
À l’instar de nombreuses saisons européennes, celle de Genève n’accroche pas immédiatement par des productions qui vous attirent, qu’il serait crimniel pour un spectateur de rater. C’est une saison subie plus que conduite, parce que le Grand Théâtre entre en travaux au milieu de l’année et que le Bâtiment des Forces Motrices (BFM) va l’accueillir à partir de janvier 2025 et toute la saison 2026 – en espérant que les travaux qui concernent la machinerie n’accusent aucun retard.
Ainsi a-t-on l’impression d’une saison sans grande ligne, et construite par nécessité, on y trouve Wagner, Debussy, Gershwin au GTG, puis Rossini, Rameau, Puccini, Zappa au BFM, un parcours un peu tortueux illustré par le titre de la saison « Lost in translation » dont on retient surtout « lost » pour nos âmes un peu perdues.
La « translation », c’est celle du GTG au BFM, bâtiment des forces motrices, mais aussi celle d’Aviel Cahn dont c’est la dernière saison et dont on sent confusément que ce n’était pas celle exactement souhaitée.
Il sera temps de tirer les bilans en fin de mandat, mais après un début de mandat lourdement obéré par la pandémie, quelques choix erratiques de mise en scène et quelquefois des distributions hasardeuses, surnagent de belles réussites, comme la trilogie russe (Guerre et Paix, Lady Macbeth de Mzensk, et un peu moins Khovantchina), Saint François d’Assise, Didon and Aeneas, Einstein on the Beach et quelques autres moments.
Aviel Cahn appelé pour casser un peu la baraque a eu à Genève un parcours contrasté, dans un théâtre il est vrai pas si facile. Je m’interroge encore sur son identité, le goût de son public, sa ligne réelle et son rôle dans l’écosystème lyrique européen
La Ligne de l’Opera Vlaanderen était très claire et elle a toujours été tenue par Aviel Cahn quand il était aux commandes, à Genève, c’était bien plus difficile, moins clair entre audaces ratages et remords.
Alors, cette saison est peut-être emblématique de ces hésitations : des bords de l’opéra avec l’américain classique (Gershwin) ou moins classique (Zappa), à l’opéra des grands titres référentiels (Wagner, Debussy, Rossini, Puccini), avec une petite touche baroque (Rameau), tout le monde est à peu près servi, avec quelques audaces et de vraies prudences
Grand Théâtre
Septembre-Octobre 2025
Richard Wagner : Tannhäuser
6 repr. du 21 sept. au 10 oct 2025. (Dir : Mark Elder/MeS : Michael Thalheimer)
Avec Daniel Johansson/Samuel Sakker, Stéphane Degout, Jennifer Davis, Victoria Karkacheva, Franz-Josef Selig, Julien Henric etc…
Après un Parsifal assez correct et un Tristan à oublier malgré Marc Albrecht, c’est le troisième Wagner de l’ère Cahn et tous les trois auront été confiés en définitive à Michael Thalheimer, puisque Tatjana Gürbaca prévue à l’origine pour ce Tannhäuser a déclaré forfait. Une trilogie Thalheimer, et donc un choix de relative prudence, vu les délais réduits.
Au pupitre on aurait souhaité un chef plus convaincant que Mark Elder, dont je n’oublierai jamais qu’il ne fit qu’un an à Bayreuth après des Meistersinger désastreux et dont je n’ai pas souvenir d’une seule prestation convaincante en fosse.
Dans la distribution, Daniel Johansson est un habitué puisqu’il fut notamment Parsifal, mais on s’intéressera plus à Samuel Sakker, ténor australien dont on parle beaucoup pour les rôles wagnériens et qui commence à essaimer en Europe. C’est lui qu’il faut aller écouter si l’on est curieux de voix nouvelles. C’est pourquoi on sera curieux aussi de Jennifer Davis, voix irlandaise émergente, en Elisabeth. Enfin on s’arrache la mezzo Victoria Karkacheva, on l’écoutera avec d’autant plus d’attention en Venus.
On ne présente plus Franz-Josef Selig, vénérable modèle de chant wagnérien stylé non plus que Stéphane Degout, qui semble fait pour Wolfram.
Octobre-Novembre 2025
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
5 repr. du 26 oct. au 4 nov. (Dir : Juraj Valčuha/MeS : Damien Jalet/Sidi Larbi Cherkaoui)
Avec Björn Bürger, Mari Eriksmoen, Leigh Melrose, Sophie Koch, Nicolas Testé etc…
Orchestre de la Suisse Romande.
Coproduction Opera Ballet Vlaanderen, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Göteborgs Operan.
Cette production prévue en janvier 2020 à été victime du Covid et n’a eu droit qu’à un streamling: la voilà enfin avec ses deux chorégraphes aux commandes, et la scénographie et concept de Marina Abramović, la célébrissime performeuse faisant notamment de son corps l’objet de son travail artistique. Ce sera donc très « mode ».
Dans la distribution, quelques modifications par rapport à celle prévue à l’origine, et notamment le Pelléas de Björn Bürger, le baryton allemand qui explose, en troupe à Stuttgart et qui fut à Zurich au printemps un magnifique Franck/Fritz dans la production de Die tote Stadt de Tcherniakov. Je suis moins convaincu de Mari Eriksmoen, un peu froide pour mon goût et j’attends Leigh Melrose, un chanteur toujours engagé. Wanderersite.com a rendu compte du streaming du spectacle, alors dirigé par Jonathan Nott. C’est Juraj Valčuha qui lui succède, un excellent chef à qui ce répertoire devrait convenir.
Décembre 2025
George Gershwin : Un américain à Paris
12 repr. du 13 au 30 dec. (Dir : Wayne Marshall/MeS: Christopher Wheeldon)
Avec « une distribution d’artistes de Broadway et du West End »
Orchestre de la Suisse Romande
Créée au Châtelet en 2014, revenue en 2019 après avoir tourné dans le monde entier, voilà la production triomphale de Christopher Wheldon à Genève, dans cette version inspirée du film de Vicente Minelli de 1951, mais récréée, récrite avec des numéros musicaux différents et un livret entièrement revu par Craig Lucas. Le nombre de représentations, le succès déjà engrangé ailleurs garantissent une « fermeture » du Grand Théâtre dans la fête.
Il faudra y courir d’autant que dans la fosse opère Wayne Marshall, un des phares de ces musiques.
BFM
Janvier-Février 2026
Gioachino Rossini: L’italiana in Algeri
7 repr. du 23 janvier au 5 févr. (Dir : Michele Spotti/ MeS : Julien Chavaz)
Avec Gaelle Arquez, Nahuel Di Pierro, Daniel Novaro, Maxim Mironov etc…
Orchestre de la Suisse Romande
Le premier « dramma giocoso » d’importance (1813) créé à Venise (Teatro San Benedetto) qui sera suivi de Barbiere et Cenerentola formant une sorte de trilogie de référence, dirigé par un des chefs rossiniens de référence aujourd’hui, Michele Spotti, qui a étudié au Conservatoire de Genève et qui ainsi revient (un peu) chez lui. Une distribution honorable avec un grand spécialiste rossinien (Maxim Mironov), et Gaelle Arquez, qui se frotte à Rossini depuis quelques années, mais on aurait pu trouver pour Mustafa un autre profil que celui de Nahuel di Pierro, pas exactement une basse bouffe. La mise en scène confiée à Julien Chavaz, ex-directeur de Fribourg et aujourd’hui à Magdebourg, réservera sans doute quelques surprises…
Mars 2026
Jean-Philippe Rameau : Castor et Pollux
7 repr. du 19 au 29 mars (Dir : Leonardo Garcia Alarcon/MeS : Edward Clug)
Avec Reinoud van Mechelen, Andreas Wolf, Sophie Junker, Eve-Maud Hubeaux, Charlotte Bozzi, Sahy Ratia, Giulia Bolcato, Alexandre Duhamel
Cappella Mediterranea
BFM
Avec Leonardo Garcia Alarcon, de retour dans une production du Grand Théâtre, avec sa Cappella Mediterranea, nous avons l’assurance d’un niveau d’exécution de grande classe, avec le chorégraphe roumain Edward Clug, c’est plus incertain dans la mesure où c’est son premier opéra mis en scène, et Aviel Cahn renouvelle avec lui un projet à la Atys qu’il avait confié à Preljocaj. Wait and see.
Du côté de la très solide distribution, notons Eve-Maud Hubeaux dans un répertoire inhabituel pour elle.
Avril-mai 2026
Giacomo Puccini : Madama Butterfly
8 repr. du 23 avril au 3 mai (Dir : Antonino Fogliani/MeS : Barbora Horáková)
Avec Corinne Winter/Heather Engebretson, Stephen Costello/ Arnold Rutkowski, Andrey Zhilikhovsky, Kai Rüütel-Pajula etc…
Orchestre de la Suisse Romande
BFM
Le très bon Antonino Fogliani est le seul italien du plateau pour une Butterfly aux parfums de la diversité internationale, une Butterfly américaine rompue à Janaček, avec tous les fils qui relient Puccini et le compositeur tchèque, qui alterne avec Heather Engebretson, jeune soprano sino-américaine, un Pinkerton de souche américaine (comme il se doit), le très pâle et inutile ténor Stephen Costello, qui alterne avec le bien meilleur ténor polonais Arnold Rutkowski, Andrey Zhilikhovsky, magnifique baryton moldave un peu sous exploité ici (il était le prince Andrei dans le Guerre et Paix légendaire de Tcherniakov à Munich), Kai Rüütel-Pajula, Suzuki estonienne et Barbora Horáková, metteuse en scène tchèque, mais très liée à la Suisse où elle a été formée et donc un peu chez elle.
Sans préjuger totalement des qualités des uns et des autres, dans une ville où la communauté italienne est si importante, on eût pu faire un petit effort pour chercher quelques représentants de l’école de chant italienne. Mais sans doute n’y a-t-il aucun chanteur italien sur le marché .
Juin 2026
Frank Zappa : 200 Motels
6 repr. du 18 au 28 juin (Dir : Titus Engel/MeS :Daniel Kramer)
Avec Robin Adams, Brenda Rae, Peter Hoare, Marcel Heuperman, Ziad Nehme, Justin Hopkins, Julieth Lozano, Mike Keneally.
Orchestre de la Suisse Romande
Steamboat Switzerland
Ensemble de percussionnistes de la HEM.
BFM
Pour ce dernier spectacle de Aviel Cahn à Genève, on a réuni un excellent chef suisse (Titus Engel, qui avait ouvert le mandat Cahn avec Einstein on the Beach et qui le ferme avec Zappa), un metteur en scène qui avait déjà signé Turandot plein d’images et d’imagerie (un peu too much) et une très belle distribution.
Le projet ? un road-movie rock-opéra (Zappa est un hapax à l’opéra !) aux formes variées et plastiques, destinées à s’adapter surprendre et emporter le public. Un projet fou et « foutage de gueule » (sic) dans l’histoire duquel on trouve quand même les noms de Zubin Mehta et d’Esa-Pekka Salonen.
La folie aux forces motrices ? Acceptons-en l’augure.
Récitals :
Quatre grands noms du chant pour quatre récitals aux couleurs variées et aucun n’est à manquer…
11 octobre 2025 :
Joyce Di Donato, mezzo-soprano, Craig Terry, piano.
Œuvres de Haydn, Debussy, Alma Mahler à Heggie…
7 décembre 2025 :
Stéphane Degout, baryton, Cédric Tiberghien, piano.
Lieder et mélodies de Schumann, Ropartz, Strohl, Ravel et Debussy
4 février 2026:
Peter Mattei, baryton, Daniel Heide, piano.
Schwanengesang (Schubert) et autres lieder choisis.
27 mars 2026:
Elsa Dreisig, soprano, Joseph Middleton, piano.
La Reine de cœur (Poulenc, Satie, Hahn etc…)
Pour le reste, on consultera le site du Grand-Théâtre de Genève, il y a plein d’autres manifestations.
Au revoir à Aviel Cahn, un roi s’en va (à Berlin), un autre arrive (de Strasbourg), bienvenue à Alain Perroux dont toute la première saison 2026-2027 se déroulera au Bâtiment des Forces Motrices…