LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014 EN MÉMOIRE DE CLAUDIO ABBADO: le 6 AVRIL 2014, LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA (SCHUBERT) dirigé par Andris NELSONS (BERG-MAHLER) avec Isabelle FAUST et Bruno GANZ

La salle, debout, applaudit l''orchestre
La salle, debout, applaudit l”orchestre

Franz Schubert (1797-1828)
«Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759Inachevée
Friedrich Hölderlin (1770-1843)
Elegie Brot und Wein (Pain et Vin)
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre A la mémoire d’un ange
Gustav Mahler (1860-1911)
Finale de la Symphonie n° 3 en ré mineur

Dans les saluts que nous échangions, entre amis et connaissances, il y avait de tristes sourires de ceux qui se retrouvent pour témoigner du bonheur que Claudio nous a donné dans cette salle. Nous venions tous pour lui, mais sans lui.
L’initiative du Lucerne Festival Orchestra, qui n’a jamais joué à Pâques a  longtemps été tenue secrète, la présence d’Andris Nelsons, qui la semaine prochaine va diriger le troisième acte de Parsifal (programmé avec lui en 2016 à Bayreuth), la présence d’Isabelle Faust qui reste pour toujours l’interprète magique du concerto de Berg (une exécution à Berlin au minimum mémorable en 2012), tout nous prépare évidemment à un moment d’une intense émotion, d’autant que la nature du programme est en elle-même une épreuve pour l’auditeur fidèle des concerts de Claudio.
D’abord, l’ «Allegro moderato» de la Symphonie n° 7 en si mineur D 759 Inachevée, qui fait partie du dernier programme dirigé par Claudio à Lucerne pour ses trois derniers concerts, exécutée sans chef, c’est à dire sans doute avec les partitions annotées par les musiciens lors des répétitions de Claudio ; quand on se souvient de ce moment d’une intense tristesse en août dernier, de ce Schubert déjà vécu comme un adieu, on a déjà le cœur serré.
Ensuite, le concerto pour violon de Berg, à la mémoire d’un ange, par Isabelle Faust, comme à Berlin avec les Berliner Philharmoniker: quand on se souvient de ce moment suspendu, d’une poésie ineffable : « Isabelle Faust est incomparable de légèreté, de discrétion, de maîtrise du volume sonore, son approche lyrique est à elle seule un discours, l’approche du chef épouse avec une telle osmose celle de  la soliste, qu’on a l’impression qu’elle est le prolongement de l’orchestre: il n’y a pas de dialogue soliste/orchestre, il y a unité “ténébreuse et profonde”, les sons ne se répondent pas, ils se prolongent les uns les autres, ils composent comme un chœur inouï. Oui, ce Berg est phénoménal et le deuxième mouvement, dont les dernières mesures sont à pleurer d’émotion, est un chef d’œuvre à lui seul. Quel moment! » (Concert du 11 mai 2012)

« Le concerto pour violon fut, comme vendredi, phénoménal par moments, avec un second mouvement d’une tendresse à vous serrer le cœur. C’est bien d’ailleurs ce qui m’a pris, tout au long du concert, avec des moments où mon cœur battait très fort, même en attendant les moments d’émotion éprouvés le vendredi, tout a recommencé…et Abbado, à la sortie, disponible pour la trentaine de personnes qui l’attendaient à sa voiture, a signé de nombreux autographes, en souriant, disponible, détendu comme on ne l’avait pas vu depuis longtemps. » (Concert du 13 mai 2012).
J’ai tenu à citer les comptes rendus écrits à l’époque dans le blog auxquels les lecteurs peuvent se reporter, pour faire remonter le souvenir quasi inénarrable de ces moments. La présence dans le programme de ce concerto montre à la fois l’importance qu’il put avoir pour Isabelle Faust (qui l’a enregistré avec l’Orchestra Mozart sous la direction de Claudio),et illustre aussi le drame de l’absence, de cette absence partagée qui fait que nous sommes là aujourd’hui:  on ne peut évidemment pas échapper à l’expression « à la mémoire d’un ange » qui à cette occasion pointe Claudio…

Dans le programme aussi, un texte d’Hölderlin, un poète que Claudio adorait, à qui il a dédié un projet à Berlin, et qui sera dit par Bruno Ganz, le complice des projets berlinois, qu’on vit aussi à Lucerne : l’immense acteur était très lié à l’immense chef, et Claudio cita ce texte lors d’un échange avec Ganz dans ses dernières semaines,
Enfin, le dernier mouvement de la Symphonie n°3 de Mahler, « ce que me conte l’amour », comme Mahler avait écrit au départ à son propos, immense monument d’apaisement, comme si l’âme trouvait l’amour dans une sorte de mouvement inscrit déjà dans l’éternité, mais qui laisse aussi percer comme toujours chez Mahler, la mélancolie et une indicible nostalgie. Cette symphonie exécutée à Lucerne l’été 2007 fut un des sommets du cycle Mahler avec le LFO. Mais Claudio dut renoncer à cause de sa santé à la tournée newyorkaise et en octobre 2007, ce fut Pierre Boulez qui monta sur le podium du LFO pour une soirée inoubliable qui restera aussi dans les mémoires de Carnegie Hall.
Tous ces souvenirs mêlés étreignent déjà et ce concert en mémoire de Claudio souligne la béance de ce manque, qu’enfin nous réalisons : ne dirigeant jamais l’hiver, Claudio reprenait ses activités en mars ou avril. Cette année, il ne sera pas là…et, il y a un an, à Lucerne, il était parmi nous, en forme, dans un concert mémorable où avec Martha Argerich il avait enivré la salle.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire un compte rendu, il s’agit peut-être une dernière fois, de communier pleinement dans ce souvenir, tous ensemble, tout ce public venu essentiellement parce que dans cette salle il  a vécu d’indescriptibles moments sous la magie de Claudio et qu’il veut avec le LFO revivre quelque chose de cette magie là.
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Voilà les quelques lignes que j’avais déjà écrites quelques heures avant le concert.
Il est 22h40, en ce 6 avril 2014, il y a déjà 4h que ce moment incroyable s’est terminé, et je ne peux le rappeler sans que les larmes ne me viennent encore, comme pendant ces quasi deux heures où, comme dans un de ces miracles que seuls l’art et la musique peuvent susciter, Claudio Abbado était parmi nous, n’a pas cessé d’être au milieu de nous, invisible, absent et pourtant tellement là : il fallait voir les musiciens, qui presque tous étaient là, de Wolfram Christ à Diemut Poppen, de Lucas Macias Navarro à Jacques Zoon, d’Alois Posch à Raphael Christ,  jouer pour lui, présent dans les cœurs, pour être avec lui encore une fois, pour son sourire. Comme le dit dans le programme Reinhold Friedrich le trompettiste jovial (qui le matin même avait donné un beau concert avec l’organiste Martin Lücker), « le plus beau cadeau, c’était pouvoir rencontrer son regard joyeux ». Ce regard joyeux, comme il a dû l’avoir en cette fin d’après midi, tant orchestre et salle étaient en communion totale, tous là projetés par l’esprit et par la musique dans ce regard là, auquel nous ne cessions de penser, tant ce que nous entendions était lui. Le Lucerne Festival avait fait les choses justes, sans ostentation, ni photos géantes, ni projection d’un portrait dans la salle: seulement l’ordinaire (si l’on peut dire…), seulement la musique, comme  Claudio sans doute l’aurait voulu.
Dès l’Inachevée, et ce premier mouvement, allegro moderato exécuté sans chef, avec le podium vide nous avons été replongés en août dernier.
Il était là, indiscutablement : il suffisait d’entendre la douceur ineffable des premières mesures, un son à peine audible surgi du néant que seul Claudio pouvait obtenir d’un orchestre. Il fallait voir Sebastian Breuninger, le premier violon (il appartient au Gewandhaus de Leipzig), jouer et regarder l’orchestre, d’un petit geste du corps souligner quelque attaque, pour comprendre de quelle concentration tous ont fait preuve pour lui offrir une telle exécution, qui nous disait quelque chose, qui avait une ligne ferme, des nuances, des modulations, des couleurs dictées par un esprit absent auquel tous nous pensions. Et déjà en fixant ce podium désespérément vide, marquant l’irrémédiable absence, et en écoutant dans la musique sa présence, son incroyable présence, les larmes coulaient, d’émotion, de tristesse mais aussi de cette joie profonde que seule la musique me donne lorsqu’elle me semble venir d’ailleurs…
Par bonheur, aucun applaudissement n’est venu interrompre cette magie aussitôt suivie par la voix éraillée de Bruno Ganz surgi du fond de l’orchestre lisant Elegie Brot und Wein de Hölderlin

Rings um ruhet die Stadt; still wird die erleuchtete Gasse,
Und, mit Fackeln geschmückt, rauschen die Wagen hinweg…

Ce fut un moment de pure parole, dans la musique du vers de Hölderlin célébrant les noces du paganisme et du christianisme,  des mystères de Dionysos et de Demeter et de l’Eucharistie, se résolvant dans la paix de la nuit qui ouvre et qui ferme le poème.
Il y a quelque chose de profondément païen dans la certitude que dans cette salle ce soir, vibre partout un esprit qui circule, anime et bouleverse en même temps musiciens et auditeurs. Car les musiciens jouent à l’évidence pour lui, comme s’il était là, parce qu’il est là, parce que nous sommes tous autour de lui.
Nous étions tous pris dans un enthousiasme commun, enthousiasme au sens premier de possession par Apollon ou Dionysos, et cette possession, on ne peut la prendre pour de l’excès, elle était authentique, générale, partagée, bouleversante.
Apollonienne aussi l’exécution qui suivit du concerto de Berg « à la mémoire d’un ange » dans une interprétation ineffable, indicible, d’Isabelle Faust, qui a créé d’incroyables sons, tour à tour à peine perceptibles (le début !), jamais brutaux, jamais autre chose que pure délicatesse ou pure poésie, dialoguant avec un orchestre en état de grâce mené avec une attention millimétrée par Andris Nelsons. Des sons nés au violon se prolongeant dans tel ou tel pupitre, des sons nés de l’orchestre se prolongeant au violon : le début à lui seul est un enchantement. Il y a là une retenue, un sens des équilibres, une installation totale de la poésie à l’orchestre et chez la soliste, avec par moments une légèreté presque aérienne, qui nous fait voler et par moment une tension qui serre le cœur, celle née de l’irrémédiable. Isabelle Faust est vraiment pour moi la seule aujourd’hui qui réussisse à proposer une vision de cette œuvre dans ses contrastes, à la fois éthérée, aérienne et pleine du malheur terrestre, avec ses moments de refus, d’amertume, presque sarcastiques. On se souviendra longtemps de ce son infini du violon qui clôt le concerto, jamais peut-être aussi légèrement et fermement exécuté, au point qu’un long silence a ponctué cette fin.
Pour couronner ce moment, un finale de la 3ème de Mahler totalement bouleversant. Dès les premières mesures, les larmes viennent, dès les premières mesures, le cœur bat, et dès les premières mesures aussi, on sent dans l’orchestre un incroyable engagement, et une volonté du chef de laisser l’orchestre respirer, parler, raconter. Andris Nelsons dans les deux moments extraordinaires qu’il a dirigés (Berg et Mahler) n’a jamais imité ou chercher à faire comme Abbado, c’est un son qui par sa plénitude, par son intensité, par sa grandeur, et par sa singularité, lui appartient totalement, mais en même temps, c’est une approche en phase avec ce que nous attendons, sans emphase, sans pathos, avec un souci d’accompagner l’orchestre comme si c’était l’orchestre qui avait à nous dire des choses et que Nelsons n’en était que l’exégète.
Il en résulte une vision, d’une inimaginable puissance émotive, des dizaines de personnes ont en main leur mouchoir, d’autres ont la tête dans les mains, je ne voyais moi-même plus qu’à travers des larmes qui coulaient sans cesse. Non pas les larmes de l’absence, mais celles de l’émotion partagée, de cette communion profonde qui a saisi la salle dans ce silence des moments saisissants, celui où personne ne tousse plus, ne bouge plus, celui où chacun est à la fois en soi et livré à ce moment fabuleux qui étreint totalement.
Immense moment, conclu par un très long silence, interrompu par quelques applaudissements vite réprimés, silence imposé par le chef, et par l’immobilité suspendue de l’orchestre, silence où tous nous pensions à Claudio, suivi enfin par de très longs applaudissements, nourris, avec la salle spontanément debout qui applaudissait de manière soutenue, mais jamais tonitruante, de ces applaudissements d’où s’est modestement effacé Andris Nelsons, 36 ans, qui a démontré ce soir non seulement qu’il était un grand chef- nous le savions- mais qu’il était aussi un être d’une rare élégance. Aucun souci de protagonisme, c’est l’orchestre qu’il a mis sans cesse en avant, et derrière lequel il s’est noyé pour saluer.
Mais voilà, lorsque Sebastian Breuninger, le premier violon, entendant ce long applaudissement continu, intense, profond, et comprenant qu’il s’adressait aux musiciens mais aussi à l’absent, a éclaté en sanglots, comme bien d’autres membres de l’orchestre, en larmes eux aussi, (il a accompagné certains pendant toute leur carrière) alors, doucement, Andris Nelsons l’a pris, et a décidé de faire sortir l’orchestre. L’applaudissement a accompagné cette sortie et a continué longuement à scène vide : nous applaudissions tous Claudio, nous applaudissions à sa présence d’une si grande intensité ce soir, et nous applaudissions à ce moment sublime de communion vécu, nous applaudissions les artistes, nous applaudissions nos souvenirs et nous applaudissions cette musique qui ce soir n’était que don presque mystique. C’était le dernier concert de Claudio Abbado…
Je n’ai jamais vécu cela, jamais. Et donc encore une fois, grazie Claudio !
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PS: Le concert a été retransmis dès ce soir par la TV suisse, il le sera aussi par ARTE un peu plus tard et le 10 avril, par la radio suisse.

Claudio-Abbado

ANDRIS NELSONS DIRIGERA LES CONCERTS DU LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA À LA PLACE DE CLAUDIO ABBADO AU FESTIVAL DE LUCERNE CET ÉTÉ

Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons ©Priska Ketterer/Lucerne Festival

Voici le communiqué de presse du Festival de Lucerne.

Lucerne, le 14 février 2014. Au festival d’été 2014, c’est Andris Nelsons qui dirigera le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA dans deux programmes Brahms qui avaient été conçus par Claudio Abbado en personne. « Nous sommes extrêmement ravis qu’Andris Nelsons, l’un des grands chefs d’aujourd’hui, ait accepté de diriger les concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA », a déclaré Michael Haefliger, le directeur du festival. « Nous nous réjouissons en outre de pouvoir présenter les programmes Brahms projetés par Claudio Abbado. Ainsi le souvenir du fondateur du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA sera-t-il vivant dans la programmation du festival. » On entendra au concert d’ouverture, le 15 août, ainsi que le 16, la Deuxième Sérénade en la majeur, la Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre, avec Sara Mingardo en soliste, et la Deuxième Symphonie en ré majeur. Les 22 et 24 août figureront au programme le Premier Concerto en ré mineur, avec Maurizio Pollini, et la Troisième Symphonie en fa majeur.

Né en 1978 à Riga, Andris Nelsons a été « artiste étoile » du Festival de Lucerne en 2012. Il prendra la direction musicale de l’Orchestre symphonique de Boston au début de la saison 2014/2015. Depuis la saison 2008/2009, il est à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, avec lequel il a fait ses débuts au Festival de Lucerne à l’été 2009. On pourra l’entendre au LUCERNE FESTIVAL à Pâques, le 12 avril, avec l’Orchestre de la Radio bavaroise, dans le Troisième Acte de Parsifal de Wagner. Cet été, il dirigera au Festival, outre le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA, le City of Birmingham Symphony Orchestra, les 30 et 31 août.

Le Blog du Wanderer précise en outre qu’Andris Nelsons avait été indiqué par Claudio Abbado dans une interview comme celui qui était à son avis le plus apte à succéder à Sir Simon Rattle au Berliner Philharmoniker.

Programme:

15 et 16 août | 18h30 | Concert d’ouverture et Concert symphonique 1 |
Salle de concert du KKL de Lucerne
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Chœur de la Radio bavaroise (Gerald Häussler direction) | Andris Nelsons direction | Sara Mingardo contralto
Johannes Brahms: Sérénade no 2 en la majeur op. 16 | Rhapsodie pour contralto, chœur d’hommes et orchestre op. 53 | Symphonie no 2 en ré majeur op. 73

16 août | 22h00 | Late Night 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Barbara Hannigan soprano et direction musicale
Œuvres de Gioachino Rossini, Wolfgang Amadeus Mozart, György Ligeti et Gabriel Fauré

19 août | 19h30 | Concert symphonique 4 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniel Harding direction | Stefan Dohr cor
Antonín Dvořák : La Colombe op. 110 | Wolfgang Rihm : Concerto pour cor (création mondiale, commande du LUCERNE FESTIVAL, de la Philharmonie du Luxembourg et de l’Orchestre Philhar- monique du Luxembourg, de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise et de la Stichting Omroep ZaterdagMatinee) | Antonín Dvořák : Symphonie no 9 en mi mineur op. 95 « du Nouveau Monde »

20 août | 19h30 | Musique de chambre 1 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Ensemble de cuivres du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Steven Verhaert direction | Eriko Takezawa piano
Œuvres de Jean-Baptiste Lully, Carlo Gesualdo, Leoš Janáček et Zoltán Kodály

21 août | 19h30 | Musique de chambre 2 | Salle de concert du KKL de Lucerne Oliver Schnyder piano | Solistes du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA Œuvres de Robert Schumann, Gabriel Fauré et Johannes Brahms

23 août | 11h00 | Musique de chambre 3 | Lukaskirche

Mahler Chamber Soloists

Œuvres de Leoš Janáček, Wolfgang Rihm et Sergueï Prokofiev

22 et 24 août | 19h30 | Concerts symphoniques 5 et 7 | Salle de concert du KKL de Lucerne LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA | Andris Nelsons direction
Maurizio Pollini piano
Johannes Brahms : Concerto pour piano no 1 en ré mineur op. 15 |

Symphonie no 3 en fa majeur op. 90

25 août | 19h30 | Concert symphonique 8 | Salle de concert du KKL de Lucerne
Mahler Chamber Orchestra | Daniele Gatti direction | Midori violon
Felix Mendelssohn : Ouverture du Songe d’une nuit d’été op. 21 |
Concerto pour violon en mi mineur op. 64 | Symphonie no 4 en la majeur op. 90 « italienne »

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LUCERNE FESTIVAL 2014: LE FESTIVAL D’ÉTÉ (15 AOÛT-14 SEPTEMBRE 2014) et le FESTIVAL PIANO (22-30 NOVEMBRE 2014)

La salle du KKL

Abbado et Brahms, Haitink et Schumann, Rattle et Bach, Chailly et Mahler, Midori, Hannigan, Bartoli… et tant d’autres !

 

Cette année, le programme du Lucerne Festival (Sommer), le festival d‘été paraît avec un mois d’avance sur les dates habituelles : il y a évidemment derrière une stratégie visant à devancer d’autres festivals concurrents, Salzbourg entre autres, qui programme souvent les mêmes concerts puisque les orchestres font leur tournée d’été obligée, passant par les deux plus grands festivals d’orchestres en Europe, et dans  les mêmes programmes quelquefois.
Lucerne est un lieu enchanteur, mais dans un contexte économique tendu, les prix pratiqués restent très sélectifs, notamment pour un public non helvétique. Il reste qu’il faut s’y prendre vite pour acheter des billets à des tarifs raisonnables  (à partir de 30 ou 40 CHF). Réservations en ligne à partir du 10 mars 12h et par écrit à partir du 17 mars.
Par rapport à la programmation exceptionnelle de 2013, due au 75ème anniversaire de la création du festival, l’édition 2014 est redimensionnée ; par ailleurs, la crise est passée, en Suisse aussi, pour un Festival très largement autofinancé ou aidé par des sponsors privés (Crédit Suisse, Nestlé, Zürich Versicherung et Roche) : Nestlé est par exemple le sponsor régulier du Lucerne Festival Orchestra.
Les deux éléments symboles du « règne » de Michael Haefliger à la tête du Festival sont d’une part le Lucerne Festival Orchestra lié à Claudio Abbado et la Lucerne Festival Academy liée à Pierre Boulez qui ne dirigera pas, mais qui est toujours présent comme pédagogue.

C’est un cycle Brahms qui ouvrira le Festival d’été avec Claudio Abbado dans  deux programmes intégralement dédiés à Brahms, dont on peut supposer qu’il se poursuivra en 2015, puisque deux symphonies sur les quatre sont programmées cette année (les symphonies n°2 & 3).
Le thème de l’année est « Psyché », en lien avec les effets psychiques de la musique, commençant par le mythe d’Orphée et la soirée d’ouverture aura lieu le vendredi 15 août 2014 avec le concert inaugural du Lucerne Festival Orchestra dirigé par Claudio Abbado . Au programme la Sérénade n°2 en la majeur op.16, la Rhapsodie pour alto, chœur d’hommes et orchestre op.53 (soliste : Sara Mingardo) et la Symphonie n°2 en ré majeur op.73. Ce programme sera répété le samedi 16 août.
Immédiatement après, le dimanche 17 août, un concert du West-Eastern Diwan Orchestra dirigé par Daniel Barenboim qui fera courir les foules : après la création européenne de deux œuvres de Ayal Adler (compositeur israélien) et Kareem Roustom (compositeur syrien) – Barenboim continue son travail salutaire de promotion parallèle d’artistes israéliens et arabes et de rencontres autour de la musique -, est programmé le deuxième acte de Tristan und Isolde de Wagner dans une étincelante distribution, Peter Seiffert, Waltraud Meier, Ekaterina Gubanova et René Pape. Le 18 août, un second concert avec un programme Webern, Mozart, Ravel et en soliste le pianiste israélo-palestinien Saleem Abboud Ashkar.
Pendant ce premier week-end, deux concerts à ne pas manquer dont le premier concert de l’artiste étoile de cette édition, la soprano Barbara Hannigan dans la série « Late night music » le 16 août à 22h, avec le Mahler Chamber Orchestra dans du Rossini et du Mozart, mais surtout deux œuvres de Ligeti, l’étourdissant Concert românesc et les Mysteries of the Macabre. Le dimanche 17 août à 11h, un concert de l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Matthias Pintscher avec Bruno Ganz en récitant, au programme deux œuvres des compositeurs en résidence Unsuk Chin et Johannes Maria Staud et Bereshit für Ensemble de Matthias Pintscher.
Le Mahler Chamber Orchestra, qui constitue l’ossature du Lucerne Festival Orchestra se produira le mardi 19 août sous la direction de Daniel Harding dans un programme Dvořák/Rihm : Die Waldtaube op.110 et Symphonie n°9 op.95 « du nouveau monde » d’un côté et une création de Wolfgang Rihm, le concerto pour cor – et en soliste le grand Stephan Dohr, cor soliste du Philharmonique de Berlin, ex-soliste du Lucerne Festival Orchestra.
Le Lucerne Festival Orchestra sous la direction de Claudio Abbado donnera son deuxième programme Brahms les vendredi 22, dimanche 24 et lundi 25 août, en affichant Maurizio Pollini dans le concerto pour piano n°1 en ré mineur op.15 et la symphonie n°3 en fa majeur op.90.
Parallèlement, le Lucerne Festival Academy Orchestra sera pour la première fois dirigé par Sir Simon Rattle le samedi 23 août dans un programme Berio (Coro per 40 voci et strumenti) et Chin (création de Le silence des Sirènes pour soprano et orchestre, avec pour soliste Barbara Hannigan) pendant que la seconde artiste étoile du festival, la violoniste Midori, donnera deux concerts Bach (intégrale des sonates et partitas pour violon seul) dans la Franziskanerkirche les 22 & 23 août.
Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe continuent leur cycle Schumann commencé à Pâques dans deux concerts aux programmes différents, le 26 août avec Isabelle Faust en soliste (Manfred Ouvertüre op.115, Concerto pour violon en ré mineur et la Symphonie n°3  en mi bémol majeur op.97 « Rhénane ») et le 28 août avec Murray Perahia (Ouvertüre, scherzo und finale en mi majeur op.52, Concerto pour piano en la mineur op.54 et symphonie n°2 en ut majeur op.61).

Hormis le concert dirigé par Sir Simon Rattle le 23 août, le Lucerne Festival Academy Orchestra formé de jeunes instrumentistes en formation donnera plusieurs concerts d’un grand intérêt :

–          Le 30 août, concert dirigé par Heinz Holliger avec la participation du chœur de la radio lettone dans un programme Heinz Holliger (Scardanelli Zyklus).

–          Le 1er Septembre, Concert du Lucerne Festival Academy Ensemble dirigé par Matthias Pintscher avec le baryton Leigh Melrose (Berio, Pintscher, Lachenmann)

–          Le 6 septembre, concert dirigé par Matthias Pintscher (pour la création de la version intégrale de Zimt, ein diptychon für Bruno Schulz) avec la Symphonie n°4 de Gustav Mahler (chef non encore connu). Soliste, Barbara Hannigan

Les solistes attendus cette année sont, outre Midori, artiste étoile,
– Lang Lang le 24 août (programme non déterminé)
– Anne-Sophie Mutter et Lambert Orkis (au piano) le 9 septembre (Previn, Mozart, Penderecki – une création pour violon seul, Beethoven)
Le 11 septembre,  Cecilia Bartoli viendra avec I Barocchisti dirigés par l’excellent Diego Fasolis pour un « service après vente » de son CD « Mission » car son programme est justement intitulé « Mission » autour d’œuvres d’Agostino Steffani dont elle assuré une large publicité des derniers mois.

Bien entendu, le festival se doit d’être à la hauteur de sa réputation dans l’invitation d‘orchestres prestigieux pour une série de concerts, ainsi entendra-t-on deux orchestres de fosse dans des programmes symphoniques :

–          Le vendredi 29 août, l’Orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Philippe Jordan avec pour soliste Anja Harteros (invitée à Lucerne avec l’orchestre de l’Opéra et jamais invitée à l’Opéra de Paris) dans un programme Fauré (Pelléas et Mélisande op.80), Strauss (scène finale de Capriccio), Mussorgski/Ravel, Tableaux d’une exposition.

–          Le dimanche 31 août, le Mariinsky Theatre Symphony Orchestra dirigé par Valery Gergiev dans un programme Wagner (Prélude de Lohengrin), Chopin (concerto pour piano n°1 en mi mineur op.11, soliste Daniil Trifonov, et la Symphonie n°6 en la mineur op.74 « Pathétique » de Tchaïkovski)

Entre les deux concerts, et pour remplir votre week-end, Andris Nelsons et le City of Birmingham Symphony Orchestra (CBSO) proposeront :

–          Le samedi 30 août un programme Beethoven (Concerto pour piano n°5 en mi bémol majeur “L’Empereur”, avec pour soliste Rudolf Buchbinder) et Elgar (Symphonie n°2 en mi bémol majeur op.63, une grande rareté)

–          Le dimanche 31 août à 11h un programme Wagner (Extraits de Parsifal et Lohengrin avec Klaus Florian Vogt).

Un week-end chargé avec des moments qui devraient intéresser les mélomanes et les lyricomanes.

Les autres  soirées symphoniques promettent de grands moments :

Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle
– le mardi 2 septembre
dans un programme Rachmaninov (Danses symphoniques op.45) et Stravinsky (L’Oiseau de Feu)
le mercredi 3 septembre où sera reproposée la magnifique version scénique de Peter Sellars de la Passion selon Saint Mathieu de Bach, avec le Rundfunkchor de Berlin et une distribution de rêve, Camilla Tilling, Magdalena Kožená, Mark Padmore, Topi Lehtipuu, Christian Gerhaher, Eric Owens.
Si l’on peut aisément se passer du premier concert, Rattle n’étant pas vraiment un chef pour Stravinsky, il ne faut rater sous aucun prétexte ce dernier programme ;: demandez déjà à votre patron une journée de congé !

Royal Concertgebouw Orchestra Amsterdam dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes très variés :
le 4 septembre, Brahms (Variations sur un thème de Haydn, op.56a), Chostakovitch (Symphonie n°1 en fa mineur op.10), Ravel (Concerto en sol avec Jean-Yves Thibaudet) et Daphnis et Chloé, Suite n°2.
le 5 septembre, Brahms (Concerto pour violon en ré majeur op.77, avec Leonidas Kavakos) et Strauss (Tod und Verklärung op.24 et Till Eulenspiegel lustige Streiche op.28

N’étant pas vraiment un grand fan de Kavakos, j’aurais tendance à choisir le premier programme, mais la perspective d’entendre cet orchestre enivrant dans Strauss est terriblement tentante quand même.

En revanche, le week-end suivant (dimanche et lundi), il faudrait sans doute faire le voyage tant le programme du Gewandhausorchester Leipzig dirigé par Riccardo Chailly est attirant :
Dimanche 7 septembre, Cehra (paraphrase sur le début de la 9ème Symphonie de Beethoven) et Beethoven ( 9ème symphonie en ré mineur op.125 avec le chœur du Gewandhaus et les solistes Christina Landshamer, Gerhild Romberger, Steve Davislim et Peter Mattei)
Lundi 8 septembre, Mahler (Symphonie n°3 en ré mineur) avec Gerhild Romberger et le chœur de l’opéra de Leipzig, ainsi que le chœur et le chœur d’enfants du Gewandhaus de Leipzig.
Vous aurez compris qu’il sera très difficile de résister à ces sirènes-là.

Le Cleveland Orchestra et Franz Welser-Möst sont traditionnellement présents à Lucerne, cette année le mercredi 10 septembre pour un programme Brahms (Akademische Festouvertüre op.80), Widmann (Flûte en suite) et Brahms (Symphonie n°1 en ut mineur op.68).

Et non moins traditionnellement le Festival se clôt sur la résidence annuelle des Wiener Philharmoniker, pour trois concerts et trois programmes dirigés par Gustavo Dudamel
le vendredi 12 septembre, Mozart (Symphonie concertante en mi bémol majeur Kv364 avec Reiner Küchl et Heinrich Koll, et Sibelius (Le cygne de Tuonela op.22 n°2 et la symphonie n°2 en ré majeur op.43)
le samedi 13 septembre, Strauss (Also sprach Zarathustra), le concert du vainqueur du prix jeune artiste Crédit Suisse, et Dvořák (Symphonie n°8 en sol majeur op.88)
le dimanche  14 septembre, un programme russe un peu racoleur de Rimsky-Korsakov (La Grande Pâque russe op.36 et Shéhérazade op.35) et Moussorgski (Une nuit sur le Mont Chauve).
Pour ma part je choisis le premier programme à cause de Sibelius.

Bien d’autres concerts, (le cycle débutant, le cycle musique ancienne, le cycle moderne) des concerts des phalanges de Lucerne, et du théâtre musical dans tout ce mois  rempli de propositions d’une grande richesse. Il y a quelques week-end à retenir. Et si vous venez en voiture, sachez que l’hébergement est quelquefois moins cher dans les environs, dans un rayon d’une dizaine de km autour de Lucerne.
Allez ! Lucerne vaut bien une messe et la salle de Nouvel une tirelire cassée.

LUCERNE FESTIVAL PIANO (22-30 novembre 2014)

Et si votre tirelire est grosse, une visite au Festival Piano, traditionnellement fin novembre, est assez stimulante, notamment en 2014 où l’on entendra Maurizio Pollini le 22 novembre en ouverture (programme non encore publié) , Pierre-Laurent Aimard le 23 Novembre dans une partie du Clavier bien tempéré de Bach (Livre I BWW 846-869), mais c’est Beethoven qui domine la programmation avec Leif Ove Andsnes et le Mahler Chamber Orchestra dans l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven les 24 novembre (concertos n°2, 1 & 3) et 26 novembre (concertos 4 & 5), Paul Lewis le 28 novembre (Op.109, 110, 111 de Beethoven), Martin Helmchen le 29 novembre (Beethoven Variations Diabelli – 33 variations en ut majeur sur une valse de Anton Diabelli op.120) et Marc-André Hamelin le 30 novembre (programme non encore connu).  Quelques concerts “débuts” à 12h15 les 26 (vestard Shimkus) 27 (Sophie Pacini) 28 (Benjamin Grosvenor) et un récital Evguenyi Kissin (au programme non encore publié) le 27 novembre complètent une très riche semaine.
À vos tirelires, Lucerne à la folie…!!
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Le KKL de Jean Nouvel

CLAUDIO ABBADO ANNULE SA TOURNÉE AU JAPON: Le COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Lucerne, 11. Septembre 2013. Sur le conseil de ses  médecins, Claudio Abbado doit annuler les quatre concerts du LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA prévus au Suntory Hall de Tokyo les 15,17,20 et 21 octobre prochains, ainsi que le concert au LUCERNE FESTIVAL ARK NOVA prévu le 12 octobre. Ci-dessous sa déclaration personnelle. Les quatre concerts du Suntory Hall n’auront pas lieu.
Le nouveau programme et la distribution du concert du 12 octobre au  LUCERNE FESTIVAL ARK NOVA seront annoncés ultérieurement.  Le LUCERNE FESTIVAL ARK NOVA à Matsushima ouvrira le 27 septembre.

Déclaration de Claudio Abbado:

My dear friends,
We have many unforgettable memories in our hearts from our last project in 2006, and the Lucerne Festival Orchestra and I were greatly looking forward to visiting Japan again. I myself was excited by the prospect of being able to share time with Japanese music lovers this coming October.

However, I deeply regret that we have no choice but to cancel all our concerts in Tokyo due to reasons of my health. I ask for your kind understanding.

 

Claudio Abbado

Mes chers amis,

Nous avons dans notre coeur beaucoup de souvenirs impérissables  de notre dernier projet en 2006, et le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA et moi nous réjouissions à l’avance de rendre de nouveau visite au Japon. Moi-même, j’étais enthousiaste de partager du temps avec les mélomanes japonais en octobre prochain.
Je regrette profondément que nous n’ayons d’autre choix que d’annuler l’ensemble des concerts prévus en octobre à Tokyo, à cause de mon état de santé.
Je vous remercie de votre compréhension ,

Claudio Abbado

LUCERNE FESTIVAL 2013: CLAUDIO ABBADO DIRIGE LE LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA le 23 AOÛT 2013 (SCHUBERT – BRUCKNER)

Image du concert Schubert/Bruckner ©Peter Fischli / Lucerne Festival

Voilà encore un programme singulier: deux symphonie inachevées, toutes deux créées de manière posthume, la symphonie n°7 en  si mineur D 759 (selon les numérotations les plus actuelles) très fameuse de Schubert, composée à partir de 1822 et créée à Vienne en décembre 1865, et la symphonie n°9 de Bruckner en ré mineur WAB 109 moins connue du grand public, créée à Vienne en février 1903, mais dont la composition s’étend de 1887 à 1896 ; du dernier mouvement on a suffisamment de traces pour avoir permis plusieurs reconstitutions, mais souvent peu convaincantes.
Mais ce qui a intéressé Claudio Abbado dans ce programme, c’est justement l’inachèvement, dont les causes sont peu claires pour Schubert, et qui constitue pour Bruckner un testament (l’oeuvre est dédiée à Dieu, dem lieben Gott).
Beaucoup d’auditeurs sont sortis sonnés de la soirée, et le triomphe, long, avec le public debout presque d’emblée, n’avait pas la couleur des triomphes d’Abbado habituels. Ce fut un long applaudissement, sans faiblesse, sans fin, continu, mais en même temps presque “retenu”, comme si le public se mettait en cohérence avec ce qu’il avait entendu.
On connaît bien le Schubert d’Abbado, il a enregistré une intégrale fameuse qui fait partie des références, et on lui doit aussi d’avoir exhumé, puis présenté à la Staatsoper de Vienne Fierrabras, dans une mise en scène de Ruth Berghaus. Le Schubert d’Abbado est à la fois élégant, comme toujours, mélancolique et élégiaque, mais avec en même temps quelque chose de vital, c’est clair dans les symphonies, ça l’est encore plus dans Fierrabras, dont l’énergie, dont les rythmes, dont la folie explosive ont frappé les spectateurs de l’époque (dont j’étais) et qui justifie que ce soit celle-ci qui d’emblée, ait été reprise dans les théâtres (l’an prochain à Salzbourg pour le Festival 2014, avec Harnoncourt, par exemple), plus que les autres oeuvres de Schubert. Et comme souvent, la surprise est totale lorsque l’on découvre cette lecture totalement nouvelle de l’Inachevée. On comprend d’ailleurs par ricochet les options qui ont guidé la lecture de l’Eroica la semaine précédente, et notamment ces tempi dilatés qui ont tant surpris (voire gêné) les auditeurs: car ce Schubert doit se lire à l’éclairage de la symphonie n°9  de Bruckner. C’est, si j’ose le néologisme, un Schubert brucknerisé qui nous été donné d’entendre, avec des tempi très étirés, très dilatés (début de deuxième mouvement proprement incroyable, presque un rythme de marche funèbre). Abbado n’est pas avare de moments proprement sublimes, où le public est totalement pris comme à revers. Le début en forme de murmure à peine perceptible, comme un frémissement très étiré surgi du néant, du silence, comme une chose inquiétante et mystérieuse. Nous sommes d’emblée plongés dans une profonde mélancolie, voire le drame dans les moments plus tendus. Pas un seul moment de répit, de relâchement, pas une seule lueur dans cette lecture sombre, presque définitive. Le début du second mouvement est très lentement scandé, comme par des coups frappés du destin. Certes l’écoute de son enregistrement avec la Chamber Orchestra of Europe montre bien qu’il a toujours eu cette approche plutôt lente, jamais cependant Claudio Abbado n’a installé un tel climat dans une symphonie de Schubert, d’une indicible tristesse, bien au-delà de la mélancolie. Il y a des moments sublimes, notamment tout les moments murmurés, mais beaucoup d’auditeurs sortent du concert interloqués: jamais on aurait attendu un tel Schubert sans lueur, sans espoir, renonçant à toute expression vitale.

Le concert du 23 août ©Peter Fischli/ Lucerne Festival

Évidemment, dans une symphonie de Bruckner qui est presque une sorte de testament artistique comme la Symphonie n°9, on comprend plus nettement le parti pris, en harmonie totale avec le choix de la couleur du Schubert, il y a ainsi une profonde cohérence entre les deux parties du concert, et une vraie parenté, je l’ai précisé plus haut, avec le choix qui a présidé la semaine précédente d’une Eroica si dilatée.  Les deux premiers mouvements sont empreints de cette beauté triste qui se résigne à la fin des choses. Le début de la symphonie, à peine effleuré, est de l’ordre du sublime. Les cuivres sont totalement transfigurés, les bois (et cette fois notamment la clarinette de Alessandro Carbonare) sont très sollicités et le tempo exceptionnellement lent appelle un jeu particulièrement tendu voire acrobatique (le souffle n’est pas aussi infini que le son ne pourrait l’être). Les pizzicati époustouflants du début du deuxième mouvement laissent pantois, pendant que l’ensemble du mouvement, qui est considéré comme particulièrement hardi pour l’époque (on évoque Stravinsky ou Prokofiev) est une danse encore plus inquiétante, presque macabre, où l’ironie présente notamment dans la deuxième partie cède la place à une sorte de désespérance (les bois sont encore une fois exceptionnels) presque sarcastique.
L’adagio final est sublime de bout en bout: alors que l’émotion sans être tout à fait absente des autres mouvements laisse la place à une sorte d’horizon bouché et presque étouffant, désincarné et presque détaché, – une sorte de fond de la désespérance – il y a des moments bouleversants dans cet adagio, le début, le tutti qui précède le calme final qui remue d’une manière profonde, toutes les interventions des cuivres totalement habités par cette énergie du désespoir qui étreint. Le tout début presque mahlérien qui ensuite va exploser aux tubas puis se concentrer jusqu’à la contemplation, a généré pendant l’audition une indicible angoisse, que je crois partagée par de nombreux spectateurs. Oui, là l’émotion a traversé les coeurs, a secoué les auditeurs. Il en a résulté le triomphe réel, mais en même temps retenu qui a ponctué la soirée.
Une soirée et une édition 2013 qui laissent un goût amer en bouche: comme d’habitude, des exécutions d’une qualité inouïe, avec un orchestre phénoménal, comme d’habitude des émotions et des moments très forts, mais cette année, quelque chose d’autre, où était absent cet élan vital, cette éternelle jeunesse qu’Abbado communique dans sa vision de la musique. Etait-ce parce qu’il était plus fatigué (c’était visible dans ses gestes, et il a dû pendant la série de concerts annuler son intervention pour la fête des 75 ans du Festival) est-ce un tournant interprétatif ? L’avenir nous le dira, mais en tout cas, bien des amis qui le suivent encore plus que moi étaient frappés par cette vision sans espoir qui transpirait de ces soirées et du fond de leur âme, ne voulaient pas l’envisager.
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Pendant la répétition générale ©Priska Ketterer / Lucerne Festival


 

LUCERNE FESTIVAL 2013: CLAUDIO ABBADO DIRIGE le LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA les 16 & 17 AOÛT 2013 (BRAHMS, SCHÖNBERG, BEETHOVEN)

Le mélomane un peu blasé et revenu de tout regarde le programme de ce premier concert du Lucerne Festival dirigé par Claudio Abbado avec une moue entendue…Mmmm Un Brahms bien court (l’ouverture tragique), un bref extrait des sublimes Gurrelieder de Schönberg, et la symphonie n°3 Eroica de Beethoven, 20 fois entendue, dont 19 fois avec Abbado. Non cette fois c’est sûr, le jeu n’en vaut pas la chandelle, et le mélomane blasé va ailleurs, à Salzbourg par exemple pour écouter un Don Carlo qui c’est sûr, sera celui du siècle, ou Maurizio Pollini (qui vient à Lucerne dans quelques jours) ou même Norma avec la discutée Cecilia Bartoli qui a plié Norma à sa voix et à ses règles, ou bien il reste chez lui à écouter les “Eroica” de référence.
Le mélomane blasé, une fois de plus, est tombé dans le piège tendu par le diable Claudio. Car une Eroica comme celle entendue hier, et qui a déchainé le public du KKL, on ne l’a jamais entendue, elle est ailleurs, elle est déjà dans les cieux. Déjà le Lied der Waldtaube des Gurrelieder valait à lui seul le voyage avec une somptueuse Mihoko Fujimura et un orchestre aux miroitements fascinants. Mais l’Eroica, mais le deuxième mouvement, mais l’orchestre du festival! Oui, en accord avec le thème du Festival cet été, c’était révolutionnaire.
Déjà la Tragische Ouvertüre de Brahms op.81 en ré mineur de Brahms, qui s’appelle “tragique” en contrepoint de l’Akademische Festouvertüre, sa contemporaine écrite en remerciement de l’élection à Docteur Honoris Causa de l’Université de Breslau avait surpris par son énergie presque naturelle et si fluide. Elle n’est donc pas vraiment “tragique” et il ne faut pas y voir une œuvre à programme, sinon qu’elle est une sorte de raccourci symphonique (sans doute prévue au départ comme un mouvement d’une symphonie) qui reprend plus ou moins la forme sonate.
On reste toujours surpris du son de la salle de Jean Nouvel, à la fois d’une clarté cristalline, assez réverbérant, mais jamais écrasant. Il reste à espérer que la Philharmonie de Paris suivra ces traces. On retrouve dans l’approche d’Abbado d’abord une alliance entre épaisseur sonore et profondeur, avec un éclat particulier, et une fluidité stupéfiante qui fait passer d’un moment du déroulé musical à l’autre avec un naturel confondant. Rien n’est vraiment mis en relief et pourtant tout a du relief, tout est signifiant: ce n’est plus le Brahms rapide et un peu sec qu’on a pu lui reprocher, c’est un Brahms large, charnu, qui fait presque penser (eh, oui!) au dernier Karajan, un moment stupéfiant (encore plus le 17). Une fois de plus, on note la qualité des pupitres et notamment des bois: ils sont là, les Sabine Meyer, les Jacques Zoon, les Macias Navarro: ces bois exceptionnels sont la marque de fabrique du Lucerne Festival Orchestra.
Le Lied der Waldtaube (chant de la colombe) long lamento qui marque la mort de Tove, est précédé d’un intermède orchestral (Zwischenspiel) qui embrase tout l’orchestre: Tove la maîtresse du roi Waldemar de Danemark a été assassinée (un bain trop chaud) par l’épouse légitime et se transforme en colombe: c’est la fin de la première partie. Les Gurrelieder, créés à Vienne en 1913 sous la direction de Franz Schreker,  sont rarement représentés, vu l’énormité des forces à rassembler. Cette version réduite contient à la fois le moment orchestral sublime que représente ce Zwischenspiel, et ce moment suspendu exceptionnel défendu ces deux soirs de manière somptueuse (elle était encore plus en voix, plus présente, plus intense le 17) par Mihoko Fujimura. Le contexte est tendu, avec un sentiment de terreur sacrée (le thambos diraient les grecs) qui monte peu à peu. La dernière fois que j’ai entendu Gurrelieder, c’était en 1996 à la Felsenreitschule de Salzbourg, avec Claudio Abbado dirigeant le Gustav Mahler Jugendorchester et avec un certain Hans Hotter comme récitant. Soirée inoubliable, dont un ami m’a procuré l’enregistrement radio original. J’y reste fidèle, tant la distance avec d’autres versions est abyssale. Là aussi, l’approche d’Abbado est particulière: comme son orchestre est toujours clair et fortement architecturé, les phrases musicales et leurs influences apparaissent d’une aveuglante lisibilité, notamment les allusions à Wagner et aussi à Mahler.  Immédiatement Abbado fait miroiter l’orchestre énorme, mais où chacun des pupitres est clairement mis en valeur, avec un sens dramatique et une intensité inouïes. On est immédiatement emporté par le mouvement. On ne sait d’ailleurs plus où donner de l’oreille, où concentrer son écoute, les cuivres sans aucune scorie? les bois sublimes (la flûte de Zoon! le hautbois de Navarro! le cor anglais de Emma Schied!)? les cordes somptueuses dominées et rythmées par altos, celli et contrebasses? Ce qui frappe aussi est l’osmose entre le chef, son orchestre et la soliste Mihoko Fujimura, au grave si sonore et à l’aigu triomphant, dans une grande forme, qui crée une tension et qui dessine une ambiance si tendue qu’elle se rapproche d’Erwartung. Je n’avais jamais pensé à ce rapprochement et il m’est venu en écoutant l’extrait hier (je revoyais dans ma tête la belle production lyonnaise d’Erwartung). Au total, un moment d’une telle intensité, d’une telle fascination, que l’on en sort abasourdi. Il reste à espérer intensément qu’Abbado se relance dans l’intégrale en concert. Quel moment ce serait! Déjà, ces 20 minutes valent le voyage.
La symphonie n°3 “Eroica” op.55 en mi bémol majeur de Beethoven est l’une des pièces maîtresses du répertoire symphonique; et sans doute cela pèse dans la balance des choix de mon mélomane blasé évoqué ci-dessus. On sait qu’elle fut d’abord dédiée à Napoléon Bonaparte, porteur des idéaux de la révolution française (thème du Lucerne Festival cette année) mais que Beethoven en 1804, furieux d’apprendre que Bonaparte s’était fait couronner empereur, annula pour la dédier à son mécène, le Prince Lobkowitz.
On connaît aussi le Beethoven d’Abbado, surtout depuis 2001: un Beethoven épuré, post baroque, avec un orchestre (relativement) réduit, une vision chambriste, mais acérée, énergique, donnant forte valeur aux interventions des instruments solistes. Alors on ne s’étonnera pas d’entendre clairement les influences et notamment Mozart et Haydn, ce qui devient pour Beethoven une sorte de lieu commun (même si les dimensions de l’Eroica n’ont rien à voir avec les symphonies classiques de la fin du XVIIIème) mais malgré l’effectif un peu réduit (quel contraste avec le Schönberg qui précède !), mais moins que dans les années 2000-2001: alors cela donne une monumentalité, un son d’une profondeur inattendue, qui en fait une authentique cérémonie du langage musical. Et pourtant que de nouveautés, des contrastes de tempo étonnants, surprenants, là où on ne les attend pas, des moments très étirés (deuxième mouvement) d’autres incroyablement rapides (les dernières mesures), des contrastes aussi de volume avec des pianissimi comme seul Abbado sait en faire, suivis de tutti énormes avec un son d’une épaisseur très charnelle, avec des ralentissements suivis de murmures, et puis des explosions. Toutes ces variations suscitent une très grande tension, quel silence dans la salle!
Que le public ait littéralement explosé à la fin des concerts n’est pas étonnant: jamais il ne m’a été donné d’entendre une telle “Eroica”.
Certes, d’autres interprétations sont possibles, peut-être plus héroïques justement ou plus éloquentes, voire plus grandiloquentes et somptueuses. Le choix d’Abbado est ailleurs. Il est de s’intéresser d’abord au deuxième mouvement, cette “Marcia funebre” dont l’étendue en fait presque le centre de gravité de l’oeuvre (un bon tiers de la symphonie: environ 17 minutes sur 55 environ). On reconnaît évidemment la fluidité et l’élégance dont Abbado marque son approche.  On sait que l’oeuvre est étroitement liée à la figure de Napoléon, mais aussi de Prométhée: Die Geschöpfe des Prometheus – les créatures de Prométhée – datent de 1801,   les premières esquisses de l’Eroica remontent à l’automne 1802. Prométhée, figure emblématique du Sturm und Drang, figure goethéenne (souvenons-nous de son poème Prometheus écrit entre 1772 et 1774 et mis en musique par Schubert en 1819): cette figure donnerait à l’Eroica une force encore plus déterminée, et à la marcia funebre une couleur encore plus sombre. Abbado n’en donne ni une vision romantique avant l’heure (encore qu’on fasse partir de l’Eroica le romantisme en musique) ni une vision dramatique: il y a à la fois une force de vie (premier mouvement, sorte de mouvement à saut et à gambades entre les différents pupitres qui reprennent le thème initial) qui semble résister à tout, et qui va envahir un scherzo souriant et rapide, dansant, comme si après la marche funèbre la vie repartait, plus forte, plus jeune encore, plus ouverte, et un finale à la fois totalement libéré et traversé de fulgurances, le début avec l’exposition des cordes, suivi de la reprise des bois (hautbois et clarinette: Macias Navarro et Sabine Mayer sont éblouissants. mais il reste aussi des traits mélancoliques qui rappellent le deuxième mouvement (notamment les quelques phrases qui précèdent les mesures finales) et qui mettent de nouveau par cette diversité et ces contrastes le public dans une incroyable tension explosive.
Mais revenons à la marche funèbre.
Ce deuxième mouvement est à mettre en lien dans le travail d’Abbado avec les grands adagios mahlériens, ceux où la mélancolie et l’introspection se refusent à effacer totalement l’espoir. Dans cette marche funèbre, qui est celle où l’on célèbre le souvenir du grand homme, comme le dit la dédicace “composta per festeggiare il sovvenire di un grand Uomo on devrait être écrasé par la douleur, mais on est surtout frappé par la tristesse et la mélancolie. La douleur est muette, la tristesse tire les larmes. Après l’énoncé du thème funèbre, repris pupitre par pupitre,  sur un tempo très dilaté, la musique s’éclaircit et s’allège scandée par les bois (flûte) d’une manière époustouflante pour s’élargir dans une grandeur simple, presque naturelle. Il n’y a dans cette interprétation aucune affèterie, aucun sur-jeu. Abbado fait les notes et ces notes sont musique, et ces notes nous disent quelque chose. On est au seuil du sublime. J’ai eu l’impression de voir éclose une vérité jamais vraiment perçue: l’héroïsme n’est pas une concession divine, il est seulement humain: la leçon de Prométhée, c’est le retour à l’humain, laissé face à lui-même, et c’est aussi la leçon du parcours Napoléonien: Balzac le comprendra si bien dans sa Comédie humaine.
Cette extraordinaire humanité, la prépondérance de l’humain et ses contradictions, ses tensions, en dépit de tout le reste et notamment du divin, c’est la leçon retenue de cette soirée inoubliable.  Ce fut bouleversant, ce fut inattendu, ce fut plein de cette énergie profonde qui nous entraîne en nous-mêmes et totalement hors de nous mêmes: en bref, ce fut Abbado, tel qu’en lui même enfin l’éternité le change.
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