IN MEMORIAM GEORGES BANU (1943-2023)

© Gabriel Axel Soussan

Il n’était pas connu du grand public, pas un favori des médias, mais c’était un (le ?) regardeur infatigable du théâtre depuis des décennies qui nous laisse une importante bibliographie que tout étudiant en théâtre ou tout amateur se doivent de connaître.
Mais Georges Banu n’est pas n’importe quel spécialiste des « études théâtrales » comme on dit, c’est l’immense mémoire de la scène d’aujourd’hui …

Pour s’en convaincre, il suffit de lire Les récits d’Horatio , portraits et aveux des maîtres du théâtre européen (Actes Sud, « Le temps du théâtre », 2021) où il raconte à travers non des portraits, mais des rencontres des plus grands du théâtre du XXème et des débuts du XXIème siècle son propre parcours, une sorte d’autobiographie à travers ceux qu’il a approchés, étudiés un peu confessés et quelquefois contribué à faire découvrir, qui ont pour nom (entre autres) Brook, Kantor, Chéreau, Strehler, Vitez, Mnouchkine, Grüber, Wilson, Warlikowski…

Goerges Banu est un artisan du regard, connu et respecté de tout le milieu théâtral, qui a traversé l’histoire du théâtre contemporain en France et ailleurs et surtout aidé à le révéler.
Dans mes années de découverte de la mise en scène, de toutes les mises en scène et de fréquentation intense de la poussière des plateaux, le nom de Georges Banu est vite devenu inévitable tant il était présent dans nos conversations.
La lecture de ses ouvrages est éclairante, et le ton jamais docte, jamais « universitaire » au mauvais sens du terme. C’est que Georges Banu est de cette race d’hommes à la très grande culture (théâtrale, littéraire, artistique) indissociable d’une passion qui rend ses livres non seulement une nourriture indispensable à qui aime le théâtre, mais où l’on perçoit entre les lignes un affect, une sensibilité, une vraie tendresse pour ses objets d’étude.

C’est un universitaire très respecté (j’en parle au présent parce qu’il m’a tellement accompagné que je ne peux me résoudre à employer le traditionnel imparfait), un grand essayiste, mais aussi un « promeneur amoureux » du théâtre, toujours avide de parcours neufs. Il vient d’un pays, la Roumanie, qui a donné tant de grands intellectuels et de grands artistes, notamment dans l’art théâtral. On l’oublie un peu, dans cette France qui digère ses immigrés quand ils produisent chez elle et qui les « assimile » avec délices si elle peut s’en glorifier. Il y a en effet un lien fort entre le monde intellectuel roumain et le monde français (Enesco, Ionesco, Cioran … et même Anna de Noailles !…) mais Banu n’a jamais oublié son pays d’origine, où il développa de nombreux projets.

Ce qui m’émeut, c’est qu’à chaque fois que j’ai entendu parler de lui par des metteurs en scène, c’est d’abord comme d’un ami, d’un proche, une de ces ombres pas tutélaires, mais affectueuses qui les accompagnaient dans leur parcours ; j’ai employé plus haut l’expression « promeneur amoureux » (par référence à un livre célèbre de Dominique Fernandez paru en 1980) qui ne doit pas induire en erreur en faisant penser à une sorte de dilettantisme.  C’est tout le contraire, mais c’est simplement que dans cette vie, il y a une inlassable promenade d’amour pour le théâtre.

© Actes Sud

Cet intellectuel s’est certes toujours engagé aux côtés du théâtre contemporain, il est LA figure du monde des études théâtrales qui vient de s’éteindre.
Mais il est bien plus. Si je cite Les récits d’Horatio, le dernier livre que j’ai lu de lui, c’est qu’il se positionne comme l’ami, qui va raconter les géants de la mise en scène qu’il évoque, comme Horatio est l’ami qui va raconter le destin d’Hamlet.

Il les évoque par touches, avec tendresse, de manière très personnelle, sans aveuglement ni grandiloquence. Il en profite pour réunir quelques-uns de leurs aphorismes : ce livre est la révélation d’une méthode qui peut étonner certains, mais qui donne quelques traits du travail qu’il effectuait.
C’est un analyste plutôt qu’un critique, et ses analyses partent d’une sorte de regard éternellement disponible, qui essaie sans cesse non d’être devant, spectateur qui reçoit et qui juge, mais à côté, spectateur qui reçoit, mais qui aussi se met à la place de, qui comprend de l’intérieur les mécanismes de la création, comme un frère d’armes et surtout un frère d’âme. Sa démarche est ainsi profondément humaniste, tolérante, jamais péremptoire et d’une extraordinaire ouverture. À mille lieues des oukases qui sont l’apanage des ignorants, il vit le théâtre comme expérience de tous les possibles, montrant dans la mise en scène d’abord la rencontre d’un texte ou d’une situation avec une sensibilité, oserais-je dire une fragilité qui devient singularité : c’est la fragilité qui l’interpelle parce que chez certains, elle est productive.
Banu c’est quelqu’un qui comprend de l’intérieur les artistes qu’il côtoie, qui les observe de si près qu’il finit par en respirer les processus créatifs. C’est le compagnon de route du théâtre d’aujourd’hui, c’est  aussi une fidélité à certaines valeurs de l’art théâtral, au-delà des frontières et des identités, au-delà des styles, car c’est tout sauf un idéologue. Son regard est un regard d’accueil permanent qui ne cesse de chercher à tisser les liens, construire des relations entre les univers dramatiques sans jamais les réduire à un dogme. C’est ainsi que pour toute cette génération de gens de théâtre, Banu, c’est d’abord « Georges », celui qui n’est jamais très loin.
Et de cette race non « d’intellectuel de référence », mais de « spectateur » toujours à l’affût, il est peut-être aujourd’hui le dernier représentant, une dernière figure de géant capable de respirer le théâtre, de le faire sentir et de le faire vivre.

Et c’est pourquoi on est triste de perdre cette mémoire-là qui a côtoyé (c’est-à-dire été à côté de) les plus grands en comprenant à la fois pourquoi, comment ils lisaient les œuvres, mais aussi et surtout pourquoi cet individu-là pouvait seulement produire ce théâtre-là. Banu cherchait des pépites, des nouvelles figures, toujours curieux, toujours soucieux d’observer un théâtre qui ne se fossilisât pas.
Mon dernier souvenir de lui, c’’est à l’Opéra de Lyon où je l’avais croisé lors d’une table ronde que j’animais, motivée par la mise en scène de Andriy Zholdak du Château de Barbe Bleue de Bartók, une production victime du Covid que le public lyonnais découvrira ce printemps, et Zholdak, boule d’idées, boule de fragilité, boule d’éclairs de lumières, était justement une de ces pépites qui l’avaient « étonné » et dans la discussion remontait toute cette mémoire-là, son immense culture bien évidemment, mais aussi cette armée des ombres théâtrales qu’il a tant contribué à soutenir, défendre, et expliquer.

Georges Banu est indissociable de cette « ère des metteurs en scène » vouée aux gémonies par ceux qui attendent que le théâtre leur montre ce qu’ils ont envie de voir ou qu’ils ont toujours vu, et surtout qui ne les dérange pas dans leurs pauvres certitudes, refusant les dangers de l’étonnement sans jamais comprendre cette belle phrase de Baudelaire « Le beau est toujours bizarre ».
Georges Banu était sans cesse à l’affût ce ce bizarre et des êtres qui le portaient.
La réflexion sur le théâtre en France perd un vrai grand homme. Il vous reste à vous imprégner de ses livres, parce que si l’homme n’est plus, son Esprit souffle toujours.

 

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO DELL’OPERA DI ROMA

Une saison prudente qui navigue sur les eaux calmes du classicisme tout en essayant d’introduire quelques éléments de modernité

 

Les choses ont changé depuis un an à l’Opéra de Rome. Le Sovrintendente Carlo Fuortes a rejoint la RAI, Daniele Gatti a rejoint Florence. En lieu et place, Francesco Giambrone venu du Massimo de Palerme est devenu Sovrintendente, et Michele Mariotti directeur musical.

Francesco Giambrone a accompli à Palerme un travail d’ouverture digne d’être remarqué, et son arrivée à Rome est plutôt de bon augure. Michele Mariotti quant à lui, fort d’une carrière internationale de plus en plus assise (on l’a vu triompher au dernier Festival d’Aix dans Moïse et Pharaon), doit continuer à la tête d’une institution aussi importante que Rome à élargir un répertoire lyrique encore dominé par Rossini et Verdi. Du moins est-il vu ainsi dans la plupart des institutions non italiennes. Et du point de vue de son répertoire symphonique il reste difficile d’en définir des lignes. Tous les grands chefs lyriques italiens depuis une cinquantaine d’années se sont aussi affirmés dans le symphonique, que ce soit Abbado, Muti, Chailly, Sinopoli (qui était aussi compositeur). Quant à son prédecesseur  Daniele Gatti, sa récente nomination à la Staatskapelle Dresden en est l’éclatante démonstration. C’est le défi qu’il reste à relever pour Michele Mariotti, peut-être trop prudent.
Nous l’avons souvent écrit, l’histoire de l’Opéra de Rome est faite de moments brillants et de périodes noires, mais elle reste la grande institution lyrique de la capitale, dont l’histoire est relativement courte (moins de 150 ans), par rapport à la Scala de Milan (1778) et au San Carlo de Naples (1737). Non qu’à Rome avant la fin du XIXe on ne fît pas d’opéra (Haendel y crée Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, il est vrai un oratorio et Rossini y a créé rien moins que Il Barbiere di Siviglia), mais la capitale de la Papauté devait afficher une certaine modération en la matière. Alors, L’Opéra di Roma, créé comme Teatro Costanzi à cause de celui qui en finança la construction, est un peu le grand théâtre lyrique du nouvel état italien, quand tous les autres sont des théâtres des états locaux qui essaimaient dans l’Italie pré-risorgimentale.
Il Teatro dell’’Opera di Roma bénéficie aussi d’un ballet, sans doute pas aussi prestigieux que celui de la Scala, dont la directrice Eleonora Abbagnato, étoile de l’Opéra (…de Paris !), a su rafraichir les programmes, appeler des chorégraphes et des étoiles venues de l’extérieur, pour composer des saisons équilibrées entre classicisme et modernité, de sorte que de nombreux ballettomanes font le voyage de Rome.

En somme, des atouts indéniables, même si les forces du théâtre, orchestre comme chœur, valeureuses, n’atteignent pas le niveau d’institutions comme la Scala ou Florence. L’orchestre notamment, qui malgré une belle discographie lyrique dans les années 1950 ou 1960, manque d’un directeur musical qui ait la longévité suffisante pour le hisser au plus haut niveau italien aujourd’hui. Ces dernières années, Muti passa comme un éclair, et Gatti est resté quatre ans, ce qui est suffisant pour produire de beaux spectacles, mais pas suffisant pour faire de l’orchestre une phalange de référence dans le paysage lyrique italien.

La saison 2022-2023

Saison Lyrique

Comme souvent en Italie, la saison commence non en septembre comme dans la plupart des opéras du monde, mais vers la fin de l’année (novembre ou décembre) ou au début de l’année civile suivante, souvenir des époques où les saisons commençaient toutes autour de Noël (Scala le 26 décembre par exemple). Les deux premières productions (octobre et novembre) appartiennent donc de facto à la saison précédente, mais nous en traiterons pour mémoire. La saison 22-23 comprend huit productions faites de grand répertoire traditionnel (Elisir d’amore, Aida, Pagliacci, Butterfly, Trittico ricomposto – recomposé, on verra pourquoi) et des titres plus rares, Dialogues des Carmélites, De la maison des morts, Giulio Cesare in Egitto et quelques concerts lyriques que le théâtre essaie de relancer après des années d’interruption.

Cela reste très prudent : comme la plupart des salles européennes, l’opéra de Rome doit reconquérir son public, historiquement assez traditionnel, mais qui sait aussi reconnaître la qualité et qui a toujours soutenu son théâtre précédemment, malgré les hoquets.

 

Saison 2021-2022 (Octobre-novembre)

Octobre 2022
Christoph Willibald Gluck
Alceste
6 repr.  du 2 au 13  octobre 2022  – Dir. Mus Gianluca Capuano, MeS : Sidi Larbi Cherkaoui
Avec Marina Viotti, Juan Francisco Gatell, Luca Tittoto, Patrik Reiter
Sidi Larbi Cherkaoui est un chorégraphe-metteur en scène de grande qualité et souvent original, Gianluca Capuano l’un des chefs les plus passionnants pour  ce répertoire, Marina Viotti une chanteuse qui est en train de devenir l’une des plus intéressantes aujourd’hui dans ce type de rôle. Cela suffit pour voir dans cette production un motif de grand intérêt.

Novembre 2022
Giacomo Puccini
Tosca
4 repr. du 2 au 5 novembre 2022 – Dir. Mus : Paolo Arrivabeni/MeS : Alessandro Talevi
Avec Anna Pirozzi/Carmen Giannatasio, Gregory Kunde/Luciano Ganci, Claudio Sgura/Marco Caria
L’Opéra de Rome a une « bandiera », une bannière qui revient fréquemment au programme pour remplir la salle, c’est cette Tosca dans les décors et les costumes de la création (à Rome, bien entendu) signés Adolf Hohenstein et recréés par Carlo Savi (décors) et Laura Biagiotti (costumes). En fosse un vieux routier du répertoire italien, Paolo Arrivabeni, et sur scène en alternance des chanteurs éprouvés (Kunde, Sgura) et excellents et des jeunes très prometteurs (Ganci ; Curia), quant aux deux Tosca, l’une est plutôt bonne (Pirozzi) et l’autre moins (Giannatasio).
Si vous avez prévu des vacances de Toussaint romaines…

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Saison 2022-2023

Novembre-décembre 2022
Francis Poulenc
Dialogues des Carmélites
6 repr. du 25 nov. au 6 déc. Dir. Mus : Michele Mariotti, MeS : Emma Dante.
Avec Jean-François Lapointe, Bogdan Volkov, Corinne Winters,  Emöke Barath, Anna-Caterina Antonacci, Ewa Vesin, Ekaterina Gubanova…

Un titre un peu surprenant pour une inauguration de saison, mais Les Dialogues des Carmélites a été créé à Rome peu de temps (1958) après la Scala (1957) et l’équipe artistique réunie ne manque pas d’intérêt. Michele Mariotti inaugure son « règne » en dehors de son répertoire habituel, pour nous faire mentir et aussi s’affirmer d’emblée comme directeur musical éclectique, la sicilienne Emma Dante met en scène un opéra de femmes (peut-être le sicilien Giambrone n’est-il pas étranger à ce choix, c’est en tous cas un Sovrintendente très intéressé par l’artistique) et la distribution est passionnante : en dehors de Jean-François Lapointe, bien connu, on note Bogdan Volkov en chevalier de La Force, le ténor ukrainien est en train de devenir l’une des voix les plus en vue du moment (c’est un fabuleux mozartien) et dans les voix féminines, Corinne Winters, sera Blanche après son triomphe salzbourgeois dans Katia Kabanova : elle a l’énergie, le format et la présence nécessaires. La vieille prieure est Anna-Caterina Antonacci, ce seul nom est une promesse qui devrait suffire, et Mère Marie de l’Incarnation Ekaterina Gubanova, Sans compter les excellentes Ewa Vesin et Emöke Barath. Même sans beaucoup de francophones, c’est une distribution tellement somptueuse qu’elle devrait attirer les mélomanes à Rome. A vos billets d’avion ou Trenitalia !

Janvier 2023
Gaetano Donizetti
L’Elisir d’amore
5 repr. du 11 au 15 janv. 2023 Dir. Mus : Francesco Lanzillotta, MeS : Ruggero Capuccio

Avec Alexandra Kurzak/Federica Guida, John Osborn/Juan-Francisco Gatell, Alessio Arduini/Vittorio Prato, Simone del Savio/Davide Giangregorio.
Toujours ce subtil jeu d’équilibre entre une œuvre plus rare à laquelle succède un must tiroir-caisse du répertoire, pour quelques représentations avec une solide distribution d’où émergent évidemment John Osborn en Nemorino et Alexandra Kurzak  en Adina, en alternance avec Juan-Francisco Gatell et Federica Guida. Les autres rôles sont solidement tenus, soit en distribution A (Belcore Arduini,  Dulcamara Del Savio), soit en B (Prato et Giangregorio). En fosse le très fiable Francesco Lanzillotta que je tiens comme l’une des baguettes intéressantes de la nouvelle génération italienne.
Du pur répertoire, mais non dénué d’intérêt  musical.

 

Janvier-Février 2023
Giuseppe Verdi
Aida
9 repr. du 29 janv. au 12 févr.- Dir.mus : Michele Mariotti / MeS : Davide Livermore
Avec Krassimira Stoyanova/Vittoria Yeo, Ekaterina Semenchuk/Irene Savignano, Fabio Sartori/Luciano Ganci, Vladimir Stoyanov, Riccardo Zanellato
Deuxième nouvelle production de la saison dont le nombre de représentations montre que le théâtre en attend beaucoup. Il a appelé pour la mise en scène l’inévitable Davide Livermore (que j’appelle Nevermore), du toc en stock et de l’esbrouffe en guise de (fausse) modernité. En fosse Michele Mariotti sera sans doute moins dérouté que par les marionnettes de Lotte de Beer à Paris, mais au moins cela garantit de l’élégance, de la couleur et de la justesse. Le plateau composé de deux distributions est très solide (Stoyanova Sartori Semenchuk en A, Yeo, Savignano et Ganci en B même si je nourris toujours quelques doutes sur le volume de Vittoria Yeo en Aida, qui a quand même été formée par Muti. Pour le reste avec Stoyanov et Zanellato, c’est plutôt de bon augure.

On comprend les nécessités de remplir la salle et d’en mettre plein les yeux, mais si musicalement cela se défend largement, scéniquement  cela ne donne pas vraiment envie.

 

Mars 2024
Ruggero Leoncavallo
Pagliacci
8 repr. du 11 au 19 mars – Sir. Mus : Daniel Oren / MeS : Franco ZeffirelliAvec Nino Machaidze/Valeria Sepe, Brian Jagde/Stefano La Colla, Amartuvshin Enkhbat/Roman Burdenko…
Pour célébrer le centenaire de la naissance de Franco Zeffirelli, l’Opera di Roma ressort des cartons Pagliacci (sans Cavalleria Rusticana) en une série de représentations qui ressemblent bien à des bouche-trous… En fosse Daniel Oren est une sécurité pour l’orchestre, et sur la scène un plateau assez ordinaire, même si Machaidze et Enkhbat sont de bons chanteurs. Pas de quoi fouetter un chat, une série pour remplir la salle localement avec un titre toujours populaire, mais Brian Jagde est-il le Canio idéal ?

Avril 2023
Giacomo Puccini/Béla Bartók
Trittico ricomposto : Il Tabarro/Le château de Barbe-Bleue
5 repr. du 6 au 18 Avril – Dir. mus : Michele Mariotti, MeS : Johannes Erath
Avec
(Tabarro) ; Luca Salsi/Sebastian Catana ; Gregory Kunde, Maria Agresta…
(Barbe-Bleue) :  Ekaterina Semenchuk, Mikhail Petrenko

Produire un Trittico en une soirée, cela coûte cher, trois œuvres, des voix très différentes, nombreuse distribution, chœur etc… et de plus en plus les théâtres ont décidé  de travailler en dyptique, soit en en produisant deux sur les trois, soit en choisissant, c’est le cas à Rome comme ce le fut par exemple à Lyon il y a quelques années, d’apparier chaque opéra de Puccini à une œuvre de la période, riche en opéras en un acte.
Cela permet en sus de proposer des titres plus rares liés à un titre plus populaire et donc de faire une opération qui sent son raffinement « par nécessité »… Acceptons-en l’augure et ce Trittico ricomposto se prolongera donc pendant trois saisons.
Il Trittico a été créé en décembre 1918 et Le Château de Barbe-Bleue en mai de la même année… Les mettre en regard peut avoir du sens.
La mise en scène de la soirée a été confiée à Johannes Erath, à charge pour lui de susciter les liens entre les deux œuvres. Johannes Erath est un choix original, il est rare de trouver en Italie des noms de metteurs en scène allemands. On lui doit notamment un Ballo in maschera à Munich assez réussi. Michele Mariotti va naviguer de Puccini en Bartõk et ce sera sans nul doute intéressant de l’écouter dans ce répertoire. Pour l’ensemble des deux opéras une distribution très solide qui devrait promettre de belles soirées. On peut méditer un petit voyage romain….

 

Mai 2023
Leoš Janáček
De la maison des morts
6 repr. du 21 au 30 mai 2023 Dir. mus :Dmitry Matvienko/MeS  Krzysztof Warlikowski
Avec : Mark S.Doss, Pascal Charbonneau, Štefan Margita Leigh Melrose, Erin Caves,  Lukáš Zeman, Julian Hubbard, Clive Bayley.

Enfin ! Après plus de vingt ans d’une carrière internationale où il est reconnu comme un très grand de la mise en scène, Krzysztof Warlikowski est invité par un opéra en Italie, et pas un des moindres. Primé à la Biennale de Venise, à peine reçu Docteur Honoris Causa de l’Université de Cracovie, Warlikowski ne sent le soufre que pour les pauvres imbéciles qui n’osent le programmer. Il arrive avec un spectacle éprouvé, vu à Londres, à Bruxelles et à Lyon. À n’en point douter il faut voir la patte de Francesco Giambrone qui dès son arrivée à la tête du théâtre concrétise une envie qu’il avait déjà méditée pour Palerme.
En fosse Dmitry Matvienko, l’un des plus prometteurs chefs de la nouvelle génération russe, proche de Vladimir Jurowski (il va être son assistant cette saison à Munich pour Guerre et Paix a après l’avoir été pour Le Nez) et vainqueur de plusieurs concours internationaux de direction. Ce sera l’occasion de le découvrir, car tous en disent le plus grand bien. Distribution plutôt intéressante où je note la présence de Leigh Melrose, l’un des barytons les plus talentueux aujourd’hui et des excellents Pascal Charbonneau et Štefan Margita. À ne pas manquer.

 

Juin 202
Giacomo Puccini
Madama Butterfly

9 repr. du 15 au 25 juin – Dir. Mus: Roberto Abbado/MeS: Alex Ollé
Avec Eleonora Buratto/ Maria Teresa Leva, Dmytro Popov, Anna Maria Chiuri, Roberto Frontali…

Loi des équilibres : après un Janáček, un Puccini du grand répertoire pour compenser l’éventuelle perte de public occasionnée par la production de l’opéra «  De la maison des morts »  peu connu à Rome. Mais après tout Puccini était bien connu et aimé de Janáček… Chaque incursion dans un répertoire moins connu est suivie d’une pièce censée ramener du public (9 représentations prévues). Alex Ollé est le plus sage de l’équipe de la Fura dels Baus et ne dérange jamais, Roberto Abbado est un chef très raffiné, et la distribution est de bon niveau. Rien de sensationnel, juste une proposition tiroir-caisse et un certain manque de confiance envers son public.

 

Octobre 2023
Georg Friedrich Haendel
Giulio Cesare in Egitto

6 repr. du 11 au 21 oct. 2023 – Dir. Mus: Gianluca Capuano/MeS: Damiano Michieletto.
Avec Raffaele Pe, Danielle De Niese, Aryeh Nussbaum Cohen,  Carlo Vistoli, Sara Mingardo,…
Après Alceste de Gluck cette saison que nous présentons au début de ces lignes, l’Opera di Roma propose la saison prochaine à la même période (le baroque d’automne ?) ce must Haendelien qu’est Giulio Cesare in Egitto, avec  une distribution très alléchante (Raffaele Pe, Carlo Vistoli, Sara Mingardo, Danielle de Niese), la production est signée Damiano Michieletto, ce qui garantit un vrai travail scénique, même s’il est quelquefois irrégulier. En fosse comme pour Alceste, Gianluca Capuano, spécialiste incontesté de Haendel, fera sans doute de ces représentations une des productions les plus intéressantes de la saison.

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Comme on le voit l’ensemble de la saison lyrique est très digne, avec de vrais sommets (Dialogues des Carmélites, De la Maison des morts, Giulio Cesare in Egitto), dans l’ensemble les productions sont bien distribuées et on note un souci d’équilibre entre le grand répertoire italien et des œuvres plus rares. Si c’est à ce prix que le répertoire peut s’élargir, pourquoi pas ?

Mais est-il si sûr que des Tosca ou des Butterfly, sans parler de L‘Elisir d’amore, soient aujourd’hui des valeurs si sûres aptes à garder au chaud le public, peut-être lassé de voir défiler sans cesse des grands standards.  Attention à ne pas confondre opéra populaire et opéra populiste. Il reste vrai que l’Opera di Roma fait preuve de volonté d’ouverture et de renouvellement qu’il faut saluer.  Ce n’est pas forcément le cas de tous les grands théâtres italiens comparables.

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Le Ballet (contribution amicale de Jean-Marc Navarro)

 Voilà sept ans qu’Eleonora Abbagnato a été nommée à la tête du Ballet de l’Opéra de Rome, voilà sept ans qu’elle s’attache à reconstruire un ensemble qui n’était pas au mieux de sa forme, voilà sept ans que le remède principal administré par Mlle Abbagnato avec constance et volontarisme est finalement assez simple : placer au cœur de sa programmation des œuvres exigeantes qui assurent à chacun l’occasion de danser et progresser dans sa technique et son art (évidemment, des ballets académiques) en proposant par ailleurs une diversité de styles et d’ouverture de techniques. Placer l’émulation au cœur du travail collectif est également une constante de son approche : les invités de prestige défilent sur les programmes classiques, donnant l’opportunité aux danseurs de la Compagnie de côtoyer et travailler avec des artistes d’horizons différents.

La saison 2021/2022 est en voie de s’achever en apothéose avec une série de Giselle où est invitée Natalia  Osipova, sans doute la plus grande interprète actuelle du rôle ; avaient précédé un digest de CoppéliaCasse-Noisette et la reprise de la production du Corsaire montée par Jose Martinez qu’avaient créée Olesya Novikova et Leonid Sarafanov juste avant les périodes de confinement. 7 programmes, 4 ballets académiques, auxquels s’adjoignaient Notre-Dame de Paris de Roland Petit, qui fut un point fixe dans la carrière de Mlle Abbagnato, et deux soirées à coloration plus moderne.

Les six programmes de la saison 2022/2023 se structurent encore autour de piliers du répertoire académique. Don Quichotte (production de Laurent Hilaire) sera repris en décembre avant l’un des événements de la saison de ballet européenne : la création d’une nouvelle production de La Bayadère par Benjamin Pech, qui s’était déjà vu confier la nouvelle production du Lac des cygnes romain, magnifique d’intelligence. Il avait placé la barre haut avec ce Lac et les attentes sont fortes pour La Bayadère, d’autant que la série verra défiler, en plus des Étoiles locales, un aréopage admirable d’invités : Semyon Chudin du Bolchoï avait ouvert Le Lac des cygnes, c’est à son ex-partenaire de prédilection, Olga Smirnova, ancienne Étoile du Bolchoï qui a intégré au printemps le Ballet National des Pays-Bas, qu’il reviendra d’ouvrir la série de Bayadère, aux côtés de Jacopo Tissi, autre transfuge moscovite. Le public romain aura également l’occasion d’admirer deux autres invités bataves d’adoption : la mirifique Maia Makhateli et le prometteur Victor Caixeta. Alléchant ! La Fille mal gardée clôturera ce triptyque académique.

Autour de l’héritage classique, trois programmes seront confiés à des chorégraphes contemporains à la grammaire d’ordinaire plus consensuelle que disruptive. Deux Italiens offriront des créations : un programme pour le Ballet, autour de la musique de Rossini par Mauro Bigonzetti, et, un programme offert par l’Ecole de danse – dont Abbagnato vient de prendre la direction – autour de la figure de Pinocchio par Giorgio Mancini. Une soirée mixte “contemporaine” réunira les valeurs sures que sont Christopher Wheeldon, Goyo Montero et Krzysztof Pastor.

Le travail de fond mené par Eleonora Abbagnato et ses danseurs paie de saison en saison. Rappelons-nous que Rome n’est qu’à deux heures de vol de Paris !

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Michele Marriotti, directeur musical du teatro dell’Opera di Roma

Concerts

À côté du lyrique et du ballet, l’Opera di Roma a programmé un certain nombre de concerts par leur côté exceptionnels sans doute aptes à drainer un nouveau public ou parcourir des chemins différents.

Il est vrai que ce théâtre ne possède pas de saison symphonique depuis des années, peut-être à cause de la présence dans la capitale italienne du prestigieux Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia.  Or, un orchestre de fosse progresse aussi (et surtout) par les concerts symphoniques : il suffit de penser aux saisons symphoniques de la Scala sous Claudio Abbado par exemple (intégrales Mahler, Bach etc…). Or, l’orchestre du Teatro dell’Opera di Roma est pratiquement toujours en fosse, ce qui lui interdit une respiration vers d’autres horizons, et ce besoin est aussi prégnant pour le nouveau directeur musical Michele Mariotti, qui a un grand besoin de s’affirmer aussi comme chef symphonique. Ce sera aussi un des grands enjeux de son mandat. Aussi faudra-t-il regarder avec attention ces programmes complémentaires.

Ainsi cette année, sans véritable saison symphonique, quatre concerts sont prévus, pas vraiment symphoniques, mais essentiellement concerts vocaux et plutôt spectaculaires susceptibles d’attirer le public car ces quatre manifestations proposent des pistes particulièrement stimulantes

15 février 2023
Giuseppe Verdi
Messa di Requiem
Elena Stikhina, Yulia Matochkina, Stefan Pop, Giorgi Manoshvili.
Orchestre et chœur du Teatro dell’Opera di Roma
Direction: Michele Mariotti

Le Requiem de Verdi est un must de tout grand théâtre en Italie, a fortiori quand le directeur musical prend ses fonctions, car c’est une des signatures de toute première saison.  En liaison avec la production d’Aida programmée à la même période, qui sera la seule dédiée à Verdi dans la saison. Surpenant quatuor vocal sans un seul chanteur italien, mais des voix qui sont reconnues, Matochkina, Pop) à défaut d’être indiscutables (Stikhina)

20 avril 2023
Robert Schumann
Manfred
Orchestre et chœur du Teatro dell’Opera di Roma
Voix récitante : Glauco Mauri
Direction : Michele Mariotti

Absent depuis 56 ans du Teatro Costanzi, le poème de Byron mis en musique par Robert Schumann doit être porté par un acteur-lecteur incontesté. Ce fut par exemple Bruno Ganz avec Claudio Abbado à Berlin.
C’est Glauco Mauri, une grande et vieille gloire du théâtre italien, qui sera la voix récitante et Michele Mariotti dirigera l’orchestre du Teatro dell’Opera di Roma dans un répertoire où on va le découvrir, ce qui est très important pour lui, comme nous l’avons écrit plus haut.

6 Octobre 2023
Richard Wagner
Die Walküre Acte I
Orchestre du Teatro dell’Opera di Roma
Direction : Omer Meir Wellber
Avec Stanislas de Barbeyrac, Angela Meade, Brindley Sherratt
L’ex intendant du Teatro Massimo di Palermo désormais à Rome invite pour ce concert exceptionnel l’actuel directeur musical du théâtre sicilien, qu’il avait lui-même nommé.
C’est effectivement un concert vraiment exceptionnel pour une distribution complètement inattendue, avec trois chanteurs très connus dont deux  viennent d’un tout autre répertoire, les deux protagonistes Siegmund et Sieglinde.. En effet Stanislas de Barbeyrac qu’on connaît plus pour ses interprétations mozartiennes se lance dans Siegmund. Quant à Angela Meade, belcantiste et verdienne de tout premier plan, elle aborde Sieglinde.
Le britannique Brindley Sherratt est désormais une basse bien connue au large répertoire, il complète le cast en Hunding.
Voilà un concert qui mériterait le voyage pour étancher notre soif de débuts particulièrement iinattendus.

 

30 octobre 2023
I tre controtenori
Musiques de Georg Friedrich Händel, Antonio Vivaldi, Nicola Porpora, Christoph Willibald Gluck
Orchestra del Teatro dell’Opera di Roma
Direction : Gianluca Capuano
Avec Carlo Vistoli, Raffaele Pe, Aryeh Nussbaum Cohen

Le mois d’octobre est baroque à l’opéra de Rome, nous l’écrivions à propos de la production du Giulio Cesare in Egitto. Au-delà du titre racoleur et d’ailleurs déjà utilisé par ailleurs, l’incitative est intéressante pour stimuler la curiosité du public et attirer des spectateurs curieux de ces voix de contreténors qui fleurissent aujourd’hui. L’Italie s’est engagée plus tardivement que la France dans les chemins du baroque, mais elle a bien rattrapé son retard pour valoriser un répertoire qui fut très largement sien au XVIIIe siècle. Les ensembles baroques et leurs chefs désormais sont invités partout, et Gianluca Capuano en fait partie. Le concert proposé invite les trois contreténors de la production de Haendel au programme à l’opéra et permettra d’écouter le moins connu mais excellent Aryeh Nussbaum Cohen, jeune chanteur américain de moins de trente ans et les deux meilleurs contreténors de la péninsule, désormais de toutes les grandes distributions, Carlo Vistoli et Raffaele Pe. Un concert qui ne manquera pas d’attrait, dans un mois d’octobre 2023 décidément très séduisant à l’Opéra de Rome.


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Conclusions :
Depuis quelques années, il Teatro dell’Opera di Roma, au-delà de considérations de gestion ou de considérations politiques toujours fortes à Rome il faudra observer avec attention les premiers pas du nouveau pouvoir à peine installé à ce titre), est revenu assez régulièrement en tête des grands théâtres italiens. La présence de Daniele Gatti pour le lyrique, celle d’Eleonora Abbagnato pour le ballet ont donné à ses productions un écho notable à une institution souvent secouée par les tempêtes et offert une vraie stabilité et une programmation d’un bon à très bon niveau global. Les initiatives en période de Covid (Films-opéras ou Circo Massimo) ont montré aussi une vraie réactivité que d’autres opéras italiens n’ont pas eue du tout. Même si le directeur artistique, le très prudent Alessio Vlad est toujours en place, la nouvelle équipe dont c’est la première saison effective devrait contribuer à aller encore plus loin dans le renouvellement.
Le Sovrintendente Francesco Giambrone est un vieux briscard : il sait flairer les tendances et c’est un intuitif plus ouvert à la modernité que d’autres managers italiens ou à la tête d’institutions italiennes. Il jouit également d’une réputation de grande habileté, indispensable dans les méandres de la vie politique romaine, en particulier dans les prochains mois. L’arrivée de Michele Mariotti à qui il manquait la direction d’une grande salle de la Péninsule et dont l’intérêt est d’élargir au plus vite son répertoire pour faire rebondir sa carrière et lui donner un nouveau souffle , devrait aussi servir ce renouvellement de l’institution.
La saison 2022-2023 faite de pas en avant et de pauses prudentes n’est pas encore sans doute « typique » de la nouvelle équipe, mais montre que la machine se met en place et doit être soutenue. Si tous les chemins mènent à Rome mais pas encore toujours à l’Opéra de Rome , ce dernier peut et doit être l’une des escales possibles de tout mélo(balletto-)mane voyageur.

Francesco Giambrone, Sovrintendente du Teatro dell’Opera di Roma

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Giulio Cesare in Egitto

Ballet

Soirée Preljocaj
Giselle

Don Quichotte
La Bayadère
La fille mal gardée
Soirée chorégraphes contemporains
Rossini Cards

 

Autres
Requiem Verdi

Adam’s Passion
Manfred
Die Walküre Acte I
Les trois contreténors

 

 

“LE BAYREUTH DE L’AVENIR” : AGITATIONS AUTOUR DE LA COLLINE VERTE

L’été d’un nouveau Ring est toujours un moment où le Landerneau des wagnériens s’agite un peu autour de son Festival chéri, et les crises et les déclarations tonitruantes sinon définitives sur la chute du niveau de Bayreuth ne sont pas nouvelles : dès la fin du XIXe, on note une dangereuse baisse du niveau du Festival. De baisse en baisse, je n’ose m’interroger sur le niveau actuel, de peur de la crise cardiaque.
Observateur de la vie et de la production du Festival depuis plusieurs décennies, je voudrais revenir un peu sur les bruits qui courent, sur les vraies difficultés et les rumeurs, en commençant par l’étrange déclaration de Madame Claudia Roth, ministre de la Culture de la République Fédérale allemande.
Au vu de l’argent accumulé que j’ai laissé dans les caisses du Festival depuis 1977 et dans celle de la Société des amis de Bayreuth, il me semble que j’ai le droit de m’interroger sur la pertinence de cette déclaration.
Angela Merkel elle-même, qui fréquente le Festival très régulièrement et depuis longtemps, avait émis des remarques sur son manque d’ouverture vers l’extérieur et sur une billetterie qui privilégiait les associations Wagner et la Société des amis de Bayreuth plutôt que le grand public. Elle avait donc demandé à faire revoir les quotas pour ouvrir le Festival à un public plus large, ce qui avait été fait il y a une dizaine d’années. Elle n’avait pas tout à fait tort, du reste. Pendant longtemps, le système de traitement de la billetterie était suffisamment brumeux pour s’interroger sur ces queues supposées : après la première demande de billet, il fallait paraît-il attendre 7, 8, 9, 10 ans avant qu’une réponse positive n’arrive…
Celui qui écrit a eu une chance incroyable : première demande 1976, premiers billets 1977, peut-être grâce à la fuite des « cerveaux » consécutive au Ring de Chéreau, plus sûrement parce que Dieu-Richard savait reconnaître les siens.
Mais tout cela est un mauvais souvenir, puisqu’internet a permis de résoudre à peu près la question des billets, non sans humour d’ailleurs : le logiciel de vente illustre le temps d’attente par une queue virtuelle qui vous conduit jusqu’au palais des festivals, Graal mystérieux où le quidam découvre les places encore disponibles ; toute virtuelle qu’elle soit, la queue n’en dure pas moins plusieurs heures… Et les oiseaux de mauvais augure, qui ne sont jamais contents, observent désormais qu’il reste des places, avec la même inquiétude qu’ils observaient jadis le pont-levis de la forteresse désespérément levé.
Ceux qui ont fréquenté le Festival 2022, le premier d’après Covid, ont pu remarquer que la délicieuse chaleur des corps serrés les uns aux autres dans le Festspielhaus était revenue… avec bien peu de trous.

Avant d’émettre une série d’observations sur le Festival aujourd’hui, considérons d’abord la déclaration de Madame Roth en rappelant avant tout que le Festival est essentiellement co-financé par l’État Fédéral, l’État Libre de Bavière, la ville de Bayreuth et la Société des Amis de Bayreuth depuis la réforme de ses statuts au début des années 1970. Jusqu’alors, Bayreuth était une entreprise privée familiale. Il devenait clair que ce fonctionnement ne correspondait plus ni à l’époque, ni aux moyens de la famille.
Le nouveau statut qui fait du Festival de Bayreuth un établissement public précise grosso modo que la direction de celui-ci sera assurée par un membre de la famille Wagner aussi longtemps qu’il y en aura un capable de l’assumer. Tant que Wolfgang Wagner a été aux commandes, le silence a prévalu dans les rangs : le prestige de l’homme, son histoire, son parcours interdisaient évidemment toute remarque ou protestation. Par ailleurs, Wolfgang Wagner qui a introduit à Bayreuth Patrice Chéreau, Harry Kupfer, Heiner Müller, Christoph Schlingensief, Christoph Marthaler, Stefan Herheim, Claus Guth, avec des réactions quelquefois violentes, a su aussi équilibrer ses choix par d’autres personnalités, gages de tradition, lui y compris, telles que Jean-Pierre Ponnelle, Peter Hall, Werner Herzog, August Everding, Alfred Kirchner, Deborah Warner et d’autres…

Sous sa direction, on a pu entendre notamment dans la fosse de Bayreuth Pierre Boulez, Sir Georg Solti, Daniel Barenboim, James Levine, Christian Thielemann, Giuseppe Sinopoli, Daniele Gatti.
Il y a eu des remplacements, des accidents (mort de Sinopoli), des choix quelquefois erronés, mais dans l’ensemble, le bilan de Wolfgang Wagner est plutôt flatteur.

Sa succession en revanche a été chaotique : le conseil de surveillance du Festival avait désigné sa fille aînée Eva Wagner-Pasquier comme directrice au début des années 2000, tandis que Wolfgang Wagner désirait y voir son autre fille Katharina, bien plus jeune, qui lui servait alors de conseillère. En tant que « Directeur à vie », il a bloqué le processus, restant en place jusqu’à ce qu’une solution qui lui convienne soit trouvée.
La solution justement, on le sait, a été un Festival à deux têtes : les deux demi-sœurs, Eva et Katharina, ont pris le Festival en main après le dernier été (2008) de Wolfgang Wagner, en se répartissant grosso modo les tâches, Eva sur la musique et Katharina sur les aspects scéniques jusqu’en 2015. Le symbole de cette double direction a été le Ring 2013, où Kirill Petrenko procédait du choix de Eva Wagner-Pasquier, et Frank Castorf de Katharina Wagner.

Depuis le départ d’Eva Wagner-Pasquier en 2015, Katharina Wagner est désormais seule à la barre.
Nous n’avons pas à entrer dans les considérations qui ont présidé au départ d’Eva Wagner-Pasquier, car bien des bruits ont circulé et il est inutile d’y revenir.
Il est clair cependant que Katharina Wagner a dû se faire épauler par des conseillers musicaux et vocaux, ne pouvant assumer seule l’ensemble des tâches et c’est entre autres le sens de la présence à ses côtés comme « directeur musical » de Christian Thielemann, une charge dont il a été relevé discrètement au moment de la période Covid.

Or, Katharina Wagner cristallise des oppositions, pas toutes désintéressées, à la faveur du renouvellement (ou non) de son contrat en 2025 : des voix s’élèvent pour dire qu’il est désormais temps de confier les rênes du Festival à un non-Wagner. Une série de personnages sont sur les starting-blocks qui sont persuadés évidemment qu’ils feraient mieux. Être premier directeur/trice non-Wagner du Festival de Bayreuth devrait être sans doute un titre de gloire à accrocher sur une carrière.
Par ailleurs, Katharina Wagner n’a jamais eu une relation apaisée avec la puissante Société des amis de Bayreuth, notamment depuis que, dès son arrivée à la direction, elle a laissé naître (ou suscité ?) une société concurrente, la TAFF (Team Aktiver Festspielörderer).

Et puis il y a aussi ceux qui sont exaspérés de la politique artistique menée par Katharina Wagner notamment en matière de mise en scène. Comme je l’ai entendu par un éminent confrère cet été : « quand verra-t-on à Bayreuth une vraie mise en scène ? ».
Qu’est-ce qu’une vraie mise en scène ? Mystère, mais on subodore qu’il s’agit d’une mise en scène plus classique, plus plan-plan que ce à quoi Bayreuth nous a habitués ces dernières années, pour pouvoir « écouter la musique » tranquillement et n’être pas obligé comme ces américains ridicules au moment de Castorf de poser sur leurs yeux un pudique masque de sommeil pour ne pas voir et ne faire qu’écouter… Que ce soit au mépris de tout ce que Wagner a déclaré, et au mépris même du sens de la salle de Bayreuth, importe peu… On n’en est pas à une contradiction près.

J’avoue être las de ces cris d’orfraie sur les mises en scène, et de ces combats ridicules contre les « mises-en-scène-modernes-qui-cultivent-la-laideur »… Mais qu’est-ce que la beauté ? Qu’est-ce que la laideur ? on sait depuis longtemps que ce sont des notions, au théâtre surtout, qui n’ont strictement aucun sens et qui sont relatives. Combattre le laid pour imposer le beau c’est grand, c’est noble, c’est surtout désespérément simpliste.

Évidemment les attaques se sont réveillées en ce Festival 2022 qui présentait un nouveau Ring, pas vraiment bien accueilli.

Enfin, d’autres ennemis doivent aussi en vouloir à Katharina Wagner d’avoir écarté de Bayreuth Christian Thielemann. Mais il n’est pas illégitime de relativiser le départ de ce dernier, après une vingtaine d’années de présence régulière à Bayreuth, comme ce fut le cas en son temps de Daniel Barenboim (à peu près vingt ans de présence régulière pour lui aussi).

La politique artistique de Katharina Wagner est claire, dans la droite ligne du concept de Werkstatt Bayreuth, ce laboratoire cher à son père : il s’agit d’explorer tous les possibles de mise en scène aujourd’hui dans différentes directions et sans exclusive. On parle pour le prochain Parsifal d’effets tridimensionnels par exemple, mais c’est encore un objet de conflits puisque le Président de la Société des amis de Bayreuth refuse le financement des lunettes 3D nécessaires au dispositif.

Dans tous ces débats, évidemment pilotés et visant à déstabiliser la direction actuelle, personne n’a évoqué l’éclatante réussite des opéras pour enfants, qui depuis une dizaine d’années propose l’ensemble des opéras de Wagner (ceux présentés au Festival) en version réécrite et adaptée pour les plus jeunes, une entreprise où Katharina Wagner s’est fortement engagée avec des moyens qui ne sont pas indifférents (véritables équipes de mise en scène, orchestre d’une trentaine de musiciens, chanteurs engagés au festival). Comme c’est une réussite, on n’en parle évidemment pas…
A tout cela, il faut ajouter que Katharina Wagner a été assez gravement malade pendant la période Covid, ce qui a évidemment relancé les plans sur la comète et remis en selle les espoirs et les paris sur un départ anticipé.
Tout cela est simplement délétère.

Là-dessus, en dépit d’un Festival qui a renoué avec des conditions normales et a affiché exceptionnellement huit productions, avec un Tristan conçu comme « secours » en cas de défections en masse dues au Covid – ce qui n’était pas si absurde quand on considère les problèmes de remplacement qu’ont eus certains théâtres européens –, la ministre allemande de la Culture Claudia Roth, intervient dans le marigot, appelant à un nécessaire redressement du Festival. Que le Ring ait fait discuter, rien d’étonnant : les hyènes font toujours comme si c’était la première fois. Une nouvelle production est toujours un risque. Moi qui pourtant n’ai pas aimé ce Ring, je ne réclame aucune tête…
Que la ministre qui finance (partiellement) le Festival fasse part de ces remarques, c’est légitime. Qu’elle le fasse brutalement en couronnant les polémiques qui ont couvé tout l’été, c’est déjà moins sympathique. Et qu’elle se propose d’intervenir dans la ligne artistique, c’est franchement insupportable.
J’espère seulement que les Verts allemands (le parti de Madame Roth) ont une vision culturelle moins désolante ou inexistante que leurs cousins français.

Que dit Madame Roth ?

Comme représentante de l’État fédéral, l’un des financeurs du Festival de Bayreuth, la ministre est évidemment légitime pour demander que soit revue l’organisation du Festival. Elle affirme en effet qu’il y a une nécessité de beaucoup réformer le Festival de Bayreuth (« Es gibt auf dem Grünen Hügel wirklich sehr viel Reformbedarf ») .
Elle a ensuite affirmé que le public du Festival ne reflète pas notre société « diverse et colorée » et qu’il faut donc attirer un public plus jeune et plus large.
Enfin, tout en déclarant que confier la direction à un Wagner n’était pas une « obligation rituelle », elle a demandé de faire en sorte que « l’excellence artistique soit atteinte », ce qui à la fin d’une saison où le Ring a été fortement critiqué ne manque pas d’interpeller.

La question de l’excellence artistique ne devrait pas se poser pour un festival aussi fameux que le Festival de Bayreuth et le rappeler a quelque chose d’un peu insultant.
Par ailleurs, l’élargissement du public, tout le monde le sait, ne se commande pas et les vœux d’un public plus diversifié, plus coloré et plus jeune ressemble à de la pure démagogie, de celle qui inonde la société d’aujourd’hui. En ce qui concerne le public jeune, nous avons rappelé les efforts du Festival pour le jeune public qui, une fois de plus, ne semblent pas pris en compte.
Enfin au-delà des goûts du public pour l’opéra en général et pour Wagner en particulier, ouvrir le Festival « aux jeunes » suppose aussi des investissements que l’État et les autres associés sont, en cette période faste pour les budgets, sans nul doute prêts à consentir…

Il faut tout de même rappeler que le Festival de Bayreuth a longtemps été l’un des moins chers des Festivals internationaux et que la révision de la politique tarifaire est intervenue à la fin des années Wolfgang Wagner, puisque dès l’arrivée des sœurs Wagner aux commandes, un mouvement des personnels du Festival a exigé une révision des politiques salariales. Visiblement, c’était le cadeau de début de mandat.
Par ailleurs, les prix des billets ont subi une forte augmentation, de l’ordre de 30% a minima, avec une différentiation entre les Premières, les nouvelles productions et les reprises. Il n’en demeure pas moins que les finances du Festival restent assez justes, même si l’on considère que Bayreuth paie moins bien ses forces artistiques que d’autres institutions, avec des exigences néanmoins en terme d’exclusivité et de présence, qui se sont cependant beaucoup assouplies ces dernières années. Les très grands noms passés par Bayreuth le font pour le CV, mais n’y restent pas, et ceux ou celles qui ont été lancés par le Festival restent quelques années et puis succombent à d’autres sirènes plus rémunératrices.

Cette ouverture à d’autres publics, qui signifie pour le Festival d’autres investissements dans un contexte économique mondial peu favorable, plaide donc aussi pour un financement consolidé de la part des associés… On voit bien que les demandes de Madame Roth, pieuses et généreuses, sont lancées comme un pavé dans la mare, pour éclabousser plus que pour construire.

Car enfin, faisons un rapide bilan artistique des années 2009-2022.
Il y a d’abord de très grandes réussites, musicales et scéniques :

  • Le Ring de Frank Castorf et Kirill Petrenko (n’en déplaise aux traditionalistes) sans oublier les deux années Marek Janowski, qui n’ont pas été musicalement médiocres – même si sa direction ne m’a pas personnellement enthousiasmé ;
  • Le Tannhäuser de Tobias Kratzer, éclatante réussite scénique et vocale, stabilisé dans la fosse par Axel Kober après le passage très discuté de Valery Gergiev ;
  • Le triomphe répété des Meistersinger von Nürnberg, signée Barrie Kosky et Philippe Jordan ;
  • Der fliegende Holländer, dans la production 2021 de Dmitry Tcherniakov avec Oksana Lyniv, première femme dans la fosse de Bayreuth, qui a été ces deux dernières années un très gros succès ;
  • Lohengrin dans la mise en scène de Hans Neuenfels et direction musicale de Andris Nelsons, connu comme le « Lohengrin des rats », qui a finalement laissé un bon souvenir, tout simplement parce que la mise en scène de Neuenfels était l’une des plus intelligentes de l’œuvre de Wagner et que musicalement et vocalement il tenait largement la route (y compris lorsqu’il a été dirigé par Alain Altinoglu).

Il y a bien entendu des demi-succès ou demi-échecs (selon l’adage du verre à moitié vide ou à moitié plein) :

  • Der fliegende Holländer, dans la production de Jan Philipp Gloger, qui sans être une production médiocre, reste discutable et vocalement de facture moyenne, mais musicalement brillante (Thielemann) ;
  • Le Tristan und Isolde de Katharina Wagner qui n’a pas réussi à convaincre à la hauteur de ses Meistersinger, sa production précédente à Bayreuth, mais qui n’était pas une production médiocre non plus, aux distributions irrégulières mais à la direction musicale incontestable de Christian Thielemann ;
  • Parsifal, mise en scène discutable de Uwe Eric Laufenberg, musicalement solide que ce soit avec Hartmut Haenchen ou Semyon Bychkov et vocalement incontestable. Il faut se souvenir que la mise en scène avait été confiée initialement au plasticien Jonathan Meese et que le projet avait été abandonné pour des raisons financières (ou peut-être idéologiques). A cela s’ajoute le départ du chef Andris Nelsons à la suite d’un conflit avec Christian Thielemann. Malgré tous ces avatars, la production a quand même tenu ;
  • Lohengrin dans la production de Yuval Sharon et les décors du célèbre plasticien Neo Rauch, n’a pas convaincu totalement du point de vue scénique, ni du point de vue vocal la première année mais a toujours été un fantastique succès de Christian Thielemann en fosse.

Reste un échec cuisant : le Tannhäuser de Sebastian Baumgarten, avec une distribution très discutable, une valse des chefs selon les années. Un des pires souvenirs de Bayreuth : l’enfer pavé de bonnes intentions.

Enfin, en 2022, la production du Tristan « de secours », signé Andreas Schwab et dont nous avons parlé, n’a pas soulevé l’enthousiasme mais laissé le public indifférent. Une production passable et très digne en fosse (Markus Poschner, arrivé au dernier moment).

Quant au nouveau Ring, signé Valentin Schwarz, particulièrement problématique au niveau scénique, il mérite sans nul doute d’être revu dans le cadre du Werkstatt Bayreuth, mais reste très défendable vocalement, avec un résultat contrasté en fosse. Le chef Cornelius Meister, arrivé deux semaines avant la première (à cause du Covid qui a frappé le chef Pietari Inkinen), n’ayant pas réussi à homogénéiser l’ensemble. Mais l’an prochain, Pietari Inkinen reprendra la direction et donc avis suspendu.

Au total, le bilan n’est pas si noir que les hyènes ne le prétendent. Certes Katharina Wagner au niveau des productions a eu à cœur d’appeler des metteurs en scène très célèbres en Allemagne, qui n’y avait jamais travaillé (Castorf ; Neuenfels) et s’est ouverte à la génération des metteurs en scène les plus en vue dans l’aire germanophone aujourd’hui.

Il y a eu aussi des accidents et des remplacements de dernière minute qui ne sont pas toujours de son fait, mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les choix scéniques et musicaux, le bilan 2009-2022 n’est ni moins ni plus honorable que certains festivals comme Salzbourg ou Aix-en-Provence. On tire à vue sur les choix scéniques de Katharina Wagner, plus au nom de l’idéologie que des véritables résultats artistiques. La liste que nous avons rappelée nous montre qu’à part un seul véritable échec, il n’y a aucun scandale.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans le meilleur des mondes wagnériens possibles ? Évidemment pas.
On a notamment remarqué des évolutions dans les organisations qui ne sont pas toutes des réussites.

D’abord le public du Festival a pu constater qu’en une dizaine d’années, une séparation plus nette s’est faite entre les espaces publics et les espaces professionnels :  c’est peut-être un détail aux yeux de certains, mais dans l’histoire de ce lieu il a son importance. On pouvait faire le tour du théâtre, traverser le passage de l’arrière scène vers les dépôts de décors, jeter un œil par ci par là. Ce n’est plus possible, de hideuses cloisons provisoires bloquent tous les accès arrière. Cette fermeture a sans doute été décidée pour des raisons de sécurité et pour que les professionnels puissent travailler sans que le public ne gêne. Quand on pense que jusqu’au seuil des années 1970 la cantine était commune au public et aux artistes, on ne peut que constater que le sens de l’histoire va vers la clôture.

Précisons également que si les espaces professionnels ont été protégés, le public ne l’est toujours pas les jours de pluie, qui peuvent être fréquents à Bayreuth. C’est un problème lancinant depuis qu’ont été supprimés les galeries couvertes qui protégeaient l’arrivée des spectateurs.

Si l’on n’a pas veillé à la pluie, on a en revanche veillé à la nourriture… Toute la politique de catering, importante à Bayreuth dans la mesure où les spectacles durent jusqu’à six heures avec des entractes d’une heure, a été réorganisée. Jusqu’au seuil des années 2020, il y avait essentiellement un self, le fameux stand des saucisses, un bar-self et un restaurant un peu plus chic : le public pouvait circuler dans les différents espaces. Aujourd’hui, les comptoirs qui vendent glaces, bières, eaux minérales et autres délices se sont multipliés tout autour du théâtre, ridiculement baptisé « Walk of fame » et prenant la forme de « barnums » (ceux-là même qui auraient pu être utilisés il y a encore peu de temps pour tester le Covid renforçant le côté un peu piteux de la chose). D’autres accès se sont fermés, comme le bâtiment du restaurant, réservé aux VIP et autres privilégiés. La salle du self a été réaménagée dans le genre faux chic, les prix également. Et les espaces publics (rappelons qu’à Bayreuth il n’y a pas de foyer) se sont remplis de kiosques à catering (appelés « Wahnfood ») qui ont troqué la simplicité d’antan contre un style chic et choc plus douteux. A l’évidence, le Festival en tire aussi quelques rentrées, mais Bayreuth a perdu en naturel et en simplicité ce qu’il n’a pas gagné en efficacité : la queue est toujours aussi longue devant le kiosque à saucisses !
Par delà l’anecdote, rappelons qu’un festival, c’est un caractère, une ambiance, des rituels et de ce point de vue les évolutions ne vont pas forcément dans une direction sympathique.

Les autres changements ont affecté les agendas. Et l’organisation des représentations, essentiellement pour des questions dues au Covid. L’ajout de la production de Tristan a contraint à trouver des espaces pour les répétitions et laissé le théâtre fermé une semaine après l’ouverture officielle du 25 juillet. Deuxième conséquence : la concentration des représentations (normalement, le Ring est étalé sur six jours avec deux journées de repos, mais cette année les journées de repos étaient occupées par d’autres représentations singulières). La communication du Festival n’a pas été claire à ce propos, mais dès 2023, les choses reviendront à la norme.

En revanche, la communication sur les prochaines productions, les chefs invités et le calendrier du Festival 2023 est très claire, ce qui n’a pas toujours été le cas sur la colline verte.
Autre évolution, la diffusion TV des productions est devenue plus ouverte. On a pu voir dès cette année le Götterdämmerung du nouveau Ring par exemple. Il y a encore quelques années, seuls les spectacles éprouvés étaient enregistrés pour la télévision ou la production de DVD.

Du point de vue des distributions, il est clair que tout mélomane est un membre actif du café du commerce. Chaque période a eu ses habitués, ses fidèles, chaque période a également eu ses conflits et ses exclusions. Vogt, Zeppenfeld sont des habitués de Bayreuth. Groissböck l’était mais ne l’est plus. Lise Davidsen quitte le Festival l’an prochain, mais Catherine Foster y revient et si certains choix peuvent étonner, Bayreuth nous a toujours habitués à des surprises ou à des choix bizarres. Disons que globalement, les distributions de Bayreuth ne sont jamais scandaleuses. Du point de vue des chefs, à côté de noms bien connus et expérimentés, la politique semble être d’inviter également ceux ou celles de la génération montante, charge à ces derniers ou dernières de conquérir leur place. Katharina Wagner désormais veille à équilibrer les invitations entre chefs et cheffes. Mais l’histoire nous montre qu’il y a eu des chefs régulièrement attachés à Bayreuth et d’autres – et pas des moindres – qui n’y ont jamais dirigé, pas forcément parce qu’ils n’étaient pas invités d’ailleurs. Les choix de chefs actuels, entre jeune génération et chefs d’expérience, sont globalement équilibrés.

Alors quelles réformes ?

Il y a d’abord ceux qui déclarent que la famille Wagner ça suffit ou encore que « Richard Wagner exclusif à Bayreuth, ça suffit ».
Avec le festival baroque de fin d’été de Max Emanuel Cencic, la ville de Bayreuth s’enrichit pourtant d’un autre horizon dans l’autre théâtre exceptionnel de la ville, l’Opéra des Margraves.
Ensuite j’ai toujours soutenu et continue de soutenir que le Festival de Bayreuth doit rester exclusivement consacré à l’œuvre de Wagner. Il existe un festival éclectique pluridisciplinaire de grand niveau en Europe et c’est Salzbourg. Il n’y a aucun intérêt à faire de Bayreuth un second Salzbourg.  Personne n’en comprendrait la raison.
Bayreuth est un théâtre qui a été construit par Wagner pour représenter les œuvres de Wagner et il doit le rester.
Toutefois, si le Festival d’été doit rester avec les œuvres « canoniques » et reconnues, rien n’empêcherait de créer un festival à Pentecôte ou à Pâques, peut-être plus « ouvert » où seraient représentées les autres œuvres de Wagner, jusqu’à Rienzi. En 2013, elles ont été représentées à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Wagner, en amont du Festival et dans un lieu impossible (une grande salle de sport) dans des conditions indignes. Le théâtre n’était pas disponible, du fait des répétitions du Ring de Castorf. Sans doute également n’a-t-on pas osé utiliser le Festspielhaus pour des œuvres que Wagner n’y voulait pas voir. Ce fut un échec cuisant.
Je pensais à l’époque et je continue de penser qu’un festival plus concentré, placé à une autre époque de l’année pour attirer du public avec les autres œuvres de Wagner pourrait fonctionner. Pentecôte et Pâques fonctionnent à Salzbourg, Pâques et novembre fonctionnent à Lucerne. Cela vaudrait le coup de tenter. Il est regrettable que Rienzi, ou Das Liebesverbot, qui ne sont pas des œuvres médiocres, aient si peu d’espace dans les théâtres.

Et pour s’ouvrir aux jeunes, des solutions peu onéreuses expérimentées ailleurs comme les pré générales ou générales ouvertes pourraient fonctionner même si la tradition actuelle du Festival est à la fermeture pendant les répétitions.

En somme, il y a un espace pour du neuf à Bayreuth mais il faudrait surtout penser à faire fonctionner un peu plus la salle, qui est LE monument que les touristes et les visiteurs veulent voir, même si les coûts d’une ouverture (personnel de salle, contrôles, techniciens, etc.) sont importants.

Alors rêvons un peu et supposons que tous les problèmes soient aplanis.

Ne pourrait-on pas par exemple impliquer, pour quelques concerts Wagner par an (ou des représentations en version concertante), les Bamberger Symphoniker, qui sont à 65km, en les faisant jouer dans la fosse avec les chanteurs sur la scène, à des tarifs plus bas, pour permettre à un autre public de pouvoir apprécier cette acoustique exceptionnelle ? Il y a là des pistes sans doute à explorer, mais cela suppose des financements supplémentaires que Madame Roth est sûrement prête à  assurer.

LA SAISON 2022-2023 du MAGGIO MUSICALE FIORENTINO, OPÉRA DE FLORENCE


Les choses ont un peu bougé cette saison en Italie : un des phares de la musique de la péninsule, Daniele Gatti a quitté la direction musicale de l’Opéra de Rome où il a magnifiquement réussi, pour prendre celle du Mai Musical Florentin, dirigé par Alexander Pereira depuis 2020 et son départ de la Scala, reconstituant ainsi un couple artistique né à Zurich.
L’Opéra de Florence est une machine musicalement forte depuis des décennies, sans doute l’institution la plus ouverte d’Italie, avec un des meilleurs orchestres, un chœur vraiment exceptionnel dirigé par Lorenzo Fratini. Désormais, à la salle de l’Opéra construite il y a dix ans, s’est ajouté en décembre dernier l’auditorium adjacent, Sala Zubin Mehta, faisant de l’espace qui occupe les boulevards extérieurs de Florence, à la lisière du Centre-Ville (et à quelques centaines de mètres de l’ancien Comunale, une immense salle pas très jolie mais que j’aimais bien) un espace dédié à la musique, une Città della Musica version florentine.
L’Opéra de Florence gère aussi le petit Teatro Goldoni, sur la rive gauche de l’Arno pas très loin de la Cappella Brancacci et de ses Masaccio, et peut aussi occuper de temps à autre le Teatro della Pergola, l’un des plus anciens d’Italie, où fut créé Macbeth de Verdi en 1847 sur la rive droite pas très loin du Duomo Santa Maria del Fiore. En bref, la ville pas si grande a une solide implantation musicale et la décision de Daniele Gatti de s’y transférer n’est pas étrangère à l’ensemble des possibilités offertes.
Alexander Pereira est quant à lui un manager solide, qui n’a plus néanmoins le goût du risque, et dont les metteurs en scène de référence qui ont fait la gloire de ses années zurichoises ont disparu, ou n’ont pas l’heur de plaire au public italien, peu enclin à accepter les « nouvelles mises en scène ». plus si nouvelles d’ailleurs
Il est vrai que la situation du théâtre parlé en Italie est un désastre, que la vie d’acteur est difficile, et que le seul grand metteur en scène italien actuel qu’on voit partout à l’opéra dans les grandes salles européennes, Romeo Castellucci n’a jamais fait d’opéra en Italie ou presque (sinon Parsifal à Bologne, mais l’initiative venait de La Monnaie de Bruxelles, son théâtre d’attache).
Ni Strehler, ni Ronconi n’ont su faire école, et les metteurs en scène qui occupent les opéras de la péninsule sont souvent bien médiocres. Un seul exemple, le programme du festival de Pesaro 2022 est une misère du point de vue théâtral…
Dans ce contexte, que nous offre l’Opéra de Florence, avec sa saison « ordinaire » et son festival de Printemps, plus connu sous le nom de Mai Musical Florentin ?

Florence est une ville moyenne, aristocratique, qui vit du tourisme et des touristes, tout au long de l’année, et l’Opéra de Florence dépend de ce double public, local (tout de même assez réduit) et touristique, essentiellement saisonnier. Tous les théâtres d’Europe ont des problèmes de remplissage, comment s’en sort Florence ?
Par chance, désormais, les transports en Italie ont fait d’extraordinaires progrès : Florence est à 1h30 de Milan et 1h30 de Rome par le train à grande vitesse et le public mélomane peut désormais circuler avec plus de facilité. Il est vrai que ce public a toujours été mobile, mais l’amélioration du transport ferroviaire épargne les longs trajets en voiture qui émaillaient (quand j’habitais Milan) nos virées lyriques à Turin, Bologne ou Florence.

Pour comprendre l’organisation de la saison florentine, il faut considérer à part le « Mai Musical » qui est le Festival de Printemps (Avril-Juillet) prestigieux, fondé en 1933 par le chef d’orchestre Vittorio Gui, l’un des grands chefs italiens pas toujours si connu hors d’Italie. C’est un Festival prestigieux qui a vu la participation de chefs d’envergure comme Erich Kleiber qui y fit des Vespri Siciliani légendaires avec Maria Callas et Boris Christoff en 1951, ou Hermann Scherchen, parce que le Mai Musical stimula la diffusion de la musique du XXe siècle. Parmi les plus récents directeurs musicaux, Riccardo Muti de 1969 à 1981 qui y construisit sa carrière de chef lyrique et plus récemment Zubin Mehta de 1985 à 2018, qui est direttore emerito principale a vita. Daniele Gatti est devenu cette année le directeur musical jusqu’en 2025.
On ne compte pas les enregistrements de l’orchestre avec divers chefs, c’est en effet l’une des phalanges de référence en Italie.
En dehors du Mai musical, dont le programme est annoncé plus tard, il y a une saison d’automne et une saison d’hiver, appelées l’une « Festival d’automne » (5 productions et 1 spectacle jeunesse) et l’autre « Festival de Carnaval » (6 productions, dont deux plus légères essentiellement offertes aux solistes de l’Accademia del Maggio Musicale) , appellations qui tendent à montrer qu’à Florence règne un festival permanent (ça, c’est la com…)
De fait, la saison (qui court de septembre à avril) a tout pour séduire musicalement. Pas un théâtre en Italie peut se targuer d’afficher autant de chefs de grand renom, ou de très grande qualité : Zubin Mehta bien sûr (trois productions), Daniele Gatti (trois productions), mais aussi James Conlon, Ingo Metzmacher ou Gianluca Capuano.

Certain « plus grand théâtre lyrique du monde » à 1h30 de train vers le nord pourrait en prendre un peu de graine.
Les distributions sont elles aussi plutôt flatteuses, Francesco Meli semble y être chez lui, mais aussi Cecilia Bartoli, Nicola Alaimo, Placido Domingo, Nadine Sierra, Roberto Frontali.
Seule ombre au tableau, une politique de mises en scène dans l’ensemble médiocre, qui ne correspond en rien à la qualité musicale affichée, dont le nom le plus intéressant est Damiano Michieletto, avec pour les autres l’inévitable et désolant Livermore, Leo Muscato, ou Frederic Wake-Walker, qui ni les uns ni les autres n’ont inventé la poudre scénique.

Il faudra quand même un jour que l’Italie lyrique sorte de cette misère scénique qui la caractérise depuis les disparition de Strehler et Ronconi ou que les managers comme Pereira se secouent un peu la poussière. Seule note « historique » et plutôt positive, la présence de Piero Faggioni (né en 1936…) pour Carmen dont la mise en scène sera sans doute fille de celle que créa Berganza à Edimbourg en 1975. Metteur en scène traditionnel, élégant, et intelligent.

Très grande qualité musicale, sans doute le plus grand niveau en Italie, qualité scénique médiocre, en cela pas si loin de ce qui est affiché à la Scala alors que Naples et Rome font quelque effort pour dépoussiérer, voilà le bilan. Il reste que plusieurs voyages à Florence sont à prévoir pour les amateurs, ce qui n’est jamais désagréable…
Enfin, Pereira qui connaît son public limite les représentations à quatre ou cinq et alterne les salles entre l’auditorium très modulable, tout nouveau, aux capacités scéniques limitées mais muni de dispositifs techniques aptes au montage de productions légères (ce qui limite les frais) et à la jauge moyenne (1100 spectateurs qu’on peut aussi limiter à 500) et la Grande Sala (grande salle) de 1800 places. Ce jeu entre les salles permet sans doute de substantielles économies et d’adaptation.

La grande salle d’opéra


SAISON LYRIQUE

Festival d’automne, dédié à Giuseppe Verdi

Septembre 2022
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia
5 repr. du 8 au 15 sept. 2022 – Dir : Daniele Gatti/MeS : Damiano Michieletto
Avec Ruzil Gatin, Vasilisa Berzhanskaja, Nicola Alaimo, Fabio Capitanucci

On oublie souvent que Daniele Gatti est un chef exceptionnel pour Rossini, aussi bien bouffe que sérieux (Mosè, La Donna del Lago…). La distribution est dominée par la Rosine du moment Vasilisa Berzhanskaja que les français ont découvert à Aix dans Moïse, et par Nicola Alaimo qui est aujourd’hui la basse bouffe la plus en vue pour Rossini, sans compter l’intéressant Ruzil Gatin pour Almaviva. Vaut le voyage, évidemment, et puis, Florence en septembre… Mise en scène de Damiano Michieletto archi connue (même à Paris…) et réussie.

Septembre-Octobre
Giuseppe Verdi
Il Trovatore

4 repr. du 29 sept. au 7 oct – Dir : Zubin Mehta/MeS : Cesare Lievi
Avec Maria José Siri, Amartuvshin Enkhbat, Fabio Sartori, Ekaterina Semenchuk etc…
Retour à l’opéra de Cesare Lievi, qui fut familier de Zurich aux temps de Pereira, et qui à la fin des années 1980, était un des grands espoirs de la scène avec son génial frère, le scénographe Daniele Lievi, mort prématurément à la même époque. Vous voulez connaître Daniele ? Une exposition lui est dédiée au MuSa (Musée de Salò, au bord du lac de Garde) jusqu’au 30 novembre 2022. Faites le voyage, vous ne le regretterez pas…
Distribution solide à défaut d’être excitante, Amartuvshin Enkhbat et Fabio Sartori sont une garantie de qualité, Ekaterina Semenchuk qu’on voit beaucoup dans la saison devrait être une bonne Azucena. Maria José Siri a la voix à défaut du charisme. Et puis bien sûr Zubin Mehta, l’un des grands chefs de référence pour cette œuvre.

 

Octobre 2022
Georg Friedrich Haendel
Alcina

5 repr. du 18 au 26 octobre – Dir: Gianluca Capuano/MeS Damiano Michieletto
Avec Cecilia Bartoli, Carlo Vistoli, Lucía Martín Cartón, Kristina Hammarström etc…
Les Musiciens du Prince – Monaco
Cecilia Bartoli fut sous Pereira abonnée à l’Opernhaus Zurich, qu’elle continue pour notre bonheur à fréquenter. L’an prochain, elle a programmé Alcina à Monte-Carlo dans une autre production, et c’est donc un peu une année Alcina, et à Florence, les Musiciens du Prince – Monaco seront aussi dans la fosse avec leur chef Gianluca Capuano, ce qui nous garantit une exécution exemplaire. Distribution solide avec notamment Carlo Vistoli, le meilleur contre-ténor italien et mise en scène de Michieletto, qui pourrait être intéressante. Vaut le voyage évidemment.

Novembre 2022
Giuseppe Verdi
Ernani
5 repr. du 10 au 20 nov – Dir : James Conlon/MeS : Leo Muscato
Avec Maria José Siri, Francesco Meli, Roberto Frontali, Vitalij Kowaljow
Quatuor vocal solide une fois de plus, même si ni Siri, ni Kowaljow ne font rêver, mais Francesco Meli, dans un de ses meilleurs rôles, et Roberto Frontali, le meilleur et le plus subtil des barytons italiens, sont aptes quant à eux à nous ravir. Mise en scène de Leo Muscato dont il n’y pas grand-chose à attendre, et direction musicale de James Conlon, un des chefs lyriques les plus réguliers, une garantie sinon d’originalité, du moins de cohérence et de fidélité à Verdi.

Décembre 2022
Faust
9 repr. du 24 nov. au 2 déc. – Musiques de Berlioz, Gounod, Mozart, Bach
Un spectacle de Venti Lucenti avec 80 jeunes du projet “All’Opera… in campo!
Un spectacle largement dédié aux jeunes et aux écoles
Au Teatro Goldoni

Décembre 2022-Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Don Carlo (Version en 4 actes)

5 repr. du 27 déc. au 8 janv. – Dir: Daniele Gatti/MeS: Roberto Andò
Avec Mikhail Petrenko, Francesco Meli, Ekaterina Semenchuk, Alexander Vinogradov.
On aurait évidemment préféré la version française, mais on se contentera de la version italienne en quatre actes, plus courte, plus ramassée et donc sans doute plus économique. Pas encore d’Elisabetta affichée, mais Francesco  Meli est une garantie, et Semenchuk peut-être dans le Don fatale, mais sûrement pas dans la canzone del velo, et pour moi aucune garantie pour un Mikhail Petrenko comme Filippo II, u timbre trop clair pour le rôle.
Mise en scène Roberto Andò, qui s’attaque là à une oeuvre trop grande pour lkui…
Mais Daniele Gatti en fosse, cela nous garantit un Verdi fouillé, limpide, dramatique. C’est lui qui vaut le voyage initial de 2023.

 

Festival de Carnaval, dédié à Faust et Goethe

Janvier 2023
W.A.Mozart
La Finta semplice
4 repr. du 24 au 29 janvier – Dir : Theodor Guschlbauer/MeS : Claudia Blersch
Avec Benedetta Torre, Luca Bernard, et des solistes de L’Accademia del Maggio Musicale Fiorentino
Au Teatro Goldoni
On change de Festival et on passe au Carnaval. Pereira aime beaucoup Theodor Guschlbauer, autrichien comme lui, dont les strasbourgeois se souviennent qu’il fut pendant 14 ans (1983-1997) directeur du Philharmonique de Strasbourg. C’est un chef de style « Kapellmeister », auquel les musiciens peuvent se fier, pas forcément inventif, mais garantie musicale. Il dirige ce Mozart dans le cadre intime du Teatro Goldoni avec la jeune Benedetta Torre et les solistes de l’Accademia del Maggio… la mise en scène est signée Claudia Blesch à qui l’on doit l’adaptation semi-scénique de la Cenerentola avec Bartoli qui a fait le tour du monde.
Si vous ne connaissez pas le teatro Goldoni et si vous passez par là…

Février 2023
Ferruccio Busoni
Doktor Faustus
5 repr. du 7 au 21 février – Dir : Ingo Metzmacher/MeS : Davide Livermore
Avec AJ Gluckert, Olga Bezsmertna, Wilhelm Schwinghammer, Thomas Hampson/Dietrich Henschel.
Continuant la tradition XXe siècle du Mai Musical Florentin, voici le rare Doktor Faustus du rare Busoni, une œuvre taillée exactement pour le chef Ingo Metzmacher, qui aime cette période de la musique (1924). L’œuvre pas tout à fait achevée malgré une composition qui dura six ans requiert un orchestre important. C’est Thomas Hampson en alternance avec Dietrich Henschel (sur une date) qui tient le rôle principal, c’est dire la qualité d’ensemble qu’on doit attendre d’une bonne distribution par ailleurs. Mise en scène de Davide Livermore qui au seul nom de Faust doit déjà mettre en place son cirque folie-bergérien.
Mais pour l’œuvre, devrait valoir le voyage.

Février 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata

4 repr. du 12 au 22 fév. – Dir : Zubin Mehta / MeS : Davide Livermore
Avec Nadine Sierra, Francesco Meli, Placido Domingo/George Petean
Une Traviata de légende, signée Franco Zeffirelli dont fut tiré un film, est née à Florence, et même venue ensuite à Paris.
C’est une fois encore à David Livermore à qu’on a confié la production. C’est à croire qu’il n’y a que lui de disponible en Italie, même pour une Traviata. Choix lamentable de Pereira. Je ne suis pas zeffirellien a priori, mais j’aurais plus volontiers revu la vieille production.
Au contraire, c’est musicalement sans doute un must qui va faire courir les foules : Sierra, Meli, Domingo, c’est un trio de choc et même quand Domingo ne chantera pas, c’est l’excellent Petean qui sera Germont avec dans la fosse un Zubin Mehta qui dirigeait à Florence et à la reprise parisienne en 1986 (d’ailleurs sifflé par les arbitres du bon goût parisien, je veux dire les imbéciles patentés de notre scène nationale). Comme on le sait, aux vieux pots la meilleure soupe, même à la grimace Livermore.

Mars 2023
Igor Stravinsky
The Rake’s progress
5 repr. du 12 au 26 mars – Dir: Daniele Gatti / MeS: Frederic Wake-Walker
Avec Sara Blanch, Matthew Swensen, Vito Priante, Marie Claude Chappuis, Adriana di Paola

Daniele Gatti est un grand admirateur de la musique de Stravinsky, et il avait prévu ce Rake’s Progress à Rome dans une mise en scène de Graham Vick, ce qui était autre chose que Frederic Wake-Walker, un metteur en scène assez pâle et plus paillettes que substance. Mais ce Rake’s Progress romain a été annulé (Covid) et Graham Vick est décédé.
Alors sans doute à cause du désir de Gatti, l’œuvre réapparaît à Florence et c’est une excellente idée, dans une autre distribution avec la charmante (et excellente)  Sara Blanch, le très intéressant Vito Priante en Nick Shadow et le jeune ténor Matthew Swensen déjà vu à Florence (Cosi fan tutte notamment) comme Tom Rakewell.
Vaudra le voyage, d’abord pour le chef et l’orchestre.

Mars-avril 2023
Georges Bizet
Carmen

5 repr. du 28 mars au 16 avril – Dir : Zubin Mehta / MeS : Piero Faggioni
Avec Clémentine Margaine, Valentina Nafornita, Francesco Meli, Mattia Olivieri
Zubin Mehta dirige le chef d’œuvre de Bizet, encore une série de représentations apte à attirer du public local et extérieur. On y note la Carmen de Clémentine Margaine, qu’on voit peu en France et c’est dommage, la charmante Valentina Nafornita en Micaela, et le Don José de Francesco Meli qu’on voit décidément beaucoup cette saison à Florence, mais on notera avec intérêt l’Escamillo du baryton qui monte en Italie et ailleurs, l’excellent et sympathique Mattia Olivieri.
On l’a déjà écrit, appeler le vétéran Piero Faggioni pour une mise en scène créée pour Teresa Berganza qui a marqué l’histoire de l’œuvre (vue à Edimbourg, Paris Opéra-Comique et à la Scala) n’est pas en soi une mauvaise idée. Mieux vaut une mise en scène ancienne mais marquante, que tant de médiocres faussement modernes.

 

Gioachino Rossini
L’Italiana in Algeri per le Scuole

5 repr. du 31 mars au 5 avril – MeS : Grisha Asagaroff
Solistes de l’Accademia del Maggio Musicale Fiorentino
Pour les écoles, sans doute (vu le metteur en scène) une adaptation de la mise en scène de Ponnelle

La suite lorsque le programme du Mai Musical Florentin 2023 sera annoncé


SAISON SYMPHONIQUE

Le nouvel auditorium

La saison symphonique reflète l’impression de richesse musicale de la saison lyrique, on y retrouve évidemment et Zubin Mehta et Daniele Gatti dans des programmes très divers, faits de « must » et de pièces moins connues– un seul exemple, Daniele Gatti dirige un concert de compositeurs italiens du XXe siècle peu fréquents dans les programmes, même en Italie (le 24 novembre), les chefs invités du lyrique (Theodor Guschlbauer, Ingo Metzmacher, James Conlon) sont aussi affichés dans la saison symphonique, et d’autres comme Andrés Oroczo Estrada, Sir Mark Elder, Marc Albrecht ou Dame Jane Glover (seule femme dans la série) sont par ailleurs programmés. Deux orchestres extérieurs, le prestigieux Gustav Mahler Jugendorchester avec à sa tête le non moins prestigieux Herbert Blomstedt et l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo (Charles Dutoit) avec Martha Argerich complètent un riche tableau où chaque programme est donné une seule fois, mais où la saison affiche 24 concerts différents.

 

2 septembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino

Theodor Guschlbauer, direction
Andrea Lucchesini, piano

Mozart, Beethoven
(Cavea del Maggio – en plein air )

4 septembre 2022
Gustav Mahler Jugendorchester
Herbert Blomstedt, direction

Schubert, Bruckner
(Auditorium)

9 septembre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Mandy Fredrich, soprano
Marie-Claude Chappuis, mezzosoprano
Maximilian Schmitt, ténor
Tareq Nazmi, basse

Cycle Beethoven
Symphonies 8 et 9
(Sala Grande)

6 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Guglielmi, Cherubini, Schumann
(Sala Grande)

13 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Bruckner,
Symphonie n°8
(Sala Grande)

16 octobre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
NN, Soprano

Wagner,
Parsifal, prélude acte I, Verwandlungsmusik acte I, Enchantement du Vendredi Saint (Acte III)
Verdi,
Quattro pezzi sacri
(Sala Grande)

19 octobre 2022
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Eleonora Filopponi, mezzosoprano

Mahler,
Symphonie n°3
(Sala Grande)

23 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Andrés Oroczo Estrada, direction

Haydn, Ravel, Strauss(R)
(Sala Grande)

29 octobre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Maurizio Pollini, piano

Schubert, Mozart Haydn
(Sala Grande)

30 octobre 2022
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Charles Dutoit, direction
Martha Argerich, piano

Ravel
Valses nobles et sentimentales
Concerto en sol
Stravinsky
Le sacre du printemps
(Sala Grande)

 

12 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
James Conlon, direction

Respighi, Chostakovitch
(Auditorium)

19 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Dame Jane Glover, direction
Luca Benucci, cor
NN, soprano

Prokofiev, Mozart, Haydn
(Auditorium)


24 novembre 2022

Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction

Petrassi, Ghedini, Casella
(Auditorium)

27 novembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Christoph Eschenbach, direction

Bruckner
Symphonie 7
(Auditorium)

 

3 décembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction

De Falla, Debussy, Ravel
(Auditorium)

 

15 décembre 2022
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Sir Mark Elder, direction

Weber, Mahler
(Auditorium)

 

22 décembre 2022
Concert de Noël

Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Diego Fasolis, direction

Lenneke Ruiten, soprano
Lucia Cirillo, mezzosoprano
Juan Francisco Gatell,  tenor
Georg Nigl, baryton

Bach,
Oratorio de Noël
Cantates 1, 2 et 3
(Auditorium)

 

31 décembre 2022
Concert de fin d’année
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Lenneke Ruiten, soprano
Eleonora Filopponi, mezzosoprano
Maximilian Schmitt, ténor
NN, baryton

Beethoven
Symphonie n°9
(Auditorium)

13 janvier 2023
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Marc Albrecht, direction

Liszt
(Auditorium)

21 janvier 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Ingo Metzmacher, direction
NN, soliste

Mahler, Schubert
(Auditorium)

18 février 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction

Brahms, Bartók
(Auditorium)


28 février 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Rudolf Buchbinder, pIano

Wagner, Beethoven, Moussorgsky, Stravinsky
(Auditorium)

10 mars 2023
Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino
Daniele Gatti, direction
Jessica Pratt, soprano

Vivaldi, Bach, Stravinsky
(Sala Grande)

24 mars 2023
Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino
Zubin Mehta, direction
Christiane Karg, soprano
Michèle Losier, mezzosoprano

Mahler
Symphonie n°2 “Résurrection”
(Auditorium)

CONCLUSION:

On tiendrait là la meilleure saison de l’année de tous les théâtres de la péninsule si des efforts un peu plus marqués avaient été faits du côté des metteurs en scène, mais peut-être aussi les saisons en Italie ne sont pas faites suffisamment à l’avance pour s’assurer les meilleurs qui sont forcément pris ailleurs. Quoi qu’il en soit, on tient sans conteste la saison musicale la meilleure de la Péninsule, et parmi les théâtres de stagione, une des meilleures en Europe, il suffit de comparer avec d’autres théâtres pour le constater . Florence a la chance d’avoir dans sa maison deux chefs pratiquement à demeure qui font partie des références musicales de ce temps, Zubin Mehta, au crépuscule d’une immense carrière mais qui continue d’étonner, et Daniele Gatti qui vient d’être choisi comme successeur de Christian Thielemann à la Staatskapelle de Dresde, excusez du peu. Peu d’institutions musicales peuvent se prévaloir de tels chefs qui se partagent la saison.

C’est donc le moment de fréquenter Florence, en essayant de faire contre mauvaise fortune (la scène) bon cœur (la fosse et les plateaux).

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO SAN CARLO DE NAPLES

Le paysage lyrique italien d’aujourd’hui a singulièrement évolué depuis quelques années, notamment depuis qu’il n’y plus d’institution lyrique qui en soit un fer de lance incontesté. C’est pourquoi pour tout amateur d’opéra intéressé à la vie musicale de la Péninsule, il me semble très stimulant de comparer les politiques des théâtres les plus marquants. Avant d’aborder le Maggio Musicale Fiorentino et l’Opéra de Rome, nous nous intéressons au Teatro San Carlo, l’un des théâtres emblématiques de l’histoire de l’opéra en Italie, dont l’Intendant est Stéphane Lissner.
Entre les annonces lors de son arrivée à Naples, qu’il avait précisé lors d’une interview à Wanderersite.com et la confrontation avec la réalité, pandémie, crise économique, travaux à réaliser dans le théâtre, les choses ne sont pas si faciles, et une personnalité telle que celle de Stéphane Lissner suscite évidemment des oppositions, des critiques, et des manœuvres d’arrière-cour. Si personnage est contesté, on ne peut en revanche contester ni sa force, ni son dynamisme, ni sa malice.
La saison 2021-2022 se poursuit avec L’Eugène Onéguine signé Barrie Kosky, première mise en scène montrée en Italie du metteur en scène australien qui, comme on le sait, vit à Berlin et qui est l’un des plus prolifiques et inventifs dans le paysage actuel et s’annonce pour l’automne un Tristan und Isolde avec rien moins que Nina Stemme, Stuart Skelton, René Pape, Okka von der Damerau, des noms qu’on n’avait pas encore applaudis à Naples.

 

La saison 2022-2023 est marquée par plusieurs éléments :

  • Le théâtre va rester fermé plusieurs mois pour des travaux importants notamment sur la scène, et l’activité sera transférée au Teatro Politeama, une salle qui accueillit des spectacles populaires, des revues (dont celles de Wanda Osiris (1905-1994), célébrissime en Italie). Les productions seront présentées au Politeama en version concertante, manière élégante de conjuguer la nécessité (les travaux) et les économies (frais réduits à la seule distribution, les autres étant des frais fixes)
  • Des productions alléchantes, et un répertoire essentiellement italien (8 titres sur 12), alliant reprises populaires (Butterfly, Bohème, Rigoletto) et titres plus exigeants ou moins représentés (Don Carlo, Anna Bolena Macbeth, Beatrice di Tenda, Maometto II) et par ailleurs 4 autres titres alléchants (Damnation de Faust, Walküre, Requiem de Mozart en version scénique et une création locale d’une œuvre contemporaine Winter Journey)
  • Des metteurs en scène qu’on voit rarement en Italie, Claus Guth pour Don Carlo, Romeo Castellucci (pour la première fois à l’Opéra en Italie) pour le Requiem de Mozart vu à Aix, Calixto Bieito (un peu plus fréquent) pour Maometto II, et Jetske Mijnssen (totalement nouvelle dans la péninsule) pour Anna Bolena.
  • Des reprises du répertoire du San Carlo comme Butterfly et Bohème (reprise de la nouvelle production d’Emma Dante en 2021) et comme Die Walküre signée Federico Tiezzi en 2004-2005.  Des distributions dans l’ensemble très soignées, que ce soit pour les nouvelles productions ou des reprises.

Au total, une saison équilibrée, sinon équilibriste, qui joue sur plusieurs claviers, en essayant d’offrir sur chaque production un élément qui puisse attirer le public, qui comme partout ailleurs, se fait un peu prier pour revenir.

 

La saison lyrique

Novembre-décembre 2022
Giuseppe Verdi
Don Carlo
5 repr. du 26 nov. au 6 déc. – Dir : Juraj Valčuha/MeS : Claus Guth

Avec Michele Pertusi, Matthew Polenzani, Ailyn Perez, Elina Garanča, Ludovic Tézier/Ernesto Petti
Version en cinq actes (en italien)
On peut discuter Matthew Polenzani dans Carlo, ou Ailyn Pérez dans Elisabetta, mais ni Pertusi, ni Tézier (pour 4 repr.) et évidemment pas Garanča. Le public napolitain sera peut-être perplexe devant le travail de Claus Guth, mais devra reconnaître son intelligence. Et puis en fosse, Juraj Valčuha, qui est un chef remarquable fera sans nul doute sonner cette version en cinq actes de Don Carlo (dite version de Modène), pour cette série de représentations d’adieux puis qu’il quitte la direction musicale du San Carlo en décembre 2022 . Sans doute la préparation plus lourde qu’aurait demandé la version originale française a-t-elle fait reculer, mais la version de Modène est un moindre mal.
Il y a vraiment de quoi faire une virée napolitaine pour profiter de son doux soleil d’automne et de ce Verdi quand même exceptionnel.

 

Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Rigoletto

4 repr. du 15 au 24 janvier (Dir : Lorenzo Passerini)
Avec Nadine Sierra, Pene Patti, Ludovic Tézier
En version de concert au teatro Politeama
Avec une telle distribution, dominée par le meilleur Rigoletto actuel, et avec une Gilda d’exception et un des nouveaux ténors les plus en vue, le public se moquera sans doute de l’absence de production.  Sur le podium, Lorenzo Passerini, 31 ans, qui depuis la saison dernière dirige dans beaucoup de théâtres, notamment en Allemagne et ailleurs, et qui représente la jeune génération de chefs italiens valeureux.

Février 2023
Hector Berlioz
La Damnation de Faust
4 repr. du 7 au 15 février – Dir : Pinchas Steinberg
Avec Ildar Abdrazakov, Charles Castronovo, Anita Rashvelishvili
En version de concert au teatro Politeama
Encore une distribution flatteuse pour le chef d’œuvre de Berlioz qui va pour l’occasion retrouver son allure d’oratorio prévue à l’origine. On sait que Stéphane Lissner a donné à Anita Rasvelishvili la chance de débuter dans Carmen à la Scala. Charles Castronovo devrait être un Faust séduisant vocalement et on ne présente plus Ildar Abdrazakov. Le tout sous la baguette de Pinchas Steinberg, vieux routier de l’opéra, familier des scènes italiennes, qui garantit un vrai travail d’orchestre..

 

Mars 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth
4 repr. du 8 au 18 mars – Dir : Marco Armiliato
Avec Luca Salsi, Alexander Vinogradov, Sondra Radvanovsky, Giulio Pelligra etc…
En version de concert au teatro Politeama
Troisième titre de Verdi dans la saison, soit un quart des titres de l’année. Avec une distribution dominée par Luca Salsi qui promène son Macbeth de Vienne à la Scala, Sondra Radvanovsky, l’une des grandes chanteuses verdiennes du moment (il faut en profiter, elles sont rares), et Alexander Vionogradov, qui promène les basses nobles verdiennes de Zaccaria de Nabucco à Fiesco de Boccanegra dans l’Europe entière. C’est le dernier titre exilé au teatro Politeama, dirigé par Marco Armiliato, l’un des chefs le plus souvent sollicité dans les grandes maisons pour le répertoire italien.
À noter que Radvanovsky et Salsi chantent Macbeth au Liceu de Barcelone en février 2023, dans une production du sculpteur-graveur Jaume Plensa et sous la direction de Josep Pons. Vous aurez donc le choix…


Avril 2023
Richard Wagner
Die Walküre
5 repr du 16 au 29 avril – Dir : Dan Ettinger / MeS Federico Tiezzi
Avec Jonas Kaufmann, Christopher Maltman, John Releya, Okka von der Damerau, Vida Miknevičiūtė.
Pour le retour dans les murs du San Carlo, Stéphane Lissner a réuni une distribution exceptionnelle pour une reprise de Die Walküre dans la production maison, créée en 2005. Dans la fosse, un de ses chefs favoris, le solide Dan Ettinger, qui sera devenu depuis janvier 2023 le directeur musical du San Carlo, succédant à Juraj Valčuha (à mon avis on y perd un peu…)
Jonas Kaufmann en Siegmund, Vida Miknevičiūtė nouvelle en Italie en Sieglinde qui va aussi faire Salome à la Scala, le Wotan nouveau de Christopher Maltman et la Brünnhilde presque neuve d’Okka von der Damerau qu’ona bien aimé à Stuttgart dans sa prise de rôle en avril dernier.
Inutile de dire que cela vaut le voyage…

 

Mai 2023
W.A.Mozart
Requiem

4 repr. du 16 au 20 mai 2023 – Dir : Raphaël Pichon / MeS : Romeo Castellucci
Avec Giulia Semenzato, Sara Mingardo, Julian Pregardien, Nahuel di Pierro
Ensemble Pygmalion Orchestre et chœur du San Carlo.
Ensemble Pygmalion et forces du San Carlo s’unissent sous la direction de Raphael Pichon dans la production qui avait triomphé à Aix en 2019 et qui arrive à Naples, et avec elle pour la première fois sur une scène d’opéra en Italie, une mise en scène de Romeo Castellucci qui devrait être sans doute bien accueillie par le public napolitain, en tous cas mieux que d’autres vues ailleurs. Distribution composée d’excellents chanteurs, dont la seule Sara Mingardo était à Aix.
Pour ceux qui ont envie de voir ou revoir ce merveilleux spectacle. C’est une très belle initiative.

 

Juin 2023
Gaetano Donizetti
Anna Bolena
4 repr. du 8 au 17 juin – Dir : Riccardo Frizza – MeS : Jetske Mijnssen
Avec Alexander Vinogradov, Maria Agresta, Elina Garanča, Xabier Anduaga etc…
Lissner avait annoncé qu’il ferait les trois reines de Donizetti, et voici Anna Bolena dans une distribution où vont s’affronter Maria Agresta en Anna et Elina Garanča en Giovanna Seymour… Ce dernier nom suffit pour faire ses réservations…
Mais Vinogradov, Agresta et Anduaga font une très belle distribution qui sera dirigée par le spécialiste italien de Donizetti, Riccardo Frizza, directeur musical du festival Donizetti de Bergamo. Autant dire que tous les atouts sont réunis. Seule inconnue, la mise en scène de Jetske Mijnssen, qui ne m’avait pas convaincu dans Don Pasquale à la Komische Oper, mais qui semble-t-il a mieux réussi dans cette production qui vient d’Amsterdam.
Évidemment, vaudra le voyage, sans faute.

Juin-Juillet 2023
Giacomo Puccini
La Bohème
7 repr. du 30 juin au 7 juillet – Dir : Francesco Lanzillotta/MeS : Emma Dante
Avec Diana Damrau/Selene Zanetti, Vittorio Grigolo/Vincenzo Costanzo, Andrzej Filończyk etc…
C’est l’été, et l’on programme les grands standards susceptibles d’attirer du public. Reprise de la récente production d’Emma Dante qui a ouvert le mandat de Stéphane Lissner, dans une double distribution, l’une de « stars », avec Damrau et Grigolo, l’autre avec Selene Zanetti qui avait créé la production et le jeune Vincenzo Costanzo, qui a 31ans, assez prometteur.  Le tout avec un Marcello de classe, le magnifique Andrzej Filończyk et en fosse, l’excellent Francesco Lanzillotta.  Une Bohème séduisante pour ce début d’été, qui vaudrait presque le voyage.

 

Septembre 2023
Giacomo Puccini
Madame Butterfly
8 repr. du 12 au 28 sept. – Dir : Dan Ettinger/MeS : Ferzan Ospetek
Avec Ailyn Pérez/Valeria Sepe, Saimir Pirgu/Vincenzo Costanzo, Marina Comparato
Si l’été s’ouvrait avec Bohème, il se ferme avec Butterfly, histoire de lancer la rentrée avec un titre populaire, comme Bohème, dans une production des réserves du San Carlo. Distribution correcte, avec Ailyn Pérez en Butterfly, et Saimir Pirgu en Pinkerton et des jeunes en distribution B. En fosse, Dan Ettinger. Soyons honnêtes, une Butterfly alimentaire qui ne fait pas trop rêver, qui ne coûte pas trop cher et remplit potentiellement la salle

 

Vincenzo Bellini
Beatrice di Tenda
Le 23 septembre 2023 – Dir : Giacomo Sagripanti
Avec Jessica Pratt, Matthew Polenzani, Andrzej Filończyk etc…
Pour une seule soirée en version de concert, et pour marquer le 190e anniversaire de la très rare Beatrice di Tenda de Bellini, créée en mars 1833 à la Fenice de Venise. En fosse, Giacomo Sagripanti qu’on connaît mieux pour son Rossini dirigera un solide trio, la pyrotechnique Jessica Pratt, Matthew Polenzani qui est un bon styliste sans forte personnalité, et l’excellent Andrzej Filończyk, l’un des barytons qui pourrait bien devenir une référence pour le répertoire de la première moitié du XIXe.

 

Ludovico Einaudi
Winter Journey
Les 7 et 8 oct – Dir : Carlo Tenan / MeS : Roberto Andò
Avec Malia, Badara Seck, Jonathan Moore…
Prévu en mars 2020 et annulé pour cause de Covid et de confinement, le spectacle du compositeur Ludovico Einaudi, l’un des compisteurs italiens à succès, dans toute l’Europe, signé Roberto Andò et dirigé par Carlo Tenan revient en automne 2023. Winter Journey est un voyage dans l’hiver européen contemporain et désolé, dans la solitude désespérée de ceux qui sont forcés d’abandonner leur propre pays pour s’embarquer vers des terres où ils peuvent mendier pour gagner leur vie. Un « Voyage d’hiver » gris et amer créé au Teatro Massimo de Palerme, dans cette Sicile qui accueille tant d’immigrés.

Octobre-novembre 2023
Gioachino Rossini
Maometto II
5 repr. du 25 oct. au 5 nov. – Dir : Michele Mariotti /MeS : Calixto Bieito
Avec Roberto Tagliavini, Dmitry Korchak, Vasilisa Berzhanskaja, Varduhi Abrahamyan etc…
La saison se termine alla grande par ce Maometto II de Rossini qui fut créé dans ce théâtre le 3 décembre 1820. Nul doute que Michele Mariotti devrait faire revivre l’œuvre avec la flamme voulue et la nécessaire élégance. La distribution est exemplaire, dominée par Roberto Tagliavini, devenu en quelques années une des basses italiennes de référence, et par Vasilisa Berzhanskaja qui est elle aussi devenue une mezzo incontournable dans Rossini, depuis sa Rosine du Barbiere di Siviglia à Rome, à ses côtés Varduhi Abrahamyan, toujours contrôlée, toujours élégante notamment dans les répertoires XVIIIe et Romantiques. Enfin, le ténor sera Dmitry Korchak, plus irrégulier mais bien connu des rossiniens.
La production est confiée à Calixto Bieito, qui devrait évidemment faire réagir les irréductibles grincheux, car il est rare d’avoir des metteurs en scène de ce calibre dans ce type de répertoire.
De toute manière, quel lyricomane n’inscrirait pas Naples dans ses voyages entre octobre et novembre 2023 ?

Concerts divers et ballets complètent les opéras, comme il se doit.
Au total, Stéphane Lissner joue un jeu d’équilibres subtils, investissant dans des distributions quelquefois follement excitantes, souvent alléchantes, ou au moins solides. Du point de vue des chefs, c’est tout aussi solide sans être éblouissant.
Ce jeu des équilibres on le retrouve dans la série de concerts qui allie, outre le néo directeur musical Dan Ettinger des chefs/cheffes de référence comme Susanna Mälkki ou Fabio Luisi, et dont les programmes alternent concerts vocaux (Netrebko, Agresta etc..) et concerts symphoniques où s’insèrent des voix çà et là, comme si même dans ces concerts, on restait fidèle à la tradition historique très vocale de ce lieu.

Les problèmes économiques très présents sont habilement contournés dans les productions par le recours à du répertoire de la maison, des coproductions ou locations de spectacles et des opéras en versions de concert.
Seules deux nouvelles productions sont « maison », celle de Don Carlo initiale et celle de Maometto II conclusive. Anna Bolena, la troisième, vient d’Amsterdam et le Requiem de Mozart vient d’Aix-en-Provence.

Il reste que, telle qu’elle est, cette saison habilement construite donne envie : elle est guidée par les voix, qui sont l’ADN de ce merveilleux théâtre, mais elle affiche aussi des ambitions dans les choix de mises en scène, entre Calixto Bieito, Claus Guth, Romeo Castellucci et Jetske Mijnssen. Peu d’institutions italiennes n’osent à ce point, tout en reprenant des spectacles locaux très dignes comme La Walkyrie de Federico Tiezzi ou La Bohème signée Emma Dante.
Le travail qui reste à conduire, c’est un travail important sur les forces musicales du théâtre : José Luis Basso, dont on connaît les qualités, a pris en main le chœur depuis une année et espérons que Dan Ettinger saura conduire sa phalange à progresser.
Entre les travaux de rénovation, la question économique, et la restructuration des forces du théâtre, il y a du pain sur la planche, mais la saison telle qu’elle est masque bien les difficultés. On sait à Naples comment faire rêver.

LA SAISON 2022-2023 DU THEATER AN DER WIEN

L’autre opéra à Vienne.
Le Theater an der Wien est la salle historique de Vienne, construite au tout début du XIXe à l’instigation d’Emanuel Schikaneder, le librettiste de Die Zauberflöte (La flûte enchantée) où ont été notamment créés Fidelio et deux des plus grandes opérettes viennoises, Die Fledermaus (la Chauve Souris) de Johann Strauss II en 1874 et Die lustige Witwe (La veuve joyeuse) de  Franz Lehár en 1905.  Bien antérieure à la Haus am Ring, l’actuelle Wiener Staatsoper qui l’a d’ailleurs utilisée comme salle de remplacement après la deuxième guerre mondiale, et plus récemment lorsque des productions naissaient dans le cadre du Festival de Vienne (Wiener Festwochen), comme les premières de Don Giovanni (1990, Claudio Abbado/Luc Bondy ou 1999 Riccardo Muti/Roberto De Simone),  Le nozze di Figaro (1991 Claudio Abbado/Jonathan Miller ou 2001 Riccardo Muti/Giorgio Strehler), et bien sûr Fierrabras (1988 Claudio Abbado/Ruth Berghaus), reprise ensuite à la Staatsoper, mais plus jamais reproposée depuis 1990…
Depuis 2006, le Theater an der Wien est un théâtre musical autonome, qui propose une saison d’opéra alternative à celle de la Staatsoper, établie sur des critères différents, sinon opposés.

  • Système stagione : 10 à 12 productions annuelles
  • Attention forte à la mise en scène
  • Pas d’orchestre fixe, mais participation régulière du Wiener Symphoniker et de l’ORF Symphonieorchester.
  • Participation régulière du célèbre Arnold Schönberg Chor (Dir.Erwin Örtner)
  • Appui sur des institutions et des artistes autrichiens quand c’est possible
  • Programmation alternant œuvres rares ou œuvres du répertoire dans des réalisations scéniques innovantes ou expérimentales
  • Appel à des artistes plutôt jeunes, non encore consacrés pour la plupart.

Je n’ai jamais évoqué ces saisons du Theater an der Wien, pourtant intéressantes, mais comme pour qui voyage à Vienne, il y a souvent la possibilité de combiner concerts et opéras en alternance, il pouvait être stimulant de décrire les productions de cette saison marquée par deux événements,

  • D’une part une restauration du Theater an der Wien qui deviendra Nationaltheater an der Wien à cause de sa longue histoire est entamée cette année qui devrait durer plusieurs années, et l’activité est transférée au Hall E du Museumquarter, près du Leopold Museum et pas loin du Kunsthistorisches Museum, et par ailleurs à la Kammeroper (Opéra de Chambre) pour les œuvres plus intimistes.
  • Kammeroper Wien
  • D’autre part la saison 2022-2023 est la première du règne du nouvel intendant Stefan Herheim, le metteur en scène norvégien bien connu, qui est aussi une garantie de modernité scénique. Il assumera quelques productions dans la saison.

On comprendra en lisant cette saison très intéressante que le Theater an Der Wien ne pourrait la proposer dans une ville qui n’aurait pas d’autre théâtre, car elle se profile comme un endroit autre, qui permet de parcourir d’autres chemins, laissant au public le loisir d’aller aussi à la Staatsoper qui est référentielle, et aussi plus « classique », même avec le nouveau cours imprimé depuis 2020. Et c’est une solution intelligente car personne ne se marche sur les pieds.
À Paris, face à l’opéra de Paris, il y a d’abord le TCE, qui n’a aucun choix artistique original, sinon de proposer plus ou moins les grands classiques, quelquefois même doublant les titres de l’Opéra de Paris, comme la saison prochaine une Bohème de Puccini programmée successivement à Bastille et aux Champs Elysées, rare stupidité. Pétrole…et pas d’idées.

Il y a ensuite l’Opéra-Comique, qui a un répertoire bien ciblé (opéra baroque et opéra et opéra-comique français) qui pourrait ressembler vaguement au Theater and der Wien, et le Châtelet, à l’identité illisible.
Comme on le voit il y aurait de quoi mettre en face de l’Opéra une institution qui irait ailleurs, sur d’autres chemins et vers d’autres œuvres.

Voici  les 12 productions prévues, 8 au Hall E du Museumquarter, 4 à la Kommeroper

Octobre 2022
Francesca Caccini
La liberazione

8 repr du 6 au 21 oct – Dir : Clemens Frick/MeS : Ilaria Lanzino
Avec Sara Gouzy, Luciana Mancini etc…
La Folia Barockorchester
À la Kammeroper

La Kammeroper est un théâtre à la jauge réduite, parfaitement adapté pour des œuvres baroques ou des œuvres de chambre. Et la saison ouvre avec un titre très original de la compositrice Francesca Caccini, fille de Giulio caccini, Chanteur et compositeur et sans doute première femme à avoir composé des opéras. Les temps sont plus que mûrs pour exhumer ses œuvres dont La liberazione, titre complet La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, tiré de l’Arioste. C’est une belle initiative, l’opéra est dirigé par Clemens Frick, qui travaille régulièrement aux côtés de René Jacobs et qui compte par les spécialistes d’éditions « historiquement informées ». La mise en scène est assurée par une jeune italienne formée en Allemagne où elle a travaillé comme assistante auprès de nombreux metteurs en scène dont Christof Loy ou David Bösch. C’est incontestablement une curiosité qui devrait valoir le coup, d’autant qu’en octobre, il y a aussi du choix du côté de la Staatsoper.

Leoš Janáček
La petite renarde rusée (Příhody lišky Bystroušky)

6 repr du 15 au 27 oct – Dir : Giedrė Šlekytė/MeS : Stefan Herheim
Avec Milan Siljanov, Melissa Petit, Levente Pàll etc…
Wiener Symphoniker
La saison prochaine et pratiquement en même temps, la Staatsoper programme Jenůfa, voilà l’occasion d’une petite cure de Janáček. Grande production inaugurale de la saison dans les locaux provisoires du Hall E du MuseumQuarter, c’est Stefan Herheim en personne qui met en scène, et nul doute que son imagination débordante et son sens de l’imagerie théâtrale devrait faire de cette production un des musts de la saison. En fosse, la jeune Giedrė Šlekytė, originaire de Lituanie, qu’on a vue (et qu’on reverra) à Munich, l’une des cheffes qui attire les regards des managers et des orchestres. Signalons dans la distribution Melissa Petit, soprano française à la voix fraîche dans le rôle de la renarde…

 

Novembre 2022
Gioachino Rossini
La Gazza ladra
6 repr du 16 au 27 nov – Dir : Antonino Fogliani/MeS : Tobias Kratzer
Avec Fabio Capitanucci, Maxim Mironov, Nino Machaidze, Paolo Bordogna, Nahuel di Pierro etc…
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Autre must, un opéra de Rossini La Gazza Ladra (La pie voleuse) justement jamais représenté à la Staatsoper et qui sera présenté «  en grande pompe » au Theater an der Wien dans une mise en scène de Tobias Kratzer, rien que ce nom excite la curiosité dirigé par Antonino Fogliani, qui devient inévitable dans le répertoire italien à Genève, Munich, Vienne avec des spécialistes de ce répertoire comme Paolo Bordogna, Maxim Mironov et la délicieuse Nino Machaidze. Une distribution qu’aun grand opéra du monde ne démentirait.
Immanquable

Décembre 2022
Vicente Martin y Soler
L’Arbore di Diana
10 repr. du 3 au 31 déc – Dir: Rubén Dubrovski/MeS: Rafael R. Villalobos
Avec Veronica Cangemi, Maiaan Licht, Jerilyn Chou etc…
Bach Consort Wien
Kammeroper
Parallèlement à la Kammeroper, une autre rareté, l’opéra le plus connu de Vicente Martin y Soler, L’Arbore di Diana.
Le Bach Consort est l’un des meilleurs ensembles baroques d’Autriche, fondé il y a un peu plus de vingt ans et il collabore régulièrement avec le Theater an der Wien. La distribution comprend notamment Veronica Cangemi et la mise en scène a été confiée à Rafael R.Villalobos, l’un des plus prometteurs des jeunes metteurs en scène espagnols. L’œuvre elle-même, citée par Mozart dans son Don Giovanni, a été redécouverte à la fin du XXe siècle. Sur un livret de Lorenzo da Ponte, elle a été créée à Vienne en 1787, justement l’année du Don Giovanni, à l’occasion de la visite d’une nièce de Joseph II: c’est une comédie légère, de circonstance, sur une musique vraiment intéressante. Si vous êtes à Vienne, il faut y aller.

Gian Carlo Menotti
Amahl and the Night visitors
11 repr du 15 au 27 déc – Dir : Magnus Loddgard/MeS : Stefan Herheim
Avec un soliste du Wiener Sängerknaben (Amahl), Nikolay Borchev, Wilhelm Schwinghammer etc…
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Un opéra pour les familles (et donc pour les enfants) dont Stefan Herheim assure la mise en scène et c’est Magnus Loddgard chef d’orchestre norvégien installé à Berlin, qui en assure la direction musicale. Amahl and the Nicht visitors créé en 1951, est le premier opéra créé pour la télévision, inspiré par L’adoration des mages de Jérôme Bosch. Un Opéra/opérette idéal pour les fêtes, chanté par un jeune chanteur du Wiener Sängerknaben et quelques bons chanteurs comme Nikolay Borchev et Wilhelm Schwinghammer. La mère étant chantée par Dshamilja Kaiser, un rôle qui fut de Teresa Stratas.

Janvier 2023
Jacques Offenbach
La Périchole
8 repr. du 16 au 31 janvier – Dir : Jordan de Souza/MeS : Nilolaus Habjan
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
On commence l’année par une œuvre légère, de nouveau, et quelle œuvre puisqu’il s’agit de La Périchole d’Offenbach dirigée par Jordan de Souza, excellent chef qu’on a entendu souvent à la Komische Oper de Berlin et mise en scène par Nikolaus Habjan, jeune metteur en scène autrichien dont on a vu à Bayreuth la performance autour de Rheingold autour de l’étang du parc « Rheingold – immer noch Loge » fait avec des marionnettes, puisqu’il en est un spécialiste. Il a été metteur en scène en résidence au Theater an der Wien précédemment. C’est Anna Lucia Richter qui sera Périchole. Ce devrait être assez singulier

Février-mars 2023
Peter Eötvös
Der goldene Drache (Le dragon d’or)
8 repr. du 14 fév. au 3 mars – Dir : Walter Kobéra MeS : Jan Eßinger
Klangforum Wien PPCM Academy (Performance Practice in Contemporary Music (PPCM)
Kammeroper
Certains ont pu voir cette œuvre de Théâtre musical à Genève où elle était présentée à la Comédie de Genève en parallèle avec Sleepless, les drames qui se vivent derrière les cuisines d’un restaurant asiatique « Le dragon d’Or. A Genève, c’était l’excellent Julien Chavaz qui mettait en scène, ici la mise en scène est confiée à Jan Eßinger jeune metteur en scène allemand qui a travaillé comme assistant dans de nombreuses maisons allemandes et qui a aussi commencé à mettre en scène à Detmold et Heidelberg. C’est Walter Kobéra, un des chefs de musique contemporaine reconnus à Vienne, qui assure la direction musicale.  Une œuvre intéressante, un compositeur qui fait partie des maîtres ‘aujourd’hui dans le cadre intimiste de la Kammeroper avec l’excellent Klangforum Wien engagé dans un projet universitaire, le PPCM (voir ci-dessus)

 

Février-mars 2023
Georg Friedrich H
aendel
Belshazzar
6 repr. du 20 fev. au 2 mars – Dir : Christina Pluhar/MeS :Marie-Eve Signeyrole
Avec Robert Murray, jeanine De Bique, Vivica Genaux, Michael Nagl
L’Arpeggiata
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Direction musicale excitante, Christina Pluhar (qui est autrichienne et qui vit à Paris) et son ensemble L’Arpeggiata comptent parmi les ensembles baroques les plus demandés, et Marie-Eve Signeyrole est l’une des metteuses en scène à laquelle la scène germanique s’intéresse de plus en plus (elle vient de signer L’infedeltà delusa de Haydn à la Staatsoper de Munich. Distribution splendide pour ce répertoire. Que demander de plus ; c’est un incontournable pour les amoureux du baroque.

Mars-avril 2023
Carl Maria von Weber
Der Freischütz
6 repr. du 22 mars au 3 avril – Dir : Patrick Lange/MeS : David Marton
Avec Jacquelyn Wagner, Sofia Fomina, Alex Esposito ; Tuomas Katalaja
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Un opéra relativement rare et difficile à réaliser, malgré sa célébrité. Très solide distribution, très solide direction musicale de l’excellent Patrick Lange, et mise en scène qui devrait être passionnante de David Marton, que les lyonnais connaissent bien (Capriccio, Orphée et Eurydice, Doin Giovanni, La Damnation de Faust) et qui est l’une des personnalités scéniques les plus intéressantes aujourd’hui.
Peut valoir le voyage.

Avril-mai 2023
Mieczysław Weinberg
Идиот (L’Idiot)
5 repr. du 28 avril au 7 mai – Dir : Michael Boder – MeS: Vasily Barkhatov
Avec Dmitry Golovnin, Natalya Pavlova, Kostas Smoriginas etc…
ORF Symphonieorchester
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Weinberg revient sur les scènes, et son opéra L’Idiot, d’après Dostoïevsky, composé entre 1985 et 1989 créé à Mannheim en 2013. Direction du très solide Michael Boder et mise en scène de Vasily Barkhatov, un des metteurs en scènes russes travaillant assez souvent en Allemagne ; et ce sera Dmitry Golovnin, l’un des meilleurs ténors russes, spécialiste des rôles de caractères et psychologiquement fragiles qui assumera le rôle-titre.
À ne pas manquer

Mai-juin 2023
Alban Berg
Lulu
6 repr. du 27 mai au 6 juin – Dir: Maxime Pascal/MeS: Marlene Monteiro Freitas
Avec Vera-Lotte Böcker, Bo Skovhus, Kurt Rydl, Edgaras Montvidas, Anne Sofie von Otter
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Wiener Festwochen
Un projet passionnant conduit par l’artiste totale cap-verdienne Marlene Monterio Freitas, et par Maxime Pascal, passionné par la modernité, qui se lancent tous deux dans une Lulu de Berg et seulement de Berg (les deux premiers actes) et pour le troisième, une proposition appuyée sur la Lulu Suite et sur l’inventivité de la danseuse et chorégraphe bien connue.
Distribution composée notamment de Vera-Lotte Böcker, désormais appelée sur toutes les grandes scènes, Bo Skovhus et Anne Sofie von Otter, autant dire exceptionnelle
À ne pas manquer.

 

Juin 2023
Erich Wolfgang Korngold
Die stumme Serenade
10 repr. du 5 au 25 juin – Dir : Ingo Martin Stadtmüller/ MeS : Dirk Schmeding
Wiener Kammerorchester
Kammeroper
Une comédie en musique peu connue écrite pour petit ensemble de Korngold, créée en 1951 à son retour d’exil, faite de musique de film, de jazz mais aussi de réminiscences de ses opéras d’avant exil, intrigue invraisemblable. Pour ce petit chef d’œuvre, une équipe jeune, une fois de plus, le chef Ingo Martin Stadtmüller, GMD au Schleswig-Holsteinischen Landestheater tout au nord de l’Allemagne, et une mise en scène de Dirk Schmeding, qui après avoir un peu trouné comme assistant dans de grandes maisons allemandes, commence à faire des mises en scène, notamment à Braunschweig et Graz. Œuvre totalement inconnue, à découvrir bien évidemment pendant un jour libre d’un des Ring de la Staatsoper.

A côté des productions, très régulièrement, des opéras du répertoire baroque en version concertante pendant toute la saison, très bien distribués (Cencic, Deshayes etc…) et avec des chefs de tout premier ordre (Jacobs, Pluhar, Rousset, Dantone etc…) en voici la liste :

  • 16/10/2022 : Agostino Steffani La Lotta d’Ercole con Acheloo
  • 19/11/2022 : Antonio Vivaldi Il Tamerlano
  • 22/11/2022 : Antonio Caldara Il Venceslao
  • 19/12/2022 : Bach/Scarlatt : Magnificat
  • 24/01/2023 : Haydn Orfeo ed Euridice (L’anima del Filosofo)
  • 25/02/2023 : Händel goes Wild, Oeuvres de Haendel
  • 01/03/2023 : Lully, Thésée
  • 25/03/2023 : Haendel, Alexander’s Feast
  • 04/05/2023 : Porpora, Il Polifem
  • 13/06/2023 : Telemannia Telemann & friends

Programmes et distributions consultables sur le site du Theater an der Wien, très clair https://www.theater-wien.at/de/spielplan

 

Conclusion :
Entre les opéras à la Kammeroper, avec des équipes jeunes, stimulantes et des œuvres à découvrir, et la liste des opéras au programme, alternant découvertes et œuvres célèbres, mais plus rarement représentées ou opérations expérimentales, avec des chefs solides et des metteurs en scène le plus souvent passionnants, ainsi que les opéras baroques en version de concert, on tient sans doute là la saison la plus intelligente et la plus séduisante de ce que nous avons pu voir jusque-là, alternant raretés et œuvres consacrées, mais toujours vues sous un angle original
Une telle saison ne peut se concevoir que dans une grande ville, en  complément d’un grand théâtre de répertoire ou d’un grand opéra de type Ciovent Garden ou Opéra de Paris: elle ne saurait être la saison d’un théâtre de Stagione comme le Teatro Real, le Grand Théâtre de Genève, La Monnaie ou Lyon car leur cahioer des charges ets forcément plus “généraliste”, pour un public le plus large possible. Cette suppose un public curieux, peut-être plus averti, ouvert à la modernité, ouvert aussi à de nouvelles équipes, et aux jeunes et non un public de consommation occasionnelle.
C’est une saison qui donne envie, tout simplement.
Tentez le Theater an der Wien, il en vaut la peine.

 

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO ALLA SCALA

La saison de la Scala est parue et avec elle son cortège de discussions et de considérations diverses. Il y a ceux qui défendent les choix et il y a ceux qui s’en désolent, comme de juste. Mais en l’occurrence la Scala ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité. Au vu de cette saison et de quelques autres il est clair que le Teatro alla Scala peine à rester un leader artistique en Europe. Certes le théâtre reste un phare « mythique », mais sa programmation n’a plus la force d’entraînement qu’elle a pu avoir jadis, et elle n’est plus une référence musicale, sauf à de rares exceptions. La Scala est essentiellement un objet médiatique qui fonctionne encore…. Si la saison est attendue avec curiosité, c’est par un vague espoir que ses couleurs en seront ravivées. Ce n’est encore pas le cas pour 2022-2023.

Il y a déjà belle lurette que la Scala n’est plus la référence européenne  ou “le plus grand théâtre lyrique du monde”, même s’il en est encore sans aucun doute le plus célèbre : pas de productions phares, pas de voix nouvelles découvertes, peu de chefs d’envergure – nous avions à ce propos la saison dernière proposé une comparaison cruelle avec une saison du passé.
Mais, plus étonnant, la Scala est en train de perdre aussi ce statut en Italie où d’autres institutions proposent des productions qui attirent plus, des spectacles plus avancés, plus intelligemment distribués et plus ouverts. En bref qui font plus envie.
Cette maison vit sur sa gloire passée, sur son histoire et sa mythologie, et c’est un peu ce qui lui reste: une force d’inertie. Mais elle n’a plus de couleur artistique claire, comme si le pouvoir avait été pris par un algorithme qui prévoit un certain nombre de productions selon des recettes qui recommandent la voie moyenne, sinon quelquefois la poussière, à tous les niveaux. Une saison anonyme, qui n’apparaît être faite que par dosages sans envie, et pourtant malgré une vraie variété dans l’offre et des choix qui peuvent sans aucn doute séduire: paradoxal, je sais.

Les innovations, on les trouve dans un nouveau design pour l’image du matériel promotionnel de la Scala (à part les affiches et « locandine » historiques) ou une façade qui va retrouver les couleurs originales voulues par son architecte Piermarini et un nouveau bâtiment qui agrandit les espaces arrière. La Scala s’agrandit, la Scala ne cesse de se moderniser, c’est parfait, mais pour quelle politique?
Si innovation et couleur pouvaient aussi inonder autre chose que design et façade, on penserait moins à Potemkine…

Il y a longtemps que le spectateur que je suis a constaté cette très lente dégradation : elle ne date pas de cette année ni de la saison précédente, elle a commencé par l’ère Muti, qui au moins avait pour garantie un chef d’envergure dont on pouvait ne pas partager les options, mais qui était très présent . Il y a eu aussi la période Barenboim qui a redonné du brillant, même si Stéphane Lissner était critiqué : mais tout de même, Lohengrin de Claus Guth avec Kaufmann et Harteros, Tristan de Chéreau avec Meier, et le Ring de Cassiers, ou La Traviata de Tcherniakov avec Gatti en fosse, qu’on partage ou non les options des mises en scène, tout cela avait de la gueule.
On chercherait en vain un spectacle qui ait « de la gueule » aujourd’hui, malgré des forces locales toujours exceptionnelles quand elles sont motivées et emportées par l’envie: c’est un point à souligner, choeur, orchestre, et techniciens restent parmi les équipes les plus enviables au monde.
Quant à la saison, un peu de Kaufmann et un peu de Netrebko ne font pas une saison brillante, même si, reconnaissons-le, les temps que nous traversons sont difficiles pour tous les théâtres : mais comment expliquer que la Scala, le théâtre le mieux doté d’Italie, soit l’un des moins stimulants ?

Sur les 14 productions d’opéra certaines peuvent attirer et même valoir le voyage, d’autres choix sont inexplicables et d’autres enfin sans autre intérêt que remplir un agenda. C’est une somme sans ligne, parce que cela va dans tous les sens. Pas de ligne artistique, mais simplement un souci de gestion des attentes supposées du public. Il aime Bohème de Zeffirelli ? on lui donne La Bohème de Zeffirelli. Il rêve au nom de Strehler, si lié à cette maison, on lui sert des Nozze di Figaro qui ne sont que la resucée en moins bien du spectacle parisien. Qu’importe puisque tout le monde, depuis 1981 (date de la production) a oublié…
La politique des metteurs en scène évite soigneusement les grands noms qui circulent dans toute l’Europe et même aux USA aujourd’hui (même à New York qui est pourtant un temple du conservatisme), on cherche soit les morts, les poussiéreux qui l’étaient déjà il y a vingt ans et au mieux ceux qui frôlent de loin une apparence de modernité non dérangeante en se risquant à un ou deux noms à la mode qui apaiseront les regards critiques.

En fait, on n’aime pas le théâtre en ce moment à la Scala. C’est assez singulier dans cette maison, qui accueillit Visconti, Strehler, Ronconi, Lioubimov, Vitez, Ponnelle, Wilson et plus récemment Tcherniakov, Cassiers, Bondy et Chéreau. Mais le phénomène a commencé dès le mandat de Riccardo Muti comme directeur musical, où les spectacles ont perdu de leur intérêt. Le passage de Lissner, si décrié par certains milanais, à un peu rafraîchi l’offre, mais celui d’Alexander Pereira est resté bien trop prudent en la matière.
Mais qu’un Barrie Kosky qui n’est pas un révolutionnaire soit encore inconnu à Milan, ou pire, un italien comme Romeo Castellucci, salué dans le monde entier, c’est tout de même d’un ridicule achevé. On leur préfère Davide Livermore, herméneute de la superficialité insignifiante, qui a son rond de serviette depuis des années et dont on reverra le Macbeth insupportable cette année, avec, en plus une nouvelle production des Contes d’Hoffmann sans doute plumes, paillettes et vidéo.
Même étrangeté dans la politique des chefs d’orchestres, erratique, entre très grands noms particulièrement légitimes et chefs de répertoire à la viennoise (ce qui n’est pas forcément un compliment) dans le théâtre le plus symbolique du système stagione, où le choix du chef est essentiel pour chaque production, où comme disait il y a 50 ans Paolo Grassi, le résultat de la représentation du soir est déterminant et où la programmation devrait être, disent d’autres, le Festival permanent: quand on est la Scala, trouver une dizaine de chefs de bon profil ne doit pas être si difficile … Visiblement, comme on ne les trouve pas, cela signifie qu’ils sont ailleurs et que la Scala n’a plus de pouvoir d’attraction, ou bien, plus vraisemblable, qu’on n’a pas envie de les chercher.
Mais c’est aussi un débat qui remonte à très loin puisque déjà Carlo Fontana répondait que les « grands » chefs ne voulaient plus faire d’opéra hors de leur propre maison. Alors quand on regarde le passé,  les saisons de la Scala sont quelquefois contrastées mais dans l’ensemble elles se tiennent du point de vue des choix de chefs, comme le montrent les cinq exemples ci-dessous : il y a des noms très connus aujourd’hui, mais à l’époque, c’était des chefs plus jeunes, voire débutants, et leur carrière depuis montre que le théâtre avait eu du nez…
Cinq saisons au hasard ( 3 sous Carlo Fontana/Riccardo Muti, et 2 sous Stéphane Lissner/Daniel Barenboim) assez différentes et considérons seulement  les noms des chefs invités

  • 1988-1989 :
    (saison avec tournée du Bolchoï) Riccardo Muti, Seiji Ozawa, Gianandrea Gavazzeni, Daniele Gatti (débuts), Alexandre Lazarev (Bolchoï), Andrei Christiakov (Bolchoï), Gary Bertini, Tiziano Severini, Lorin Maazel, Gennadi Rozhdestvenski, Zoltan Pesko
    Riccardo Muti, directeur musical (6 productions)
  • 1997-1998 :
    Zoltan Pesko, Massimo Zanetti, Gianluigi Gelmetti, Riccardo Muti, Donald Runnicles, Adam Fischer, Valery Gergiev, Bruno Campanella
    Riccardo Muti, directeur musical (3 productions)
  • 1998-1999 :
    Riccardo Muti, Bruno Bartoletti, Giuseppe Sinopoli, Mstislav Rostropovitch, David Robertson, Riccardo Chailly, Gary Bertini.
    Riccardo Muti, directeur musical (5 productions)
  • 2010-2011:
    Daniel Barenboim, Omer Meir Wellber, Daniel Harding, Edward Gardner, Roland Boër, Susanna Mälkki, Yannick Nézet-Séguin, Franz Welser-Möst, Nicola Luisotti, Antonello Allemandi, Rinaldo Alessandrini, Roberto Abbado, Philippe Jordan, Valery Gergiev
    Daniel Barenboim, (1 production) n’était pas encore directeur musical il le sera la saison suivante.
  • 2011-2012
    Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel, Daniele Rustioni, Enrique Mazzola, Fabio Luisi, Gianandrea Noseda, Robin Ticciati, Andrea Battistoni, Nicola Luisotti, Marc Albrecht, Marco Letonja, Omer Meir Wellber
    Daniel Barenboim, directeur musical (2 productions)
    Ces cinq exemples parlent d’eux mêmes.

_____

Cette saison Il y a quatorze productions d’opéra entre reprises et nouvelles productions.
On compte donc :

Nouvelles productions :

Boris Godounov
I Vespri Siciliani
Les contes d’Hoffmann
Li Zite n’galera
Lucia di Lammermoor
Rusalka
Peter Grimes
L’Amore dei tre re’

Reprises :
Salomé : même si la production n’a pas été vue par le public, elle a été, répétée et retransmise en streaming en 2021, c’est donc une reprise.
La Bohème
Andrea Chénier
Macbeth
Il Barbiere di Siviglia
Le nozze di Figaro

Au palmarès des compositeurs :

Répertoire italien
1 Vinci
1 Rossini
1 Donizetti
2 Verdi
1 Puccini
1 Giordano
1 Montemezzi

Répertoire non italien
1 Mozart
1 Offenbach
1 Moussorgsky
1 Dvořák
1 R.Strauss
1 Britten

Un peu de tout, couvrant scrupuleusement toutes les périodes de l’art lyrique, des compositeurs au profil classique, des metteurs en scène éprouvés sinon éprouvants, quelques bons à très bons chefs et deux chefs de grande envergure dont le directeur musical, d’autres chefs qui ailleurs font du répertoire pour une bonne moitié des productions, et des distributions correctes sans remuer les tripes.
J’ai lu avec amusement à propos de cette saison « pluie de stars » : il faudrait s’entendre sur la qualification de « star » Yoncheva ? Rebeka ? Allons donc… J’en trouve trois sur 14 productions, Kaufmann, Netrebko, Flórez… une bruine plutôt qu’une pluie. Et d’ailleurs, les stars viennent sur une ou deux productions, jamais plus, donc c’est un épiphénomène.

 

Décembre 2022
Modest Moussorgski
Boris Godounov

8 repr.(comprises l’Avant-première jeunes (4/12) et la « Prima » (7/12) et du 10 au 29 déc.) – Dir : Riccardo Chailly / MeS : Kasper Holten
Avec Ildar Abdrazakov, Ain Anger, Misha Didyk, Norbert Ernst…
43 ans après la production mythique de Iouri Lioubimov, dirigée par Claudio Abbado dans la version originale (version 1872) de Moussorgski (qui en fait lança cette musique dans tous les théâtres du monde jusque-là habitués à la version Rimsky), la Scala produit un nouveau Boris Godounov. Certes, depuis 1979, l’œuvre a été reprise en 1980-1981, puis le Bolchoï en 1988-1989 l’a présentée en tournée, et Gergiev a dirigé les forces de la Scala dans la production du Mariinski en 2001-2002, mais c’est la première production « maison » du chef d’œuvre de Moussorgski depuis 1979.
En outre, cette ouverture de saison sera marquée par la présentation de la version originale de 1969. Évidemment la direction de Riccardo Chailly sera particulièrement guettée car c’est là que se situe le plus grand intérêt. La distribution solide est quand même assez attendue, avec Ildar Abdrazanov en Boris, évidemment inévitable, avec un Ain Anger en Pimen qu’on eût pu peut-être éviter (ses dernières prestations sont médiocres), mais Misha Didyk est un autre des chanteurs « attendus », qui a l’avantage d’être ukrainien (important un soir de Prima) encore qu’il y ait des ténors russes aujourd’hui bien plus intéressants dans ce rôle. Norbert Ernst en Shuiski en revanche est une jolie idée.
La mise en scène est signée de Kasper Holten, qui avait fait un Ring remarqué à Copenhague en 2006, mais qui depuis n’a pas imprimé les mémoires par des productions notables.
Le débat a porté dans la critique italienne sur la présence d’un entracte, qui ne se justifie pas dans la version de 1869. Mais comment peut-on imaginer une Prima du 7 décembre sans entracte, autant enlever 95% de l’intérêt de la soirée… Enfin, Der fliegende Holländer, qui se joue sans entracte partout dans le monde, a des entractes à la Scala… Quand on vous dit que ce théâtre est unique…

Janvier 2023
Richard Strauss
Salomé

6 repr. du 1er au 31 janv. – Dir : Zubin Mehta/MeS : Damiano Michieletto
Avec Vida Miknevičiūtė, Michael Volle, Wolfgang Ablinger Sperrhacke, Linda Watson…
Comme ailleurs, les productions sacrifiées sur l’autel du Covid reviennent devant le public. Celle-ci avait été doublement frappée : d’une part Zubin Mehta, prévu, avait déclaré forfait et c’est Riccardo Chailly qui avait dirigé à sa place (magnifique interprétation d’ailleurs), et d’autre part, le confinement avait contraint la Scala à une reprise en streaming. Cette année, Mehta revient, et c’est l’attraction.
La production de Michieletto (qui ne m’a pas enthousiasmé) va enfin avoir droit à son vrai public, et attraction supplémentaire, c’est Vida Miknevičiūtė aujourd’hui appelée partout, qui va faire sa première apparition à la Scala en Salomé. Vaut le voyage donc, d’autant que Iochanaan sera l’immense Michael Volle, sauf le 31 janvier où ce sera Tomasz Konieczny. Hérode de choix avec Wolfgang Ablinger Sperrhacke, le meilleur ténor de caractère de langue allemande mais grave chute de goût avec Linda Watson en Hérodias quand on a sur le marché désormais Waltraud Meier… Conclusion : vaut le voyage

 

Février 2023
Giuseppe Verdi
I Vespri Siciliani

7 repr. du 28 janv. au 21 fev. – Dir : Fabio Luisi/MeS : Hugo de Ana
Avec Marina Rebeka/Angela Meade, Piero Pretti, Luca Micheletti/Roman Burdenko, Dmitry Beloselskiy.
Cette production n’est pas en soi une mauvaise idée : depuis la production Pizzi dirigée par Riccardo Muti en 1987-1988 et 1989-1990, pas de Vespri Siciliani à la Scala. Il est vrai aussi que ce n’est pas un titre typiquement scaligère. La confier à Fabio Luisi, solide, élégant, très ductile, ce n’est pas non plus un mauvais choix d’autant qu’il est très aimé de l’orchestre.
Mais donner la mise en scène à Hugo de Ana, qui avait déjà au début des années 2000 massacré un Trovatore dirigé par Muti, c’est une très mauvaise idée. De Ana est peut-être(?) un bon décorateur, mais un mauvais metteur en scène, et il écume les scènes depuis des années sans rien faire de vraiment original. De la vieillerie.
Distribution correcte sans être exceptionnelle, Marina Rebeka fait de belles notes, mais c’est de la glace à aigus. Angela Meade est une vraie Elena (entendue jadis au MET, et avec quel éclat !): si vous y allez, mieux vaut choisir les 11 ou 21 février. Piero Pretti est un bon ténor, mais sans grande personnalité, Dmitry Beloselskiy une belle basse, mais quand on a en Italie un Roberto Tagliavini… Pour Monforte, du neuf, Luca Micheletti qu’on voit plusieurs fois dans la saison, et Roman Burdenko, plus habituel.
Enfin, quand tous les théâtres désormais proposent le plus souvent la version originale en français, la Scala se distingue en programmant la traduction italienne. C’est une faute pour un théâtre qui se dit un temple verdien.
L’Opéra de Rome inaugura sa saison en 2019 par la version française « Les Vêpres siciliennes » sous la direction d’un Daniele Gatti au sommet. Ainsi on évitera les comparaisons…
Un spectacle globalement inutile des choix discutables, qui part sous de mauvais auspices.

Mars 2023
Giacomo Puccini
La Bohème

8 repr. du 4 au 26 mars – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Marina Rebeka/Irina Lungu, Irina Lungu/Mariam Battistelli, Freddie De Tommaso, Yongmin Park, Luca Micheletti
Présenter la énième fois la Bohème de Zeffirelli a été raillé par certains commentateurs ; je ne suis pas de cet avis dans la mesure où cette production attire à chaque fois un public ravi et qu’elle est une signature du théâtre, un des symboles de cette maison. Et donc on peut comprendre.
On peut comprendre aussi l’appel à la jeune cheffe Eun Sun Kim, qui dirige beaucoup en Europe. Et c’est aussi une bonne idée de faire appel à Freddie De Tommaso comme Rodolfo, qui est l’une des voix nouvelles intéressantes du répertoire italien qu’on commence à s’arracher, et le faire débuter à la Scala en Rodolfo qui n’est pas un rôle trop difficile, pourquoi pas ?
Pour le reste, Marina Rebeka en Mimi, ça n’a aucun intérêt, tant les Mimi écument les salles, et Rebeka ne me semble pas avoir le cœur puccinien (en tous cas elle ne me fait pas pleurer) et donner à Irina Lungu Mimi et Musetta en alternance, est-ce une si bonne idée ? On s’ingénie habituellement à bien séparer les deux typologies vocales.
Pour une Bohème à la Scala, l’alternative est simple : ou bien on appelle des stars, et là on crée un événement, ou bien on compose une distribution de jeunes très prometteurs (chef compris), sur Bohème c’est sans grand risque et il y a en Italie des chefs et des cheffes jeunes capables de diriger.
Là on est dans un entre deux, un peu fade, qui ne donne pas vraiment envie.

Mars 2023
Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann

6 repr. du 15 au 31 mars – Dir : Frédéric Chaslin/MeS : Davide Livermore
Avec Vittorio Grigolo, Ildar Abdrazakov, Eleonora Buratto, Federica Guida, Francesca Di Sauro, Marina Viotti
Pendant la saison 1994-1995, Les Contes d’Hoffmann fut signé Alfredo Arias et dirigé par Riccardo Chailly. Ça ne manquait pas de gueule. La production fut reprise plusieurs saisons et remplacée en 2012 par celle bien connue de Robert Carsen.
Une nouvelle production, pourquoi pas ?
Comme une saison n’est pas concevable aujourd’hui à la Scala sans Davide Livermore, on lui donne l’opéra fantastique, avec ses jeux d’images vidéos dont il a le secret, quelle que soit l’œuvre, mais au moins celle-ci s’y prêtera. Direction musicale Frédéric Chaslin, très apprécié par Dominique Meyer (bien moins par d’autres) et une distribution que Marina Viotti, Ildar Abdrazakov, Vittorio Grigolo et Eleonora Buratto rendent très solide.
Dans une saison qui ne brille pas par l’originalité, et où on donne pas mal de platitudes de luxe, des Contes d’Hoffmann paillettes sur scène peuvent attirer. Ne vaut pas le voyage en tous cas pour mon goût.

Avril 2023
Leonardo Vinci
Li zite n’galera
5 repr. du 4 au 21 avril – Dir : Andrea Marcon/MeS: Leo Muscato
Avec Raffaele Pe, Marco Filippo Romano, Francesca Aspromonte, Cecilia Molinari etc…
Leo Muscato, vous vous souvenez ? Celui qui avait inversé la fin de Carmen au nom de l’honneur des femmes…
Metteur en scène sans grand intérêt (cependant meilleur dans le comique) mais qui a deux productions à la Scala cette année, comme quoi…
Andrea Marcon, au contraire est l’un des maîtres du répertoire baroque en Italie, une référence internationale. Et donc, c’est un choix judicieux pour cette œuvre inconnue, une commedia per musica, créée à Naples en 1722.
Dans la distribution, Raffaele Pe le contre-ténor et d’autres spécialistes bien connus de ce répertoire. Tout cela fait, si on ferme les yeux sur Muscato (à moins qu’il ne trouve l’inspiration, ce qui est toujours possible), une production qui devrait valoir le voyage, rien que par curiosité.

 

Avril-Mai 2023
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

8 repr. du 13 avril au 5 mai – Dir : Riccardo Chailly/MeS :  Yannis Kokkos
Avec Boris Pinkhasovich, Lisette Oropesa, Juan Diego Flórez, Ildebrando D’Arcangelo, Leonardo Cortellazzi
Avec Flórez, Oropesa et Chailly en fosse, c’est un tiercé gagnant, qui devait être de la Prima annulée pour Covid en 2020 et remplacée par ce spectacle ridicule télévisé réalisé par Davide Nevermore, oh pardon, Livermore.
Entourés, en plus par Boris Pinkhasovich : la Scala va découvrir l’un des meilleurs barytons actuels, et Ildebrando d’Arcangelo bien connu, c’est la garantie d’un succès.
Pour la mise en scène, la dernière, pas géniale mais passable, venait du MET (Mary Alice Zimmermann), et l’avant-dernière était signée Pier’Alli, mieux. Pourquoi faire une nouvelle production si les autres sont encore dans les cartons ? Lucia est l’un de ces titres qui n’a pas besoin de changer si souvent et la production Zimmermann tenait le coup. Alors on fait du neuf (?)… en appelant Yannis Kokkos.
Le décorateur de Vitez (mort en 1990) est un décorateur souvent inspiré mais jamais ne fut un metteur en scène, sauf peut-être pour Les Troyens, sa production qui a le plus marqué, un peu comme le bien plus médiocre Hugo De Ana (voir plus haut). En tous cas pas un metteur en scène d’avenir, mais plutôt des années 1990. Un choix peu explicable sinon par la peur de la nouveauté.
Mais devrait, pour la musique, valoir le voyage.


Mai 2023
Umberto Giordano
Andrea Chénier
7 repr. du 3 au 27 mai – Dir : Marco Armiliato/MeS : Mario Martone
Avec Sonya Yoncheva, Yusif Eyvazov/Jonas Kaufmann, Ambrogio Maestri / Amartuvshin Enkhbat , Elena Zilio
Reprise de la mise en scène de Mario Martone qui avait enchanté la Prima de 2017 (Eyvazov, Salsi, Netrebko). La star cette fois est Jonas Kaufmann, et la starlette Sonya Yoncheva qui n’a pas la moitié de la voix de Netrebko… Pour le reste du solide, avec la seule apparition émouvante, celle de Elena Zilio en Madelon. En fosse, Marco Armiliato, qui avec Fedora l’automne prochain arrivera enfin à diriger à la Scala après une carrière qui l’a mené dans tous les grands opéras de la planète pour diriger le répertoire italien. C’est un bon chef sans aucun doute, en particulier dans le vérisme, un chef de répertoire de série A, qui a beaucoup dirigé au MET et à Vienne.
À Vienne qui propose, si vous avez des envies, un André Chénier avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta sous la direction de Francesco Lanzillotta. Comparez, et décidez…

 

Juin 2023
Antonín Dvořák
Rusalka
6 repr. du 6 au 22 juin 2023 – Dir : Tomáš Hanus/MeS : Emma Dante
Avec Dmitry Korchak, Elena Guseva, Olga Bezsmertna, Okka von der Damerau, Yongmin Park
Emma Dante comme metteuse en scène, c’est au moins un nom italien de prestige dont le choix ne peut heurter. Tomáš Hanus en fosse, c’est un très bon chef d’opéra sur ce répertoire qui assurera un niveau musical très enviable. Okka von der Damerau en Jezibaba et Elena Guseva en princesse étrangère, c’est excellent. Mais Olga Bezsmertna en Rusalka, c’est médiocre, et Dmitry Korchak en prince, c’est une idée baroque. Distribution bizarre, faite d’excellentes idées d’un côté et de drôles d’idées de l’autre qui risquent de gâcher la fête.

 

Juin-Juillet 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth

8 repr. du 17 juin au 8 juillet – Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Davide Livermore
Avec Ekaterina Semenchuk/Anna Netrebko, Luca Salsi/ Amartuvshin Enkhbat
Fabio Sartori/Giorgio Berrugi, Jongmin Park
La mise en scène lamentable de Davide Livermore ne sera pas rééquilibrée par la direction de Chailly, remplacé par Giampaolo Bisanti, chef correct sans doute, mais pas pour ce type d’œuvre qui nécessite une toute autre personnalité.  Netrebko en juin-juillet, pour aimanter les premiers touristes qui feront l’aller et retour Vérone-Milan, la solide Semenchuk fera le reste.

Septembre 2023
Gioachino Rossini

Il barbiere di Siviglia
6 repr. du 4 au 18 septembre 2023 – Dir : Evelino Pidò/MeS Leo Muscato
Avec les artistes de l’Accademia del Teatro alla Scala
Orchestra dell’Accademia del Teatro alla Scala.
Toujours excellente idée d’une production de l’Accademia insérée dans le programme annuel. La production est celle de Leo Muscato, qui a remporté un certain succès en septembre 2021, avec Chailly en fosse et une jolie distribution. Ici Evelino Pidò est une garantie de précision pour des jeunes chanteurs et les jeunes musiciens de l’orchestre de l’académie.

Septembre-Octobre 2023
W.A.Mozart
Le nozze di Figaro
7 repr. du 30 sept. au 20 oct – Dir : Andres Oroczo-Estrada/MeS : Giorgio Strehler
Avec Ildebrando D’Arcangelo, Olga Bezsmertna, Luca Micheletti, Benedetta Torre, Svetlina Stoyanova
Andrès Oroczo-Estrada, vient de démissionner de son poste de directeur musical des Wiener Symphoniker après à peine un an d’exercice comme Directeur musical où il succédait à Philippe Jordan. Le chef colombien a une réputation assez solide dans le Mozart symphonique. À noter la comtesse d’Olga Bezsmertna qui m’a vraiment déçu dans ce rôle quand je l’ai entendue à Munich. Ildebrando D’Arcangelo est un chanteur particulièrement rôdé, dans Le nozze où il a chanté Bartolo, Figaro et il Conte Almaviva. Svetlina Stoyanova a chanté Cherubino à Vienne en 2018, Luca Micheletti est metteur en scène devenu chanteur, avec un certain succès et il apparaît plusieurs fois cette saison à la Scala, Benedetta Torre est une jeune chanteuse à laquelle on commence à s’intéresser. Une distribution qui mélange jeunes et moins jeunes. À découvrir seulement si vous êtes par hasard à Milan.


Octobre-Novembre 2023
Benjamin Britten
Peter Grimes

6 repr. du 18 oct. au 2 nov – Dir : Simone Young/ MeS : Robert Carsen
Avec Brandon Jovanovich, Nicole Car, Ólafur Sigurdarson, Natasha Petrinsky
Simone Young est un bon choix pour le chef d’œuvre de Britten, je l’ai entendue à Vienne en janvier dernier et sa direction était très solide. Robert Carsen est Robert Carsen : il n’a plus grand chose à inventer, mais il plaît en Italie où il représente une modernité sans grand risque, donc évidemment en odeur favorable à la Scala. Distribution sans grande saveur cependant, sinon Natasha Petrinsky et Nicole Car, une Ellen Orford sans doute intéressante, mais Brandon Jovanovich en Peter Grimes, ce n’est pas vraiment attirant… Donc une production nouvelle, sur laquelle le théâtre n’a pas l’air de parier, comme si on se disait, « inutile de chercher la distribution idéale, de toute manière le théâtre ne sera pas plein ».

 

Italo Montemezzi
L’amore dei tre re’

5 repr. du 28 oct. au 12 nov – Dir : Michele Mariotti /MeS :Alex Ollé, La Fura dels Baus
Avec Günther Groissböck, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi, Chiara Isotton, Giorgio Misseri
Pour information, deux reprises à la Scala l’une en 1948 (dir.Franco Capuana) et l’autre en 1953 (direction Victor De Sabata), chacune pour trois représentations. Avec les cinq prévues, cela fera 11 représentations en 75 ans… L’œuvre est donc un peu disparue des programmes, même si elle fut un des grands succès du MET où elle fut créée en 1914.
On ne peut pas donc reprocher au théâtre de la ré-exhumer et de parier sur L’amore dei tre re’ d’Italo Montemezzi sur un livret de Sem Benelli, créé à la Scala en 1913. Puisque le centenaire n’a pas été fêté, on fête donc en 2023 le 110e anniversaire de la création qui bénéficia de la direction de Tullio Serafin.
Pour ce retour à la Scala, à 71 ans de la mort de Montemezzi, c’est Alex Ollé, de la Fura dels Baus qui met en scène. Entre Carlus Pedrissa et Alex Ollé, c’est le moins intéressant et évidemment le plus consensuel des deux qui a été choisi dans l’équipe de la Fura dels Baus pour cette production. En revanche musicalement, entre Günther Groissböck qu’on n’attendait pas dans ce répertoire, Roberto Frontali, Giorgio Berrugi et Chiara Isotton, c’est une très belle distribution et en fosse, Michele Mariotti ranimera sans doute la flamme morte, du moins on l’espère. Une œuvre à connaître de toute manière, qui ne jouit pas d’une grande faveur cependant malgré son succès avant la deuxième guerre mondiale.
C’est donc un voyage possible, si vous êtes curieux.

Le Ballet :

Le Ballet de la Scala a une grande tradition classique et ceux qui s’y intéressent se rendront certainement à Milan pour constater les premiers résultats du travail de Manuel Legris et de voir sur scène le dernier arrivé, Jacopo Tissi, « guest », et danseur étoile du BolchoÏ, qui a quitté la Russie suite aux événements que vous savez. Les ballettomanes auront peut-être plus de chance que les lyricomanes. Une saison brillante.

Productions :

Casse-Noisette (Chor. Rudolf Noureev)
Soirée chorégraphes : Dawson, Duato, Kratz, Kylián
Le Corsaire (Chor.Manuel Legris)
Soirée William Forsythe (Chor.William Forsythe)
Romeo et Juliette (Chor. Kenneth Mac Millan)
Gala Fracci
Le Lac des Cygnes (Chor.Rudolf Noureev)
Aspects of Nijinsky (Chor.John Neumeier)

 

Les concerts :

C’est toujours une carte maîtresse du théâtre, et cette année, entre les chefs de premier plan et des petits nouveaux, les concerts sont bien diversifiés et, comme la saison dernière, la programmation musicale hors opéra a des attraits que la programmation lyrique n’a pas toujours.
Les concerts symphoniques mêlent orchestre du Teatro alla Scala pour les grands concerts avec chœur et de la Filarmonica pour les concerts strictement symphoniques
La saison de la Filarmonica peut être consultée sur le site https://www.filarmonica.it/

Novembre 2022
9, 10, 12 novembre
Orchestre du Teatro alla Scala
Chœur de femmes du Teatro alla Scala
Chœur d’enfants de l’Accademia du Teatro alla Scala

Daniele Gatti, direction

Mahler, Symphonie n°3

Gatti grand mahlérien revient pour un des monuments de Gustav Mahler. À ne pas manquer

Janvier 2023
16, 18, 19 janvier
Filarmonica della Scala

Daniel Lozakovich, violon
Riccardo Chailly, direction

Tchaïkovski,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.35
Symphonie n°6 en si mineur op.74 « Pathétique »

Un programme de couleur russe quelques jours après le Boris Godounov d’ouverture

Février 2023
15, 16, 18 février
Filarmonica della Scala

Daniel Harding, direction

Mozart
Symphonie n° 39 en mi bemol majeur KV 543
Symphonie n° 40 en sol mineur KV 550
Symphonie n° 41 en ut majeur KV 551 « Jupiter »

Les trois dernières symphonies de Mozart, par Daniel Harding, assez familier de cette maison. Harding n’est jamais inintéressant,

Mars 2023
6, 8, 10 mars

Filarmonica della Scala

Marc Bouchkov, violon
Lorenzo Viotti, direction

Haydn
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Korngold
Concerto en ré majeur op. 35 pour violon et orchestre
Strauss
Tod und Verklärung op.24

L’un des jeunes chefs désormais chéris de cette maison, engagé dans un programme très diversifié et une rareté, le concerto de Korngold

Avril 2023
24, 27, 28 avril

Filarmonica della Scala

Timur Zangiev, direction

Tchaikovski, Symphonie n°5 en mi mineur op.64
Chostakovitch, Symphonie n°5 en ré mineur op.47

Le jeune chef russe qui a remplacé Gergiev non sans succès dans les Dame de Pique de ce printemps, dans un programme idiomatique.


Mai 2023
18,19,20 mai
Orchestra del Teatro alla Scala
Chœur du Teatro La Fenice di Venezia
Chœur d’enfants de l’Accademia del Teatro alla Scala
Solistes:
Marina, Rebeka, Krassimira Stoyanova, Regula Mühlemann, Okka von der Damerau, Klaus Florian Vogt, Andrè Schuen, Ain Anger

Mahler, Symphonie n°8 en mi bemol majeur “Des Mille”

Immanquable, évidemment

Octobre 2023
11, 12, 14 octobre

Yuja Wang, piano
Zubin Mehta, direction

Messiaen, Turangalila Symphonie pour piano, ondes Martenot, et orchestre

Tout autant immanquable


Concerts exceptionnels


Décembre 2022
22 décembre 2022
Concert de Noël
Orchestre et chœur du Teatro alla Scala
Lauren Michelle, Annalisa Stroppa, Giovanni Sala, Luca Micheletti

Chef des chœurs : Alberto Malazzi

Zubin Mehta, direction

Haydn,
Symphonie n° 104 en ré majeur Hob:I:104 “London”
Messe en ut majeur “Paukenmesse” Hob:XXII:9

Concert de noël désormais traditionnel, au programme alléchant

Mai 2023
11 mai
Concert pour l’anniversaire de la reconstruction de la Scala
Chœur du Teatro alla Scala

Alberto Malazzi, direction

Rossini, Petite messe solennelle pour solistes, chœur, harmonium et deux pianos

Évidemment passionnant

Juin 2023
14 juin
Armonia Atenea
Gaelle Arquez, Max Emanuel Cencic, Julia Lezhneva, Suzanne jerosme, Dennis ORellana, Stefan Sbonnic
George Petrou, direction

Nicola Porpora, Carlo il calvo

Même en version de concert, la distribution vaut le coup .

Orchestres invités

Novembre 2022
19 novembre
Orchestra dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia

Lisa Batiashvili, violon
Antonio Pappano, direction

Beethoven,
Concerto en ré majeur pour violon et orchestre op.61
Schumann,
Symphonie n°2 en ut majeur op.61

Programme très (trop ?) classique.

 

Décembre 2022
3 décembre 2022

English Baroque Solists
Monteverdi Choir

John Eliot Gardiner, direction

Bach,
du « Weihnachtsoratorium » BWV 248
Parties I-II-III

Difficile de manquer Gardiner

Mai 2023
25 mai 2023
Gustav Mahler Jugendorchester

Daniele Gatti, direction

Mahler,
Adagio de la Symphonie n°10
Symphonie n°1 en ré majeur « Titan »

Encore un Mahler, décidément prisé cette année et avec un orchestre de jeunes désormais mythique, jadis créé par Abbado. L’Italie a la chance d’avoir en son sein deux des plus grands chefs mahlériens actuels, qui sont dans la saison de la Scala, il faut en profiter.

Juin 2023
20 juin 2023
Wiener Philharmoniker

Riccardo Chailly, direction

R. Strauss
Don Juan, op 20
Guntram op. 25 Prélude
Feuersnot op.50 Scène d’amour
Ein Heldenleben op.40 Poème symphonique

Un programme Strauss qui offre deux raretés, Guntram et Feuersnot. On ne va pas bouder son plaisir avec un tel orchestre et un tel chef.

 

Récitals

Soulignons encore une fois l’initiative louable de proposer une saison de récitals, profitant souvent de la présence dans les distributions de bien des impétrants. Mais il y a récitals et récitals et je doute de Vittorio Grigolo et Michael Volle rencontrent le même public. Mais c’est aussi habile de réunir des artistes au profil radicalement différent, pour d’authentiques soirées de Lieder (Volle, Werba), de grandes soirées de folie lyrique (Netrebko, Grigolo), de belles soirées vocales (Salsi, Bernheim) et un récital que personne ne doit manquer : Rachmaninov par Evgueni Kissin et Renée Fleming sans doute le must de l’année.
C’est varié, la salle ne sera sans doute pas toujours remplie, mais c’est un programme au dosage assez séduisant.


Décembre 2022
18 décembre
Michael Volle, baryton
Helmut Deutsch, piano

Mozart, Schubert, Liszt


Janvier 2023
8 janvier 2023
Markus Werba, baryton
Michele Gamba, piano

Schubert, Winterreise op.89 D. 911

28 janvier 2023
Renée Fleming soprano
Evgueny Kissin, piano

Rachmaninov

Février 2023
26 février 2023
Vittorio Grigolo, ténor
Vincenzo Scalera, piano

Programme non communiqué

Mars 2023
19 mars 2023
Anna Netrebko, soprano
Elena Bashkirova, piano

Tchaïkovski, Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Glinka

Juin 2023
10 juin 2023

Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Rossini, Bellini, Donizetti, Verdi

Octobre 2023
5 octobre 2023
Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

Chausson, Berlioz, Duparc, Puccini, Verdi

 

Grands pianistes à la Scala

On oublie souvent quand on ne vit pas ou qu’on n’a pas vécu à Milan que la Scala est non seulement le théâtre lyrique que l’on sait, mais aussi le lieu des « grands » concerts et des « grands » récitals. Il y a certes des auditoriums liés à des orchestres locaux (deux) : le troisième c’est celui du Conservatoire Giuseppe Verdi, belle salle mais moins prestigieuse et à la capacité qui ne concurrence pas la Scala. Milan n’a pas en dehors de la Scala un autre grand lieu de rendez-vous musical de prestige.
Alors les grands récitals de piano ont toujours lieu à la Scala, j’y ai par exemple entendu Horowitz, sauf pour certains programmes : un de mes souvenirs les plus frappants fut la deuxième sonate de Boulez par Maurizio Pollini au Conservatoire. Un de ces souvenirs qui poursuivent une vie.
Les solistes invités font partie de la fleur des pianistes du moment, avec le traditionnel concert de Maurizio Pollini, et la conclusion en octobre avec l’immense Igor Levit. De quoi remplir de grandes soirées.

 

Décembre 2022
11 décembre
Khatia Buniatishvili

Mozart, Bach, Chopin, Liszt, Rachmaninov, Prokofiev

 

Février 2023
13 février 2023

Maurizio Pollini

Programme non communiqué


Mars 2023
20 mars 2023

Jan Lisieki

Chopin, Études et Nocturnes

Avril 2023
2 avril

Rudolf Buchbinder

Bach, Suite anglaise n°3 en sol mineur BWV 808
Beethoven, Sonate n°23 en fa mineur op. 57 « Appassionata »
Schubert, Sonate en si bémol majeur D 960

Octobre 2023
22 octobre 2023

Igor Levit

Liszt, Liebestraum n°3
Mahler, Adagio de la Symphonie n° 10 (arrangement Ronald Stevenson)
Wagner, Prélude de Tristan und Isolde (Arrangement Zoltán Koksis)
Liszt, Sonate en si mineur.

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Comme on le voit, comme on a pu le lire, il y a des grands moments à prévoir dans cette saison, mais pas forcément à l’opéra. Ballet, concerts symphoniques, récitals divers devraient offrir de quoi remplir les soirées.

On reste un peu hésitant face au programme lyrique, ce qui est presque un comble concernant la Scala. Des choix souvent ennuyeux, des productions qui ne font pas envie, marquées par la prudence et l’évitement de tout ce qui pourrait secouer les attentes d’un public qu’on doit estimer un peu rassis pour lui servir des choses aussi tièdes.
On connaît ce public de la Scala, très local, ou touristique et d’affaires (les foires) mais on sait aussi que les abonnements ont chuté, que l’on affiche désormais rarement tutto esaurito (complet). À ce type de public, c’est vrai qu’il ne faut servir que du digeste, et surtout pas d’effervescent. Comme d’autres théâtres, la Scala doit se relever des deux années de pandémie, mais la crise du public avait commencé bien avant. On voyait beaucoup de russes et beaucoup d’asiatiques : pour des raisons diverses, les uns et les autres ne voyagent plus. Est-ce la raison de cette prudence affichée pour ne pas heurter le public qui reste ?
Et pourtant, s’il y a des choix difficilement compréhensibles (I vespri siciliani), il y a des titres exigeants ou moins connus (Boris, Salomé, Peter Grimes, Rusalka Macbeth), des titres rares (Li zite n’galera, L’amore dei tre Re’) des titres populaires (Barbiere, Lucia, Chénier, Hoffmann ), des productions mythiques (Nozze, Bohème), c’est à dire une composition soucieuse d’équilibres qui devrait convaincre, et qui ne convainc pas.

Je persiste à croire qu’un peu plus d’ouverture sur les productions et les mises en scène ne devrait pas nuire, je persiste à croire que c’est cette image un peu passéiste des choix scéniques qui jette sur l’ensemble, peut-être injustement, une image poussiéreuse qui n’est pas compensée par des chefs incontestables et des distributions qui font naître l’envie… Mais on continue à l’aimer, ce satané théâtre qui nous énerve tant.

LA SAISON 2022-2023 DE LA WIENER STAATSOPER

Bogdan Roščić continue en 2022-2023, sa troisième saison, le ripolinage (le mot est revenu à la mode lors de notre dernière présidentielle) de la programmation de la Wiener Staatsoper, qui n’apparaît pas aussi aisé qu’on pouvait l’attendre. Les nouvelles productions de sa deuxième saison n’ont pas toutes été accueillies avec faveur par le public et la critique : il est vrai que le public viennois est historiquement plus intéressé par le chant que par les productions proprement dites. La dernière période où de grandes productions (musique, chant et mise en scène) ont été programmées à Vienne fut l’ère Abbado, relativement courte, interrompue par la mort de Klaus Helmut Drese et son remplacement par Eberhard Wächter et Ioan Holender. Entre 1991 et 2020, ce ne sont pas les mises en scènes qui ont marqué cette maison.
Trois décennies, c’est plutôt lourd et ça ne contribue pas à « habituer » un public non aux tendances actuelles de la mise en scène, mais simplement à la question de la mise en scène. D’où des secousses devant un Tristan und Isolde signé Bieito (plus de deux décennies de carrière internationale, petit nouveau apparu il y a deux ans à Vienne avec sa Carmen déjà vénérable et que tout le monde a déjà vue) , voire un Wozzeck de Stone ou un Parsifal de Serebrennikov.
Quant à savoir en revanche si la production du Barbiere di Siviglia signée Herbert Fritsch vaut mieux que la vieille production de Gunther Rennert, c’est aussi un vaste débat : si on remplace une production qui a fait son temps par une autre qui probablement ne fera pas le sien, c’est qu’on a raté son coup. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé le Don Giovanni signé Kosky, le Parsifal signé Serebrennikov, mais je sais que beaucoup ne partagent pas mon avis.
C’est toute la complexité de cette maison, qui a besoin de temps pour accueillir sans tousser ou hurler des productions qui ailleurs ne feraient pas tant de bruit .
Et cette complexité tient à plusieurs données.

  • Un système de répertoire qui reste la racine de cette maison, avec ses conséquences sur les répétitions avec des distributions qui doivent toujours avoir au moins quelques éléments attirants pour le public et surtout sur l’esprit général qui y règne qui est esprit de conservation.
  • Un authentique public de fans: Vienne est à peu près la seule maison où à la sortie des artistes, chaque soir, une quinzaine de personnes a minima attendent les chanteurs et le chef pour des selfies, des photos, des autographes, des signatures de documents, voire des cadeaux. J’ai connu ça à Paris dans les années 1970, aujourd’hui les artistes ne sont pas attendus à la sortie du 120 rue de Lyon.
    C’est encore vrai à Munich et un peu vrai à Berlin, mais pas avec la ferveur et la régularité viennoises. Et ce public vient pour les chanteurs, il ne vient pas pour les mises en scène.
  • La présence depuis 2006 à Vienne d‘un autre Théâtre, le Theater an der Wien, système stagione avec des productions très contemporaines, comme si on se partageait le territoire de l’opéra : à la Staatsoper le conservatoire et au Theater an der Wien la création. D’autant plus que la prochaine saison au Theater an der Wien voit les débuts du metteur en scène Stefan Herheim comme Intendant. Les deux maisons ne sont pas comparables, ni pour la capacité, ni pour le système de production, ni pour les présupposés.

Je persiste néanmoins à penser que l’Opéra de Vienne, sans avoir besoin d’être à la pointe de la modernité scénique – ce n’est pas son rôle- et tout en conservant son cortège de stars du chant (sur lequel le dossier de presse insiste très lourdement) et ses distributions somptueuses, a besoin d’être un théâtre de son temps, dont la couleur productive ressemble peu ou prou à celle des autres théâtres comparables, Berlin, Munich, Hambourg ou Londres. Il s’agit simplement de « rattraper » ce retard de plusieurs décennies.
Au-delà de cette constatation, purement déclarative d’un spectateur fidèle des évolutions de l’opéra aujourd’hui, Vienne a aussi besoin de productions qui durent à cause du système de répertoire dont il était question plus haut. Cela signifie que si les productions nouvelles affichées ne sont pas incontestables par leur force et leur qualité, elles risquent de ne pas durer. Là est le pari.

On comprend alors mieux le geste tant raillé de la première saison où ont été achetées des productions récentes à d’autres théâtres, qui avaient fait leurs preuves ailleurs, et qui enrichissaient la maison au lieu de la plomber (par exemple : L’Eugène Onéguine de Tcherniakov ou Die Entführung aus dem Serail signé Neuenfels), c’était une garantie pour des productions de répertoire car on savait d’avance que ces productions étaient bonnes et pouvaient remonter immédiatement le niveau moyen des productions du répertoire viennois.

Cette nouvelle saison est assez étrange a priori : les nouvelles productions affichées sont intéressantes, mais ne font pas tant saliver les Wanderer lyriques que les Wiederaufnahmen, les productions de répertoire retravaillées dont certaines affolent déjà le Landerneau lyrique… Il reste qu’entre nouvelles productions, Wiederaufnahmen et productions de répertoire (celles qui sont très peu répétées et qui se succèdent au quotidien), on a encore un peu plus de 40 spectacles différents d’opéra dans ce théâtre dont un Ring (de répertoire)… Qui peut s’y comparer ?

Nouvelles productions

Six titres, trois titres qui sont indispensables dans une maison de répertoire, deux titres importants mais moins essentiels pour une maison comme Vienne, et une fantaisie…toute viennoise. Mais il faut juger la saison dans sa globalité, avec les Wiederaufnahme et le répertoire.

Septembre-Octobre 2022/Mai 2022
Gustav Mahler
Von der Liebe Tod
10 repr. en deux séries : 6 repr. du 29 sept au 13 oct et 4 repr. du 6 au 16 mai (Dir.Lorenzo Viotti/MeS : Calixto Bieito)
Avec Vera-Lotte Böcker, Tanja Ariane Baumgartner, Daniel Jenz, Florian Boesch
Une soirée « viennoise », voire une soirée maison autour de Gustav Mahler, qui la dirigea, sans jamais avoir écrit d’opéras et donc une sorte de rentrée au répertoire du compositeur.
Une soirée de Théâtre musical, autour de la mort et à travers Das Klagende Lied et les Kindertotenlieder. Habile moyen de faire un travail de mise en scène qui pourra moins heurter les tenants de la tradition parce que l’on ne touche à aucun titre, et par ailleurs d’inviter pour la première fois à Vienne Lorenzo Viotti, dont beaucoup font grand cas.
Avec des chanteurs aux dons de diseurs tels qu’ils s’imposent naturellement dans une telle soirée.
Une initiative surprenante, et une manière surprenante d’ouvrir les nouvelles productions. Mais il faut tenter. Reste à savoir ce qu’on fera de cette soirée dans le répertoire de la maison.

Décembre 2022
Richard Wagner
Die Meistersinger von Nürnberg
(5 repr. du 4 au 20 déc)(Dir : Philippe Jordan/MeS : Keith Warner)
Avec Michael Volle, David Butt Philip, Hanna Elisabeth Müller, Wolfgang Koch, Georg Zeppenfeld
La précédente production, signée Otto Schenk, remontait à 1975 et la dernière reprise remonte, de manière surprenante à 2012. 77 représentations et 47 ans d’âge, ce sont de bons et loyaux services.
Distribution de haut niveau avec le dialogue Wolfgang Koch en Beckmesser (une prise de rôle) et Michael Volle en Hans Sachs (et qui fut un inoubliable Beckmesser à Bayreuth), et le jeune David Butt Philip en Walther, une des voix émergentes les plus intéressantes du moment, une voix large, capable de chanter aussi bien Florestan de Fidelio que Rodolfo de Bohème.
Georg Zeppenfeld plus habituel en Pogner et Hanna Elisabeth Müller, enfin Eva, on l’attendait depuis longtemps dans ce rôle. Philippe Jordan dans la fosse, c’est naturel vu ses fonctions, et une production signée Keith Warner, modernité sans doute sans provocation. Les enjeux sont forts, il ne faut pas à chaque fois dans Wagner effaroucher le public (comme  pour Parsifal de Serebrennikov et Tristan de Bieito), et surtout dans un titre aussi emblématique. On fera le voyage de Vienne…

Février-Avril 2023
Richard Strauss
Salomé

9 repr. en deux séries : 5 repr. du 2 au 12 fév. et 4 repr. du 21 au 29 avril.)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Cyril Teste)
Avec Gerhard Siegel (Fev)/Jörg Schneider (Avr.), Michaela Schuster, Malin Byström, Iain Paterson etc…
251 représentations depuis 1972, la production de Boreslaw Barlog aux couleurs Sécession a vaillamment donné à l’opéra. Il était plus que temps de la remiser.
Et c’est le français Cyril Teste qui va succéder à cette production, souhaitons-lui de durer autant (50 ans)… C’est une de ses premières mises en scène d’opéra (il fait aussi la saison prochaine Fidelio à Nice) et on est très curieux de voir comment ce spécialiste des relations entre scène et vidéo, va lire l’œuvre de Strauss et la pièce de Wilde. En tous cas, c’est une des surprises positives de cette année.
C’est Philippe Jordan qui, en spécialiste et amoureux de Strauss, compositeur avec lequel il fit ses débuts à l’opéra de Vienne (Capriccio). Et la distribution est composée de spécialistes des rôles, notamment Malin Byström qui fut naguère une grande Salomé à Amsterdam avec Gatti et Van Hove, mais aussi Iain Paterson, et bien sûr Gerhard Siegel et Michaela Schuster, (Hérode et Hérodias) sans oublier Jörg Schneider, une des révélations de de ces dernières années, qui reprend Hérode en avril.
On ne manquera pas cette production, évidemment, et d’abord par curiosité pour le travail de Cyril Teste.

Mars/juin 2022
Mozart
Le Nozze di Figaro
9 repr. en deux séries : 7 repr. du 11 au 26 mars. et 4 repr. du 6 au 17 juin.)
Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky
Avec Andrè Schuen, Hanna Elisabeth Müller, Patricia Nolz, Peter Kellner, Ying Fang etc…
Bogdan Roščić a confié à Barrie Kosky le soin de mettre en scène les trois opéras de la trilogie Da Ponte et la saison 2023-2024 verra sa conclusion avec Così fan tutte. Mozart est évidemment stratégique à Vienne, c’est un des compositeurs « maison », et on ne compte pas le nombre de chanteurs mozartiens légendaires issus de la troupe viennoise. Par ailleurs, les dernières productions signées aussi bien Jean-Louis Martinoty (pour Nozze et Don Giovanni) ou Roberto De Simone (pour Così) n’était pas très satisfaisantes.
J’ai apprécié le Don Giovanni proposé fin 2021, vision abstraite et originale du mythe. On verra si Le nozze di Figaro continue cette veine, où change complètement de direction.
Musicalement, c’est Philippe Jordan qui en assure la direction, ce qui est légitime vu son statut de Directeur musical, les parisiens savent que c’est un chef qui dirige un Mozart solide, classique et assez théâtral.
La distribution montre à la fois un souci de passer à une nouvelle génération de chanteurs : Andrè Schuen vient de faire Figaro (à Aix par exemple), il devient Il conte Almaviva, et Hanna Elisabeth Müller qui était Donna Anna dans Don Giovanni sera la Comtesse : un couple plus jeune que d’habitude.
Bonne part du reste de la distribution vient de la troupe de la maison, aussi bien Peter Kellner (Figaro) que Patricia Nolz, belle chanteuse qui sera Cherubino. Quant au rôle de Susanna, il est confié à Ying Fang, qu’on voit fréquemment dans des rôles mozartiens ou haendeliens, et qui a commencé à chanter sur les grandes scènes du monde, dont New York et Paris.
Et c’est donc une vraie surprise qui attend le spectateur à travers une distribution neuve. Il est vrai qu’on cherche – et sans doute aussi à Vienne- à se constituer un réservoir de bons chanteurs pour Mozart.

Avril 2022
Claudio Monteverdi
Il ritorno d’Ulisse in patria
(5 repr. du 2 au 14 avril) Dir : Pablo Heras Casado/MeS : Jossi Wieler & Sergio Morabito
Avec Georg Nigl, Kate Lindsey, Josh Novell, Andrea Mastroni
Comme c’est étrange : il y a des modes sur des œuvres qu’on va voir plus ou moins adaptées ou arrangées sur plusieurs scènes européennes. Comme on a vu beaucoup L’Orfeo et L’incoronazione di Poppea un peu partout, on s’essaie maintenant à Il ritorno d’Ulisse in patria qu’on verra par exemple à Genève, à Munich, à Barcelone, à Cremone, à Schwetzingen. Mais Bogdan Roščić a programmé depuis son arrivée à Vienne les trois Monteverdi. Il a déjà fait L’Orfeo et L’incoronazione di Poppea. Il programme donc le troisième. Dans une production de Jossie Wieler & Sergio Morabito (qui ont déjà mis en scène Das verratene Meer de Henze) où ce dernier est Chefdramaturg, c’est à dire responsable de la partie « production théâtrale » des opéras. La distribution, dominée par Georg Nigl et Kate Lindsey, (qui sont dans L’Orfeo en juin prochain) est très prometteuse, et c’est Pablo Heras Casado, qui a déjà dirigé L’incoronazione di Poppea, et qui s’apprête en juin à diriger L’Orfeo, qui sera dans la fosse. Ainsi c’est la cohérence musicale qui a été choisie et non la cohérence scénique (comme pour la trilogie Mozart/Da Ponte), puisque les trois Monteverdi ont été réalisés par trois équipes différentes (Lauwers, Morris, Wieler & Morabito). Ce sera de toute manière intéressant à voir.

Mai-Juin 2022
Francis Poulenc
Dialogues de Carmélites

(5 repr. du 21 mai au 2 juin) Dir : Bertrand de Billy/MeS : Magdalena Fuchsberger
Avec Sabine Devieilhe, Bernard Richter, Nicole Car, Michaela Schuster, Eve-Maud Hubeaux
Une seule production, celle de la création en 1959, signée Margherita Wallmann, pour 20 représentations avec la dernière en 1964 justifient cette deuxième production, après 58 ans d’absence. C’est Magdalena Fuchsberger, ex assistante et responsable des reprises à Stuttgart où officiaient Jossi Wieler & Sergio Morabito, qui est chargée de la mise en scène ; on voit donc de qui vient l’idée. Aujourd’hui metteuse en scène, essentiellement dans des théâtres allemands de ville moyennes (Hagen, Lübeck, Heidelberg), cet engagement à Vienne constitue donc un certain enjeu pour cette artiste autrichienne 5 (née à Salzburg) encore jeune.
C’est Bertrand de Billy, bien connu à Vienne qui sera en fosse, avec une distribution solide dominée par Sabine Devieilhe, qui sera Blanche, avec Eve-Maud Hubeaux en Mère Marie et Michaela Schuster en Madame de Croissy.

 

Wiederaufnahmen (Reprises retravaillées)

À peu près  autant de Wiederaufnahmen que de nouvelles productions  avec des distributions de grande classe, sinon immanquables, on comprend le calcul de la Wiener Staatsoper :

  • D’abord, retravailler des œuvres assez rares qui n’ont pas été trop souvent reprises, et qui ne nécessitent donc pas encore de nouvelles productions (La Juive, Jenufa, Lady Macbeth de Mzensk, Cardillac par exemple)
  • Ensuite, retravailler des titres populaires, dont la production peut encore durer (Aida, André Chénier, Fidelio)
  • Valoriser l’ensemble de ces reprises par des distributions séduisantes voire exceptionnelles et ainsi attirer le public et, pour ceux qui viennent de loin, leur permettre d’accéder en même temps aux nouvelles productions souvent qui les accompagnent dans le calendrier.
  • Autre calcul plus « pervers » : on sait que les stars n’aiment pas les répétitions. Une star, c’est bien connu, a des compétences innées… et un agenda si chargé qu’elle n’a pas envie de perdre trop de temps en répétitions alors qu’elle pourrait chanter ailleurs et être grassement payée…
  • Enfin, les polémiques sur les nouvelles productions viennoises et les manœuvres locales habituelles nécessitent que la balance penche aussi vers des distributions qui vont faire taire, puisqu’on pourra dire que Vienne danse avec le feu pour ses nouvelles productions, mais chante avec les stars. Tout cela est de bonne guerre, et met ainsi peut-être le projecteur plus sur les reprises que sur les premières. C’est le calcul qui a déjà été fait dans la saison actuelle avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann dans Peter Grimes.
  • En somme, moins de frais de productions, moins de répétitions qu’une première et l’assurance d’un bon remplissage : tout bénéfice.

Septembre 2023
jacques Fromental Halévy
La Juive
(5 repr. du 5 au 18 sept.) Dir : Bertrand de Billy/MeS : Günter Krämer
Avec Roberto Alagna, Sonya Yoncheva, Nina Minasyan, Günther Groissböck, Cyrille Dubois
207 représentations à Vienne entre 1870 et 1933, deux représentations concertantes en 1981 , 36 représentations entre 1999 et 2015 de la production de Günter Krämer, dominée par la prestation désormais légendaire de Neil Shicoff qui a été quasiment de l’ensemble des reprises jusqu’à la dernière de 2015.
À Neil Shicoff succède Roberto Alagna, magnifiquement entouré par des vedettes du chant actuel comme Groissböck ou Yoncheva, et par des grands espoirs internationaux comme Cyrille Dubois qu’on ne présente pas et Nina Minasyan qu’on a vue à Lyon dans Le Coq d’or.
Dans la fosse, Bertrand de Billy, excellent dans ce répertoire.
Y courir évidemment, indépendamment de la production de Krämer, qui ne présente pas d’intérêt . Mais ouvrir la saison ainsi, c’est ce qu’on appelle un beau coup. 

Octobre 2022
Leoš Janáček
Jenůfa
(5 repr. du 9 au 23 octobre 2022) (Dir : Tomáš Hanus/MeS : David Pountney)
Avec Asmik Grigorian, Violeta Urmana, David Butt Philip, Michael Laurenz.
Jenůfa est entré au répertoire à Vienne en 1918 et a connu depuis 7 productions, la production de David Pountney la septième remonte à 2002 et fut créée par Seiji Ozawa. Elle a connu depuis 36 représentations, et elle est suffisamment bonne pour ne pas nécessiter de nouvelle production.
Cette reprise sera dirigée par Tomáš Hanus, qui vient de diriger l’œuvre à Genève avec grand succès et c’est donc une garantie. La distribution est dominée par Asmik Grigorian (Jenůfa) et Violeta Urmana (la sacristine) du côté des deux frères, Laca est confié au jeune ténor David Butt Philip, que le public découvrira aussi en Walther et Steva à l’excellent Michael Laurenz.
Une distribution solide, un excellent chef, une production qui a fait ses preuves, que demander de plus ?

Novembre 2022
Paul Hindemith
Cardillac
(5 repr. du 2 au 13 nov. 2022) (Dir : Cornelius Meister/MeS : Sven-Eric Bechtholf)
Avec Tomasz Konieczny, Vera-Lotte Böcker, Gerhard Siegel etc…
Cardillac n’est pas une des œuvres qui remplissent les programmes (ni les salles) fréquemment : à Vienne, quatre productions depuis 1927 avec au total des quatre productions et en tout 35 représentations… La dernière, signée Sven-Eric Bechtholf remonte à 2010 et a connu 11 représentations en tout (2010, 2012, 2015). La nouvelle production ne s’impose pas, même si la production Bechtholf est comme les autres productions Bechtholf, sans grand intérêt.
La distribution est solide, avec le Cardillac de l’excellent Tomasz Konieczny et Vera-Lotte Böcker, qu’on commence à voir sur bien des scènes, un des sopranos les plus intéressants du moment. Quant à Gerhard Siegel, c’est un des meilleurs ténors de caractère du marché (un Loge exceptionnel). C’est Cornelius Meister, le GMD de Stuttgartqui sera en fosse, et cela, c’est particulièrement intéressant. Il représente la relève de la direction musicale germanique, et a déjà dirigé depuis quelques années 9 productions à Vienne,

Novembre-décembre 2022
Umberto Giordano
Andrea Chénier
(4 repr. du 30 nov au 9 déc. 2022) (Dir : Francesco Lanzilotta/MeS : Otto Schenk)
Avec Jonas Kaufmann, Carlos Alvarez, Maria Agresta.
La distribution parle d’elle-même. Qui manquera un Andrea Chénier avec Jonas Kaufmann ? L’œuvre a connu à Vienne 4 productions, et Lotte Lehmann chanta Madeleine de Coigny à la première en 1926 mais la quatrième, signée Otto Schenk, a connu 120 représentations depuis 1981 : on ne change pas une production qui gagne, d’autant qu’Andrea Chénier est une de ces œuvres où la mise en scène demande réalisme et reconstitution historique… Francesco Lanzillotta, en fosse, est un des excellents chefs de la nouvelle génération italienne et a dirigé à pour la première fois à Vienne la saison actuelle 21/22 avec succès. On ne présente plus Carlos Alvarez, toujours remarquable, et Maria Agresta devrait être une touchante Madeleine.
Préparez donc votre voyage…

Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Aida
(4 repr. du 14 au 24 Janvier 2023) (Dir : Nicolas Luisotti/MeS : Nicolas Joel)
Avec Elina Garanca, Jonas Kaufmann, Luca Salsi…
Encore un motif de voyage à Vienne, même si la production signée Nicolas Joel ne décoiffe pas (créée en 1984 et 124 représentations quand même), et même s’il ne faut pas attendre grand-chose de la direction de Nicola Luisotti, chef correct de répertoire, routine confortable qui écume la plupart des grands théâtres internationaux sans jamais étonner…
Mais Garanca, Kaufmann et Salsi valent déjà la réservation d’un train de nuit…
Certes Aida n’est pas annoncée, mais on sussurre, on murmure un nom qui circule d’une cantatrice autrichienne à la double nationalité et qui n’a pas encore repris trop de service depuis la guerre en Ukraine… Vous devinez… ?
Si c’est le cas, on campera autour de l’opéra… prudemment, le nom est gardé in pectore par la direction.
A ne pas manquer évidemment, même si personnellement à choisir j’eus préféré Lanzillotta dans Aida et Luisotti dans Chénier

Février-mars 2023
Ludwig van Beethoven
Fidelio
(4 repr. du 22 fév. au 4 mars 2023) (Dir : Axel Kober/MeS : Otto Schenk)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Christof Fischesser, Jochen Schmeckenbecher, Slávka Zámečníková.
Se souvient-on que cette production (260 représentations au compteur) fut créée par Leonard Bernstein en 1970, avec Gwyneth Jones, James King, Theo Adam, Franz Crass, Lucia Popp… ?
Cette reprise est moins prestigieuse sans doute, mais solide, avec la lumineuse Leonore d’Anja Kampe. je suis moins convaincu par Brandon Jovanovich en Florestan, mais ils sont bien entourés, en signalant la délicieuse Slávka Zámečníková en Marzelline, Donna Anna fabuleuse à Berlin, qu’on s’arrachera dans les prochaines années. En fosse, Axel Kober, un des chefs très solides pour ce répertoire.
Une reprise qui tiendra sans doute la distance. À remarquer que les productions d’Otto Schenk sont précieusement conservées dans cette maison où il a tant fait. Et cette reprise retravaillée montre que ce Fidelio en a encore pour quelques années.

Mai-Juin 2023
Dmitry Chostakovitch
Lady Macbeth de Mzensk
(5 repr. du 28 mai au 12 juin 2023) (Dir : Alexander Soddy/MeS : Matthias Hartmann)
Avec Günther Groissböck, Aušrinè Stundytè, Dmitry Golovnin, Andrei Popov etc…
Étonnamment, une seule production de l’opéra de Chostakovitch à Vienne, créé très tardivement (2009) repris deux fois (2015 et 2017) pour un total de 16 représentations. Matthias Hartmann n’est pas un metteur en scène très intéressant (un des représentants d’une fausse modernité sans grandes idées), mais la distribution, dominée par la Katerina d’Aušrinè Stundytè, qui est devenue la référence absolue du rôle depuis six à sept ans (elle a explosé à Anvers dans la production Bieito) à ses côtés Günther Groissböck qu’on ne présente plus et Dmitry Golovnin, que je considère comme l’un des ténors les plus intéressants du répertoire russe, qui sera Serghei.
En fosse, un chef que tous désignent comme l’une des figures du futur de la direction musicale, Alexander Soddy, GMD à Mannheim, qui fut l’assistant de Petrenko à Bayreuth. À écouter avec curiosité d’autant qu’aussi bien à Berlin qu’à Londres, il commence vraiment à intéresser les maisons d’opéra.

Comme on le voit, même sans nouvelles productions, il y aurait de quoi faire quelques voyages viennois tant ces reprises sont somptueusement distribuées.
Considérons maintenant le répertoire, qui comme on le sait à Vienne, ne fait pas l’objet de travail de répétitions longues, mais qui constitue le quotidien de la maison et presque son âme. La question du répertoire, bien au-delà de la question de la troupe, nécessite une organisation technique particulière, avec une occupation de la scène continue, nuit et jour (faire et défaire les décors par exemple) : les horaires de répétitions, les répétitions générales des nouvelles productions dans une maison qui joue quasiment chaque soir nécessitent un agenda serré.
Bogdan Roščić a réduit le nombre de titres proposés pour aérer un peu la programmation et laisser un peu plus d’espace, il a compensé quelquefois en élargissant le nombre de représentations de titres populaires en deux séries distribuées sur la saison, voire trois pour Tosca, avec des distributions un peu ou totalement différentes et des changements de chefs.
Sauf en de rares occasions, chaque distribution a au moins un élément digne d’intérêt, une star, une prise de rôle, une première apparition à Vienne. Du point de vue des productions, dans les représentations de répertoire, on prend ce qu’il y a en magasin, et c’est aussi la raison pour laquelle Bogdan Roščić a acheté des productions réussies qui avaient fait leur temps ailleurs pour rafraîchir la “garderobe”.
Mais on remarque aussi la présence de productions historiques, qui sont des témoignages, en premier lieu la fameuse Tosca de Margharete Wallmann, qui remonte à 1958, que tout visiteur de l’opéra de Vienne doit au moins avoir vue une fois, mais il y en a d’autres, comme La Bohème de Zeffirelli (la même qu’à la Scala), ou diverses productions d’Otto Schenk dont le Rosenkavalier. En bref, même si les conditions musicales ne sont pas toujours idéales, loin de là (en fosse, l’orchestre de la Staatsoper, à géométrie variable à cause du nombre de titres et de l’alternance au quotidien, ne ressemble quelquefois que de très très loin aux fameux Wiener Philharmoniker qui sont issus de l’orchestre ; il faut sans cesse corriger certains journalistes qui appellent Wiener Philharmoniker l’orchestre en fosse à l’Opéra. Les Wiener Philharmoniker n’officient en fosse ès qualité qu’au festival de Salzbourg…
Il reste qu’en Europe occidentale, seules Munich et Vienne peuvent afficher un nombre aussi important de productions, et ne leur sont comparables que des institutions russes comme le Bolchoï ou le Mariinsky, impraticables en ce moment pour les raisons qu’on sait.

Alors avant d’aborder les titres singuliers (quand cela vaut la peine, il est bon de faire quelques statistiques des compositeurs proposés cette saison.
R= Répertoire
W=Wiederaufnahme (reprise travaillée)
NP= Nouvelle production

1 Beethoven (Fidelio) W
1 Berg (Wozzeck R)
1 Bizet (Carmen) R
1 Chostakovitch (Lady Macbeth de Mzensk) W
3 Donizetti (La fille du régiment R, L ‘Elisir d’amore R, Don Pasquale R)
1 Giordano (Andrea Chénier) W
1 Halévy (La juive, W)
1 Hindemith (Cardillac W)
1 Janáček (Jenůfa W)
1 Mahler (NP)
1 Mascagni/Leoncavallo (Cav-Pag R)
2 Massenet (Werther R, Manon R)
2 Monteverdi (Il ritorno di Ulisse NP, L’Orfeo R)
3 Mozart (Die Zauberflöte R, Don Giovanni R, Nozze di Figaro NP)
1 Poulenc (Dialogues des Carmélites NP)
3 Puccini (Madame Butterfly R, La Bohème R, Tosca R)
2 Rossini (Il Barbiere di Siviglia R, La Cenerentola R)
1 Strauss J. (Fledermaus R)
4 Strauss (Salomé NP, Elektra R, Ariadne auf Naxos R, Rosenkavalier R)
4 Verdi (Aida W, Macbeth R, Rigoletto R, Traviata R)
7 Wagner (Meistersinger NP, Parsifal R, Lohengrin R, Ring (4 titres) R)

Répertoire

Septembre 2022/Avril 2023
Georges Bizet
Carmen
8 repr. : 4 repr. du 6 au 15 sept 2022(A) et 4 repr. du 19 au 28 avril 2023  (B)
(Dir : Yves Abel(A) Alexander Soddy (B)/MeS : Calixto Bieito)
Avec Elina Garança, Piotr Beczala, Roberto Tagliavini, Slávka Zámečníková (A)
Eve-Maud Hubeaux, David Butt Philip, Erwin Schrott, Slávka Zámečníková (B)

Ouverture de saison et mois de septembre construit pour attirer le public : Carmen avec Garança et Beczala, c’est évidemment très attirant d’autant que Tagliavini est excellent, et que Slávka Zámečníková sera sans doute une excellente Micaela.
La reprise d’avril est intéressante à cause des voix nouvelles (Eve-Maud Hubeaux en Carmen, et David Butt Philip qu’on va voir assez souvent dans la saison en Don José). Pour Erwin Schrott, c’est moins convaincant.
Yves Abel est un chef solide et bien connu à Vienne (mais dans un autre répertoire) et Soddy pour la reprise devrait intéresser.

Septembre/Décembre 2022
Mozart
Die Zauberflöte
9 repr. : 4 repr. du 7 au 16 sept 2022(A) et 5 repr. du 7 au 19 déc. 2022  (B)
(Dir : Bertrand de Billy(A) Alexander Soddy (B)/MeS : Patrice Caurier-Moshe Leiser)
Avec Günther Groissböck, Pavel Petrov, Golda Schultz, Kathrin Lewek etc.. (A)
Franz-Josef Selig, Sebastian Kohlhepp, Erin Morley, Brenda Rae etc… (B)
Pour la distribution, sans doute mieux vaut la distribution B (décembre) avec Selig et le jeune Sebastien Kohlhepp, excellent ténor.

Septembre 2022/Janvier-Février 2023
Mozart
Don Giovanni
9 repr. : 5 repr. du 17 au 28 sept 2022(A) et 4 repr. du 29 janv. au 6 fév. 2023  (B)
Dir : Philippe Jordan(A) Antonello Manacorda(B)/ MeS : Barrie Kosky
Avec Kyle Ketelsen, Philippe Sly, Hanna Elisabeth Müller, Pavol Breslik, Tara Erraught, Ain Anger (A)
Kyle Ketelsen, Philippe Sly, Eleonora Buratto, Dmitry Korchak, Kate Lindsey,  Ain Anger (B)
Une production que j’ai beaucoup aimée, et des deux distributions, sans doute faut-il conseiller celle de septembre (A), dirigée par Philippe Jordan avec l’essentiel du cast de la création en décembre 2021. La distribution B garde le couple phénoménal Ketelsen/Sly, mais en fosse, je ne suis jamais convaincu par Antonello Manacorda.

Septembre 2022/Janvier 2023
Rossini
Il barbiere di Siviglia
9 repr. : 4 repr. du 22 au 30 sept 2022(A) et 5 repr. du 3 au 15 janv. 2023  (B)
(Dir : Giacomo Sagripanti (A)/ Michele Mariotti (B) ; MeS : Herbert Fritsch)
Avec Levy Sekgapane, Vasilisa Berzhanskaya, Paolo Bordogna, Marco Caria etc…(A)
Alasdair Kent, Patricia Nolz, Paolo Bordogna, Boris Pinkhasovich etc…(B)
Distribution A absolument « rossinienne » avec une Berzhanskaya fabuleuse Rosine découverte par l’Opéra de Rome que celui de Vienne semble s’être assuré pour beaucoup de représentations. Distribution B moins « idiomatique », même avec de bons chanteurs, (Rossini demande vraiment des chanteurs rompus à l’exercice…) mais en fosse Michele Mariotti est la garantie rossinienne, bien plus que Bisanti (A)… Choix difficile, mais si vous avez à choisir, plutôt d’autant que le mois (avec La Juive et Carmen et le reste) vous garantit un petit Festival d’opéra particulièrement séduisant. 

Octobre 2022
Giuseppe Verdi
Rigoletto
(4 repr. du 1er au 11 oct) (Dir : Pier Giorgio Morandi MeS : Pierre Audi)
Avec Benjamin Bernheim, Erin Morley, Simon Keenlyside
Mise en scène sans intérêt, chef de répertoire sans grand intérêt, distribution séduisante (Keenlyside en Rigoletto est assez attirant, hors des sentiers battus) Bernheim aura les notes, le timbre, la couleur, presque tout en somme…
Si vous êtes par là, pourquoi pas ?

Claudio Monteverdi
L’Orfeo
(4 repr. du 14 au 22 oct. ) (Dir : Stefan Gottfried MeS : Tom Morris)
Avec Georg Nigl, Patricia Nolz, Slávka Zámečníková
Reprise de la production qui va avoir sa première en juin 2022, une distribution dominée par Georg Nigl mais Patricia Nolz est vraiment intéressante et il vous faut découvrir Slávka Zámečníková ! Dommage que Pablo Heras-Casado ne soit plus en fosse

Octobre 2022-Février-mars 2022
Gaetano Donizetti
L’Elisir d’amore
8 repr. : 4 du 21 au 30 oct 2022, 4 du 21 févr. au 10 mars 2023
Dir : Gianluca Capuano(A)/Stefano Montanari (B)/MeS Otto Schenk
Avec Slávka Zámečníková, Bogdan Volkov, Davide Luciano, Alex Esposito…(A)
Kristina Mkhitaryan, Francesco Demuro, Clemens Unterreiner, Ambrogio Maestri etc…(B)
Vu que les deux chefs sont vraiment excellents, parmi les meilleurs sur ce répertoire, c’est la distribution qui fera la différence, et là, pas d’hésitation, c’est la A qu’il faut aller écouter. Bogdan Volkov en Nemorino devrait être magnifique.

Octobre-novembre 2022/Février 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata
9 repr. du 29 oct au 8 nov (A) et du 5 au 11 fév 2023 (B)
Dir : Thomas Guggeis(A)/Nicola Luisotti (B)MeS : Simon Stone
Avec
A et B: Kristina Mkhitaryan, Dmytro Popov, Amartuvshin Enkhbat
Aucun intérêt à aucun niveau. Une série purement alimentaire, sauf si le hasard vous trouve à Vienne évidemment.

Novembre 2022

Richard Strauss
Ariadne aud Naxos
4 repr. du 9 au 17 novembre Dir : Thomas Guggeis/MeS : Sven Eric Bechtholf
Avec Christina Bock, Eric Cutler, Camilla Nylund, Caroline Wettergreen.
Pour Nylund et Cutler, évidemment passionnants, peut-être aussi le chef Thomas Guggeis , mais pas pour la mise en scène,

Giuseppe Verdi
Macbeth
4 repr. du 18 au 27 novembre Dir : Giampaolo Bisanti/MeS : Barrie Kosky
Avec Simon Keenlyside, Riccardo Fassi, Anna Pirozzi, Freddie De Tommaso
Même si pour Macbeth, on aurait peut-être préféré un autre chef, la mise en scène exceptionnelle de Barrie Kosky, de très loin le meilleur Macbeth du marché  vaut le coup. Distribution dominée par Simon Keenlyside dont on connaît l’intelligence et les qualités et Anna Pirozzi, en grande forme en ce moment, avec Riccardo Fassi qui est aussi une très bonne basse.

Jules Massenet
Werther
4 repr. du 19 au 29 novembre Dir : Alejo Pérez/MeS : Andre Serban
Avec Attila Mokus, Vasilisa Berzhanskaya, Dmitry Korchak
Pour Berzhanskaya et pour Aléjo Pérez, toujours intéressant, si vous êtes sur place mais ne vaut évidemment pas un voyage.

Novembre-décembre 2022/Mars 2023/Mai 2023
Giacomo Puccini
Tosca
10 repr. du 23 nov au 5 déc (A), du 25 au 31 mars (B), du 12 au 18 mai (C) Dir : Giacomo Sagripanti (A)(C), Marco Armiliato(B)/MeS : Margarethe Wallmann
Avec
A : Camilla Nylund, Stefano La Colla, Erwin Schrott
B : Krassimira Stoyanova, Michele Fabiano, Luca Salsi
C : Maria Agresta, Piotr Beczala, Bryn Terfel
En absolu, distribution B la plus équilibrée avec un bon chef de repertoire. Mais peut-on manquer un Scarpia de Bryn Terfel (distr.C)
Et de toute manière, il faut voir une fois dans sa vie ce monument historique qu’est la Tosca de Vienne.

Décembre 2022
Richard Strauss
Der Rosenkavalier
3 repr. du 18 au 26 décembre – Dir : Philippe Jordan MeS : Otto Schenk
Avec Krassimira Stoyanova, Günther Groissböck, Kate Lindsey, Adrian Eröd, Vera-Lotte Böcker etc…
Si vous passez les fêtes à Vienne, à ne pas manquer, c’est une très belle distribution, une très belle production historique et Philippe Jordan est un très bon straussien.

Décembre 2022-Janvier 2023
Gaetano Donizetti
La fille du régiment
4 repr. du 25 déc. au 2 janv. – Dir : Michele Spotti MeS : Laurent Pelly
Avec Pretty Yende, Juan Diego Flórez, Adrian Eröd etc..
Production désormais culte, créée en 2007 par Natalie Dessay, et déjà Flórez. En fosse, Michele Spotti à Vienne pour la première fois qui a montré à Bergamo combien il possédait cette partition et combien il lui donnait verve et force. Vous passez les fêtes à Vienne. Ne manquez pas une des soirées.

Johann Strauss
Die Fledermaus
6 repr :  31 déc (A)/(B), 1 janv (B), 4 janv. (B), 6 janv (A)(B)- Dir : NN (A) Simone Young (B) MeS : Otto Schenk.
Avec
Peter Simonischek, Jörg Schneider, Daria Sushkova etc…(A)
Peter Simonischek, Andreas Schager, Rachel Willis-Sørensen, Christina Böck, Vera-Lotte Böcker (B)
Pour canaliser la demande du public, deux representations les 31 et 6 janvier, avec une autre distribution. Mais il faut évidemment chercher la distribution B, dominée notamment par Andreas Schager et Rachel Willis-Sørensen. Fledermaus à Vienne, c’est évidemment un must notamment avec le grand Simonischek en Frosch.

Janvier 2023
Richard Strauss
Elektra
3 repr. du 5 au 11 jan. – Dir : Simone Young MeS : Harry Kupfer
Avec Violeta Urmana, Nina Stemme, Simone Schneider, Jörg Schneider, Christof Fischesser
Avec intelligence, Bogdan Roščić a remisé la médiocre production Laufenberg et repris la production désormais historique de Harry Kupfer, créée par Claudio Abbado en 1989, restée dans les entrepôts. Direction sans doute solide de Simone Young, et trio de choc avec Violeta Urmana en Clytemnestre, désormais un de ses rôles fétiches, Nina Stemme qu’on ne présente plus, et Simone Schneider en Chrysothemis, qui est l’une des voix les plus intéressantes et vibrantes, et sensibles du moment.

Giacomo Puccini
La Bohème
5 repr. du 19 au 31 jan. – Dir : Eun Sun Kim MeS : Franco Zeffirelli
Avec Benjamin Bernheim, Rachel Willis-Sørensen, Boris Pinkhasovich, Slávka Zámečníková.
Pour voir la production Zeffirelli, qui fait les beaux soirs de la Scala et de Vienne depuis les années 1960 (à Vienne, 443 représentations depuis 1963). Bernheim au timbre d’or, mais au phrasé italien à polir, et pour le reste entendre Slávka Zámečníková en Musetta. On ne ma convaincra jamais que Rachel Willis-Sørensen convienne au repertoire italien.

Février 2023
Mozart
Die Zauberflöte für Kinder
2 repr. le 17 févr. 2023
Deux représentations en une journée de cette présentation pour les classes du pilier du patrimoine musical local

Richard Wagner
Tristan und Isolde
3 repr. du 20 au 26 févr. – Dir. : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito
Avec : Nina Stemme, Andreas Schager, Christof Fischesser, Christa Mayer, Iain Paterson
Distribution dominée par Nina Stemme et Andreas Schager. Stemme succède à Martina Serafin et elle n’aura aucun mal à la faire oublier, si elle est plus en forme qu’à Aix en Provence. En fosse, Philippe Jordan et production intelligente de Calixto Bieito (et donc mal accueillie par un certain public).


Mars 2023
Gioachino Rossini
La Cenerentola
4 repr. du 3 au 12 mars – Dir: Stefano Montanari/MeS : Sven Eric Bechtholf
Avec Dmitry Korchak, Roberto Tagliavini, Vasilisa Berzhanskaya, Pietro Spagnoli, Michael Arivoni.
Oui pour Vasilisa Berzhanskaya et Roberto Tagliavini, oui pour le magnifique Stefano Montanari en fosse. Il y a d’autres ténors que Dmitry Korchak… Quant à la production de Sven Eric Bechtholf, elle est sans intérêt comme la plupart des productions signées par ce metteur en scène très surfait.

P.I.Tchaïkovski
Eugène Onéguine
4 repr. du 14 au 24 mars – Dir: Tomáš Hanus/MeS : Dmitry Tcherniakov
Avec Etienne Dupuis, Nicole Car, Iván Ayón Rivas, Dimttry IvaschenkoBelle production de Dmitry Tcherniakov, qu’il faut avoir vu. En fosse Tomáš Hanus remarquable chef d’opéra et distribution solide sans être exceptionnelle.

Mars-Avril 2023
Alban Berg
Wozzeck
3 repr. du 29 mars au 5 avril – Dir: Philippe Jordan/MeS : Simon Stone
Avec Johannes Martin Kränzle, Sean Panikkar, Sara Jakubiak, Dmitry Belosselskiy, Jörg Schneider
Johannes Martin Kränzle en Wozzeck, c’est évidemment très intéressant, tant le chanteur est un acteur éblouissant et un diseur fantastique et sensible. Moins convaincu par l’annonce de Sara Jakubiak en Marie, qui ne m’a jamais convaincu. En revanche bon entourage (Excellent Panikkar notamment).

Avril 2023

Richard Wagner
Parsifal
4 repr. du 6 au 16 avril – Dir: Philippe Jordan/MeS : Kirill Serebrennikov
Avec : Michael Nagy, Franz-Josef Selig, Klaus Florian Vogt, Ekaterina Gubanova, Derek Welton.
La production de Serebrennikov avec une distribution complètement modifiée, dont l’intérêt est Michael Nagy en Amfortas, Selig en Gurnemanz, et bien sûr Vogt en Parsifal (même si ce n’est pas le rôle où je le préfère) et la Kundry de Gubanova, qui devrait être intéressante dans le personnage voulu par Serebrennikov. Pourrait valoir un voyage.

Richard Wagner
Lohengrin
3 repr. du 15 au 23 avril – Dir: Omer Meir Wellber/MeS : Andreas Homoki
Avec Tareq Nazmi, Piotr Beczala, Camilla Nylund, Tomasz Konieczny, Nina Stemme
Autre distribution intéressante, Beczala et Nylund en Lohengrin et Elsa, et Konieczny Telramund bien connu, et surtout Stemme en Ortrud…
En fosse, Omer Meir Wellber, très irrégulier. A entendre pour la distribution et combiner 15 avril (Parsifal) et 16 avril (Lohengrin)

Avril-Mai 2023
Jules Massenet
Manon
5 repr. du 30 avril au 13 mai – Dir : Bertrand De Billy/MeS : Andrei Serban
Avec Pretty Yende, Charles Castronovo etc…
Si on aime…

Mai 2023
Gaetano Donizetti
Don Pasquale
4 repr. du 17 au 26 mai – Dir :  Francesco Lanzillotta/ MeS : Irina Brook
Avec Michele Pertusi, Brenda Rae, Josh Lovell, Michael Arivony
Intéressant pour Lanzillotta en fosse, excellent et Pertusi toujours intéressant. Pour le reste…

Juin 2023
Richard Wagner
Der Ring des Nibelungen
2 séries – Dir : Franz Welser-Möst/MeS : Sven Eric Bechtholf

Das Rheingold
1er et 21 juin 2023
Avec Eric Owens, Tanja Ariane Baumgartner, Michael Nagy, Michael Laurenz, Ain Anger

Die Walküre
4 et 22 juin 2023
Avec Eric Owens, Ricarda Merbeth, Giorgio Berrugi, Ain Anger, Tamara Wilson, Tanja Ariane Baumgartner

Siegfried
11 et 25 juin 2023
Avec Eric Owens, Klaus Florian Vogt, Ricarda Merbeth, Michael Nagy, Ain Anger

Götterdämmerung
18 et 30 juin 2023
Avec Burkhard Fritz, Dmitry Belosselskiy, Ricarda Merbeth, Michael Nagy, Regine Hangler etc…

La mise en scène est sans aucun intérêt (Sven Eric Bechtholf), en revanche, Franz Welser-Möst en fosse, c’est diablement passionnant (c’est lui qui a créé cette nouvelle production en 2007). Pour la distribution, c’est le Wotan d’Eric Owens, extraordinaire Alberich de la production Lepage au MET, et le Siegfried (de Siegfried) de Klaus Florian Vogt dans une prise de rôle qui seront évidemment une attraction pour tous les wagnériens : le très prudent ténor pourrait nous étonner diablement. L’Alberich de Michael Nagy devrait aussi être digne d’intérêt tant le chanteur est intelligent. Des valeurs sûres comme Tanja Ariane Baumgartner qui est une excellente Fricka et une équation à deux inconnues à tester, Tamara Wilson en Sieglinde, et Giorgio Beruggi en Siegmund.
Très tentant… très tentant…

Pietro Mascagni/Ruggiero Leoncavallo
Cavalleria Rusticana/Pagliacci
4 repr. du 15 au 27 juin – Dir : Daniel Harding/ MeS : Jean-Pierre Ponnelle
Avec Asmik Grigorian, Jonathan Tetelman, Amartuvshin Enkhbat, Yonghoon Lee
Pour Harding, intéressant en fosse et notamment dans un répertoire où il est inattendu, et pour Grigorian

Giacomo Puccini
Madama Butterfly
4 repr. du 20 au 29 juin – Dir :  Antonello Manacorda/ MeS : Anthony Minghella
Avec Sony Yoncheva, Charles Castronovo, Boris Pinkhasovich, Isabel Signoret
Intéressant pour la mise en scène. Pour le reste, si vous êtes à Vienne pour le Ring, et si vous n’avez rien de mieux…

Évidemment de petites vacances d’une dizaine de jours à Vienne entre le 20 et le 30 juin rempliraient vos soirées d’opéra…

Même avec de nouvelles productions, même avec des mises en scènes plus actuelles que depuis des années, la Wiener Staatsoper reste un temple de la tradition et du classicisme. La programmation n’a pas de prétentions autres que faire de l’opéra. Cela semble évident, mais d’autres maisons comme Genève ou Munich essaient d’accompagner la programmation d’un discours sur l’actualité, sur l’art, sur notre monde. Rien de tout cela ici. L’Opéra dans tous ses états, qui va de l’impossible à rater à l’aimable médiocrité. Avec 42 productions annuelles, il y a le choix : Vienne sera toujours Vienne et au fond, vaut toujours le voyage, si on peut combiner Opéra, Musikverein (ou Konzerthaus) et Theater an der Wien.

 

 

LA SAISON 2022-2023 DE LA BAYERISCHE STAATSOPER DE MUNICH

Le Nationaltheater de Munich

La saison 2 de Serge Dorny à Munich permet de mieux saisir les principes qui vont gouverner les prochaines années à la Bayerische Staatsoper et de préciser un profil qui s’annonce assez singulier dans les grandes maisons de l’aire germanophone.
La saison 1 s’est déroulée avec quelques accrocs dus à la fois à la Pandémie (capacité de salle réduite, et surtout ces derniers mois nombreux changements de distribution dus à la multiplication de cas positifs parmi les artistes) et à la guerre en Ukraine, qui a amené le report d’une des productions, Koma, dont l’orchestre et le chef étaient MusicAeterna et Teodor Currentzis, notoirement financés par l’oligarchie russe, ce qui pouvait choquer en ce moment très délicat et qui crée d’ailleurs le même type de problèmes à d’autres institutions.

La Bayerische Staatsoper

La Bayerische Staasoper est une maison de grande tradition, à rapprocher de sa voisine la Wiener Staatsoper à quatre heures de train, avec une forte dose de répertoire et un grand nombre de représentations annuelles.  Elles se ressemblent aussi par la situation qu’elles ont connue à l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’une rouverte en 1955, l’autre en 1967 après la reconstruction de la salle détruite par les bombardements.
Elles se ressemblent moins ces dernières années par leur couleur, plus traditionnelle à Vienne, plus ouverte à Munich où les intendants (on dit ici Staatsintendant : Intendant d’État) qui se sont succédé, que ce soit Sir Peter Jonas, Nikolaus Bachler et maintenant Serge Dorny essaient de naviguer savamment entre modernité et tradition, entre raretés, productions novatrices et répertoire avec pour chacun des spectacles qui ont souvent marqué le paysage lyrique international.
Un autre caractère de Munich est l’importance accordée aux chefs d’orchestres, au-delà de leur GMD (Generalmusikdirektor) : Munich fut longtemps le port d’attache d’un Carlos Kleiber par exemple. Mais si l’on considère leurs GMD, ils ont nom depuis les années 1970 Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta, Kent Nagano, Kirill Petrenko et maintenant Vladimir Jurowski, des noms qui comptent dans le paysage des 50 ou 60 dernières années. Nous avons souvent rappelé la liste des noms de chefs prestigieux qui ont dirigé cette maison parmi lesquels Hans von Bülow, Hermann Levi, mais aussi Richard Strauss lui-même, jusqu’aux plus récents cités plus haut.

Munich est donc une maison enracinée dans l’histoire, qui remonte à loin d’ailleurs puisque son orchestre est né en 1523 (c’est en 2023 le cinquième centenaire), a créé Idomeneo de Mozart en 1781, et des œuvres essentielles de Richard Wagner, rien moins que Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold et Die Walküre.

Quand on pense Munich, on pense donc Wagner, mais aussi Richard Strauss né à Munich, même si dans son cas la plupart des opéras ont été créés à Dresde, quelques-uns à Vienne, et seuls Friedenstag et Capriccio à Munich. Mais il reste que c’est une maison de référence pour Richard Strauss également (qu’on pense seulement au fameux Rosenkavalier d’Otto Schenk illuminé par Carlos Kleiber, et aux opéras ravivés par Wolfgang Sawallisch comme Die Ägyptische Helena, Die Liebe der Danae, ou Die schweigsame Frau ).

On aimerait d’ailleurs que cette maison dont les murs parlent avec les portraits ou les bustes des gloires de son passé le mette mieux en valeur car jusqu’ici les sites successifs (celui de Bachler et le tout récent de Dorny) ont valorisé le présent, mais très peu le passé au contraire du voisin viennois, dont le site est un maître en matière de plongée dans l’histoire et les archives.

Mais ces deux grandes maisons, parmi les plus importantes (sinon les plus importantes) en Europe et qui focalisent beaucoup de regards des mélomanes internationaux ont un profil singulier car elles sont et restent des maisons dont le répertoire est la base du fonctionnement. À Vienne, cette question est encore plus fondamentale et a servi de prétexte pour attaquer directeurs et directeurs musicaux (dont Claudio Abbado).
À Munich, le répertoire compte évidemment beaucoup, mais il n’est pas aussi large qu’on penserait, avec des pans absents dans des répertoires théoriquement essentiels pour l’opéra : peu de Rossini sérieux, pas beaucoup de jeune Verdi, pas trop de baroque. Pourtant, à la différence de Vienne, Munich peut disposer au moins partiellement de deux belles salles alternatives pour des formats plus réduits, le Cuvilliés-Theater tout proche dans la Résidence, et le Prinzregententheater (le petit Bayreuth) siège de l’Académie Théâtrale August Everding, qu’il utilise pour la production baroque du Festival annuel.

Serge Dorny

Serge Dorny, par sa formation, par sa carrière, ne vient pas du système allemand. Tous ceux qui comme lui ont entouré Gerard Mortier et sont ses « héritiers » ont évolué dans des théâtres de stagione. Dorny, par sa carrière, du festival des Flandres au London Philharmonic Orchestra puis à l’Opéra de Lyon est d’abord un « producteur » qui veut donner une vraie couleur artistique à une institution. On a pu le constater à Lyon. Il trouve ici le système de répertoire et assume la nécessité de le faire fonctionner. Mais il est clair qu’il n’en fait pas un point de focalisation.
Munich, c’est tout de même à peu près un nombre de nouvelles productions qui ferait une saison ordinaire de théâtre stagione, complété par la bagatelle de 32 productions de répertoire, soit un total de 42 spectacles lyriques différents.
Il est forcément impossible de ne se focaliser que sur les nouvelles productions : il faut choisir les reprises de répertoire qui correspondent à la nécessité (les grands standards), à la couleur qu’on veut imprimer (les bonnes mises en scène passées) et aux compositeurs qu’on veut valoriser sans forcément faire de nouvelles productions. Autant de critères qui permettent de scruter les caractères globaux d’une saison, et pas seulement les nouvelles productions, qui ne peuvent dans une telle institution avoir seulement un effet de façade et doivent vite se fondre dans les productions de répertoire à reprendre à intervalles réguliers.

La Staatsoper de Munich, en 2022-2023, c’est 42 opéras différents (10 nouvelles productions et 32 productions de répertoire), 3 nouveaux ballets et 8 reprises (soit 11 productions au total), et si on fait le total, 247 soirées d’opéra ; 78 soirées de ballet, et au total 442 levers de rideaux (avec les concerts, récitals etc…). Une machine de production industrielle, qui doit garantir une haute qualité constante, avec un personnel nombreux, compétent, fortement dédié à la maison.
Cette maison a sa couleur, son public globalement plutôt accueillant à la modernité (plus qu’à Vienne en tous cas), et on a pu le constater dans cette saison, elle a gardé une fréquentation haute, même si comme partout, il y a çà et là des places vides, comme l’a souligné récemment Jonas Kaufmann dans une  déclaration à un journal australien qui a fait un peu de bruit.
Certains en ont déduit que le temps du Regietheater (appellation globale et erronée de toutes les mises ne scène un peu contemporaines par ceux qui les détestent)  était terminé et qu’enfin le public avide d’opéra allait pouvoir rêver et s’évader enfin devant des spectacles (traditionnels s’entend) qui allaient comme par magie remplir les salles.
Je crains que les metteurs en scène invités à Munich ne fassent pas partie de ce rêve-là, Serge Dorny, à raison, a toujours voulu inscrire l’opéra dans le monde contemporain.  Il rejoint d’ailleurs le souci de Bogdan Roščić à Vienne, encore plus concerné par la question. Tout comme le cinéma ou le théâtre, l’opéra ne peut refléter que le monde dans lequel il évolue.
Il reste que c’est pour les managers actuels un chemin un peu étroit, et l’énorme diversité des réponses données aux mêmes questions à Paris, Milan, Londres, New York, Berlin, Vienne et Munich (et ailleurs) montre que c’est encore Pirandello qui a raison, à chacun sa vérité.

Une question à résoudre au plus vite : le matériel de communication et surtout le site

Dans une maison de si grande tradition, c’est pour moi l’idée de continuité qui doit primer. Comme beaucoup de managers nouvellement installés, Dorny voit dans les changements d’outils de communication le signe visible que quelque chose de neuf commence. Soit. Mais l’idéal est que ces outils répondent aussi à des besoins nouveaux, ou améliorent l’existant, au niveau pratique d’abord, esthétique éventuellement.
À Munich, tout le matériel a changé et pas forcément en bien. Si les nouveaux programmes sont plutôt bien faits et assez élégants, ils sont imprimés avec des caractères un peu réduits, et pâles, à la lecture quelquefois difficile pour les yeux fatigués du public vieillissant. Est-ce bien utile ? Cela répond-il à une nécessité pratique ? Poser la question, c’est y répondre.

Pour un souci de cohérence d’image, le même type de caractère et de casse réduite est aussi l’apanage du site, qui quant à lui est à repenser de fond en comble dans sa fonction, dans les informations qu’il donne et leur hiérarchisation, avec des problèmes lourds et agaçants :

  • Impossibilité de trouver une cohérence quelconque à cette architecture,
  • Difficulté à y trouver l’information qu’on y cherche.

Un site de ce type doit être efficace et rapide, éviter les longs textes, et se mettre à la place du spectateur moyen qui cherche d’abord des dates et des titres, avant de chercher des discours sur tel ou tel Festival ou telle ou telle production.
Le site actuel est peu lisible, peu pratique, avec des erreurs, des liens problématiques et j’en passe. Même s’il s’est un peu amélioré depuis quelques mois, c’est la conception globale qui est à revoir, avec sa lecture difficile, son moteur de recherche bancal etc… etc..
Un seul exemple : la présentation de la nouvelle saison ignore les reprises de répertoire qui constituent les 3/4 de l’offre lyrique. L’ancien site au moins proposait à la fois (et clairement) les premières et la liste des reprises de répertoire… Une fois encore le site de l’opéra de Vienne est ici un bon exemple d’outil pratique, simple et lisible, même si esthétiquement banal.

Enfin, il manque ce qui fait le prix des sites de Vienne, de Paris, de la Scala, de Salzbourg, de Bayreuth, de Rome, du MET, à savoir un moteur de recherche des archives des représentations qui permettent de remonter l’histoire du théâtre et son passé.
Pour des institutions qui sont des références, aussi ancrées dans l’histoire que Munich, les racines sont aussi importantes que les rameaux fleuris du présent et aucun intendant depuis l’arrivée d’internet n’y a pensé, ce qui est singulier.
En bref, il me semble qu’une remise à plat totale est urgente, mettant en face les besoins du spectateur et les réponses proposées, avec une juste hiérarchie des informations et une lisibilité améliorée. N’oublions jamais que trop d’infos désordonnées n’aboutissent qu’au découragement et au déclic après le clic.

 

La saison 2022-2023

À l’instar de quelques autres théâtres, la saison est placée sous un « Motto », qui vise essentiellement les nouvelles productions, cette année « Chants de guerre et d’amour ».
On sait que les saisons sont préparées plusieurs années à l’avance et répondent à des exigences variées, remplacement d’anciennes productions ayant fait leur temps, introduction de nouvelles pièces au répertoire etc… et ne répondent pas à une thématique conçue à l’avance.
Mettre une saison sous un chapeau thématique c’est de la communication qui indique une couleur générale, mais l’outil reste à mon avis un peu artificiel, et n’intéresse que quelques spectateurs. Par exemple, le thème de la saison précédente, « Chaque homme est un roi » pourrait être aussi bien la thématique de tout un mandat tant elle concerne tout le répertoire.
Celle de cette année, choisie avant l’explosion de la guerre en Ukraine, rappelle opportunément que la guerre est un élément fondamental de la vie du monde qui jamais ne l’a quitté, mais peut aussi être entendue métaphoriquement, et donc le champ est fort large, de la guerre traditionnelle à la guerre psychologique ou aux conflits familiaux. Quant à l’amour, il traverse pratiquement tout le répertoire lyrique et théâtral… Un motto, cela convient peut-être plus à un Festival qu’à une saison d’opéra.

 

Quelques mots sur le Ballet

La question ukrainienne a eu également une conséquence indirecte plutôt positive :  après le départ d’Igor Zelensky, directeur du ballet, c’est Laurent Hilaire, démissionnaire de son poste au Stanislawski de Moscou pour les raisons qu’on imagine, qui arrive à la direction du ballet de Munich et c’est une excellente nouvelle. Nous n’aborderons la question du ballet que pour souligner à la fois l’équilibre des deux nouvelles productions (une réflexion d’Alexei Ratmansky sur le ballet classique à partir d’ouvertures de Tchaïkovski, et un nouveau spectacle très contemporain de deux des grands noms de la scène de la danse, Sol León et Paul Lightfoot intitulé Schmetterling) avec au répertoire des reprises de ballets importants dans l’histoire récente, signés Christopher Wheeldon (Cendrillon), John Cranko (Roméo et Juliette), John Neumeyer (Le songe d’une nuit d’été), Georges Balanchine (Jewels), mais aussi les reprises de Coppelia (Roland Petit) et La Bayadère (Patrice Bart) qui revient après 5 ans d’absence.

Les nouvelles productions lyriques

Avec le Festival Ja, Mai que nous traiterons spécifiquement, il y a dix nouvelles productions pour l’ensemble de la saison prochaine, qui vont du baroque au contemporain, mais qui font la part plus belle que la saison actuelle au répertoire standard, avec un Mozart (Cosî), un Wagner (Lohengrin), un Purcell (Dido) un Verdi (Aida), un Händel (Semele) et un Monteverdi pour Ja, Mai (Il ritorno di Ulisse), soit six productions « classiques » alors que la saison actuelle, carte de visite  en quelque sorte, affichait presque exclusivement un répertoire XXe, Berlioz et Haydn exceptés.
Il s’agit de remplacer des productions qui ont fait leur temps, comme Aida ou Cosi fan tutte, proposer des titres nouveaux aussi comme Semele, continuant une série Händel commencée par Sir Peter Jonas au début des années 2000 et aussi inscrire des projets plus novateurs comme la mise ensemble en un spectacle unique de Dido and Aeneas et Erwartung ou l’inauguration du Festival 2023 avec Hamlet de Brett Dean, importé de Glyndebourne.
Les choix de chefs et de metteurs en scène introduisent aussi des figures nouvelles à Munich, ce qui est intéressant et la plupart des distributions sont bien calibrées.

Enfin cette saison voit une présence plus affirmée et fréquente du GMD Vladimir Jurowski, qui dirigera trois nouvelles productions et d’autres productions de répertoire. Dans cette maison, le GMD doit être un levier, il suffit de penser à son prédécesseur immédiat, et sa présence doit s’affirmer plus fortement qu’actuellement.

Considérons les choses dans le détail.

Octobre-novembre 2022/Juillet 2023
W.A.Mozart
Cosi fan tutte
(8. repr. du 26 oct. au 10 nov. Et les 15 et 17 juillet)
(Dir : Vladimir Jurowski / MeS : Benedict Andrews)
Avec Christian Gerhaher, Sandrine Piau, Louise Alder, Avery Amereau, Konstantin Krimmel, Sebastien Kohlhepp.
Bayerisches Staatsorchester
Il était temps de remplacer la production de Dieter Dorn de 1993, valeureuse, mais désormais trentenaire, âge canonique pour une production. Dorny a invité Benedict Andrews, auteur d’un très remarqué Ange de Feu de Prokofiev à la Komische Oper Berlin, repris à Lyon. Il fait partie de la jeune génération de metteurs en scène australiens très doués. C’est Vladimir Jurowski qui assure la direction musicale, en tant que GMD pour ouvrir la saison. Il est plutôt rare dans Mozart et ce sera donc très stimulant à écouter. La distribution réunit des chanteurs tout neufs, quelquefois d’excellents éléments de la troupe (Avery Amereau, Konstantin Krimmel) d’autres des jeunes voix remarquables comme le ténor Sebastien  Kohlhepp (entendu et applaudi dans Giuditta cette saison) ou Louise Alder, magnifique Sophie à Vienne et qui devient l’un des noms inévitables aujourd’hui et d’autres plus vieux routiers, mais très grands interprètes, comme Christian Gerhaher en Don Alfonso (Johannes Martin Kränzle en juillet, ce qui est aussi référentiel) et Sandrine Piau en Despina. Un cocktail à goûter avec gourmandise.

Décembre 2022/Juillet 2023
Richard Wagner
Lohengrin
( 8 repr. du 3 au 21 déc. et les 16 et 19 juil.) (Dir : François Xavier Roth/MeS : Kornél Mundruczò)
Avec : Klaus Florian Vogt, Marlis Petersen, Mika Kares, Johan Reuter, Anja Kampe, Andrè Schuen
Bayerisches Staatsorchester
La production de Richard Jones, de 2009 (la fameuse production où se construit une maison au long des trois actes) n’était sans doute pas suffisamment convaincante pour durer. Elle avait été huée à sa création – c’est habituel, mais ça ne facilite pas le vieillissement. Serge Dorny a appelé le cinéaste hongrois Kornél Mundruczö, qui après un très intéressant Tannhäuser à Hambourg en avril 2022, se frotte cette fois à Lohengrin.
Distribution presque sans failles, Klaus Florian Vogt, le Lohengrin de la période, Anja Kampe, à la voix spectaculaire pour Ortrud, et une prise de rôle pour Elsa, Marlis Petersen qui devrait être passionnante, comme tous les rôles qu’elle touche.  Complètent le cast Mika Kares, la basse finlandaise spécialiste des rois nobles, en Heinrich, et le Héraut, Andrè Schuen, découvert dans Mozart (Figaro, Cosi) qui se frotte cette fois à Wagner. Seule ombre, le Telramund de Johan Reuter, chanteur de qualité (voir son Wozzeck parisien), mais relativement neutre pour un rôle qui exige du relief, un relief qu’il n’a pas.
Prodigieusement intéressante en revanche, la venue pour la première fois à l’opéra de Munich de François Xavier Roth, GMD de la ville de Cologne, qui devrait sans doute donner à l’œuvre de Wagner une couleur nouvelle.
À ne pas manquer donc.

Janvier 2023
Henry Purcell/Arnold Schönberg
Dido and Aeneas/Erwartung
(7 repr. du 29 janv au 10 fév. et les 20 et 22 juillet)(Dir: Andrew Manze / MeS: Krzysztof Warlikowski)
Avec Aušriné Stundyté, Günter Papendell, Victoria Randem, etc…
Bayerisches Staatsorchester
Voilà un spectacle singulier, qu’il faut considérer dans son ensemble, autour de l’attente et de l’inconnu, avec au centre l’interprète hors pair qu’est Aušriné Stundyté, aussi bien Dido que la femme dans Erwartung. L’univers de Warlikowski convient très bien à ce type de projet. Très bien entourée dans Dido and Aeneas, avec notamment l’excellent Günter Papendell en Aeneas, et Victoria Randem en Belinda, que les genevois et les berlinois ont applaudie (elle y était magnifique) dans Sleepless d’Eötvös.
En fosse, pour la première fois à Munich, l’un des chefs les plus intéressants du jour, et pour cela discuté, pour le baroque, mais pas seulement, Andrew Manze (qui officie actuellement comme chef de la NDR Radiophilharmonie à Hanovre, avec un contrat prolongé pour la deuxième fois jusqu’en 2023) La curiosité est déjà stimulée.

Mars 2023
Serguei Prokofiev
Guerre et Paix (Wojna i mir)
(7 repr. du 5 au 18 mars et les 2 et 7 juillet) (Dir : Vladimir Jurowski/ MeS Dmitry Tcherniakov)
Avec Andrei Zhilikowski, Olga Kutchynska, Violeta Urmana, Eric Cutler, Dmitry Ulyanov etc..
Bayerisches Staatsorchester
Coproduction Grand Teatro del Liceu, Barcelone
Sans aucun doute l’un des musts de l’année, le gigantisme de Guerre et Paix de Prokofiev confié au maître des transformations des histoires (et quelle histoire !) à l’intérieur d’un espace contraint : Dmitry Tcherniakov. Une distribution pléthorique avec des noms très intéressants comme Andrei Zhilikowsky ou Olga Kutchynska, déjà bien habituée à Munich (elle est la Suzanne très applaudie des Nozze de Christof Loy) Eric Cutler, un ténor de plus en plus demandé, Dmitry Ulyanov, l’une des meilleures basses du moment (il fut un fabuleux Roi Dodon dans Le Coq d’Or à Lyon et Aix) et une soixantaine d’autres rôles.
En fosse, c’était presque obligatoire, le GMD Vladimir Jurowski, dans ce répertoire qui est sien.
À ne pas manquer non plus.

Mai 2023
Giuseppe Verdi
Aida

(11 repr. du 15 mai au 7 juin et les  23, 27 et 30 juillet) (Dir : Daniele Rustioni/ MeS Damiano Michieletto)
Avec Elena Stikhina, Brian Jagde, Anita Rashvelishvili, Luca Salsi.
Bayerisches Staatsorchester
La production Christof Nel de 2009 n’a pas marqué les esprits et part à la retraite. C’est Damiano Michieletto qui prend le relais, il n’est pas certain qu’elle suive un autre destin. Les productions Michieletto à part quelques exceptions ne marquent pas les mémoires.
La distribution non plus ne devrait pas emporter l’enthousiasme des foules. Brian Jagde est un ténor de répertoire, correct, mais plus vériste que verdien. Elena Stikhina est un très bon soprano, – on l’a constaté récemment dans La Dame de Pique à Baden-Baden mais n’est pas un nom à déchaîner les passions pour Aida. Rashvelishvili est très irrégulière en ce moment et Munich mérite peut-être une autre Amneris.
Reste Luca Salsi, qui devrait briller en Amonasro, mais le rôle est court, et Daniele Rustioni, en qui l’on peut faire confiance pour faire sonner Verdi comme il faut.
Mais soyons clair, cette Aida n’offre pas grand-chose pour remuer le cœur mélomane. Je souhaite me tromper, mais il fallait un cast plus stimulant pour Aida, et pour rendre plus attirant ce premier « nouveau » Verdi de l’ère Dorny. Une fois encore, le répertoire italien n’est pas toujours avantagé…

Juin – Juillet 2023 (Festival)
Brett Dean

Hamlet
(5 repr. du 26 juin au 12 juillet) (Dir : Vladimir Jurowski/ MeS :  Neil Armfield)
Avec Allan Clayton, Caroline Wettergreen, Rod Gilfry, Sophie Koch, Jacques Imbrailo, john Tomlinson etc…
Là, c’est sans doute le contraire. A priori un titre qui ne dit pas grand-chose au grand public, et qui ne fait pas sonner les trompettes de la renommée pour justifier une inauguration de Festival. Et pourtant, c’est une production, depuis sa création en 2017, reconnue de tous comme une très grande œuvre, une très grande direction (de Vladimir Jurowski, qui l’a créé), une très grande production et une très grande distribution réunissant d’excellents chanteurs emmenés par Allan Clayton, vu à la Komische Oper dans Jim Mahoney de Mahagonny où il était bouleversant. Pas de doute, il faut ne pas manquer cet Hamlet-là, c’est un spectacle exceptionnel.
Production du Festival de Glyndebourne

Juillet 2023 (Festival)
Georg Friedrich Händel

Semele
(5 repr. du 15 au 25 Juil.) (Dir: Stefano Montanari/MeS: Claus Guth)
Avec Brenda Rae, Michael Spyres, Jonas Hacker, Jakub Jozef Orlinski, Philippe Sly etc…
Au Prinzregententheater
Coproduction MET Opera New York
Après Ariodante (2000) Rinaldo (2001), Giulio Cesare in Egitto (2002), Alcina (2005) sous le règne de Sir Peter Jonas, et plus récemment Agrippina (2019), productions très liées à Ivor Bolton en fosse pour l’essentiel, Serge Dorny continue la tradition, toujours au Prinzregententheater, mais cette fois avec Stefano Montanari en fosse qui a obtenu un bel accueil de l’orchestre et du public avec les reprises d’Agrippina et de Entführung aus dem Serail cette saison.
Claus Guth, après sa remarquable production de Rodelinda
(à Lyon et ailleurs), revient pour Semele, magnifiquement distribuée, même si j’eusse aimé une autre Semele que Brenda Rae, parfaite vocalement, mais pas toujours émouvante. En fosse, Stefano Montanari, qui est la garantie d’une approche « juste » et vive pour Händel.

Les Festivals

UnicreditSeptemberfest :
Comme au début de la saison 2021-2022, la saison 2022-2023 s’ouvre par la SeptemberFest, qui devrait être à l’opéra ce que l’Oktoberfest est à la bière. Manifestations diverses, visites, représentations à tarifs préférentiels, et concert d’ouverture en plein air à Rosenheim à 60km de Munich, voilà l’essentiel des manifestations, qui visent à élargir le public, attirer de nouveaux profils, donner une couleur populaire à la saison. C’est une bonne initiative, en une période où comme on sait, les salles ne sont pas vraiment pleines, même si Munich reste un théâtre bien rempli.

Ja, Mai
Le Festival Ja, Mai a deux objectifs :

  • Culturel : tisser des liens entre répertoire contemporain et musique ancienne et surtout ancrer le répertoire ancien dans le présent, en l’associant à d’autres formes d’art (théâtre parlé, danse etc…)
  • Collaboratif : faire de l’opéra ailleurs, collaborer avec d’autres institutions culturelles de la ville de Munich, ce sera en 2023 notamment avec la Haus der Kunst (Maison de l’Art)

C’est la thématique de l’attente et du passage du temps, déjà traitée dans la saison par exemple dans Dido and Aeneas et Erwartung, qui dominera à travers notamment deux œuvres de Toshio Hosokawa, compositeur japonais vivant en Allemagne inspirées du Théâtre Nô

  • Hanjo (2004) d’après Mishima, une œuvre sur l’attente, sur les rapports de force et les rapports amoureux aux frontières de la réalité. La mise en scène en est confiée au chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui , en liaison avec l’artiste thaïlandaise Rirkrit Tiravanija. Lothar Koenigs en assure la direction musicale.
    5 repr. du 5 au 14 mai 2023 Dir : Lothar Koenigs/MeS : Sidi Larbi Cherkaoui
    Avec Sarah Aristidou, Charlotte Hellekant, Konstantin Krimmel
    (Haus der Kunst)
  • Matsukatze (2011) d’après une pièce du Maître Zeami (XVe siècle). Une œuvre onirique sur l’amour, la mort, la permanence des sentiments profonds et le retour à la réalité. La pièce intimiste sera mise en scène par Lotte van den Berg, en collaboration avec la plasticienne Alicia Kwade, tandis que l’orchestre (Le Münchner Kammerorchester) sera confié à Johannes Debus.
    5 repr. du 6 au 14 mai 2023 Dir : Johannes Debus/MeS : Lotte van den Berg
    Avec Emily Pogorelc, Martin Snell, Anïk Morel, Tom Erik Lie

En contrepoint à ces deux œuvres,

  • Il ritorno (Claudio Monteverdi)/The year of magical thinking, production du Studio de la Bayerische Staatsoper, dans une lecture particulière, avec le texte de l’œuvre de Joan Didion, L’année de la pensée magique, sur la perte et le deuil et la manière d’y faire face.
    C’est Christopher Rüping, l’un des metteurs en scènes les plus doués de la jeune génération allemande, qui assurera la mise en scène, et Christopher Moulds dirigera le Monteverdi Continuo Ensemble, tandis que la distribution sera composée d’artiste du Studio. Comme avec L’infedeltà Delusa, le Studio prend une part active à la programmation et les jeunes chanteurs sont confrontés à des problématiques d’une production complexe, ce qui est proprement excellent et très formateur.
    6 repr. du 7 au 18 mai 2023, Dir : Christopher Moulds/MeS Christopher Rüping
    Avec les membres du Studio
    Au Cuvilliés-Theater

Münchner Opernfestspiele

La tradition est respectée, le Festival 2023 présentera deux nouvelles productions (voir ci-dessus) Hamlet de Brett Dean, dans la production saluée partout de Glyndebourne 2017 dirigée comme à Glyndebourne par Vladimir Jurowski, et Semele de Händel dans une production de Claus Guth dirigée par Stefano Montanari. Pour la deuxième année, le Festival ouvrira par une grande œuvre contemporaine. Un signe, à n’en point douter et une signature, celle de Vladimir Jurowski.
Les nouvelles productions de l’année sont reprises (en général deux représentations) avec quelques représentations de répertoire, cette fois essentiellement dédiées à Wagner et Verdi. Vous découvrez ci-dessous la liste des titres repris au répertoire en 2023 avec distribution et dates pour l’essentiel.

Le répertoire

Liste des œuvres proposées au répertoire (ordre alphabétique).

Britten, Peter Grimes
Cavalli, La Calisto
Donizetti, Lucrezia Borgia
Dvořák, Rusalka
Haydn, L’infedeltà delusa
Humperdinck, Hänsel und Gretel
Janáček, La petite renarde rusée
Lehár, Giuditta
Mozart, Die Entführung aus dem Serail
Mozart, Die Zauberflöte
Mussorgski, Boris Godunov
Penderecki, Les diables de Loudun
Poulenc, Dialogues des Carmélites
Puccini, La Bohème
Puccini, La Fanciulla del West
Puccini, Manon Lescaut
Reimann, Lear
Rossini, La Cenerentola
Smetana, La fiancée vendue
J.Strauss, Die Fledermaus
R.Strauss, Ariadne auf Naxos
R.Strauss, Elektra
R.Strauss, Salomé
Tchaïkovski, Eugène Onéguine
Verdi, Un ballo in maschera
Verdi, Don Carlo
Verdi, I Masnadieri
Verdi, Nabucco
Verdi, Otello
Verdi, La Traviata
Wagner, Tristan und Isolde
Weber, Der Freischütz

Il est clair qu’avec les dix titres de nouvelles productions, le spectateur ne peut se lamenter d’une offre large qui permet de parcourir largement le grand répertoire standard. On y trouve des productions historiques de la maison comme Die Zauberflöte dans la mise en scène d’Everding ou La Cenerentola de Ponnelle, et l’Elektra de Wernicke qui restent des références monumentales. On trouve aussi des reprises des nouvelles productions de la présente saison (sauf Les Troyens et Le Nez), ce qui est traditionnel, voire de la saison précédente comme Lear, deux très belles productions d’années antérieures ou très antérieures, Dialogues des Carmélites, signée de Dmitry Tcherniakov, trois productions somptueuses de K.Warlikowski, Tristan und Isolde, Salomé, et Eugène Onéguine (avec la nouvelle production de Dido/Erwartung, Warlikowski sera présent sur quatre productions, soit 10% de la production d’opéra, ce qui n’est pas mal…) et enfin la production de Boris Godunov, version 1869, signée Calixto Bieito que je recommande chaleureusement. Il y a de quoi au vu des titres, faire quelques voyages munichois. Nous allons regarder de plus près les distributions dans le paragraphe suivant.

 

Répertoire, ordre chronologique

Septembre 2022:
Haydn, L’infedeltà delusa
(2 repr. les 17 et 18 sept) Dir : Christopher Moulds/MeS : Marie-Eve Signeyrole)
Si vous passez par Munich et que vous n’avez pas vu le Cuvilliés-Theater, c’est l’occasion de le voir puisqu’il abrite cette production reprise pour la Septemberfest où les jeunes du Studio montrent un véritable engagement scénique dans la délicate mise en scène de Marie-Eve Signeyrole. Et en fosse, un chef talentueux spécialiste de ce répertoire, Christopher Moulds

Britten, Peter Grimes
(4 repr. du 21 au 30 sept. ) Dir : James Conlon/MeS : Stefan Herheim
Avec Jonas Kaufmann, Rachel Willis-Sørensen, Christopher Purves etc…
Au seul nom de Kaufmann, dans un rôle qu’il a inauguré à Vienne en 2021, le public devrait venir ou revenir. Il sera intéressant de voir comment il s’empare du personnage conçu par Stefan Herheim dans cette mise en scène que j’ai vraiment appréciée. À ses côtés les excellents Rachel Willis-Sørensen et Christopher Purves et en fosse, un nouveau venu à Munich, mais chef d’opéra consommé et excellent : James Conlon.

Septembre-Octobre 2022/Juillet 2023
Verdi, Don Carlo
(5 repr. du 25 sept au 2 oct et les 28 et 31 juillet) Dir : Andrea Battistoni (Sept) /Daniele Rustioni (Juil)  /MeS Jürgen Rose
Avec Ildar Abdrazakov, Stephen Costello (S/O) Charles Castronovo(J), Clémentine Margaine, Igor Golovatenko(S/O) Ludovic Tézier (J), Krassimira Stoyanova (S/O), Maria Agresta (J).
Le fan d’opéra est bien ennuyé, aucune des deux distributions n’est pleinement satisfaisante, et chacune contient des chanteurs attirants voir exceptionnels. Hors compétition Ildar Abdrazakov en Filippo II, Clementine Margaine qui mérite d’être entendue dans Eboli, Igor Golovatenko et Ludovic Tézier, deux très grands Posa,  deux magnifiques barytons. Ça se corse du côté des Elisabetta, avec une nette préférence pour Krassimira Stoyanova, et encore plus du côté des Don Carlo, où ni Costello ni Castronovo, bons ténors -mais c’est Don Carlo et ni l’un ni l’autre ne méritent un déplacement-. Quant aux deux chefs, Rustioni bien sûr en juillet, et pas vraiment Battistoni, surtout dans cette œuvre. Alors, muni de ces infos : impossible de choisir. Disons qu’à l’extrême on choisirait juillet à cause du chef, mais quelle drôle d’idée que ce couple sans grande saveur Agresta/Castronovo pour un Festival…
Quant à la bonne vieille production Jürgen Rose, elle est bien meilleure que certaines plus récentes…

Octobre 2022
Gioacchino Rossini
La Cenerentola
(4 repr. du 4 au 11 oct.) (Dir : Stefano Montanari/MeS : Jean-Pierre Ponnelle)
Avec Florian Sempey, Renato Girolami, Alasdair Kent, Anna Goryachova, Roberto Tagliavini.
Distribution intéressante pour Sempey et Tagliavini et pour le chef, le remarquable Stefano Montanari qui fait sonner un Rossini haletant, quelquefois heurté, mais toujours intéressant voire passionnant. Pour le reste, c’est de bon ordinaire sans plus. Mais si vous n‘avez jamais vu Ponnelle…

Gaetano DonizettI
Lucrezia Borgia
(4 repr. du 12 au 22 oct.) (Dir : Antonino Fogliani/MeS Christof Loy)
Avec Erwin Schrott, Angela Meade, Pavol Breslik, Teresa Iervolino etc…
Erwin Schrott en Alfonso d’Este ? il va jouer les méchants comme il aime. Pour ma part j’aime des Alfonso un peu plus raffinés, et il y en a. Mais l’intérêt de cette reprise tient à l’excellent chef qu’est Antonino Fogliani plus qu’à la mise en scène de Christof Loy, mais surtout à l’arrivée d’Angela Meade, enfin, sur une grande scène européenne (on l’a vue à Naples et Turin, mais pas ailleurs à ma connaissance), une des grandes voix belcantistes et verdiennes d’aujourd’hui. Il faudrait aussi y penser pour certains Verdi…
Avec Pavol Breslik dont on connaît le succès à Munich et l’excellente Teresa Iervolino en Maffio Orsini cela devrait valoir le coup. Si vous aimez le bel canto, ça vaut le TGV jusqu’à Munich d’autant que vous pouvez combiner avec le titre suivant….

Giacomo Puccini
La Fanciulla del West
(4 repr. du 16 au 28 oct.) (Dir : Daniele Rustioni/MeS : Andreas Dresen)
Avec Jonas Kaufmann, Malin Byström, Claudio Sgura etc…
Rustioni, dans ce Puccini plutôt analytique, proche par certains aspects de l’orchestration de la seconde école de Vienne, sera sans doute à découvrir. Mais comme il y a Kaufmann dans un des rôles où il a brillé mais où il est rare… Inutile d’aller plus loin.
Sgura en Jack Rance est le profil idoine, Malin Byström en Minnie, pourquoi pas, mais si elle a la voix, a-t-elle la chaleur et la rondeur pucciniennes?… Il est vrai qu’une vraie Minnie ne court pas les rues. Et que de toute manière le public n’aura d’yeux que pour le gentil bandit.

Novembre 2022/Avril 2023
W.A.Mozart
Die Entführung aus dem Serail
(3 repr. du 19 au 24 nov. et 3 repr. du 9 au 14 avr.) (Dir: Giedrė Šlekytė /MeS : Martin Duncan)
Avec Nadezhda Pavlova, Katrina Galka (Nov), Caroline Wettergreen (Avr), Pavol Breslik (Nov), Alasdair Kent (Avr) Brenton Ryan (Nov)Jonas Hacker (Avr) etc…
Pour Pavol Breslik et pour Nadezhda Pavlova, avant tout. Donc plutôt novembre.

Novembre/Décembre 2022
Die Zauberflöte

(4 repr. du 28 nov. au 4 déc.)(Dir : Gianluca Capuano/MeS : August Everding)
Avec Tareq Nazmi, Jonas Hacker, Emily Pogorelc, Olga Pudova, Konstantin Krimmel
Une production mythique, avec la possibilité de découvrir ce Mozart-là sous la baguette acérée de Gianluca Capuano avec un cast puisé dans la maison ou dans ses anciens (Tareq Nazmi) et un Tamino à suivre (Jonas Hacker, le ténor-découverte). J’irai sans doute.

Novembre 2022
Giuseppe Verdi
Un ballo in maschera
(4 repr. du 6 au 15 nov.) (Dir: Ivan Repušić /MeS : Johannes Erath)
Avec Anja Harteros, Charles Castronovo, Marie-Nicole Lemieux, George Petean etc…
Un chef digne d’intérêt confronté à l’un des Verdi les plus difficiles à réussir. Une Ulrica de luxe et une voix parfaite pour le rôle, Marie-Nicole Lemieux, Harteros dans des œuvres où elle est particulièrement émouvante, Petean juste et élégant comme d’habitude. Et Castronovo, encore lui, pourquoi pas ?

Richard Strauss
Elektra
(4 repr. du 17 au 27 nov.) (Dir: Vladimir Jurowski/MeS : Herbert Wernicke)
Avec Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova, Violeta Urmana, John Daszak, Károly Szemerédy
Daszak en Aegisth et Károly Szemerédy  en Orest, avec son beau timbre et sa voix veloutée, face à trois Dames qui dominent les scènes aujourd’hui dans leurs rôles respectifs et une production parmi les plus réussies du répertoire munichois, avec le GMD Jurowski en fosse. Que demande le peuple de l’opéra ? On se précipitera, évidemment.

Décembre 2022
Giacomo Puccini
La Bohème
(3 repr. du 19 au 28 déc.) (Dir: Juraj Valčuha/MeS : Otto Schenk)
Avec Elena Guseva, Charles Castronovo, Lucas Meachem, Mirjam Mesak etc…
Le plus intéressant, c’est Juraj Valčuha qui arrive dans la fosse de Munich, lui qui est un excellent puccinien. Pour le reste, du gentil normal, dans une production d’Otto Schenk où j’entendis le même soir Mirella Freni, Luciano Pavarotti et Carlos Kleiber. Ils sont vivants dans ma mémoire.  Et cela suffit.

Engelbert Humperdinck
Hänsel und Gretel
(4 repr. du 9 au 18 déc.) (Dir: Titus Engel/MeS : Richard Jones)
Avec Milan Siljanov/Markus Eiche, Lindsay Ammann, Emily Sierra/Daria Porszek, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke/Kevin Conners etc…
Reprise alimentaire au moment de Noël, avec une représentation pour les enfants à 11h, mais des noms intéressants dont Titus Engel en fosse, qui est l’un des très bons chefs découverts ces dernières années. Si vous y allez, choisissez la représentation avec Markus Eiche, qu’on n’entend pas assez…

Décembre 2022-Janvier 2023
Johann Strauss
Die Fledermaus
(5 repr. du 31 déc au 12 janv.) (Dir : Tomáš Hanus/MeS : Leander Haussmann)
Avec Johannes Martin Kränzle, Jochen Schmeckenbecher, Christoph Pohl, Galeano Salas, Lindsay Ammann.
C’est la tradition de fin d’année, Kränzle est un très grand chanteur, le chef Tomáš Hanus remarquable, la production est cependant à oublier, ratée, et sans intérêt. On espère qu’une autre va lui succéder rapidement.

Bedrich Smetana
La fiancée vendue
(4 repr. du 29 déc. au 7 janv.) (Dir : Gabór Kali/MeS : David Bösch)
Avec Selene Zanetti, Pavol Breslik, Günther Groissböck
La distribution (excellente) de la première, le chef qui devait diriger cette saison Giuditta, mais qui a dû annuler pour maladie. La production séduisante de David Bösch. Si vous passez les fêtes à Munich, c’est le moment pour aller voir cette bonne production, plutôt poétique et tendre.


Janvier 2023
P.I Tchaïkovski
Eugène Onéguine
(3 repr. du 14. au 20 janv.) (Dir : Timur Zangiev/MeS : Krzysztof Warlikowski)Avec Etienne Dupuis, Bogdan Volkov, Günther Groissböck, Elena Guseva, Larissa Diadkova etc…
Le jeune chef Timur Zangiev dirigea en 2020 au Bolchoï Sadko de Rimsky-Korsakov et il m’avait beaucoup plu, il remplaça Gergiev dans la Dame de Pique à la Scala après l’invasion de l’Ukraine en février-mars 2022 et les avis furent partagés : c’est le moment de se faire une opinion dans Eugène Onéguine, plutôt bien distribué avec un cast international où Etienne Dupuis sera Onéguine, Groissböck Grémine, plutôt inattendu, Elena Guseva sera Tatjana qui devrait lui aller ; la grande Diadkova réapparaît et surtout, Bogdan Volkov, que je trouve être l’un des meilleurs sinon le meilleur ténor slave actuel, (il est ukrainien) dans Lenski, à ne pas manquer dans une magnifique production déjà ancienne de Warlikowski.

Giuseppe Verdi
I Masnadieri
(3 repr. du 21 au 26 janv.) (Dir : Antonino Fogliani/MeS : Johannes Erath)
Avec Charles Castronovo, Igor Golovatenko, Lisette Oropesa
À ne pas manquer parce que l’œuvre est rare, elle est superbement distribuée (notamment Oropesa et Golovatenko, moins pour Castronovo) et devrait être excellemment dirigée par Antonino Fogliani.

Janvier-Février 2023
Aribert Reimann
Lear

(3 repr. du 30 janv. au 5 fév.) (Dir: Jukka Pekka Saraste /MeS: Christoph Marthaler)
Avec Tomas Tomasson, Angela Denoke, Erika Sunnegårdh, Jochen Schmeckenbecker, Hanna-Elisabeth Müller, Andrew Watts, Matthias Klink.
Solidement distribuée, même sans Gerhaher, même sans Stundyté une belle production d’un Marthaler sage. A entendre aussi pour la superbe prestation en fosse de Jukka Pekka Saraste.

Février 2023
Franz Lehár
Giuditta
(4 repr. du 10 au 21 fév.) (Dir: Titus Engel/MeS: Christoph Marthaler)
Avec Vida Miknevičiūtė, Daniel Behle, Jochen Schmeckenbecher, Jonas Hacker, Kerstin Aveno etc..
Un Lehár nostalgique (sa dernière opérette) et un Marthaler moins sage, que j’ai adoré, qu’il faut voir et dans lequel il faut se plonger. C’est intelligent, c’est poétique, c’est émouvant et c’est magnifiquement dirigé, chanté et joué. Et surtout n’écoutez pas ceux qui ont détesté, ils ont forcément tort.

Giacomo Puccini
Manon Lescaut
(4 repr. du 16 au 25 fév.) (Dir: Carlo Rizzi/MeS: Hans Neuenfels)
Avec Anja Harteros, Joshua Guerrero, Boris Pinkhasovich etc…
Carlo Rizzi, c’est du solide, et le cast, du très solide avec du neuf – et du lourd. Anja Harteros d’abord, mais aussi Boris Pinkhasovich, un des barytons actuels qui monte et Joshua Guerrero, le ténor qu’on commence à s’arracher – c’est le moment de vérifier si c’est un coup des agents ou une vraie voix intéressante.
Cela devrait valoir le coup, dans une mise en scène du regretté Hans Neuenfels qui fit fuir en son temps Anna Netrebko.

Mars -Juillet 2023
Richard Strauss
Salomé
Mars :  3 repr. du 1er au 8 mars
Juillet : 2 repr. les 11 et 14 juillet
(Dir : Mikko Franck/ MeS : Krzysztof Warlikowski)
Avec Gerhard Siegel, Waltraud Meier, Vida Miknevičiūtė (mars)/Camilla Nylund (juillet), Iain paterson (mars)/Wolfgang Koch (juillet) etc…
Aucun problème au niveau musical : Mikko Franck devrait être très intéressant, et la distribution presque entièrement renouvelée par rapport à la version princeps est incontestable, avec le couple Meier/Siegel . Aucun problème du côté des Salomé, mais est-ce que Camilla Nylund, magnifique chanteuse, est exactement le personnage voulu par la mise en scène ? J’ai mes doutes, alors que Vida Miknevičiūtė est plus conforme à l’image imposée par la vision puissante de Warlikowski.
Mais la production est si forte, si intelligente, qu’il ne faut de toute manière pas la manquer

Krzysztof Penderecki
Les diables de Loudun
(3 repr. du 11 au 16 mars) (Dir: Vladimir Jurowski/MeS : Simon Stone)
Avec Ausriné Stundyté, Ursula Hesse von den Steinen, Nadezhda Gulitskaya, Kostas Smoriginas etc…
Reprise de la production qui a ouvert le Festival 2022 et ce devrait être passionnant, d’autant que Covid oblige, deux représentations sur les quatre ont sauté et que le “grand public” va enfin découvir la monumentale production de Simon Stone.

Francesco Cavalli
La Calisto
(4 repr. du 19 au 28 mars) (Dir: Christopher Moulds/MeS : David Alden)
Avec Dominique Visse, Teresa Iervolino, Louise Alder, Nikolay Borchev
Reprise d’une sage production de David Alden pour une œuvre baroque qui sera sans doute bien dirigée par Christopher Moulds, excellent dans ce répertoire, et bien distribuée (Teresa iervolino, Louise Alden, Dominique Visse…).

Richard Strauss
Ariadne auf Naxos
(3 repr. du 23 au 30 mars) (Dir: Lothar Koenigs/MeS : Robert Carsen)
Avec Andreas Schager, Tara Erraught, Okka von der Damerau, Olga Pudova etc…
Belle distribution, chef correct sans plus, mise en scène classique : ce qui va passionner c’est Okka von der Damerau si populaire à Munich dans Primadonna et Ariadne…

Avril 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata
(3 repr. du 20 au 26 avril) (Dir: Francesco Ivan Ciampa/MeS : Günter Krämer)
Avec Rachel Willis Sørensen, Joseph Calleja, Artur Rucinski.
Du répertoire alimentaire sans aucun (mais vraiment aucun) intérêt.

C.M. von Weber
Der Freischütz

(4 repr. du 16 au 25 avril) (Dir: Lothar Koenigs/MeS : Dmitry Tcherniakov)
Avec Eric Cutler, Julia Kleiter, Nicholas Brownlee, Mirjam Mesak, Wilhelm Schwinghammer.
La dernière production de Tcherniakov, assez complexe pour Munich durant la pandémie, et donc à éclipses. Chef correct, Cutler et Kleiter particulièrement intéressants pour une œuvre relativement rare sur les scènes et qui mériterait peut-être d’être mieux mise en valeur.


Avril-Mai 2023
Giuseppe Verdi
Nabucco
(4 repr. du 30 avril au 9 mai)(Dir : Daniele Rustioni /MeS : Yannis Kokkos)
Avec Amartuvshin Enkhbat, Roberto Tagliavini, Ekaterina Semenchuk etc…
Belle distribution, chef particulièrement inspiré dans cette œuvre, MeS classique et élégante de Yannis Kokkos. Du bon répertoire.

Avril 2023-Juillet 2023
Richard Wagner
Tristan und Isolde
Avril : 3 repr. du 6 au 15 avril
Juillet 3 repr. du 21 au 29 juillet
Dir : Juraj Valčuha /MeS Krzysztof Warlikowski
Avec Anja Harteros, Stuart Skelton, René Pape,  Iain Paterson (Avril) Wolfgang Koch (Juillet) , Jamie Barton etc…
Intéressant choix de Juraj Valčuha pour un deuxième opéra dans la saison après Bohème. Succéder à Petrenko en fosse, c’est un challenge, notamment pour cette œuvre, mais ce chef est vraiment intéressant.
Distribution solide où deux Kurwenal de choix alternent, Iain Paterson et Wolfgang Koch. Le changement de Tristan devrait un peu affecter les vidéos si importantes dans cette production…mais …
Dans cette distribution, un choix m’étonne et me met en colère, c’est celui de Jamie Barton en Brangäne, pour deux raisons :

  • A Aix elle fut médiocre, mauvais phrasé, diction approximative, inintéressant au possible.
  • A Munich lors de la première série, Okka von der Damerau triompha, peut-être ne pouvait-elle pas reprendre le personnage où elle était formidable, et qu’elle reprend cette saison en juin 2022 mais dans ce cas il y a bien des Brangäne en Allemagne qui auraient évité de subir Madame Barton.

Mai 2023
Antonin Dvořák
,
Rusalka
(3 repr. du 14 au 19 mai) (Dir: Henrik Nánási/MeS : Martin Kušej)
Avec Dmytro Popov, Asmlk Grigorian, Günther Groissböck
La distribution se passe de commentaires, elle devrait faire courir les fans. Une production de Kušej est toujours discutable mais a toujours quelque chose à dire et le chef Henrik Nánási est plutôt intéressant.

Juin 2023
Leoš Janáček
La petite renarde rusée
(4 repr. du 10 au 20 juin) (Dir: Mirga Gražinytė-Tyla /MeS : Barrie Kosky)
Avec Elena Tsallagova, Angela Brower, Wolfgang Koch, Martin Snell, Jonas Hacker.
La jolie production de Barrie Kosky, si bien dirigée et magnifiquement distribuée avec le trio Tsallagova, Brower, Koch. Mérite le détour, en couplant avec la production qui suit.

Francis Poulenc
Dialogues des Carmélites

(3 repr. du 5 au 11 juin) (Dir: Johannes Debus /MeS : Dmitry Tcherniakov)
Avec Jochen Schmeckenbecher, Ermonela Jaho, Anna Caterina Antonacci, Véronique Gens, Stéphanie d’Oustrac etc…
Un seul conseil, y courir au vu de la distribution exceptionnelle, de la mise en scène et du chef Johannes Debus, originaire de Speier (Spire), actuellement directeur musical de la Canadian Opera Company qui est l’un des chefs les plus intéressants de la nouvelle génération.

Giuseppe Verdi
Otello

(2 repr. les 27 et 30 juin) (Dir : Myung Whun Chung/MeS : Amelie Niermeyer)
Avec Anja Harteros, Fabio Sartori, Gerald Finley etc…
L’arrivée à Munich de Myung Whun Chung est en soi un événement, dans une œuvre qu’il chérit particulièrement, qu’il a enregistrée, et qu’il dirige magnifiquement. C’est la distribution de la création avec Kaufmann en moins, et Finley et Harteros y étaient exceptionnels. Mais Fabio Sartori, l’Otello prévu, est actuellement en état de grâce vocale.

Juillet 2023
Modest Moussorgski
Boris Godunov (vers. 1869)
(2 repr. les 4 et 6 juil.) (Dir: Vassily Petrenko/MeS : Calixto Bieito)
Avec Ildar Abdrazakov, Maxim Paster, Vitaly Kowaljow, Dmytro Popov,
Vassily Petrenko très bon chef  dirige une reprise d’une production qu’un autre Petrenko avait en son temps repris aussi. Beau cast, et surtout production très intéressante de la version de 1869, sans l’acte polonais.

À ne pas manquer (répertoire)

Peter Grimes, Sept.2022
Lucrezia Borgia, Oct. 2022
Elektra, Nov.2022
Giuditta, Fév. 2023
Salomé, mars et juillet 2023
La petite renarde rusée, juin 2023
Dialogues des Carmélites, Juin 2023
Otello, Juin 2023
Boris Godunov, Juil. 2023

Et dans les nouvelles productions

Così fan tutte (Oct. 2022)
Lohengrin (Déc.2022)
Dido/Erwartung (Janv.2023)
Guerre et Paix (Mars 2023)
Hamlet (Juin-juillet 2023)
Semele (Juillet 2023)

Tout est à voir dans le Festival Ja, Mai, j’ai un petit faible pour

Il ritorno/ The year of magical thinking à cause du metteur en scène et du chef.

On reviendra sur les programmes de récital, les concerts et les festivités du jubilé de l’orchestre. Nous nous limitons cette fois au lyrique.

Conclusion
Une année au profil plus singulier que d’autres théâtres, avec un réel effort pour donner une couleur d’ensemble, et de nouveaux profils et de nouvelles têtes : tout cela est stimulant intellectuellement et artistiquement.
Il manque peut-être des fulgurances de distributions, de celles qui vous font rêver pendant un an avant le grand jour, comme avait pu l’être le Tristan Kaufmann-Harteros.
Il y a évidemment des soirées que chacun aura déjà notées au passage, et le niveau global est plutôt haut. Mais si je trouve que si les chefs italiens de qualité sont présents à Munich dans un répertoire italien assez représenté,  le chant italien en revanche reste sous-représenté: une Anna Pirozzi qui est en train d’exploser est totalement absente au profi d’une Stikhina pas très adaptée.
Et certains ténors très corrects mais qui n’ont jamais marqué par des performances exceptionnelles comme Charles Castronovo sont sur-représentés. Au total on note peu de stars qui remplissent les salles sur leur nom même si on salue le retour (si elle n’annule pas) d’Anja Harteros dans sa maison et deux apparitions de Jonas Kaufmann.
Enfin, on remarque peu de Wagner (deux titres, Lohengrin (NP) et Tristan) et j’aimerais terminer par un rappel : Il y a une production définitivement et doublement victime de la Pandémie, c’est Die Vögel de Braunfels, annulée à la création, vue une fois en juillet 2021 et annulée à la reprise de novembre dernier toujours pour Covid. La production de Frank Castorf est somptueuse, la distribution en était magnifique. Il faudra bien tout de même que le public finisse par la voir car elle est de celles qui font honneur à cette maison : une seule représentation publique depuis la création en octobre 2020 (où la première avait eu lieu devant un parterre de 50 personnes), c’est à rattraper au plus vite.

LA SAISON 2022-2023 DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Le Grand Théâtre de Genève

Introduction
Un peu comme celle de Bogdan Roščić à Vienne, l’arrivée d’Aviel Cahn à Genève a été bousculée par le Covid et c’est seulement pendant la saison 2021-2022 qui se termine qu’on a pu observer l’articulation de son projet pour Genève, et la saison prochaine confirment ces intuitions.
La construction d’une saison est une alchimie, et on doit donc se garder de conclure hâtivement car si c’est sa quatrième saison effective, ce sera sa deuxième complète.
On doit se garder de conclure, encore plus dans un théâtre de système Stagione au nombre de productions limitées où chaque choix pèse plus lourd. Enfin, même si Aviel Cahn a été appelé un peu pour « casser la baraque », il ne pouvait simplement transposer sur les rives du Léman ce qu’il avait réalisé en Flandres.
Les conséquences de la pandémie sont lourdes pour toutes les salles : tous constatent dans la plupart des opéras la difficulté à retrouver les publics d’avant-pandémie ; d’autres habitudes ont été prises, d’autres peurs sont nées, la reprise est fragile, à Genève comme ailleurs et la couleur des saisons, pour la plupart prudentes, s’en ressent.

 

Le Grand Théâtre dans le paysage lyrique européen

La place de Genève est un peu singulière, son théâtre a été voulu par ses habitants sur le modèle du Palais Garnier, avec une capacité un peu surdimensionnée aujourd’hui (1500 places) mais  avec la garantie aujourd’hui d’un public notamment alimenté par les institutions internationales nombreuses sises sur les bords du Léman et un bassin d’habitants à cheval sur la Suisse et sur la France (la Haute Savoie), même si le public français, certes présent, est moins nombreux qu’on ne le pense.

En tant que théâtre d’une ville internationale, il est comparable à La Monnaie de Bruxelles, avec une jauge en spectateurs supérieure (Bruxelles a une jauge de 1150 spectateurs), mais un bassin d’habitants inférieur. Le nombre de productions lyriques est comparable, même si le nombre de représentations par production est supérieur à Bruxelles (salle plus petite, plus de spectateurs potentiels). Du point de vue de la couleur des productions, Bruxelles cherche à rester depuis le temps de Gerard Mortier (années 1980 quand même…) un fer de lance de l’innovation scénique, ce que n’est pas Genève à l’histoire différente.
En termes de comparaison, il peut être aussi mis sur le même plan qu’un Théâtre comme le Teatro Real de Madrid à la jauge légèrement supérieure,  mais au nombre de productions comparables, avec comme Bruxelles, un nombre de représentations supérieur (la population madrilène est nettement plus importante que Genève). En termes productifs, Madrid cherche à rester à l’équilibre entre tradition et innovation, le public espagnol reste assez conservateur et très attaché au répertoire traditionnel notamment italien. Il reste qu’au Teatro Real est passé aussi Gerard Mortier, et que son passage a laissé quelques traces.
Genève est donc un Théâtre en équilibre fragile, qui n‘a pas vraiment de «couleur productive », quelque part entre tradition et modernité depuis
des années, bien avant la pandémie. C’était déjà vrai vers 2008 du temps de Jean-Marie Blanchard qui mena une politique de grande qualité, et assez équilibrée. Le remplissage du Grand Théâtre (1500 places) ne posait guère problème, pas plus que lors des premières années de Tobias Richter qui quant à lui mena une politique peu lisible, plus proche de la tradition des théâtres de répertoire à l’allemande (un comble dans le temple suisse de la stagione !). Pas forcément passionnante. Mais quand la salle est pleine ou à peu près, c’est forcément que ça va bien, et on ne se pose pas de questions…
Les travaux de rénovation qui durèrent quelques années motivèrent un repli dans le théâtre des Nations « éphémère », dont la capacité était de 1000 places.  Pas de problème de remplissage non plus, mais perte d’un tiers de spectateurs potentiels…
Lorsque le Grand Théâtre a rouvert, il a rouvert ses 1500 places et déjà le remplissage s’est fragilisé. Les dernières années nous ont appris que le public captif ça n’existe pas. De plus, pendant les périodes d’ouverture en temps de pandémie avec ses contrôles de pass, de masque etc… bien des spectateurs ont été découragés ou simplement craintifs. Et comme le public genevois n’est pas de toute première jeunesse, il est évidemment sensible aux questions sanitaires : toutes ces raisons cumulées expliquent largement des difficultés actuelles de reconquérir un public qui met du temps à revenir Place de Neuve.

1500 places, c’est aussi la jauge la plus importante de tous les théâtres de Suisse : Zurich en a moins de 1200, Bâle autour de 1000, mais aussi plus que de la plupart des théâtres européens. Les théâtres de très grandes capitales ont autour de 2000 places, les théâtres qui servent un bassin comparable à Genève ont autour de 1000 places. Lyon, qui sert un bassin de population plus important, a par exemple 1100 places.
Enfin, la crise du genre lyrique fait son œuvre, et si l’on pouvait remplir 1500 places à Genève, il y a quelques années, ce n’est plus aussi facile aujourd’hui. Même une salle comme Vienne, traditionnellement remplie à 99% a des difficultés. Et ne parlons pas du MET de New York…
À Genève en plus, il y a la question des tarifs, de l’écart entre les places les moins chères et les plus chères, dans une zone frontalière très mixte où tout le public n’est pas payé en Francs suisses, un Franc suisse dont le taux égale ou dépasse l’Euro .

Comme on le voit, ce sont des questions qui ne tiennent pas à la présence de tel titre, de tels chanteurs, de telles ou telles mise en scène, mais qui tiennent au contexte géographique, sociologique, historique et aussi politique : la question du théâtre est toujours plus politique qu’artistique, c’est d’abord le théâtre de la Cité.
On le voit chez la voisine lyonnaise dont l’Opéra a été une référence culturelle internationale avec un public largement plus diversifié que Genève (et à la billetterie plus de 50% moins chère) mais que la municipalité actuelle (écologiste) ne semble pas vraiment porter dans son cœur tandis que la Région de bord politique opposé, retire aussi de l’argent de manière importante pour des questions de petits jeux internes aux politiques locales. L’Opéra est bien loin.

Dans toute cette complexité, la programmation d’Aviel Cahn – au-delà de l’appréciation sur tel ou tel spectacle, fait honneur au mandat qui lui a été confié : il y a des productions qui n’ont pas bien fonctionné, mais la qualité offerte reste très largement défendable. Elle reste toutefois exploratoire pour l’instant. On commence à peine à voir des lignes de force se dessiner.
Cette programmation est plus disruptive que celle de son prédécesseur, et a sans doute suscité la circonspection, au-delà de la qualité des productions qui n’est pas en cause, d’autant que le contexte du territoire genevois n’est pas celui des Flandres, où Cahn a dirigé l’Opera-Ballet Vlaanderen.

La Flandre, depuis des années, a produit des metteurs en scène et des chorégraphes qui ont illuminé la scène flamande et européenne, et donné un prestige international inédit. À cela, il faut le répéter, le passage de Gerard Mortier à Bruxelles dans les années 1980 n’est pas étranger, bien évidemment, qui a su réveiller la créativité locale. Et la Flandre reste encore aujourd’hui pratiquement quatre décennies plus tard, un territoire de création. Une programmation telle que celle d’Aviel Cahn à Gand-Anvers atteignait un public plutôt accoutumé (ou quelquefois résigné) à ce type de productions.
Le contexte genevois n’est pas comparable, avec un public vieillissant d’un côté, où la présence d’institutions internationales donne aussi à un certain public une couleur un peu mondaine que j’appellerai « internationale-locale » rien à voir avec Gand ou Anvers.
D’ailleurs, aussi bien sous Hugues Gall que Renée Auphan, la politique visait à garantir un niveau musical globalement international et des productions disons consensuelles. Jean-Marie Blanchard a essayé de mener une politique plus avancée sur les productions, en équilibrant l’offre, tout en continuant à défendre un niveau musical qui a longtemps été la marque continue de ce théâtre. Tobias Richter n’a pas réussi à marquer fortement la mémoire artistique, malgré ses dix ans de mandat.

Enfin, Le territoire genevois n’est pas un territoire de création théâtrale, chorégraphique ou lyrique comme l’ont été les Flandres depuis les années 1990.
L’atout de Genève, c’est non pas une histoire théâtrale, mais un passé musical fort, un Grand Théâtre construit à l’imitation de Paris (on voit les ambitions), et une vie musicale riche et variée, avec plusieurs orchestres et un conservatoire de grand prestige international. Cette ville a de telles institutions musicales qu’on se demande comment un projet comme « La Cité de la musique » qui reflète une certaine identité culturelle a pu capoter.
Aviel Cahn a été appelé pour casser un train-train, pour insuffler quelque chose de neuf, et il a trouvé le Covid. La saison qui vient recase du même coup des productions prévues, qui ont quelquefois été répétées sans voir le jour. Ce qui bouscule aussi les profils de saison prévus plusieurs années à l’avance.

Il faut aussi réaffirmer qu’une saison n’est jamais une succession de triomphes où l’on affiche complet, chaque saison a des échecs quelquefois cuisants.  Mais surtout changer les habitudes du public, c’est long, cela dure plusieurs années, quelquefois plusieurs mandats. Genève doit à la fois modifier la couleur de son public, faire évoluer l’offre et garantir encore et toujours le niveau musical du théâtre qui est son ADN. Au total ça fait beaucoup dans la corbeille, cela veut dire tester, risquer, réussir (comme la récente Jenůfa) ou moins réussir, mais cela signifie aussi ne jamais faire de concessions à la qualité. Ce n’est pas une Tosca nouvelle qui fera venir le public régulièrement et remplir le théâtre, ce sera au mieux, une illusion sur un titre : c’est une qualité régulière, et un équilibre continu entre tous les critères qui doit être l’exigence.
C’est la qualité qui paie, et fait venir durablement le public, pas la multiplication des Puccini et Verdi. Et à Genève, la qualité est au rendez-vous.

La saison 2022-2023

Introduction
La saison dernière la thématique choisie était « Faites l’amour », cette année c’est « Mondes en migrations », on semble passer du rose au gris. Mais l’idée de la migration doit être reprise au sens large, migration des peuples, migration intérieure, migration symbolique etc… mais aussi voyages, errances et tous les récits qui les glorifient : Ulysse, le peuple juif, Parsifal, les migrations récentes en sont des exemples.
La thématique est élargie au ballet, où l’événement de l’année est la venue de Sidi Larbi Cherkaoui comme directeur du ballet de Genève, lui aussi un transplanté, belge d’origine marocaine, installé en Flandres qui arrive à Genève.

Le ballet
N’étant pas spécialiste du ballet, je m’abstiendrai de commenter la programmation du nouveau directeur du ballet Sidi Larbi Cherkaoui, avec qui Aviel Cahn a travaillé en Flandres. Mais je noterai plusieurs éléments :

  • En s’installant à Genève, Sidi Larbi Cherkaoui qui est l’un des grands chorégraphes belges et une référence internationale, proche d’Aviel Cahn va contribuer à donner une couleur et une cohérence à l’ensemble de la programmation de la maison
  • De plus, Sidi Larbi Cherkaoui est aussi un metteur en scène d’opéra (on lui doit par exemple une production de grand relief des Indes Galantes à Munich, bien supérieure à celle de Clément Cogitore à Paris et de Lydia Steier à Genève. Il devrait faire aussi de l’opéra à Genève, ce qui est aussi un gage d’originalité du Grand Théâtre que d’avoir dans ses murs un chorégraphe qui soit aussi metteur en scène lyrique.
  • Enfin il a visiblement voulu la saison prochaine signer une saison de ballet qui ait des liens avec la thématique du voyage, mais résolument contemporaine et personnelle, en travaillant notamment avec son complice le chorégraphe Damien Jalet, pour affirmer d’emblée un style . Il sera toujours temps de modifier et d’infléchir les choses les saisons suivantes

Cette manière de tisser le lyrique et le ballet et de ne pas en faire des mondes simplement parallèles et autonomes, c’est aussi un élément d’enrichissement de la programmation. C’est pour moi un signe fort non seulement de la saison, non seulement pour le ballet, mais pour l’ensemble de cette maison que d’accueillir un des grands chorégraphes européens, qui puisse travailler en pleine « intercompréhension » avec Aviel Cahn. Ainsi Genève ne s’affiche pas seulement une machine à produire, mais d’abord comme une machine à créer.

 

Les productions lyriques :

Aviel Cahn propose des séries, des lignes de force, ce qui est aussi un moyen de conquérir d’autres publics, et d’enrichir la compétence des spectateurs. Dans des saisons de stagione, où ce qui est produit l’année X ne sera plus repris, ou ne se reverra pas avant au minimum plusieurs années, il faut créer d’autres habitudes. Les lignes de force, les compositeurs, les artistes qu’on retrouve, les équipes réinvitées, c’est un moyen de poser des pierres miliaires, comme des bornes d’orientation, c’est le cas par exemple de la présence répétée au programme de Janáček. De même faire appel pour certaines productions aux mêmes équipes, c’est aussi créer des repères au public, « le rassurer » en quelque sorte, et contribuer aux équilibres de la saison, à condition que les équipes soient évidemment indiscutables…

2021-2022 a affiché Prokofiev, Monteverdi, Donizetti, Bizet, R.Strauss, Eötvös, Janáček, Puccini.
2022-2023 affiche Halévy, Janáček, Monteverdi, Wagner, Donizetti, Jost, Chostakovitch, Verdi.
Il est certain qu’en huit ou neuf productions on ne peut couvrir l’intégralité du répertoire, y compris sur plusieurs saisons : dans les « musts » on passe de Strauss-Puccini la saison dernière à Verdi-Wagner cette saison et cette bande des quatre ne peut mobiliser chaque année la moitié des productions. Donizetti est aussi un pilier du répertoire, mais il y a des manières différentes d’affirmer une couleur : une année séparent La Juive (1835) de Maria Stuarda (1834), et donc le répertoire romantique occupe environ un quart des choix, et si on ajoute Parsifal et Nabucco le XIXe occupe la moitié des titres, le reste se divisant entre baroque (2), XXe siècle (2) et contemporain (1). La ligne de programmation reste donc une ligne de répertoire traditionnel.
On notera enfin une palette de choix assez subtile entre titres inconnus, titres attendus, créations dans une saison assez classique, convenant a priori au public genevois, et une grande prudence en ce qui concerne le nombre de représentations (environ 6 représentations par production) : le bassin genevois n’est pas extensible.
La saison 2022-2023 apparaît donc diversifiée, avec des distributions solides des artistes qui sont très connus mais très peu de stars (cette année Herlitzius, la saison prochaine Aušriné Stundyte), il serait peut-être pertinent d’afficher un peu plus de grandes références vocales, même s’il faut les retenir bien à l’avance et pas seulement dans des récitals. L’opéra, c’est aussi ce plaisir-là, et pas seulement une plongée dans le sérieux du monde…
N’oublions pas les effets de souvenir : on se rappelle les stars passées à Genève, notamment sous Gall, comme si elles passaient chaque soir alors que sous Gall il fallait aussi jouer sur des équilibres.  Quant aux chefs, ils sont globalement de bon niveau – que je les apprécie ou non- et la nouvelle génération de chefs est suffisamment riche pour permettre à Genève d’être une sorte de rampe de lancement pour des figures nouvelles, à condition qu’on les repère. Cette fonction exploratoire dont je parlais plus haut s’applique aussi au choix des chefs, ce qui est peut-être le plus délicat.

Septembre 2022
Jacques Fromental Halévy
La Juive
(6 repr. du 15 au 28 sept )(Dir :Marc Minkowski /MeS : David Alden)
Avec Ruzan Mantashyan, John Osborn, Ioan Hotea, Elena Tsallagova, Dmitry Ulyanov
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande
Retour de La Juive, pas représentée au Grand Théâtre depuis 1927. Un des musts du XIXe et du début du XXe siècle dans tous les opéras francophones, indirectement célébrée par Proust (Rachel quand du Seigneur). Un retour que Paris a accueilli une fois en 2007, que Lyon a accueilli en 2016. Un Grand-Opéra légendaire, une histoire de tolérance et d’humanité, un énorme succès jusqu’aux années 1920 et une disparition à partir des années 1930, au moment de la montée du nazisme. Hasard ?
John Osborn qui fut un Leopold exceptionnel, chante cette fois Eleazar, et c’est un événement que cette prise de rôle. Ruzan Mantashyan entendue à Genève l’an dernier dans Guerre et Paix sera Rachel et Leopold est confié à Ioan Hotea, un jeune ténor roumain très prometteur, vainqueur du concours Operalia, à l’impeccable phrasé et aux aigus assurés (et nécessaires dans ce rôle). La vibrante Elena Tsallagova sera La princesse Eudoxie, tandis que Dmitry Ulyanov, grande basse devant l’éternel, sera le Cardinal de Brogni. Très belle distribution.
Mise en scène sans doute efficace sinon inventive de David Alden, spécialisé dans ce type de répertoire et surtout pas de risque d’écheveler ni de heurter le public en ce début de saison.
Marc Minkowski dirige ce Grand-Opéra, qui s’en est aussi fait une spécialité (rappelons ses Huguenots), j’aimerais un chef plus raffiné pour une musique qui est plus élégante qu’on ne le croit souvent. Mais on ne peut pas tout avoir. Et Minkowski est un nom qui peut attirer du public.
Ce devrait être de toute manière un beau début de saison et l’occasion de découvrir une œuvre injustement négligée depuis presque un siècle, qui grâce au livret de Scribe, dit des choses fortes sur notre humanité.

L’éclair
(18 septembre 2022 ) Dir : Guillaume Tourniaire.
Avec Éléonore Pancrazi, Claire de Sévigné, Edgardo Rocha, Julien Dran
Orchestre de Chambre de Genève

En prolongement de La Juive, Le GTG propose cet opéra-comique de Halévy, créé la même année (1835) en version de concert. L’idée est séduisante pour faire mieux connaître le compositeur, qui reste pour beaucoup un inconnu, à travers une œuvre qui eut son succès au XIXe.
L’histoire est celle d’un anglais et d’un américain amoureux de deux sœurs, mais l’un des deux hommes devient momentanément aveugle suite à la foudre (« l’éclair »), ce qui complique les choses.
L’Orchestre de Chambre de Genève entame une collaboration avec le Grand Théâtre qu’on espère voir se développer et Guillaume Tourniaire est un chef de très bonne facture.

 

Octobre-novembre 2022
Leoš Janáček
Katia Kabanova
(6 repr. du 21 oct. au 1er nov. 2022)(Dir : Tomáš Netopil /MeS : Tatjana Gürbaca)
Avec Corinne Winters, Aleš Briscein, Elena Zhidkova, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Après la Jenůfa triomphale, et à peine six mois plus tard (toujours en 2022), Aviel Cahn repasse le plat Janáček avec de nouveau une mise en scène de Tatjana Gürbaca et Corinne Winters en héroïne. Quand on aime on ne compte pas. Mais on remarque d’autres noms excellents dans la distribution à commencer par la remarquable Elena Zhidkova qui sera Kabanicha, la belle-mère, et une brochette de remarquables chanteurs, Aleš Briscein, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness. Direction de Tomáš Netopil à prévoir correcte parce que c’est un bon chef, mais sans doute pas aussi imaginatif que Tomáš Hanus qui est l’un des artisans essentiels du triomphe de Jenůfa. Espérons que le succès de Jenůfa attire la curiosité du public pour ce troisième Janáček de l’ère Aviel Cahn  et que le spectacle ait le même accueil.

Novembre 2022
Claudio Monteverdi et contemporains
Combattimento – Les amours impossibles
( 2 repr. les 6 et 7 nov. 2022.)(Dir : Christina Pluhar/Chorégraphie : Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustinjen)
Avec Rolando Villazon, Céline Scheen, Giuseppina Bridelli, Valer Sabadus, Krystian Adam…

Aviel Cahn propose à l’instar des années précédentes avec les tournées du Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer (Orfeo et Incoronazione di Poppea) au succès modéré. Cette fois, il appelle Rolando Villazon, le ténor bien connu qui s’est reconverti dans la répertoire baroque, et qui travaille avec la cheffe Christina Pluhar. Un « spectacle musical » et chorégraphique complété par des vidéos avec des chanteurs de très bon niveau, au-delà de Villazon… Mais soyons clairs, c’est un moyen d’afficher un titre supplémentaire à peu de frais, avec en plus une ex-star du firmament lyrique qui excitera la curiosité… Coup de dés sans grand risque.

Gaetano Donizetti
Maria Stuarda
(6 repr. du 17 au 29 déc. 2022 )(Dir : Stefano Montanari/MeS : Mariame Clément)
Avec Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Gianluca Buratto, Simone del Savio
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Aviel Cahn a installé à Genève, nous l’avons dit, des sortes de séries, des rendez-vous avec des artistes qui reviennent, manière éventuelle de fidéliser le public. Après Anna Bolena, Maria Stuarda avec la même équipe. Je n’ai pas aimé le travail de Mariame Clément dans Anna Bolena, j’ai eu quelques doutes sur le cast, et j’ai applaudi à la direction de Stefano Montanari, une véritable chance pour le GTG dans ce répertoire qui vient d’éblouir Munich dans une reprise d’Agrippina de Haendel, et nul doute qu’il animera l’entreprise (c’est à dire en sera l’âme). On retrouve Elsa Dreisig (qui reviendra, auréolée de ses triomphes berlinois dans Fiordiligi et de sa Salomé très attendue d’Aix) qui sera non Maria Stuarda mais Elisabetta (c’est la surprise du chef) tandis que Stéphanie d’Oustrac sera la reine d’Êcosse. Wait and see. Les rôles masculins seront tenus par de solides chanteurs.
C’est à la fois excitant, et en même temps je crains la déception… c’est la glorieuse incertitude de l’opéra.

Janvier-février 2023
Richard Wagner
Parsifal

(6 repr. du 25 janv. au 5 févr. )(Dir : Jonathan Nott/MeS :  Michael Thalheimer)
Avec Daniel Johansson, Christopher Maltman, Tareq Nazmi, Tanja Ariane Baumgartner, Martin Gantner
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

On se souvient que ce Parsifal a été victime du Covid, récupéré partiellement en forme de concert. Le voilà de nouveau programmé, pour le plus grand bonheur des nombreux wagnériens de Genève. L’histoire du Grand Théâtre est jalonnée de succès wagnériens notables. Certes, toutes les saisons ne peuvent afficher Wagner, mais c’est la première production wagnérienne d’Aviel Cahn et à ce titre, elle mérite une grande attention.
Si la direction est assurée par Jonathan Nott, le directeur musical de l’OSR, la mise en scène est confiée à un artiste très connu en Allemagne, mais pratiquement inconnu en aire francophone : Michael Thalheimer.  Il ne faut pas attendre une lecture qui bousculera le public genevois, mais Thalheimer est un metteur en scène de théâtre solide, où il est plus connu qu’à l’opéra (j’avais vu de lui Les Troyens , une production très épurée à Hambourg). C’est une sorte d’ascète de la scène : Parsifal devrait lui convenir.
Je ne suis pas convaincu par le choix de confier Parsifal à Daniel Johansson, chanteur très honnête, mais qui n’a jamais transfiguré les rôles où je l’ai entendu. Bien plus excitant la prise de rôle en Amfortas de Christopher Maltman, un des barytons les plus intéressants du jour, et un acteur exceptionnel dans les rôles de personnages torturés. Kundry sera Tanja Ariane Baumgartner, qu’on a vue en Clytemnestre cette saison, et qui est une véritable actrice (on va attendre avec avidité son deuxième acte). Intéressant aussi le choix de confier Gurnemanz à Tareq Nazmi, une des basses les plus intéressantes du jour, qu’on a bien connu quand il était en troupe à Munich et qui commence à être invité dans des rôles de plus en plus importants. Enfin, Martin Gantner sera Klingsor, ce très bon baryton (il est un Beckmesser remarquable) devrait trouver une voix intéressante d’interprétation du personnage. Au total, c’est un Parsifal très solide par des choix de distribution originaux, sans être capable sur le papier de faire courir les foules wagnériennes d’Europe. Mais ce n’est sans doute pas le but…

Février-mars 2023
Claudio Monteverdi
Il ritorno di Ulisse in patria

( 6 repr. du 27 févr. au 7 mars )(Dir : Fabio Biondi/MeS : FC Bergman)
Avec Marc Padmore, Sara Mingardo, Jorge Navarro Colorado, Elena Zilio etc…
L’Europa Galante

On s’intéresse beaucoup en ce moment et dans pas mal de maisons à Monteverdi et notamment à Ulisse, le troisième opéra après L’Orfeo et l’Incoronazione di Poppea. Dans la vaste salle du Grand Théâtre, c’est peut-être une gageure, mais on y a vu de grandes réussites baroques.
Pour ma part, j’estime que c’est un des projets les plus convaincants, sinon le plus convaincant de la saison, aussi bien musicalement que scéniquement.  Appeler FC Bergman, le groupe flamand anarchiste et poétique, c’est à la fois audacieux et stimulant pour une œuvre difficile, dramaturgiquement moins stimulante que Poppea par exemple. Douce folie poétique sur scène, et en fosse l’un des meilleurs orchestres baroques de la baroquie européenne, et l’un des premiers ensembles italiens à s’imposer à sa fondation au moment même où c’est le Nord de l’Europe et la France qui tenaient le haut du pavé. Le sicilien Fabio Biondi, le fondateur, sera en fosse : c’est un vrai cadeau pour les genevois que cet orchestre et cette équipe de mise en scène. La distribution ne sera pas en reste : avec de grandes vedettes du chant baroque comme Mark Padmore (irremplaçable interprète des Passions de Bach) et Sara Mingardo, qui reste l’une des références de ce répertoire. Et remarquons dans la distribution Elena Zilio (Ericlea, la nourrice de Pénélope) gloire du chant italien des années 1980, qui ne fut jamais dans les grands rôles, mais irremplaçable là où elle était distribuée. Voilà une production où l’on reconnaît une vraie patte, et voilà ce qu’on aimerait voir plus souvent à Genève.

Mars-avril 2023
Christian Jost
Le voyage vers l’espoir

( 5 repr. du 28 mars au 4 avril)(Dir: Gabriel Feltz/MeS : Kornél Mundruczó)
Avec Kartal Karagedik, Rihab Chaieb, Ivan Thirion, Denzil Dehaene
Orchestre de la Suisse Romande

Encore une victime du Covid, cette production était prévue dès la première saison d’Aviel Cahn, et elle a été passée par profits et pertes à cause de la fermeture des théâtres. Bien heureusement, comme Parsifal, cette production réapparaît deux ans après. Elle traite d’un problème hélas d’une tragique actualité, la migration, à travers une famille kurde qui quitte son pays pour gagner la Suisse, un supposé paradis. L’œuvre est fondée sur le film de Xavier Koller, prix au festival de Locarno 1990, et Oscar du meilleur film étranger en 1991.
Le compositeur Christian Jost, compositeur de 9 opéras, dont un Hamlet pour la Komische Oper Berlin et un Egmont pour le Theater an der Wien. Le dixième est donc cet opéra, fondé sur l’histoire du film de Koller.
La mise en scène est confiée à Kornél Mundruczó, lui-même cinéaste, pour sa troisième mise en scène à Genève après ses deux belles productions que sont L’Affaire Makropoulos en 2020 et Sleepless en 2022. Mundruczò commence à essaimer les scènes européennes, comme Hambourg, Munich, Berlin.
C’est l’excellent chef Gabriel Feltz, GMD de Dortmund, qui dirigera, et c’est un nouveau profil pour Genève, un de ces chefs qui dirigent partout en Allemagne, mais peu à l’étranger plutôt attiré à l’opéra par le XXe siècle et le contemporain. Dans la distribution, notons Kartal Karagedic, que j’avais beaucoup apprécié en Chorèbe dans Les Troyens à Hambourg, où il est membre de la troupe.
Ce sont des ingrédients qui devraient garantir une production intéressante.

Mai 2023
Dmitry Chostakovitch
Lady Macbeth de Mzensk

(5 repr. du 30 avril au 9 mai )(Dir : Alejo Pérez/MeS : Calixto Bieito)
Avec Aušriné Stundyte, Dmitry Ulyanov, John Daszak, Ladislav Elgr, Kai Rüütel etc…
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une fois de plus Aviel Cahn propose des rendez-vous répétés avec des séries, comme nous l’avons déjà souligné, puisque la série russe est marquée par le couple Alejo Pérez, excellent chef qui a convaincu dans Guerre et Paix, et la production déjà ancienne (2014) de Calixto Bieito, venue du OperaBallet Vlaanderen qui avait saisi le public par son univers apocalyptique fait de violence et de sexe. Accueil triomphal à l’époque.
Dans le rôle-titre, la Katerina du moment, qui l’interprète sur toutes les scènes, Aušriné Stundyte, fabuleuse dans les mains de Calixto Bieito. Aucune hésitation, c’est une production phénoménale qui fit date. La revoir à Genève est une chance.

Juin 2023
Giuseppe Verdi
Nabucco

( 8 repr. du 11 au 29 juin )(Dir: Antonino Fogliani/MeS: Christiane Jatahy)
Avec Simone Alaimo, Saioa Hernandez, Riccardo Zanellato, Davide Giusti, Ena Pangrac
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une prise de rôle est un événement et quand il s’agit de Nicola Alaimo, l’un des plus grands barytons italiens, spécialiste de Rossini et de Bel Canto, qui aborde Nabucco, il faut se précipiter. Saioa Hernandez sera sans nul doute une Abigaille solide. Zanellato n’était pas en grande forme ces derniers mois, espérons qu’il se sera repris car c’est une grande basse. Et Antonino Fogliani est l’un des chefs italiens à suivre en ce moment.
Reste la mise en scène.
Elle est confiée – et c’est une excellente idée – à la brésilienne vivant en France Christiane Jatahy, l’une des artistes les plus intéressantes du théâtre aujourd’hui, qui use avec intelligence et finesse de la vidéo, et qui après un Fidelio à Rio de Janeiro, aborde de nouveau un opéra monumental s’il en est, l’un des musts de Verdi. Si la production est réussie, sa carrière sera sans doute lancée à l’opéra.
Alaimo et Jatahy, deux motifs puissants pour faire de ce Nabucco la deuxième nouvelle production totalement stimulante de la saison.

Au total, aucun des titres, aucune des productions n’est dénuée d’intérêt, soit par la rareté, soit par les choix artistiques, chacune se justifie.
Mais pour ma part, trois me rendent impatient : Il ritorno di Ulisse in patria, Lady Macbeth de Mzensk et Nabucco.

Concert du Nouvel An
Marina Viotti, Stanislas de Barbeyrac
Marc Leroy
Orchestre de chambre de Genève

Deuxième concert avec l’Orchestre de chambre de Genève dirigé par Marc Leroy pour le Nouvel An avec deux des voix les plus intéressante du panorama aujourd’hui, Marina Viotti, mezzo de plus en plus réclamée et particulièrement musicale, figlia d’arte puisque fille du chef suisse Marcello Viotti et sœur de Lorenzo Viotti. Mais si elle a un nom effectivement connu, elle s’est fait un très solide prénom.
Et puis le ténor français mozartien (et bientôt beethovénien) Stanislas de Barbeyrac, une des voix françaises les plus en vue, et les plus intéressantes.
Joli cadeau pour le Nouvel An

Récitals

Diana Damrau (24 septembre)
Bryn Terfel
(26 novembre)
Nina Stemme
(4 février)
Simon Keenlyside
(4 mars)
Anne Sofie von Otter
(16 juin) 

C’est courageux dans la période actuelle de programmer une série de récitals, un art qui peine à survivre hors du monde germanophone, même si tous les chanteurs invités sont des stars. L’art du récital est très spécifique : on a vu certains s’écrouler en récital alors qu’ils dominaient les scènes. Bien sûr, il faudra aller écouter Bryn Terfel, l’un des phares de l’opéra des vingt dernières années, les stars Damrau et Stemme, et d’authentiques spécialistes de la mélodie, Anne Sofie von Otter et Simon Keenlyside (qui se souvient de son Pelléas magique à Genève ?) savent installer un univers et une chaleur dans une salle quand ils abordent la mélodie.
Un choix équilibré, qui justifie qu’on aille à chaque concert, mais on aimerait aussi voir l’une de ces stars dans une production d’opéra… Genève le vaut bien.