SUR L’ÉLECTION DE KIRILL PETRENKO AU PHILHARMONIQUE DE BERLIN

Kirill Petrenko © Wilfried Hösl
Kirill Petrenko © Wilfried Hösl

On attendait une décision dans plusieurs mois et elle est arrivée un mois et 10 jours après ce fatidique 11 mai, tant commenté par les médias et tant raillé par les réseaux sociaux. Qui a regardé la conférence de presse (sur YouTube) a pu constater la satisfaction visible des musiciens qui intervenaient. Satisfaction qui m’a été confirmée par les mails échangés avec quelques-uns des membres de l’orchestre.
Les lecteurs de ce blog savent comme je suis Kirill Petrenko dans la plupart des productions qu’il dirige à Munich, mais les spectateurs de l’Opéra de Lyon (merci Serge Dorny) , où il a dirigé régulièrement de 2006 à 2011, le connaissent bien aussi et savent la qualité de ses Tchaïkovski (un Mazeppa superlatif notamment!) et se souviennent de son Tristan und Isolde qui a suscité un intérêt plus vif de la presse, vu qu’il était le chef désigné (et choisi par Eva Wagner-Pasquier) pour le Ring du bicentenaire de Wagner à Bayreuth. Kirill Petrenko est évidemment un chef de tout premier plan, indépendamment des inévitables discussions d’entracte sur telle ou telle interprétation. Sa récente Lulu à Munich a divisé les commentateurs, notamment étrangers, malgré une appréciation positive de presque toute la presse germanique parce qu’il a pris à revers une œuvre qui commence (depuis assez peu de temps) à avoir une tradition (une doxa serait plus juste) interprétative.
Il reste que bien des commentaires lus dans la presse ou dans les réseaux sociaux français montrent qu’on considère son élection à Berlin comme celle « d’un second couteau », comme l’écrit un twitteur sans doute peu au fait de la manière dont il est considéré outre-rhin dans le monde musical, ou d’un choix « par défaut » puisque ceux qui étaient considérés comme les probables heureux élus éventuels ont été écartés.
Au conclave, on rentre Pape et on en ressort cardinal, c’est bien connu.
Connu à Lyon où il  a dirigé 4 opéras, Petrenko l’est moins à Paris…mais gageons que désormais les Sybilles et les Pythonisses du monde musical français vont édicter leurs jugements éclairés lors des prochaines apparitions du chef sur les rives de la Seine.
Certains vont jusqu’à mettre en doute le jugement des musiciens du Philharmonique de Berlin, car les musiciens d’un orchestre (et de cet orchestre !) ne seraient pas les mieux placés pour juger du discours interprétatif d’un chef. Les Berliner Philharmoniker les attendent impatiemment, ces doctes commentateurs, pour entendre en quoi ils ont fait l’erreur de leur vie.
Il y a partout des cafés du commerce, auprès des stades et auprès des salles de concert. Et partout des programmateurs en herbe (folle). Ah, si on les écoutait.
Une chose est sûre, c’est que jamais Kirill Petrenko n’a fait partie des outsiders , qu’on en parlait en Allemagne pour Berlin  depuis longtemps, et bien avant mai 2015. On sait qu’il est considéré comme l’étoile montante de la direction d’orchestre, travailleur acharné, adoré des orchestres qu’il dirige, des équipes qu’il anime, d’une folle exigence et d’un fol pointillisme, mais en même temps d’une grande gentillesse. Lors d’une conversation avec l’intendant de Munich Nikolaus Bachler, celui-ci me disait ne jamais avoir vu un orchestre prolonger une répétition pendant plus de 30 minutes par rapport à l’horaire prévu simplement « parce que c’est intéressant ». Kirill Petrenko n’a pas de relation avec les médias, qu’il évite, il est d’une discrétion vite devenue légendaire, en ce sens, il est à l’opposé du grand communicant Simon Rattle mais a imposé le respect partout où il est passé.
Il faisait partie des noms cités avec insistance, mais tout le monde focalisait sur Christian Thielemann, le candidat de « l’identité allemande », grand musicien, mais personnalité contestée (d’aucuns disent contestable) ou sur son alternative Andris Nelsons.
L’annulation de son concert avec les Berliner début décembre (Mahler VI, qu’il avait dirigée de manière époustouflante à Munich début octobre – voir ce blog) a été interprétée  comme une fin de non-recevoir et un refus de rentrer dans le « toto-direttore », dans la ronde des possibles élus.
Eliminé, par sa propre volonté, de la course à ce poste, restaient deux possibilités :

  • ou bien élire Thielemann ou Nelsons,
  • ou se replier sur une solution d’attente, un maître plus vénérable, Jansons, un des favoris de l’orchestre, mais qui a signé opportunément sa prolongation à Munich juste avant le 11 mai, Barenboïm, dont le nom circule toujours au moment de l’élection et ce depuis 1989, voire Chailly.

On a même prononcé les noms de Yannick Nézet-Séguin ou de Gustavo Dudamel, improbables, ou même de Esa Pekka Salonen, qui n’a pas mis les pieds à Berlin depuis des lustres.
A la veille du concert de Berlin en décembre 2014, Kirill Petrenko était si attendu que les concerts étaient complets et qu’on pensait que si c’était un triomphe, c’était plié pour l’élection. Pour un outsider, on repassera!
Le choix offert au 11 mai fut donc peut-être, contrairement à ce qu’on écrit ici et là, un choix « par défaut », et cela expliquerait l’échec du vote. Il y avait sans doute de forts partisans de Thielemann, mais aussi de fortes oppositions. Et donc raisonnablement l’orchestre a préféré reporter le choix, qui doit être aussi unitaire que possible, pour préserver l’homogénéité de l’orchestre, malgré les inévitables variétés des opinions à l’intérieur d’un groupe de 124 personnes.
Un revirement si subit (un peu plus d’un mois) et une élection de Kirill Petrenko à forte majorité des musiciens montrent que le chemin s’est ouvert plus rapidement qu’attendu. D’abord, remarquons et c’est tout à leur honneur, que les musiciens ont compris que la communication autour de l’élection leur avait été dommageable en mai : les réseaux sociaux suspendus à la fumée blanche, les fausses nouvelles qui fuitent, puis le soufflé qui retombe, tout cela n’est pas bon pour l’image et la sérénité « artistique » des débats. Ils ont donc procédé dans le plus grand secret, ce qui préservait d’un éventuel échec.
Mais les choses étaient suffisamment avancées pour que le célèbre critique du journal Die Welt, Manuel Brug, publiât ce week-end dans son blog un article annonçant la réunion de l’orchestre et les questions en suspens, encore aujourd’hui d ‘ailleurs, concernant la compatibilité du contrat munichois de Petrenko (qui se termine en 2020) et le début de son contrat berlinois (septembre 2018).( http://klassiker.welt.de/2015/06/21/wird-kirill-petrenko-neuer-chef-der-berliner-philharmoniker-ab-2020/)

Qu’est ce qui a pu décider les musiciens à revenir sur un nom qui paraissait perdu pour la cause, et qu’est ce qui a pu décider Petrenko ? D’abord, il apparaissait que Petrenko n’était pas si fermé à la perspective. Ensuite, Andris Nelsons se refusait à laisser Boston. Or, si un directeur artistique et musical des Berliner peut rester directeur musical d’un opéra (Karajan fut à la fois viennois salzbourgeois et berlinois), il ne peut cumuler deux orchestres. Quant à Thielemann, je pense que les derniers événements de Bayreuth (le Hausverbot d’Eva Wagner-Pasquier et le remplacement dans le dos de Petrenko de Lance Ryan), les commentaires peu amènes de la presse et les communiqués d’une rare netteté de Kirill Petrenko lui-même, lui qui ne parle jamais, n’ont pas favorisé les conditions éventuelles d’un retour serein de Thielemann dans les candidats au poste de Berlin. Si donc les conditions ont été réunies en si peu de temps, c’est que le ciel s’est subitement éclairci mais aussi et surtout que le nom de Petrenko flottait depuis longtemps dans les têtes des musiciens pour s’imposer rapidement.
Dernière remarque enfin, on dit toujours que Berlin se déciderait en fonction de critères musicaux certes, mais aussi commerciaux : ils viennent de choisir un chef à la discographie limitée et au répertoire soi-disant limité (même si Petrenko a été formé en Autriche, gage de grand classicisme). Qui plus est, il n’a dirigé que trois programmes à Berlin. Ou bien ils sont inconscients (ce que disent les gens des cafés du commerce) ou bien ils ont au contraire une raison impérieuse et pour eux évidente. Gageons que ce soit cette deuxième raison qui ait emporté la décision, née de répétitions mémorables aux dires de tous, et de concerts (qu’on peut entendre par extraits sur YouTube) surprenants, voire clivants, ce qui est le gage à tout le moins d’une forte personnalité musicale. C’est bien donc une décision exclusivement artistique qu’ils ont prise, au mépris des conseils de tous genres, au mépris des bruits qui circulaient, et c’est tout à leur honneur là encore.
La dernière fois qu’ils se sont arrêtés sur un nom inattendu qui n’était pas dans la rose des favoris officiels, c’était en 1989 et l’élu s’appelait Claudio Abbado. [wpsr_facebook]

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: LULU d’Alban BERG le 6 JUIN 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Dmitri TCHERNIAKOV)

Deux points pour revenir sur cette production de Lulu après une deuxième vision, qui m’a permis de mieux asseoir mon jugement et mieux confirmer mes intuitions.

D’abord, la mise en scène de Dmitri Tcherniakov , concentrée sur les personnages et qui raconte une histoire elle-même concentrée sur le proscenium. On ne reviendra pas sur l’extraordinaire performance des chanteurs-acteurs, qui réussissent à eux seuls à porter le spectacle.
Avec un dispositif unique d’une grande simplicité apparente, Tcherniakov par les jeux d’éclairage et quelques chaises réussit à raconter avec un précision incroyable une histoire qu’il vide de toutes ses péripéties : pas vraiment de picaresque dans cette Lulu : on ne voit pas les policiers chercher Lulu, on entend à peine les coups de révolver contre Schön, on entend sans voir l’agitation du début du 3ème acte lorsqu’on apprend que les actions de la Jungfrau s’écroulent. Tcherniakov ne s’attarde pas sur l’accessoire, sur les détails cinématographiques de l’histoire, sur les péripéties qui ne concernent pas Lulu.
S’attardant au contraire sur le personnage de Lulu, il compose une passion en neuf stations, l’ascension, le triomphe et la chute, faisant de Lulu une sorte de planète autour de laquelle gravitent les autres personnages, en effaçant tout pittoresque. Je l’ai dit, c’est une vision épurée, où la situation tragique se construit, il en fait presque une sorte de sainte , oui, de sainte tout en blanc (il faudrait analyser la blancheur de ces habits du 3ème acte) d’un univers noir et lisse, sans rien pour se retenir ou s’agripper .

L’histoire fourmille de détails, le cinéma s’en est emparé tant l’œuvre est « réaliste » et i. Et pourtant ici, Tcherniakov réussit à effacer tout réalisme de façade pour fouiller chirurgicalement les âmes et les personnages, dont chacun est dessiné avec une justesse et une précision qui stupéfient : l’athlète (excellent Martin Winkler) est par exemple exceptionnel, il porte des « signes » d’athlète (survêtement) mais il n’apparaît jamais comme tel, on le sent, sans jamais l’identifier de visu, c’est par les gestes, c’est par quelques détails qu’on l’identifie.
Même précision à la fin où Lulu habille un Jack l’Eventreur volontairement autre ; de la redingote de Schön, alors que Jack L’Eventreur porte lui même une redingote qui pourrait y renvoyer. Elle l’habille comme pour un rituel, comme si elle sentait qu’il fallait mourir par cet homme, un substitut sacrificiel. Mais là aussi pas de cris bestiaux comme quelquefois, mais un instant bref, et définitif, une mort presque pudique, presque linéaire, comme celle d’Alwa précédemment. Il y a eu des morts théâtrales, (le Medizinalrat, le peintre, Schön) qui doivent ponctuer de manière presque spectaculaire l’itinéraire – la mort du peintre est particulièrement soignée à ce propos, ou celle de Schön) toutes les morts du 3ème acte sont presque des instants qui passent, sans qu’on s’y arrête, y compris celle de Lulu. Merveilleux travail.
Seuls moments « mouvementés », les intermèdes où le chœur progressivement accompagne l’histoire, histoires de couples qui s’aiment, se désirent et se détruisent au rythme grinçant d’une musique qui à ce moment explose en mille sons, avec une énergie peu commune. Ce qui fait bouger, ce qui se fait entendre dans l’histoire, ce sont les interstices de la vie qui va.
Tcherniakov joue en revanche sur les reflets, sur la présence des personnages au fond, sur leur entrée dans le champ du spectateur, ce sera Schön, mais aussi Schigolch, ou La Geschwitz, très juvénile de Daniela Sindram, voire sur la jeune fiancée ; il joue sur les reflets, sur leur multiplication comme pour donner à cette histoire une sorte d’universalité et en même temps construire une sorte d’harmonie qui fait image.
Face à ce travail millimétré, d’une très grande précision dans les gestes et dans les attitudes, très dramatique, laissant peu de place à l’improvisation, Kirill Petrenko prend lui aussi l’auditeur à revers : à l’univers glacé construit par Tcherniakov, Petrenko fait écho par un univers minimaliste, donnant à sa Lulu une valence intimiste, presque chambriste, et marquée rythmiquement sans aucun espace pour la complaisance sentimentale, mais sans aucune violence. On s’attend toujours dans Lulu à des moments tendus, incisifs, violents, et Petrenko arrondit les angles, renvoie à un univers sonore plus charnu comme l’univers straussien, par certaines couleurs, très rondes, alors que par ailleurs il réussit à isoler tous les sons, à proposer une vision qui semble quelque fois le son grèle d’un quatuor à cordes, millimétrée et calquée sur les mouvements de la mise en scène.
Il en résulte une très grande tension, ce qui est paradoxal tant on attend de cette tension une sorte d’expressionnisme, alors qu’il est totalement impressionniste, construisant l’univers à partir de sons isolés, mais toujours très colorés alors qu’il est métonymique, nous faisant entendre un mince partie pour dessiner le tout : la prestation de l’orchestre est magnifique, dans la fosse et en fond de scène, où Petrenko limite le volume des musiques de scène. Il en résulte la même impression de concentration et d’essentialisme que sur la scène. En ce sens, les deux approches sont à la fois cohérentes et se répondent en écho.
On peut évidemment préférer une Lulu plus acérée, plus coupante, plus spectaculaire aussi. Elle l’est mais sur un fil plus que dans une masse sonore. On peut préférer aussi un tempo plus vif, mais alors où serait le suivi millimétré de la scène et de chacun de ses mouvements. J’ai souvent dit que Petrenko suivait ce que la scène lui disait : une fois de plus, il propose une Lulu en pleine cohérence avec l’univers ascétique du plateau, où seul l’essentiel est vu, à savoir un parcours individuel où chaque personnage ne se définit que par sa relation à l’héroïne ; dans la fosse, on a aussi débarrassé l’œuvre de toute fioriture, de toute profusion. Mais il est inouï de tout entendre, chaque note, comme si elle était isolée des autres et en même temps dans une totalité, chaque inflexion est perçue, avec des coups d’archets surprenants, des accélérations du rythme inattendues, des ralentissements mais aussi une volonté de marquer certaines phrases, qui tissent un fil d’échos de Mahler à Strauss.
Certes, il faut au spectateur une attention de tous les instants, voire une tension particulière (à certains moments, le son me rendait très tendu, tant il surprenait, tant il collait à l’action et au mouvement) et aussi une grande disponibilité pour cette approche très neuve. Disponibilité, cela veut dire être débarrassé de ses attentes ou de ses habitudes d’écoute, notamment au disque. Je n’ai jamais entendu pareille Lulu, ascétique, hiératique et néanmoins quelquefois charnue et adoucie, coupante et attendrie, nette et brumeuse. En cela, on a là une option d’interprétation qui peut désarçonner, et qui m’a emporté.

A revoir ce spectacle, on en perçoit encore plus la profondeur, la cohérence et l’intelligence. Un spectacle qui ne peut être jugé à l’emporte pièce, mais qui nécessite un effort, une tension, une analyse. Un vrai spectacle donc, et surtout pas un produit de consommation pour amateurs blasés.[wpsr_facebook]

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: LULU d’Alban BERG le 29 MAI 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Dmitri TCHERNIAKOV)

Dr. Schön (Bo Skhovus) et Lulu (Marlis Petersen) © Wilfried Hösl
Dr. Schön (Bo Skhovus) et Lulu (Marlis Petersen) © Wilfried Hösl

Cette production de Lulu, alliant Dmitri Tcherniakov et Kirill Petrenko, était très attendue. Se demander si elle a tenu ses promesses, c’est déjà répondre…alors mieux vaut ne pas se le demander et se laisser porter vers l’ailleurs que cette production propose…
Au lendemain du spectacle, il trotte en tête. Beaucoup de spectateurs autour de moi sont sortis tendus. La dernière image et la fin «en suspension » saisit de surprise le public. Il est vrai que Lulu n’est pas si fréquent sur les scènes, même si ces dernières années on l’a vu en Europe dans plusieurs grandes salles, comme la Scala (mise en scène Peter Stein, en coproduction avec Lyon) ou à Bruxelles (dans le prodigieux travail de Warlikowski), voire à Oslo (dans la mise en scène circassienne de Stefan Herheim). L’œuvre est difficile musicalement et théâtralement. Depuis 1979, création de la version en trois actes par Pierre Boulez dans la production de Patrice Chéreau, il est clair que l’œuvre a conquis les scènes, alors que les productions restaient rares auparavant.
Il est d’ailleurs intéressant de voir comment Lulu est devenu, comme par exemple Die Frau ohne Schatten, un des must de notre temps lyrique, alors qu’il n’en a pas toujours été ainsi loin de là.
Lulu est un témoignage extraordinaire de la vitalité et de la liberté de création qui a marqué le début du XXème siècle. Si l’œuvre de Berg remonte à 1935, l’original théâtral de Frank Wedekind est de 1913, l’œuvre se présente comme une tragédie en 5 actes réunissant L’esprit de la terre (« Erdgeist ») et La Boite de Pandore (« Die Büchste von Pandora »), une « Monstretragödie » : la tragédie, comme on le sait, aime les monstres, de Phèdre à Médée, et Lulu s’en veut un avatar de ces héroïnes tragiques qui font les légendes et nos rêves ou nos cauchemars
Avec le volontaire double sens érotique de l’expression « La Boite de Pandore », l’allusion à un vagin « puits sans fond » qui ne demande qu’à être rempli sans jamais être rassasié, le sexe est ce qui fonde l’histoire de Lulu. Wedekind s’est intéressé très tôt à la sexualité, notamment dans sa première œuvre, l’éveil du Printemps, (1891) sur la sexualité adolescente.
L’autre composante de Lulu, à laquelle on pense moins, est la composante clownesque, ou circassienne, dont on a dans l’œuvre de Berg une trace au premier acte dans la présentation de la « ménagerie », qui rappelle non sans étonner le prologue de I Pagliacci, ou chez des personnages comme l’athlète. Wedekind a travaillé pour un cirque, le cirque Herzog, et a fréquenté le milieu parisien lié au Grand Guignol et à la Pantomime, héritée de l’univers de la Foire au XVIIIème, dont Lulu est tirée puisque le sujet est celui d’une Pantomime de Félicien Champsaur, « Lulu, roman clownesque » (1888).
Lulu « bête de foire » se rapprocherait alors d’œuvres littéraires ou cinématographiques qui ont pour thème l’univers forain. Lulu d’ailleurs a très tôt inspiré le cinéma (1929, Lulu de Papst) qui a marqué pour toujours le physique du personnage (la mythique Louise Brooks).
Mais là où l’on pense « univers des années 30 », c’est bien plutôt celui du « décadentisme » fin de siècle dans laquelle cette histoire prend ses racines.
Aussi faut-il lire et la mise en scène de Tcherniakov, et l’approche de Petrenko à ce prisme-là. Lulu, ou la tragédie décadente d’une bête de foire.

Palais de glaces et ménagerie © Wilfried Hösl
Palais de glaces et ménagerie © Wilfried Hösl

Je ne suis pas loin de penser que le décor (unique) conçu par Dmitri Tcherniakov lui-même soit une allusion claire à cette attraction de foire qu’on appelle le palais des mirages ou le palais des glaces, sorte de labyrinthe de verre dans lequel on se perd, et où l’on voit à l’infini les reflets des gens qui s’y perdent et des chemins (im)possibles pour en sortir. Et la ménagerie, c’est justement cette humanité perdue dans le labyrinthe, dont le sexe est la seule issue, un sexe ciment du couple vécu dans la violence, la possession, la bestialité et jamais la tendresse.

Violence © Wilfried Hösl
Violence © Wilfried Hösl

Dmitri Tcherniakov, travaille volontiers sur les destins, les figures, les individus ; on l’a vu dans son Macbeth, on l’a vu aussi dans sa Traviata, voire dans son Parsifal où il isole trois destins centraux (Amfortas, Parsifal, Kundry) .Il a résolument décidé de travailler Lulu en dehors de tout contexte historique ou temporel, au contraire de ce que faisait Peter Stein ou même Patrice Chéreau : il concentre le propos sur la manière dont Lulu met les hommes à genoux et à nu, et sur la bête dont on va observer les mœurs et le parcours, Lulu, dont les noms changent pendant la pièce, elle est Eva, elle est Mignon, elle est Nelly, elle est une « namenlose » (comme Kundry) une figure, une idée (l’idée de la femme, comme l’évoque son portrait, non pas un vrai portrait monumental comme on le voit la plupart du temps, mais une silhouette peinte sur le plexiglas qu’on efface facilement, dans laquelle les uns ou les autres (à commencer par le peintre et à finir par Geschwitz) sont vus en transparence et qui va rester tout au long présente de manière obsessionnelle. Car Lulu n’existe pas, elle est ce que les autres projettent en elle, elle est les autres, et n’est que trace, que silhouette, que trait effaçable.

Lulu, son portrait,  et (dissimulé) der Gymnasiast (Acte II) © Wilfried Hösl
Lulu, son portrait, et Schön,et au fond, la fiancée de Schön (Acte II) © Wilfried Hösl

Toute l’action va se concentrer sur un espace scénique réduit, conséquence de la présence envahissante du « palais des glaces » qui sert d’arrière plan pendant les scènes, et revient au premier plan pendant les intermèdes, où les autres, la ménagerie présentée au départ (des couples d’une banalité très étudiée), vont tour à tour s’aimer, danser, se heurter, se battre aussi, se détruire pour finir au troisième acte presque fossilisés, en sous-vêtements, hommes et femmes à terre ou debout, des vivants-morts au milieu desquels Lulu cherche ses clients.
Il ne faut pas chercher dans ce travail un quelconque spectaculaire ou des moments qui seraient esthétiquement séduisants, pas de clair de lune bouleversant ou d’escalier monumental comme chez Chéreau, mais un espace vide, et transparent ces cloisons de plexiglas, et des reflets, reflets des gens, reflets de l’orchestre, reflets du chef, reflets de la salle travaillés selon les éclairages, qui seuls, changent. Le monde comme un reflet, et non plus comme une réalité, le monde sans épaisseur, réduit à des images vacillantes.

Lulu et Schön © Wilfried Hösl
Lulu et Schön © Wilfried Hösl

Au premier plan, sur un espace réduit : le jeu, les personnages, les conflits, le sexe et la violence. Avec une Lulu qui va être pendant l’essentiel de l’opéra de blanc vêtue (costumes volontairement neutres d’Elena Zaytseva, qui mettent par contraste en valeur ce que porte Lulu) : blanc de pureté ? Certes non, mais de ce blanc dont on voit souvent les vedettes du cirque qui attirent la lumière ; elle finit d’ailleurs (comme Kundry) en combinaison légère et tout le costume du troisième acte oscille entre le mythe (avec sa toque, au lever de rideau de l’acte III, elle m’a fait penser à Marlene Dietrich) et le cirque (la même toque pourrait faire partie d’un costume de cirque). Mais quelle que soit la situation, que Lulu soit en majesté ou qu’elle soit en déréliction, ceux qui en ont fait le centre de leur cercle et de leur univers continuent de la suivre.

Lulu et ses disciples © Wilfried Hösl
Lulu et ses disciples © Wilfried Hösl

Tcherniakov a d’ailleurs composé une magnifique image de cette dépendance, de cette addiction de tous ceux qui ne peuvent s’en passer regroupés autour d’elle et cherchant à la toucher, comme en un tableau religieux.

Tcherniakov a insisté sur les rapports entre les différents personnages, empreints de violence et de tension, la mort du peintre, égorgé et christique derrière le portrait en transparence de Lulu qu’il a lui même peint en est un exemple, mais bien entendu aussi la mort de Schön, qui survient presque par hasard, mais qui est amenée par la dégradation des rapports entre Schön et Lulu après leur mariage.

Mort de Schön (Acte II) © Wilfried Hösl
Mort de Schön (Acte II) © Wilfried Hösl

Schön passe du statut de père/souteneur, de sugardaddy à celui de mari : le couple tue la relation, faite désormais de soubresauts de violence et de sexe, et d’une féroce jalousie qui voit surgir de partout des amants potentiels, avec des scènes de vaudeville, comme lorsque le Gymnasiast sort de sa cachette sous les chaises, ou de tragédie, comme lorsque Schön découvre son fils Alwa avec Lulu, qu’il l’entraîne en arrière scène et qu’il le frappe violemment (les cloisons de plexiglas permettent de tout voir) . Le travail sur l’évolution de cette relation, sur le personnage de Schön, même, magnifiquement incarné par Bo Skovhus, à qui ce type de rôle convient particulièrement, est d’une très grande crudité et en même temps d’une très grande précision.
Le personnage de Geschwitz est aussi très étudié, une Geschwitz jeune, ce n’est pas si habituel, à la voix triomphante et claire (une Daniela Sindram exceptionnelle), à la fois acceptée et rejetée, errante et présente.
Chaque personnage est caractérisé de manière éminente, précise, si le Medizinalrat est vite éliminé, le peintre est merveilleusement dessiné, assoiffé d’amour, assoiffé de Lulu, mais aussi bien l’Athlète, un personnage vieilli, aux muscles défraichis (excellent Martin Winkler), que l’étrange Schigolch (donné cette fois à un chanteur mur mais pas âgé comme souvent – à la Scala c’était Franz Mazura), sorte de vagabond, de voyageur qui surgit avec ses lunettes de voiture sur le front (Pavlo Hunka): tous composent une véritable ménagerie, c’est à dire des typologies presque animalières qui apparaissent et disparaissent dans ce palais de verre qui semble quelquefois une cage d’où ces animaux dénaturés ne sortent pas.
Il semble d’ailleurs que si le deuxième acte m’est apparu musicalement le plus impressionnant, c’est le troisième acte qui du point de vue scénique est peut-être le plus convaincant.
La scène initiale, le salon parisien, semble être une sorte de fantasme de Lulu, au premier plan assise, pendant que les autres personnages au second plan en rang d’oignon conversent ou du moins lancent leurs répliques, comme si Lulu se souvenait, ou qu’elle rêvait. En tous cas elle est absente, elle est ailleurs, elle a dépassé ce moment, elle est déjà au-delà : du coup, tout ce qui pourrait être anecdotique, romanesque ou même vaudevillesque comme le changement de costume, ou les réactions des personnages à l’annonce que les actions de la société de la Jungfrau se sont écroulées, voire les menaces mêmes du marquis (excellent Wolfgang Ablinger-Sperrhacke), tout cela semble laisser Lulu indifférente.

Acte III © Wilfried Hösl
Acte III © Wilfried Hösl

Tout ce beau monde, pendant l’intermède musical qui suit entre les deux scènes, se déshabille pour composer une humanité (?) figée, seul décor des bas fonds de Londres, au milieu de laquelle Lulu va chercher ses clients.
Ses compagnons, Schigolch, Alwa, Geschwitz errent pendant que Lulu cherche ses clients, comme des sortes de fantômes, encore une fois d’animaux assoiffés. Tcherniakov fait défiler les clients, et la violence s’accroît (le premier fuit, le second, le nègre, tue Alwa) sans que la scène change de nature ou qu’il se passe vraiment quelque chose. La meurtre d’Alwa par exemple semble être un moment ordinaire…tout passe et Tcherniakov réussit parfaitement à marquer le refus de l’événementiel comme si tout valait tout, ou plutôt que toute valeur avait délaissé ce monde.
La rencontre avec Jack l’Eventreur cependant n’est pas traitée selon l’habitude. Ici, Lulu trouve le poignard dans la poche de son client, le regarde et se tue, un peu comme Tristan avec Melot. Elle reconquiert ainsi sa mort, plutôt que d’accepter celle anonyme des prostituées de Whitechapel. Elle reconquiert en même temps, dans la déchéance la plus totale, sa grandeur d ‘héroïne tragique et son propre destin. Celle qui au contraire tombe, c’est Geschwitz, qui a tout donné, argent, liberté, amour, qui n’a rien reçu sinon le coup de poignard de Jack l’Eventreur et qui en une ultime image aussi déchirante que vaine, s’approprie le corps sans vie de Lulu dans une étreinte ultime, pendant que les dernières notes s’égrènent, presque en suspension, interrompues par le silence et le noir final qui surprennent visiblement le public.

Voilà un travail surprenant, dispositif unique, espace réduit, motifs récurrents : il n’y a plus rien des ambiances différentes, l’atelier du peintre, le salon de Lulu, la maison de Schön, le salon parisien, les bas fonds de Londres. Plus de lieux sinon un seul qui est le lieu tragique, cet espace permanent rempli par quelques chaises, disposées autant que de besoin, et dans lequel tout se passe. Tcherniakov a opté pour la concentration, il a opté aussi pour le théâtre, en s’appuyant visiblement sur les sources théâtrales. Il bâtit plus une pièce de théâtre musicale une tragédie avec musique qu’un opéra. La précision du jeu, les trouvailles dans les relations entre les personnages, la caractérisation de chacun, tout montre un vrai travail sur le texte, très attentif, millimétré et en même temps inattendu.
J’ai lu plusieurs fois que ce travail était raté, fait à la va vite, voire bâclé. On peut ne pas partager cette option au total assez minimaliste (à l’opposé d’un Py à Genève par exemple) mais tellement forte, tellement concentrée, tellement tendue et préférer d’autres travaux de Tcherniakov, mais qu’on ne dise pas qu’il a bâclé son travail.
Un metteur en scène digne de ce nom – comme l’est Tcherniakov, ne peut bâcler une Lulu, même s’il peut la rater. Mais ce n’est pas le cas : au lieu de faire une fresque une parabole mythique, il a travaillé là au millimètre, en respectant le livret sans jamais s’en écarter. C’est loin de tout ce qu’on a pu voir jusque là, et surtout ce n’est pas forcément à la mode. Ça gène forcément le consommateur…

Avec ce travail très hiératique en somme, sans complaisance et sans lustre, avec cette vision sèche, noire, désespérante pour l’humanité ambiante, Kirill Petrenko lui aussi surprend. On retrouve bien sûr ses qualités habituelles de précision et de netteté. On entend tout, chaque moment est accompagné, contrôlé, dominé. Et d’abord le volume, très contenu, très maîtrisé, qui fait de bien des moments un opéra de chambre. Il y a quelque chose du concerto à la mémoire d’un Ange dans cette manière d’aborder le son et de l’      adoucir à l’extrême. Malgré ce concerto à la mémoire de Lulu, plus intimiste, plus contenu, Petrenko ne renonce pas à souligner l’extraordinaire variété des couleurs de cette musique. Il choisit les intermèdes musicaux, plus spectaculaires (y compris scéniquement) pour mettre en valeur l’orchestre et les aspects les plus symphoniques, mais aussi les sources et les échos de cette musique, qu’il souligne en dirigeant à dessein ici comme Strauss, là comme Wagner. Jamais on avait entendu Lulu sonner comme les grands anciens ou les grands modèles, il y a des moments où les violons tremblent et vacillent comme dans certains instants straussiens, il y a des moments où cela sonne comme dans Salomé, il y en a d’autres où l’on se dit que Wagner est là, tutélaire. Et cette diversité d’ambiances, elle se conjugue avec les moments plus habituels chez Berg, plus “seconde école de Vienne”, comme si défilaient en une symphonie de couleurs diverses, de reflets scintillants, cinquante ans de musique et d’ombres portées.

Car ce qui m’a frappé dans cette direction, c’est qu’elle est très diverse, très miroitante de couleurs, de différences de volumes, d’accents, d’insistance sur certaines phrases, de refus du lyrisme là où l’on s’y attend, d’une froideur glaçante par moments, d’un lyrisme époustouflant inattendu à d’autres : Kirill Petrenko a su rendre justice à l’ensemble d’une partition incroyablement riche (certains soutiennent, et peut-être n’ont-ils pas tort que Lulu est supérieur à Wozzeck), d’une très grande complexité, et c’est cette diversité et cette complexité qu’on entend ici, comme rarement on les a entendues.
Bien entendu, Petrenko triomphe, comment pourrait-il en être autrement, mais il triomphe parce qu’il a su par la tension insufflée à la musique correspondre à la tension scénique, il a su rendre ce qu’il y a de grand, ce qu’il y a de pittoresque, ce qu’il y a de petit et médiocre sur scène, en faisant de l’orchestre à la fois un protagoniste et un accompagnateur, il a su donner une incroyable variété à sa lecture, qui est tout sauf monolithique ou unidirectionnelle. Il est suivi par un orchestre comme souvent impeccable, aucune scorie ce soir avec des cordes incroyables de précision, des bois presque électriques, et un ensemble parfaitement au point mais aussi et cela s’entend, parfaitement habité, qui dessine un paysage, une ambiance, un univers. C’est grandiose, et en même temps comme toujours avec Petrenko d’une unité étonnante avec ce que l’on voit : ce qu’on voit sur scène, on l’entend en fosse. L’oeil écoute et l’oreille voit.
Mais Petrenko est un vrai directeur d’opéra et il accompagne avec une attention presque tatillonne chaque chanteur et un plateau complètement soumis à la fosse : il dispose de chanteurs acteurs exceptionnels qui se donnent en scène d’une manière définitive, et doit, pour leur permettre de jouer en toute liberté, d’être d’une attention totale pour qu’ils se sentent en pleine sécurité.

Matthias Klink (Alba) et Daniela Sindram (Geschwitz) et en reflet, Schön agonisant © Wilfried Hösl
Matthias Klink (Alba) et Daniela Sindram (Geschwitz) et en reflet, Schön agonisant © Wilfried Hösl

Il n’y a pas grand chose à redire sur le plateau réuni, fait comme souvent à Munich de nombreux membres de l’excellente troupe : Christian Rieger (Medizinalrat, Bankier, Professor) Heike Grötzinger, Christof Stephinger, ou Rachael Wilson, belle figure du Gymnasiast ou du Groom : on retrouve même dans les petits rôles Cornelia Wulkopf, qui fut de la troupe de Munich, mais surtout du Ring de Chéreau depuis 1977.
Rainer Trost dans le peintre (et le nègre) rappelle qu’il fut un temps l’un des ténors mozartiens les plus en vus, l’un des espoirs du chant mozartien. La voix est claire, l’émission parfaite, la diction exemplaire; l’Alwa de Matthias Klink, très sollicité scéniquement, n’a pas tout à fait la même suavité vocale, mais une sorte de force qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. Je me souviens d’Alwa plus « caractérisés », ténors de caractère à la Kenneth Riegel : l’Alwa de Klink est plus naturel, plus présent aussi et très engagé dans le jeu. C’est vraiment une belle performance.

Lulu & Schön © Wilfried Hösl
Lulu & Schön © Wilfried Hösl

J’ai déjà évoqué Bo Skovhus, avec sa voix irrégulière, quelquefois triomphante, et des aigus tenus, avec un certain éclat même, et des trous, des moments où cette voix disparaît. Mais au-delà de la technique, il y a une interprétation. Skhovus sait habiter ses rôles et il n’est jamais aussi bon que dans les personnages tiraillés, contradictoires, étranges. La performance est à la hauteur, il incarne un Schön nerveux, affectueux quelquefois, un Schön plus engagé que certains interprètes qui soignent plutôt le parallèle avec Jack au troisième acte, que Tcherniakov refuse (alors que Chéreau le marquait). Franz Mazura avec Chéreau a marqué le rôle, distant, froid, élégant, tout de violence rentrée. Skhovus ici est plutôt extraverti, plutôt démonstratif, et surtout très humain.
J’ai entendu rarement Daniela Sindram, et elle m’avait marqué dans le Rienzi de Bayreuth en 2013, où elle chantait Adriano. Elle est une Geschwitz jeune, passionnée et désespérée. Là aussi s’impose la comparaison avec une Yvonne Minton, chez Chéreau, une Geschwitz plus mûre, plus intérieure  (on verra ce que fait dans Geschwitz Jennifer Larmore, magnifique choix, dans la Lulu d’Amsterdam en juin): je me souviens, j’ai encore dans l’oreille sa dernière réplique, sorte de lamento désespéré « Ich bin dir nah, bleib dir nah, in Ewigkeit »: comme Minton disait « Ewigkeit », jamais aucune Geschwitz que j’ai pu voir depuis ne l’a dit. Pas plus Daniela Sindram. Mais elle a d’autres qualités, de jeunesse, d’engagement, avec une voix fraiche et triomphante et des aigus incroyables de puissance. Geschwitz n’est pas un rôle de travesti et ne peut être joué comme un travesti, même si elle s’habille en homme, c’est un rôle de femme qui doit garder quelque chose de la féminité. C’est pourquoi je préfère que les metteurs en scène habillent Geschwitz en femme, et non en homme comme c’est le cas ici ; je trouve que cela complexifie l’interprétation et distancie un peu trop. C’est en tous cas un rôle passionnant, et sûrement le plus douloureux de l’opéra. Peut-être Sindram, qui du point de vue vocal est excellente, gagnerait à faire mûrir le rôle en elle, même si son dernier geste est sublime d’émotion et de justesse.
J’avais écouté Marlis Petersen au début de la saison en Susanna avec Levine à New York, elle y était délicieuse, et surtout elle laissait voir l’ambiguïté du personnage sa fraicheur et sa rouerie. Dans Lulu, c’est encore mieux. C’est un rôle qu’elle sculpte et qu’elle habite. Ce n’est pas la première fois qu’elle le chante, mais on sent le travail qu’elle a mené avec Tcherniakov, par l’engagement et la conviction qu’elle y met. Comme Kampe dans Kundry (on aura compris par mes lourdes allusions que je trace des ponts entre les visions de ces deux rôles par Tcherniakov…), elle se jette à corps perdu dans le rôle, tout à tour élégante, distante, terrible, livrée à toutes les addictions, et notamment sexuelles, bestiale aussi. Magnifique bête de cirque, jusqu’au bout, elle délivre une interprétation de très haut niveau, étonnante à bien des points de vue.

Lulu & Schön © Wilfried Hösl
Lulu & Schön © Wilfried Hösl

La qualité des moments parlés et la justesse du ton montrent qu’elle fait du théâtre, qu’elle dit son texte comme au théâtre. Il y a là une vérité, des accents, des couleurs, des partis pris qui frappent. Vocalement, c’est un peu plus irrégulier, mais le rôle est terrible, à cheval entre le soprano colorature (Dessay y a pensé, sans jamais avoir le courage ou l’audace de s’y jeter) et le soprano lyrique. Marlis Petersen est un colorature, elle en a le répertoire, mais la voix a plus de corps que chez certains colorature : elle peut chanter Donna Anna, toutes ne le peuvent pas. Il faut avoir une voix suffisamment corsée pour dominer l’orchestre, même si Petrenko retient le son. Marlis Petersen a les qualités et elle tient ses aigus d’une manière étonnante, même si certains notamment au troisième acte semblent être à la limite et même si les réserves semblent quelquefois épuisées : mais ce n’est jamais crié, c’est toujours chanté, avec un vrai contrôle du chant. Marlis Petersen, originaire de Souabe, a découvert l’opéra à Pforzheim : un lieu comparable en France est improbable, mais c’est la vertu de la province allemande d’avoir des théâtres dans les villes improbables. En France, dans les villes comparables, on étrangle les théâtres comme à Chambéry, parce qu’apporter la culture à la population, c’est, n’est-ce pas, inconcevable, que dis-je, pornographique !

Début de l'acte III © Wilfried Hösl
Début de l’acte III © Wilfried Hösl

Or donc, revenons à Marlis Petersen pour affirmer qu’elle dépasse de loin les Lulu actuelles, même si Patricia Petibon est aussi une Lulu qui compte aujourd’hui. Et même physiquement, grande, bien plantée, avec une vraie silhouette, elle change de l’image de petit oiseau fragile qu’on a pu avoir quelquefois (que Stratas, la géniale Stratas avait su développer, ou même Christine Schäfer, autre magnifique interprète du rôle). Cette Lulu là comptera et ce n’est pas un hasard si le public munichois rappelle sans fin et Kirill Petrenko et Marlis Petersen, ce sont les piliers de la soirée.
Une soirée qui m’a séduit musicalement et marqué scéniquement, plus que je ne le pensais en sortant du théâtre: c’est le signe que quelque chose fonctionne et que ce qu’on y voit marque de manière presque subliminale. Dmitri Tcherniakov a résolument opté pour un travail plus épuré et à la fois plus « théâtral », très fouillé et intelligent et très différent de ce que j’ai pu voir ces dernières années (Py, Herheim, Stein) , avec moins de profusion, moins de spectaculaire, moins de contexte, mais peut-être plus de profondeur, plus de cruauté, plus de lacération. C’est vraiment une très grande réussite dans la conduite des acteurs, qui par sa rigueur mène à l’émotion et il est étonnant que deux mois après avoir travaillé sur Parsifal et de quelle manière, il nous emmène à la fois ailleurs, dans un style radicalement autre, tout en faisant sentir quelles lointaines parentés il trouve entre les deux personnages féminins sur lesquels il a travaillé et avec quelle maestria : Kundry et Lulu…

Rendez-vous sur Staatsoper.tv (le streaming du Bayerische Staatsoper : https://www.staatsoper.de/tv.html) le 6 juin prochain, mais aussi prochainement sur ARTE.
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Lulu, être et transparence © Wilfried Hösl
Lulu, être, portrait et transparence © Wilfried Hösl

 

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE GÖTTERDÄMMERUNG de Richard WAGNER le 29 MARS 2015 (Dir.mus: Krill PETRENKO; Ms en scène: ANDREAS KRIEGENBURG)

Acte II © Wilfried Hösl
Acte II © Wilfried Hösl

Même à Munich il y a des grèves de machinistes, comme lors du Siegfried représenté dans la semaine et même à Munich il y a des malades et des remplacements, deux ce soir, la deuxième Norne de Jennifer Johnston remplacée par Nadine Weissmann, plutôt une bonne pioche, et plus délicat, la Brünnhilde de Petra Lang remplacée par Rebecca Teem. C’étaient les surprises du jour qui finalement n’ont pas trop perturbé la soirée.
Dans le projet de Andreas Kriegenburg, le Crépuscule est un moment de rupture, la fin du Mythe et le début de l’Histoire, dans laquelle Brünnhilde et Siegfried tombent brutalement. Histoire qui est déjà elle-même fin et qui s’ouvre sur l’humanité d’après Fukushima, compteurs Geiger, contrôles de radioactivité, familles perdues, humains errants soumis à tous les contrôles (mobile, passeport etc..) dans les plus petits détails – petits faits vrais inouïs – enfermés dans les cordes que filent les Nornes et tellement enserrés que les fils se rompent. Puis vient le dernier duo mythique de Siegfried et Brünnhilde et ce voyage de Siegfried sur le Rhin représenté par des figurants qui font se mouvoir des vestes noires retournées mimant les flots, image saisissante qui renvoie au Rhin heureux du début de Rheingold où l’on copulait à plaisir, et dans le sourire : c’est ici une image sombre, inquiétante, qui ouvre sur un avenir incertain.

Voyage de Siegfried sur le Rhin © Wilfried Hösl
Voyage de Siegfried sur le Rhin © Wilfried Hösl

Et puis on arrive chez les Gibichungen avec ces projections obsédantes du mot « Gewinn » gain et ce « Lust » qu’écrivent des figurants en fond de scène: gagner et jouir, la seule chose que savent faire ces hommes là, des hommes d’aujourd’hui, médiocres, comme Gunther que jamais je n’ai vu représenté aussi minable, aussi lâche, en proie au désir immédiat, utilisant les femmes de ménage comme des objets, incapable de n’être autre chose qu’un suiveur, un héros pour Siegfried qui n’y voit goutte, et en réalité seulement un héros de magazine pour photos de modes. Car le décor, je ne l’avais pas vu avec cette précision, montre en fait une sorte d’ « outlet » dédié à la mode, une sorte de Fashion center, c’est à dire le monde le plus glamour, superficiel et friqué qui soit, où tous prennent des pauses, à commencer par Gutrune, affublée d’une longue robe rouge comme dans une photo de magazine, se balançant langoureusement sur un cheval de bois fait du symbole de l’Euro (€), symbole répétitif qu’on retrouvera au second acte comme table de mariage, : Anna Gabler n’a peut-être pas tout à fait la voix, mais pour le look, c’est fantastiquement réussi.

Gutrune (Anna Gabler), Siegfried (Stephen Gould) Gunther (Alejandro Marco-Buhrmester) © Wilfried Hösl
Gutrune (Anna Gabler), Siegfried (Stephen Gould) Gunther (Alejandro Marco-Buhrmester) © Wilfried Hösl

Immédiatement, l’idée d’un Siegfried perdu s’installe lorsque sur les dernières mesures du Voyage, il se heurte sans savoir où aller à une foule compacte d’hommes en gris avec un attaché-case ou un cartable, qui vont dans tous les sens : il est littéralement balloté, comme si cette foule était produite par des flots du Rhin qui finissaient par le perdre ou le noyer, saisissant.
Saisissant aussi son apparition vêtu en Siegfried traditionnel, au milieu de tous ces gens en costume trois pièce bleu, ce qui l’isole et le ridiculise au pays de la mode, totalement ignorant des rituels des possédants, cigares ou verre à cocktail avec paille et paillettes dont il ne sait que faire.
On se reportera pour plus de précisions à ce que j’en avais écrit en son temps en janvier 2012, mais cette idée de deux pauvres enfants perdus est sans doute l’une des plus fortes ce soir, accentuée par les hésitations de la Brünnhilde de Rebecca Teem, un peu erratique dans une mise en scène qu’elle ne connaît pas, très aidée par Petrenko qui lui indique du pupitre les mouvements à faire. Au lieu d’être un obstacle, cette ignorance devient un atout parce qu’elle est exactement – et, dirais-je, très naturellement – la femme paumée qui arrive au milieu de cette fête de mariage qu’elle ne comprend pas au départ pendant le 2ème acte. N’étant pas physiquement particulièrement leste, elle en devient dans la scène finale du 3ème d’autant plus saisissante, malgré les problèmes vocaux rencontrés. Elle en est émouvante, comme perdue au milieu de cette grande scène, avec une modestie dans le geste qui touche le cœur.

Acte II © Wilfried Hösl
Acte II © Wilfried Hösl

Ayant déjà vu et commenté le spectacle, je savais à quoi je m’attendais, mais le revoir permet de mesurer avec quelle finesse Kriegenburg travaille sur cette histoire. On est à l’opposé de l’option dévastatrice (mais passionnante aussi) de Castorf à Bayreuth: Kriegenburg dit aussi sur le monde des choses délétères, il n’est que de voir ces figurants méc   anisés qui ne savent au deuxième acte qu’agiter leur mobile pour faire des photos ou des selfies, comme si c’était la seule chose qui les intéressait dans l’histoire qui se déroule : le Crépuscule ou l’histoire d’une décadence, ou d’une déchéance. À ce titre, l’apparition des filles du Rhin au 3ème acte au milieu des invités à la noce cuvant leur vin, ivres morts d’une nuit orgiaque, est singulière et forte.
Déchéance sur scène, mais sûrement pas en fosse : le rendu musical est impressionnant, malgré un orchestre quelquefois moins parfait (notamment dans les cuivres), mais toujours engagé dans une aventure incroyable d’énergie et de puissance, d’une impressionnante lisibilité. C’est que Kirill Petrenko est partout : il donne tous les départs au plateau, veille de manière très sourcilleuse aux équilibres, aux volumes, à la mise en valeur de tel ou tel pupitre, et en plus ce soir il donnait des indications de mouvements à la Brünnhilde novice, tout en exprimant avec un sourire séraphique ses satisfactions.

Kirill Petrenko au milieu des musiciens le 29 mars 2015
Kirill Petrenko au milieu des musiciens le 29 mars 2015

Comme c’était à prévoir, son Ring munichois est assez différent de celui de Bayreuth et son attention à la mise en scène induit d’autres voies, d’autres choix, d’autres rythmes : on avait remarqué à Bayreuth une dynamique et une énergie, on remarque à Munich la même énergie, mais une dynamique différente, plus contrôlée, plus serrée, laissant peut-être un peu moins aller les musiciens, laissant moins le son se développer, prenant des décisions plus radicales dans les volumes, dans la construction du son, tout en veillant sans cesse à ne jamais couvrir le plateau, ce qui dans le cas de la Brünnhilde du jour, sans grave ni medium, est une entreprise difficile. Petrenko visiblement retravaille sans cesse les partitions, reprend sans cesse les choses pour chercher ce qu’il va conjuguer au mieux : par ce travail il rappelle bien sûr d’autres gloires de la baguette disparues aujourd’hui. Et ce travail d’artisan du son, on le ressent, sans cesse : rien n’est laissé au hasard, rien n’est décidé sans justification, et surtout, il n’y a aucune concession, même là où la tradition a installé des habitudes. C’était patent et tellement surprenant dans sa Lucia di Lammermoor, l’une des plus stupéfiantes options musicales dans ce répertoire laissé habituellement à des chefs moins originaux. Dans Götterdämmerung, il est plus attendu, car il est dans un répertoire qu’il a déjà labouré, depuis longtemps, mais il continue d’innover et de surprendre. Il est perpétuellement neuf.
Il reste que nous entendons des merveilles, comme le prélude – dès le premier accord, perturbant d’émotion rentrée- et toute la scène des Nornes, totalement bluffante à l’orchestre, évidemment le Voyage de Siegfried et la marche funèbre, mais surtout toute la scène finale, qui est un monument : monument parce que la mise en scène et la musique s’accordent en profondeur, parce que l’émotion étreint (et Kriegenburg la cherche autant que Petrenko, là où Castorf essaie de la briser) et aussi parce que Brünnhilde est moins en difficulté qu’on attendait, les dernières mesures ont cet effet habituel lors des grandes représentations musicales chez le spectateur : on a envie de reprendre tout depuis le début, on a envie de continuer…

Cette conjonction des astres aboutit à l’un des plus beaux finals de Götterdämmerung qui m’aient été donné d’entendre, même si la folie qui nous a saisi il y a trois ans avec Nina Stemme et Kent Nagano n’est pas reproductible, car elle a duré toute la soirée, avec Stemme en état de grâce. Il y a cependant là un miracle Petrenko, qui nous laisse, comme disent nos amis italiens, di stucco.
Le plateau réuni est vraiment d’une très grande solidité. Les trois Nornes, Okka von der Damerau, Nadine Weissmann et Anna Gabler sont prodigieuses de tension et de rigueur, autant que les trois Filles du Rhin, Jennifer Johnston, Hanna Elisabeth Müller, Nadine Weissmann, très lyriques, et très mélancoliques, même si les aigus très sûrs d’Hanna Elisabeth Müller gagneraient à mieux se fondre et restent un peu trop dardés.
La Waltraute de Okka von der Damerau remporte, et c’est justifié, un très grand succès : belle ligne de chant, tension palpable, véritable engagement dans le jeu, des graves notables alliés à une diction remarquable si importante dans ce récit provoquent l’enthousiasme du public.

Gutrune (Anna Gabler) traînant le cadavre de Gunther (Acte III) © Wilfried Hösl
Gutrune (Anna Gabler) traînant le cadavre de Gunther (Acte III) © Wilfried Hösl

Anna Gabler dans Gutrune est scéniquement phénoménale de vérité, et de naturel : elle compose son personnage de bécasse prise à son propre piège d’une manière supérieure. La voix en revanche n’a ni la puissance ni l’assise nécessaire pour Gutrune (souvent confiée à des Freia ou des Sieglinde), il en résulte une présence scénique supérieure et une présence vocale en devenir notamment dans la scène qui suit la marche funèbre au troisième acte, qui est le moment le plus important du rôle tant les interventions auparavant restent épisodiques. Il y a d’ailleurs un problème avec cette chanteuse : son Eva n’était pas plus convaincante à Salzbourg il y a deux ans. L’intelligence scénique et la sensibilité ne peuvent suppléer aux moyens.
Tomasz Konieczny est en revanche un phénoménal Alberich : il est le personnage voulu par Kriegenburg, pénétrant presque par effraction dans l’espace des Gibichungen, mangeant et buvant ce qu’il y a à manger et à boire au passage, comme quelqu’un qui découvre un monde qui lui est interdit. Il a aussi une jeunesse et une énergie frappantes. Ce devrait être Hagen le jeune (il est le fils) et Alberich le vieux. Ici c’est l’inverse : Hagen (Hans-Peter König) est plutôt mûr et Alberich a l’énergie du quadragénaire…La voix est éclatante de santé, incroyablement expressive, énergique, inondant le plateau de sa soif de vengeance : c’est cette soif, cette foi dans la conquête de l’Or qui lui donne cette énergie là, quand Hagen au contraire semble plus lointain, et surtout loin de son père. Saisissant.
Hans-Peter König est depuis quelques années le Hagen des grandes scènes internationales, il en a la stature, la voix, l’allure. La voix a un tantinet moins d’éclat que naguère, mais toujours autant de présence et d’intelligence dans la couleur et l’expression. Il pose dans cette conception un Hagen plus politique, qui a les habits élégants du pouvoir, mais qui en a aussi la brutalité et la violence cachées au départ, explicites à la fin. Il n’a jamais sur scène l’allure du méchant, c’est un personnage plus subtil et moins « brut de décoffrage » que certains Hagen ; il en est d’autant plus dangereux : il réussit face à son père à montrer une finesse dont son géniteur manque, d’où l’extraordinaire duo qu’ils forment au début du 2ème acte (« Schläfst du Hagen mein Sohn ? »). Magnifique de bout en bout.
Alejandro Marco-Buhrmester est l’un de ses artistes qui font leur bonhomme de chemin, sans vagues, mais toujours avec bonheur, depuis qu’il est apparu en Amfortas dans le Parsifal de Boulez-Schlingensief à Bayreuth. Son premier acte est splendide et son jeu particulièrement ciblé : Kriegenburg en fait un pauvre jouisseur, un parasite, un inutile, l’inverse d’un héros, ce que Siegfried tout à son monde mythique ne voit pas (la scène de l’échange des sangs est d’une rare drôlerie, où Gunther boit le sang, immédiatement pris d’une irrépressible envie de rendre). La voix assez charmeuse et le timbre chaleureux contrastent avec ce personnage aux apparences élégantes et à l’être veule et sans épaisseur. Les scènes du premier acte sont vraiment réussies, alors que la voix semble se fatiguer un peu au deuxième, pour gagner en présence au troisième, plus dramatique (et plus court pour le rôle) .
Le Siegfried de Stephen Gould, avec beaucoup de hauts et quelques bas est dans l’ensemble splendide. Son premier acte est phénoménal, la voix est lumineuse, énergique, le volume impressionnant, et surtout le contrôle impeccable. Les variations sur les aigus, les mezze voci : tout y est. Le deuxième acte est moins éclatant, et le troisième acte bouleversant. Il réussit à rendre ce Siegfried sympathique tant il est perdu et berné, à l’opposé du Siegfried mauvais garçon et antipathique de Castorf à Bayreuth. Ce Siegfried reste frais, innocent, premier degré, pendant tout l’opéra, sans aucune évolution psychologique, tel qu’en lui même l’éternité le change : il est étranger à toute notion de bien et de mal et son chant rend tout cela. Avec un timbre très chaleureux, une vraie présence même si, on l’a dit, ce n’est pas a priori un acteur du niveau d’un Lance Ryan qui s’épuise en scène. C’est une vraie performance, non dépourvue d’émotion et d’humanité, et la voix, contrairement au 8 mars dans Siegfried (il paraît que les représentations suivantes ont été anthologiques), n’a eu aucun accident, à part des fatigues passagères bien compréhensibles qui n’ont cependant gâché aucun moment.

Et cette Brünnhilde de substitution ?
Comme il doit être difficile d’entrer dans une production sans la connaître et surtout dans une production de ce niveau, avec l’enjeu que cela doit représenter pour une chanteuse moins connue et arrivée là par accident. Les hauts et bas de Petra Lang sont bien connus, avec des soirées quelquefois difficiles, mais comme Nina Stemme était prise à Vienne par sa toute nouvelle Elektra, il devait être difficile de trouver une chanteuse de référence pour ce rôle.

Scène finale (avec Petra Lang) © Wilfried Hösl
Scène finale (avec Petra Lang) © Wilfried Hösl

Munich a donc appelé une des nombreuses Brünnhilde des troupes allemandes, qui est un réservoir enviable, une chanteuse américaine dont la carrière est déjà bien avancée et qui a plusieurs fois chanté Brünnhilde. Mais dès le départ, on mesure le problème : pas de graves, pas de centre complètement inaudibles, mais des aigus assez sûrs et sans vibrato excessif. Cette voix sans homogénéité est évidemment en difficulté dans le premier duo et ne va pas cesser dans les premier et deuxième acte d’avoir des problèmes, sans pourtant, c’est bien le mérite des opéras wagnériens, (trop) nuire au déroulement de l’ensemble. Si physiquement elle ressemble aux Brünnhilde des vieilles photos jaunies, elle semble surtout perdue et isolée, et ce qui est la conséquence de la situation de remplacement, mais cela finit par apparaître comme un atout dans cette mise en scène, tant c’est cohérent avec l’idée de Kriegenburg. Et c’est au troisième acte où elle est finalement seule au milieu de la scène, très émouvante, touchante alors que son air final est moins problématique qu’on ne pouvait craindre. Avec un certain cran, elle a redressé une situation assez mal partie.
Le public, compréhensif, l’accueille avec des applaudissements nourris. Elle a relevé le défi.

Les interventions du choeur, impressionnantes tant par le son et le volume que par sa disposition en hauteur sur l’ensemble du volume de la scène,  donne en même temps une impression physique de puissance: on est écrasé et émerveillé de la performance. Mais ce choeur est rompu à Wagner et cela s’entend.
Au total, avec des ingrédients un peu plus contrastés, on pouvait tabler sur un succès moindre que pour les autres journées avec des moments plus faibles, et un orchestre légèrement plus fragile dans les cuivres, mais tellement solide par ailleurs : le triomphe fut quand même indescriptible, il a duré plus de 25 minutes, avec un public en délire quand Kirill Petrenko a salué au milieu de son orchestre sur scène. À l’évidence, il est cause de bonne part du succès obtenu ce soir, où c’était un Götterdämmerung imparfait, plein de petits ou gros problèmes, mais complètement transcendé par le chef et quelques chanteurs dans une mise en scène qui reste exceptionnelle. Quant à ce Ring, il a été pour moi dominé par une Walkyrie anthologique, mais chaque journée est un sujet d’admiration et d’étonnement. La saison prochaine, Walkyrie et Crépuscule sont repris, il ne faut pas hésiter : c’est de la belle ouvrage qui mérite le voyage, ou la Wanderung…[wpsr_facebook]

Siegfried (Stephen Gould) et les Filles du Rhin (Acte III) © Wilfried Hösl
Siegfried (Stephen Gould) et les Filles du Rhin (Acte III) © Wilfried Hösl

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: SIEGFRIED de Richard WAGNER le 8 MARS 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; ms en scène: Andreas KRIEGENBURG)

Erda émergeant © Wilfried Hösl
Erda émergeant © Wilfried Hösl

On se référera au compte rendu de janvier 2013 qui contient une description très précise de la mise en scène http://wanderer.blog.lemonde.fr/?p=4971 et d’une représentation exceptionnelle, l’un des sommets du Ring présenté en 2013.

Du prologue et des trois journées du Ring, Siegfried est sans doute le plus optimiste, le seul opéra en tous cas qui se termine positivement, par une perspective azuréenne, et le seul qui soit proche d’un conte de fées, où les méchants sont vaincus et le héros vainqueur. C’est aussi le noyau de l’œuvre, car Siegfried est le héros par lequel Wagner a commencé l’élaboration de son poème.
Aussi Andreas Kriegenburg en a-t-il fait en quelque sorte le sommet de son travail et du système scénique imaginé dans cette grande boite à merveilles : c’est dans Siegfried qu’il y a les images les plus souriantes, les plus rafraichissantes, les trouvailles les plus séduisantes dans la veine héritée de Rheingold et qui renvoie le plus clairement aux contes et légendes. C’est par ailleurs aussi dans Siegfried que Wagner est le plus fidèle à la tradition.

Le Wanderer et Mime © Wilfried Hösl
Le Wanderer et Mime © Wilfried Hösl

Andreas Kriegenburg va donc mener à fond son idée d’utiliser des corps de figurants ou de danseurs pour figurer les choses, dragon, forêt, oiseau, mais aussi la forge, devenue une sorte de mécanisme primitif, presque un artifice circassien.
Il faut rappeler que Rheingold, Walküre et Siegfried forment dans la conception de Kriegenburg cet ensemble que Wotan réussit à maîtriser. Comme il le sait depuis l’apparition d’Erda, dès Rheingold, et comme il le vérifie, dès que sa lance sera brisée, les héros iront leur chemin qu’il ne pourra plus arrêter.
Ainsi Götterdämmerung, sorte de chute dans le monde des hommes, sera d’une esthétique et d’une inspiration complètement différente : Le Götterdämmerung de Kriegenburg est une chute dans un monde post-Fukushima, gouverné par le commerce, l’argent, le bling-bling, en bref, notre monde : l’homme-enfant, naïf et souriant, n’y peut résister. Et s’y noie. Et y meurt.
C’est ma troisième vision de Siegfried dans cette production et je reste toujours aussi émerveillé, en remarquant çà et là des points oubliés : le rôle de l’oiseau au troisième acte, qui pousse Siegfried au lit, le jeu de Siegfried dans ce même troisième acte, d’abord timide et fuyant, puis au contraire envahi de désir, le jeu ironique du Wanderer au deuxième acte contre Alberich, en le mimant dans la même attitude que dans Rheingold (crucifié par la lance) et surtout la grande précision du travail des acteurs et la maîtrise du jeu. C’est une vraie mise en scène de théâtre, qui travaille à la fois sur les relations entre les personnages et sur les images, je dirai une imagerie qui tout en illustrant le récit à la manière d’un livre d’enfants ou de ces livres qui s’ouvrent en proposant des images en relief.

En 2013, Siegfried était Lance Ryan, avec ses immenses qualités et son engagement et en janvier, il était dans un très bon soir vocal tout comme Catherine Naglestad d’ailleurs (le duo était exceptionnel). Cette fois-ci, au milieu d’une distribution assez proche de celle de 2013, Siegfried, c’est Stephen Gould, auréolé de ses derniers Tristan triomphaux. Ce qui fait que certains attendent de lui LA prestation définitive…Mais Tristan n’est pas Siegfried.
Quand finira-t-on par comprendre que les rôles de Heldentenor ne sont pas superposables, et que de Heldentenor aujourd’hui, il y en a pas, ou si peu.
La plupart des Heldentenor aujourd’hui sont des ténors dramatiques qui forcent leur voix ou qui s’y essaient. C’est vrai que Stephen Gould s’en rapprocherait, mais son Siegfried a montré malgré bien des moments magnifiques et d’indéniables qualités vocales que nous n’y étions pas tout à fait ce soir.

Stephen Gould, découvert à Bayreuth à l’occasion d’un mémorable Tannhäuser dirigé par un non moins mémorable Christian Thielemann, est aussi un mémorable Tristan. Il est vrai que Tristan comme Siegfried est un rôle qui nécessite toute l’étendue du spectre, mais malgré tout plus homogène mais surtout exigeant moins d’engagement physique : Siegfried doit jouer, bouger, sauter sans cesse et sur l’ensemble de la soirée. Tristan beaucoup moins.
Forcément, la fatigue propre au chant (un effort physique notable) se double d’une fatigue scénique importante (c’est d’ailleurs ce qui fait le prix d’un Lance Ryan, toujours unique dans son incarnation du rôle malgré des problèmes vocaux maintes fois soulignés). C’est aussi ce qui fait l’une des différences entre Siegfried de Siegfried et Siegfried du Götterdämmerung, bien moins sollicité physiquement et donc plus accessible à certains ténors qui ont chanté l’un sans jamais s’attaquer à l’autre.
Stephen Gould a pour lui un timbre magnifique, une puissance et un volume d’une largeur notables. Pour affronter le rôle, et notamment au début, au premier acte, il chante en gonflant le registre grave, lui donnant une importance inhabituelle chez lui, et ce souci des graves nuit à l’homogénéité de la voix : tout le début du premier acte est d’ailleurs un peu hésitant, peut-être aussi à cause d’un tempo soutenu du chef. Il reste que ses Nothung neidliches Schwert et toute la scène de la forge sont un des moments les plus impressionnants de la soirée. Le deuxième acte, plus lyrique, est aussi particulièrement réussi (les murmures de la forêt, moment splendide) malgré une fatigue visible dans les dernières minutes où Wagner a placé quelques aigus piégeux.
Toute la première partie du troisième acte est remarquable de lyrisme, d’expressivité, d’intelligence. Kirill Petrenko ralentit le tempo dans le duo avec Brünnhilde, en faisant une sorte de méditation lyrique, très intériorisée, mais qui contraint en même temps à appuyer sur les sons, gonfler le volume et contribue à la fatigue finale où la plupart des aigus les plus attendus des cinq dernières minutes sont soigneusement savonnés, ou ratés (il est vrai en duo…).
Par ailleurs, on sent que le travail de mise en scène n’a pas été jusqu’au bout, parce que bien des éléments présents en 2013 ont disparu ou restent esquissés (le jeu avec l’image de sa mère accouchant, sublime en 2013, ou le jeu avec le cor au moment de l’appel du 2ème acte par exemple) et il clair que Stephen Gould qui n’est pas un bout de bois sur scène, n’a pas tout à fait les qualités d’acteur exigées par ce genre de mise en scène. Disons qu’il n’a pas le jeu dans le sang : il joue mais n’incarne pas.
Au total, sans doute ceux qui sont persuadés qu’aujourd’hui un Siegfried se trouve sous le sabot d’un cheval, ou que, parce qu’on trouve des chanteurs pour le chanter, il y a de vrais Siegfried auront trouvé ce soir la prestation de Stephen Gould moins satisfaisante qu’attendu. On peut en douter et sourire d’une telle naïveté ou d’une telle ignorance. Stephen Gould a offert une prestation très largement convaincante musicalement, même si il n’a pu masquer sa fatigue en fin de parcours. C’est un superbe chanteur, doué de surcroît d’une parfaite diction et d’un joli sens du texte et de la couleur, usant de sa voix avec une rare intelligence, il reste largement à la hauteur du défi.

Siegfried (Stephen Gould) Brünnhilde (Catherine Naglestad) © Wilfried Hösl
Siegfried (Stephen Gould) Brünnhilde (Catherine Naglestad) © Wilfried Hösl

Il en est de même pour Catherine Naglestad. La chanteuse américaine était malgré tout nettement moins en forme qu’il y a deux ans. Il est vrai aussi que le tempo imposé par Kirill Petrenko, plus lent, privilégie l’intériorité dans ce duo plutôt que l’urgence de la passion et a pu mettre en difficulté sur certains aigus. Il est clair qu’elle n’avait pas l’aigu triomphant, dans un monologue qu’on sait redoutable puisque pris à froid avec des aigus difficiles qu’elle avait bien réussis il y a deux ans et qui ici manquaient d’éclat, de puissance aussi, voire manquaient tout court (le dernier…).
C’est la loi très humaine du chant, et ce soir, le chant de madame Naglestad n’était sans doute  pas complètement exceptionnel . Pas de quoi néanmoins faire le moindre reproche lourd ou des remarques amères: Catherine Naglestad n’était pas dans un de ses meilleurs soirs, mais elle a été scéniquement sans reproche et vocalement intense, même si moins accomplie que je ne l’attendais.

Le Wanderer (Thomas Johannes Mayer)© Wilfried Hösl
Le Wanderer (Thomas Johannes Mayer)© Wilfried Hösl

Thomas Johannes Mayer était un Wanderer magnifique scéniquement, très présent, très engagé avec ses qualités d’intelligence et de diction, avec un sens du texte et de la couleur, même si là aussi il y avait des moments où la voix ne surmontait pas le volume de l’orchestre : c’était fort net dans le duo avec Alberich où le timbre apparaissait opaque et la voix quelquefois blanche, ça l’était dans une moindre mesure au premier acte face au Mime d’Andreas Conrad, et paradoxalement ça l’était moins au troisième acte. Il reste que le personnage était là, un personnage fouillé, parfaitement lisible (sinon audible). Le lecteur qui n’a pas entendu la représentation doit se demander comment cette soirée peut-elle avoir été un triomphe à peu près comparable aux précédentes…je suis en train de décrire des voix qui n’étaient pas ce soir au sommet, certes, mais elles avaient toute la présence suffisante pour faire fonctionner l’ensemble, comme souvent chez Wagner, voire bien plus pour Gould, à qui l’on ne peut reprocher dix minutes un peu faibles sur trois heures trente de spectacle où il fut souvent remarquable.

Mime (Andreas Conrad) © Wilfried Hösl
Mime (Andreas Conrad) © Wilfried Hösl

Le Mime d’Andreas Conrad en revanche avait la voix et le style, et a proposé un Mime nettement plus présent que celui d’Ulrich Reβ il y a deux ans. Il propose un personnage moins caricatural que d’autres aujourd’hui (Ablinger-Sperrhacke) un peu plus « normal », un peu moins joué ou surjoué. Bien sûr, qui n’a pas en tête Heinz Zednik avec Chéreau, ou même Graham Clark ? Conrad est un Mime très respectable, et un personnage qui sans être inoubliable réussit à s’imposer avec une diction et un sens de la parole particulièrement notables, ce qui pour Mime est essentiel mais qui est aussi partagé sur le plateau.
Une nouvelle venue dans le Waldvogel, la jeune roumaine Iulia Maria Dan, qui appartient à la troupe. Un personnage d’une grâce et d’une élégance évidentes, d’une fraîcheur communicative, avec ses deux éventails gracieusement balancés. La voix n’est pas à l’avenant. Un joli medium, mais pas les aigus nécessaires pour le rôle. Ils sont systématiquement à la limite de la justesse, ou ratés. C’est dommage car le personnage est vraiment campé.
La Erda de Qiulin Zhang bénéficie d’un des moments les plus stupéfiants de la mise en scène, apparaissant au milieu de corps terreux grouillants comme des gros scarabées, sorte d’armée des ombres et qui en se retournant ont des jambes blanches et apparaissent presque comme des vers tout aussi grouillants, images stupéfiantes parmi les plus frappantes de la soirée. Avec des graves impressionnants et des aigus marqués par un certain vibrato, moins cependant qu’il y a deux ans, la prestation reste un peu froide (ce qui sied à Erda, dira-t-on) mais cette ultime entrevue avec Wotan plus personnelle et plus sentie que celle de Rheingold, devrait communiquer quelque frémissement. Qiulin Zhang ne communique jamais cette vibration-là.
Christof Fischesser, Fafner comme dans Rheingold propose un monologue très propre, avec un très beau timbre, même si la voix manque de profondeur. L’aspect monitoire des paroles de Fafner manquent de poids pour mon goût bien que ce chanteur soit l’une des basses de référence en Allemagne.

Wotan Alberich le Dragon © Wilfried Hösl
Wotan Alberich le Dragon © Wilfried Hösl

Enfin, Tomasz Konieczny en Alberich, tout comme il y a deux ans, est impressionnant dans son duo avec le Wanderer. Habillé comme un bourgeois cravaté un peu négligé il tranche avec un Wanderer vieilli  qui joue d’ailleurs avec sa cravate en un très beau mouvement. La voix est éclatante, le timbre sonore, le style n’est pas dépourvu d’une certaine élégance, Andreas Kriegenburg dans cette scène joue le travail du miroir : les deux arrivent et se pointent l’un l’autre le même pistolet, comme dans une scène à la Sergio Leone et ils sont symétriques, l’un jeune, l’autre vieux, l’un un peu plus élégant, l’autre négligé, l’un plein d’énergie, l’autre fatigué, tous deux avec de longs cheveux, noirs pour l’un blancs pour l’autre. Schwarz-Alberich face à Weiss-Alberich, comme le dit le texte. C’est là un des sommets de la soirée, aussi bien par le chant de Konieczny décidément l’un des grands chanteurs wagnériens de ce temps, que par la tension qu’elle diffuse et pour l’intensité de Thomas-Johannes Mayer.

Au total une distribution avec des fortunes diverses, et des voix un peu irrégulières et fatiguées, même si l’ensemble reste de haut niveau. En me relisant, je me trouve même un peu sévère avec Stephen Gould et Catherine Naglestad, mais je dois dire en même temps que cela ne m’a pas vraiment gêné, parce que d’un côté la mise en scène captive, et de l’autre la direction passionne par ses choix.
Plus que pour Walküre, Kirill Petrenko prend le public à revers, faisant des choix de volume et de tempo inattendus, j’ai parlé du 3ème acte pris assez lentement, du 1er acte pris très vite au début qui semble un peu désarçonner les chanteurs, mais les contrastes de tempo ne sont rien à côté des contrastes de volume, avec des moments particulièrement extraordinaires, comme un prélude du 2ème acte stupéfiant par les ruptures d’équilibre, notamment l’insistance des cuivres presque obsédante, imposant musicalement le dragon comme protagoniste, et faisant surgir musicalement avec une clarté incroyable tous les éléments du drame qui va se jouer à un point tel qu’on a l’impression de découvrir cette musique qui est l’un de mes moments préférés de l’œuvre (avec des cors en crescendo doublés par des timbales qui explosent avec une force inouïe) préparant l’intervention initiale d’Alberich qui s’impose alors presque « naturellement » comme un élément du prélude.
Le troisième acte est de bout en bout complètement kaléidoscopique au niveau musical : tout est mis en relief tour à tour, avec un réveil de Brünnhilde époustouflant de douceur, de retenue, de chair, de soleil et en même temps jamais vraiment complaisant avec ce qui peut vite devenir sirupeux. Le dialogue entre les instruments solistes (notamment les bois) avec les voix est stupéfiant. Il faut dire que ce soir l’orchestre n’a pas eu d’accident et qu’il a été de bout en bout exemplaire.
Kirill Petrenko a imposé un Siegfried très dramatique, au volume plus marqué que dans les deux autres opéras, et sans jamais se soumettre à ce qui pourrait être du sentimentalisme, on est dans un Siegfried « Sachlichkeit », d’une prodigieuse dynamique (la forge !!) qui peut même déranger: on pourrait le comprendre tant certains moments sont inhabituels. C’est brutal quelquefois, c’est sec à d’autres, c’est quelquefois même volontairement inexpressif comme si on ne suivait que les notes sans y mettre autre chose (prélude du troisième); bref, on ne sort pas indemne de ces moments complètement reconstruits à neuf et qui renvoient certaines interprétations plus « conformes » à l’univers de la fadeur et de la platitude.
Vie, Intensité, parti pris, choix assumés : c’est complètement ailleurs et en même temps c’est prenant, passionnant, étonnant.

Il reste difficile de qualifier une soirée aussi contrastée, avec un plateau très correct sans être aussi tourneboulant qu’il ne le fut il y a deux ans, avec un orchestre surprenant et qui laisse rêveur tellement certains moments sont radicalement différents de ce qu’on entend habituellement et tellement ça fonctionne, et avec une mise en scène particulièrement réussie, d’où on sort émerveillé : on a l’impression que Kriegenburg montre le monde avec les yeux de Siegfried, des yeux encore innocents qui le parent de qualités qu’il n’a pas. Oui, ce Ring vaut toujours et encore  le voyage…[wpsr_facebook]

Monologue de Fafner (Christof Fischesser) © Wilfried Hösl
Monologue de Fafner (Christof Fischesser) © Wilfried Hösl

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DIE WALKÜRE, de Richard WAGNER le 28 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO ;ms en sc: Andreas KRIEGENBURG)

Die Walküre, image finale © Wilfried Hösl
Die Walküre, image finale © Wilfried Hösl

On se réfèrera pour l’analyse de la mise en scène au compte rendu écrit en janvier 2013 http://wanderer.blog.lemonde.fr/?p=4927

Deuxième jour de ce Ring, fin du premier épisode fait de Rheingold et de Walküre et d’emblée s’imposent plusieurs certitudes :

  • Kirill Petrenko effectue un travail étonnant en fosse et il remporte un indescriptible triomphe totalement justifié. Il faudrait être sourd, ou insensible, ou étourdi pour ne pas saluer ce qu’on écoute, qui est souvent si surprenant qu’il faut un instant avant de s’habituer. La direction de Kent Nagano il y a deux ans était remarquable, et elle m’a enthousiasmé, celle de Petrenko est radicalement différente, volontairement retenue et elle va ailleurs, en tous cas pas dans les sentiers battus. C’est prodigieux
  • Le plateau dans son ensemble est remarquable d’intelligence, tous les chanteurs savent aussi chanter avec leur tête, et certains plus avec leur tête qu’avec leur voix (Evelyn Herlitzius, plusieurs fois en sérieuse difficulté), mais le couple Vogt/Kampe emporte l’adhésion, et l’enthousiasme. Anja Kampe est fulgurante et Vogt chante un long Lied d’une incroyable poésie.
  • La mise en scène, qui pour Walküre avait mis un peu de temps à me convaincre il y a deux ans, m’a beaucoup intéressé de nouveau aux premier et second actes. Le troisième acte est pour mon goût un peu en retrait. À noter, comme il y a deux ans, la bronca lors du ballet « hippique » sans musique qui précède la Chevauchée et qui fait brûler d’impatience la foule de plus en plus hurlante et féroce qui lance des hojotoho et des heiaha à sa manière, animale bien entendu. L’ironie de Kriegenburg fonctionne à merveille sur un public qui réagit par réflexe pavlovien…

    La "Chevauchée" chorégraphiée...et huée...© Wilfried Hösl
    La “Chevauchée” chorégraphiée…et huée…© Wilfried Hösl

Je reviens sur le travail de Andreas Kriegenburg, inconnu en France, qui est essentiellement un metteur en scène de théâtre, venu tard à l’opéra (on lui doit les stupéfiants Soldaten dans ce même théâtre). Il travaille sur la construction d’images, souvent assez poétiques, comme dans Don Juan revient de guerre de Horváth l’été dernier à Salzbourg et dirige les acteurs avec beaucoup de précision, comme cela se vérifie aussi bien dans Rheingold et dans Walküre.

À l’issue de cette deuxième vision, je voulais compléter par quelques menues remarques. Au premier acte, j’ai vraiment trouvé très émouvant ce jeu des verres que les servantes se passent de main en main (évidente allusion au philtre de Tristan und Isolde), mais j’ai aussi noté cet éloignement des corps qui n’efface pas l’échange des regards et leur intensité. Giotto à la Capella degli Scrovegni de Padoue a peint une annonciation où Marie est d’un côté et l’Ange Gabriel de l’autre, avec entre deux le vide de l’arcature et de la nef…c’est l’une des plus puissantes que j’ai pu voir. Sans aller jusqu’à dire qu’on est dans Giotto, c’est exactement la même posture : plus on est loin et plus on se regarde, et plus le lien passe, imperceptible et d’une criante réalité.

Le motif récurrent des corps morts qu’on embaume, qu’on nettoie ou qu’on enlève, on le retrouve à chaque acte : c’est évidemment l’image du travail des Walkyries, dont c’est l’office nécrophile, qui revient comme un leitmotiv lancinant, et la chevauchée du 3ème acte se déroule au milieu de corps sur des pals, comme de la viande en attente d’équarissage est aussi une manière de souligner le côté bestial et peu ragoûtant de cette scène.
Le troisième acte laisse les choses à peu près en l’état, dans un espace vide, les deux personnages sont seuls et il faut bien dire qu’il n’y a là rien de nouveau sous le Soleil, sinon l’arrivée finale des « servants » porteurs du feu, qui rappelle en écho la manière dont Alberich se transformait en Dragon dans Rheingold, puisque la mise en scène utilise la même méthode : d’une certain manière, Brünnhilde est gardée par le feu telle l’Or par le Dragon, allongée sur une table circulaire presque sacrificielle.
En tous cas, ce travail qui évacue toute référence à une actualité brûlante ou à une signification est à la fois l’anti-Castorf, puisque l’histoire est livrée telle que, avec une distance poétique qui sied aux mythes, même si Walküre est moins sollicitée que Rheingold sous ce rapport, on sait que c’est l’option de ce travail jusqu’à Siegfried, mais aussi en quelque sorte l’anti Lepage : partant de la même volonté de raconter une histoire, de travailler sur un récit et sa logique interne plus que sur une succession d’événements significatifs, il choisit à l’opposé de l’hypertechnique de Lepage des procédés simples qui semblent en même temps simplistes, les figurants remplaçant machines et effets, et se contentant de « figurer » : leur utilisation au deuxième acte est particulièrement originale où, presque comme chez Cassiers, ils miment le discours de Wotan et Fricka, ou sont leurs sièges ou bien leurs meubles.

Acte I, Anja Kampe 5Sieglinde) et Klaus Florian Vogt (Siegmund) © Wilfried Hösl
Acte I, Anja Kampe 5Sieglinde) et Klaus Florian Vogt (Siegmund) © Wilfried Hösl

Ainsi chaque acte est un univers en soi, la maison de Hunding, plus maison que cabane, soutenue par l’arbre sinistre au centre du dispositif, l’immense salle du Walhalla, avec ce bureau central et lointain, qui souligne le changement de statut des Dieux, devenus des politiques : Fricka ne force-t-elle pas Wotan à obéir à quelque chose comme une raison d’Etat que Brünnhilde ne peut comprendre. Habituée à obéïr et manier du cadavre au quotidien, c’est Siegmund qui va lui révéler la réalité du monde et la réalité des hommes. Prenant fait et cause pour lui, elle se place évidemment du côté des mortels et anticipe la décision de Wotan.

Anja Kmape (Sieglinde) et Günther Groissböck (Hunding), Acte I © Wilfried Hösl
Anja Kmape (Sieglinde) et Günther Groissböck (Hunding), Acte I © Wilfried Hösl

Kriegenburg évoque ces points, par un geste, par des attitudes, par quelques mouvements (notamment le mimétisme de Brünnhilde au début du 2nd acte, reproduisant les gestes et les attitudes de Wotan). C’est cette distance, quelquefois réellement installée, quelquefois à peine perceptible, qui me plaît dans une mise en scène plus méditative qu’active. J’avais déjà souligné chez Kent Nagano ce refus du spectaculaire et ce suivi scrupuleux du plateau.
Avec des résultats sonores très différents, c’est aussi l’option de Kirill Petrenko.
Le public qui n’est pas forcément fait de techniciens de l’orchestre, même le public un peu mélomane, s’accroche à des gestes du chef et en fait une sorte de métaphore, de transposition gestuelle de ce qu’il entend, et s’arrête à deux éléments : la battue et le tempo.
Évidemment, le travail essentiel de préparation effectué au cours des répétitions, notamment par pupitre, ce travail que les italiens appellent concertazione (sur les affiches de la Scala on lisait souvent « concertatore e direttore d’orchestra ») est le travail invisible et essentiel, c’est le moment où l’on demande aux musiciens tel geste, telle nuance, c’est le moment où les équilibres se construisent, c’est le moment aussi on l’on va travailler ensemble. Etrange voyage que celui du mot concerto, celui d’un mot signifiant combattre, s’opposer, livrer bataille en latin, devenu synonyme de travail construit ensemble, pour trouver l’accord…
Le chef met ensemble des éléments disparates au départ et tout le travail interprétatif répond à la question comment « mettre ensemble » pour faire enfin de la musique.
Ce travail souterrain apparaît ici dans toute sa profondeur : Petrenko n’est pas de ceux qui gesticulent avec le corps, mais c’est quelqu’un qui travaille avec les bras et les mains : il ne cesse d’indiquer, et souvent d’une manière impérative. Il est fascinant de noter que dirigeant l’opéra, il indique les départs à chaque chanteur, tous les départs avec une précision incroyable, de la main gauche.

Die Walküre Acte III, la Chevauchée © Wilfried Hösl
Die Walküre Acte III, la Chevauchée © Wilfried Hösl

Et ici, il épouse à sa manière le propos du plateau : il travaille la partition non comme une succession de scènes avec chacune sa loi propre, mais il travaille plutôt un parcours, dans son ensemble, d’où l’impression qu’il n’y a pas de tension. La tension existe bien sûr, mais à la mode de la Gesamtkunstwerk : on est chez Wagner. et tout contribue à la production commune. Si un chanteur chante de manière tendue, comme Wotan dans cet extraordinaire deuxième acte, l’orchestre n’ pas besoin d’être redondant. Si Vogt chante avec la douceur et la suavité d’un Lied, articulant chaque parole, l’orchestre ne peut le couvrir parce que à ce moment là c’est la parole qui prime. Si une mise en scène est d’une certaine manière plus dans le récit que dans l’événement ponctuel, plus dans la continuité, la direction doit évidemment en tenir compte. Petrenko ne dirige pas Wagner-Kriegenburg comme il dirige Wagner-Castorf. L’annonce de la mort où les paroles incroyablement douces de Vogt frappent d’émotion, l’orchestre s’allège, respire, donne au chanteur l’espace voulu tout en faisant entendre des raffinements inouïs. Il en résulte une cohérence interne d’un niveau rarement atteint, avec les qualités habituelles de ce chef que sont la clarté, la transparence, voire ce que j’ai appelé le cristal : on entend évidemment tout, mais surtout on ne cesse d’être surpris par des choix de mise en valeur, par des attaques jamais entendues ainsi, par un miroitement sonore différent d’une partition qu’on croyait connaître : tout parle, et en même temps sans jamais épater, sans jamais se donner en spectacle, ou en vitrine. C’est le flux continu d’un récit conçu comme tel, avec des moments qui m’ont frappés : l’attaque du prélude, installant immédiatement la tension et l’énergie, et en même temps dès l’entrée de Siegmund en scène, quelque chose d’un mystère. Le son est alors souvent sourd, mystérieux, sombre, éclate et explose, puis se dilate en un incroyable lyrisme.

Kirill Petrenko le 28 février 2015 (Die Walküre)
Kirill Petrenko le 28 février 2015 (Die Walküre)

On peut aimer sans doute plus d’urgence, plus de dramatisme, on peut aimer sentir une direction (au sens géographique) et alors Petrenko peut n’être pas le chef pour ce Wagner-là…mais tout est là pourtant, diffracté dans l’orchestre ou sur les voix, ou sur l’ensemble ; a-t-on jamais entendu pareil final du 1er acte, tourbillonnant avec un tempo quasi impossible. Pour ma part je l’ai rarement entendu attaqué à cette vitesse hallucinante, après avoir pendant tout le duo respecté la douceur et la couleur voulues par la voix de Klaus Florian Vogt, et travaillé sur l’épaisseur du son et ses reflets plutôt que sur le crescendo amoureux : voilà une des ruptures surprenantes, qui prend à revers l’auditeur et l’assomme de bonheur.
Petrenko n’aime pas mettre en relief la noirceur d’une musique, il reste toujours disponible et ouvert. C’est pourquoi cette Walküre a le charme des belles histoires tristes sans avoir de couleur sombre même aux moments les plus difficiles, même en regardant ces cadavres qui émaillent chaque acte : en écoutant, je pensais aux épopées italiennes du Tasse et de l’Arioste, je pensais aussi Stendhal, c’est à dire une tristesse et une violence médiatisées par le discours, par la distance, par, étonnant je sais, un certain apaisement: la vérité des choses atténuée mais révélée par la métaphore.
Pour nous révéler ce Wagner-là, un Wagner presque « littéraire » au plus merveilleux des sens, il fallait aussi une distribution qui fût à la hauteur, et elle le fut, malgré les petits hauts et bas et les accidents.

D’abord, où pourrait-on retrouver pareil cast ? Même l’ensemble des Walkyries chante avec un engagement et une énergie rares il est vrai que parmi elles, on remarque Okka von der Damerau, Nadine Weissmann et Anna Gabler qui ne sont pas les dernières venues.
Evacuons d’emblée le cas Evelyn Herlitzius : on dit d’elle ce que j’entendais de Gwyneth Jones jadis. C’est vrai, la voix bouge, les aigus sont mal assurés, et quelquefois ne passent pas, comme au troisième acte où la voix s’est engorgée de manière spectaculaire. Mais il y a d’autres moments éclatants, vibrants, bouleversants, et il y a aussi une allure, une stature, une présence qui reste stupéfiante, même si moins marquée qu’il y a deux ans. Brünnhilde n’est pas Elektra, et ne permet pas toujours à l’artiste de stupéfier de manière démonstrative comme elle le fait dans Strauss, et les Hojotoho entendus restent dans la bonne moyenne sans être une performance.

Die Walküre Acte II © Wilfried Hösl
Die Walküre Acte II (Wotan: Thomas J.Mayer, Fricka, Elisabeth Kulman)© Wilfried Hösl

Il reste que le duo du 2ème acte avec Wotan, le moment clé du Ring où tout est révélé et notamment la menace de « la fin » (Das Ende, répété plusieurs fois dans le duo) est un des moments les plus intenses de la soirée et même de bien des Walkyries des dernières années. Il suffit de se concentrer sur le regard tendu et à la fois fasciné de Brünnhilde pour Wotan pour retrouver certains des regards de Jones (mais cela, c’est pour ma mémoire d’ancien combattant) ; il y a dans le regard d’Evelyn Herlitzius une fraîcheur, une confiance, une force si positive, qu’elle pose le personnage immédiatement comme vital, intense, jeune, et quand on entend ce qui se passe en fosse, on se demande si le chef ne rend pas hommage à ce regard là, tant la musique se colore quand Brünnhilde chante.

Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) & Thomas J.Mayer (Wotan), Acte II © Wilfried Hösl
Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) & Thomas J.Mayer (Wotan), Acte II © Wilfried Hösl

Wotan en face (Thomas Johannes Mayer) est plus en forme que la veille : une diction phénoménale, des accents d’une vérité et d’une crudité rares, il est le personnage, déjà assommé, fatigué, perdant, et à l’orchestre, ce futur incertain s’entend, mystérieux, assombri. Entre le regard d’Herlitzius, la voix de Mayer et le son de la fosse, tout se répond et fait naître cette tension qui paraît-il manquerait…Ce sont moments au contraire passionnants qui remettent sur le tapis ce qu’on croyait connaître, savoir, aimer…et qu’on se prend à redécouvrir et aimer encore plus.

 

 

 

 

Le couple Siegmund/Sieglinde (Klaus Florian Vogt/Anja Kampe) est celui de la première série de représentations, qui retrouve ainsi ses marques, et quelles marques ! Indescriptible triomphe à la fin de l’acte I, un moment bouleversant : foin des aigus, des voix gigantesques, des Siegmund qui nous tiennent de longues secondes sur « Wälse » sans rien nous faire ressentir de « Winterstürme ». On entend tout de suite que Vogt est particulier : il n’est pas Heldentenor, mais il possède cette voix (que certains détestent) en permanence éthérée, avec un sens de la parole, une diction, une science des modulations, de la couleur qui en fait cet être étrange venu d’ailleurs fascinant. Et évidemment Petrenko dirige en fonction de cette voix là, ne la couvrant jamais, ralentissant les tempi pour accompagner le chant de la plus merveilleuse des manières.

Acte II, Klaus Florian Vogt (Siegmund) Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) et, étendue, Anja Kampe (Sieglinde) © Wilfried Hösl
Acte II, Klaus Florian Vogt (Siegmund) Evelyn Herlitzius (Brünnhilde) et, étendue, Anja Kampe (Sieglinde) © Wilfried Hösl

Si le 1eracte est fascinant, l’annonce de la mort du deuxième acte bouleverse par sa vérité, Vogt chante le regard lointain qui semble ne rien entendre, comme mû par un automatisme, et Herlitzius change d’attitude, de mouvements : de lointaine Walkyrie hiératique, elle devient femme qui respire et qui sent : à un moment on a même l’impression qu’en Siegmund elle se progette déjà auprès de Siegfried tellement l’échange est intense. Vogt donne une dimension inconnue à Siegmund, une poésie inouïe, une douceur ineffable, une suavité inexplorée jusque là, modulant le volume sur chaque parole, avec une émission sans faille : quand il chante, c’est tout un univers qui est évoqué, un Lied permanent : oui, malgré des aigus pas tout à fait assurés, mais donnés sans jamais forcer, toujours avec fluidité et naturel, c’est un Siegmund fantastique à entendre, bien plus neuf que son Florestan dans Fidelio où il s’est pour moi fourvoyé à la Scala, et en tous cas le Siegmund le plus touchant et le plus naturellement émouvant qui soit aujourd’hui.

Anja Kampe le 28 février 2015 (Die Walküre)
Anja Kampe le 28 février 2015 (Die Walküre)

A ce naturel bouleversant du chant de Vogt correspond l’émotion incandescente et la voix chaleureuse d’Anja Kampe, plus émouvante qu’à Bayreuth. La voix est dans une forme extraordinaire, chaude, bien assise, avec des aigus solides et sûrs, mais en même temps une puissance d’incarnation rarement entendue (Meier avec Domingo, dans un autre style peut-être ?) Ils sont le couple, ils sont amour, et nous sommes chavirés. Avec un art de la parole, un art de l’émission et de la projection consommé, elle réussit totalement à faire oublier qu’elle n’a pas tout à fait la voix du rôle. Elle est aux limites et les dépasse en intensité, en investissement, en intelligence du texte. Evidemment la direction de Petrenko est sans cesse à l’écoute, chaque parole est scandée par la musique : c’est une fête de la couleur, une fête du son, et c’est d’une urgence inouïe, avec les moyens du Lied, de la poésie, avec un orchestre retenu…à n’y rien comprendre. Nous sommes là aussi pris à revers. A-t-on déjà entendu cela ainsi?
Les autres protagonistes ne font qu’alimenter notre plaisir et notre émotion. Günther Groissböck était la veille Fasolt, il est Hunding, brutal, sonore, et même, le temps d’un instant, tendre. C’est un merveilleux acteur (ah, quand il coupe la pastèque avec son épée) : Groissböck a tellement l’habitude de chanter les méchants qu’il s’y glisse avec facilité, mais en même temps, il n’est lui non plus jamais démonstratif, laissant la scène se développer, laissant le théâtre se faire. Il est un Hunding vocalement raffiné et surtout a des accents et un ton qui seraient presque du domaine du théâtre parlé….

Elisabeth Kulman le 28 février 2015 (Die Walküre)
Elisabeth Kulman le 28 février 2015 (Die Walküre)

Quant à la Fricka d’Elisabeth Kulman, elle est égale à elle même, comme à Lucerne, comme il y a deux ans à Munich, avec tout ce qui fait qu’elle est aujourd’hui la plus grande des Fricka : les aigus, l’agressivité, l’ironie, le jeu, la présence scénique inouïe, une diction de rêve avec un texte digéré, mâché, prononcé et plein de couleurs dans la voix ainsi que des gestes d’une vérité stupéfiante. Elle entre en scène, et elle a déjà vaincu. Il est fascinant de constater qu’entre hier et aujourd’hui, ce sont des facettes très différentes qui nous sont montrées. Ce soir c’est une scène, au sens théâtral du terme, quelque chose du duo Philippe II/Grand Inquisiteur. On croise le fer. Et elle est inouïe. Hier dans L’or du Rhin, elle était toute élégance, toute subtilité, avec une technique de chant presque belcantiste, et c’était aussi merveilleux (alors qu’il y a deux ans j’avais été un peu dubitatif devant sa Fricka dans Rheingold).

Il faut se rendre à l’évidence, à la merveilleuse évidence, à deux ans de distance, avec des chanteurs différents et un chef différent, ce Ring continue de nous parler, avec un niveau exceptionnel à l’orchestre et un plateau d’une rare intelligence et d’un rare engagement.
Qu’il fait bon d’être à Munich, l’autre casa wagneriana.[wpsr_facebook]

Klaus Florian Vogt, Anja Kampe, Evelyn Herlitzius le 28 février 2015 (Die Walküre)
Klaus Florian Vogt, Anja Kampe, Evelyn Herlitzius le 28 février 2015 (Die Walküre)

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: DER RING DES NIBELUNGEN – DAS RHEINGOLD, de Richard WAGNER le 27 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO ;ms en sc: Andreas KRIEGENBURG)

Tableau final © Wilfried Hösl
Tableau final © Wilfried Hösl

En janvier 2013, j’étais sorti totalement enthousiaste de la production de Andreas Kriegenburg et de la direction nerveuse et lyrique de Kent Nagano. J’ai très largement décrit le travail de Andreas Kriegenburg dans mon compte rendu et j’y renvoie.

À peu près deux ans après, ce Ring est repris, de manière plus étirée qu’en janvier 2013 puisque les représentation s’étalent de février à avril 2015 et qu’il est difficile pour un non munichois de pouvoir assister aux quatre opéras en un seul séjour.

L’intérêt de cette reprise repose sur la direction de Kirill Petrenko, qui pour la première fois dirige le Ring comme GMD d’une maison où l’œuvre a été partiellement créé, et qui avec Bayreuth est le théâtre de référence historique pour Wagner.
Depuis qu’il a pris les rênes de Munich, en 2013, Kirill Petrenko est devenu un beniamino du public munichois et a acquis une surface médiatique non indifférente dans le monde musical, en dépit de ses efforts pour fuir les projecteurs
Il arrive au pupitre du Ring auréolé du triomphe incroyable reçu à Bayreuth, où sa direction a été unanimement louée, et laisse, il faut bien le dire loin derrière bien des concurrents.
Il était donc intéressant d’écouter le travail munichois, et surtout de vérifier (au moins pour ma part) si l’approche très poétique de Kriegenburg conduisait à d’autres choix musicaux que ceux effectués à Bayreuth face à l’approche désacralisante de Frank Castorf.
Il faut rappeler quelques éléments des choix de Andreas Kriegenburg, qui a opté pour une vision finalement assez rafraichissante de l’histoire, dont il propose une vision cyclique : de l’innocence initiale naissent les crises, pouvoir, or, violence, pour retourner à l’innocence à la fin, une innocence chorégraphiée par les corps qui représentent toutes les choses : notamment dans ce prologue le Rhin, l’Or et le Walhalla.
Le Rhin est un fleuve d’amour, tout amour, où les flots sont des corps qui copulent. L’amour garde l’or, et l’amour va être interrompu par le vol de l’or par Alberich. Une vision presque naïve qui raconte l’histoire par images métaphoriques, sans jamais transposer, mais illustrant les épisodes d’une manière digne d’albums de Topor, à qui se réfèrent me semble-t-il décorateur Harald B.Thor, costumière Andrea Schraad et surtout la chorégraphe Zenta Haerter.
Bien sûr, il y a des points de mise en scène qu’on avait oubliés, comme la « mise en croix d’Alberich » puis sa transformation en épouvantail, en une sorte de victime chosifiée ou d’autres qu’on revoit avec plaisir, comme l’amour naissant entre Freia et Fasolt, et le désespoir de cette dernière lorsqu’il est poignardé par Fafner. Il reste que ce retour à Munich était motivé par le chef et une distribution largement renouvelée.
Das Rheingold est sans doute le moment le plus théâtral du Ring avec un peu de spectaculaire. À ce titre, le tableau des filles du Rhin est toujours à la fois un vrai moment et sans doute la signature de l’ensemble de l’œuvre par le metteur en scène : c’en est ainsi pour toutes les mises en scène du Ring . mais Rheingold, c’est aussi beaucoup de conversation et de dialogues, sans monologues spectaculaires comme dans les trois autres opéras , et c’est un chant qui exige une vraie science de la coloration, du parler-chanter, de l’expressivité.

Erda (Okka von der Damerau) © Wilfried Hösl
Erda (Okka von der Damerau) © Wilfried Hösl

À ce titre, je vais commencer par une déception, la Erda de Okka von der Damerau : voilà une chanteuse à la voix somptueuse, riche en harmoniques, au volume respectable. Elle était en 2013 l’une des filles du Rhin, elle est aujourd’hui Erda. Erda est un rôle difficile parce qu’il exige en cinq à sept minutes de présence la capacité à dessiner un univers, exactement ce qu’on demande à un chanteur de Lied.. Il faut qu’Erda soit une apparition : elle l’est scéniquement surgissant au milieu de ces corps terreux, grenouillant autour d’elle comme des vers, elle l’est moins musicalement. Elle a incontestablement la belle voix qu’il faut, elle a la puissance et l’aigu, elle chante, mais elle n’incarne pas ; cette voix très présente est sans présence, sans vibration, sans évocation. Il manque un poids des mots derrière le choix des sons. Voilà ce que tout chanteur de Rheingold doit avoir, le poids des mots dans la bouche et non pas seulement la voix. Ce poids des mots, Elisabeth Kulman (Fricka) le possède au plus haut point. Il y a une grande différence entre la Fricka de Walküre, qui doit être forte et explosive, et celle de Rheingold, qui est toute subtilité et insinuation, toute théâtre et incarnation. Elisabeth Kulman est supérieure, non pas purement vocalement, mais théâtralement, totalement dans la voix, totalement dans les mots, qu’elle chante de mille manières, usant même d’artifices plutôt bel cantistes : notes filées, atténuations, mezze voci, donnant ainsi aux mots des couleurs tellement variés qu’on en reste ébloui. Il n’y a rien de forcé là dedans, tout est évocatoire, tout est simple et tout est juste. En ce sens, elle fait exactement ce que dans la fosse fait Petrenko. Elle n’est pas une Fricka spectaculaire, elle est Fricka tout simplement, avec un naturel en scène et une simplicité confondantes.

Wotan (Th.J.Mayer) & Fricka (E.Kulman) © Wilfried Hösl
Wotan (Th.J.Mayer) & Fricka (E.Kulman) © Wilfried Hösl

À ses côtés, le Wotan supérieurement intelligent de Thomas Johannes Mayer, dont l’intelligence du texte et la diction sont des modèles du genre, avec cependant une voix plutôt éteinte, sans éclat, sans vraie présence sonore, et même au départ avec quelques problèmes de stabilité. Un Wotan fatigué peut se concevoir dans Rheingold, c’est un Wotan qui est déjà Wanderer (c’est ce que Cassiers avait proposé dans son Rheingold avec un René Pape impérial…)un Wotan qui comprend après le passage d’Erda qu’en fait tout est foutu d’avance. Mais là il a de sérieux problèmes de volume dès le début et cela nuit à sa présence scénique, un Wotan has been face à un Alberich (Tomasz Konieczny) en pleine santé. Un Alberich somptueux qui affiche une présence vocale insolente, avec les qualités des autres en matière de diction et de couleur, mais avec en sus le volume et l’éclat : sa malédiction du Ring est impressionnante, il en devient presque noble, avec des accents formidables d’humanité et de rage rentrée. Il remporte le plus grand triomphe sur le plateau et c’est pleinement justifié. Il me rappelle Zoltan Kelemen, mon Alberich de Chéreau pour l’éternité en 1977, c’est dire.

Loge (Burkhard Ulrich) face à Fricka et Wotan © Wilfried Hösl
Loge (Burkhard Ulrich) face aux géants, à Donner, Froh  Fricka et Wotan © Wilfried Hösl

Le Loge de Burkhard Ulrich est moins rentré dans le personnage que Stefan Margita il y a deux ans, mais s’il n’y a aucun reproche à faire au niveau vocal, il n’y a rien d’exceptionnel dans la prestation. Il faut toujours dans Loge un chanteur qui ait à la fois la projection et la présence vocales, mais aussi la capacité à composer c’est à dire aussi à mâcher le texte, à le passer au filtre des mille possibilités de coloration. Un Graham Clark par exemple. Ici, on est dans du très solide, mais on reste dans du banal.
Les Dieux sont eux aussi très solides : j’aime bien le Loge de Dean Power, un jeune chanteur en troupe à Munich qui a de belles qualités notamment dans la diction et l’expression, il faudrait simplement un peu plus de puissance dans le tableau final, même s’il chante de manière très sentie (chez Chéreau, c’était Jerusalem, futur Tristan). Levente Molnar a une certaine présence vocale, mais a moins de puissance qu’il y a deux ans dans Donner : voilà encore un rôle qui n’existe que pour les deux minutes du « Heda, Hedo… », mais qui doit vraiment s’imposer à ce moment là.
Encore une difficulté de l’œuvre : comment trouver la juste Freia…
La juste Freia, c’est Anja Kampe : elle chante Sieglinde dans Walküre et il eût fallu lui proposer ce que faisait jadis Helga Dernesch à l’Opéra de Paris avec Solti, Freia dans Rheingold et Sieglinde dans Walküre. Mais on ne distribue plus Freia à des Sieglinde, mais tout juste, et ce n’est plus toujours vrai, à des futures Sieglinde. Je ne sais si Aga Mikolaj est une future Sieglinde : elle a des aigus, plus acides que chauds, elle a du medium, mais elle n’a pas le legato voulu pour passer sans heurt de l’un à l’autre. Elle a peu de présence vocale, et pas trop de présence scénique par elle-même, mais seulement par ce que lui donne la mise en scène. C’est un soprano lyrique, plus fléché sur les rôles mozartiens (Comptesse, Pamina, Fiordiligi), et je suis persuadé qu’il faut plus de présence sonore et vocale pour Freia : une Freia qui a du poids secoue. Ici, brise légère…

Nibelheim © Wilfried Hösl
Nibelheim © Wilfried Hösl

Le Mime d’Andreas Conrad est l’autre Mime des scènes mondiales, son concurrent étant Wolfgang Ablinger Sperrhacke. C’est un bon Mime, mais avec le même problème que Burkhard Ulrich : une composition solide, une prestation honnête, sans plus. Un bon Mime ce soir sans être un grand Mime. Il était bien plus convaincant à Genève.
Avec les deux géants Fasolt (Günther Groissböck) et Fafner (Christof Fischesser) juchés sur leur cube composé de cadavres en bleu de travail, on retrouve un chant plus spectaculaire et en même temps très différencié, la voix plus puissante et plus froide de Groissböck, formidable Fasolt, émouvant même dans le dernier tableau, face à celle plus chaleureuse et au timbre plus rond de Christof Fischesser, en bref, les deux basses qui représentent ce qui se fait de mieux ou presque, parmi les basses allemandes. Fafner n’a pas grand chose à chanter dans Rheingold (mais on l’attend dans Siegfried), c’est Fasolt qui est plus présent, plus spectaculaire et Groissböck est impressionnant de présence et de naturel. C’est une confirmation : il sera Hunding dans Walküre…
Quant au trois filles du Rhin, c’est un enchantement, aussi bien dans l’éclat que dans le ton et la présence, Hanna Elisabeth Müller donne une voix claire et merveilleusement projetée à Woglinde, et Nadine Weissmann (la magnifique Erda de Bayreuth) est une très belle Flosshilde sans oublier la belle Wellgunde de Jennifer Johnston. Elle sont merveilleuses dans le tableau final, toute retenue, toute poésie, toute mélancolie…
Au total, une distribution assez équilibrée, avec des rôles tenus de manière impressionnante, d’autres moins en vue, mais dans l’ensemble chacun y défend sa part avec solidité au minimum et aussi souvent avec intelligence et justesse.
C’est une distribution soutenue avec constance par un Kirill Petrenko présent sur tous les fronts, qui suit les chanteurs dans les moindres inflexions, qui donne avec une précision manique tous les départs, et qui les soutient, dans la manière qu’il a de moduler l’orchestre et de ne jamais les couvrir. On le savait parce que c’est ainsi dans chaque opéra qu’il dirige : c’est un vrai chef de fosse qui non seulement soutient et suit le plateau, mais qui construit aussi le rendu orchestral, soucieux d’imprimer une couleur en cohérence avec le plateau et la mise en scène.
Ainsi, à Bayreuth, la direction de Kirill Petrenko avait surpris par sa clarté et son dynamisme, avec une énergie qui correspondait à un travail scénique particulièrement échevelé. Face à l’univers plus poétique et plus « léger » aussi de Kriegenburg (même s’il se passe beaucoup de choses en scène), ce qui se passe en fosse prend une couleur plus lyrique, d’une fluidité presque diaphane par moments.
Le prélude, plus qu’être ce crescendo, cette montée chromatique de plus en plus présente, qui va du silence vers la puissance sonore, est ici magmatique, comme ces laves qui s’étendent et qui s’épaississent, le son s’étend, s’élargit, sans monter en volume mais en étendue. Je ne sais si je m’explique clairement : on entend tout, dans son épaisseur, dans son tissu, mais avec un volume qui reste retenu, jamais de Wagner Zim boum. C’est évidemment le flot du Rhin qui est ici métaphoriquement évoqué, un flot de plus en plus puissant, mais jamais assourdissant.
Dans l’ensemble de la première partie, avant le Nibelheim, le souci du chant et le la clarté de la conversation est permanent, avec aussi une science dans la mise en valeur de la phrase musicale qui épouse exactement la conversation ou le mot, là une phrase jamais remarquée des contrebasses, là une présence insistante et appuyée (mais sans jamais une once de lourdeur) de la clarinette. On ne perd pas une miette de musique car le son est cristallin, et en même temps la musique est dirigée avec un sens du lyrisme confondant, tout en mettant en valeur le tissage de la partition, notamment les fameux leitmotiv, jamais assénés, toujours identifiés, mais toujours tressés avec le reste. Voilà une direction qui laisse entrevoir le travail de composition de Wagner comme rarement je l’ai entendu, d’autant que le son nous arrive directement, et non modulé par l’auvent bayreuthien.
Le lyrisme est dans cette première partie toujours privilégié. Le son de l’orchestre au moment où Freia est enlevée et où les dieux tombent peu à peu en léthargie est simplement stupéfiant, suivant chaque inflexion du discours de Loge, ou les phrases de plus en plus hésitantes des Dieux suivies par des cordes de plus en plus diaphanes, avec des systèmes d’écho stupéfiants. Mais le sens dramatique est aussi très présent, et toute la seconde partie (le Nibelheim en premier) alterne entre ces moments suspendus où Wagner emporte l’auditeur dans une sorte d’ivresse chromatique, et ces moments de montée de la violence, comme dans les interludes orchestraux de la descente et de la remontée du Nibelheim, jamais hachés, jamais heurtés, mais incroyablement liés, souples, clairs mais en même temps incroyablement tendus, à donner le frisson.
Le tableau final répond à ce sens théâtral et musical très aigu : une musique qui gonfle qui monte en volume et qui en même temps travaille sur l’ironie, tant ce triomphalisme est seulement de façade : la mise en scène insiste sur la résistance de Freia, sur un Rhin qui se reconstitue autour des filles du Rhin qui chantent leur lamentation, un Rhin qui ne copule plus, mais qui ondule mollement au rythme de la musique, un Rhin vidé de son sens, vidé d’amour : la scène finale dans l’orchestre est simplement époustouflante, rarement autant de couleurs diffractées dans l’orchestre, complètement scintillant, puis l’apparition de l’arc en ciel, et du pont, et on passe de la diffraction coloriste à une sorte de concentration sonore avec le crescendo de cordes, en lien avec les voix (très bon Dean Power à ce moment) et un orchestre qui stupéfie par sa fluidité, sa clarté, sans jamais être « en vitrine », sans jamais être lourd et au contraire, dans un moment où en général les choses s’alourdissent, on a ici une légèreté qui fait dire à certains que tout cela manque un peu d’énergie et de force. Je n’ai rien ressenti de tel, mais au contraire une telle mélancolie dans toute la scène finale qu’elle m’a étreint d’émotion, comme un adieu définitif à quelque chose qui pourrait être un adieu à la paix et à la sérénité. Après la sérénité mélancolique de la plainte des filles du Rhin (avec une mise en valeur de la harpe inconnue pour moi jusqu’alors) on passe à la marche finale gonflée, scandée par les timbales, on se tourne triomphalement vers un avenir noir, mais sans jamais être écrasé.
Le léger silence qui suit avant les énormes applaudissements qui ponctuent la représentation (des rappels à n’en plus finir, un triomphe incroyable pour Kirill Petrenko) montre la tension que ce travail tout en finesse a pu provoquer. Petrenko, à la tête d’un excellent orchestre non dénué cependant de quelques scories dans les cors, nous prend à revers : il y a deux semaines, il nous surprenait par un Lucia di Lammermoor tendu, guerrier, tout dynamisme et contrastes, et ici devant une mise en scène il est vrai presque apaisante, il nous étonne par des choix dans les volumes, dans les tempos, dans la mise en place des sons, qui privilégient le lyrisme, la retenue, les miroitantes variations instrumentales autour des conversations des personnages et des dialogues, sans jamais exagérer les choses, sans jamais les souligner de traits puissants, mais en les mettant en place, en les mettant simplement à leur place, simplement, parce que cette mise en « place » de la partition reflète une incroyable simplicité, presque naturelle, sans volonté démonstrative aucune. Wagner rien que Wagner, et tout Wagner. Ce choix porte le public à l’incandescence, et dit sur l’œuvre des choses nouvelles, en parfaite cohérence avec ce qui est dit sur scène.
Ce soir, j’ai encore appris quelque chose sur Wagner, et j’ai été ému par ce Wagner des Choses de la Vie. [wpsr_facebook]

Alberich enlève l'Or © Wilfried Hösl
Alberich (Tomasz Konieczny) enlève l’Or © Wilfried Hösl

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: LUCIA DI LAMMERMOOR de Gaetano DONIZETTI le 11 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Kirill PETRENKO; Ms en scène: Barbara WYSOCKA) avec Diana DAMRAU

Mariage...© Wilfried Hösl
Mariage…© Wilfried Hösl

La presse locale signalait que d’une part Kirill Petrenko dirigeait pour la première fois du bel canto, et que d’autre part, c’était aussi la première fois qu’un GMD en titre abordait ce répertoire.
Et pour cause, le répertoire belcantiste concentré sur le chant, est considéré sans intérêt par les grands chefs, et les opéras les affichent avec des chefs de moindre prestige puisque dans ce répertoire, les voix attirent, pas les chefs.
On a vu cependant à Londres que Maria Stuarda dirigée par un chef de niveau comme Bertrand de Billy n’était pas à négliger. On sait aussi que la référence de Lucia di Lammermoor au disque (live) est Herbert von Karajan qui n’est pas un chef de seconde zone, avec Maria Callas, à Berlin.
Il est aussi de bon ton de mépriser cette musique (« à ch…» m’a encore dit récemment un ami paraît-il mélomane) pour la promettre aux oubliettes de l’histoire, pour affirmer que l’on ne devrait plus monter ces opéras etc…Je n’ai jamais aimé les anathèmes d’aucune sorte, y compris sur les questions de goûts musicaux. On peut ne pas aimer Lucia, et n’y pas aller, mais laissons les autres aimer sans les culpabiliser…
Je m’inscris donc en faux contre ceux qui édictent le bon goût opératique, plus souvent erratique qu’opéra… et je le dis d’autant plus librement que Lucia n’est pas mon opéra préféré de la période, et à Donizetti je préfère Bellini. Mais j’aime les opéras des reines (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux) et j’ai un faible pour Rosmonda d’Inghilterra, que j’aimerais bien qu’on aille tirer des oubliettes.
La question du répertoire est une question déterminante pour un genre aussi marqué par le passé. Parler du passé, c’est donc aussi évoquer le futur…La question du futur de l’opéra se pose chaque jour : on a vu Die Soldaten à la Scala marqué par des abonnés absents. Et ce n’est pas un opéra du futur, mais simplement d’un passé plus récent.
Il faut affronter clairement l’idée que l’opéra est actuellement un art du passé, car la production lyrique du moment, à de rares exceptions près, est assez pitoyable et surtout prétentieuse.

Mais l’opéra n’est pas has been puisque la musique nous parle encore puisque la musique c’est toujours du présent et du « direct » et non du différé. On peut simplement regretter que notre curiosité ne soit plus aiguisée, et que le regard en arrière domine…L’art avance dans le temps  en marchant toujours sur les ruines du passé (mais en construisant dessus), en tuant toujours le père, mais dans le cas presque unique de l’opéra, c’est du sur-place que l’art lyrique fait aujourd’hui avec un père encore très abusif. Prenons en acte, mais gare à la lassitude.

Si la musique de Donizetti parle encore en étant capable d’émouvoir, il est clair que les livrets ont du plomb dans l’aile, des livrets pleins de femmes sacrifiées ou folles (c’est utile, la folie en chant, c’est le chemin qui justifie vocalises et pyrotechnie) et d’amours contrariées. Les livrets, eux, sont des traces du passé, leurs histoires sont des émergences d’ambiances et de milieux révolus. C’est sur eux qu’il faut revenir…et c’est le devoir de la mise en scène.

Diana Damrau (Lucia) © Wilfried Hösl
Diana Damrau (Lucia) © Wilfried Hösl

C’est donc avec confiance que je suis allé voir cette Lucia, qui est un énorme succès. Parce que moi aussi, je n’ai jamais entendu diriger Lucia par un grand chef du calibre de Kirill Petrenko et qu’il était intéressant de voir le travail scénique de Barbara Wysocka, du cercle proche de Krzysztof Warlikowski, sans parler de Diana Damrau…
Énorme succès, triomphe indescriptible ce fut.
C’est dans les œuvres aussi passe-partout que Lucia di Lammermoor, abandonnée le plus souvent à des chefs de répertoire, parce que le public vient pour la voix et la scène de la folie, que l’on se rend compte combien tout change quand dans la fosse il y a un vrai chef…quelquefois même au déplaisir d’un public aux oreilles bercées par la routine. Je me souviens qu’un chef aussi musical que Peter Maag avait été copieusement hué à la Scala lors d’une production de Lucia (Pizzi, Pavarotti – en kilt !- et Luciana Serra).
Dans la production munichoise, le succès vient de la conjonction chanteurs, mise en scène et fosse, mais c’est quand même la fosse qui sous tend pour moi tout le reste.
Kirill Petrenko propose une version complète sans coupures, avec le glassharmonica à la place de la flûte dans la scène de la folie qui lui donne un aspect étrange, presque venu d’ailleurs, quand la flûte semble être une sorte de jeu avec la voix. Ici l’instrument dit quelque chose et la voix autre chose, c’est à la fois inattendu et très séduisant. Dès le départ, lorsqu’on entend les premiers roulements de tambour (qui font presque penser au final de Soldaten), on comprend qu’on va entendre autre chose. Une ambiance est dessinée. Inattendue, qui nous secoue.
Petrenko est assez sensible à ce qu’il voit en scène. Je l’avais constaté à Bayreuth, et je suis curieux de voir ce qu’il fera musicalement du Ring de Kriegenburg. Face au travail plutôt destructeur de Barbara Wysocka, il ne peut guère s’adonner aux fioritures, et l’histoire elle-même ne le permet pas. Amateurs d’italianismes de bazar, d’opéra de salon, passez votre chemin. Il y a dans cette direction de l’abrupt, du violent, du sombre, du vrai, une histoire tragique comme elle doit être jouée, romantiquement.
Ce qui frappe d’abord c’est l’extrême clarté du son, une limpidité stupéfiante, même au moment des ensembles, même quand le chœur chante à pleine voix, on entend tout l’orchestre, et donc tous les petits détails raffinés de l’écriture donizettienne, ceux que justement on n’entend jamais, un trait de violoncelle, quelques éléments de flûte, ou même ces percussions initiales dont Verdi se souviendra dans Trovatore et qui ici sont glaçantes.
Ensuite, c’est la dynamique de l’ensemble qui vous prend. Ruptures de tempo, transitions rèches, presque des anacoluthes musicales, des moments d’une énergie incroyable, d’une jeunesse vibrante, qui m’ont rappelé le jeune Muti des années 70, là où il osait tout, génialement, avant de tomber dans le conformisme de l’image et du miroir. Car ce soir, le chef ose tout. Le final de la première partie est un moment exaltant, un tourbillon sonore incroyable, d’une vivacité inouïe, un bouillonnement, en même temps incroyable de rigueur et de précision. L’orchestre suit, et Petrenko est attentif à tout, maîtrise tout : il ne cesse pas d’accompagner le plateau, calculant les volumes pour éviter de couvrir les voix, suivant chacun avec précision (des gestes d’une lisibilité jamais prise en défaut), le duo initial d’Edgardo et Lucia est à ce titre une leçon d’équilibre, de subtilité, d’engagement tel que l’émotion vous étreint d’emblée…mais dès que l’orchestre est seul, il explose en vibrations kleibériennes parce que ce soir, rien n’éclate, mais tout vibre au plus profond. Une Lucia di Lammermoor de cette trempe, on ne l’imaginait pas même simplement possible. Je ne sais l’impression que le streaming donnait, mais dans la salle, c’était à se damner.

Scène du mariage © Wilfried Hösl
Scène du mariage, Jenis, Breslik, Damrau, D’Aguanno© Wilfried Hösl

Mais ce tourbillon sonore est d’abord au service d’un plateau exemplaire. À commencer par les rôles de complément, l’Alisa de Rachael Wilson et surtout le Normanno de Dean Power, jolie composition en portaborse qui révèle à Enrico les amours de Lucia et Edgardo, ce jeune ténor irlandais déjà remarqué dans L’Affaire Makropoulos en début de saison mérite d’être suivi. L’Arturo de Emanuele d’Aguanno, rôle ingrat s’il en est pour un ténor qui cherche à se faire un nom, est très correct, dans son rôle de marié médiatique, voix projetée, émission correcte, timbre clair, un peu insipide cependant, mais c’est le rôle qui veut ça.

Dalibor Jenis (Enrico) le 11 février 2015
Dalibor Jenis (Enrico) le 11 février 2015

L’Enrico de Dalibor Jenis, qui a repris pour cette série le rôle que devait assumer Levente Molnar tombé malade, montre que ce baryton au timbre séduisant n’arrive toujours pas  à avoir le poids scénique nécessaire. Le volume n’est pas vraiment au rendez-vous, pas plus que l’émission. La personnalité est scéniquement crédible, l’intégration dans la mise en scène satisfaisante, mais il reste que, sans être problématique loin de là, sa composition reste en deçà du niveau des autres protagonistes ,

 

 

 

 

Raimondo (Georg Zeppenfeld) le 11 février 2015
Raimondo (Georg Zeppenfeld) le 11 février 2015

notamment le Raimondo de Georg Zeppenfeld, comme d’habitude parfait : voix claire, diction impeccable, projection exemplaire, un timbre magnifique et surtout une très grande expressivité, qui pose le personnage, notamment  dans la deuxième partie, évidemment, où, de séide d’Enrico, il devient un soutien de la pauvre Lucia et une sorte de médiateur, mais lorsqu’il est trop tard. Quel que soit le rôle, Zeppenfeld est au rendez-vous, et il impose très vite un personnage. Grande et belle prestation.

Et nous en arrivons aux protagonistes, un nouveau couple, splendide d’émotion et de tension, à commencer par Pavol Breslik. Ce jeune ténor slovaque de 36 ans est en train de s’imposer comme une des voix les plus intéressantes du moment. La voix est assez légère, mais très expressive, avec des qualités de clarté, d’appui, de couleur qui en font un véritable ténor pour le bel canto. Mais ce qui en fait le prix, c’est qu’à cette voix très présente il allie un engagement scénique proprement ahurissant, rendant le personnage d’Edgardo à la fois passionnant et bouleversant, dans cette mise en scène où il est un Edgardo-James Dean. Il a la beauté, la jeunesse, la vivacité, la présence et il a la voix, tellement expressive, sans avoir les défauts de certains ténors : il reste parfaitement rigoureux, pas de sanglots, pas de roucoulades, une fidélité au texte exemplaire. À la fin de l’opéra, il a eu un petit accident et la voix a disparu, il n’osait pas saluer le public en faisant des signes d’excuse, l’émotion diffusée avait été tellement forte que l’accueil du public a été fort justement triomphal. Face à l’étourdissante Damrau, il tient bon, il existe et à deux, ils créent le couple. Fabuleux.

Pavol Breslik, Diana Damrau le 11 février 2015
Pavol Breslik, Diana Damrau le 11 février 2015

Enfin, fabuleuse, car Diana Damrau m’a totalement bluffé. J’avais découvert dans sa Gilda au MET un vrai personnage « qui se posait là » avec une voix grande et non celle d’un rossignol, et avec une assise solide. Sa Traviata à Milan m’avait confirmé s’il en était besoin son intelligence scénique, sa sûreté, sa capacité à émouvoir.
Sa Lucia est sans doute sa composition la plus stupéfiante, qui est sans doute non le départ d’une grande carrière déjà entamée, mais qui pose Diana Damrau comme la bel cantiste du futur, à elle les reines donizettiennes, à elle les grands Bellini (même si son Elvira des Puritani ne m’avait pas complètement convaincu), à elle les grands rôles de la Gruberova.
Stupéfiante par la technique : la voix est large, assise, d’une étendue assez peu commune, d’une sûreté à toute épreuve sur tout le spectre. Contrôle sur le souffle, sur le volume, capable de fil de voix comme d’aigus stratosphériques, jouant sur la couleur, sur toutes les facettes de la voix. Proprement incroyable.

Scène de la folie © Wilfried Hösl
Scène de la folie © Wilfried Hösl

Stupéfiante par l’interprétation. Des Lucia, il y en a beaucoup, des petites voix qui veulent devenir grandes, du genre rossignol à trop gros appétit, des voix moyennes mais qui ont la ductilité et les agilités, des soprano légers, des Mesplé, des Dessay, des sopranos lirico-colorature, comme la Gruberova, ou la Sutherland sans oublier que Cheryl Studer l’a aussi chanté (colorature dramatique, disait-elle) une impératrice de Strauss se confrontant à la tendre Lucia ! et évidemment Callas, qui pouvait tout. Il y a dans ce rôle de quoi faire un festival pyrotechnique castafioresque, et puis il y a celles qui ont essayé d’en faire autre chose, d’aller explorer d’autre voies, de faire exister le personnage au-delà des aigus et des cadences, de faire de la couleur, des modulations, des obscurités des atouts pour son chant. Là se situe Damrau.

Stupéfiante enfin comme actrice, dont l’engagement n’a rien à envier à celui d’Edgardo : c’est d’ailleurs là l’incroyable pari de ce travail : faire vivre, brûler et se consumer un vrai couple romantique en faisant les héros d’une histoire sœur de West Side Story en version beaux quartiers une vraie Scottish Side Story.
Diana Damrau est, dans cette mise en scène, (je crains celle de la Scala, dans la mise en scène insipide de Mary Zimmermann et avec les Grigoloseries…) proprement incroyable de présence. Elle est une sorte de Grace Kelly amoureuse de James Dean, dans cette sorte de film années 50 que construit Barbara Wysocka. Elle est tellement engagée dans le personnage, tellement naturelle en scène qu’elle bluffe le spectateur, adaptant les vocalises, les agilités, les cadences à un geste, à un regard, à un élan qui font qu’on a l’impression que les acrobaties techniques du rôle procèdent du jeu et de la situation. C’est évidemment le cas dans la scène de la folie, sorte de one woman show, revolver au poing, menaçante et désespérée, mais c’est aussi le cas dans « regnava nel silenzio » et « quando rapito in estasi » qui suit, c’est aussi le cas dans la terrible scène du mariage, une des plus réussies de la soirée où elle darde les aigus les plus incroyables, mais sans jamais oublier qu’elle est Lucia avant de la chanter ; époustouflant.
Mais voilà, la chanteuse est intelligente, et modeste : elle se glisse dans les rôles avec une ductilité et un appétit qui ne peuvent que bouleverser le public par la vérité qu’ils diffusent, et par la justesse du jeu.
Car la mise en scène de Barbara Wysocka, très attendue, sans être un travail exceptionnel qui va renouveler les données du spectacle vivant, est un travail très juste et très stimulant.
Les données du livret sont claires et déjà Andrei Serban à Paris l’avait souligné. Dans un monde gouverné et dominé par les hommes, où les femmes n’ont qu’à obéïr et se taire (voir les manuels de savoir vivre de l’époque), Lucia est une victime soumise qui n’a de choix que la soumission ou la mort.
Barbara Wysocka essaie de voir comment cela peut aujourd’hui être vu autrement. Elle prend comme référence le cinéma, celui de la fureur de vivre, et fait des deux héros un exemple de cette envie de vivre qui traversait la jeunesse des années 50, portée par l’existentialisme.

Mariage "people" © Wilfried Hösl
Mariage “people” © Wilfried Hösl

Ce futur là, il est porté par Edgardo, qui respire vie, jeunesse et liberté. Lucia, elle sort d’une « bonne » famille, ruinée, et la référence est Grace Kelly, celle qui va épouser Rainier en un mariage « médiatique » reproposé ici :  micros, caméras, discours, un mariage « mis en scène », mais une Grace Kelly qui choisit de fuir et de refuser de se soumettre, qui résiste aux pressions, très agressive et distante avec son frère, et qui revendique son droit d’aimer en assumant un destin qui n’appartient qu’à elle.
D’où une scène de la folie sans vraie folie, mais le moment du choix de dire non, non au chœur des invités (qui ouvre la scène en dansant le twist sur la musique de Donizetti…), non à son frère, non à la famille. Et cette Lucia a décidé de se détruire en détruisant les autres, mari, famille, amis. Elle meurt en ayant conquis sa liberté, comme les grands héros tragiques. La force de cette idée, c’est de construire un mythe tragique et non une héroïne romantique.

Belles américaines (Acte I)© Wilfried Hösl
Belles américaines (Acte I)© Wilfried Hösl

Le cinéma est très présent dans ce travail, notamment par un jeu très réaliste jamais tributaire des gestes d’opéra, par l’évocation des belles américaines décapotables (même si James Dean c’est plutôt la Porsche Spyder…) et Barbara Wysocka montre une capacité réelle à diriger les acteurs. Elle sait aussi gérer un espace unique, une sorte de salon ruiné, décrépi (dans la deuxième partie, le toit s’est écroulé laissant voir charpente et pigeons qui s’y logent) avec au fond un graffitti ASHTON, qu’Edgardo à la première image ou presque va barrer à l’aérosol noir. Un salon où fauteuils renversés et piano retourné -semblent des traces d’une histoire disparue, d’une fortune envolée, tandis que reste le bureau, les affaires sont les affaires et le mariage est l’affaire du jour. Elle sait enfin créer des images warlikowskiennes, comme cette petite fille qui regarde le drame, Lucia enfant, déjà promise à la ruine avec son revolver à la main, qui regarde, première image du spectacle, son propre enterrement.

Cet espace amer d’un monde en déliquescence, n’est pas sans ironie cependant: les chaises dépareillées sur lesquelles les invités s’assoient au mariage, la présence des médias car dans cette affaire l’image prime le cœur et les êtres, les invités qui dansent le twist, et bien sûr, l’entrée spectaculaire de la belle américaine quand arrive Edgardo au volant, et en marche arrière dans la scène de la fontaine, devenue pour l’occasion une gravure que Lucia retourne parce qu’il évoque une histoire menaçante . Une belle américaine dont on verra la ruine à la fin, où quelques cloisons s’en sont allées, pour un espace plus rêvé, espace des espoirs fracassés comme la décapotable en capilotade en arrière plan.

Ce qui frappe dans ce travail c’est la manière très claire, très précise et très juste de dessiner les personnages, d’en faire immédiatement des symboles de ces vies ruinées, comme les magazines people en ont fait leurs choux gras, et malgré tout, qui restent des êtres qui existent, sentent, qui vivent, qui aiment et qui revendiquent leur liberté.

Bien sûr je crois qu’à la Première, comme toujours, quelques huées ont accueilli le spectacle, les habituels fossiles. Ce qui me paraît pourtant clair, c’est que la situation créée par la mise en scène, les personnages dessinés, donnent à cette histoire une vérité bien plus urgente, au lieu de se réfugier dans les brumes écossaises de Walter Scott, qui font certes fantasmer sur un romantisme de pacotille, mais qui n’émeuvent que par les pâmoisons suscités par des acrobaties vocales. Ici, l’émotion naît des situations, du jeu, du chant et de l’urgence musicale hypertendue créée par le chef.

Ce soir-là, tout a concouru à faire de Lucia di Lammermoor une histoire contemporaine, (encore que, il y a 60 ans…) ou du moins une histoire construite sur des références d’aujourd’hui, sur des mythes encore vivaces aujourd’hui, avec des chanteurs-acteurs de tout premier ordre. Il reste que sans un chef exceptionnel qui a su en saisir la violence et l’urgence, qui a su affirmer la présence, la nécessité de l’orchestre dans un répertoire où le plus souvent il est confiné dans le rôle d’écrin pour les voix, sans doute la soirée eût été différente, même avec Damrau.
À la Scala, en mai prochain avec Damrau, c’est le passe-partout (j’oserais dire le pâle partout) Stefano Ranzani qui dirigera : une fois de plus, cherchez l’erreur.
En tout cas, en écrivant ces lignes, je suis encore éberlué de ce que j’ai entendu, je n’aurais jamais cru être secoué à ce point par Donizetti. Et c’est merveilleux, après 42 ans de fidélité à l’opéra, d’être encore surpris. [wpsr_facebook]

Pavol Breslik (Edgardo) © Wilfried Hösl
Pavol Breslik (Edgardo) © Wilfried Hösl

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: IL TROVATORE de Giuseppe VERDI le 10 FÉVRIER 2015 (Dir.mus: Paolo CARIGNANI; Ms en scène: Olivier PY) avec Anja HARTEROS

Choeur des Bohémiens© Wilfried Hösl
Choeur des Bohémiens© Wilfried Hösl

Hiver italianissime à Munich avec deux des sopranos germaniques les plus en vue, Diana Damrau pour Lucia et une reprise de Trovatore avec Anja Harteros.
C’était ce soir Trovatore, une production d’Olivier Py encore récente créée par le couple Kaufmann/Harteros l’été 2013.
Après le magnifique Trovatore salzbourgeois, il était intéressant d’entendre l’autre soprano, Anja Harteros, après qu’ Anna Netrebko nous eut bluffés à Salzbourg, il est vrai avec un chef…

Il s’agissait hier d’une représentation dite de répertoire, c’est à dire n’ayant pas fait l’objet de répétitions retravaillées. Et la distribution était différente de la première de 2013, puisque et Luna (Vitaliy Bilyy et non Alexey Markov) et Manrico (Yonghoon Lee et non Jonas Kaufmann) et Azucena (Anna Smirnova et non Elena Manistina) et Ferrando (Goran Jurič et non Kwanchul Youn) avaient été changés.

De la Première, il restait le chef Paolo Carignani et Anja Harteros (Leonora), ainsi que l’Inès fort remarquée de Golda Schultz.
J’ai longuement écrit sur la difficulté de Trovatore, moment où Verdi laisse son « premier » style, dit du « jeune » Verdi, encore tributaire de formes et couleurs belcantistes, avec de redoutables épreuves pour les sopranos (Abigaïl, Elvira, Odabella) mais n’a pas encore trouvé les couleurs de la maturité d’à partir de 1859 (Un ballo in maschera). C’est pourtant pendant cette période « entre deux » qu’il compose les trois opéras les plus populaires de sa production, Rigoletto (1851), Il Trovatore (1853), La Traviata (1853),
Signalons pour mémoire (je le signale à chaque fois…) qu’il existe de Trovatore une version française spécifique de type Grand Opéra de 1857, avec quelques modifications par rapport à l’original (cadences, final complètement modifié) et un ballet. On eût aimé que Stéphane Lissner s’en souvienne au lieu de présenter la saison prochaine un Trovatore en italien. Je n’ai pour ma part entendu cette version qu’une seule fois, à Parme. On oublie toujours de penser que l’Opéra de Paris a une histoire, et une identité, comme ailleurs : sans doute est-ce l’effet aéroport international de la salle de Bastille.. Mais les questions économiques et la vie des grands chanteurs font qu’ils-n’ont-pas-le-temps-n’est-ce-pas d’apprendre la version française. On nous a asséné des années durant cette fadaise à propos du Don Carlos en version originale, qui est bien plus intéressant que la version italienne, et bien plus beau. Résultat : depuis quelques années, Vienne, Barcelone, Bâle, ont présenté plusieurs fois le Don Carlos en français, mais toujours pas Paris où il a été fait en septembre 1986, effet du passage de l’italien Massimo Bogianckino, méprisé par le petit monde parisien, qui fut le seul à avoir une politique s’appuyant sur l’histoire de cette maison.
Nemo profeta in patria.

Qu’en était-il donc de ce Trovatore, dont on a un peu parlé en France à cause d’Olivier Py, qui travaillait pour la première fois à Munich. Bien des journalistes français se sont alors souvenus que Munich existait…
La mise en scène d’Olivier Py, soulignons le d’emblée, est nettement plus travaillée que son Aïda médiocrissime présentée à Paris l’automne de la même année. Il y a un propos, il y a une intention, il y a une mise en scène.
Certes, on y retrouve puissance 10 les péchés mignons de notre metteur en scène national : décors monumentaux tout noirs bougeant sans cesse sur des chariots, néons, tournette, ça bouge, ça tourne, ça circule à en perdre l’orientation et même le sens, notamment dans la première partie (Actes I et II), très picaresque, très axée sur le monde du théâtre, de la foire (gitans) et le monde des machines outils du XIXème, engrenages qui tournent, locomotive enfumée, tout est là pour nous rappeler que le Moyen âge du Trovatore est un Moyen âge revu à la sauce bourgeoisie industrieuse du XIXème. Le premier axe est donc ce que j’appellerais la « machinerie » et presque le « machinisme », vu l’aspect macchinoso de cet appareil scénique, comme diraient les italiens.

Acte I "Le duel"©Wilfried Hösl (2013)
Acte I “Le duel” Inès et Leonora ©Wilfried Hösl (2013)

Certains éléments sont intéressants notamment dans la manière dont il traite les personnages secondaires, Ferrando et Inès. Pour une fois, on voit Inès, elle n’est pas une ombre effacée, et Ferrando jusqu’à la fin joue un rôle dans le drame, au départ récitant, à la fin acteur, puisque c’est lui qui assassine Manrico. Pour le reste, cela reste dans la convention à laquelle on est habitué.

Ferrando sur la scène © Wilfried Hösl (2013)
Ferrando sur la scène © Wilfried Hösl (2013)

Le second axe est le théâtre, je veux dire le théâtre dans le théâtre : cela commence dans un décor qui rappelle un théâtre élisabéthain qui pourrait être le Globe et Ferrando commence à raconter son histoire sur scène devant les spectateurs qui commentent comme à Guignol. Vu l’histoire c’est presque de Grand Guignol qu’il s’agit. Et vont défiler devant nous des niches-décor dans lesquelles les personnages sont lovés, une salle d’hôpital toute blanche et un lit de fer sur lequel Manrico est étendu, une petite boite dans laquelle à la fin Manrico et Azucena sont enfermés, et toute une série de scènes dans la scène où se déroulent certains moments de l’action. Un théâtre qui serait presque un théâtre de foire, de bateleurs au moment du chœur des gitans, où s’affiche Azucena en chapeau haut de forme, sorte de madame Loyal de l’histoire qui défile.

C’est bien une construction en abime qui voit d’abord Ferrando, puis la bohémienne entamer des récits qui s’enchâssent.

La mère torturée © Wilfried Hösl (2013)
La mère torturée © Wilfried Hösl (2013)

Et justement, le récit de la Bohémienne est en fait, souligne Py, une sorte d’image obsessionnelle de sa mère au bûcher, de sa mère torturée qu’on va voir tout au long de l’opéra, et et toujours évoqués des bébés abandonnés, brûlés (on voit de nombreux bébés ensanglantés, et même à un moment des sortes de marionnettes géantes, putti monstrueux dans une des boites dont il était question plus haut). C’est là le troisième axe, celui des obsessions, des montées d’images qui donne au drame sa ligne et sa couleur.

Un monde en désordre, vaguement orgiastique (la locomotive sert d’objet érotique à une dame qui danse et exhibe ses formes plantureuses, qu’on verra ensuite accoucher d’un bébé évidemment sanguinolent) où circulent çà et là, devant, derrière des personnages peu identifiables et qui donne cet aspect picaresque et un peu too much que j’évoquais plus haut.

Le rideau, les lumières, le théâtre...
Le rideau, les lumières, le théâtre…

Et puis, après un entracte où la mère (aux mille douleurs), cette figure qui traverse tout l’opéra, frappe sur le rideau de plastique translucide où se reflètent les lumières de la salle et les transforme par le jeu des reflets en une sorte de feu d’artifice (fort bien fait d’ailleurs) pendant que le public sort, sorte d’image de l’explosion tragique et désespérée, mais aussi de dilution du théâtre, on passe à des actes III et IV complètement différents par l’ambiance, plus concentrée sur les drames humains, sur les personnages isolés, dans un univers sombre, noir, plus marqué par le religieux :

La Pira © Wilfried Hösl (2013)
La Pira © Wilfried Hösl (2013)

la pira est figurée par une croix qui brûle, Luna finit par briser la croix, les décors bougent à peine, le plateau est nu : naissance de l’espace tragique. Plus de médiation par les images et par le décor construit et déconstruit. C’est clair, la musique des deux derniers actes est plus soutenue, plus continue, plus dramatique et plus spectaculaire, et ici, la mise en scène laisse la musique s’épanouir.
Ce n’est pas ma vision de Trovatore que je trouve haletant dès le départ, enchaînant avec bonheur les moments de tension, les airs, les ensembles. En ce sens la mise en scène d’Hermanis à Salzbourg, qui n’allait pas bien loin non plus, respectait cette cohérence qu’ici, aussi bien à l’orchestre que sur le plateau, on semble ne pas prendre en compte.
Car Paolo Carignani réussit dans la première partie à laisser froid, dans une œuvre où rien n’est froid. Sans êtres alanguis, les rythmes sont assez mous, les tempis n’ont pas la variété à laquelle on s’attend. Paolo Carignani n’est pas un mauvais chef, tout est « en place » comme on dit et surtout il aide les chanteurs notamment lorsqu’ils sont en réelle difficulté (Goran Jurič dans Ferrando par exemple), il ralentit les tempis, il abaisse le volume, il suit le plateau.
C’est un peu plus senti dans la seconde partie, sans doute aussi à cause des chanteurs et notamment d’Anja Harteros, inspirée.
Je regrette quand même que la partition ne nous dise rien sous cette baguette : un seul exemple, les accords initiaux du dernier acte, mous, sans aucun accent, répétitifs. Bien entendu aussi, pas de Da capo pour la pira, parce qu’il faut laisser au ténor le temps de respirer pour tenir le contre ut (qui a d’ailleurs commencé en contre ré) aussi longtemps que possible (et là la note fut particulièrement tenue au grand délice du public qui adore les notes non écrites pour ténor en vitrine). En somme, une direction musicale qui est plus un accompagnement qu’une direction. Mais il est vrai que les chefs pour Verdi, c’est à dire qui révèlent quelque chose de la partition, qui lui donnent couleur et cohérence, sont assez rares sur le marché.
À cette direction musicale sans véritable intérêt sinon technique, correspond un plateau assez contradictoire.
Que les quatre chanteurs ne soient pas les quatre meilleurs du monde comme le voulait l’autre (on ne sait plus qui, il y au moins quatre noms qui revendiquent la paternité de la déclaration), c’était évident rien qu’à lire la distribution. Il reste que globalement le plateau était de bon niveau, et évidemment dominé par Anja Harteros.

Du côté masculin, plusieurs points à relever :
Le Ferrando de Goran Jurič (qui appartient à la troupe) est un exemple clair des difficultés du chant verdien. Ferrando est un de ces rôles auxquels on ne prête pas toujours attention sauf quand l’artiste décroche. Quand c’est Kwanchul Youn, tout le monde est content et on passe rapidement. Goran Jurič a un beau timbre de basse, il sait ouvrir le son, il a les aigus, mais malheureusement, dès que le rythme s’accélère , dès que les paroles sont à prononcer rapidement et que la voix doit descendre, ça part en capilotade. Plusieurs fois, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la voix s’étiole, le son ne sort plus. Problèmes de diction, de prononciation, d’émission. Même quand le chef ralentit à dessein le tempo, il n’y a plus de souplesse ni de ductilité.

Vitaliy Bilyy (Luna) le 10 février 2015
Vitaliy Bilyy (Luna) le 10 février 2015

Vitaliy Bilyy (Luna) est un baryton ukrainien de très bonne facture, un timbre somptueux, riche en harmoniques, des aigus larges, une belle présence. Mais dès qu’il faut alléger, dès qu’il faut moduler, dès que l’air demande de la subtilité et une vraie couleur, il reste le son, mais il n’y plus ni sens ni interprétation. Le test ? Il balen del suo sorriso, qui doit être éthéré, allégé (c’est le seul air d’amour de la partition, un vrai chant d’amour qui devrait contribuer à rendre le personnage un peu sympathique), et surtout interprété de manière polychrome. Ici il y a la voix, un peu forte pour mon goût, mais jamais la couleur, mais jamais un vrai style. Il reste que l’artiste a mérité les applaudissements, même si ce n’est pas à proprement parler du chant verdien, sauf peut-être à la fin.
Le cas de Yonghoon Lee est différent. Vocalement, il n’y a rien à dire (même si au début, il attaque avec de sérieux problèmes de justesse), ce chant est très contrôlé, l’aigu est large (j’ai parlé de son ut-ré interminable à la fin de la Pira), il sait alléger, il émet de jolies notes filées. C’est parfait, comme souvent chez les chanteurs coréens qui sont parmi les asiatiques ceux qui sont le mieux adaptés au chant italien.

Yonghoon Lee (Manrico) le 10 Février 2015
Yonghoon Lee (Manrico) le 10 Février 2015

Le seul problème, qui est de taille, c’est que malgré toutes les qualités techniques de cette voix et malgré un timbre séduisant, son chant est totalement inexpressif, monotone, sans aspérités, sans accents. Il n’évoque rien, ne fait jamais rêver, cela ne décolle jamais : un bloc lisse qui ne semble pas comprendre ce qu’il chante. Son Ah si ben mio bien exécuté sans jamais faire craquer un bouton de guêtre, laisse complètement froid. Un chant autoroutier, en place et sûr. Avec l’érotique d’une autoroute.

 

 

C’est plus convaincant du côté féminin :

Anna Smirnova (Azucena) le 10 Février 2015
Anna Smirnova (Azucena) le 10 Février 2015

Anna Smirnova est une Azucena en voix, une voix large, chaude, solide, présente, en volume elle dépasse tous ses collègues. C’est une belle prestation, c’est une voix solide, c’est sans conteste un mezzo de poids.

Mais là aussi, elle a tout ce que n’a pas Lemieux entendue à Salzbourg, mais elle n’a pas ce que Lemieux possède : sens de l’à-propos, distance, belle possession du texte, subtilité. Smirnova, c’est un ouragan, dont le volume plaque contre le mur. Mais après ?
Bien sûr, je ne voudrais pas qu’on m’accuse de faire la fine bouche, mais tout de même : le texte a de l’importance, la couleur a de l’importance surtout chez Verdi, c’est ça qui fait chavirer le public, qui a mis du temps à chavirer après Stride la vampa. On est dans une expression scénique forte, mais sans qu’on ressente derrière l’âme, la sensibilité, dans un rôle qui en demande (Ah ! Cossotto…) .
Mais là aussi, il y avait une telle présence scénique et sonore qu’on ne peut qu’applaudir, malgré les remarques.

Seule Anja Harteros portait quelque chose d’autre.

Anja Harteros (Leonora) le 10 Février 2015
Anja Harteros (Leonora) le 10 Février 2015

Même si elle était elle aussi victime d’une première partie un peu en retrait, avec des suraigus un peu courts, avec un certain manque de rondeur. Mais il en va autrement en deuxième partie et notamment dans sa longue scène qui commence par d’amor sull’ali rosee, se poursuit par le Miserere puis par le duo avec Luna. Il y a certes toujours un peu problème à tenir les notes très hautes, mais pour le reste, c’est une leçon de chant, avec surtout une tenue de souffle exemplaire, des trilles à faire pâlir, des agilités sans scories, un sens du crescendo qui va en s’élargissant et qui stupéfie, avec en plus cette figure très bien éclairée (par Bertrand Killy) qui en fait une figure tragique, presque callasienne, qui va directement au cœur. Cette présence scénique (la manière dont elle meurt !), cette figure émaciée d’où sortent des sons aussi pathétiques, est totalement bouleversante. Harteros, c’est toujours grand, c’est la plupart du temps émouvant et très senti. Je me demande tout de même si elle a intérêt à garder ce rôle (où elle excelle) à son répertoire. Je la voix bien mieux en Aïda aujourd’hui.
Dernière concession au cirque lyrique : quid du match entre Netrebko et Harteros sur ce rôle ? L’une a une voix large, charnue, d’une diaphane pureté, et s’est formée à l’art du bel canto, l’autre a un sens tragique et une technique de fer, tout en diffusant l’émotion dès qu’elle arrive en scène. Je crois que Netrebko est plus homogène sur l’ensemble (Tacea la notte placida par exemple) avec quelques petits problèmes de prononciation, que n’a pas Harteros tellement immense, tellement bouleversante à la fin…
De gustibus…je me refuse à choisir. Il y a sans doute des soirs où je suis Anna et d’autres où je suis Anja.

Bien sûr je suis content d’avoir vu ce Trovatore, un peu m’as-tu vu pour la mise en scène carte de visite, où l’intelligence est là, mais aussi la volonté de trop en faire. Bien sûr je suis content de vérifier qu’Anja Harteros est toujours grande dans Verdi (même si son Elisabetta et sa Leonora de Forza m’ont plus secoué sur l’ensemble de la soirée à mon avis), mais j’ai pu encore une fois vérifier qu’il est plus difficile, bien plus difficile de faire passer Verdi que Wagner, et que même avec de bons chanteurs, et c’était le cas hier soir, pas un seul n’était mauvais, cela ne part pas toujours.
Triomphe et rappels infinis, c’était une soirée de répertoire à Munich. [wpsr_facebook]

D'amor sull'ali...© Wilfried Hösl (2013)
Acte III…© Wilfried Hösl (2013)

 

 

 

BAYERISCHE STAATSOPER 2014-2015: MANON LESCAUT de Giacomo PUCCINI le 30 NOVEMBRE 2014 (Dir.mus:Alain ALTINOGLU; Ms en scène: Hans NEUENFELS) avec Jonas KAUFMANN & KRISTINE OPOLAIS

Acte I, lever de rideau © Wilfried Hösl
Acte I, lever de rideau © Wilfried Hösl

Ah, les divas ! Que serait l’opéra sans les divas ? Sans leurs caprices, leurs coups de tête, sans leurs « esternazioni » comme on dit en Italie. Quand elles avaient vu la réunion d’Anna Netrebko et Jonas Kaufmann pour cette Manon, le sang des midinettes lyriques n’avait fait qu’un tour et les commandes avaient afflué à Munich. Peu importait Neuenfels, peu importait Altinoglu, ils et elles allaient venir, ils et elles étaient tous là, même ceux du sud de l’Italie et…

Et patatrac, la Diva eut ses vapeurs.  La chronique dit qu’elle eut un conflit (sans doute conceptuel)  avec Hans Neuenfels, l’enfant (septuagénaire) terrible (enfin, un des…) de la scène germanique et qu’elle s’en alla.

Elle fut remplacée par Kristine Opolais. La midinette lyrique avait déjà consommé du couple Opolais/Kaufmann à Londres dans Manon Lescaut, et Londres, c’est mieux que Munich, et l’acoustique par ci, et Pappano part là, et le shopping par ci, et la London touch par là, d’où déception, d’où regrets éternels. La Midinette lyrique a besoin de chair à tabloïd, de couples glamour à se mettre sous les yeux, sous la dent et sous les oreilles,
Bon, la Midinette a lu comme tout le monde que la Manon actuelle de Jonas serait (un grand conditionnel) une Madonna qui a déjà beaucoup servi, que Jonas s’est laissé pousser la barbe, bref, elle sait déjà tout.
À quoi bon alors « faire Munich » comme elle dit dans sa frénésie consumériste?

 

Acte I, toutes le veulent...© Wilfried Hösl
Acte I, toutes le veulent…© Wilfried Hösl

Mais voilà, les plats repassent quelquefois, et même réchauffés, ils sont meilleurs, plus goûteux et « faire Munich » valait vraiment la peine, à tous points de vue.
À Londres pour mon goût quelque chose de la mise en scène n’avait pas fonctionné, quelque chose de la direction de Antonio Pappano n’avait pas fonctionné, quelque chose d’Opolais n’avait pas fonctionné, et même un petit quelque chose de Kaufmann n’avait pas fonctionné. Avaient vraiment fonctionné sans aucun problème Christopher Maltman dans Lescaut et Benjamin Hulett dans Edmondo, ce qui ne fait une Manon Lescaut.

À Munich, tout a fonctionné, et la mise en scène de Hans Neuenfels est si respectueuse du livret qu’on se demande quelle mouche a bien pu piquer la Diva austro-russe, qu’on adore, mais qui nous étonne un peu : il doit y avoir anguille sous roche parce que le Macbeth qu’on a vu à Munich avec elle en juin dernier (Martin Kusej) était moins intéressant  et plus risqué pour elle que cette Manon de Hans Neuenfels…

Hôtelier, Geronte, Edmondo (en oiseau espion) Acte I © Wilfried Hösl
Hôtelier, Geronte, Edmondo (en oiseau espion) Acte I © Wilfried Hösl

C’est une grande Manon Lescaut qui nous a été proposée ce dernier dimanche à Munich, et qui a tout ce que Londres n’avait pas.
Et d’abord une vraie mise en scène, qui a su non seulement rendre justice à l’œuvre mais aussi en épouser la musique en n’entrant jamais en contradiction ou en choc avec elle.
Certes, Neuenfels étant ce qu’il est, il affiche (un peu) ses péchés mignons, à savoir entourer l’histoire d’un contexte « explicatif », ici le cirque (le chœur est vêtu un peu comme des clowns, culottes aux cuisses larges, Edmondo en costume de Dompteur ou de Monsieur Loyal), cirque parce que Manon est une bête de cirque, parce que cet amour passion destructeur est un objet circassien, parce que c’est la manière qu’a trouvé Neuenfels d’isoler l’histoire, comme dans le roman de Prévost où elle constitue un roman dans le roman. Le monde est un cirque et dans ce monde impersonnel , presque animalier, où les gens sont des clowns, la police des archers, et tous inévitablement gris et noir (sauf des perruques d’un roux agressif, presque animal) seuls, les héros sont « normaux ».
Et quelle succession de magnifiques trouvailles dès le début quand Des Grieux arrive se mélangeant à la foule clownesque, entraîné par son Monsieur Loyal, et entouré des femmes au masque de souris (sans doute un fil rouge de Neuenfels depuis les rats de Lohengrin) en disant  qu’il ne veut pas aimer, puis arrivent Géronte et Manon dans une calèche tirée par des hommes couronnés de plumes noires, tels des chevaux de corbillard, c’est la mort future qui entre,  puis le noir se fait et dès que la lumière réapparaît Manon à jardin et Des Grieux à cour entrent en courant, s’arrêtent, se fixent, et tout est clair. Un magnifique geste théâtral qui dit tout dans une simplicité et une économie de gestes extraordinaires. Et quelle autre idée merveilleuse que d’habiller Manon comme ces femmes de cinéma des années 40, la Laureen Bacall du Port de l’angoisse avec Bogart, ou la Michèle Morgan de Quai des Brumes, ou Celia Johnson de Brève rencontre évoquant ces rencontres passionnées quelquefois risquées, quelquefois sans lendemain, toujours mortifères dans une sorte d’éternel de la passion et de la rencontre.

Neuenfels a choisi de raconter une tragédie, en suivant et la trame puccinienne, et le texte de l’abbé Prévost qui apparaît projeté à chaque intermède orchestral ou à chaque baisser de rideau. Neuenfels à la fois isole l’histoire, la distancie et la raconte avec une très grande fidélité, comme l’enchâssement du récit de Des Grieux dans une réalité plus large, dans une vie autre dans un monde vaguement circassien, festif  ou vaguement animalier, mais où circule en permanence l’argent. Il en fait un spectacle dans le spectacle, en isolant l’action dans une boite noire aux néons blafards qui en délimitent les contours. Comme si les amants étaient seuls au monde, et en même temps sous le regard du monde. Le spectateur se fait voyeur, mais aussi complice : c’est un spectacle totalement cathartique. Et il laisse aussi les corps de libérer, se toucher, dans la vibration passionnelle : il faut dire que Opolais et Kaufmann ont exactement le physique du rôle et sont engagés comme rarement je les ai vus. Il y avait à Londres quelque chose de surfait, surjoué, de paillettes, un trop de décor et d’anecdotique. Chez Neuenfels, nous sommes dans l’essentiel, l’épure, avec travail sur le geste qui fait toujours sens en harmonie totale avec la musique, qui étonne et qui émeut.
Le deuxième acte à Londres se passait dans une sorte de peep show.
L’idée d’une Manon instrument et objet soumis au regard lubrique de tous, qui existe dans le livret où des “amis” de Géronte assistent à sa leçon de danse et de chant est aussi fouillé par Neuenfels, mais rendue de manière double, au centre un large praticable sur lequel est un lit, et sur les étagères une abondance de récipients, de boites, de vases contenant bijoux, perles, pendentifs.

Dispositif de l'acte II © Wilfried Hösl
Dispositif de l’acte II © Wilfried Hösl

Autour de ce praticable, des chaises sur lesquels s’assoient des dizaines d’évêques , dans des costumes stylisés, mais c’est clairement des ecclésiastiques qui assistent aux jeux érotiques de Géronte (le livret indique la présence d’abbés) ; son âge l’empêche de jouir du corps directement,

Acte II, jeux...© Wilfried Hösl
Acte II, jeux…© Wilfried Hösl

il paie un beau jeune homme chargé de caresser et de baiser la jambe de Manon, pendant que les musiciens chantent (magnifique, comme toujours, Okka von der Damerau), puis Geronte sans doute excité renvoie le jeune homme et s’affaire à son tour, puis rappelle le jeune homme, scène terrible où Manon silencieuse se laisse faire, et qui va faire contraste avec l’urgence passionnelle qui va suivre quand Des Grieux arrive. Au milieu de tout cela, un Lescaut léger mais pas antipathique, magnifiquement chanté par Markus Eiche, timbre chaud, diction exemplaire personnage déjanté mais plutôt version bandit sympathique que maquereau : il traverse  les actes  avec cette légèreté non démunie d’une certaine distinction.

Acte III © Wilfried Hösl
Acte III © Wilfried Hösl

Le troisième acte est aussi saisissant : une passerelle qui conduit à un trou béant, comme un mur métallique percé au chalumeau : la boite s’ouvre sur l’ailleurs et un ailleurs inquiétant,  il y a des spectateurs (toujours les clowns), il y a des femmes encagoulées qui vont embarquer. Le policier qui accepte l’entrevue de Manon et Des Grieux les suit, et les vise de son arc (tous les policiers ici sont des archers), c’est là aussi une magnifique idée : l’arc est l’arme de Cupidon, un Cupidon toujours charmant et coquin. Dès que Des Grieux et Manon s’étreignent, l’archer s’approche, menaçant, agressif, un Anticupidon glacial. Là aussi tout est dit.

Acte IV © Wilfried Hösl
Acte IV © Wilfried Hösl

Enfin le dernier acte est sans doute le plus beau et le plus bouleversant. Le plateau est nu, le couple arrive sur cette scène vide, pieds nus, avec des gestes qui au deuxième acte eussent pu être érotiques, et ici gestes de la désespérance et de la tendresse, la manière dont Des Grieux caresse Manon, dont il lui éclaire le visage, dont il lui écarte les cheveux indiquent des gestes d’une vérité rare et d’une très grande intensité, et quand Manon meurt, Des Grieux s’allonge auprès d’elle comme pour s’endormir avec le geste éternel des amants. Pendant que le rideau tombe.
Neuenfels a essayé de clarifier l’histoire très elliptique du livret (un livret repris et trafiqué par Luigi Illica, Giulio Ricordi, Domenico Olivia et Marco Praga, réduit à quatre moments d’une descente aux Enfers) en intercalant les extraits de Prévost, pour reconstituer le fil et les motifs du récit, et en y ajoutant des idées qui sont dans Prévost mais pas chez Puccini (la perdition par le jeu orchestrée par Lescaut)

La perdition par le jeu orchestrée par Lescaut © Wilfried Hösl
La perdition par le jeu orchestrée par Lescaut © Wilfried Hösl

il a essayé aussi de travailler sur l’intensité, l’urgence passionnelle, en recentrant sur le couple et en évacuant tout ce qui pourrait être anecdotique, ou pittoresque : c’est l’opposé des choix de Jonathan Kent à Londres qui se perdait dans les petits faits vrais, des anecdotes, et qui diluait toute émotion. Ici au contraire, l’œil ne peut que se concentrer sur ce couple magnifique et si investi, nous sommes bien dans l’épure tragique. Neuenfels par son travail sur les personnages, sur le geste et sa qualité esthétique, avec de magnifiques éclairages, signe là une mise en scène d’un très grand classicisme et d’une grande intensité émotive : il a travaillé sur les émotions, comme le demande la musique de Puccini. Netrebko, qu’est ce qui t’a pris de laisser cette occasion?
Il y a une grande cohérence entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, et le mérite d’Alain Altinoglu est grand d’avoir proposé un Puccini presque idiomatique, un Puccini tel qu’on a envie de l’entendre, pas tonitruant, pas dégoulinant de larmes, et tout sauf ordinaire. D’abord, il a un orchestre en très grande forme dont il sait mettre en valeur les qualités : sa direction est d’une très grande limpidité, cristalline je dirais, avec un souci très évident de relever certaines phrases, certains moments qui montrent la construction d’une partition que Claudio Abbado voulait aborder dans les années 90. Il y a toujours aussi quelque chose de tendu, à chaque fois sur un pupitre différent. Enfin, il épouse les mouvements du plateau, avec une cohérence rare, et sait jouer du pathos, mais sans jamais exagérer. L’orchestre n’est jamais trop fort, plutôt fluide. En bref, j’ai trouvé un Puccini juste, sensible, et en même temps complexe, très élaboré. C’est vraiment du très beau travail.
Il est évidemment servi par un plateau de rêve : parce que les héros transpirent la jeunesse et l’engagement. Ils en donnent en tous cas l’image. À commencer par Markus Eiche, un des meilleurs Lescaut qu’on puisse trouver aujourd’hui, une voix veloutée, un timbre chaleureux, une diction impeccable, un engagement scénique d’une criante vérité, il triomphe et c’est mérité.

 

Manon et le maître à danser (Ulrich Reβ) © Wilfried Hösl
Manon et le maître à danser (Ulrich Reβ) © Wilfried Hösl

Tous les rôles de complément sont d’ailleurs bien distribués à commencer par le maître à danser de Ulrich Reβ, fagoté comme sorti de la planète des singes, comme ces bêtes de cirque qu’on présente (la femme à barbe etc…) le mollet hypervelu, le visage couvert de barbe…avec Manon qui lui arrache un poil négligemment pour s’en servir de fil interdentaire…
Joli Edmondo « Monsieur loyal » de Dean Power (qui était si bon dans l’Affaire Makropoulos il y a quelques semaines), mais pas aussi convaincant peut être que Benjamin Hulett à Londres, Alexander Kaimbacher compose un très émouvant allumeur de réverbères du troisième acte, lui aussi comme sorti des monstres de cirque. En fait tous les personnages sauf les quatre personnages essentiels sont relégués dans une sorte de bestiaire à la Borges, pour ne faire émerger que Géronte (très bon Roland Bracht, un vétéran…mais c’est le rôle : on sait ce que veut dire Géronte en grec), Lescaut et le couple.

 

Acte IV © Wilfried Hösl
Acte IV © Wilfried Hösl

Kristine Opolais n’a toujours pas la vraie voix du rôle à mon avis, et elle a toujours des moments tendus, je pense que la voix plus large de Anna Netrebko eût mieux convenu. Mais cette fois-ci et contrairement à Londres, on s’en moque. On s’en moque parce qu’elle est d’une telle vérité, d’une telle intelligence, d’un tel engagement, elle diffuse une telle émotion et elle affiche une telle beauté qu’elle est Manon : elle est simplement et scéniquement fantastique, d’une rare expressivité vocale, d’un art de la couleur consommé. Grandiose.

Quant à Jonas Kaufmann, il est simplement phénoménal. Il a ce timbre sombre qui a priori ne convient pas au rôle, et il en fait un personnage un peu ombrageux, un personnage à la fois passionné, mais avec une couleur à la Werther, un héros romantique si l’on veut, d’une jeunesse et dans une forme vocale insolentes. Dès Donna non vidi mai, on a compris que ce sera grand. Certes, il use de trucs techniques qui permettent à cette voix si élaborée, si techniquement construite, de se jouer de tous les pièges : jamais un aigu solaire et ouvert, mais toujours des aigus en situation où l’on va jouer des notes filées, des adoucissements, des mezze voci parfaitement dominées et qui chavirent l’auditeur . Certains italiens lui reprochent de chanter en arrière, engorgé. Justement, il en fait un atout, il en fait quelque chose qui ajoute à la couleur du personnage, une limpidité teintée de buée, teintée toujours d’un peu de mélancolie. Du grand art, bouleversant, convaincant (comme il l’est très souvent dans Puccini), une technique hallucinante et une présence charismatique.
Alors, oui, ce fut un grand moment d’opéra, un vrai moment de théâtre et un merveilleux moment musical. La Wander – Midinette est heureuse. [wpsr_facebook]

Kristine Opolais & Jonas Kaufmann, saluts, 30 Novembre 2014
Kristine Opolais & Jonas Kaufmann, saluts, 30 Novembre 2014