TEATRO ALLA SCALA 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

Dernier des grands théâtres à publier sa saison, il Teatro alla Scala a enfin dévoilé la liste des dix titres d’opéras qui seront affichés l’an prochain. Dix titres l’an prochain, seize (Ring compris) cette année, les restrictions frappent le théâtre et la culture en Italie, et en frappant les opéras (on le voit aussi au Mai Musical Florentin, dans une situation dramatique), on frappe au cœur de l’identité italienne.

La saison qui vient un peu réduite, mais est très diversifiée: on y trouve Verdi (3), Rossini (1), Mascagni (1), Berlioz (1), Rimski Korsakov (1), Mozart (1) , Strauss (1), Donizetti(1): la liste des auteurs parle d’elle-même, c’est un retour au répertoire italien, qui couvre la moitié des productions. Dans les nouvelles productions, deux sont une exclusivité Scala (Traviata et Così fan tutte), les autres (Les Troyens, Elektra, La fiancée du Tsar, Le Comte Ory) sont des coproductions avec Londres, Lyon, Berlin, Aix, Barcelone, MET; tandis que Lucia di Lammermoor est achetée ou louée au MET, et le reste (Cavalleria Rusticana, Trovatore, Simon Boccanegra) sont prises dans le répertoire de la maison, et pas forcément dans les réussites: au total sept spectacles sur dix seront nouveaux pour le spectateur milanais.
Et la saison s’ouvrira sans doute sur une bataille. 23 ans après la production poussiéreuse dès la création de Liliana Cavani (1990), qui révéla Roberto Alagna, la saison ouvre avec La Traviata (l’administration d’alors n’avait pas voulu ouvrir sur Traviata, par crainte de débordements) dirigée par Daniele Gatti, avec Diana Damrau (qui désormais chante Violetta partout), Piotr Beczala, Zeljko Lucic: une distribution solide pour une mise en scène de Dmtri Tcherniakov qui signera aussi le décor. Gatti n’est pas trop aimé à la Scala dans Verdi, nul doute que Tcherniakov sera accueilli par des bordées d’insultes par les “gardiens du temple”, et Damrau en Violetta, même si elle est bonne, sera sans doute accueillie fraichement par les mêmes (je souhaite me tromper): en bref, tous les ingrédients sont réunis pour une bonne recette de soupe à la grimace. Pour ma part, je suis très heureux du choix de Tcherniakov, de Gatti que j’aime bien, et de Damrau que je respecte infiniment. Croisons les doigts pour ces 8 représentations du 7 décembre au 3 janvier pour lesquelles, ô miracle, il n’est pas prévu de distribution B (pour l’instant, car à la Scala, si le pire n’est pas toujours sûr, le meilleur non plus: on guettera donc les habituels changements de cast en cours de répétitions).
Suivra un étrange montage ballet-opéra Fokine/Roland Petit/ Mascagni avec Le Spectre de la Rose (Mikhail Fokine), sur une musique de Weber orchestrée par Berlioz, La Rose malade, musique de Mahler, chorégraphie Roland Petit et Cavalleria rusticana dans la production de Mario Martone, le tout dirigé par Daniel Harding. Ce devrait être très bien à l’orchestre, Harding réussissant bien Mascagni. La distribution en revanche est assez passe-partout, Liudmyla Monastyrska (Santuzza), Jorge De León (Turiddu), Vitaliy Bilyy (Alfio), Valeria Tornatore (Lola) tandis que Mamma Lucia sera chantée par Elena Zilio, qui eu son heure il y a quelques dizaines d’années. (9 représentations du 12 janvier au 9 février).
Pier Giorgio Morandi, sans doute pour remerciement des très bons Macbeth cette année, alternatifs à Gergiev un jour bon, un jour non, dirigera une série de 9 représentations (1er/28 février) de Lucia di Lammermoor dans la mise en scène du MET de Mary Zimmermann (dans laquelle Natalie Dessay a triomphé à New York) avec deux distributions: cela donnera l’occasion à Albina Shagimuratova de (alternant avec Jessica Pratt)  se faire connaître à Milan: elle est vraiment très bonne et nul doute que sa Lucia sera une surprise pour le public. Vittorio Grigolo alternera dans Edgardo  avec Piero Pretti. Les reste de la distribution est solide (Fabio Capitanucci/Massimo Cavaletti, Orlin Anastassov/Sergey Artamonov, Juan Francisco Gatell).

Leo Nucci dans la production de la Scala

Après cette Lucia à usage local, une reprise  de Il Trovatore, dans la mise en scène mortifère et ennuyeuse de Hugo de Ana, dirigée par

Daniele Rustioni

Daniele Rustioni (excellente perspective) avec les Luna Leo Nucci & Massimo Cavalletti, les Leonora Maria Agresta (bien) & Lucrezia Garcia (moins bien, voire erroné), les Manrico Marcelo Álvarez & Yonghoon Lee et les Azucena Ekaterina Semenchuk & Luciana D’Intino. Dieu reconnaîtra les siens. On sait combien il est difficile de réussir un Trovatore: échec de Muti quand il a tenté en 2000/2001, et il faut remonter à 1964 pour trouver une distribution clairement attirante (Simionato/Bergonzi/Cappuccilli/Tucci) malgré une programmation au moins dans trois saisons entre 2000 et 1964…On verra…Il Trovatore, ou la palpitation musicale permanente: un Trovatore réussi, c’est alors une pépite, une merveille, une garantie de nirvana musical.
Deuxième production de Dmitri Tcherniakov, celle de Carskaja Nevesta (La fiancée du Tsar) pour 5 représentations du 2 au 14 mars et au pupitre pour la première fois de la saison Daniel Barenboim. C’est la production qui ouvrira  la saison prochaine de la Staatsoper de Berlin, avec Anatoly Kotscherga, Olga Peretyatko, Johannes Martin Kränzle, Pavel Černoch,Tobias Schabel, Marina Prudenskaya, Stephan Rügamer et même Anna Tomowa-Sintow!! On ira pour sûr, soit à Berlin (plus économique), soit à Milan (plus chic!!).
En avril, pour 6 soirs (du 8 au 30), la production londonienne des Troyens de Berlioz, mise en scène de David Mc Vicar, dirigée par Antonio Pappano, avec une distribution intéressante sans plus (Anna Caterina Antonacci Cassandre, Daniela Barcellona Didon) on trouve aussi dans le cast Samuel Ramey, Paolo Fanale, Maria Radner, mais, hélas, l’Enée de Gregory Kunde, qui à mon avis a passé l’âge…
En mai, tout le monde ira revoir l’Elektra d’Aix (mise en scène de Patrice Chéreau) dans la même distribution et avec le même chef (Esa Pekka Salonen) pour 6 représentations du 18 mai au 10 juin et avec Evelyn Herlitzius, Adrianne Pieczonka, Waltraud Meier, René Pape, Franz Mazura (87 ans?)… Beh oui, on ira…comment faire autrement?
En juin une nouvelle production de Così fan tutte dirigée par Daniel Barenboim et Karl Heinz Steffens (en juillet) . La Scala vivait sur la production fameuse de Michael Hampe (saison 1982-83) faite pour Riccardo Muti. Stéphane Lissner a confié à Claus Guth la nouvelle production (excellente idée) . La série de 11 représentations du 19 juin au 18 juillet sera chantée par Maria Bengtsson (Fiordiligi), Katija Dragojevic (Dorabella) Adam Plachetka (la découverte de Vienne) & Konstantin Shushakov (Guglielmo), Rolando Villazón et l’excellent Peter Sonn (Ferrando), avec l’Alfonso de Michele Pertusi, et la Despina de Serena Malfi. Così fan tutte n’est pas si fréquent, on ira donc voir avec plaisir de préférence en juillet pour coupler avec le très attendu Comte Ory de Rossini pour 8 représentations du 4 au 21 juillet avec Juan Diego Florez en alternance avec Colin Lee, Stephan Degout et Nicola Alaimo dans Raimbaud, Aleksandra Kurzak et Pretty Yende dans la comtesse de Formoutier dans la production de Laurent Pelly qu’on aura vu à Lyon début 2014 (mais sans Juan Diego Florez!) et dirigé par le très fiable Donato Renzetti.

Anja Harteros/Placido Domingo dans Simon Boccanegra

En automne 2014, un seul titre, Simon Boccanegra dans la mise en scène ratée de Federico Tiezzi avec deux distributions et deux chefs:
-du 31 octobre au 11 novembre, dirigé par Stefano Ranzani
-les  6, 13, 16 et 19 novembre par Daniel Barenboim
Les dates des deux distributions ne sont pas arrêtées, mais vous pourrez voir en alternance Leo Nucci/Plácido Domingo (Simon), Carmen Giannattasio/Anja Harteros (Amelia), Alexander Tsymbalyuk/Orlin Anastassov (Fiesco), Ramón Vargas/Fabio Sartori (Gabriele Adorno), Vitaliy Bilyy/Artur Rucinski (Paolo).

Voilà une saison un peu grise, avec trois sommets: Traviata, La fiancée du Tsar et Elektra. Pour le reste c’est selon les envies. Il faut quand même poser le problème des distributions et des voix: quand les cast ne sont pas importés (Elektra, La fiancée du Tsar), il y a des choix au moins très discutables: certes, on peut me reprocher de jouer au tifoso de football qui fait le jeu à la place de l’entraîneur, mais tout de même: il y a sur le marché au moins un Enée qui fonctionne,  Bryan Hymel, on se demande pourquoi aller chercher Kunde dans Les Troyens dont les dernières prestations sont très moyennes, même s’il fut un bon chanteur ou l’affichage d’un Trovatore très moyen dans une production mauvaise. La Scala depuis longtemps a un étrange fonctionnement dans les distributions; il lui manque un responsable de casting incontesté tel un Pål Moe ou une Joan Ingpen qui faisait les distributions de Liebermann ou du MET. Mais c’est aussi un signe probable que ce théâtre désormais fait moins rêver les artistes qu’il y a quelques dizaines d’années et de l’évolution des temps qui fait qu’un théâtre comme la Scala cible un public de passage heureux d’être là mais pas forcément amateur d’opéra, encore moins connaisseur, encore moins mélomane (j’ai des amis qui sont non pas mélomanes, mais sopranomanes). Il faudrait en analyser plus profondément les raisons, et elles sont très nombreuses, externes et internes au fonctionnement de la ville et de son théâtre symbole.
Mais quelques jours en Italie ne se refusent pas, même dans le brouillard de l’hiver milanais, et, il faut aussi le dire, une soirée à la Scala, même grise, c’est toujours quelque chose.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *