinsky)/L’Enfant et les sortilèges (Ravel), par la troupe « 1927 ». Après l’immense succès (exporté jusqu’à Los Angeles) de Zauberflöte (un spectacle à voir séance tenante, on le joue chaque année et aussi l’an prochain) , « 1927 », ce très célèbre groupe britannique, c’est à dire Suzanne Andrade, Esme Appleton et Paul Barritt  pour les animations reviennent pour un binôme musical qui devrait encore ravir par l’originalité du travail. La direction musicale est assurée par Markus Poschner, qui fut 1.Kappelmeister à la Komische Oper, actuellement GMD à Brème jusqu’à l’an prochain. Il va prendre la direction du Linz Bruckner Orchester comme successeur de Dennis Russell Davies, à partir de la saison 2017-2018
En Coproduction avec  la Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf/ Duisburg.

Avril 2017 : La foire de Sorotchinzy de Modest Moussorgski (en langue russe). Un Moussorgski rare, dirigé par le GMD Henrik Nánási, un chef remarquable, et mis en scène par Barrie Kosky pour 7 petites représentations qu’il ne faudra sûrement pas manquer entre avril et juillet 2017. La version proposée est celle de Pavel Lamm (1932) orchestrée par Wissarion Jakowlewitsch Schebalin. L’œuvre inspirée d’une nouvelle de Gogol a attendu longtemps après la mort de Moussorgski pour être créée (1911 à Saint Petersburg) La version reconstituée la plus commune est celle de Nicolaï Tcherepine, mais la Komische Oper a choisi le travail de Pavel Lamm, considéré comme plus proche de Moussorgski.Deux remarques :

  • Une nuit sur le Mont chauve (1867) a été introduit par Moussorgski dans l’oeuvre comme une sorte de cauchemar d’un des personnages, Grizko.
  • L’œuvre manque à Berlin depuis 1948, où elle a été créée à la Komische Oper sans jamais être reprise ni depuis, ni ailleurs.

Beaucoup de raisons réunies pour ne pas manquer de faire le voyage de Berlin, d’autant qu’avril est toujours riche en musique (Festtage de la Staastoper).

Mai 2017 : Medea, d’Aribert Reimann d’après Franz Grillparzer (7 représentations de mai à Juillet). Créé en 2010 à l’Opéra de Vienne avec un énorme succès puis repris à Francfort, c’est la création à Berlin, dans une mise en scène de l’australien Benedict Andrews, à qui l’on doit la production locale de L’Ange de Feu de Prokofiev qu’on verra à Lyon la saison prochaine et dirigée par Steven Sloane, un chef passionné par le répertoire contemporain. Avec Nicole Chevalier, Nadine Weissmann, Günter Papendell.

Juin 2017 : Zoroastre, de Jean-Philippe Rameau (6 représentations en juin et juillet). Barrie Kosky continue de proposer à Berlin des opéras du répertoire baroque.  Une production qui attire les mouches à mises en scène dont je suis puisque c’est Tobias Kratzer ( Les Huguenots, Le Prophète, Die Meistersinger pour ne citer que les productions que j’ai vues) qui mettra en scène l’œuvre de Rameau, tandis que le chef Christian Curnyn, spécialiste de ce répertoire et bel interprète de Rameau, dirigera la formation de la Komische Oper.

On peut rajouter que celui qui passe une semaine à Berlin début juillet peut voir toutes les nouvelles productions de l’année en un Festival annuel (du 8 au 16 juillet 2017).

Du côté des reprises et du répertoire, ce n’est pas si mal et j’ai essayé de sélectionner :

Die Frau die weiss was Sie will Prod. Barrie Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de
Die Frau die weiss was Sie will Prod. Barrie Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de

Septembre 2016 : Eine Frau die weiss was sie will , d’Oscar Straus, l’ébouriffant succès de cette saison repris pour 8 représentations de septembre à décembre 2016, production de Barrie Kosky dirigée par Adam Benzwi avec Dagmar Manzel et Max Hopp. À ne manquer sous aucun prétexte si vous êtes à Berlin à cette période.

Die Meistersinger von Nürnberg, Prod.Homoki ©Monika Rittershaus
Die Meistersinger von Nürnberg, Prod.Homoki ©Monika Rittershaus

Octobre 2016 : Die Meistersinger von Nürnberg, de R.Wagner, reprise de la production d’Andreas Homoki d’il y a quelques années pour 4 représentations en septembre et octobre . N’oublions pas que Meistersinger est qualifié par Wagner de « grosse komische Oper » et a droit à ce titre à la scène de la Komische Oper de Berlin. C’est Patrick Lange, excellent chef trop peu connu qui dirigera et Hans Sachs sera Tomas Tomasson, Walther, Will Hartmann et Ev,a Johanni van Oostrum.

Rusalka de A. Dvořák pour 6 représentations d’octobre à décembre 2016, dans la mise en scène de Barrie Kosky, dirigé par Henrik Nánási, le GMD. Cela promet du très bon niveau et Nadine Weissmann, la Erda et la Waltraute de Bayreuth, sera ici Ježibaba.

Die Zauberflöte de W.A. Mozart. On aurait bien été étonné qu’une production fétiche de cette maison qui est un must, qu’il faut avoir vue, n’apparaisse pas dans les reprises de l’année. 11 représentations entre octobre 2016 et janvier 2017, sous la direction de Henrik Nánási, la production de Susanne Andrade et du groupe 1927 aura pour couple Pamina/Tamino Nicole Chevalier et Tansel Akzeybek. Manqueriez-vous cela ? Ce serait une erreur, pire, une faute.
Novembre 2016 :

Eugène Onéguine, de P.I.Tchaïkovski, dans une mise en scène de Barrie Kosky (en coproduction avec Zürich) et dirigé par Henrik Nánási, pour 8 représentations entre novembre 2016 et janvier 2017. C’est Günter Papendell un bon chanteur de la troupe, qui sera Eugène Onéguine.

Février 2017 :

Les Contes d'hoffmann Prod.Kosky ©Monika Rittershaus
Les Contes d’hoffmann Prod.Kosky ©Monika Rittershaus

Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, 7 représentations entre février et avril 2017 de la production de Barrie Kosky avec ses trois Hoffmann (les trois ténors : Uwe Schönbeck, Tom Erik Lie, Alexander Lewis)et son unique poupée (Nicole Chevalier), dirigé par le très bon Stefan Soltesz.

Ball im Savoy de Paul Abraham, l’opérette qu’il faut avoir vue (une de plus): dans une Nice qui ressemble à Berlin, la rouerie des femmes et la balourdise des hommes, avec un gentil diplomate turc Mustafa Bey qui aujourd’hui ferait scandale. Adam Benzwi dirige bien sûr, Barrie Kosky met en scène bien sûr, et bien sûr Dagmar Manzel emporte la joyeuse troupe. J’ai vu, j’ai rendu compte, j’ai envie de revoir. (8 représentations entre février et avril 2017)

Orfeo par Barrie Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de
Orfeo par Barrie Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de

L’incoronazione di Poppea, de Cl.Monteverdi (nouvelle instrumentation d’Elena Kats-Chernin) reprise de la production inaugurale de 2012 alors en trilogie (Orfeo, Poppea, Ulisse) de Barrie Kosky pour 5 représentations d’avril à juin, dirigé par Matthew Toogood (avril)/André de Ridder avec une distribution qui change selon les dates.
Orfeo, de Cl.Monteverdi (nouvelle instrumentation d’Elena Kats-Chernin), reprise de la production inaugurale de 2012 alors en trilogie de Barrie Kosky pour 5 représentations de juin à juillet dirigée par Matthew Toogood (juin)/André de Ridder.

 

Dans les reprises, on peut aussi voir Don Giovanni, My fair Lady et Carmen, mais déjà le choix est large.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas la Komische Oper ou qui auraient envie de faire l’expérience, je conseille inévitablement de voir une opérette, ou bien Ball im Savoy, ou bien la nouvelle production Die Perlen der Cleopatra ; comme je le répète à mes amis qui naviguent entre Wagner, Verdi et Strauss (Richard), il peut être intéressant de découvrir une autre musique, complètement différente, mais de très grande qualité. Dans le cas d’Oscar Straus, il a traversé les deux guerres mondiales (né en 1870, il meurt en 1954) et a vécu aussi bien à Berlin (où il a étudié auprès de Max Bruch) qu’à Vienne, de plus contrairement à d’autres musiciens qui ont fui le nazisme, il est revenu en Autriche où il est mort. Le genre léger de l’opérette n’est pas dédaigné outre Rhin, y compris par les grands chefs ou les grands chanteurs.

Il y a de nombreux motifs de fréquenter la Komische Oper la saison prochaine, même si on peut s’étonner que Barrie Kosky signe tant de productions. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose dans la mesure où Kosky est vraiment l’un des metteurs en scènes intéressants de la scène lyrique européenne. Dans un théâtre où la plupart des intendants sont historiquement tous les metteurs en scène, Walter Felsenstein, Joachim Herz, Harry Kupfer (même si il a été flanqué de Werner Rackwitz, ce qui fut plutôt une chance sous la DDR, puis d’Abert Kost les dernières années) Andreas Homoki et maintenant Barry Kosky, il n’est pas absurde que l’intendant signe de nombreuses productions donnant une couleur au théâtre : humour, bonne humeur, imagination, mais aussi causticité, culture et largeur de vues sont sa signature.  Sa personnalité très fédératrice soude profondément la troupe et les travailleurs de la maison, ce qui est un autre avantage. Et ce qui ne gâte rien, rares sont les productions médiocres ou sans intérêt, avec une troupe solide sans être exceptionnelle, un orchestre sans doute moins prestigieux que les orchestre des deux autres opéras, mais un GMD (Generalmuskidirektor) de très grande qualité (Henrik Nánási), la Komische Oper est un théâtre d’où l’on sort rarement déçu. [wpsr_facebook]

Eugène Onéguine, Prod.Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de
Eugène Onéguine, Prod.Kosky ©Iko Freese :drama-berlin.de

 

 

 

 

 

LES WANDERUNGEN DU WANDERER: LES STATIONS de la PASSION. LA TABLE DES MATIÈRES 2013

Les 132 articles de l’année 2013

Janvier 2013 (8)

Les Troyens au cinéma (MET HD)
La succession de Sir Simon Rattle est ouverte (Actualité)
Der fliegende Holländer (Budapest)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (Bayerische Staatsoper München)
Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Bayerische Staatsoper München)
Concert: Münchner Philharmoniker-Ingo Metzmacher-Michael Volle/Berg-Mahler-Pfitzner-Wagner (Philharmonie in Gasteig München)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayerische Staatsoper München)

Février 2013 (15)

Der Ring des Nibelungen, de Beckham à Wagner, une rêverie (Bayerische Staatsoper München)
Falstaff (Scala)
Nabucco (Scala)
La Traviata (Grand Théâtre de Genève)
Après Genève, La Traviata, promenade dans la discothèque (Grand Théâtre de Genève)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (Opéra de Paris)
Parsifal (MET-New York)
Rigoletto (MET-New York)
Théâtre: Sommergäste (Les estivants) (Schaubühne Berlin)
Concert: Gewandhausorchester-Riccardo Chailly/Mendelssohn-Schlee-Mahler (Gewandhaus Leipzig)
Sur Wolfgang Sawallisch (In memoriam)
Die Feen (Oper Leipzig)
Opéra de Paris, saison 2013-2014 (Actualité)
MET, saison 2013-2014 (Actualité)
DNO Amsterdam, saison 2013-2014 (Actualité)

Mars 2013 (12)

Remarques rêveries sur le Parsifal du MET (MET HD)
Teatro Real & Liceu Barcelona, saisons 2013-2014 (Actualité)
Das Rheingold (Grand Théâtre de Genève)
Der fliegende Holländer (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado-Martha Argerich /Mozart-Beethoven (Lucerne Festival)
Théâtre: Phèdre (Comédie Française)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Britten (Lucerne Festival)
Concert: Symphonieorchester BR-Mariss Jansons/Beethoven-Chostakovitch (Lucerne Festival)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann/Brahms (Osterfestpiele Salzburg 2013)
Concert: Staatskapelle Dresden-Christian Thielemann-Yefim Bronfman/Henze-Beethoven-Brahms (Osterfestspiele Salzburg 2013)
Parsifal (Bayerische Staatsoper München)
Parsifal (Osterfestspiele Salzburg)

Avril 2013 (11)

Der Ring des Nibelungen: Siegfried (Opéra de Paris)
Opéra National de Lyon, la saison 2013-2014 (Actualité)
Il Prigioniero/Erwartung (Opéra de Lyon)
Macbeth (Scala)
Claude (Opéra de Lyon)
Concert: Mahler Chamber Orchestra – Claudio Abbado-Martha Argerich/Beethoven-Mendelssohn (Salle Pleyel, Paris)
Théâtre: Le Misanthrope (Sivadier) Comédie de Valence
Bayerische Staatsoper, la saison 2013-2014 (Actualité)
Grand Théâtre de Genève, la saison 2013-2014 (Actualité)
Wiener Staatsoper, la saison 13-14 (Actualité)
Staatsoper Berlin/Deutsche Oper Berlin, saisons 13-14 (Actualité)

Mai 2013 (12)

Oberto conte di San Bonifacio (Scala)
Concert: Orchestra Mozart-Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino- Claudio Abbado/Wagner-Verdi-Berlioz (Teatro Comunale Firenze)
Oper Frankfurt Saison 2013-2014 (Actualité)
ROH Covent Garden et ENO, saisons 2013-2014 (Actualité)
Capriccio (Opéra de Lyon)
Der Fliegende Holländer (Staatsoper Berlin)
Le Grand Macabre (Komische Oper Berlin)
Concert: Berliner Philharmoniker-Claudio Abbado/Mendelssohn-Berlioz (Philharmonie Berlin)
Teatro alla Scala, saison 2013-2014 (Actualité)
Der fliegende Holländer (MC2 Grenoble)
Le Vaisseau fantôme ou le maudit des mers (MC2 Grenoble)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Scala)

Juin 2013 (8)

La Gioconda (Opéra de Paris)
Alexander Pereira, nouveau sovrintendente de la Scala (Actualité)
Rigoletto à Vernier (Le Lignon, Stadttheater Biel)
Die Meistersinger von Nürnberg (Amsterdam DNO)
Concert: Orchestra Mozart-Claudio Abbado/Beethoven-Mozart-Haydn-Prokofiev (Salle Pleyel, Paris)
Cosi fan tutte (Teatro Real à la TV)
Bon anniversaire Claudio (Actualité)
Interview de Claudio Abbado dans Die Zeit (Actualité)

Juillet 2013 (14)

Die Zauberflöte (Opéra de Lyon)
Concours international de Chant Toti dal Monte (Trévise)
Rienzi (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Das Liebesverbot (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Der Ring des Nibelungen, Siegfried (Münchner Opernfestspiele 2013)
Otello (Münchner Opernfestspiele 2013)
Wagnerjahr 2013, Frühwerke: quelques questions sans réponses (Bayreuth 2013 – Wagnerjahr)
Elektra (Aix 2013)
Don Giovanni (Aix 2013)
Rigoletto (Aix 2013)
Un ballo in maschera (Scala)
Don Carlo (Münchner Opernfestspiele 2013)
Boris Godunov (Münchner Opernfestspiele 2013)
Der Ring des Nibelungen, ce qu’on en dit (Bayreuth 2013)

Août 2013 (11)

Sur Regina Resnik (In memoriam)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Brahms-Schönberg-Beethoven (Lucerne Festival 2013)
Tannhäuser (Bayreuth 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (Bayreuth 2013)
Der fliegende Holländer (Bayreuth 2013)
Concert: Percussive Planet Ensemble-Martin Grubinger/Xenakis-Bartok (Lucerne Festival 2013)
Die Meistersinger von Nürnberg (Salzburg 2013)
Concert: Lucerne Festival Orchestra-Claudio Abbado/Schubert-Bruckner (Lucerne Festival 2013)
Norma (Salzburg 2013)
Claudio Abbado nommé “Senatore a vita” (Actualité)
Der Ring des Nibelungen: Das Rheingold (version de concert) Lucerne Festival 2013

 

Septembre 2013 (12)

Orphée et Eurydice (version de concert) (Festival Berlioz)
Der Ring des Nibelungen: Die Walküre (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Concertgebouw-Gatti/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Der Ring des Nibelungen: Die Götterdämmerung (version de concert) (Lucerne Festival 2013)
Concert: Maurizio Pollini (Schönberg-Schumann-Chopin) (Lucerne Festival 2013)
Gérard Mortier limogé du Teatro Real (Actualité)
Claudio Abbado annule sa tournée au Japon (Actualité)
Arrivée anticipée de Stéphane Lissner à Paris (Actualité)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons-Uchida/Beethoven-Berlioz (Lucerne Festival 2013)
Concert: Symphonieorchester BR-Jansons/Mahler (Lucerne Festival 2013)
Alceste (Opéra de Paris)
Concert: Budapest Festival Orchestra-Ivan Fischer/Bartok-Dvorak (Lucerne Festival 2013)
Concert: Philharmonia Orchestra/Esa-Pekka Salonen (Lucerne Festival 2013)

Octobre 2013 (13)

Falstaff (Opéra de Budapest)
Die Soldaten-1 (Opernhaus Zürich)
Patrice Chéreau (In memoriam)
Aida (Opéra de Paris)
Les Dialogues des Carmélites-1 (Opéra de Lyon)
Les Noces de Figaro d’après Mozart (Odyssée – Eybens)
Les Dialogues des Carmélites-2 (Opéra de Lyon)
Théâtre: Lucrèce Borgia (Athénée)
Concert: ONF-Gatti/Haydn-Ravel-Tchaïkovski (TCE)
Lucerne 2014: La programmation de Pâques 2014 (Lucerne Festival)
Lucerne 2014: La programmation de l’été et de l’automne (Lucerne Festival)
Inauguration Académie Liszt de Budapest (Liszt Academy)
Die Soldaten-2 (Opernhaus Zürich)

Novembre 2013 (7)

Der fliegende Holländer (Geneva Wagner Festival, BFM-Genève)
Théâtre: L’Avare (Toneelgroep Amsterdam) (MAC Créteil)
Norma (version de concert) (Opéra de Lyon)
Théâtre: Le Conte d’hiver (MC2 Grenoble)
Elektra (Opéra de Paris)
Mémopéra, l’opéra et la mémoire (Opéra de Paris)
I Puritani (Opéra de Paris)

Décembre 2013 (9)

Die Frau ohne Schatten (1) (Bayerische Staatsoper München)
Die Frau ohne Schatten (2) (Bayerische Staatsoper München)
La Traviata (Scala)
Les contes d’Hoffmann (Opéra de Lyon)
Les Dialogues des Carmélites (TCE)
La Grande Duchesse de Gerolstein (Athénée)
Méditation sur Forza del destino (streaming)
Les Wanderungen 2013 du Wanderer (Blog Wanderer)
Le Palmarès 2013 du Blog du Wanderer (Blog Wanderer)

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KOMISCHE OPER BERLIN 2012-2013: LE GRAND MACABRE de György LIGETI (Dir.Mus: Baldur BRÖNNIMANN; Mise en scène: Barrie KOSKY)

©Monika Rittershaus

Plus je viens à la Komische Oper, et plus je pense qu’il s’agit du théâtre d’opéra le plus original et le plus stimulant que je connaisse. C’est d’abord un théâtre où l’on se sent bien, très détendu, “cool” au meilleur sens du terme. C’est aussi une institution dont l’offre diversifiée s’adresse à des publics segmentés, très divers selon les soirées: plus âgé pour l’opérette, très scolaire pour les grands classiques (Carmen), jeune et branché ce soir pour ce Grand Macabre dont certains spécimens feraient bondir les habitués des “manifs pour tous” pour qui ce spectacle il faut le dire sans le déplorer, n’est pas fait. Une de mes amies ayant organisé un voyage à Berlin a emmené ses élèves voir la Carmen de Sebastian Baumgarten, ils ont été surpris de l’ambiance détendue, enthousiasmés par le spectacle et en tant que scolaires ont payé 5 € le billet…
Bref, je ne saurais trop engager les visiteurs de Berlin à aller voir un spectacle à la Komische Oper: en ce moment, champions toutes catégories, je conseille le succès foudroyant de Zauberflöte, une mise en scène de Barrie Kosky qui fait courir Berlin, celui de Xerxès, mise en scène de Stephan Herheim, et je conseille ce Grand Macabre, reprise retravaillée d’une mise en scène de 2003, mais faites vite car ce ne sera pas à l’affiche l’an prochain.
Les amateurs d’opéra un peu murs se souviendront sans doute de la Première parisienne, à Garnier, du Grand Macabre, au début des années 1980. L’opéra commençait (mise en scène Daniel Mesguich), le chef était là, et dès la première mesure, un chef surgissait, assommait le chef en place au pupitre et prenait sa place. Quelques temps après, cri dans la salle, “arrêtez! arrêtez!”, un homme s’agitait au milieu de l’orchestre debout et demandait l’arrêt du spectacle. Tout le monde a cru à une autre facétie de mise en scène…eh bien non, c’était Ligeti lui-même, qui hurlait son indignation car placé où il était il entendait le ronron des appareils électroniques  en place dans la salle pour la régie sonore et cela perturbait la musique…Pour vous dire que cet opéra est déjanté, et réclame un traitement déjanté au point que plus rien ne doit vous étonner !
Le livret de Michael Meschke et György Ligeti s’appuie sur une pièce de Michel de Ghelderode publiée en 1934, la Balade du grand Macabre. On jouait beaucoup dans les années 50 et 60 Michel de Ghelderode, auteur de théâtre très prolifique mort en 1962, passionné d’histoire et notamment de Moyen Âge, et marqué par la crainte de la mort et du diable, inspirée par son éducation en milieu très catholique: il en résulte une vision du monde assez noire, marqué par la puissance du mal. Ainsi de ce Grand Macabre, qui raconte l’histoire d’un personnage diabolique, Nekrotzar, qui annonce au peuple la fin du monde. Dans une ambiance de saturnale carnavalesque, qui n’est pas sans évoquer Rabelais ou ce qu’en écrit Lucien Febvre dans Le problème de l’incroyance au XVIème siècle, la religion de Rabelais, l’histoire touche à la paillardise, au sexe, au pouvoir, à la religion. Elle se passe en quatre tableaux dans un pays imaginaire, le Breughellande: le fossoyeur Piet le Bock (Chris Merritt) gêne deux amoureux (Amanda et Amando) dans leurs ébats , quand surgit d’une tombe Nekrotzar, le Grand Macabre( Claudio Otelli) qui annonce la fin du monde prochaine; dans le caveau laissé vide, se glissent les deux amoureux, certains que là où il se dissimulent, ils ne seront gênés par personne.

Tableau2 ©Monika Rittershaus

Au deuxième tableau, Mescaline se plaint à Vénus de l’incapacité de son mari Astradamors à la satisfaire dans leurs jeux sado-masochistes, surgissent alors le Grand Macabre et Piet le Bock et le Grand Macabre s’emploie à la satisfaire en l’épuisant tellement qu’elle est laissée pour morte. Alors les compères Piet et Astradamors (extraordinaire Jens Larsen) s’unissent à Nekrotzar dans une sorte de voyage dans le pays, ils rencontrent (troisième tableau) le faible Prince Gogo, chanté par un contre ténor (Andrew Watts) flanqué de ses deux ministres en conflit , le noir (Carsten Sabrowski) )et le blanc (Tansel Akzeybek) qui ne cessent de s’insulter et de se battre (cela ne vous rappelle rien??). Le Prince qui ne pense qu’à s’empiffrer finit par renvoyer les deux ministres quand intervient le chef de la police secrète qui annonce l’arrivée du peuple et de Nekrotzar menaçant. La fin du monde est proclamée par Nekrotzar, mais enivré par Piet et Astradamors, il ne peut plus rien et la comète arrive, annonciatrice de la fin des temps.

Tableau 4©Monika Rittershaus

En réalité personne n’est mort, si tout le monde croit l’être, et le monde est dans un désordre encore plus grand: le Prince croit être le seul survivant mais est menacé par des pilleurs, Nekrotzar a échoué, mais Mescaline croit reconnaître en lui son premier mari et l’assaille, les deux ministres et le chef de la police secrète sont menacés et massacrés, Piet et Astradamors réapparaissent, Nekrotzar meurt de son échec, mais tous les autres reviennent à la vie pour chanter l’amour et la vie, quand les deux amoureux Amando et Amanda sortent de la tombe où ils s’ébattaient, pour noter que le temps a été suspendu pendant leurs ébats et glorifier la jouissance, seul remède au mal et à la mort: cette dernière viendra mais “d’ici là, aimez et vivez dans la jouissance et dans la joie”.

tableau final ©Monika Rittershaus

La mise en scène de Barrie Kosky prend au mot cet épilogue. Son travail est marqué par la question du sexe, de la mort (eros/thanatos) mais aussi celle du pouvoir, ou de(s) (la) religion(s)dans une farandole diabolique, une danse macabre éperdue où tous les excès sont permis, y compris scatologiques. Il présente la vision d’un monde en fin de vie, éperdu de jouissance et de plaisir, où plus rien n’a de sens; un de mes amis italien a confié…”une métaphore de l’Italie des vingt dernières années” on pourrait dire aussi une métaphore du monde contemporain, ayant perdu tout sens de la quête, toute valeur, vivant au jour le jour le plaisir pour le plaisir dans une progression inexorable vers la destruction: la vision de la cour du Prince Go Go a quelque chose d’un monde berlusconien, où tout est bunga bunga, où tout est orgie. Elle permet ainsi de passer en revue la liste inépuisable des dérives sexuelles, où l’imagination est sans limites dans une valse qui épuise le spectateur, avec des images puissantes (la foule poursuivant les ministres l’arrivée de la comète sur la ville) non toujours dépourvues de poésie.

Le tableau final: décor

Une mise en scène qui se permet tout, et qui trouve comme complice une troupe exceptionnelle de chanteurs acteurs: à mise en scène qui se permet tout, chanteurs qui ne se refusent rien et ne cessent de se mettre en danger, exhibant leur corps, chantant dans toutes les positions, à toutes les tessitures, et toujours avec une incroyable sûreté. Il faut bien sûr citer d’abord Jens Larsen, Astramadors travesti, qui est époustouflant d’audace, sans oublier de chanter avec précision et puissance et puis le Grand Macabre, Claudio Otelli, peut-être moins puissant vocalement, mais tellement présent, toujours couvert de sang ou de boue (figurant les excréments sortant à gros flots d’une cuvette de WC), toujours humide de quelqu’excès, Chris Merritt qui a quitté les roucoulades et acrobaties rossiniennes pour prêter sa voix qui peut encore beaucoup (des aigus étonnants, des gargouillements ébouriffés, des changements de registres qui stupéfient) à ce rôle où il est totalement convaincant (il le chante depuis quelques années régulièrement), les ministres, le jeune et talentueux Tansel Akzeybek ténor vu à Saint Etienne dans l’Elisir d’amore et aujourd’hui en troupe à Berlin et la basse Carsten Sabrowski qui finissent en caleçon et qui ne cessent de courir en scène de manière désarticulée, le couple d’amoureux (Julia Giebel et Annelie Sophie Müller) à la fois si vifs, et si émouvants, notamment dans la scène finale, le Prince contreténor Andrew Watts, très à l’aise, particulièrement en situation dans un rôle où le pouvoir est raillé avec cette voix qui semble venir d’ailleurs. J’ai été à peine moins convaincu par Michaela Lucas, mezzo soprano seulement honnête vocalement mais  totalement convaincante scéniquement;

Gepopo ©Monika Rittershaus

je laisse pour la fin l’extraordinaire Gepopo manchot de Eir Inderhaug, un soprano norvégien aux aigus hallucinants, le plus grand succès tout à fait  justifié de la soirée: voilà un nom à connaître.
Ainsi c’est d’abord le triomphe d’une troupe, totalement engagée, totalement à l’aise et rodée, et faite de chanteurs totalement habitués à travailler ensemble, ce qui favorise l’engagement scénique et tous ses possibles. Une troupe de qualité aussi, il n’y a pas de voix en difficulté, pas de chanteurs qui trichent, tous s’exposent et tous sont excellents.
Enfin le triomphe d’un orchestre mené avec une grande précision et un sens aigu du texte musical, avec ses excès, son ironie sarcastique, son humour par un jeune chef né en Suisse, Baldur Brönniman. J’ai souvent écrit que les chefs de la Komische Oper finissaient souvent en haut de l’affiche, que des Kirill Petrenko, Patrick Lange faisaient maintenant une carrière, que d’autres comme Henrik Nánási le GMD commençaient à se faire entendre (à Londres, à Francfort), eh bien Baldur Brönnimann est un chef de cette trempe, qui fascine par la qualité du travail mené, par la manière dont il suit le plateau et dont il travaille sur l’homogénéité musicale malgré la foire qui règne sur la scène: tout est net, tout est parfaitement en place, tout est spectaculaire dans ce travail où l’orchestre est disposé en fosse, sur scène quelquefois, sur les côtés de l’orchestre et au premier balcon: les dernirèes mesures sont d’une indicible beauté.  Un rendu impeccable dans la défense de l’œuvre, et au total une soirée (de répertoire!) exceptionnelle, à des prix berlinois, soit plus de 50% inférieurs à ceux pratiqués à Paris.
Paris, oui Paris incapable aujourd’hui d’offrir sur deux jours très ordinaires des spectacles de cette trempe, Paris qui n’ose rien,  qui a peur de tout, qui n’est plus une capitale pour la musique, qui n’est plus une capitale pour le théâtre, qui n’est plus capable en terme de spectacle vivant que de rimer avec rabougri.
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OPÉRAS EN EUROPE ET AILLEURS 2012-2013 (2) : SPECTACLES A RETENIR – BERLIN

Hier 4 novembre à Berlin, à la Deutsche Oper, à 16h, dernière représentation de la première série de la nouvelle production de Parsifal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl, dirigée par Donald Runnicles, avec Klaus Florian Vogt (Clemens Bieber le 12 janvier et Stephen Gould les 29 mars et 1er avril) et Evelyn Herlitzius en Kundry (Violeta Urmana les 29 mars et 1er avril).

Hier 4 novembre à Berlin, à 300m de là sur l’autre trottoir, à la Staatsoper am Schiller Theater, à 15h reprise de Don Carlo, de Verdi dans la production de Philipp Himmelmann, dirigé par Massimo Zanetti, avec René Pape, Tamar Iveri, Fabio Sartori, Ekaterina Gubanova, Alfredo Daza.

Hier 4 novembre à Berlin, à 4 km de là,  derrière Unter der Linden, à la Komische Oper, où l’on joue en allemand, la trilogie de Monteverdi en continu:
– À 11h Orpheus(Orfeo) de Monteverdi, dans la mise en scène de Barrie Kosky, nouveau directeur de la Komische Oper, et dirigé par André de Ridder.
– À 14h30, Odysseus (Il ritorno d’Ulisse in patria) (Barrie Kosky/André de Ridder)
– À 19h, Poppea (L’incoronazione di Poppea) (Barrie Kosky/André de Ridder).

Qu’auriez-vous fait si vous aviez été à Berlin en ce 4 novembre, où l’offre dominicale était exceptionnelle? Voilà bien pourquoi Berlin demande à elle seule, un article spécifique car l’offre est telle, que ce type d’hésitation se répète plusieurs fois dans l’année, sans évidemment compter les concerts à la Philharmonie, au Konzerthaus et les représentations théâtrales au Deutsches Theater, à la Volksbühne, au Berliner Ensemble  à la Schaubühne (tiens, le 4 nov: Un ennemi du peuple, Ibsen, Thomas Ostermeier, la production vue à Avignon cet été…).

La salle du Schiller Theater

Commençons donc par la Staatsoper am Schiller Theater, installée dans ce théâtre des années cinquante, pendant plusieurs années encore, en attendant que la salle et la scène de la Staatsoper am Unter den Linden ne soient agrandies, restaurées, et permettent alternance et accueil du public améliorés. La programmation n’accuse pas de baisse, même si l’accueil de spectateurs est réduit (la salle a 1200 places).
Année Wagner oblige, l’événement de l’année c’est le Ring de Wagner enfin complet dans la mise en scène de Guy Cassiers, en coproduction avec la Scala. En raison des prix prohibitifs de la Scala, mieux vaudra choisir Berlin, d’autant que l’orchestre de fosse, la Staatskapelle Berlin, est plus aguerri sur ce répertoire. On aime Barenboim ou non mais son Wagner a fait date, et à la Staatsoper, Wagner c’est lui. Ce Ring est donc annoncé en trois éditions en mars et avril (23, 24, 27, 31 mars/3, 4, 7, 10 avril/13, 14, 18, 21 avril)  avec plusieurs représentations de Götterdämmerung début mars, d’autres de Walküre et de Siegfried viennent d’avoir lieu en octobre. Dans la distribution, René Pape en Wotan pour Rheingold et Walküre, Juha Uusitalo en Wanderer pour Siegfried, Waltraud Meier en Sieglinde, Waltraute, et même en 2ème Norne (alternant pour ces deux rôles avec Marina Prudenskaia), Irene Theorin (l’Isolde de Bayreuth) en Brünnhilde, Mikhail Petrenko en Fafner, Hunding et Hagen, Peter Seiffert en Siegmund (Christopher Ventris le 24 mars), Lance Ryan et Ian Storey en Siegfried, Ekaterina Gubanova en Fricka, Johannes Martin Kränzle en Alberich, Iain Paterson en Fasolt (Matti Salminen le 13 avril) et Gerd Grochowski en Günther, Peter Bronder en Mime, Anna Larsson en Erda, Marina Poplavskaia en Gutrune début mars et Anna Samuil en avril . Une distribution de très haut niveau, à ne pas manquer, à des prix encore raisonnables.
Autre nouvelle production wagnérienne de la Staatsoper, en mai 2013,  Der Fliegende Holländer, dirigé par Daniel Harding, dans une production de Philipp Stölzl (qui fait Parsifal et Rienzi à l’opéra d’en face, la Deutsche Oper) avec Michael Volle dans le Hollandais et Emma Vetter en Senta (84 ou 66 € la place d’orchestre selon les dates, Paris est à 180…).

Le Schiller Theater

Autres nouvelles productions, tout d’abord La Finta Giardiniera, en novembre décembre 2012, dans une nouvelle version du livret et une mise en scène de Hans Neuenfels (ça va encore gronder!) intitulé Die Pforten der Liebe, dirigé par Christopher Moulds, avec Stephan Rügamer, Joel Prieto, et Annette Dasch et une nouvelle production du Vin Herbé de Frank Martin, mise en scène de Katie Mitchell (Written on Skin à Aix) et dirigé par Frank Ollu, en mai et juin 2013, avec Anna Prohaska et Matthias Klink Citons pour finir le Festival Infektion! pour le nouveau théâtre musical, en juin 2013, avec deux spectacles qui devraient susciter l’intérêt, Aschemond oder the Fairy Queen, de Helmut Oehring sur arrangements de la musique de Purcell dirigé par Michael Boder et Benjamin Bayl ( qui dirigera l’Akademie für Alte Musik de Berlin), mise en scène de Claus Guth, avec rien moins que Marlis Petersen, Bejun Mehta, Topi Lehtipuu, et Roman Trekel et Hanjo de Toshio Hosokawa, commission du Festival d’Aix et coproduction avec la Ruhrtriennale, dans une mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Günther Albers.
Cela pour les premières et les nouvelles productions, mais il y a aussi des reprises de répertoire qui peuvent intéresser les amateurs et les autres, par exemple en décembre, un Rosenkavalier dirigé mais oui, par Sir Simon Rattle, avec Madame en Octavian (Magdalena Kožena), Dorothea Röschmann en Marschallin, Anna Prohaska en Sophie et l’excellent Peter Rose en Ochs, dans une mise en scène de Nicolas Brieger, mais aussi, toujours en décembre, une Bohème (mise en scène Lindy Hume) dirigée du 2 au 22 décembre (sauf le 12) par Andris Nelsons, accompagnant Madame (Kristine Opolais) dans Mimi avec Stephen Costello en Rodolfe et Anna Samuil en Musetta, ou même cette Agrippina de Haendel, mise en scène de Vincent Boussard (La Finta Giardiniera à Aix) et dirigée, mais oui, par René Jacobs, avec entre autres Bejun Mehta, Amex Penda, Dominique Visse, Jennifer Rivera pour trois représentations début mai. On reverra aussi avec plaisir La fameuse Traviata de Peter Mussbach présentée à Aix il y a une dizaine d’années, mais plutôt lors des représentations de juin: Massimo Zanetti dirigera et Christine Schäfer sera Violetta aux côtés de Charles Castronovo en Alfredo. Enfin on pourra découvrir l’opéra de Toshio Hosokawa, Matsukaze, pour trois représentations en février, dirigé par David Robert Coleman mise en scène et chorégraphie de Sasha Waltz avec Barbara Hannigan,  Charlotte Hellekant, Frode Olsen et enfin The Rake’s Progress dirigé par David Robert Coleman dans la production de Krzysztof Warlikowski pour trois autres petites représentations de mars 2013.
On le voit, à des prix plus que raisonnables, on n’a que l’embarras du choix devant des productions très travaillées du point de vue scénique, avec des distributions souvent stimulantes, et rien qu’avec la Staatsoper, on peut déjà comparer cette programmation au bord de la Spree, à celle à laquelle nous avons droit au bord de la Seine. La domparaison est déjà douleureuse, d’un côté idées, variété, nouveauté et de l’autre grisaille et conformisme , et l’on n’a pas encore parcouru la programmation de la maison d’en face, la Deutsche Oper dans sa salle moderne et froide (très années 60)  de 1900 spectateurs.

La Deutsche Oper Berlin

L’opéra lui-même s’est retrouvé être celui de Berlin Ouest pendant les années du Mur,

L’ancien Deutsches Opernhaus Berlin en 1912

mais sa création comme “Opernhaus de Chalottenburg” remonte à 1912, appelé par les nazis Deutsche Opernhaus. Le répertoire y est large, et le directeur musical actuel en est Donald Runnicles.

C’est un autre salle historique, qui concurrence la Staatsoper, l’opéra de Cour, à deux pas du palais impérial, qui fut pendant les années du Mur l’Opéra de Berlin Est.
Aujourd’hui par les hasards de la géographie et des théâtres disponibles de Berlin, les deux institutions bordent la Bismarckstrasse, l’une au numéro 35, l’autre au 110.
La Deutsche Oper a été très marquée par la période où l’intendant était le metteur en scène Götz Friedrich, à qui l’on doit le Ring de la maison, depuis plusieurs dizaines d’années, qui reste le pilier de référence du théâtre dans les beaux décors de Peter Sykora. En cette saison 2012-2013, la Deutsche Oper va présenter tous les opéras de Wagner à son répertoire, et en 2013-2014 deux fois le Ring, une série  en septembre, l’autre aura lieu en janvier 2014. C’est Sir Simon Rattle (qui ne fait pas de jaloux, dirigeant soit au Schiller Theater soit au Deustche Oper) qui ouvrira le premier cycle en septembre tandis qu’en janvier 2014 Donald Runnicles dirigera Rheingold (le 8) , Sir Simon Rattle Die Walküre (le 9), et Donald Runnicles Siegfried (10) et Götterdämmerung le 12 janvier. Dans la distribution, on note le Wotan de Marc Delavan (comme au MET) pour Rheingold et Walküre, et Terje Stensvold pour Wanderer, l’Alberich d’Eric Owens (comme au MET) pour Rheingold et Götterdämmerung, la Brünnhilde d’Evelyn Herlitzius (Walküre) et  de Susan Bullock (pour les deux autres jours), le Siegfried de Lance Ryan pour Siegfried et Götterdämmerung, la Sieglinde de Heidi Melton (hélas, c’était en septembre Eva-Maria Westbroeck), le Siegmund de Peter Seiffert, le Hagen de Hans Peter König, le Hunding de Reinhard Hagen, et  la Fricka de Doris Soffel, toujours vaillante. Notons enfin la Waltraute de Anne-Sofie von Otter. Une distribution plus inégale qu’à la Staatsoper, mais qui reste supérieure à celle de Paris par exemple.
Dans l’ensemble des opéras de Wagner présentés cette année (seul Der Fliegende Holländer est en version concertante présenté à la Philharmonie le 27 mai), rappelons le Parsifal dont il était question au début de cet article, dirigé par Donald Runnicles et avec Klaus Florian Vogt jusqu’à aujourd’hui, Clemens Bieber et Evelyn Herlitzius en janvier et Stephen Gould avec Violeta Urmana en mars, ce qui n’est pas si mal, dans la mise en scène de Philipp Stölzl. Je conseillerais vivement d’aller voir l’une des trois représentations de Rienzi, production du même Philipp Stölzl en janvier prochain (Direction Sebastian Lang-Lessing avec Manuela Uhl dans Irene et Torsten Kerl dans Rienzi. ceux qui sont à Berlin vers le 22 décembre pourront aller entendre Tannhäuser, pour Christian Gerhaher dans Wolfram (seulement en décembre) et les amoureux de Tristan pourront venir en mars écouter Stephen Gould, Violeta Urmana, Hans Peter König (Peter Rose le 23 mars) et Samuel Youn, dans le Tristan und Isolde de Graham Vick dirigé par Donald Runnicles.

Deutsche Oper, la salle

A part cette fête wagnérienne, il faut reconnaître que la Deutsche Oper qui fête ses 100 ans cette année, ne propose pas des nouvelles productions d’un intérêt majeur, sauf peut-être un Peter Grimes, production de David Alden venue de l’ENO de Londres et dirigée par Donald Runnicles en janvier février avec Christopher Ventris et Micaela Kaune. Même la version concertante le 19 juin 2013 de Attila de Verdi (Pinchas Steinberg au pupitre avec Dalibor Jenis, Erwin Schrott et Liudmyla Monastyrska) n’est pas si stimulante, quant à Lucrezia Borgia en version concertante le 27 avril 2013 dirigée par Andriy Yurkevych, c’est une version pour nostalgiques avec Edita Gruberova entourée du très bon Alex Esposito et de Pavol Breslik .
Dans les reprises, il y aurait bien Les Troyens (mise en scène David Pountney) dirigés par Donald Runnicles, avec Ildiko Komlosi en Cassandre et Elina Garanca en Didon, mais la perspective de l’Enée d’ Endrik Wottrich est inquiétante, sinon impensable.
Pour le reste, beaucoup de Verdi de répertoire avec des distributions de répertoire, desquelles je tirerai un Otello avec Peter Seiffert, Lucio Gallo, Adrianne Pieczonka, dans la production d’Andreas Kriegenburg fin février début mars. J’ai noté aussi un Don Giovanni en janvier bien distribué avec Michael Volle dans le rôle titre et Alex Esposito dans son rôle fétiche, Leporello, ainsi que Patrizia Ciofi dans Donna Anna, mise en scène de Roland Schwab et dirigé par Guillermo Garcia Calvo.
Enfin, une Tosca dans la production plus qu’antique de Boreslaw Barlog, dirigée par Donald Runnicles, mais qui fera le plein en février (17,23,28) à cause de la Tosca d’Anja Harteros et du Mario de Massimo Giordano alternant avec Marcelo Alvarez.
Deux vraies raretés pour finir, une reprise de Jeanne d’Arc- Szenen aus dem Leben der Heiligen Johanna, de Walter Braunfels, fin novembre, dans la production de Christoph Schlingensief, dirigée par Matthias Foremny et Le Vaisseau fantôme de Pierre-Louis Dietsch (1808 – 1865) en version concertante dirigée par Enrique Mazzola au Konzerthaus de Berlin avec Laura Aikin.
Une saison contrastée à la Deutsche Oper, qui n’a pas la tenue de celle de la Staatsoper, et dont la force est un répertoire solide, sur lequel s’appuie l’essentiel de la programmation.

La jolie salle de la Komische Oper

Reste la Komische Oper, qui vient de changer de mains: Andreas Homoki a laissé Berlin pour Zürich, et à sa place le metteur en scène échevelé, volontiers provocateur, Barrie Kosky. A la Komische Oper, tout le répertoire présenté est en allemand, et l’on propose aussi bien opéra, opéra comique, opérette, musical:  c’est une salle bien inscrite dans le paysage berlinois, avec un public fidèle et spécifique, notamment originaire de la partie est. C’est aussi le théâtre qui fut de Walter Felsenstein, puis de Harry Kupfer, et qui depuis quelques années a trouvé son chemin au milieu du paysage berlinois en proposant d’autres visions, d’autres voies, plus radicales, plus provocatrices. Sera-ce le prix de la survie, dans une ville endettée, au chômage endémique, où la profusion des opéras est toujours prise comme exemple de gabegie. c’est en tous cas un de mes lieux favoris à Berlin: même si l’on n’y entend que peu de vedettes, c’est presque toujours très respectable musicalement, et souvent particulièrement intéressant scéniquement pour ceux qui aiment les expériences, la nouveauté, et qui n’ont pas trop froid aux yeux.
La programmation (nouvelles productions et reprises) fait une large place à Barrie Kosky (on n’est jamais si bien servi que par soi-même), nouvel intendant et nouveau membre de l’Akademie des Künste (Académie des Arts), mais je commencerai par attirer l’attention sur des reprises qui sont des “must” de la maison, à commencer par Xerxès de Haendel dans la production hallucinante de Stefan Herheim, présentée l’an dernier et qui prend le chemin d’être un des succès énormes de la maison. C’est complet jusqu’à la dernière, le 4 décembre, mais on trouve toujours des places au dernier moment. Comme le système de répertoire réclame beaucoup de soirées à succès (il faut remplir à tous prix), Xerxès sera sans doute repris régulièrement les années prochaines. Le chef, Konrad Junghänel, est un très bon chef pour ce répertoire et les chanteurs sont parmi les meilleurs de la troupe, même s’ils ne sont pas des spécialistes du chant baroque (Stella Doufexis chante aussi bien Haendel que Bizet).

Xerxès de Haendel vu par Stefan Herheim

Stefan Herheim, un de mes metteurs en scènes favoris (on verra ses Meistersinger, production de Salzbourg, à l’Opéra Bastille dans les prochaines années), pose un regard au second degré sur l’opéra baroque à machines avec la complicité de sa décoratrice Heike Scheele: on en a plein les yeux!
Autre reprise qui ne peut que susciter l’intérêt, celle de l’Auberge du Cheval blanc (Im Weißen Rößl) de Ralph Benatzky, dans la version originale pour trois orchestres retrouvée il y a quelques années dont j’ai rendu compte dans ce blog.  Non seulement on y voit une version expurgée de toute influence américaine, mais aussi on y retrouve presque une musique bien proche de Kurt Weill: une opérette berlinoise qui attire tous les publics. A voir dans la mise en scène (réussie) de Sebastian Baumgarten et dirigée par Koen Shoots (4 représentations en décembre janvier).
En novembre, décembre et janvier on trouve également une reprise du très violent Freischütz de Weber, dirigé par Igor Budinstein,  mis en scène par Calixto Bieito qui met Max (Vincent Wolfsteiner) à nu pendant la moitié de la représentation.
L’année comprend aussi des cycles, un cycle Kurt Weill en janvier,  et un cycle Mozart en mai, ainsi qu’un festival fin juin début juillet qui reprend toutes les nouvelles productions de l’année. Dans le cycle Kurt Weill du 18 au 24 janvier, des versions semi-concertantes (Der Kuhhandel, arrangement de Barrie Kosky, dirigé par Antony Hermus), ou des reprises (Sieben Songs/Die sieben Todsünden, mise en scène Barrie Kosky, dirigé par Kristiina Poska avec Dagmar Manzel, vedette de la chanson et de l’opérette berlinoises en janvier février). Enfin, en février mars, l’un des gros succès de la maison, Kiss me Kate de Cole Porter, mise en scène Barrie Kosky et dirigé par Koen Shoots, spécialiste du musical.
Dans le cycle Mozart de mai, notons une reprise du Don Giovanni mis en scène de Peter Konwitschny avec Günter Pappendell, un bon chanteur, en Don Giovanni, la nouvelle production de l’année, Die Zauberflöte, mise en scène…Barrie Kosky (et Susanne Andrade) pour 20 représentations dans l’année depuis novembre dont 5 en mai, dirigée par Henrik Nánási, nouveau GMD de la maison qui succède à l’excellent Patrick Lange, avec le très bon Peter Sonn en Tamino. Barrie Kosky propose aussi une reprise de ses Nozze di Figaro (Die Hochzeit von Figaro), en mai juin, dirigé par Henrik Nánási et de Die Entführung aus dem Serail, déconseillé aux moins de 18 ans, si si, dans la mise en scène de Calixto Bieito et dirigé par Kristiina Poska pour 4 représentations en mai.

Orfeo vu par Barrie Kosky

Dans les nouvelles productions, il faut retenir d’abord la Trilogie Monteverdi, mise en scène par Barrie Kosky (il n’arrête pas!), dans la version de Elena Kats-Chernin,  tantôt jouée en une journée, voir ci-dessus la journée du 4 novembre, tantôt en soirées séparées (direction André de Ridder) qui a été le spectacle d’ouverture de la saison, joué jusqu’ne novembre. Orpheus sera repris en mai, juin, juillet, Ulysse et Poppea seulement pour une soirée début juillet.
Encore en novembre puis fin juin, une version de Lulu de Berg revue et réorchestrée par Olga Neuwirth, American Lulu, en coproduction avec le London Opera Group, dirigée par Johannes Kalitzke et mise en scène par Kirill Serebrennikov.
Fin février et tout mars, (une représentation en avril et une début juillet ) une nouvelle production de Mazeppa de Tchaïkovsky dirigée par Henrik Nánási et mise en scène par Ivo van Hove (Macbeth à Lyon) qui devrait comme toujours à la fois faire polémique et proposer une vision nouvelle de l’œuvre assez rarement jouée et pourtant magnifique.
Enfin, Reinhard von der Thannen, le décorateur habituel de Hans Neuenfels, se lance dans la mise en scène et propose en mars Hänsel und Gretel, dirigé par Kristiina Poska, avec de nombreuses représentations en avril, une en mai, une en juin.
En juin justement, dernière production de l’année, une opérette-jazz spectaculaire créée en 1932 au Metropol Theater (ancêtre de la Komische Oper) à la fin de la république de Weimar renaît après 80 ans, Ball im Savoy du compositeur juif hongrois Paul Abraham, dirigé par Adam Benzwi et avec Dagmar Manzel.
Enfin, je signale aux amoureux de la musique grecque d’aujourd’hui la soirée du 8 avril où l’immense Maria Farantouri, chanteuse fétiche de Mikis Theodorakis, chantera Mikis Theodorakis et le compositeur turc-kurde Taner Akyol, auteur de l’opéra pour enfants Ali Baba et les quarante voleurs (Ali Baba und die 40 Räuber) créée en nouvelle production (en allemand et en turc)  à voir cette année jusqu’à décembre, dirigé par Kristiina Poska , et mis en scène par Matthias Davids.

Bien des choses à voir à Berlin entre novembre et juillet, un peu à la Deutsche Oper, beaucoup à la Staatsoper, et beaucoup aussi à la Komische Oper: il faut essayer de combiner tout cela ou bien prendre un appartement à Berlin en résidence secondaire!

Il reste que la curiosité est bien stimulée, notamment de février à juin. J’avoue, outre le Ring de la Staatsoper, être fortement tenté par l’opérette Ball im Savoy et par Mazeppa, sans compter la Traviata de Mussbach -combinable avec Ball im Savoy en juin). En bref, plusieurs voyages à Berlin s’imposent: par chance Berlin est une ville abordable et les prix de ses théâtres également. Sans doute à choisir parmi toutes les villes européennes, Berlin s’impose comme premier choix pour la qualité, la variété, l’originalité de l’offre et aussi par l’agrément de la ville, l’une des plus ouvertes et agréables en Europe aujourd’hui. Que de choses nous apprennent les scènes berlinoises!
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KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 15 Janvier 2012: IM WEISS’N RÖSSL (L’Auberge du Cheval Blanc) de R.BENATZKY (Ms en scène: Sebastian BAUMGARTEN)

Dagmar Manzel - @Photo Komische Oper

Quelle idée saugrenue!  Dans  un blog que le drame wagnérien a envahi ou que la musique de Mahler irradie, que vient faire l’Auberge du Cheval Blanc? Que vient faire un titre exhumé  de la poussière du vieux Châtelet dans une série de comptes rendus sur le Regietheater?
Justement (et injustement) l’Auberge du Cheval Blanc (Im weiss’n Rössl, titre original), mérite mieux que l’oubli méprisant dans lequel on l’a plongée. Et l’opérette se porte bien mieux en Allemagne qu’en France, où elle a été tuée, on se demande pourquoi, lorsqu’on a dédié le théâtre du Châtelet, qui en était le seul temple national, à la musique dite “sérieuse”. Les allemands et les autrichiens nous montrent bien que l’opérette, lorsqu’elle est montée comme il se doit, est un spectacle de belle tenue, et bien des chanteurs d’opéra s’y sont frottés: quand Schwarzkopf ou Gedda chantent “Le pays du sourire” ou “La Veuve Joyeuse”, c’est du sérieux ! D’ailleurs, la Veuve Joyeuse est la seule œuvre qui semble digne de nos grandes scènes nationales, puisque l’Opéra l’affiche dans quelques semaines.
Un deuxième motif, plus personnel, me pousse vers l’Auberge du Cheval Blanc. Ce fut le premier spectacle musical de ma vie, au Châtelet justement; j’avais six ou sept ans, au début des années soixante, dans une production qui eut à l’époque un très grand succès (avec Bernard Lavalette dans le rôle de Leopold) et j’ai pu constater, en  revoyant cette œuvre à Berlin ces jours-ci, combien cette expérience d’enfance m’avait frappé, et quels souvenirs elle avait laissés. Ma sonate de Vinteuil c’est l’Auberge du Cheval Blanc de Benatzky…on a les références qu’on peut !
Enfin, troisième motif, c’est évidemment la mise en scène de Sebastian Baumgarten, après Carmen, après Tannhäuser, voir comment il aborde l’opérette est une expérience intéressante à vivre, car on ne peut pas se rater: il y a un public en général plutôt conservateur, plutôt âgé, qui attend ses airs et un certain style et qui exige de passer un moment de fête. Comment résiste l’œuvre de R.Benatzky à la moulinette du Regietheater?
En cette matinée dominicale, dans une ville de Berlin froide et ensoleillée, la foule arrive par grappes à la Komische Oper, une foule essentiellement âgée, qui remplit le théâtre à ras bord, un public à l’opposé de celui de Carmen, deux jours avant. Trois soirs, trois publics différents, et un même théâtre, c’est dire  combien le lieu est accueillant pour tous les types de publics et c’est dire aussi sa popularité.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre (dans les jeunes générations de mélomanes français, beaucoup n’en ont jamais entendu parler – cela fait 50 ans qu’on ne la représente pas à Paris), quelques mots sur l’histoire, qui se passe à la fin du XIXème en Autriche, au bord du lac de Saint Wolfgang, dans le Salzkammergut, à quelques dizaines de kilomètres au nord de Salzbourg, dans une auberge “Im weiss’n Rössl” qui existe encore aujourd’hui et qui fait payer cher ses attraits touristiques et son mythe.

L'amour, toujours l'amour - @Freese-Drama-Berlin.de

Le chef des garçons de restaurant, Leopold est amoureux fou de sa patronne Josepha, qui lui préfère un de ses vieux clients, Siedler, un avocat. A la faveur de l’arrivée d’un client berlinois, Giesecke fabricant de caleçons, et de sa fille Ottilie, Siedler tombe amoureux d’Ottilie. Il se trouve être avocat de la partie adverse dans une guerre économique entre deux firmes de caleçons, celle de Giesecke, et celle de Sülzheimer, qu’il défend. Comment Léopold va-t-il essayer de manœuvrer pour favoriser cet amour, comment Josepha, à la faveur de la venue de l’Empereur, va comprendre qui elle aime vraiment, comment les couples se forment dans un monde qui se transforme, avec le développement du tourisme, des voyages, mais aussi des débuts d’une économie nouvelle (l’œuvre est créée en 1930), voilà les fils tissés de cette intrigue.
Souvent confondue avec une bluette qui vante les charmes d’une Autriche de carte postale, l’Auberge du cheval Blanc n’est pas une opérette autrichienne, mais plutôt berlinoise (créée à Berlin en 1930, pour un public berlinois habitué aux revues) et Giesecke le berlinois  vante Berlin et ses lacs, plutôt que ceux du Salzkammergut, sous les applaudissements à tout rompre du public présent!
Dans cette œuvre, il est beaucoup question d’argent , de coûts et presque d’industrie touristique, il s’agit de vendre une image, un lieu, une auberge, un hôtel, il s’agit de penser à faire de la promotion! Il s’agit aussi de vanter la campagne face à la jungle des villes…tiens…tiens…
Enfin, en 2009, on a retrouvé dans des archives à Zagreb du matériel inconnu qui a permis de présenter à l’occasion de la Première de cette production, en 2010, une “Urfassung”, une version reconstituée de la version originale de 1930 plus longue, en 3h1/2, qui montre un visage complètement nouveau de cette opérette qui est en réalité une “revue-opérette” à la berlinoise, plus berlinoise qu’autrichienne. Une version avec orchestre en fosse et deux orchestres supplémentaires, un orchestre de jazz, une petite formation avec des cithares autrichiennes, et un pianiste qui accompagne les dialogues. Et surtout une musique qui tire bien plus vers Kurt Weill que vers Johann Strauss! C’est que la Berlin des années 20 et de la République de Weimar est la Berlin des revues, et du cabaret, et c’est de cette tradition là que l’œuvre naît.  Cette “modernité” de la musique, bien loin de la ringardise dans laquelle on la range,  m’a vraiment frappé. Ce qu’on sait de la création est aussi étonnant: elle fut présentée dans un théâtre de 3000 personnes, avec, dit-on, 700 personnes sur le plateau:  ce fut un immense succès dont tirent trace les films réalisés à Hollywood et le destin mondial d’une œuvre dont l’auteur mort en 1957 a été classé par les nazis parmi les musiciens dégénérés: cette musique devait donc gêner le régime nazi aux entournures pour la classer ainsi (il est vrai que la plupart des auteurs qui avaient présidé à sa naissance étaient d’origine juive, ou homosexuels, ou communistes). Après 45, on en a fait une bluette romantique internationalisée, une opérette comme “Rose-Marie” ou d’autres, qui en fait ont totalement appauvri l’originalité musicale politique, ironique d’une œuvre qu’on a aplatie pour qu’elle réponde aux canons de l’opérette de l’époque et des films hollywoodiens.

Max Hopp - Dagmar Manzel @Komische Oper

On a donc droit à une version plus théâtralisée, chantée par des acteurs et non des chanteurs d’opérettes ou d’opéras (comme à la création semble-t-il), avec une vraie différence entre première partie avec les airs mondialement connus, et une seconde partie, plus dialoguée, dont le seul moment vraiment connu est l’air de Sigismund (Célestin – “on a l’béguin pour Célestin”- dans la version française). On s’étonnera moins aussi que dans ces conditions Baumgarten s’en soit emparé pour faire du théâtre, dans une ambiance musicale dirigée par l’excellent spécialiste du genre qu’est Koen Shoots.

 

@Komische Oper

Des acteurs qui chantent plutôt que des chanteurs qui jouent, c’est le choix qui a été fait en appelant la célèbre actrice Dagmar Manzel pour Josepha et l’époustouflant Max Hopp dans Leopold.
Le choix de Baumgarten est de montrer, comme il dit, le crach de l’opérette “de papa”, et ce qu’elle révèle en arrière plan. Eh, bien l’opérette ne craque pas, elle résiste au contraire, et elle entraîne dans son piège Baumgarten tout en emportant l’adhésion d’un public enthousiaste : Baumgarten s’éloigne bien sûr des minauderies du genre, et propose des voies qui nous dirigent vers des styles et des gags proches du cinéma muet, des revues à grand spectacle de l’époque, du mime, avec des corps gesticulants, s’écroulant, virevoltant, un décor unique peu daté de Janina Audick diversement éclairé d’une auberge (sur laquelle est écrit: “On commence lentement à comprendre qu’il faut vraiment être modeste”) dont les cloisons s’ouvrent et se ferment laissant voir les intérieurs comme ceux d’une maison de poupée, avec en avant-scène deux plongeoirs sur le lac (en réalité la fosse d’orchestre), deux douches latérales, et deux écrans vidéos qui laissent défiler des sortes de cartes postales. Les  costumes de Nina Kroschinske ne sont pas vraiment “folkloriques” , sauf pour Josepha et pour quelques éléments plus pittoresques (les conseillers municipaux).
On joue donc le jeu de l’opérette mais en décalage, avec gags, jeux de mots, rapidité, mouvement, on en rajoute aussi (quelques allusions de Leopold à la manière de parler d’Hitler) en insistant sur des points plus liés aux contexte historiques qu’à l’intrigue elle-même (l’économie par exemple, avec un exposé sur les monnaies, le Mark et le Dollar qui fait rire toute la salle), le piano (Daniel Regenberg) accompagne les dialogues soit par du jazz, ou par des airs de l’œuvre, et rythme quelquefois les mouvements, comme s’il accompagnait un film muet.

L'Empereur (Irm Hermann) - @Photo Komische Oper

Enfin pour montrer qu’on est au théâtre et dans la pacotille, l’Empereur est joué par une femme, Irm Hermann, ce qui finalement ne gêne pas un seul instant, tant le spectateur joue le jeu.

Il reste que la deuxième partie, plus dialoguée, présente quelques longueurs – il s’agit bien d’une revue-opérette, et donc le dialogue a beaucoup plus d’importance que dans l’opérette où il fonctionne comme simple lien entre deux airs, Baumgarten a peut-être voulu tuer le genre dans sa ringardise, mais il n’y ni provocation, ni entreprise de destruction: le succès énorme du spectacle auprès de ce public en est la preuve éclatante. On chante, on rit, on est heureux et on sort tout regaillardi. On n’a plus de Regietheater, mais du Theater, tout simplement.

@Komische Oper

Dans mon cas, je suis sorti tout étonné d’avoir retrouvé des airs enfouis dans ma mémoire, des images qui remontaient très clairement de la mise en scène de l’époque avec sa façade de chalet gigantesque, et je me suis rendu compte de l’importance induite de ce spectacle originel dans mon parcours personnel. Même si Baumgarten a évité le style Châtelet, il m’y a tout droit reconduit et malgré lui, dès les premières mesures, j’ai retrouvé mes émotions d’enfant.

 

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 14 janvier 2012: LA TRAVIATA de Giuseppe VERDI (Dir.mus: Patrick LANGE, Ms en scène : Hans NEUENFELS)

Alfredo-Le souteneur- Violetta (Acte I) - Photo Komische Oper

Chants et danses de la mort…Danse macabre…pourraient être des titres alternatifs à cette Traviata de Hans Neuenfels, production 2008 de la Komische Oper, reprise cette année (avec des répétitions, et non simple titre du répertoire, comme l’indique l’expression “Wiederaufnahme”). On pourrait y ajouter le titre fameux essai de Catherine Clément “L’opéra ou la défaite des femmes”, tant ce travail souligne le chemin consenti vers la mort et consenti vers l’amour de l’héroïne verdienne. Hans Neuenfels signe là une production au total assez conforme à ce qu’on attend de Traviata, et sans véritable “provocation” du genre des rats de son dernier Lohengrin.
Musicalement, le chant est contrasté: la Violetta de Brigitte Geller est très correcte. La voix est bien posée, intense, la technique est maîtrisée, les notes aiguës sont là même si elles sont savamment préparées, l’agilité est là aussi, et les pianissimis du fameux “addio del passato” (ou son équivalent allemand, puisque l’opéra est chanté en allemand dans la version de W.Felsenstein) un peu difficiles, mais “passables”. Au total, une prestation intense, en place, rien à dire. Même remarque et voire un peu plus pour le Germont de Tom Erik Lie, très belle voix de baryton, qui sait parfaitement moduler, varier la couleur, et chanter avec engagement et intensité, un nom à suivre.
Il est plus difficile en revanche d’apprécier la prestation du ténor gallois Timothy Richards en Alfredo. La voix est plus large que haute, la souplesse et la ductilité font défaut, le chant tout en force n’est pas exempt de scories notamment du côté de la justesse, tout cela est bien fixe, et pour tout dire, pas vraiment passionnant. En tous cas, ce n’est pas un Alfredo, ni pour la couleur, ni pour l’éclat, ni non plus pour le jeu, que j’ai trouvé un peu fruste.
Notons au passage la Flora de Karolina Gumos, appréciée la veille dans Mercedès, et dont la voix marque une vraie personnalité.
Ce qui m’a vraiment séduit musicalement et fortement induit à suivre de plus près ce chef dans le futur, c’est la direction inspirée et engagée de Patrick Lange, jeune chef allemand directeur musical de la Komische Oper, ex-assistant de Claudio Abbado (quand on connaît ses saints…). J’ai rarement entendu une Traviata aussi fine, aussi intime, avec des pupitres aussi intelligemment mis en valeur, ce qui donne une vraie couleur mélancolique à l’ensemble et qui surtout tire profit avec bonheur d’un orchestre aux dimensions relativement plus modestes qu’un orchestre d’opéra habituel. Grande souplesse, engagement, attention soutenue aux chanteurs qui sont parfaitement suivis, voilà des qualités qui font de Patrick Lange un nom à suivre et que nos théâtres feraient bien d’inviter. Une vraie alternative à Daniel Oren et autres routiniers de luxe.
A cette couleur musicale très respectable correspond une mise en scène qui ne peut vraiment heurter un public conservateur. Hans Neuenfels propose donc une marche à la mort, dans un espace désespérément vide et froid:  du noir, du métal, des panneaux coulissants qui délimitent un espace contre lequel les protagonistes se heurtent  ou qui disparaissent en désarçonnant les personnages, comme si même l’espace leur échappait. Les costumes de Elina Schnizler sont plutôt du genre macabre-grotesque, un docteur Grenvil en Gilles/Polichinelle, une Flora en collant-squelette. Violetta elle-même porte un costume de soirée à frous-frous, puis redevient au deuxième acte premier tableau une femme simple,

Chez Flora (Acte II, 2) - Photo Komische Oper

 

Chez Flora - Photo Komische Oper

au deuxième tableau chez Flora, quand elle revient au baron, elle porte un costume de prostituée, mini robe de cuir, perruque rousse (elle est d’ailleurs impressionnante dans cet accoutrement). Le vieux Germont en costume d’un vilain bleu avec une croix visible à 500m, et Alfredo en smoking blanc d’abord (l’apparition), puis en bûcheron du dimanche (deuxième acte, le retour à la terre), puis en costume du bleu sale paternel (deuxième acte, chez Flora), et enfin retour au blanc pendant la scène finale. Des costumes qui évidemment parlent, et correspondent aux différents moments du texte et de l’intrigue.

Neuenfels inscrit dès le début Violetta dans un destin de femme, mais un destin qui lui est interdit: quand défilent en fond de scène des mariées, des femmes enceintes, puis des veuves, elle vit dans un espace réduit à une relation au plaisir, représenté par un jeune acteur-danseur (Christian Natter) une sorte de souteneur, mais aussi de “Servant” illustrant une vie qu’elle refuse et qu’elle va abandonner. Elle chante le “E’ strano” du premier acte en jouant avec ce personnage, puis en l’éloignant quand Alfredo chante a capella. Lorsqu’au deuxième tableau du deuxième acte, elle revient à cette vie qu’elle abhorre, le “Servant” verra son cœur arraché, et servir de figure répulsive et magique lors de la scène du jeu de cartes, où au lieu de jouer aux cartes, le baron et Alfredo piquent avec des aiguilles dans ce cœur qui bat encore, seul au milieu d’un plat…

La scène de l’acte II entre Germont et Violetta est très réussie même avec ses quelques exagérations, où Violetta arrache la perruque blanche de Germont dès le début de la scène, marquant immédiatement qui sert le vrai et qui sert les apparences, où elle essaie de se blottir contre lui, cherchant une affection et où il se refuse,

Acte II,1 - Photo Komische Oper

où elle offre sa tête au billot dont Germont serait le bourreau et où elle chante un “amami Alfredo” à terre de manière assez bouleversante.

"Je suis une putain" - Photo Komische Oper

Au second tableau, chez Flora, elle chante l’ensemble final sur un podium où il est écrit “je suis une putain!”, ce qui évidemment tranche avec le texte qui est chanté et provoque un vrai choc.

Acte III - Photo Komische Oper

Enfin, au dernier acte, par le jeu des panneaux coulissant, elle disparaît derrière laissant seuls en scène Alfredo et Germont, et Grenvil et Annina, comme perdus. Grenvil en Gilles/Polichinelle, sorte de clown triste, donne vraiment à ce moment une couleur déchirante. La fête est finie, les personnages sont seuls face à leur destin et leur remords (Germont entre noyé dans l’alcool, éperdu de remords). Et Violetta réapparaît pour mourir et tomber dans les bras d’Alfredo, comme une Pietà inversée où elle deviendrait christique.
On le voit, avec des idées, avec des moments vraiment justes et émouvants, chanté correctement et excellemment dirigé, on passe une soirée assez réussie, et le public, plus clairsemé que la veille (environ 70% de remplissage) fait un accueil très chaleureux à la production. Merci Patrick Lange, merci Hans Neuenfels.

 

KOMISCHE OPER BERLIN 2011-2012 le 13 Janvier 2012: CARMEN de Georges BIZET, Ms en scène Sebastian BAUMGARTEN

J’ai décidé de m’offrir un week-end berlinois entièrement dédié au “Regietheater”. Après les réactions entendues sur les ondes et lues dans la presse sur le travail de Frank Castorf autour de la Dame aux camélias à l’Odéon, je pense que certains trouveront cette démarche suicidaire ou insensée…
Et pourtant, ce petit voyage à Berlin a plusieurs motifs qui m’apparaissent très légitimes.
Le premier est de comprendre comment travaille Sebastian Baumgarten: après son Tannhäuser de Bayreuth, je voulais en savoir plus sur d’autres productions, et la Komische Oper affiche en nouvelle production une Carmen qu’il met en scène et qui est un vrai succès public. Mais en plus ce week-end offrait une autre mise en scène de Baumgarten, Im weiss’n Rössl, plus connue en France comme “L’Auberge du Cheval Blanc” et la reprise d’une Traviata mise en scène de Hans Neuenfels (auteur du fameux Lohengrin de Bayreuth retransmis sur ARTE et qui a déchaîné les passions), deux Baumgarten + un Neuenfels, que demande le peuple !?
Mais cela ne suffisait pas, j’ai donc conclu ces journées par une soirée à la Schaubühne, pour voir Kabale und Liebe, de Schiller (qui a inspiré la Luisa Miller de Verdi), dans une mise en scène de Falk Richter dont j’ai vu une inoubliable version des “Trois Soeurs” de Tchekhov, dans ce même théâtre. Après quoi je serai réarmé pour affronter la production théâtrale en France, tiède et fade.
Quelques mots d’abord sur la Komische Oper de Berlin, théâtre qui porte ce nom depuis 1947, à l’instigation de Walter Felsenstein, et en hommage à l’Opéra Comique français né au XVIIIème siècle.
Situé à un pas d’Unter den Linden, sur la Behrensstrasse, le théâtre a été construit à la fin du XIXème siècle (1892) sous le nom de “Theater unter den Linden”, puis prend le nom de “Metropol-Theater” comme théâtre de revue et d’opérette. Il ferme en 1933 pour rouvrir un an après sous le nom de “Staatliches Operettentheater” (Théâtre National de l’Opérette) . En 1945, il est bombardé, tout est détruit sauf  la salle néobaroque restée intacte. Il est reconstruit, puis agrandi.

La Komische Oper est surtout connue pour le travail qu’y a effectué Walter Felsenstein dont les mises en scènes restent encore un modèle du genre, et qui vont donner à cette salle de taille moyenne (1240 places) un statut emblématique des institutions culturelles est-allemandes.

Trois caractères essentiels :
– d’abord, c’est un théâtre qui, pour permettre l’accessibilité à tous, présente toutes les œuvres en langue allemande. Il est très aimé du public berlinois et populaire.
– un répertoire assez large qui va des standards populaires du répertoire aux opérettes et aux musicals: on y voit aussi bien “Die Meistersinger von Nürnberg” que “L’auberge du Cheval Blanc” ou “Kiss me Kate”.
– un théâtre dont l’identité, fondée sur l’apport de Felsenstein, est celle d’ un travail théâtral soucieux d’inventivité et de modernité, et ce sont donc les mises en scène qui souvent attirent l’attention. Le choix de travailler sur des mises en scènes très contemporaines attire la presse et centre l’attention sur la Komische Oper: sans cela la presse s’intéresserait beaucoup moins au travail qui s’y fait.

Aujourd’hui, dans une ville de Berlin qui finance la culture fortement endettée, où trois opéras se partagent le marché (Staatsoper, Deutsche Oper, Komische Oper), on peut se demander quel rôle donner à la Komische Oper: présenter des œuvres en allemand a-t-il encore un sens à l’heure du surtitrage (le système est installé, comme à Vienne ou à Milan, dans les fauteuils et le spectateur a le choix entre allemand, anglais, français et turc)? La Komische Oper a-t-elle un avenir? Il est clair que c’est un théâtre très aimé du public, lié à l’histoire de Berlin, , à sa tradition et le fermer serait traumatique. Alors, Andreas Homoki, l’intendant actuel, qui termine son mandat (il va à Zürich pour succéder à Alexander Pereira), a accentué encore la part  d’une vision théâtrale très contemporaine, en invitant des metteurs en scène connus pour leurs positions radicales (Neuenfels, Bieito), mais donnant aussi la possibilité à des artistes plus jeunes de proposer des productions (Baumgarten, Kosky). Lui succèdera justement l’an prochain Barrie Kosky, australien, un autre enfant terrible de la scène contemporaine allemande et anglo-saxonne.
D’autres noms sont liés à la Komische Oper, le metteur en scène Harry Kupfer, les chefs Yakov Kreizberg, ou plus récemment,  Kirill Petrenko qui en fut un temps le directeur musical. En général c’est une rampe de lancement pour jeunes chefs, et un temple pour les metteurs en scène novateurs.
Ainsi, après le Tannhäuser plutôt contrasté et discuté de cet été à Bayreuth, j’ai voulu en savoir plus, ou plutôt en comprendre plus sur le metteur en scène Sebastian Baumgarten, pour ne pas rester sur une impression mitigée, et essayer de mieux rentrer dans son univers. J’ai donc à mon programme cette Carmen,  sa dernière production,qui remonte à novembre dernier, et Im weiss’n Rössl (L’auberge du cheval blanc) qui quant à elle remonte à Novembre 2010. Il s’agit donc de toute manière de productions récentes.
Quant à musique, j’ai rarement vu dans ce théâtre des production musicalement très médiocres, il reste que les deux autres opéras de la ville ont des troupes plus aguerries, et des chefs souvent plus avancés dans la carrière, mais pas forcément meilleurs.

Dernier acte – Photo Komische Oper

La distribution prévue en cette soirée du 13 janvier est plutôt la seconde distribution, avec un autre chef que celui de la première,  Josep Caballé-Domenech (38 ans), directeur musical de l’orchestre de Colorado Springs, élève de David Zinman, qui a montré une grande énergie et un grand sens dynamique dans sa direction, rapide, mais juste, qui suit les chanteurs avec attention et donne une vraie couleur à sa direction, en somme tout sauf un batteur de mesure. Il a su insuffler un vrai rythme, qui convient bien à la mise en scène.

Carmen - Photo Komische Oper

Les chanteurs, sans être exceptionnels, s’en sortent plutôt avec les honneurs, en premier lieu la Carmen de Katarina Bradic, très crédible physiquement,  à la voix sombre, bien posée, assez puissante: une belle Carmen (sa Habanera est très réussie, et  de plus chantée en français – le reste est en allemand-). Son Don José, Jeffrey Dowd, un ténor américain spécialiste des rôle plutôt lourds (Siegmund, Tristan, Frau ohne Schatten), en troupe à Essen, est loin de démériter et montre une belle intensité dans son chant. On préfèrerait évidemment l’entendre en français, mais il a du style, et le duo final avec Carmen est vraiment réussi. L’Escamillo de Günter Papendell, un des meilleurs membres de la troupe, à la voix très sonore et étendue, est légèrement décevant par rapport à ce que j’avais entendu précédemment (notamment dans Armide, de Glück, dans ce même théâtre, où il était vraiment remarquable). La Micaela de Erika Roos, tout jeune soprano lyrique, est très intense, possède déjà un chant très maîtrisé et impose sa personnalité en scène avec bonheur. Bonne Mercedès de Karolina Gumos, et Frasquita vaillante, à la voix un peu stridente, de la jeune Anastasia Melnik, de la troupe de l’Opéra Studio attaché à la maison. En somme, une distribution très honorable, sans vraie trouvaille, mais qui défend vaillamment la musique de Bizet et qui se glisse très bien dans les exigences de la mise en scène.

Sebastian Baumgarten a fait des choix moins radicaux que pour son Tannhäuser de Bayreuth, même si on reconnaît sa patte à la profusion d’idées, à la manière d’en rajouter, d’adapter les dialogues avec plus ou moins de bonheur, mais de garder tout de même l’essentiel du livret tout en le transposant de nos jours, dans un de ces quartiers maudits de la banlieue des villes. Le décor de Thilo Reuther représente au lever de rideau en premier plan une banque (Santander) éventrée sans doute par un attentat, et en arrière une de ces barres de cités , en état de délabrement avancé. Un décor de béton, explosé, où les soldats sont devenus des sortes de miliciens qui combattent les contrebandiers, ou plus des trafiquants révoltés que des contrebandiers d’opérette. Des vidéos s’égrènent, une fleur, jetée sur une route, des interrogatoires de police qui jouent sur le présent et le futur. Il n’y  plus de cigarière, mais des femmes qui fabriquent sans doute des poulets conditionnés, et qui les plument et les jettent dans une marmite après les avoir sacrifiés en une étrange cérémonie vaudou où Carmen est presque invoquée. Pas de garde montante ni descendante. Des dialogues modifiés, avec une importance plus grande, beaucoup plus grande donnée à Zuniga que dans la mise en scène traditionnelle, quelques coupures (choeur des enfants, choeur “un, dos, quartos”), des personnages rajoutés, notamment une danseuse de flamenco (Ana Menjibar qui remporte d’ailleurs un très grand succès, peut-être le plus marqué de la soirée), qui s’insère  dans les dialogues par de savoureuses adresses en espagnol, ou qui danse des intermèdes, accompagnée de deux guitaristes qui jouent aussi le rôle de continuo dans les dialogues (c’est d’ailleurs une bonne idée)…

Et malgré tout cela (je sens certains lecteurs pâlir), on a devant soi un spectacle fort, assez cohérent, avec de vrais moments de théâtre, qui viennent là où on ne les attendait pas: pas de rose jetée, mais un ballon de basket avec lequel joue Don José qui tombe sous les pieds de Carmen, qui renvoie la balle à José, où  s’ensuit un échange qui passe très vite de l’indifférence à l’échange vrai, au regard, à l’accroche, et ce qu’on prenait pour une provocation supplémentaire prend sens et devient un des moments les plus forts du spectacle.

Habanera - Photo Komische Oper

Carmen chantant sa Habanera n’est pas Carmen, mais une sorte de représentation fantasmatique de la mort, dans un costume très rigide, c’est la mort qui chante l’amour, enfant de Bohème. Elle ne devient Carmen qu’au moment de l’agression, très violente,  en fin de premier acte, qui provoquera son arrestation. C’est cette violence qui frappe: un monde de mort, de violence, de rapports de domination homme/femme, où l’amour porte irrémédiablement à la mort. Avec une métaphore qui est celle de la Corrida: sur une vidéo apparaît en projection “On ne doit pas avoir de doute au moment de la mise à mort c’est la loi de la Corrida”, une corrida illustrée en vidéo par deux mains, une masculine, une féminine, qui courent sur deux corps. Amour=corrida=mort, un motif que Baumgarten utilisera évidemment au dernier acte lors du duo. On oscille en permanence entre  hyperréalisme et idéalisme:

Micaela et José - Photo Komische Oper

Micaela est idéalisée, vêtue comme ces Vierges siciliennes ou andalouses qu’on promène sur des chars, en cape de satin bleu, avec des lumières scintillantes dans les cheveux, et son second monologue au troisième acte est vu comme un rêve de José, alors que  son entrée en scène au premier acte se confronte immédiatement au monde des hommes en rut, d’une violence plus forte que d’habitude. Il y a aussi hélas des moments où l’idée de la mise en scène tue l’intensité: dans le monologue des cartes (“La mort, toujours la mort…), Carmen entame une sorte de danse macabre chorégraphiée comme une danse de squelette, il faut bien le dire un peu ridicule. Une plus grande sobriété eût procuré un effet plus fort.
Au total un spectacle fait de profusion, avec l’exploitation d’idées somme toute banales sur l’œuvre (Eros/Thanatos, Carmen face à Don José comme le taureau face à son torero), d’autres meilleures, comme la violence qui naît de la très grande pauvreté, mais dans un style qui fonctionne et même séduit le public et dans une cohérence stylistique et plastique bien plus maîtrisée que dans le Tannhäuser de Bayreuth.

Incontestablement, ce spectacle est un grand succès, et attire un nombreux public, visiblement séduit (applaudissements et rappels sont interminables) et particulièrement jeune:  70% de la salle, pleine, a moins de trente ans, avec des classes et leurs professeurs, mais aussi des groupes d’adolescents, 14-15 ans, qui se sont mis sur leur 31 pour venir à l’opéra. Alors, si ce spectacle, pas totalement convaincant pour mon goût, mais plus réussi, incontestablement, que ce Tannhäuser de Bayreuth qui a tant fait couler d’encre, attire à l’opéra un public plus jeune, et plus disponible, alors, c’est qu’il atteint un but que bien d’autres n’arrivent pas à atteindre, et donc bravo l’artiste!!

La chute du Mur de Berlin…la musique comme “Passe Muraille”

S’il ya un domaine où la différence entre République Fédérale Allemande et République Démocratique Allemande (la DDR) n’est pas si profonde, c’est bien la musique classique et la scène musicale, et les observations faites au moment de la chute du mur, le rôle joué par la musique, les organisations d’un côté et de l’autre du mur montrent qu’au-delà des différences idéologiques, évidemment énormes, les différences du point de vue de l’organisation des théâtres à l’Est et à l’Ouest ne sont pas si importantes. En ces temps d’anniversaire, il m’apparaît intéressant de rappeler quelques faits.

La musique et le théâtre, la scène, sont des éléments importants de la formation “à l’Allemande”: depuis longtemps les universités forment en “Theaterwissenschaft” des étudiants qui deviennent ensuite critiques ou metteurs en scène, des académies préparent les acteurs, il y a de vrais cursus universitaires partout, et bien avant que le concept d'”études théâtrales” arrive dans l’université française. Il y a entre 250 et 300 théâtres en Allemagne, recensés dans le fameux “Deutsche Bühnen Jahrbuch”, le répertoire annuel des scènes allemandes,dont la plupart, dans une écrasante majorité, sont publiques, supportées essentiellement par les villes ou les Länder (le théâtre engloutit en général l’essentiel des budgets culturels des municipalités) et ces salles jouent des centaines de soirées par an, opéra, opérette, ballet, théâtre. Dans les villes petites ou moyennes, le théâtre municipal (Stadttheater) propose à la fois lyrique, ballet et théâtre. Dans les villes plus importantes, il y a un opéra, et un théâtre municipal, quelquefois, comme à Mannheim ou à Karlsruhe, deux salles dans le même bâtiment. Cela signifie que la proposition en matière d’opéra est beaucoup plus forte et ouverte qu’ailleurs en Europe, et que le marché des chanteurs y est très large. Cela veut dire aussi que si l’on ne peut s’attendre partout à des soirées mémorables, au moins, chaque allemand (et notamment chaque jeune) pour un prix raisonnable peut en n’importe quel point du territoire, avoir accès à l’essentiel des grands standards du répertoire à 30 km à la ronde (qui habite Mannheim, outre Mannheim, peut aller à Heidelberg (13km), Ludwigshafen (2km), Darmstadt (50 km), Francfort (80 km), Stuttgart (120 km), Pforzheim (80km), Karlsruhe (58km) ou même Baden Baden (90km) ou Strasbourg (130km). cela veut dire enfin que les troupes locales sont très enracinées, que les spectateurs sont très attachés à leurs acteurs, leurs chanteurs, leurs théâtres. Ce système du répertoire, très coûteux certes,  permet aux jeunes chefs, aux jeunes chanteurs, de travailler un répertoire large en ayant l’assurance d’un salaire mensuel (la plupart des artistes en troupe ont un statut qui s’approche de celui de fonctionnaire municipal). La même chose vaut pour les acteurs. Et ce système permet  au jeune public de se faire une vraie culture par le contact non avec le disque mais avec le spectacle vivant et ça, c’est irremplaçable. La tradition allemande est celle d’un théâtre public, vécu comme un service public, qui n’est pas un luxe, mais une nécessité sociale. La chute du mur a donné l’occasion de réfléchir sur ce système, beaucoup ont pensé qu’il ne tiendrait plus longtemps vu ses coûts, on discute toujours (notamment à Berlin!) de l’avenir des théâtres, mais pour l’instant, les choses tiennent encore, car toute fermeture de théâtre est vécue comme une blessure, à Berlin comme ailleurs en Allemagne.

Pourquoi préciser tous ces points, sinon pour dire qu’en DDR, oui dans l’ex-DDR et en République Fédérale, le système était à peu près le même, et que sur le plan du théâtre et de l’opéra, la réunification n’a rien changé à son fonctionnement, même si elle a changé les hommes, évidemment (mais pas toujours) et même si le théâtre à l’Est a beaucoup, mais beaucoup souffert dans les nouveaux Länder, de la réunification au départ. Je me souviens y avoir fait un voyage d’études en 1992, et tous les directeurs rencontrés disaient qu’il y avait une chute du public énorme, qui menaçait le maillage culturel de l’ex-DDR. En effet, il y avait un très grand nombre de salles, le public des salles sous le régime communiste était garanti par les usines environnantes qui achetaient des abonnements. Or, vers 1992, les entreprises fermaient les unes après les autres, provoquant chômage et désarroi, et bien sûr, plus d’abonnements de garantie pour les théâtres, d’autant que le public disait-on était plus intéressé par les feuilletons ou les émissions de la télévision que par les théâtres, qui rappelaient la période communiste: il a donc fallu revoir les politiques publiques, fermer des salles; mais, 20 ans après, les choses sont stabilisées. Un seul exemple: je me souviens à l’époque avoir visité le très charmant théâtre de Altenburg, en Thüringe. Il était dans une situation désespérée: je suis allé voir son site internet…je ne commente pas, je vous y renvoie, vous constaterez vous-mêmes ce qu’une petite structure de l’ex-Allemagne de l’Est peut produire aujourd’hui !(http://www.tpthueringen.de/frontend/index.php).
Parlons de Berlin: pour des raisons à la fois politiques et géographiques, c’est l’ex-DDR qui avait sur le territoire de l’ex-Berlin Est toutes les grandes scènes historiques de la ville, à commencer par la Staatsoper, le Deutsches Theater, et le Berliner Ensemble, mais aussi la Komische Oper (le théâtre de Felsenstein) et la Volskbühne am Rosa Luxemburgplatz. Car tout le quartier du centre (Mitte) se situait à Berlin Est. De facto dépositaire de la tradition historique théâtrale et lyrique, la DDR s’en est évidemment emparée pour redorer son blason et montrer qu’en matière d’identité culturelle allemande, elle n’avait pas de leçons à recevoir. D’ailleurs ses artistes (Theo Adam, Peter Schreier) essaimaient les scènes …de l’ouest et les enregistrements de l’époque pour les mêmes raisons, et ses orchestres (Gewandhaus de Leipzig et Staatskapelle de Dresde) continuaient d’être ce qu’ils sont encore, des orchestres de référence!  (Mais il ne fallait pas trop être révolutionnaire, bien des jeunes metteurs en scène (Frank Castorf) vont être sanctionnés par le régime)

Je me souviens d’une tournée triomphale du Staatsoper de Berlin Est, au théâtre des Champs Elysées, qui présenta une Walkyrie bien sage au demeurant mais magnifiquement chantée, avec Theo Adam dans Wotan, début avril 1973. La musique de Berlin Est était alors une vraie référence. Cette situation aboutit bien sûr au trop plein  berlinois d’aujourd’hui: trois opéras et trop d’orchestres et de grandes institutions théâtrales publiques coûtent très cher à Berlin aux finances chancelantes. Mais voilà, on ne ferme pas un théâtre si facilement à Berlin et en Allemagne, surtout là où chacun porte en lui une marque historique profonde. Ironie de l’histoire, la Staatsoper Unter den Linden ferme pour trois ans à la fin de la présente saison. Elle va s’installer à l’ouest, au Schiller Theater, à quelques centaines de mètres et dans la même avenue que son grand rival, la Deutsche Oper (l’opéra de l’ex Berlin Ouest). Pendant trois ans, l’Opéra à Berlin sera à Charlottenburg, et l’on passera d’un trottoir à l’autre pour goûter à l’un (Opéra de l’ex Berlin Est) ou à l’autre (Opéra de l’ex Berlin Ouest) , au style de programmation assez différent. Quant à la Komische Oper, marquée par la tradition à la fois de l’opéra populaire (tous les opéras sont donnés en allemand), et celle de la mise en scène (Felsenstein est passé par là), elle se spécialise de plus en plus dans des mise en scènes un peu particulières (Calixto Bieito par exemple), sous l’impulsion de Andreas Homoki, son directeur, qui part à Zürich dans deux ans. C’est l’avenir de cette salle (l’ex Est) qui pose le plus de problèmes.

Mais l’Est théâtral a depuis longtemps irrigué l’Ouest: bien des metteurs en scènes fameux des années passées sont des transfuges de l’Est, à commencer par Götz Friedrich,  décédé il y a quelques années, qui fut le premier metteur en scène “new look” de Bayreuth (avec son Tannhäuser), et qui ironie là aussi, fut longtemps directeur de la Deutsche Oper (de l’Ouest), Harry Kupfer, à qui l’on doit à Bayreuth un Ring et un mémorable Vaisseau Fantôme, à Berlin un autre Ring, fut lui aussi un hiérarque du théâtre à l’Est puisqu’il dirigea la Komische Oper à la fin des années 70:  il resta quant à lui à l’Est. Parlons aussi de Ruth Berghaus, dont les mises en scènes ensanglantèrent bien des opéras allemands ou autrichiens. Enfin, Frank Castorf, l’un des plus brillants metteurs en scène d’aujourd’hui, qui dirige la Volksbühne de Berlin a fait mettre au fronton du théâtre en lettres lumineuses “OST” (EST), revendiquant une identité culturelle marquée, et désireuse de s’identifier comme “Ossie” (venant de l’est, en langage populaire).
On le voit, la pénétration de l’Est dans le monde de l’Ouest a commencé bien avant la chute du mur, et cette chute au total a posé peut-être plus de problèmes aux artistes locaux, puisque Berlin a été l’objet de convoitises multiples!

Dernier point, si Barenboim dirige depuis bientôt vingt ans la Staatsoper de Berlin, ce n’est pas un hasard, l’artiste, très engagé par ailleurs, trouve sans doute symbolique d’être installé dans le théâtre historique de la capitale allemande, lui l’israélien d’origine argentine, qui défend la cause palestinienne et fonde un orchestre de jeunes qui justement transperce transcende ou ignore les Murs: l’ouverture et la disponibilité qui sont des caractères de cette ville vont bien à sa personnalité. Ce n’est pas un hasard non plus que l’année même de la chute du Mur, les Berliner Philhamoniker aient choisi à la surprise générale et de l’élu lui même Claudio Abbado pour mener leur révolution post Karajanesque! Ce n’est pas un hasard si Rostropovitch, ou Bernstein, se soient retrouvés au pied du Mur pour de mémorables concerts, ils ont porté les uns ou les autres le message social et politique de la musique. Et ce n’est pas non plus un hasard enfin, bien qu’on ne l’ait pas assez rappelé ces derniers jours que les premières grandes manifestations de Leipzig, qui allaient d’exporter à Berlin et provoquer la fin du régime, aient été portées par l’orchestre du Gewandhaus et de son chef Kurt Masur, qui a rencontré l’histoire à cette occasion!

Il y a bien des choses à rappeler sur les moments musicaux de cette période, sur les échanges Est/Ouest, sur le nouveau paysage musical et artistique des “nouveaux Länder” et de Berlin mais il n’y a pas eu rupture, il y a eu élargissement, remise en cause, changements de personnes, enjeux d’ambitions personnelles fortes, mais autour d’idéaux et de croyances qui étaient assez communes, et qui avaient déjà transcendé les murs et les frontières: la musique passe les murailles!