LA SAISON 2022-2023 DE LA BAYERISCHE STAATSOPER DE MUNICH

Le Nationaltheater de Munich

La saison 2 de Serge Dorny à Munich permet de mieux saisir les principes qui vont gouverner les prochaines années à la Bayerische Staatsoper et de préciser un profil qui s’annonce assez singulier dans les grandes maisons de l’aire germanophone.
La saison 1 s’est déroulée avec quelques accrocs dus à la fois à la Pandémie (capacité de salle réduite, et surtout ces derniers mois nombreux changements de distribution dus à la multiplication de cas positifs parmi les artistes) et à la guerre en Ukraine, qui a amené le report d’une des productions, Koma, dont l’orchestre et le chef étaient MusicAeterna et Teodor Currentzis, notoirement financés par l’oligarchie russe, ce qui pouvait choquer en ce moment très délicat et qui crée d’ailleurs le même type de problèmes à d’autres institutions.

La Bayerische Staatsoper

La Bayerische Staasoper est une maison de grande tradition, à rapprocher de sa voisine la Wiener Staatsoper à quatre heures de train, avec une forte dose de répertoire et un grand nombre de représentations annuelles.  Elles se ressemblent aussi par la situation qu’elles ont connue à l’issue de la deuxième guerre mondiale, l’une rouverte en 1955, l’autre en 1967 après la reconstruction de la salle détruite par les bombardements.
Elles se ressemblent moins ces dernières années par leur couleur, plus traditionnelle à Vienne, plus ouverte à Munich où les intendants (on dit ici Staatsintendant : Intendant d’État) qui se sont succédé, que ce soit Sir Peter Jonas, Nikolaus Bachler et maintenant Serge Dorny essaient de naviguer savamment entre modernité et tradition, entre raretés, productions novatrices et répertoire avec pour chacun des spectacles qui ont souvent marqué le paysage lyrique international.
Un autre caractère de Munich est l’importance accordée aux chefs d’orchestres, au-delà de leur GMD (Generalmusikdirektor) : Munich fut longtemps le port d’attache d’un Carlos Kleiber par exemple. Mais si l’on considère leurs GMD, ils ont nom depuis les années 1970 Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta, Kent Nagano, Kirill Petrenko et maintenant Vladimir Jurowski, des noms qui comptent dans le paysage des 50 ou 60 dernières années. Nous avons souvent rappelé la liste des noms de chefs prestigieux qui ont dirigé cette maison parmi lesquels Hans von Bülow, Hermann Levi, mais aussi Richard Strauss lui-même, jusqu’aux plus récents cités plus haut.

Munich est donc une maison enracinée dans l’histoire, qui remonte à loin d’ailleurs puisque son orchestre est né en 1523 (c’est en 2023 le cinquième centenaire), a créé Idomeneo de Mozart en 1781, et des œuvres essentielles de Richard Wagner, rien moins que Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold et Die Walküre.

Quand on pense Munich, on pense donc Wagner, mais aussi Richard Strauss né à Munich, même si dans son cas la plupart des opéras ont été créés à Dresde, quelques-uns à Vienne, et seuls Friedenstag et Capriccio à Munich. Mais il reste que c’est une maison de référence pour Richard Strauss également (qu’on pense seulement au fameux Rosenkavalier d’Otto Schenk illuminé par Carlos Kleiber, et aux opéras ravivés par Wolfgang Sawallisch comme Die Ägyptische Helena, Die Liebe der Danae, ou Die schweigsame Frau ).

On aimerait d’ailleurs que cette maison dont les murs parlent avec les portraits ou les bustes des gloires de son passé le mette mieux en valeur car jusqu’ici les sites successifs (celui de Bachler et le tout récent de Dorny) ont valorisé le présent, mais très peu le passé au contraire du voisin viennois, dont le site est un maître en matière de plongée dans l’histoire et les archives.

Mais ces deux grandes maisons, parmi les plus importantes (sinon les plus importantes) en Europe et qui focalisent beaucoup de regards des mélomanes internationaux ont un profil singulier car elles sont et restent des maisons dont le répertoire est la base du fonctionnement. À Vienne, cette question est encore plus fondamentale et a servi de prétexte pour attaquer directeurs et directeurs musicaux (dont Claudio Abbado).
À Munich, le répertoire compte évidemment beaucoup, mais il n’est pas aussi large qu’on penserait, avec des pans absents dans des répertoires théoriquement essentiels pour l’opéra : peu de Rossini sérieux, pas beaucoup de jeune Verdi, pas trop de baroque. Pourtant, à la différence de Vienne, Munich peut disposer au moins partiellement de deux belles salles alternatives pour des formats plus réduits, le Cuvilliés-Theater tout proche dans la Résidence, et le Prinzregententheater (le petit Bayreuth) siège de l’Académie Théâtrale August Everding, qu’il utilise pour la production baroque du Festival annuel.

Serge Dorny

Serge Dorny, par sa formation, par sa carrière, ne vient pas du système allemand. Tous ceux qui comme lui ont entouré Gerard Mortier et sont ses « héritiers » ont évolué dans des théâtres de stagione. Dorny, par sa carrière, du festival des Flandres au London Philharmonic Orchestra puis à l’Opéra de Lyon est d’abord un « producteur » qui veut donner une vraie couleur artistique à une institution. On a pu le constater à Lyon. Il trouve ici le système de répertoire et assume la nécessité de le faire fonctionner. Mais il est clair qu’il n’en fait pas un point de focalisation.
Munich, c’est tout de même à peu près un nombre de nouvelles productions qui ferait une saison ordinaire de théâtre stagione, complété par la bagatelle de 32 productions de répertoire, soit un total de 42 spectacles lyriques différents.
Il est forcément impossible de ne se focaliser que sur les nouvelles productions : il faut choisir les reprises de répertoire qui correspondent à la nécessité (les grands standards), à la couleur qu’on veut imprimer (les bonnes mises en scène passées) et aux compositeurs qu’on veut valoriser sans forcément faire de nouvelles productions. Autant de critères qui permettent de scruter les caractères globaux d’une saison, et pas seulement les nouvelles productions, qui ne peuvent dans une telle institution avoir seulement un effet de façade et doivent vite se fondre dans les productions de répertoire à reprendre à intervalles réguliers.

La Staatsoper de Munich, en 2022-2023, c’est 42 opéras différents (10 nouvelles productions et 32 productions de répertoire), 3 nouveaux ballets et 8 reprises (soit 11 productions au total), et si on fait le total, 247 soirées d’opéra ; 78 soirées de ballet, et au total 442 levers de rideaux (avec les concerts, récitals etc…). Une machine de production industrielle, qui doit garantir une haute qualité constante, avec un personnel nombreux, compétent, fortement dédié à la maison.
Cette maison a sa couleur, son public globalement plutôt accueillant à la modernité (plus qu’à Vienne en tous cas), et on a pu le constater dans cette saison, elle a gardé une fréquentation haute, même si comme partout, il y a çà et là des places vides, comme l’a souligné récemment Jonas Kaufmann dans une  déclaration à un journal australien qui a fait un peu de bruit.
Certains en ont déduit que le temps du Regietheater (appellation globale et erronée de toutes les mises ne scène un peu contemporaines par ceux qui les détestent)  était terminé et qu’enfin le public avide d’opéra allait pouvoir rêver et s’évader enfin devant des spectacles (traditionnels s’entend) qui allaient comme par magie remplir les salles.
Je crains que les metteurs en scène invités à Munich ne fassent pas partie de ce rêve-là, Serge Dorny, à raison, a toujours voulu inscrire l’opéra dans le monde contemporain.  Il rejoint d’ailleurs le souci de Bogdan Roščić à Vienne, encore plus concerné par la question. Tout comme le cinéma ou le théâtre, l’opéra ne peut refléter que le monde dans lequel il évolue.
Il reste que c’est pour les managers actuels un chemin un peu étroit, et l’énorme diversité des réponses données aux mêmes questions à Paris, Milan, Londres, New York, Berlin, Vienne et Munich (et ailleurs) montre que c’est encore Pirandello qui a raison, à chacun sa vérité.

Une question à résoudre au plus vite : le matériel de communication et surtout le site

Dans une maison de si grande tradition, c’est pour moi l’idée de continuité qui doit primer. Comme beaucoup de managers nouvellement installés, Dorny voit dans les changements d’outils de communication le signe visible que quelque chose de neuf commence. Soit. Mais l’idéal est que ces outils répondent aussi à des besoins nouveaux, ou améliorent l’existant, au niveau pratique d’abord, esthétique éventuellement.
À Munich, tout le matériel a changé et pas forcément en bien. Si les nouveaux programmes sont plutôt bien faits et assez élégants, ils sont imprimés avec des caractères un peu réduits, et pâles, à la lecture quelquefois difficile pour les yeux fatigués du public vieillissant. Est-ce bien utile ? Cela répond-il à une nécessité pratique ? Poser la question, c’est y répondre.

Pour un souci de cohérence d’image, le même type de caractère et de casse réduite est aussi l’apanage du site, qui quant à lui est à repenser de fond en comble dans sa fonction, dans les informations qu’il donne et leur hiérarchisation, avec des problèmes lourds et agaçants :

  • Impossibilité de trouver une cohérence quelconque à cette architecture,
  • Difficulté à y trouver l’information qu’on y cherche.

Un site de ce type doit être efficace et rapide, éviter les longs textes, et se mettre à la place du spectateur moyen qui cherche d’abord des dates et des titres, avant de chercher des discours sur tel ou tel Festival ou telle ou telle production.
Le site actuel est peu lisible, peu pratique, avec des erreurs, des liens problématiques et j’en passe. Même s’il s’est un peu amélioré depuis quelques mois, c’est la conception globale qui est à revoir, avec sa lecture difficile, son moteur de recherche bancal etc… etc..
Un seul exemple : la présentation de la nouvelle saison ignore les reprises de répertoire qui constituent les 3/4 de l’offre lyrique. L’ancien site au moins proposait à la fois (et clairement) les premières et la liste des reprises de répertoire… Une fois encore le site de l’opéra de Vienne est ici un bon exemple d’outil pratique, simple et lisible, même si esthétiquement banal.

Enfin, il manque ce qui fait le prix des sites de Vienne, de Paris, de la Scala, de Salzbourg, de Bayreuth, de Rome, du MET, à savoir un moteur de recherche des archives des représentations qui permettent de remonter l’histoire du théâtre et son passé.
Pour des institutions qui sont des références, aussi ancrées dans l’histoire que Munich, les racines sont aussi importantes que les rameaux fleuris du présent et aucun intendant depuis l’arrivée d’internet n’y a pensé, ce qui est singulier.
En bref, il me semble qu’une remise à plat totale est urgente, mettant en face les besoins du spectateur et les réponses proposées, avec une juste hiérarchie des informations et une lisibilité améliorée. N’oublions jamais que trop d’infos désordonnées n’aboutissent qu’au découragement et au déclic après le clic.

 

La saison 2022-2023

À l’instar de quelques autres théâtres, la saison est placée sous un « Motto », qui vise essentiellement les nouvelles productions, cette année « Chants de guerre et d’amour ».
On sait que les saisons sont préparées plusieurs années à l’avance et répondent à des exigences variées, remplacement d’anciennes productions ayant fait leur temps, introduction de nouvelles pièces au répertoire etc… et ne répondent pas à une thématique conçue à l’avance.
Mettre une saison sous un chapeau thématique c’est de la communication qui indique une couleur générale, mais l’outil reste à mon avis un peu artificiel, et n’intéresse que quelques spectateurs. Par exemple, le thème de la saison précédente, « Chaque homme est un roi » pourrait être aussi bien la thématique de tout un mandat tant elle concerne tout le répertoire.
Celle de cette année, choisie avant l’explosion de la guerre en Ukraine, rappelle opportunément que la guerre est un élément fondamental de la vie du monde qui jamais ne l’a quitté, mais peut aussi être entendue métaphoriquement, et donc le champ est fort large, de la guerre traditionnelle à la guerre psychologique ou aux conflits familiaux. Quant à l’amour, il traverse pratiquement tout le répertoire lyrique et théâtral… Un motto, cela convient peut-être plus à un Festival qu’à une saison d’opéra.

 

Quelques mots sur le Ballet

La question ukrainienne a eu également une conséquence indirecte plutôt positive :  après le départ d’Igor Zelensky, directeur du ballet, c’est Laurent Hilaire, démissionnaire de son poste au Stanislawski de Moscou pour les raisons qu’on imagine, qui arrive à la direction du ballet de Munich et c’est une excellente nouvelle. Nous n’aborderons la question du ballet que pour souligner à la fois l’équilibre des deux nouvelles productions (une réflexion d’Alexei Ratmansky sur le ballet classique à partir d’ouvertures de Tchaïkovski, et un nouveau spectacle très contemporain de deux des grands noms de la scène de la danse, Sol León et Paul Lightfoot intitulé Schmetterling) avec au répertoire des reprises de ballets importants dans l’histoire récente, signés Christopher Wheeldon (Cendrillon), John Cranko (Roméo et Juliette), John Neumeyer (Le songe d’une nuit d’été), Georges Balanchine (Jewels), mais aussi les reprises de Coppelia (Roland Petit) et La Bayadère (Patrice Bart) qui revient après 5 ans d’absence.

Les nouvelles productions lyriques

Avec le Festival Ja, Mai que nous traiterons spécifiquement, il y a dix nouvelles productions pour l’ensemble de la saison prochaine, qui vont du baroque au contemporain, mais qui font la part plus belle que la saison actuelle au répertoire standard, avec un Mozart (Cosî), un Wagner (Lohengrin), un Purcell (Dido) un Verdi (Aida), un Händel (Semele) et un Monteverdi pour Ja, Mai (Il ritorno di Ulisse), soit six productions « classiques » alors que la saison actuelle, carte de visite  en quelque sorte, affichait presque exclusivement un répertoire XXe, Berlioz et Haydn exceptés.
Il s’agit de remplacer des productions qui ont fait leur temps, comme Aida ou Cosi fan tutte, proposer des titres nouveaux aussi comme Semele, continuant une série Händel commencée par Sir Peter Jonas au début des années 2000 et aussi inscrire des projets plus novateurs comme la mise ensemble en un spectacle unique de Dido and Aeneas et Erwartung ou l’inauguration du Festival 2023 avec Hamlet de Brett Dean, importé de Glyndebourne.
Les choix de chefs et de metteurs en scène introduisent aussi des figures nouvelles à Munich, ce qui est intéressant et la plupart des distributions sont bien calibrées.

Enfin cette saison voit une présence plus affirmée et fréquente du GMD Vladimir Jurowski, qui dirigera trois nouvelles productions et d’autres productions de répertoire. Dans cette maison, le GMD doit être un levier, il suffit de penser à son prédécesseur immédiat, et sa présence doit s’affirmer plus fortement qu’actuellement.

Considérons les choses dans le détail.

Octobre-novembre 2022/Juillet 2023
W.A.Mozart
Cosi fan tutte
(8. repr. du 26 oct. au 10 nov. Et les 15 et 17 juillet)
(Dir : Vladimir Jurowski / MeS : Benedict Andrews)
Avec Christian Gerhaher, Sandrine Piau, Louise Alder, Avery Amereau, Konstantin Krimmel, Sebastien Kohlhepp.
Bayerisches Staatsorchester
Il était temps de remplacer la production de Dieter Dorn de 1993, valeureuse, mais désormais trentenaire, âge canonique pour une production. Dorny a invité Benedict Andrews, auteur d’un très remarqué Ange de Feu de Prokofiev à la Komische Oper Berlin, repris à Lyon. Il fait partie de la jeune génération de metteurs en scène australiens très doués. C’est Vladimir Jurowski qui assure la direction musicale, en tant que GMD pour ouvrir la saison. Il est plutôt rare dans Mozart et ce sera donc très stimulant à écouter. La distribution réunit des chanteurs tout neufs, quelquefois d’excellents éléments de la troupe (Avery Amereau, Konstantin Krimmel) d’autres des jeunes voix remarquables comme le ténor Sebastien  Kohlhepp (entendu et applaudi dans Giuditta cette saison) ou Louise Alder, magnifique Sophie à Vienne et qui devient l’un des noms inévitables aujourd’hui et d’autres plus vieux routiers, mais très grands interprètes, comme Christian Gerhaher en Don Alfonso (Johannes Martin Kränzle en juillet, ce qui est aussi référentiel) et Sandrine Piau en Despina. Un cocktail à goûter avec gourmandise.

Décembre 2022/Juillet 2023
Richard Wagner
Lohengrin
( 8 repr. du 3 au 21 déc. et les 16 et 19 juil.) (Dir : François Xavier Roth/MeS : Kornél Mundruczò)
Avec : Klaus Florian Vogt, Marlis Petersen, Mika Kares, Johan Reuter, Anja Kampe, Andrè Schuen
Bayerisches Staatsorchester
La production de Richard Jones, de 2009 (la fameuse production où se construit une maison au long des trois actes) n’était sans doute pas suffisamment convaincante pour durer. Elle avait été huée à sa création – c’est habituel, mais ça ne facilite pas le vieillissement. Serge Dorny a appelé le cinéaste hongrois Kornél Mundruczö, qui après un très intéressant Tannhäuser à Hambourg en avril 2022, se frotte cette fois à Lohengrin.
Distribution presque sans failles, Klaus Florian Vogt, le Lohengrin de la période, Anja Kampe, à la voix spectaculaire pour Ortrud, et une prise de rôle pour Elsa, Marlis Petersen qui devrait être passionnante, comme tous les rôles qu’elle touche.  Complètent le cast Mika Kares, la basse finlandaise spécialiste des rois nobles, en Heinrich, et le Héraut, Andrè Schuen, découvert dans Mozart (Figaro, Cosi) qui se frotte cette fois à Wagner. Seule ombre, le Telramund de Johan Reuter, chanteur de qualité (voir son Wozzeck parisien), mais relativement neutre pour un rôle qui exige du relief, un relief qu’il n’a pas.
Prodigieusement intéressante en revanche, la venue pour la première fois à l’opéra de Munich de François Xavier Roth, GMD de la ville de Cologne, qui devrait sans doute donner à l’œuvre de Wagner une couleur nouvelle.
À ne pas manquer donc.

Janvier 2023
Henry Purcell/Arnold Schönberg
Dido and Aeneas/Erwartung
(7 repr. du 29 janv au 10 fév. et les 20 et 22 juillet)(Dir: Andrew Manze / MeS: Krzysztof Warlikowski)
Avec Aušriné Stundyté, Günter Papendell, Victoria Randem, etc…
Bayerisches Staatsorchester
Voilà un spectacle singulier, qu’il faut considérer dans son ensemble, autour de l’attente et de l’inconnu, avec au centre l’interprète hors pair qu’est Aušriné Stundyté, aussi bien Dido que la femme dans Erwartung. L’univers de Warlikowski convient très bien à ce type de projet. Très bien entourée dans Dido and Aeneas, avec notamment l’excellent Günter Papendell en Aeneas, et Victoria Randem en Belinda, que les genevois et les berlinois ont applaudie (elle y était magnifique) dans Sleepless d’Eötvös.
En fosse, pour la première fois à Munich, l’un des chefs les plus intéressants du jour, et pour cela discuté, pour le baroque, mais pas seulement, Andrew Manze (qui officie actuellement comme chef de la NDR Radiophilharmonie à Hanovre, avec un contrat prolongé pour la deuxième fois jusqu’en 2023) La curiosité est déjà stimulée.

Mars 2023
Serguei Prokofiev
Guerre et Paix (Wojna i mir)
(7 repr. du 5 au 18 mars et les 2 et 7 juillet) (Dir : Vladimir Jurowski/ MeS Dmitry Tcherniakov)
Avec Andrei Zhilikowski, Olga Kutchynska, Violeta Urmana, Eric Cutler, Dmitry Ulyanov etc..
Bayerisches Staatsorchester
Coproduction Grand Teatro del Liceu, Barcelone
Sans aucun doute l’un des musts de l’année, le gigantisme de Guerre et Paix de Prokofiev confié au maître des transformations des histoires (et quelle histoire !) à l’intérieur d’un espace contraint : Dmitry Tcherniakov. Une distribution pléthorique avec des noms très intéressants comme Andrei Zhilikowsky ou Olga Kutchynska, déjà bien habituée à Munich (elle est la Suzanne très applaudie des Nozze de Christof Loy) Eric Cutler, un ténor de plus en plus demandé, Dmitry Ulyanov, l’une des meilleures basses du moment (il fut un fabuleux Roi Dodon dans Le Coq d’Or à Lyon et Aix) et une soixantaine d’autres rôles.
En fosse, c’était presque obligatoire, le GMD Vladimir Jurowski, dans ce répertoire qui est sien.
À ne pas manquer non plus.

Mai 2023
Giuseppe Verdi
Aida

(11 repr. du 15 mai au 7 juin et les  23, 27 et 30 juillet) (Dir : Daniele Rustioni/ MeS Damiano Michieletto)
Avec Elena Stikhina, Brian Jagde, Anita Rashvelishvili, Luca Salsi.
Bayerisches Staatsorchester
La production Christof Nel de 2009 n’a pas marqué les esprits et part à la retraite. C’est Damiano Michieletto qui prend le relais, il n’est pas certain qu’elle suive un autre destin. Les productions Michieletto à part quelques exceptions ne marquent pas les mémoires.
La distribution non plus ne devrait pas emporter l’enthousiasme des foules. Brian Jagde est un ténor de répertoire, correct, mais plus vériste que verdien. Elena Stikhina est un très bon soprano, – on l’a constaté récemment dans La Dame de Pique à Baden-Baden mais n’est pas un nom à déchaîner les passions pour Aida. Rashvelishvili est très irrégulière en ce moment et Munich mérite peut-être une autre Amneris.
Reste Luca Salsi, qui devrait briller en Amonasro, mais le rôle est court, et Daniele Rustioni, en qui l’on peut faire confiance pour faire sonner Verdi comme il faut.
Mais soyons clair, cette Aida n’offre pas grand-chose pour remuer le cœur mélomane. Je souhaite me tromper, mais il fallait un cast plus stimulant pour Aida, et pour rendre plus attirant ce premier « nouveau » Verdi de l’ère Dorny. Une fois encore, le répertoire italien n’est pas toujours avantagé…

Juin – Juillet 2023 (Festival)
Brett Dean

Hamlet
(5 repr. du 26 juin au 12 juillet) (Dir : Vladimir Jurowski/ MeS :  Neil Armfield)
Avec Allan Clayton, Caroline Wettergreen, Rod Gilfry, Sophie Koch, Jacques Imbrailo, john Tomlinson etc…
Là, c’est sans doute le contraire. A priori un titre qui ne dit pas grand-chose au grand public, et qui ne fait pas sonner les trompettes de la renommée pour justifier une inauguration de Festival. Et pourtant, c’est une production, depuis sa création en 2017, reconnue de tous comme une très grande œuvre, une très grande direction (de Vladimir Jurowski, qui l’a créé), une très grande production et une très grande distribution réunissant d’excellents chanteurs emmenés par Allan Clayton, vu à la Komische Oper dans Jim Mahoney de Mahagonny où il était bouleversant. Pas de doute, il faut ne pas manquer cet Hamlet-là, c’est un spectacle exceptionnel.
Production du Festival de Glyndebourne

Juillet 2023 (Festival)
Georg Friedrich Händel

Semele
(5 repr. du 15 au 25 Juil.) (Dir: Stefano Montanari/MeS: Claus Guth)
Avec Brenda Rae, Michael Spyres, Jonas Hacker, Jakub Jozef Orlinski, Philippe Sly etc…
Au Prinzregententheater
Coproduction MET Opera New York
Après Ariodante (2000) Rinaldo (2001), Giulio Cesare in Egitto (2002), Alcina (2005) sous le règne de Sir Peter Jonas, et plus récemment Agrippina (2019), productions très liées à Ivor Bolton en fosse pour l’essentiel, Serge Dorny continue la tradition, toujours au Prinzregententheater, mais cette fois avec Stefano Montanari en fosse qui a obtenu un bel accueil de l’orchestre et du public avec les reprises d’Agrippina et de Entführung aus dem Serail cette saison.
Claus Guth, après sa remarquable production de Rodelinda
(à Lyon et ailleurs), revient pour Semele, magnifiquement distribuée, même si j’eusse aimé une autre Semele que Brenda Rae, parfaite vocalement, mais pas toujours émouvante. En fosse, Stefano Montanari, qui est la garantie d’une approche « juste » et vive pour Händel.

Les Festivals

UnicreditSeptemberfest :
Comme au début de la saison 2021-2022, la saison 2022-2023 s’ouvre par la SeptemberFest, qui devrait être à l’opéra ce que l’Oktoberfest est à la bière. Manifestations diverses, visites, représentations à tarifs préférentiels, et concert d’ouverture en plein air à Rosenheim à 60km de Munich, voilà l’essentiel des manifestations, qui visent à élargir le public, attirer de nouveaux profils, donner une couleur populaire à la saison. C’est une bonne initiative, en une période où comme on sait, les salles ne sont pas vraiment pleines, même si Munich reste un théâtre bien rempli.

Ja, Mai
Le Festival Ja, Mai a deux objectifs :

  • Culturel : tisser des liens entre répertoire contemporain et musique ancienne et surtout ancrer le répertoire ancien dans le présent, en l’associant à d’autres formes d’art (théâtre parlé, danse etc…)
  • Collaboratif : faire de l’opéra ailleurs, collaborer avec d’autres institutions culturelles de la ville de Munich, ce sera en 2023 notamment avec la Haus der Kunst (Maison de l’Art)

C’est la thématique de l’attente et du passage du temps, déjà traitée dans la saison par exemple dans Dido and Aeneas et Erwartung, qui dominera à travers notamment deux œuvres de Toshio Hosokawa, compositeur japonais vivant en Allemagne inspirées du Théâtre Nô

  • Hanjo (2004) d’après Mishima, une œuvre sur l’attente, sur les rapports de force et les rapports amoureux aux frontières de la réalité. La mise en scène en est confiée au chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui , en liaison avec l’artiste thaïlandaise Rirkrit Tiravanija. Lothar Koenigs en assure la direction musicale.
    5 repr. du 5 au 14 mai 2023 Dir : Lothar Koenigs/MeS : Sidi Larbi Cherkaoui
    Avec Sarah Aristidou, Charlotte Hellekant, Konstantin Krimmel
    (Haus der Kunst)
  • Matsukatze (2011) d’après une pièce du Maître Zeami (XVe siècle). Une œuvre onirique sur l’amour, la mort, la permanence des sentiments profonds et le retour à la réalité. La pièce intimiste sera mise en scène par Lotte van den Berg, en collaboration avec la plasticienne Alicia Kwade, tandis que l’orchestre (Le Münchner Kammerorchester) sera confié à Johannes Debus.
    5 repr. du 6 au 14 mai 2023 Dir : Johannes Debus/MeS : Lotte van den Berg
    Avec Emily Pogorelc, Martin Snell, Anïk Morel, Tom Erik Lie

En contrepoint à ces deux œuvres,

  • Il ritorno (Claudio Monteverdi)/The year of magical thinking, production du Studio de la Bayerische Staatsoper, dans une lecture particulière, avec le texte de l’œuvre de Joan Didion, L’année de la pensée magique, sur la perte et le deuil et la manière d’y faire face.
    C’est Christopher Rüping, l’un des metteurs en scènes les plus doués de la jeune génération allemande, qui assurera la mise en scène, et Christopher Moulds dirigera le Monteverdi Continuo Ensemble, tandis que la distribution sera composée d’artiste du Studio. Comme avec L’infedeltà Delusa, le Studio prend une part active à la programmation et les jeunes chanteurs sont confrontés à des problématiques d’une production complexe, ce qui est proprement excellent et très formateur.
    6 repr. du 7 au 18 mai 2023, Dir : Christopher Moulds/MeS Christopher Rüping
    Avec les membres du Studio
    Au Cuvilliés-Theater

Münchner Opernfestspiele

La tradition est respectée, le Festival 2023 présentera deux nouvelles productions (voir ci-dessus) Hamlet de Brett Dean, dans la production saluée partout de Glyndebourne 2017 dirigée comme à Glyndebourne par Vladimir Jurowski, et Semele de Händel dans une production de Claus Guth dirigée par Stefano Montanari. Pour la deuxième année, le Festival ouvrira par une grande œuvre contemporaine. Un signe, à n’en point douter et une signature, celle de Vladimir Jurowski.
Les nouvelles productions de l’année sont reprises (en général deux représentations) avec quelques représentations de répertoire, cette fois essentiellement dédiées à Wagner et Verdi. Vous découvrez ci-dessous la liste des titres repris au répertoire en 2023 avec distribution et dates pour l’essentiel.

Le répertoire

Liste des œuvres proposées au répertoire (ordre alphabétique).

Britten, Peter Grimes
Cavalli, La Calisto
Donizetti, Lucrezia Borgia
Dvořák, Rusalka
Haydn, L’infedeltà delusa
Humperdinck, Hänsel und Gretel
Janáček, La petite renarde rusée
Lehár, Giuditta
Mozart, Die Entführung aus dem Serail
Mozart, Die Zauberflöte
Mussorgski, Boris Godunov
Penderecki, Les diables de Loudun
Poulenc, Dialogues des Carmélites
Puccini, La Bohème
Puccini, La Fanciulla del West
Puccini, Manon Lescaut
Reimann, Lear
Rossini, La Cenerentola
Smetana, La fiancée vendue
J.Strauss, Die Fledermaus
R.Strauss, Ariadne auf Naxos
R.Strauss, Elektra
R.Strauss, Salomé
Tchaïkovski, Eugène Onéguine
Verdi, Un ballo in maschera
Verdi, Don Carlo
Verdi, I Masnadieri
Verdi, Nabucco
Verdi, Otello
Verdi, La Traviata
Wagner, Tristan und Isolde
Weber, Der Freischütz

Il est clair qu’avec les dix titres de nouvelles productions, le spectateur ne peut se lamenter d’une offre large qui permet de parcourir largement le grand répertoire standard. On y trouve des productions historiques de la maison comme Die Zauberflöte dans la mise en scène d’Everding ou La Cenerentola de Ponnelle, et l’Elektra de Wernicke qui restent des références monumentales. On trouve aussi des reprises des nouvelles productions de la présente saison (sauf Les Troyens et Le Nez), ce qui est traditionnel, voire de la saison précédente comme Lear, deux très belles productions d’années antérieures ou très antérieures, Dialogues des Carmélites, signée de Dmitry Tcherniakov, trois productions somptueuses de K.Warlikowski, Tristan und Isolde, Salomé, et Eugène Onéguine (avec la nouvelle production de Dido/Erwartung, Warlikowski sera présent sur quatre productions, soit 10% de la production d’opéra, ce qui n’est pas mal…) et enfin la production de Boris Godunov, version 1869, signée Calixto Bieito que je recommande chaleureusement. Il y a de quoi au vu des titres, faire quelques voyages munichois. Nous allons regarder de plus près les distributions dans le paragraphe suivant.

 

Répertoire, ordre chronologique

Septembre 2022:
Haydn, L’infedeltà delusa
(2 repr. les 17 et 18 sept) Dir : Christopher Moulds/MeS : Marie-Eve Signeyrole)
Si vous passez par Munich et que vous n’avez pas vu le Cuvilliés-Theater, c’est l’occasion de le voir puisqu’il abrite cette production reprise pour la Septemberfest où les jeunes du Studio montrent un véritable engagement scénique dans la délicate mise en scène de Marie-Eve Signeyrole. Et en fosse, un chef talentueux spécialiste de ce répertoire, Christopher Moulds

Britten, Peter Grimes
(4 repr. du 21 au 30 sept. ) Dir : James Conlon/MeS : Stefan Herheim
Avec Jonas Kaufmann, Rachel Willis-Sørensen, Christopher Purves etc…
Au seul nom de Kaufmann, dans un rôle qu’il a inauguré à Vienne en 2021, le public devrait venir ou revenir. Il sera intéressant de voir comment il s’empare du personnage conçu par Stefan Herheim dans cette mise en scène que j’ai vraiment appréciée. À ses côtés les excellents Rachel Willis-Sørensen et Christopher Purves et en fosse, un nouveau venu à Munich, mais chef d’opéra consommé et excellent : James Conlon.

Septembre-Octobre 2022/Juillet 2023
Verdi, Don Carlo
(5 repr. du 25 sept au 2 oct et les 28 et 31 juillet) Dir : Andrea Battistoni (Sept) /Daniele Rustioni (Juil)  /MeS Jürgen Rose
Avec Ildar Abdrazakov, Stephen Costello (S/O) Charles Castronovo(J), Clémentine Margaine, Igor Golovatenko(S/O) Ludovic Tézier (J), Krassimira Stoyanova (S/O), Maria Agresta (J).
Le fan d’opéra est bien ennuyé, aucune des deux distributions n’est pleinement satisfaisante, et chacune contient des chanteurs attirants voir exceptionnels. Hors compétition Ildar Abdrazakov en Filippo II, Clementine Margaine qui mérite d’être entendue dans Eboli, Igor Golovatenko et Ludovic Tézier, deux très grands Posa,  deux magnifiques barytons. Ça se corse du côté des Elisabetta, avec une nette préférence pour Krassimira Stoyanova, et encore plus du côté des Don Carlo, où ni Costello ni Castronovo, bons ténors -mais c’est Don Carlo et ni l’un ni l’autre ne méritent un déplacement-. Quant aux deux chefs, Rustioni bien sûr en juillet, et pas vraiment Battistoni, surtout dans cette œuvre. Alors, muni de ces infos : impossible de choisir. Disons qu’à l’extrême on choisirait juillet à cause du chef, mais quelle drôle d’idée que ce couple sans grande saveur Agresta/Castronovo pour un Festival…
Quant à la bonne vieille production Jürgen Rose, elle est bien meilleure que certaines plus récentes…

Octobre 2022
Gioacchino Rossini
La Cenerentola
(4 repr. du 4 au 11 oct.) (Dir : Stefano Montanari/MeS : Jean-Pierre Ponnelle)
Avec Florian Sempey, Renato Girolami, Alasdair Kent, Anna Goryachova, Roberto Tagliavini.
Distribution intéressante pour Sempey et Tagliavini et pour le chef, le remarquable Stefano Montanari qui fait sonner un Rossini haletant, quelquefois heurté, mais toujours intéressant voire passionnant. Pour le reste, c’est de bon ordinaire sans plus. Mais si vous n‘avez jamais vu Ponnelle…

Gaetano DonizettI
Lucrezia Borgia
(4 repr. du 12 au 22 oct.) (Dir : Antonino Fogliani/MeS Christof Loy)
Avec Erwin Schrott, Angela Meade, Pavol Breslik, Teresa Iervolino etc…
Erwin Schrott en Alfonso d’Este ? il va jouer les méchants comme il aime. Pour ma part j’aime des Alfonso un peu plus raffinés, et il y en a. Mais l’intérêt de cette reprise tient à l’excellent chef qu’est Antonino Fogliani plus qu’à la mise en scène de Christof Loy, mais surtout à l’arrivée d’Angela Meade, enfin, sur une grande scène européenne (on l’a vue à Naples et Turin, mais pas ailleurs à ma connaissance), une des grandes voix belcantistes et verdiennes d’aujourd’hui. Il faudrait aussi y penser pour certains Verdi…
Avec Pavol Breslik dont on connaît le succès à Munich et l’excellente Teresa Iervolino en Maffio Orsini cela devrait valoir le coup. Si vous aimez le bel canto, ça vaut le TGV jusqu’à Munich d’autant que vous pouvez combiner avec le titre suivant….

Giacomo Puccini
La Fanciulla del West
(4 repr. du 16 au 28 oct.) (Dir : Daniele Rustioni/MeS : Andreas Dresen)
Avec Jonas Kaufmann, Malin Byström, Claudio Sgura etc…
Rustioni, dans ce Puccini plutôt analytique, proche par certains aspects de l’orchestration de la seconde école de Vienne, sera sans doute à découvrir. Mais comme il y a Kaufmann dans un des rôles où il a brillé mais où il est rare… Inutile d’aller plus loin.
Sgura en Jack Rance est le profil idoine, Malin Byström en Minnie, pourquoi pas, mais si elle a la voix, a-t-elle la chaleur et la rondeur pucciniennes?… Il est vrai qu’une vraie Minnie ne court pas les rues. Et que de toute manière le public n’aura d’yeux que pour le gentil bandit.

Novembre 2022/Avril 2023
W.A.Mozart
Die Entführung aus dem Serail
(3 repr. du 19 au 24 nov. et 3 repr. du 9 au 14 avr.) (Dir: Giedrė Šlekytė /MeS : Martin Duncan)
Avec Nadezhda Pavlova, Katrina Galka (Nov), Caroline Wettergreen (Avr), Pavol Breslik (Nov), Alasdair Kent (Avr) Brenton Ryan (Nov)Jonas Hacker (Avr) etc…
Pour Pavol Breslik et pour Nadezhda Pavlova, avant tout. Donc plutôt novembre.

Novembre/Décembre 2022
Die Zauberflöte

(4 repr. du 28 nov. au 4 déc.)(Dir : Gianluca Capuano/MeS : August Everding)
Avec Tareq Nazmi, Jonas Hacker, Emily Pogorelc, Olga Pudova, Konstantin Krimmel
Une production mythique, avec la possibilité de découvrir ce Mozart-là sous la baguette acérée de Gianluca Capuano avec un cast puisé dans la maison ou dans ses anciens (Tareq Nazmi) et un Tamino à suivre (Jonas Hacker, le ténor-découverte). J’irai sans doute.

Novembre 2022
Giuseppe Verdi
Un ballo in maschera
(4 repr. du 6 au 15 nov.) (Dir: Ivan Repušić /MeS : Johannes Erath)
Avec Anja Harteros, Charles Castronovo, Marie-Nicole Lemieux, George Petean etc…
Un chef digne d’intérêt confronté à l’un des Verdi les plus difficiles à réussir. Une Ulrica de luxe et une voix parfaite pour le rôle, Marie-Nicole Lemieux, Harteros dans des œuvres où elle est particulièrement émouvante, Petean juste et élégant comme d’habitude. Et Castronovo, encore lui, pourquoi pas ?

Richard Strauss
Elektra
(4 repr. du 17 au 27 nov.) (Dir: Vladimir Jurowski/MeS : Herbert Wernicke)
Avec Vida Miknevičiūtė, Elena Pankratova, Violeta Urmana, John Daszak, Károly Szemerédy
Daszak en Aegisth et Károly Szemerédy  en Orest, avec son beau timbre et sa voix veloutée, face à trois Dames qui dominent les scènes aujourd’hui dans leurs rôles respectifs et une production parmi les plus réussies du répertoire munichois, avec le GMD Jurowski en fosse. Que demande le peuple de l’opéra ? On se précipitera, évidemment.

Décembre 2022
Giacomo Puccini
La Bohème
(3 repr. du 19 au 28 déc.) (Dir: Juraj Valčuha/MeS : Otto Schenk)
Avec Elena Guseva, Charles Castronovo, Lucas Meachem, Mirjam Mesak etc…
Le plus intéressant, c’est Juraj Valčuha qui arrive dans la fosse de Munich, lui qui est un excellent puccinien. Pour le reste, du gentil normal, dans une production d’Otto Schenk où j’entendis le même soir Mirella Freni, Luciano Pavarotti et Carlos Kleiber. Ils sont vivants dans ma mémoire.  Et cela suffit.

Engelbert Humperdinck
Hänsel und Gretel
(4 repr. du 9 au 18 déc.) (Dir: Titus Engel/MeS : Richard Jones)
Avec Milan Siljanov/Markus Eiche, Lindsay Ammann, Emily Sierra/Daria Porszek, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke/Kevin Conners etc…
Reprise alimentaire au moment de Noël, avec une représentation pour les enfants à 11h, mais des noms intéressants dont Titus Engel en fosse, qui est l’un des très bons chefs découverts ces dernières années. Si vous y allez, choisissez la représentation avec Markus Eiche, qu’on n’entend pas assez…

Décembre 2022-Janvier 2023
Johann Strauss
Die Fledermaus
(5 repr. du 31 déc au 12 janv.) (Dir : Tomáš Hanus/MeS : Leander Haussmann)
Avec Johannes Martin Kränzle, Jochen Schmeckenbecher, Christoph Pohl, Galeano Salas, Lindsay Ammann.
C’est la tradition de fin d’année, Kränzle est un très grand chanteur, le chef Tomáš Hanus remarquable, la production est cependant à oublier, ratée, et sans intérêt. On espère qu’une autre va lui succéder rapidement.

Bedrich Smetana
La fiancée vendue
(4 repr. du 29 déc. au 7 janv.) (Dir : Gabór Kali/MeS : David Bösch)
Avec Selene Zanetti, Pavol Breslik, Günther Groissböck
La distribution (excellente) de la première, le chef qui devait diriger cette saison Giuditta, mais qui a dû annuler pour maladie. La production séduisante de David Bösch. Si vous passez les fêtes à Munich, c’est le moment pour aller voir cette bonne production, plutôt poétique et tendre.


Janvier 2023
P.I Tchaïkovski
Eugène Onéguine
(3 repr. du 14. au 20 janv.) (Dir : Timur Zangiev/MeS : Krzysztof Warlikowski)Avec Etienne Dupuis, Bogdan Volkov, Günther Groissböck, Elena Guseva, Larissa Diadkova etc…
Le jeune chef Timur Zangiev dirigea en 2020 au Bolchoï Sadko de Rimsky-Korsakov et il m’avait beaucoup plu, il remplaça Gergiev dans la Dame de Pique à la Scala après l’invasion de l’Ukraine en février-mars 2022 et les avis furent partagés : c’est le moment de se faire une opinion dans Eugène Onéguine, plutôt bien distribué avec un cast international où Etienne Dupuis sera Onéguine, Groissböck Grémine, plutôt inattendu, Elena Guseva sera Tatjana qui devrait lui aller ; la grande Diadkova réapparaît et surtout, Bogdan Volkov, que je trouve être l’un des meilleurs sinon le meilleur ténor slave actuel, (il est ukrainien) dans Lenski, à ne pas manquer dans une magnifique production déjà ancienne de Warlikowski.

Giuseppe Verdi
I Masnadieri
(3 repr. du 21 au 26 janv.) (Dir : Antonino Fogliani/MeS : Johannes Erath)
Avec Charles Castronovo, Igor Golovatenko, Lisette Oropesa
À ne pas manquer parce que l’œuvre est rare, elle est superbement distribuée (notamment Oropesa et Golovatenko, moins pour Castronovo) et devrait être excellemment dirigée par Antonino Fogliani.

Janvier-Février 2023
Aribert Reimann
Lear

(3 repr. du 30 janv. au 5 fév.) (Dir: Jukka Pekka Saraste /MeS: Christoph Marthaler)
Avec Tomas Tomasson, Angela Denoke, Erika Sunnegårdh, Jochen Schmeckenbecker, Hanna-Elisabeth Müller, Andrew Watts, Matthias Klink.
Solidement distribuée, même sans Gerhaher, même sans Stundyté une belle production d’un Marthaler sage. A entendre aussi pour la superbe prestation en fosse de Jukka Pekka Saraste.

Février 2023
Franz Lehár
Giuditta
(4 repr. du 10 au 21 fév.) (Dir: Titus Engel/MeS: Christoph Marthaler)
Avec Vida Miknevičiūtė, Daniel Behle, Jochen Schmeckenbecher, Jonas Hacker, Kerstin Aveno etc..
Un Lehár nostalgique (sa dernière opérette) et un Marthaler moins sage, que j’ai adoré, qu’il faut voir et dans lequel il faut se plonger. C’est intelligent, c’est poétique, c’est émouvant et c’est magnifiquement dirigé, chanté et joué. Et surtout n’écoutez pas ceux qui ont détesté, ils ont forcément tort.

Giacomo Puccini
Manon Lescaut
(4 repr. du 16 au 25 fév.) (Dir: Carlo Rizzi/MeS: Hans Neuenfels)
Avec Anja Harteros, Joshua Guerrero, Boris Pinkhasovich etc…
Carlo Rizzi, c’est du solide, et le cast, du très solide avec du neuf – et du lourd. Anja Harteros d’abord, mais aussi Boris Pinkhasovich, un des barytons actuels qui monte et Joshua Guerrero, le ténor qu’on commence à s’arracher – c’est le moment de vérifier si c’est un coup des agents ou une vraie voix intéressante.
Cela devrait valoir le coup, dans une mise en scène du regretté Hans Neuenfels qui fit fuir en son temps Anna Netrebko.

Mars -Juillet 2023
Richard Strauss
Salomé
Mars :  3 repr. du 1er au 8 mars
Juillet : 2 repr. les 11 et 14 juillet
(Dir : Mikko Franck/ MeS : Krzysztof Warlikowski)
Avec Gerhard Siegel, Waltraud Meier, Vida Miknevičiūtė (mars)/Camilla Nylund (juillet), Iain paterson (mars)/Wolfgang Koch (juillet) etc…
Aucun problème au niveau musical : Mikko Franck devrait être très intéressant, et la distribution presque entièrement renouvelée par rapport à la version princeps est incontestable, avec le couple Meier/Siegel . Aucun problème du côté des Salomé, mais est-ce que Camilla Nylund, magnifique chanteuse, est exactement le personnage voulu par la mise en scène ? J’ai mes doutes, alors que Vida Miknevičiūtė est plus conforme à l’image imposée par la vision puissante de Warlikowski.
Mais la production est si forte, si intelligente, qu’il ne faut de toute manière pas la manquer

Krzysztof Penderecki
Les diables de Loudun
(3 repr. du 11 au 16 mars) (Dir: Vladimir Jurowski/MeS : Simon Stone)
Avec Ausriné Stundyté, Ursula Hesse von den Steinen, Nadezhda Gulitskaya, Kostas Smoriginas etc…
Reprise de la production qui a ouvert le Festival 2022 et ce devrait être passionnant, d’autant que Covid oblige, deux représentations sur les quatre ont sauté et que le “grand public” va enfin découvir la monumentale production de Simon Stone.

Francesco Cavalli
La Calisto
(4 repr. du 19 au 28 mars) (Dir: Christopher Moulds/MeS : David Alden)
Avec Dominique Visse, Teresa Iervolino, Louise Alder, Nikolay Borchev
Reprise d’une sage production de David Alden pour une œuvre baroque qui sera sans doute bien dirigée par Christopher Moulds, excellent dans ce répertoire, et bien distribuée (Teresa iervolino, Louise Alden, Dominique Visse…).

Richard Strauss
Ariadne auf Naxos
(3 repr. du 23 au 30 mars) (Dir: Lothar Koenigs/MeS : Robert Carsen)
Avec Andreas Schager, Tara Erraught, Okka von der Damerau, Olga Pudova etc…
Belle distribution, chef correct sans plus, mise en scène classique : ce qui va passionner c’est Okka von der Damerau si populaire à Munich dans Primadonna et Ariadne…

Avril 2023
Giuseppe Verdi
La Traviata
(3 repr. du 20 au 26 avril) (Dir: Francesco Ivan Ciampa/MeS : Günter Krämer)
Avec Rachel Willis Sørensen, Joseph Calleja, Artur Rucinski.
Du répertoire alimentaire sans aucun (mais vraiment aucun) intérêt.

C.M. von Weber
Der Freischütz

(4 repr. du 16 au 25 avril) (Dir: Lothar Koenigs/MeS : Dmitry Tcherniakov)
Avec Eric Cutler, Julia Kleiter, Nicholas Brownlee, Mirjam Mesak, Wilhelm Schwinghammer.
La dernière production de Tcherniakov, assez complexe pour Munich durant la pandémie, et donc à éclipses. Chef correct, Cutler et Kleiter particulièrement intéressants pour une œuvre relativement rare sur les scènes et qui mériterait peut-être d’être mieux mise en valeur.


Avril-Mai 2023
Giuseppe Verdi
Nabucco
(4 repr. du 30 avril au 9 mai)(Dir : Daniele Rustioni /MeS : Yannis Kokkos)
Avec Amartuvshin Enkhbat, Roberto Tagliavini, Ekaterina Semenchuk etc…
Belle distribution, chef particulièrement inspiré dans cette œuvre, MeS classique et élégante de Yannis Kokkos. Du bon répertoire.

Avril 2023-Juillet 2023
Richard Wagner
Tristan und Isolde
Avril : 3 repr. du 6 au 15 avril
Juillet 3 repr. du 21 au 29 juillet
Dir : Juraj Valčuha /MeS Krzysztof Warlikowski
Avec Anja Harteros, Stuart Skelton, René Pape,  Iain Paterson (Avril) Wolfgang Koch (Juillet) , Jamie Barton etc…
Intéressant choix de Juraj Valčuha pour un deuxième opéra dans la saison après Bohème. Succéder à Petrenko en fosse, c’est un challenge, notamment pour cette œuvre, mais ce chef est vraiment intéressant.
Distribution solide où deux Kurwenal de choix alternent, Iain Paterson et Wolfgang Koch. Le changement de Tristan devrait un peu affecter les vidéos si importantes dans cette production…mais …
Dans cette distribution, un choix m’étonne et me met en colère, c’est celui de Jamie Barton en Brangäne, pour deux raisons :

  • A Aix elle fut médiocre, mauvais phrasé, diction approximative, inintéressant au possible.
  • A Munich lors de la première série, Okka von der Damerau triompha, peut-être ne pouvait-elle pas reprendre le personnage où elle était formidable, et qu’elle reprend cette saison en juin 2022 mais dans ce cas il y a bien des Brangäne en Allemagne qui auraient évité de subir Madame Barton.

Mai 2023
Antonin Dvořák
,
Rusalka
(3 repr. du 14 au 19 mai) (Dir: Henrik Nánási/MeS : Martin Kušej)
Avec Dmytro Popov, Asmlk Grigorian, Günther Groissböck
La distribution se passe de commentaires, elle devrait faire courir les fans. Une production de Kušej est toujours discutable mais a toujours quelque chose à dire et le chef Henrik Nánási est plutôt intéressant.

Juin 2023
Leoš Janáček
La petite renarde rusée
(4 repr. du 10 au 20 juin) (Dir: Mirga Gražinytė-Tyla /MeS : Barrie Kosky)
Avec Elena Tsallagova, Angela Brower, Wolfgang Koch, Martin Snell, Jonas Hacker.
La jolie production de Barrie Kosky, si bien dirigée et magnifiquement distribuée avec le trio Tsallagova, Brower, Koch. Mérite le détour, en couplant avec la production qui suit.

Francis Poulenc
Dialogues des Carmélites

(3 repr. du 5 au 11 juin) (Dir: Johannes Debus /MeS : Dmitry Tcherniakov)
Avec Jochen Schmeckenbecher, Ermonela Jaho, Anna Caterina Antonacci, Véronique Gens, Stéphanie d’Oustrac etc…
Un seul conseil, y courir au vu de la distribution exceptionnelle, de la mise en scène et du chef Johannes Debus, originaire de Speier (Spire), actuellement directeur musical de la Canadian Opera Company qui est l’un des chefs les plus intéressants de la nouvelle génération.

Giuseppe Verdi
Otello

(2 repr. les 27 et 30 juin) (Dir : Myung Whun Chung/MeS : Amelie Niermeyer)
Avec Anja Harteros, Fabio Sartori, Gerald Finley etc…
L’arrivée à Munich de Myung Whun Chung est en soi un événement, dans une œuvre qu’il chérit particulièrement, qu’il a enregistrée, et qu’il dirige magnifiquement. C’est la distribution de la création avec Kaufmann en moins, et Finley et Harteros y étaient exceptionnels. Mais Fabio Sartori, l’Otello prévu, est actuellement en état de grâce vocale.

Juillet 2023
Modest Moussorgski
Boris Godunov (vers. 1869)
(2 repr. les 4 et 6 juil.) (Dir: Vassily Petrenko/MeS : Calixto Bieito)
Avec Ildar Abdrazakov, Maxim Paster, Vitaly Kowaljow, Dmytro Popov,
Vassily Petrenko très bon chef  dirige une reprise d’une production qu’un autre Petrenko avait en son temps repris aussi. Beau cast, et surtout production très intéressante de la version de 1869, sans l’acte polonais.

À ne pas manquer (répertoire)

Peter Grimes, Sept.2022
Lucrezia Borgia, Oct. 2022
Elektra, Nov.2022
Giuditta, Fév. 2023
Salomé, mars et juillet 2023
La petite renarde rusée, juin 2023
Dialogues des Carmélites, Juin 2023
Otello, Juin 2023
Boris Godunov, Juil. 2023

Et dans les nouvelles productions

Così fan tutte (Oct. 2022)
Lohengrin (Déc.2022)
Dido/Erwartung (Janv.2023)
Guerre et Paix (Mars 2023)
Hamlet (Juin-juillet 2023)
Semele (Juillet 2023)

Tout est à voir dans le Festival Ja, Mai, j’ai un petit faible pour

Il ritorno/ The year of magical thinking à cause du metteur en scène et du chef.

On reviendra sur les programmes de récital, les concerts et les festivités du jubilé de l’orchestre. Nous nous limitons cette fois au lyrique.

Conclusion
Une année au profil plus singulier que d’autres théâtres, avec un réel effort pour donner une couleur d’ensemble, et de nouveaux profils et de nouvelles têtes : tout cela est stimulant intellectuellement et artistiquement.
Il manque peut-être des fulgurances de distributions, de celles qui vous font rêver pendant un an avant le grand jour, comme avait pu l’être le Tristan Kaufmann-Harteros.
Il y a évidemment des soirées que chacun aura déjà notées au passage, et le niveau global est plutôt haut. Mais si je trouve que si les chefs italiens de qualité sont présents à Munich dans un répertoire italien assez représenté,  le chant italien en revanche reste sous-représenté: une Anna Pirozzi qui est en train d’exploser est totalement absente au profi d’une Stikhina pas très adaptée.
Et certains ténors très corrects mais qui n’ont jamais marqué par des performances exceptionnelles comme Charles Castronovo sont sur-représentés. Au total on note peu de stars qui remplissent les salles sur leur nom même si on salue le retour (si elle n’annule pas) d’Anja Harteros dans sa maison et deux apparitions de Jonas Kaufmann.
Enfin, on remarque peu de Wagner (deux titres, Lohengrin (NP) et Tristan) et j’aimerais terminer par un rappel : Il y a une production définitivement et doublement victime de la Pandémie, c’est Die Vögel de Braunfels, annulée à la création, vue une fois en juillet 2021 et annulée à la reprise de novembre dernier toujours pour Covid. La production de Frank Castorf est somptueuse, la distribution en était magnifique. Il faudra bien tout de même que le public finisse par la voir car elle est de celles qui font honneur à cette maison : une seule représentation publique depuis la création en octobre 2020 (où la première avait eu lieu devant un parterre de 50 personnes), c’est à rattraper au plus vite.

LA SAISON 2022-2023 DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Le Grand Théâtre de Genève

Introduction
Un peu comme celle de Bogdan Roščić à Vienne, l’arrivée d’Aviel Cahn à Genève a été bousculée par le Covid et c’est seulement pendant la saison 2021-2022 qui se termine qu’on a pu observer l’articulation de son projet pour Genève, et la saison prochaine confirment ces intuitions.
La construction d’une saison est une alchimie, et on doit donc se garder de conclure hâtivement car si c’est sa quatrième saison effective, ce sera sa deuxième complète.
On doit se garder de conclure, encore plus dans un théâtre de système Stagione au nombre de productions limitées où chaque choix pèse plus lourd. Enfin, même si Aviel Cahn a été appelé un peu pour « casser la baraque », il ne pouvait simplement transposer sur les rives du Léman ce qu’il avait réalisé en Flandres.
Les conséquences de la pandémie sont lourdes pour toutes les salles : tous constatent dans la plupart des opéras la difficulté à retrouver les publics d’avant-pandémie ; d’autres habitudes ont été prises, d’autres peurs sont nées, la reprise est fragile, à Genève comme ailleurs et la couleur des saisons, pour la plupart prudentes, s’en ressent.

 

Le Grand Théâtre dans le paysage lyrique européen

La place de Genève est un peu singulière, son théâtre a été voulu par ses habitants sur le modèle du Palais Garnier, avec une capacité un peu surdimensionnée aujourd’hui (1500 places) mais  avec la garantie aujourd’hui d’un public notamment alimenté par les institutions internationales nombreuses sises sur les bords du Léman et un bassin d’habitants à cheval sur la Suisse et sur la France (la Haute Savoie), même si le public français, certes présent, est moins nombreux qu’on ne le pense.

En tant que théâtre d’une ville internationale, il est comparable à La Monnaie de Bruxelles, avec une jauge en spectateurs supérieure (Bruxelles a une jauge de 1150 spectateurs), mais un bassin d’habitants inférieur. Le nombre de productions lyriques est comparable, même si le nombre de représentations par production est supérieur à Bruxelles (salle plus petite, plus de spectateurs potentiels). Du point de vue de la couleur des productions, Bruxelles cherche à rester depuis le temps de Gerard Mortier (années 1980 quand même…) un fer de lance de l’innovation scénique, ce que n’est pas Genève à l’histoire différente.
En termes de comparaison, il peut être aussi mis sur le même plan qu’un Théâtre comme le Teatro Real de Madrid à la jauge légèrement supérieure,  mais au nombre de productions comparables, avec comme Bruxelles, un nombre de représentations supérieur (la population madrilène est nettement plus importante que Genève). En termes productifs, Madrid cherche à rester à l’équilibre entre tradition et innovation, le public espagnol reste assez conservateur et très attaché au répertoire traditionnel notamment italien. Il reste qu’au Teatro Real est passé aussi Gerard Mortier, et que son passage a laissé quelques traces.
Genève est donc un Théâtre en équilibre fragile, qui n‘a pas vraiment de «couleur productive », quelque part entre tradition et modernité depuis
des années, bien avant la pandémie. C’était déjà vrai vers 2008 du temps de Jean-Marie Blanchard qui mena une politique de grande qualité, et assez équilibrée. Le remplissage du Grand Théâtre (1500 places) ne posait guère problème, pas plus que lors des premières années de Tobias Richter qui quant à lui mena une politique peu lisible, plus proche de la tradition des théâtres de répertoire à l’allemande (un comble dans le temple suisse de la stagione !). Pas forcément passionnante. Mais quand la salle est pleine ou à peu près, c’est forcément que ça va bien, et on ne se pose pas de questions…
Les travaux de rénovation qui durèrent quelques années motivèrent un repli dans le théâtre des Nations « éphémère », dont la capacité était de 1000 places.  Pas de problème de remplissage non plus, mais perte d’un tiers de spectateurs potentiels…
Lorsque le Grand Théâtre a rouvert, il a rouvert ses 1500 places et déjà le remplissage s’est fragilisé. Les dernières années nous ont appris que le public captif ça n’existe pas. De plus, pendant les périodes d’ouverture en temps de pandémie avec ses contrôles de pass, de masque etc… bien des spectateurs ont été découragés ou simplement craintifs. Et comme le public genevois n’est pas de toute première jeunesse, il est évidemment sensible aux questions sanitaires : toutes ces raisons cumulées expliquent largement des difficultés actuelles de reconquérir un public qui met du temps à revenir Place de Neuve.

1500 places, c’est aussi la jauge la plus importante de tous les théâtres de Suisse : Zurich en a moins de 1200, Bâle autour de 1000, mais aussi plus que de la plupart des théâtres européens. Les théâtres de très grandes capitales ont autour de 2000 places, les théâtres qui servent un bassin comparable à Genève ont autour de 1000 places. Lyon, qui sert un bassin de population plus important, a par exemple 1100 places.
Enfin, la crise du genre lyrique fait son œuvre, et si l’on pouvait remplir 1500 places à Genève, il y a quelques années, ce n’est plus aussi facile aujourd’hui. Même une salle comme Vienne, traditionnellement remplie à 99% a des difficultés. Et ne parlons pas du MET de New York…
À Genève en plus, il y a la question des tarifs, de l’écart entre les places les moins chères et les plus chères, dans une zone frontalière très mixte où tout le public n’est pas payé en Francs suisses, un Franc suisse dont le taux égale ou dépasse l’Euro .

Comme on le voit, ce sont des questions qui ne tiennent pas à la présence de tel titre, de tels chanteurs, de telles ou telles mise en scène, mais qui tiennent au contexte géographique, sociologique, historique et aussi politique : la question du théâtre est toujours plus politique qu’artistique, c’est d’abord le théâtre de la Cité.
On le voit chez la voisine lyonnaise dont l’Opéra a été une référence culturelle internationale avec un public largement plus diversifié que Genève (et à la billetterie plus de 50% moins chère) mais que la municipalité actuelle (écologiste) ne semble pas vraiment porter dans son cœur tandis que la Région de bord politique opposé, retire aussi de l’argent de manière importante pour des questions de petits jeux internes aux politiques locales. L’Opéra est bien loin.

Dans toute cette complexité, la programmation d’Aviel Cahn – au-delà de l’appréciation sur tel ou tel spectacle, fait honneur au mandat qui lui a été confié : il y a des productions qui n’ont pas bien fonctionné, mais la qualité offerte reste très largement défendable. Elle reste toutefois exploratoire pour l’instant. On commence à peine à voir des lignes de force se dessiner.
Cette programmation est plus disruptive que celle de son prédécesseur, et a sans doute suscité la circonspection, au-delà de la qualité des productions qui n’est pas en cause, d’autant que le contexte du territoire genevois n’est pas celui des Flandres, où Cahn a dirigé l’Opera-Ballet Vlaanderen.

La Flandre, depuis des années, a produit des metteurs en scène et des chorégraphes qui ont illuminé la scène flamande et européenne, et donné un prestige international inédit. À cela, il faut le répéter, le passage de Gerard Mortier à Bruxelles dans les années 1980 n’est pas étranger, bien évidemment, qui a su réveiller la créativité locale. Et la Flandre reste encore aujourd’hui pratiquement quatre décennies plus tard, un territoire de création. Une programmation telle que celle d’Aviel Cahn à Gand-Anvers atteignait un public plutôt accoutumé (ou quelquefois résigné) à ce type de productions.
Le contexte genevois n’est pas comparable, avec un public vieillissant d’un côté, où la présence d’institutions internationales donne aussi à un certain public une couleur un peu mondaine que j’appellerai « internationale-locale » rien à voir avec Gand ou Anvers.
D’ailleurs, aussi bien sous Hugues Gall que Renée Auphan, la politique visait à garantir un niveau musical globalement international et des productions disons consensuelles. Jean-Marie Blanchard a essayé de mener une politique plus avancée sur les productions, en équilibrant l’offre, tout en continuant à défendre un niveau musical qui a longtemps été la marque continue de ce théâtre. Tobias Richter n’a pas réussi à marquer fortement la mémoire artistique, malgré ses dix ans de mandat.

Enfin, Le territoire genevois n’est pas un territoire de création théâtrale, chorégraphique ou lyrique comme l’ont été les Flandres depuis les années 1990.
L’atout de Genève, c’est non pas une histoire théâtrale, mais un passé musical fort, un Grand Théâtre construit à l’imitation de Paris (on voit les ambitions), et une vie musicale riche et variée, avec plusieurs orchestres et un conservatoire de grand prestige international. Cette ville a de telles institutions musicales qu’on se demande comment un projet comme « La Cité de la musique » qui reflète une certaine identité culturelle a pu capoter.
Aviel Cahn a été appelé pour casser un train-train, pour insuffler quelque chose de neuf, et il a trouvé le Covid. La saison qui vient recase du même coup des productions prévues, qui ont quelquefois été répétées sans voir le jour. Ce qui bouscule aussi les profils de saison prévus plusieurs années à l’avance.

Il faut aussi réaffirmer qu’une saison n’est jamais une succession de triomphes où l’on affiche complet, chaque saison a des échecs quelquefois cuisants.  Mais surtout changer les habitudes du public, c’est long, cela dure plusieurs années, quelquefois plusieurs mandats. Genève doit à la fois modifier la couleur de son public, faire évoluer l’offre et garantir encore et toujours le niveau musical du théâtre qui est son ADN. Au total ça fait beaucoup dans la corbeille, cela veut dire tester, risquer, réussir (comme la récente Jenůfa) ou moins réussir, mais cela signifie aussi ne jamais faire de concessions à la qualité. Ce n’est pas une Tosca nouvelle qui fera venir le public régulièrement et remplir le théâtre, ce sera au mieux, une illusion sur un titre : c’est une qualité régulière, et un équilibre continu entre tous les critères qui doit être l’exigence.
C’est la qualité qui paie, et fait venir durablement le public, pas la multiplication des Puccini et Verdi. Et à Genève, la qualité est au rendez-vous.

La saison 2022-2023

Introduction
La saison dernière la thématique choisie était « Faites l’amour », cette année c’est « Mondes en migrations », on semble passer du rose au gris. Mais l’idée de la migration doit être reprise au sens large, migration des peuples, migration intérieure, migration symbolique etc… mais aussi voyages, errances et tous les récits qui les glorifient : Ulysse, le peuple juif, Parsifal, les migrations récentes en sont des exemples.
La thématique est élargie au ballet, où l’événement de l’année est la venue de Sidi Larbi Cherkaoui comme directeur du ballet de Genève, lui aussi un transplanté, belge d’origine marocaine, installé en Flandres qui arrive à Genève.

Le ballet
N’étant pas spécialiste du ballet, je m’abstiendrai de commenter la programmation du nouveau directeur du ballet Sidi Larbi Cherkaoui, avec qui Aviel Cahn a travaillé en Flandres. Mais je noterai plusieurs éléments :

  • En s’installant à Genève, Sidi Larbi Cherkaoui qui est l’un des grands chorégraphes belges et une référence internationale, proche d’Aviel Cahn va contribuer à donner une couleur et une cohérence à l’ensemble de la programmation de la maison
  • De plus, Sidi Larbi Cherkaoui est aussi un metteur en scène d’opéra (on lui doit par exemple une production de grand relief des Indes Galantes à Munich, bien supérieure à celle de Clément Cogitore à Paris et de Lydia Steier à Genève. Il devrait faire aussi de l’opéra à Genève, ce qui est aussi un gage d’originalité du Grand Théâtre que d’avoir dans ses murs un chorégraphe qui soit aussi metteur en scène lyrique.
  • Enfin il a visiblement voulu la saison prochaine signer une saison de ballet qui ait des liens avec la thématique du voyage, mais résolument contemporaine et personnelle, en travaillant notamment avec son complice le chorégraphe Damien Jalet, pour affirmer d’emblée un style . Il sera toujours temps de modifier et d’infléchir les choses les saisons suivantes

Cette manière de tisser le lyrique et le ballet et de ne pas en faire des mondes simplement parallèles et autonomes, c’est aussi un élément d’enrichissement de la programmation. C’est pour moi un signe fort non seulement de la saison, non seulement pour le ballet, mais pour l’ensemble de cette maison que d’accueillir un des grands chorégraphes européens, qui puisse travailler en pleine « intercompréhension » avec Aviel Cahn. Ainsi Genève ne s’affiche pas seulement une machine à produire, mais d’abord comme une machine à créer.

 

Les productions lyriques :

Aviel Cahn propose des séries, des lignes de force, ce qui est aussi un moyen de conquérir d’autres publics, et d’enrichir la compétence des spectateurs. Dans des saisons de stagione, où ce qui est produit l’année X ne sera plus repris, ou ne se reverra pas avant au minimum plusieurs années, il faut créer d’autres habitudes. Les lignes de force, les compositeurs, les artistes qu’on retrouve, les équipes réinvitées, c’est un moyen de poser des pierres miliaires, comme des bornes d’orientation, c’est le cas par exemple de la présence répétée au programme de Janáček. De même faire appel pour certaines productions aux mêmes équipes, c’est aussi créer des repères au public, « le rassurer » en quelque sorte, et contribuer aux équilibres de la saison, à condition que les équipes soient évidemment indiscutables…

2021-2022 a affiché Prokofiev, Monteverdi, Donizetti, Bizet, R.Strauss, Eötvös, Janáček, Puccini.
2022-2023 affiche Halévy, Janáček, Monteverdi, Wagner, Donizetti, Jost, Chostakovitch, Verdi.
Il est certain qu’en huit ou neuf productions on ne peut couvrir l’intégralité du répertoire, y compris sur plusieurs saisons : dans les « musts » on passe de Strauss-Puccini la saison dernière à Verdi-Wagner cette saison et cette bande des quatre ne peut mobiliser chaque année la moitié des productions. Donizetti est aussi un pilier du répertoire, mais il y a des manières différentes d’affirmer une couleur : une année séparent La Juive (1835) de Maria Stuarda (1834), et donc le répertoire romantique occupe environ un quart des choix, et si on ajoute Parsifal et Nabucco le XIXe occupe la moitié des titres, le reste se divisant entre baroque (2), XXe siècle (2) et contemporain (1). La ligne de programmation reste donc une ligne de répertoire traditionnel.
On notera enfin une palette de choix assez subtile entre titres inconnus, titres attendus, créations dans une saison assez classique, convenant a priori au public genevois, et une grande prudence en ce qui concerne le nombre de représentations (environ 6 représentations par production) : le bassin genevois n’est pas extensible.
La saison 2022-2023 apparaît donc diversifiée, avec des distributions solides des artistes qui sont très connus mais très peu de stars (cette année Herlitzius, la saison prochaine Aušriné Stundyte), il serait peut-être pertinent d’afficher un peu plus de grandes références vocales, même s’il faut les retenir bien à l’avance et pas seulement dans des récitals. L’opéra, c’est aussi ce plaisir-là, et pas seulement une plongée dans le sérieux du monde…
N’oublions pas les effets de souvenir : on se rappelle les stars passées à Genève, notamment sous Gall, comme si elles passaient chaque soir alors que sous Gall il fallait aussi jouer sur des équilibres.  Quant aux chefs, ils sont globalement de bon niveau – que je les apprécie ou non- et la nouvelle génération de chefs est suffisamment riche pour permettre à Genève d’être une sorte de rampe de lancement pour des figures nouvelles, à condition qu’on les repère. Cette fonction exploratoire dont je parlais plus haut s’applique aussi au choix des chefs, ce qui est peut-être le plus délicat.

Septembre 2022
Jacques Fromental Halévy
La Juive
(6 repr. du 15 au 28 sept )(Dir :Marc Minkowski /MeS : David Alden)
Avec Ruzan Mantashyan, John Osborn, Ioan Hotea, Elena Tsallagova, Dmitry Ulyanov
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande
Retour de La Juive, pas représentée au Grand Théâtre depuis 1927. Un des musts du XIXe et du début du XXe siècle dans tous les opéras francophones, indirectement célébrée par Proust (Rachel quand du Seigneur). Un retour que Paris a accueilli une fois en 2007, que Lyon a accueilli en 2016. Un Grand-Opéra légendaire, une histoire de tolérance et d’humanité, un énorme succès jusqu’aux années 1920 et une disparition à partir des années 1930, au moment de la montée du nazisme. Hasard ?
John Osborn qui fut un Leopold exceptionnel, chante cette fois Eleazar, et c’est un événement que cette prise de rôle. Ruzan Mantashyan entendue à Genève l’an dernier dans Guerre et Paix sera Rachel et Leopold est confié à Ioan Hotea, un jeune ténor roumain très prometteur, vainqueur du concours Operalia, à l’impeccable phrasé et aux aigus assurés (et nécessaires dans ce rôle). La vibrante Elena Tsallagova sera La princesse Eudoxie, tandis que Dmitry Ulyanov, grande basse devant l’éternel, sera le Cardinal de Brogni. Très belle distribution.
Mise en scène sans doute efficace sinon inventive de David Alden, spécialisé dans ce type de répertoire et surtout pas de risque d’écheveler ni de heurter le public en ce début de saison.
Marc Minkowski dirige ce Grand-Opéra, qui s’en est aussi fait une spécialité (rappelons ses Huguenots), j’aimerais un chef plus raffiné pour une musique qui est plus élégante qu’on ne le croit souvent. Mais on ne peut pas tout avoir. Et Minkowski est un nom qui peut attirer du public.
Ce devrait être de toute manière un beau début de saison et l’occasion de découvrir une œuvre injustement négligée depuis presque un siècle, qui grâce au livret de Scribe, dit des choses fortes sur notre humanité.

L’éclair
(18 septembre 2022 ) Dir : Guillaume Tourniaire.
Avec Éléonore Pancrazi, Claire de Sévigné, Edgardo Rocha, Julien Dran
Orchestre de Chambre de Genève

En prolongement de La Juive, Le GTG propose cet opéra-comique de Halévy, créé la même année (1835) en version de concert. L’idée est séduisante pour faire mieux connaître le compositeur, qui reste pour beaucoup un inconnu, à travers une œuvre qui eut son succès au XIXe.
L’histoire est celle d’un anglais et d’un américain amoureux de deux sœurs, mais l’un des deux hommes devient momentanément aveugle suite à la foudre (« l’éclair »), ce qui complique les choses.
L’Orchestre de Chambre de Genève entame une collaboration avec le Grand Théâtre qu’on espère voir se développer et Guillaume Tourniaire est un chef de très bonne facture.

 

Octobre-novembre 2022
Leoš Janáček
Katia Kabanova
(6 repr. du 21 oct. au 1er nov. 2022)(Dir : Tomáš Netopil /MeS : Tatjana Gürbaca)
Avec Corinne Winters, Aleš Briscein, Elena Zhidkova, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Après la Jenůfa triomphale, et à peine six mois plus tard (toujours en 2022), Aviel Cahn repasse le plat Janáček avec de nouveau une mise en scène de Tatjana Gürbaca et Corinne Winters en héroïne. Quand on aime on ne compte pas. Mais on remarque d’autres noms excellents dans la distribution à commencer par la remarquable Elena Zhidkova qui sera Kabanicha, la belle-mère, et une brochette de remarquables chanteurs, Aleš Briscein, Stephan Rügamer, Tómas Tómasson, Sam Furness. Direction de Tomáš Netopil à prévoir correcte parce que c’est un bon chef, mais sans doute pas aussi imaginatif que Tomáš Hanus qui est l’un des artisans essentiels du triomphe de Jenůfa. Espérons que le succès de Jenůfa attire la curiosité du public pour ce troisième Janáček de l’ère Aviel Cahn  et que le spectacle ait le même accueil.

Novembre 2022
Claudio Monteverdi et contemporains
Combattimento – Les amours impossibles
( 2 repr. les 6 et 7 nov. 2022.)(Dir : Christina Pluhar/Chorégraphie : Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustinjen)
Avec Rolando Villazon, Céline Scheen, Giuseppina Bridelli, Valer Sabadus, Krystian Adam…

Aviel Cahn propose à l’instar des années précédentes avec les tournées du Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer (Orfeo et Incoronazione di Poppea) au succès modéré. Cette fois, il appelle Rolando Villazon, le ténor bien connu qui s’est reconverti dans la répertoire baroque, et qui travaille avec la cheffe Christina Pluhar. Un « spectacle musical » et chorégraphique complété par des vidéos avec des chanteurs de très bon niveau, au-delà de Villazon… Mais soyons clairs, c’est un moyen d’afficher un titre supplémentaire à peu de frais, avec en plus une ex-star du firmament lyrique qui excitera la curiosité… Coup de dés sans grand risque.

Gaetano Donizetti
Maria Stuarda
(6 repr. du 17 au 29 déc. 2022 )(Dir : Stefano Montanari/MeS : Mariame Clément)
Avec Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Gianluca Buratto, Simone del Savio
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Aviel Cahn a installé à Genève, nous l’avons dit, des sortes de séries, des rendez-vous avec des artistes qui reviennent, manière éventuelle de fidéliser le public. Après Anna Bolena, Maria Stuarda avec la même équipe. Je n’ai pas aimé le travail de Mariame Clément dans Anna Bolena, j’ai eu quelques doutes sur le cast, et j’ai applaudi à la direction de Stefano Montanari, une véritable chance pour le GTG dans ce répertoire qui vient d’éblouir Munich dans une reprise d’Agrippina de Haendel, et nul doute qu’il animera l’entreprise (c’est à dire en sera l’âme). On retrouve Elsa Dreisig (qui reviendra, auréolée de ses triomphes berlinois dans Fiordiligi et de sa Salomé très attendue d’Aix) qui sera non Maria Stuarda mais Elisabetta (c’est la surprise du chef) tandis que Stéphanie d’Oustrac sera la reine d’Êcosse. Wait and see. Les rôles masculins seront tenus par de solides chanteurs.
C’est à la fois excitant, et en même temps je crains la déception… c’est la glorieuse incertitude de l’opéra.

Janvier-février 2023
Richard Wagner
Parsifal

(6 repr. du 25 janv. au 5 févr. )(Dir : Jonathan Nott/MeS :  Michael Thalheimer)
Avec Daniel Johansson, Christopher Maltman, Tareq Nazmi, Tanja Ariane Baumgartner, Martin Gantner
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

On se souvient que ce Parsifal a été victime du Covid, récupéré partiellement en forme de concert. Le voilà de nouveau programmé, pour le plus grand bonheur des nombreux wagnériens de Genève. L’histoire du Grand Théâtre est jalonnée de succès wagnériens notables. Certes, toutes les saisons ne peuvent afficher Wagner, mais c’est la première production wagnérienne d’Aviel Cahn et à ce titre, elle mérite une grande attention.
Si la direction est assurée par Jonathan Nott, le directeur musical de l’OSR, la mise en scène est confiée à un artiste très connu en Allemagne, mais pratiquement inconnu en aire francophone : Michael Thalheimer.  Il ne faut pas attendre une lecture qui bousculera le public genevois, mais Thalheimer est un metteur en scène de théâtre solide, où il est plus connu qu’à l’opéra (j’avais vu de lui Les Troyens , une production très épurée à Hambourg). C’est une sorte d’ascète de la scène : Parsifal devrait lui convenir.
Je ne suis pas convaincu par le choix de confier Parsifal à Daniel Johansson, chanteur très honnête, mais qui n’a jamais transfiguré les rôles où je l’ai entendu. Bien plus excitant la prise de rôle en Amfortas de Christopher Maltman, un des barytons les plus intéressants du jour, et un acteur exceptionnel dans les rôles de personnages torturés. Kundry sera Tanja Ariane Baumgartner, qu’on a vue en Clytemnestre cette saison, et qui est une véritable actrice (on va attendre avec avidité son deuxième acte). Intéressant aussi le choix de confier Gurnemanz à Tareq Nazmi, une des basses les plus intéressantes du jour, qu’on a bien connu quand il était en troupe à Munich et qui commence à être invité dans des rôles de plus en plus importants. Enfin, Martin Gantner sera Klingsor, ce très bon baryton (il est un Beckmesser remarquable) devrait trouver une voix intéressante d’interprétation du personnage. Au total, c’est un Parsifal très solide par des choix de distribution originaux, sans être capable sur le papier de faire courir les foules wagnériennes d’Europe. Mais ce n’est sans doute pas le but…

Février-mars 2023
Claudio Monteverdi
Il ritorno di Ulisse in patria

( 6 repr. du 27 févr. au 7 mars )(Dir : Fabio Biondi/MeS : FC Bergman)
Avec Marc Padmore, Sara Mingardo, Jorge Navarro Colorado, Elena Zilio etc…
L’Europa Galante

On s’intéresse beaucoup en ce moment et dans pas mal de maisons à Monteverdi et notamment à Ulisse, le troisième opéra après L’Orfeo et l’Incoronazione di Poppea. Dans la vaste salle du Grand Théâtre, c’est peut-être une gageure, mais on y a vu de grandes réussites baroques.
Pour ma part, j’estime que c’est un des projets les plus convaincants, sinon le plus convaincant de la saison, aussi bien musicalement que scéniquement.  Appeler FC Bergman, le groupe flamand anarchiste et poétique, c’est à la fois audacieux et stimulant pour une œuvre difficile, dramaturgiquement moins stimulante que Poppea par exemple. Douce folie poétique sur scène, et en fosse l’un des meilleurs orchestres baroques de la baroquie européenne, et l’un des premiers ensembles italiens à s’imposer à sa fondation au moment même où c’est le Nord de l’Europe et la France qui tenaient le haut du pavé. Le sicilien Fabio Biondi, le fondateur, sera en fosse : c’est un vrai cadeau pour les genevois que cet orchestre et cette équipe de mise en scène. La distribution ne sera pas en reste : avec de grandes vedettes du chant baroque comme Mark Padmore (irremplaçable interprète des Passions de Bach) et Sara Mingardo, qui reste l’une des références de ce répertoire. Et remarquons dans la distribution Elena Zilio (Ericlea, la nourrice de Pénélope) gloire du chant italien des années 1980, qui ne fut jamais dans les grands rôles, mais irremplaçable là où elle était distribuée. Voilà une production où l’on reconnaît une vraie patte, et voilà ce qu’on aimerait voir plus souvent à Genève.

Mars-avril 2023
Christian Jost
Le voyage vers l’espoir

( 5 repr. du 28 mars au 4 avril)(Dir: Gabriel Feltz/MeS : Kornél Mundruczó)
Avec Kartal Karagedik, Rihab Chaieb, Ivan Thirion, Denzil Dehaene
Orchestre de la Suisse Romande

Encore une victime du Covid, cette production était prévue dès la première saison d’Aviel Cahn, et elle a été passée par profits et pertes à cause de la fermeture des théâtres. Bien heureusement, comme Parsifal, cette production réapparaît deux ans après. Elle traite d’un problème hélas d’une tragique actualité, la migration, à travers une famille kurde qui quitte son pays pour gagner la Suisse, un supposé paradis. L’œuvre est fondée sur le film de Xavier Koller, prix au festival de Locarno 1990, et Oscar du meilleur film étranger en 1991.
Le compositeur Christian Jost, compositeur de 9 opéras, dont un Hamlet pour la Komische Oper Berlin et un Egmont pour le Theater an der Wien. Le dixième est donc cet opéra, fondé sur l’histoire du film de Koller.
La mise en scène est confiée à Kornél Mundruczó, lui-même cinéaste, pour sa troisième mise en scène à Genève après ses deux belles productions que sont L’Affaire Makropoulos en 2020 et Sleepless en 2022. Mundruczò commence à essaimer les scènes européennes, comme Hambourg, Munich, Berlin.
C’est l’excellent chef Gabriel Feltz, GMD de Dortmund, qui dirigera, et c’est un nouveau profil pour Genève, un de ces chefs qui dirigent partout en Allemagne, mais peu à l’étranger plutôt attiré à l’opéra par le XXe siècle et le contemporain. Dans la distribution, notons Kartal Karagedic, que j’avais beaucoup apprécié en Chorèbe dans Les Troyens à Hambourg, où il est membre de la troupe.
Ce sont des ingrédients qui devraient garantir une production intéressante.

Mai 2023
Dmitry Chostakovitch
Lady Macbeth de Mzensk

(5 repr. du 30 avril au 9 mai )(Dir : Alejo Pérez/MeS : Calixto Bieito)
Avec Aušriné Stundyte, Dmitry Ulyanov, John Daszak, Ladislav Elgr, Kai Rüütel etc…
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une fois de plus Aviel Cahn propose des rendez-vous répétés avec des séries, comme nous l’avons déjà souligné, puisque la série russe est marquée par le couple Alejo Pérez, excellent chef qui a convaincu dans Guerre et Paix, et la production déjà ancienne (2014) de Calixto Bieito, venue du OperaBallet Vlaanderen qui avait saisi le public par son univers apocalyptique fait de violence et de sexe. Accueil triomphal à l’époque.
Dans le rôle-titre, la Katerina du moment, qui l’interprète sur toutes les scènes, Aušriné Stundyte, fabuleuse dans les mains de Calixto Bieito. Aucune hésitation, c’est une production phénoménale qui fit date. La revoir à Genève est une chance.

Juin 2023
Giuseppe Verdi
Nabucco

( 8 repr. du 11 au 29 juin )(Dir: Antonino Fogliani/MeS: Christiane Jatahy)
Avec Simone Alaimo, Saioa Hernandez, Riccardo Zanellato, Davide Giusti, Ena Pangrac
Chœur du Grand Théâtre, Orchestre de la Suisse Romande

Une prise de rôle est un événement et quand il s’agit de Nicola Alaimo, l’un des plus grands barytons italiens, spécialiste de Rossini et de Bel Canto, qui aborde Nabucco, il faut se précipiter. Saioa Hernandez sera sans nul doute une Abigaille solide. Zanellato n’était pas en grande forme ces derniers mois, espérons qu’il se sera repris car c’est une grande basse. Et Antonino Fogliani est l’un des chefs italiens à suivre en ce moment.
Reste la mise en scène.
Elle est confiée – et c’est une excellente idée – à la brésilienne vivant en France Christiane Jatahy, l’une des artistes les plus intéressantes du théâtre aujourd’hui, qui use avec intelligence et finesse de la vidéo, et qui après un Fidelio à Rio de Janeiro, aborde de nouveau un opéra monumental s’il en est, l’un des musts de Verdi. Si la production est réussie, sa carrière sera sans doute lancée à l’opéra.
Alaimo et Jatahy, deux motifs puissants pour faire de ce Nabucco la deuxième nouvelle production totalement stimulante de la saison.

Au total, aucun des titres, aucune des productions n’est dénuée d’intérêt, soit par la rareté, soit par les choix artistiques, chacune se justifie.
Mais pour ma part, trois me rendent impatient : Il ritorno di Ulisse in patria, Lady Macbeth de Mzensk et Nabucco.

Concert du Nouvel An
Marina Viotti, Stanislas de Barbeyrac
Marc Leroy
Orchestre de chambre de Genève

Deuxième concert avec l’Orchestre de chambre de Genève dirigé par Marc Leroy pour le Nouvel An avec deux des voix les plus intéressante du panorama aujourd’hui, Marina Viotti, mezzo de plus en plus réclamée et particulièrement musicale, figlia d’arte puisque fille du chef suisse Marcello Viotti et sœur de Lorenzo Viotti. Mais si elle a un nom effectivement connu, elle s’est fait un très solide prénom.
Et puis le ténor français mozartien (et bientôt beethovénien) Stanislas de Barbeyrac, une des voix françaises les plus en vue, et les plus intéressantes.
Joli cadeau pour le Nouvel An

Récitals

Diana Damrau (24 septembre)
Bryn Terfel
(26 novembre)
Nina Stemme
(4 février)
Simon Keenlyside
(4 mars)
Anne Sofie von Otter
(16 juin) 

C’est courageux dans la période actuelle de programmer une série de récitals, un art qui peine à survivre hors du monde germanophone, même si tous les chanteurs invités sont des stars. L’art du récital est très spécifique : on a vu certains s’écrouler en récital alors qu’ils dominaient les scènes. Bien sûr, il faudra aller écouter Bryn Terfel, l’un des phares de l’opéra des vingt dernières années, les stars Damrau et Stemme, et d’authentiques spécialistes de la mélodie, Anne Sofie von Otter et Simon Keenlyside (qui se souvient de son Pelléas magique à Genève ?) savent installer un univers et une chaleur dans une salle quand ils abordent la mélodie.
Un choix équilibré, qui justifie qu’on aille à chaque concert, mais on aimerait aussi voir l’une de ces stars dans une production d’opéra… Genève le vaut bien.

IN MEMORIAM TERESA BERGANZA (1933-2022)

 

Teresa Berganza, dans mon souvenir, avant d’être une voix, c’est d’abord un sourire, celui d’Angelina (Cenerentola) abordant son air final Non più mesta. Un sourire bienveillant, des yeux pétillants de gentillesse, en somme l’émotion qui naît de l’humanité.
Car ce qui frappait quand on voyait Berganza en scène, c’était cette fraîcheur et cette douceur inhérente à la personne, qui mena une carrière exceptionnelle loin des sunlights et des médias. Une simplicité et une disponibilité qui séduisaient immédiatement le public.
Teresa Berganza fait partie, à l’instar de Gabriel Bacquier, de ces artistes qui ont accompagné ma naissance à l’opéra, quand, en 1964 ou 1965, je suivais à la télévision les retransmissions d’Aix en Provence, où elle fut révélée, Cosi fan tutte, Il Barbiere di Siviglia notamment. Âgé de 11 ou 12 ans, je ne savais rien des voix, mais ce visage avenant, ce profil un peu mutin et ce sourire déjà m’avaient frappé.
Sur scène, je l’ai entendue de nombreuses fois en Cherubino. Lors des nombreuses reprises de la production Strehler des Nozze di Figaro à l’Opéra de Paris durant les années (entre 1973 et 1980), elle en fut l’interprète la plus fréquente, où même à plus de 40 ans, elle restait incroyable de vivacité dans ce rôle d’adolescent virevoltant. Elle m’émouvait bien plus d’ailleurs dans Non so più cosa son que dans le célébrissime Voi che sapete. Elle avait cette vie bouillonnante, cette fraîcheur, dans un chant si fluide dont pourtant on ne manquait aucun mot tant la diction était claire. Les très grandes chanteuses sont d’abord des diseuses. Je n’ai jamais entendu depuis un chant aussi juvénile, un chant correspondant exactement à la couleur voulue du personnage. Sa voix faisait surgir le personnage…
Puisqu’à l’époque j’avais une sorte d’abonnement quotidien aux fonds de loge de Garnier, je crois n’avoir manqué non plus aucune de ses Cenerentola. J’ai évoqué plus haut cette humanité qu’elle donnait au personnage, le chant qui paraissait si aisé, les agilités qui semblaient arriver sans effort mais surtout avec naturel, comme prolongement d’un discours et surtout pas performance démonstrative. L’intelligence pure, sans affectation, sans démonstration : elle était Angelina, et pour moi elle le reste, même si j’en ai entendu et (aimé) quelques autres depuis.

 

Carmen (Mise en scène Piero Faggioni)

Et puis il y eut Carmen.
On peut difficilement imaginer quel choc fut sa Carmen d’Edimbourg en 1977, immortalisée par le disque, mais encore plus frappante dans les enregistrements pirates (quel dernier acte, avec un Domingo déchirant et en fosse un Abbado de feu) : de quelle manière elle lançait à Don José :
Cette bague autrefois tu me l’avais donnée,
Tiens…
Elle lançait ce tiens de manière non sauvage, mais altière, décidée, méprisante… je ne cesse de l’avoir dans l’oreille. Tout le monde lyrique en fut secoué.

Avec Claudio Abbado

Sa Carmen est évidemment indissociable de Claudio Abbado (et non de Karajan comme je l’ai lu et entendu avec qui elle fut Cherubino en 1972 et 1973 à Salzbourg), tous deux renouvelèrent totalement la vision de l’œuvre. Sa Carmen tranchait sur les interprétations anciennes de la gitane à l’œil noir et à l’érotisme torride.
Elle était une Carmen – on l’a beaucoup dit- libre, mais pas seulement, elle était joyeuse, elle était incroyable force vitale. Claudio Abbado, chef d’opéra hors pair, savait l’accompagner, la soutenir : il l’avait dirigée dans Rossini (Il Barbiere di Siviglia et évidemment la Cenerentola dans les mises en scène de Ponnelle qui restent inégalées. Elle avait conscience que sa voix, qui n’était pas immense, exigeait un théâtre aux dimensions adéquates : le King’s Theatre d’Edimbourg avait un rapport scène-salle idéal parce que cette voix exigeait aussi un rapport de proximité, pour le personnage très neuf qu’elle créait. J’eus la chance de l’entendre à l’Opéra-Comique en 1980, sans Abbado (on connaît l’histoire de son refus de diriger l’orchestre de l’opéra), mais avec Domingo (et Vanzo), Ricciarelli, Raimondi : c’était un miracle, et c’était surtout la véritable création d’un personnage construit pour elle par le metteur en scène Piero Faggioni. On le comprit quand cette production fut reprise à la Scala, avec Abbado cette fois, mais avec Shirley Verrett dans un rapport un peu appauvri à la salle, qui n’avait rien à voir (même si Verrett était évidemment très grande) avec la performance de Berganza.
En réinventant Carmen, elle ouvrait évidemment la voie à un regard très différent sur l’œuvre que la mise en scène allait reconsidérer dans le futur.

En récital, elle savait installer une ambiance, une intimité presque familiale, qui frappait tant la diva, même quelquefois habillée de robes somptueuses, était peu Diva, mais toujours élégante, dans son paraître et son être. Et l’univers qu’elle créait semblait tellement évident, tellement naturel qu’on en oubliait presque tout le travail et l’intelligence qui était derrière…
Une immense chanteuse nous a quittés, il nous reste évidemment ses disques, où l’on pourra admirer sa technique, sa diction, la variété des couleurs qu’elle savait donner à tous les rôles qu’elle aborda, de Haendel à Ravel, mais il reste surtout cette éternelle fraîcheur, cette simplicité et ce sourire dont elle irradia le monde jusqu’à la fin.

 

LA SAISON 2022-2023 DE L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS

 

Le printemps est la saison de la renaissance de la nature, des fleurs, et des pluies soudaines. C’est aussi la saison des pluies de programmations des saisons, à qui arrivera le premier, à qui montrera les idées les plus audacieuses etc…
On sait que les opéras se relèvent difficilement de la période troublée par la pandémie, que la guerre en Ukraine pose d’autres problèmes, et provoque aussi quelques absurdités, mais qu’en général l’interruption des dernières saisons a provoqué une crise des publics, que les institutions culturelles cherchent à conjurer, au prix d’une prudence qui provoque des programmations pâlichonnes, comme on le découvre progressivement : jusqu’ici, dans les saisons déjà annoncées, rien de vraiment extraordinaire.

C’est dans ce contexte un peu gris que la saison de l’Opéra de Paris, ère Neef, saison 2 a été présentée au public il y a quelques jours.
Dans cette programmation très sage domine l’impression que c’est moins une programmation artistique que statistique. Il en faut non pour tous les goûts, mais pour toutes les tendances du jour, tout en ne dépensant pas trop, vu la situation financière difficile de la maison. Ainsi aura-t-on droit à une (petite) dose d’opéra français, une dose de femmes aux commandes de la fosse ou de la scène, une dose notable de diversité (et ça c’est particulièrement bienvenu), une bonne dose de répertoire vraiment plat et quelques assaisonnements dont on souligne l’originalité prétendue comme « l’opéra en anglais », après A quiet place (1983, Houston) cette saison, vient Nixon in China (1987, Houston).
Présenter comme notable deux entrées au répertoire de deux œuvres en anglais créées respectivement il y a 39 et 35 ans ne fait que souligner le retard de notre opéra national plutôt que son originalité. Mais bienvenue à la « nouveauté » et merci à qui rattrape les retards…
On a quand même de la difficulté à déterminer une ligne artistique…

Lors de son entrée en fonction, Alexander Neef a annoncé qu’il accorderait une importance nouvelle à l’opéra français. Mais l’histoire de notre première scène, qui fut au XIXe la plus grande scène d’opéra du monde (au moins jusqu’en 1870) est aussi pleine d’œuvres en français de compositeurs étrangers – et notamment italiens, mais pas parce qu’on continue à de rares exceptions de ne pas présenter. S’agit-il d’opéra français ou d’opéra en français… ?

Le lecteur sait bien que c’est là une de mes obsessions rappelées chaque année, mais aussi bien Spontini, Cherubini, Rossini, Meyerbeer, Donizetti, Bellini, Verdi, Wagner (excusez du peu) créèrent à Paris des opéras pour Paris. Est-il si difficile aujourd’hui de proposer Lucie de Lammermoor plutôt que Lucia di Lammermoor, voire un authentique Tannhäuser version de Paris dans sa langue de création, si l’on veut donner à notre première scène une couleur historiquement informée. Certes, on a vu ces dernières années Les Huguenots, Don Carlos, mais Les Vêpres siciliennes en version française remontent à 2003 (sous Hugues Gall), on en attend la reprise ou une nouvelle production…
Quant à l’opéra français… Louise de Charpentier montée par Mortier dans une mise en scène d’André Engel aurait pu faire l’objet d’une reprise, le titre est légendaire et la musique plutôt séduisante, et la mise en scène digne d’au moins une ou plusieurs reprises de répertoire. Mais rien… Pas plus que La Juive de Halévy dans la sage production de Pierre Audi, apparue en 2007 et disparue depuis, ni Mireille de Gounod qui avait ouvert l’ère Joel, ni Le Cid de Massenet (productions certes médiocres) ni Le Roi Arthus de Chausson (meilleur) nés pendant la saison 2014-2015 n’ont été l’objet de reprises. Pourtant on a repris des productions tout aussi médiocres (Don Giovanni, Van Hove) sans sourciller…

Depuis quelques années et avant Neef, oui, l’Opéra s’est constitué un fonds de titres : encore faudrait-il les reprendre. Lorsqu’on veut soi-disant défendre l’opéra français, on cherche d’abord à fouiller les fonds de tiroir de la maison inexplicablement oubliés, à moins que les productions n’aient été détruites, ce qui est toujours possible… Si l’Opéra de Paris est incapable de se constituer un répertoire de titres français, c’est à dire de titre repris pendant plusieurs saisons pour les installer dans le paysage, à quoi sert de claironner tous azimuts opéra français ! opéra français ! La presse généraliste qui ne connaît pas l’histoire de cette maison et crie au miracle à chaque fois qu’un titre français arrive comme si on avait trouvé l’œuf de Christophe Colomb. Encore cette année d’ailleurs on salue un effort qui en réalité n’est pas plus notable que sous l’ère Joël et même sous l’ère Lissner…

Malheureusement, « l’opéra français » est plus un slogan pour identitaires lyriques en effervescence qu’une véritable politique car même si cet intérêt pour l’opéra français est affiché, puisqu’on aura deux opéras français sur sept nouvelles productions (28%, honorable) et une reprise tiroir-caisse, Carmen dans la production de Bieito qui court le monde depuis des lustres pour rien moins que 15 représentations. On reste un peu surpris que le Faust, signé Tobias Kratzer, très bonne production, et presque nouvelle puisque représentée deux fois à huis clos ne bénéficiera en juillet prochain que de 5 représentations pour le public qui la découvrira pour la première fois (alors qu’une dizaine de représentations étaient prévues à la création, toutes annulées pour covid) : on aurait pu penser que cette nouvelle production (c’en est une pour le public) aurait bénéficié d’un autre affichage et de représentations plus nombreuses sur les deux saisons, mais peut-être est-elle trop ébouriffante pour la pusillanimité ambiante ou que les goûts artistiques de la direction actuelle ne vont-ils pas jusqu’à Kratzer, trop intelligent et incisif pour la couleur terne de cette saison/maison un peu plus sensible d’ailleurs aux sirènes d’outre atlantiques que germaniques.
En tout cas, sur 18 productions lyriques le total affiche 3 opéras français, soit un peu moins de 17%. C’est un pourcentage modeste qui ne vaut pas les trompettes de la renommée … Pour mener une vraie politique en la matière, il faudrait en afficher au moins le double, mais ce serait un peu risqué, car mieux vaut une bonne Bohème intergalactique en italien qu’un Roi Arthus de Chausson pour faire le plein – on ne peut pas le dire, alors on claironne sans faire vraiment. Saint Potemkine priez pour nous.

Ainsi au programme dans les nouvelles productions aura-t-on Hamlet de Thomas et Roméo et Juliette de Gounod (inexplicablement absent depuis 1985). Au total rien que de très normal et « L’opéra français (est) à l’honneur » … en somme ni plus ni moins que d’habitude et ni plus ni moins qu’avant. Poudre aux yeux.
Dans l’autre volonté claironnée, celle d’afficher la parité hommes-femmes, on trouve aussi dans les nouvelles productions un opéra sur une femme, fait par des femmes (Salomé), c’est même le premier fait souligné dans le dossier de presse : « Parmi les nouvelles productions de cette saison, trois sont confiées à des metteuses en scène invitées pour la première fois à l’Opéra de Paris : Lydia Steier, Deborah Warner et Valentina Carrasco. ».
Il fallait brandir aussi ce drapeau-là.
Que Valentina Carrasco soit invitée un peu partout depuis quelques années (à Lyon par exemple), et Deborah Warner depuis des années dans tous les grands théâtres internationaux ne fait que confirmer la politique un peu timide en la matière de notre première scène nationale. Ce qui m’insupporte, c’est que ces invitations soient inscrites sous le drapeau « femmes » alors que chacune mène une carrière artistique riche, qui tient à un travail tout de même plus intéressant que « le genre ».
Au cœur du projet, la qualité, pas le genre…
Ainsi Lydia Steyer et Simone Young, Deborah Warner et Joana Mallwitz ainsi que Speranza Scappucci sont-elles invitées pour la saison prochaine, rien que de très normal au vu des carrières que mènent ces artistes dans les théâtres européens dont certaines depuis des années : il serait donc plus conforme de l’inscrire au tableau de la normalité plutôt qu’au tableau d’honneur de la maison.

__________________

 

Mais au-delà de la programmation que nous allons aborder en détail, je voudrais insister sur un point qui peut sembler accessoire mais qui m’agace par ce qu’il présuppose.
C’est mon moment « humeur ». Qu’il me soit pardonné d’avance.

Depuis des années, à l’Opéra de Paris, selon les directeurs, les titres des œuvres sont affichés en français ou dans la langue originale. Puisque c’est selon les directeurs, cela veut dire que certains considèrent cela comme un enjeu ou un « signe ».
Nous sommes dans une période de « titres en français ». Ainsi verra-t-on « Les Capulet et les Montaigu » ou « Le Trouvère ». Laissez-moi rire.
Nous sommes en France, à une époque (ridiculement) sourcilleuse sur l’identité, qui passe par la langue : on connaît les grands discours sur la défense et illustration de la langue française et c’est un marronnier politique depuis des décennies, qui lui, ne vieillit jamais car notre pauvre langue doit se défendre des vilaines autres langues, et surtout du perfide anglo-américain. Mais il y a des manières de se défendre quelquefois un peu à côté de la plaque et juste franchouillardes.
La francisation des titres d’œuvres présentées en langue originale fait penser à l’italianisation des auteurs, des titres et des œuvres sous Mussolini (sauf l’étrange exemple de Thaïs et non Taide à la Scala en 1942), Riccardo Wagner, Giovanni Sebastiano Bach ou Giulio Massenet. Mais j’ai contrôlé : Le Trouvère est bien de Giuseppe Verdi et non de Joseph Verdi. Qu’est-ce qu’on attend ?
Même si je ne les partage pas, je ne rentrerais pas dans ce débat mouvant et ridicule si cette francisation correspondait à un vrai choix d’affichage « idéologique », au moins pour les titres, parce qu’il devrait alors répondre à une logique, à une rigueur et à des règles.
Ce n’est pas le cas.

Dans la liste des œuvres affichées à l’Opéra de Paris, un signal bizarre est envoyé sur les titres d’opéra : tantôt en français (avec le titre original en sous-titre) La Flûte enchantée pour Die Zauberflöte ou La Force du Destin pour La Forza del Destino (titre évidemment incompréhensible en langue originale à un lecteur français normalement constitué).
On peut comprendre que pour des œuvres écrites originellement dans des langues moins connues (je pense aux œuvres de Janáček par exemple ou certains titres d’opéras russes) on puisse discuter, mais à ce moment-là, si l’œuvre est donnée comme dans 95% des cas aujourd’hui en langue originale, on affiche le titre original avec en sous-titre la traduction en français.
Il y a une règle simple appliquée un peu partout : quand un opéra est donné en langue originale, on donne le titre en langue originale quelle qu’elle soit, avec éventuellement en sous-titre la traduction dans la langue du pays. Si le titre est donné directement dans la langue du pays, c’est que l’œuvre est donnée dans la langue du pays. Exemple : Die Hochzeit des Figaro pour Le nozze di Figaro. On peut le vérifier sur le site de la Volksoper de Vienne qui donne tous ses opéras en langue allemande.
À l’opéra de Paris, la pratique est chaotique et ne répond à aucune règle, voire contreproductive. C’est Lingua è mobile

Voici tels qu’affichés les titres de la saison, et bravo pour la cohérence :

Tosca (Titre original)
La Cenerentola (Titre original)
La Flûte enchantée (Titre traduit : Die Zauberflöte (original))
Les Capulet et les Montaigu (Titre traduit : I Capuleti e i Montecchi (original))
Salomé (Titre français, un lecteur avisé m’a rappelé opportunément que la version originale s’écrit Salome, mais soyons magnanimes)
Carmen (Titre original)
Les Noces de Figaro (Titre traduit : Le nozze di Figaro (original))
La Force du destin (Titre traduit : La Forza del destino (original))
Tristan et Isolde (Titre modifié on traduit le « et » : Tristan und Isolde (original))
Le Trouvère (Titre traduit : Il Trovatore (original))
Peter Grimes (Titre original)
Lucia di Lammermoor (Titre original)
Hamlet (Titre original)
Nixon in China (Titre original)
La Scala di seta (Titre original)
Ariodante (Titre original)
La Bohème (Titre original)
Roméo et Juliette (Titre original)

Relevons les incohérences :
Pourquoi l’Opéra annonce-t-il La Scala di Seta et pas l’Échelle de soie ?
De même pourquoi Nixon in China et pas Nixon en Chine ?
De même pourquoi Lucia di Lammermoor et pas Lucie de Lammermoor ?
Réponse supposée : parce qu’il existe une version en français de
Lucia di Lammermoor, signée Donizetti.
Mais alors, pourquoi  afficher Le Trouvère de Verdi pour Il Trovatore, alors que comme pour Lucia di Lammermoor, il existe une version en français Le Trouvère (1857), signée Verdi.

Réponse supposée : parce que ceux qui ont en charge la publication du programme ne le savent pas.
Et pourquoi afficher La Cenerentola (titre original) de Rossini et pas Cendrillon (de Rossini)
Réponse supposée : pour ne pas confondre avec Cendrillon de Massenet à peine entré au répertoire de l’Opéra de Paris ou que La Cenerentola est considéré comme un nom propre, alors que c’est la traduction italienne de Cendrillon. On se perd en conjectures

Autre stupidité :
Tristan et Isolde n’existe pas, le titre français est ou serait Tristan et Yseult. Alors autant écrire Tristan und Isolde parce que le lecteur qui n’est pas si dénué d’imagination comprendra.

Pour les autres titres (j’avoue que Les Capulet et les Montaigu me fait rire, tellement c’est idiot), on serait inspiré de se donner une règle claire et pas un semblant de faux respect de la langue française qu’on utilise un titre oui un titre non selon ce qu’on suppose de la culture du lecteur. D’ailleurs je pourrais aussi protester vigoureusement parce que cette année A quiet place de Bernstein a été affiché en anglais et sans traduction du titre en français en sous-titre : ce serait tellement mieux si on avait écrit « Un endroit tranquille ».
Avec ces règles qui n’en sont pas, c’est le lecteur qu’on prend pour un imbécile et ceux qui ont institué cette règle ridicule feraient mieux de se regarder au miroir.

La seule règle qui vaille : titre en français pour œuvre en français. Un rappel : Don Carlos (ou Le Trouvère ou Les Vêpres siciliennes) est la version en français de l’opéra de Verdi, Don Carlo (Il Trovatore ou I vespri siciliani) la version en italien, simple non ?
Sinon titre dans la langue originale avec traduction en sous-titre.

Je suis désolé d’insister mais cette affaire pitoyable est un signe de nos faiblesses, et de nos peurs, et en l’occurrence des peurs de se faire épingler par les (fausses) vestales de la langue. Elle est aussi ridicule que les nudités de Michel Ange dans le Jugement dernier (ou Giudizio universale) de la Sixtine couvertes lors de la contre-réforme mais qui ne couvraient pas les licences et turpitudes de la vie romaine.
Faudra-t-il répéter que l’opéra est un art international, traversé par de multiples langues et de multiples langages. Et que notre théâtre national est de fait un théâtre international, avec directeur allemand, directeur musical espagnol d’origine vénézuélienne, qui invite pour Ariodante une formation baroque anglaise alors que les formations baroques en France sont nombreuses et de haut niveau, et que l’essentiel des chanteurs invités sont des non-français, comme l’indique la liste des chanteurs pointés dans le dossier de presse :

Roman Burdenko, Saioa Hernández, Christiane Karg, Huw Montague Rendall, Margarita Polonskaya, Iurii Samoilov, Caroline Wettergreen, Dominic Barbieri, Bastian Thomas Kohl Thomas Ricart, Matthäus Schmidlechner, Golda Schultz, Boglárka Brindás, Rachel Frenkel, Teona Todua, Russell Thomas, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Okka von der Damerau, Mary Elizabeth Williams, Judit Kutasi, Anna Pirozzi, Rosie Aldridge, Allan Clayton, James Gilchrist, Jacques Imbrailo, Thomas Bettinger, Brenda Rae, Joshua Bloom, Ning Liang, John Matthew Myers, Enrico Casari, Eric Ferring, Gianluca Buratto, Joshua Guerrero, Slávka Zámečníková, Jérôme Boutillier, Huw Montague Rendall, Sergio Villegas Galvain, Marina Viotti.
Dans cette liste communiquée à la presse on relève deux noms français, Thomas Ricart et Jérôme Boutillier et un nom francophone, Marina Viotti.

Mais soyons honnêtes jusqu’au bout, les distributions d’Hamlet (oubliée dans le dossier de presse) comme celle de Carmen et Roméo et Juliette sont largement françaises, mais elles disparaissent inexplicablement dans la liste des chanteurs proposés par le dossier.

Qu’on ne se méprenne pas, je ne fais ici qu’une constatation d’incohérences pour montrer qu’opéra français et titres en français sont des affichages, des arbres qui cachent une forêt habituelle. Je prêche en l’occurrence pour la simplicité et la logique et surtout pour que cessent l’affichage de slogans inutiles.

Enfin, je n’ai jamais défendu une identité nationale pour les chanteurs, pourvu que les chanteurs affichés soient bons, ni l’opéra français pour l’opéra français. J’estime seulement (au-delà de mes propres goûts) que la plus grande maison d’opéra en France doit afficher quelques titres qu’on ne voit pas ailleurs : il n’est pas normal que ce soit Berlin qui ait entamé un cycle Meyerbeer alors que tous les Meyerbeer berlinois ont triomphé d’abord à Paris au XIXe. Il n’est pas normal que les grands Spontini (La Vestale…) les grands Rossini français, que la Muette de Portici d’Auber ne soient pas au répertoire, que Les Dialogues des Carmélites ait disparu des programmes depuis 2005, et Médée de Cherubini depuis 1986 : qu’on aime ou non ces œuvres, c’est la mission de cette maison de les produire, à laquelle elle continue de ne pas répondre en dépit de ce qu’elle claironne. Alors, mettre les titres des opéras (étrangers) en français, dans ce contexte, c’est encore plus risible et certes véniel face à la tâche.

C’était mon moment « humeur ».

 

________________________________

Reste la programmation.
Pour une fois, nous allons commencer par une courte considération sur le ballet.

 

Le Ballet


Nihil novi sub sole.
Au lieu d’afficher une ligne directrice, une cohérence, Aurélie Dupont propose une saison non pas statistique comme à l’opéra, mais erratique, bien que soit affichée une rhétorique qui vante l’équilibre d’une saison plus que jamais déséquilibrée.
Nous aurons droit au Noureev de service pour les fêtes, figure prétendument tutélaire qui n’est là que pour remplir les caisses ; ce sera le seul et unique ballet académique offert cette saison par cette Compagnie de 154 danseurs (hors multiples surnuméraires et effectifs d’appoint), ce qui est injustifiable pour une compagnie de ce « niveau » (?), d’autant que le reste du programme est un patchwork fait de bric et de broc sans thématique, sans colonne vertébrale, sans idée force ni ligne.
Ainsi verra-t-on deux ballets de MacMillan, dont l’entrée au répertoire grotesque de Mayerling, deux ballets de Balanchine qui feront une soirée d’un peu plus d’une heure de danse, Kontakhof de Pina Bausch (là encore, à quoi bon ?). Enfin Bobbi Jene Smith, ancienne de la Batsheva Company récemment invitée à l’Opéra, Alan Lucien Oyen et Mc Gregor complèteront le tableau. On passe sur l’invitation chic et choc de Peeping Tom.

En outre, hommage (justifié) sera rendu par le Ballet à Patrick Dupond ; enfin, Elisabeth Platel, directrice de l’Ecole de danse, a choisi de rendre hommage à Claude Bessy qui l’a précédée dans ce mandat.

Alors face à cette offre explosée mais vraiment pas explosive, et à cet encéphalogramme plat en terme d’idées, il y a d’autres bonnes nouvelles toutefois dans l’univers de la danse : Manuel Legris est en train de revivifier le Ballet de la Scala, Olga Smirnova vient d’être recrutée au sein de l’excellent Dutch National Ballet, le Bayerisches Staatsballett va connaître un nouveau directeur qui s’appelle Laurent Hilaire, le Royal Ballet à Londres continuera de régner sur la danse mondiale. Alors, Frecciarossa, Thalys, ICE ou Eurostar seront les meilleurs amis des balletomanes pour les saisons à venir !
 

L’Opéra

 

Nous l’avons déjà écrit, il s’agit pour l’Opéra de Paris et d’autres maisons de cette importance de reconquérir un public un peu évaporé partout et devenu vaporeux en France sous les coups de boutoirs successifs des grèves et du covid.
La recette réside-t-elle dans des reprises de grands standards de type « tiroir-caisse » ? Pas si sûr si c’est le seul remède à la mélancolie ambiante. Le défi parisien est d’autant plus difficile à tenir qu’il ne s’agit pas de remplir 2000 places, comme dans la plupart des maisons européennes comparables, ou 3800 comme au MET, mais 4700, excusez du peu, en deux théâtres aux caractéristiques techniques différentes. Un défi d’ailleurs – soyons justes- que la programmation la plus excitante et les idées les plus stimulantes ne seraient pas non plus assurées de relever, mais qu’une programmation grise est assurée en revanche de ne pas relever.
À cela s’ajoutent les trois autres salles parisiennes qui affichent de l’opéra, et qui quelquefois concurrencent notre Opéra national sur son terrain au lieu de se différencier sur le répertoire ou la couleur des productions : à quoi sert au Théâtre des Champs-Élysées d’afficher une Bohème en version scénique en juin 2023, alors que les opéras nationaux de tous les pays en ont une à leur répertoire et que l’Opéra de Paris présente La Bohème le mois précédent ?
C’est simplement affligeant.

En lisant et relisant la programmation lyrique, j’y trouve peu de productions stimulantes, soit dans l’offre de nouvelles productions, soit dans les reprises de répertoire qui quelquefois pourraient offrir des motifs de curiosité. Le paysage est relativement monotone.
Certes, beaucoup de chefs et cheffes font leur apparition en fosse parisienne pour la première fois, mais beaucoup sont aussi des chefs « de répertoire » bien connus ailleurs, parmi lesquels on ne repère que très peu d’espoirs réels de la baguette, et quelques chefs consommés, sinon consumés.
Quant à Gustavo Dudamel, il dirige deux reprises, Tosca et Tristan und Isolde, et se frottera donc à un Wagner, et là c’est intéressant, et la nouvelle production de Nixon in China. Dudamel a explosé très tôt dans la carrière, a très vite récupéré un orchestre de prestige comme le Los Angeles Philharmonic, mais a acquis tout aussi vite une réputation de showman, avec la com qui allait avec.
Du coup, il est apparu à beaucoup comme un chef certes doué, mais superficiel, à effets, un phénomène médiatique. Mais tout cela n’a qu’un temps, et pour durer au sommet, il faut plus. Cette nomination parisienne lui donne l’occasion de se cimenter avec le répertoire d’opéra qui reste son maillon faible, mais aussi de revenir à une lecture plus approfondie du grand répertoire symphonique : sa symphonie « Résurrection » de Mahler avec les Berliner récemment était par exemple une très grande réussite.
Il est intéressant que ce moment clef de sa carrière soit vécu à Paris.

En ce qui concerne les mises en scène, on note le retour tellement attendu, tellement surprenant, tellement original de Robert Carsen, dans son ère post-industrielle, pour Ariodante de Haendel, en coproduction avec le MET qui ne sait plus à quel metteur en scène se vouer pour sortir de son image fossilisée, de Kzrysztof Warlikowski dans Hamlet au nom de son rapport à Shakespeare, mais encore faut-il savoir en quoi Ambroise Thomas, Jules Barbier et Michel Carré sont shakespeariens.
On note aussi l’arrivée de Deborah Warner dans une production de Peter Grimes qui vient d’être proposée avec succès à Covent Garden après l’avoir été à Madrid l’an dernier, avec à peu près la même distribution (Bryn Terfel est cependant remplacé par Simon Keenlyside) qui ira aussi à Rome.
Valentina Carrasco venue de La Fura dels Baus (aujourd’hui bien fatiguée) va mettre en scène Nixon in China, succédant à Peter Sellars (Houston, 1987) qui a fait le tour du monde, et Thomas Jolly, après son échec dans Eliogabalo, va se frotter à Gounod, et à Roméo et Juliette, lui aussi officiellement au nom de son goût pour Shakespeare, officieusement de son goût pour le spectaculaire tape à l’œil qui attire du public. Personnellement, j’ai encore en mémoire la belle production de Georges Lavaudant à Garnier avec dans l’oreille Neil Shicoff et Alfredo Kraus, autres temps… Depuis, l’œuvre a disparu de l’affiche de toute manière.

Nouvelles productions

Octobre-Novembre 2022
Richard Strauss, Salome

Du 12 oct au 5 nov, (9 repr. dont APJeunes)
Dir : Simone Young, MeS : Lydia Steier
Avec Elza van der Heever, Karita Mattila, Zoran Todorovitch, Tansel Akseybek, Iain, Paterson.
Distribution intéressante, Elza van der Heever s’impose de plus en plus comme un soprano qui compte, la mythique Karita Mattila sera un must en Herodias et Iain Paterson est l’un des meilleurs barytons-basse actuels. Simone Young est la cheffe solide que l’on connaît depuis longtemps dans un répertoire qui lui est familier et donc aucune crainte de ce côté-là… A signaler cependant qu’elle dirige depuis des dizaines d’années partout en Europe, mais qu’elle n’a dirigé à Paris qu’en 1993 pour une production des Contes d’Hoffmann… Il fallait quand même rattraper cela.
Salomé n’a pas beaucoup intéressé l’opéra de Paris, bien moins qu’Elektra en tous cas. Avec une histoire de deux productions entrecroisées, l’une d’André Engel créée en 1993, l’autre de Lev Dodin créée en 2003 par Hugues Gall et reprise deux fois par Gérard Mortier (dernière en 2009). C’était suffisant pour que Nicolas Joël reprenne la saison (2011) suivante la vieille production Engel. Depuis, plus rien.
Salome n’a pas été donné à l’Opéra de Paris depuis 2011, et le TCE devait donner celle géniale signée Warlikowski venue de Munich, les répétitions étaient en cours et avançaient, mais le covid en a décidé autrement, et Michel Franck s’est résolu à ne pas la reprendre (la peur sans doute d’une mise en scène trop forte pour le tendre TCE).
Lydia Steier n’est pas un choix surprenant, et ce choix a du sens pour Salomé : elle est l’une des metteuses en scène qui montent, en créant souvent d’ailleurs la polémique là où elle passe (on se souvient de sa Zauberflöte à Salzbourg remise sur le métier et jamais vraiment accomplie), mais au moins on y trouvera de l’idée, et sans doute les contestations du public. À voir de toute manière.

Janvier-Février 2023
Benjamin Britten
, Peter Grimes
Du 26 janvier au 24 février
(10 repr. dont APJeunes)
Avec Allan Clayton, Simon Keenlyside, Maria Bengtsson, Catherine Wyn-Rogers etc…
La saison actuelle a connu trois productions de Peter Grimes dont on a parlé, celle de Vienne, ancienne, mais avec prise de rôle notable de Jonas Kaufmann, celle de Munich, nouvelle production signée Stefan Herheim et celle de Londres, mise en scène par Deborah Warner, qui a commencé son tour européen à Madrid puis à Londres, l’an prochain à Paris donc et enfin Rome.
Deborah Warner est une metteuse en scène intelligente et habile sans être révolutionnaire, mais elle garantit un spectacle au minimum digne.
Après Ivor Bolton à Madrid, Mark Elder à Londres, c’est Joana Mallwitz, GMD du Staatstheater de Nuremberg qui sera dans la fosse parisienne, choix surprenant dans cette œuvre, mais la qualité et le répertoire tous azimuts de cette jeune cheffe qui s’est cimentée à Heidelberg, puis à Erfurt avant d’arriver à Nuremberg et bientôt à Berlin devraient emporter les suffrages.
Distribution très correcte, avec Allan Clayton qui a débuté à Madrid dans le rôle-titre et qui est un ténor très engagé et expressif, c’est lui qui fut un Jim Mahoney inoubliable à la Komische Oper dans la production de Mahagonny l’automne dernier.

Mars-Avril 2023
Ambroise Thomas, Hamlet
Du 11 mars au 9 avril 2023 (11 repr. dont APJeunes)
Dir : Thomas Hengelbrock, MeS : Krzysztof Warlikowski
Avec Ludovic Tézier, Eve-Maud Hubeaux, Lisette Oropesa/Brenda Rae.
Les petits plats dans les grands pour le retour d’Hamlet de Thomas à l’Opéra. Une distribution sans failles avec des chanteurs référentiels aujourd’hui, un des plus grands metteurs en scène qui a déjà travaillé au théâtre sur l’original shakespearien, et un chef très solide avec qui Warlikowski a déjà fait belle équipe pour Iphigénie en Tauride. Donc a priori rien à redire.
Pour ma part, je remarque qu’on a revu Hamlet cette saison à l’Opéra-comique dans la production de Cyril Teste, qu’on l’avait déjà vue en 2018. On repasse le plat dans une salle de bal plus grande, et dans sa maison d’origine, soit, mais y avait-il urgence à ce qu’en cinq ans à Paris on vît trois fois Hamlet ? N’y avait-il pas plus d’urgence à remettre sur le métier d’autres titres français, comme Don Quichotte de Massenet pas vu depuis 2002 et qui aurait prolongé l’entrée au répertoire cette saison de Cendrillon. Il faudrait aussi songer à un nouveau Pelléas et Mélisande, la production Wilson suant l’épuisement par tous les pores.
Enfin l’Hamlet de Thomas est aussi Shakespearien que le Faust de Gounod n’est Goethéen, à qui la production mythique de Lavelli avait fait un sort. Faisons certes confiance à Warlikowski qui a le talent chevillé au corps pour reshakespeariser une œuvre qui peut-être tient la rampe pour d’autres motifs, mais comme dit l’autre, la route est droite et la pente raide.
Quoi qu’il en soit, et malgré mes doutes, cela reste le projet sans doute le plus intéressant de la saison.

John Adams
Nixon in China

Du 26 mars au 16 avril 2023. (8 repr. dont APJeunes)
Dir : Gustavo Dudamel, MeS : Valentina Carrasco
Avec Thomas Hampson, Renée Fleming, Kathleen Kim etc…
Distribution de stars pour l’entrée au répertoire du premier opéra de John Adams, sous la direction du directeur musical de la maison, chef-star lui aussi. Musicalement, c’est donc une succession de garanties.
Scéniquement, l’Opéra ne reprend pas la mise en scène référentielle de Peter Sellars, et choisit de donner à l’œuvre une autre image scénique (ce qui est une bonne idée) en confiant la production à Valentina Carrasco, venue de la Fura dels Baus. Les travaux récents de la Fura dels Baus ne m’ont pas vraiment convaincu, pas plus de ceux de Valentina Carrasco dont les Vêpres siciliennes à Rome avaient été une déception. J’ai donc mes doutes, d’autant que l’école de la Fura dels Baus souffre de vieillissement et de défaut de renouvellement. Wait and see donc.

Gioachino Rossini
La Scala di Seta
Du 1er au 15 avril 2023 (6 repr.)
Dir : Jean-François Verdier MeS : Pascal Neyron
Avec les artistes en résidence à l’Académie.
Quatrième des nouvelles productions de la saison concentrées sur mars-avril au théâtre de l’Athénée Louis Jouvet .
On pourra discuter à l’infini des productions de studio ou d’académies, celles de la Scala ou de Munich ont lieu dans de vrais théâtres (à la Scala dans la salle du Piermarini, c’est à dire la mythique Scala), et permettent d’affronter les conditions exactes de la représentation. On a vu récemment à Munich une « vraie » production de L’Infedeltà delusa de Haydn au Cuvilliés Theater. Ici, c’est voie moyenne de l’Athénée Louis Jouvet qui a été choisie pour un spectacle “petit format” à la capacité limitée en termes scéniques, mais c’est un vrai théâtre qui depuis des années produit de la bonne musique et donc c’est positif. Pascal Neyron est metteur en scène attaché à l’Académie, c’est donc un spectacle « entre soi » et cette production sonne au total comme a minima ; c’est dommage. On aura quand même plaisir à entendre Jean-François Verdier diriger un orchestre dans lequel il a longtemps officié au poste de clarinette solo.

Avril-Mai
Georg Friedrich Haendel
Ariodante

Du 20 avril au 20 mai 2023 (12 repr. dont APJeunes).
Dir: Harry Bicket, MeS Robert Carsen
Avec Luca Pisaroni, Olga Kutchynska, Emily d’Angelo, Christophe Dumaux , Eric Ferring
Hormis Luca Pisaroni, la distribution est presque entièrement composée de jeunes solistes qui viennent de surgir avec grand succès sur le marché comme Olga Kutchynska et Emily d’Angelo. C’est bien.
C’est Harry Bicket et son orchestre The English Concert qui sont invités dans la fosse, sans doute parce que le saxon Haendel est aussi un peu anglais et qu’on considère qu’une formation britannique sera plus à même de trouver la couleur juste à une œuvre créée en 1735 à Londres. Il reste que la France regorge de formations baroques de qualité et qu’il peut paraître étrange de faire appel à un ensemble étranger (quand on pense aussi aux frais de résidence…). Mais les voix du Seigneur sont impénétrables.
Quant à la mise en scène, elle est confiée à Robert Carsen, dont ce sera la treizième production à l’opéra de Paris. Il signe d’ailleurs trois productions en 2022-2023, et, dans Haendel après son Alcina très aimée à Paris, et reprise cette saison en novembre et décembre derniers, il s’attaque à Ariodante qui date aussi de 1735. Autant dire que l’Opéra de Paris joue sur du velours : Carsen, c’est toujours propre, c’est la « modernité » sans peur, le prêt à porter de la mise en scène (d’où la coproduction avec le MET, expert en la matière), sans exclure quelques réussites. Souhaitons-le pour cette nouvelle production.
 

Juin-juillet

Charles Gounod
Roméo et Juliette

Du 17 juin au 15 juillet 2023 (16 repr.  dont APJeunes)
Dir: Carlo Rizzi, MeS: Thomas Jolly
Avec Elsa Dreisig/Pretty Yende, Benjamin Bernheim/Francesco Demuro, Lea Desandre/Marina Viotti, Huw Montague Rendall/Florian Sempey.
Grosse machine pour ce retour après 37 ans d’absence du second opéra le plus célèbre de Gounod. Avec une distribution A plus française, B plus étrangère mais avec Florian Sempey, Roméo est un rôle idéal pour Benjamin Bernheim, et pour Francesco Demuro s’il ne se met pas comme dans le Duc de Mantoue à Vienne à s’égosiller dans des aigus (mal) tenus inutilement, quant à Juliette, le public choisira entre les deux délicieuses Elsa Dreisig ou Pretty Yende.
La direction musicale est confiée à Carlo Rizzi, chef très solide, pas du « premier cercle » des chefs de référence, mais plutôt dans le top des chefs dits « de répertoire ».
C’est Thomas Jolly le « fin connaisseur de Shakespeare » (sic) qui signe la mise en scène, ce sera du spectacle sans aucun doute, et son nom devrait attirer le public que les 15 représentations prévues prévoient.

Ces nouvelles productions sont dans leur ensemble très bien distribuées. Le choix de certains chefs peut être discuté, mais il y a longtemps qu’à l’Opéra de Paris, -à part le directeur musical, on ne voit plus beaucoup de grands chefs consacrés (Nagano pour A Quiet Place est une exception). On sait aussi qu’à part dans certaines maisons, les chefs consacrés (disons le top ten) ne dirigent plus hors de la fosse dont ils sont titulaires ou dans les festivals. C’est le résultat du marketing du classique qui conduit lentement à la ruine. On rêve quand on pense qu’un Karl Böhm a dirigé à L’Opéra de Paris trois productions Elektra, Zauberflöte et Entführung aus dem Serail, aussi bien qu’Abbado, Boulez, Maazel, Solti, Ozawa, Prêtre, Plasson, von Dohnanyi, Gergiev (peu et mal), Bychkov, Salonen ou d’autres. Un Noseda n’a jamais dirigé à Paris, pas plus qu’un Gatti, ni même Harding (il a failli) et on attendrait avec une certaine impatience actuellement un François-Xavier Roth.
Quant aux mises en scène il y en a pour tous les goûts et bien malin serait celui qui saurait déterminer là une ligne, sinon le parfum d’une certaine timidité… On ne sent pas de stratégie artistique, mais seulement de la tactique de gestion serrée un peu fade. Nous l’avons souligné, les temps sont rudes et il faut sans doute faire des choix drastiques, mais où sont les idées qui compenseraient?

________

Les reprises

La politique en matière de reprises est souvent guidée par la nécessité économique : il faut remplir la salle, et séduire un public souvent habituellement plus attiré par la nouveauté.
Comme le MET ou Covent Garden, l’Opéra de Paris qui produit en temps ordinaires une vingtaine de spectacles à l’année doit afficher grosso modo un tiers de nouvelles productions et deux tiers de reprises, d’où la nécessité d’un répertoire large et de nombreuses productions entreposées dans les magasins et en état d’être remontées.
En Italie, le nombre de productions annuelles des saisons des grands théâtres excède peu la dizaine, et donc la majorité sont des nouvelles productions et les reprises sont en rapport minoritaire.

Or les nouveautés attirent, et pour que les reprises attirent, il faut un vrai motif, un très bon chef, ou Netrebko (enfin, pas trop en ce moment), Kaufmann, c’est à dire des grands noms. Quand dans les reprises il n’y ni chefs ni noms, c’est un peu difficile de remplir (n’oublions pas les 4700 spectateurs nécessaires au quotidien à Paris…).

Les grands standards, Carmen, Tosca, Bohème, Pagliacci, Don Giovanni et quelques autres ne peuvent remplir une programmation, il faut alterner des titres où le chœur et occupé et d’autres non, des titres plus rares et des standards, tenir compte des distributions pour attirer le chaland. En bref, les contraintes sont nombreuses, encore plus dans les temps difficiles. Et l’Opéra en traverse actuellement.

Septembre, octobre, novembre 2022
Giacomo Puccini, Tosca
Du 3 sept. au 26 nov. (17 repr.) Dir : Gustavo Dudamel-Paolo Bortolameolli/MeS : Pierre Audi
Avec Saioa Hernandez/Elena Stikhina, Joseph Calleja/Brian Jagde, Bryn Terfel/Gerald Finley/Roman Burdenko etc…
Voilà l’exemple typique de la reprise tiroir-caisse, lancée par le directeur musical de la maison Gustavo Dudamel pour six représentations en septembre (soit un petit tiers), et reprise ensuite par un des espoirs de la direction d’opéra en Italie Paolo Bortolameolli.
Laissez-vous guider par les Scarpia : entre Bryn Terfel et Gerald Finley vous avez le choix de l’excellence dans deux styles de personnages très différents le salaud brutal et le salaud persiflant. Du côté des sopranos, Saioa Hernandez est une belle Tosca, et Stikhina a de la personnalité, mais ni l’une ni l’autre ne sont des Tosca de légende. Peu importe les ténors… De la grande série. Si vous avez envie d’une Tosca un soir d’ennui, pourquoi pas mais surtout pas pour la mise en scène de Pierre Audi, tranquillement sans intérêt et donc faite pour durer.

Gioachino Rossini
La Cenerentola
Du 10 sept au 9 oct (10 repr.), Dir : Diego Matheuz/MeS : Guillaume Gallienne
Avec Dmitry Korchak, Carlo Lepore, Vito Priante, Luca Pisaroni, Gaelle Arquez
Pourquoi le titre La Cenerentola n’est-il pas traduit en « Cendrillon » ? mystère de l’édition. Pourquoi La Cenerentola à l’opéra de Paris n’a jamais trouvé une production maison qui soit satisfaisante. Les deux meilleures furent Ponnelle (importée par Nicolas Joel, une de ses bonnes idées) et Savary (importée de Genève par Hugues Gall), Jacques Rosner dans les années Leibermann valait par la distribution étincelante et l’actuelle de Guillaume Gallienne est une erreur de focale.
Le chef Diego Matheuz, un ancien du sistema vénézuelien fut assistant d’Abbado, directeur musical de La Fenice de Venise, mais n’est pas une forte personnalité de la direction musicale, surtout dans ce répertoire où dans les chefs italiens de la génération actuelle il y au moins cinq noms qui réussiraient mieux.
Une distribution de bon aloi, avec de bons chanteurs, Lepore, Kortchak, Pisaroni, Priante. Mais la production met en valeur Gaelle Arquez, dans un répertoire qui est loin d’être facile (Crebassa y arrive sans tout à fait convaincre). Le problème avec Rossini, c’est le même qu’avec Feydeau : cela ne supporte à aucun niveau la médiocrité.
Allez-y si vraiment un soir vous êtes en manque….


W.A. Mozart
Die Zauberflöte

(Du 17 sept. au 19 nov.)(15 repr.)(Dir : Antonello Manacorda-Simone de Felice / MeS : Robert Carsen)
Avec :
-Distr.A : René Pape, Martin Gantner, Mauro Peter, Pretty Yende, Caroline Wettergreen
-Distr.B : Brindley Sherratt, Michael Kraus, Pavel Petrov, Christiane Karg, NN

Là encore on sent la production tiroir-caisse, qui deviendra un inusable, une production Carsen (pas mauvaise d’ailleurs) qui fait les beaux jours de l’Opéra de Paris depuis sa venue en direct de Baden-Baden en 2014 et dont c’est la sixième reprise (à peu près une fois par an…).Deux distributions la plus intéressante est la A avec trois voix masculines vraiment bonnes dont Pape, mythique dans ce rôle et Pretty Yende très aimée à Paris, mais la B affiche la Pamina céleste de Christiane Karg…
Dans la fosse, Antonello Manacorda en alternance pour 3 représentations avec Simone De Felice. Soit, ni l’un ni l’autre n’appartiennent à mon paysage.

 

Vincenzo Bellini
I Capuleti e I Montecchi
Du 21 sept. au 14 oct (9 repr.) (Dir : Speranza Scappucci/MeS : Robert Carsen)
Avec Julie Fuchs, Marianne Crebassa, Jean Teitgen, Francesco Demuro, Krzysztof Bączyk
Voilà encore une production Carsen qui remonte à 1995 et que même Mortier a reprise en 2008 (avec Netrebko/Ciofi et Di Donato…).
Français sur scène et femme en fosse, c’est un cast « bien sous tous rapports ». Speranza Scappucci qui dirige beaucoup désormais arrive à Paris et c’est heureux. Et Julie Fuchs et Marianne Crebassa font partie des voix qui comptent en France aujourd’hui. Si Demuro sait être sage, ce peut être intéressant aussi, c’est l’italien de l’étape.
L’œuvre est magnifique, et elle exige la perfection à tous niveaux… Wait and see.

Novembre-décembre 2022, janvier-février 2023
Georges Bizet, Carmen
Du 15 nov. Au 25 fév. 2022 (15 repr.) (Dir : Fabien Gabel/MeS: Calixto Bieito)
Avec Michael Spyres/Joseph Calleja, Lucas Meachem/Etienne Dupuis, Gaelle Arquez/Clémentine Margaine, Golda Schultz/Adriana Gonzales/Nicole Car

Quand on veut faire un peu de sous, il y a toujours une Carmen au fond du placard. Hugues Gall avait trouvé Alfredo Arias, qui a fait son temps mais qui aurait pu continuer. Joel avait trouvé Yves Beaunesne, médiocrissime, et Lissner pas fou avait été cherché la production Bieito, qui avait en 2017 près de vingt ans, qui avait le tour de l’Europe en associant un nom sulfureux (Bieito), et une production intelligente et plutôt sage, l’alchimie parfaite pour trouver la pierre philosophale.

Alors elle reste au répertoire : on ne change pas une équipe gagnante, et même pour 15 représentations. Cette saison en effet, il y avait de la place pour une vieille Carmen, mais pas pour un Faust encore jeune (j’y reviens, je ne digère pas !). Méthode habituelle, des noms aux premières représentations (A) qui vont attirer, comme Michael Spyres et Gaelle Arquez, qu’on ne va pas manquer de valoriser, en espérant que ceux qui voudront les entendre quand il sera trop tard se rabattront sur une distribution B où dominera l’excellente Clémentine Margaine, chanteuse française moins médiatisée (hélas) que Gaelle Arquez.
On notera l’arrivée dans la fosse de Fabien Gabel, pour la première fois à l’Opéra, et c’est une bonne nouvelle. Pour le reste, à votre bon cœur.

 

Novembre-Décembre
W.A. Mozart
Le nozze di Figaro

(du 23 nov. Au 28 dec. ) (12 repr.) (Dir : Louis Langrée/MeS : Netia Jones)

Avec Gerald Finley, Miah Persson, Luca Pisaroni, Rachel Fenkel, Jeanine de Bique etc…
Excellente distribution dominée par Finley, conte extraordinaire, et Pisaroni, Figaro inusable, toujours intelligent, notons la Susanna de Jeanine de Bique, qui devrait être émoustillante et juste à souhait.

Direction de Louis Langrée, qui fait le voyage de la rue Favart au tout proche Palais Garnier et mise en scène encore neuve de Netia Jones, qui a partagé entre faveur et agacement dans son utilisation des questions sociales de l’époque (la condition des femmes) et des modes théâtrales plus poussiéreuses (le théâtre dans le théâtre) en sauce moderne.

Les nouvelles productions des grands Mozart actuelles ou qui s’annoncent (Vienne, Berlin, Munich) nous diront s’il y a mieux ailleurs…

Décembre 2022
Giuseppe Verdi
La forza del destino
(Du 12 au 30 déc.)(7 repr.) Dir : Jader Bignamini/MeS : Jean-Claude Auvray
Avec Anna Netrebko/Anna Pirozzi, Ludovic Tézier, Russell Thomas.

Avec le retour apparemment prévu (pour quatre représentations) d’Anna Netrebko, on doit s’attendre sur les réseaux sociaux à des polémiques des héros en chambre pro/contre l’invitation d’artistes russes de renom. Mais comme on le sait Netrebko est aussi autrichienne… Au moins elle chantera Pace Pace avec des accents vécus et vibrants. Pirozzi est la plus grande voix italienne du moment, Tézier est Tézier, c’est à dire ce qu’il y a de mieux et Russell Thomas un excellent ténor sans compter le grand Nicola Alaimo en Melitone. La mise en scène d’Auvray est à oublier, mais quelle mise en scène de La Forza del Destino ne l’est-elle pas (sauf Castorf à Berlin, au moins différente) ?
Quant à Jader Bignamini, c’est le chef bien aimé de Netrebko, alors ce que femme veut, Neef le veut.

Janvier-Février 2023
Richard Wagner
Tristan und Isolde (7 repr.)
(Du 17 janv. au 4 fév. 2023) (Dir : Gustavo Dudamel/ MeS : Peter Sellars/Bill Viola)
Avec Mary Elisabeth Williams, Bryn Hughes Jones, Eric Owens, Okka von der Damerau, Ryan Speedo Green etc…

Depuis la géniale idée de Gérard Mortier, les directeurs de l’Opéra sont tranquilles pour un temps assez long à Paris avec cette production-performance qui est référence théâtrale et plastique qu’on vient voir comme une grande œuvre muséale.
Intérêt de cette reprise, tous des petits nouveaux ou presque, presque tous les chanteurs venus de l’espace anglo-saxon (qui semble une tendance marquée de la nouvelle direction, chacun a ses tics).
Une nouvelle Isolde, Mary Elisabeth Williams, chanteuse américaine qu’on a entendue dans Abigaille (Lille, Dijon) où elle a triomphé. C’est toujours intéressant (et riche d’avenir) d’entendre une nouvelle Isolde.
Un nouveau Tristan, le britannique Gwyn Hughes Jones, qui fut Walther avec succès à Covent Garden en 2017, qui doit être son premier Tristan. Son répertoire affiche des rôles plus lyriques que Tristan mais wait and see.
On est heureux d’entendre Eric Owens en Roi Marke, lui qui fut un inoubliable Alberich du Ring de Lesage au MET et de réentendre la superbe Brangäne de Okka von der Damerau, seule chanteuse idiomatique de la distribution.

On ne rate pas un Tristan bien sûr, d’autant que celui-ci sera le premier Wagner de Gustavo Dudamel et ce sera donc en fosse aussi un moment intéressant
Donc à ne pas manquer, d’autant que c’est le seul Wagner de la saison.


Giuseppe Verdi
Il Trovatore

(du 21 janv. au 7 fév.) (9 repr.) Dir : Carlo Rizzi/MeS : Alex Ollé/Valentina Carrasco
Avec Anna Pirozzi, Judit Kutasi, Yusif Eyvazov, Quinn Kelsey, Roberto Tagliavini
Bon d’emblée on sait que ce ne sera pas Il trovatore del secolo, ni même celui de l’année, de bons chanteurs sans être toujours les mieux choisis. Pourquoi aller chercher Kelsey qui est une fausse référence et que j’ai entendu à Zurich dans le pire Conte di Luna de ma longue carrière de spectateur ? Eyvasov a plus de qualités, mais est-ce un Manrico solaire comme on le souhaite ? Kutasi est une bonne mezzo, mais on en a une formidable, l’une des meilleures actuellement, française qui plus est, qui est Clementine Margaine. Et Pirozzi peut être sans doute une bonne Leonora.

Carlo Rizzi est comme on l’a dit plus haut, un bon professionnel.
Si vous avez une envie subite de Verdi, peut-être. Mais sans grand enthousiasme.

Février-Mars
Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor

(Du 18 fév. au 10 mars) (8 repr.) (Dir : Aziz Shokhakimov/Mes: Andrei Serban)
Avec Brenda Rae, Quinn Kelsey, Javier Camarena, Adam Palka etc…

Qui aurait cru, aux sifflets reçus à la première, en 1995 (June Anderson, Roberto Alagna) que cette production d’Andrei Serban durerait presque trente ans…28 ans exactement ?
C’est pourtant le cas, parce qu’elle posait déjà la question de la jeune fille perdue dans un monde d’hommes. Cette reprise vaut par l’arrivée d’un jeune chef à la réputation plutôt positive, Aziz Shokhakimov. Distribution plutôt classique avec le remarquable Javier Camarena, authentique styliste, et Brenda Rae, un des grands sopranos colorature du moment. On remarque l’excellent Adam Palka dans Bidebent et Quinn Kelsey, à oublier.
Si vous n’avez pas encore vu la production, il faut y aller.

Mai-juin 2023
Giacomo Puccini
La Bohème
(Du 2 mai au 4 juin)(12 repr.)(Dir : Michele Mariotti ; MeS : Claus Guth)
Avec Ailyn Pérez, Joshua Guerrero, Slávka Zámečníková, Gianluca Buratto, Andrzej Filónczyk.

Et si vous n’en avez pas assez de douze représentations, le TCE présente en juin une Bohème, dans une de ces aberrations de programmation…
Celle de l’Opéra de Paris est connue pour son côté cosmonaute et fait encore frémir certains qui iront reposer leur cœur au TCE comme on va au sanatorium. Pourtant, elle a des atouts : si Ailyn Pérez est bien connue (jolie voix, mais pas plus pour moi) le jeune ténor venu d’outre atlantique Joshua Guerrero par exemple devrait être écouté avec attention. Mais c’est dans les autres que sont peut-être les plus intéressants, le Colline de Gianluca Buratto, la Musetta de Slávka Zámečníková qui vient de chanter une incroyable Donna Anna à Berlin ou le Marcello d’Andrzej Filónczyk, un jeune baryton polonais qui casse la baraque partout où il chante.
Enfin un vrai grand chef en fosse, Michele Mariotti, ce qui devrait rendre cette reprise éminemment stimulante. En route pour les étoiles…


Eléments de conclusion :

Faisons d’abord quelques statistiques:
Opéra français : 3
Thomas : 1, Gounod : 1, Bizet : 1

Opéra aire germanique : 4
R.Strauss : 1, Wagner : 1, Mozart : 2

Opéra italien : 8
Bellini, 1 : Donizetti : 2, Verdi : 2, Rossini : 1, Puccini : 2

Opéra aire anglo-saxonne : 2
Britten : 1, Adams : 1

C’est le répertoire italien qui comme d’habitude se taille la part du lion, avec quasiment la moitié des productions, l’opéra français en occupe 3 sur 17, pas de quoi se glorifier.
La distribution nouvelles productions/reprises est assez conforme aux exigences de l’année budgétaire, beaucoup de reprises (7) en fin d’année 2022 et une seule nouvelle production (Salomé) quand les trésoreries s’épuisent, les autres nouvelles productions (6) se concentrant au printemps, dès le mois de mars quand les trésoreries sont au plus haut.

Pour les mises en scène des nouvelles productions, on note Lydia Steier et Krzysztof Warlikowski qui sont les plus digne d’intérêt, ni Warner ni Carsen, ni Carrasco, ni Jolly, ni Neyron ne révolutionneront la scène, même si certains peuvent sans doute faire du bon travail.

De même du côté des chefs, à côté de Gustavo Dudamel, seul Michele Mariotti est un chef vraiment très intéressant en fosse, et Aziz Stokhamirov un possible espoir de la baguette. Sinon, ce sont des artistes solides, mais pas forcément inventifs.
Les distributions sont quelquefois excellentes, la plupart de temps très solides sinon stimulantes, mais elles ne font pas vraiment rêver.

Il est vrai que l’Opéra traverse une période difficile et cherche d’abord à assurer prudemment les arrières, on le pressentait et c’est confirmé. Mais on aimerait qu’en absence de pétrole il y ait peut-être un peu plus d’idées originales qu’un tableau statistique fait de croix à remplir et que le ballet danse un peu plus, c’est lui qui au total coûte le moins cher et pourrait faire rentrer plus de recettes…

SUR L’AFFAIRE GERGIEV À LA SCALA DE MILAN

 

Valery Gergiev à la Scala le 23 février dernier

Mardi 1er mars 22h00

Le conflit en Ukraine évolue parallèlement aux sanctions et aux réactions contre cette décision de Vladimir Poutine d’attaquer un état souverain et tout va très vite, et désormais les institutions culturelles réagissent.
Durant les premières heures de la guerre, les sanctions contre la Russie de la part des occidentaux et de l’Union Européenne en particulier apparaissaient timides par rapport à la gravité de la situation. Depuis, l’ampleur des mesures de rétorsions – et surtout l’unité dont les nations opposées à Poutine font preuve – me conduisent à publier ce nouveau “chapeau” afin de contextualiser des propos initiaux que, sur le fond, je continue de pleinement assumer.

Nous apprenons aujourd’hui que Valery Gergiev a été démis de ses fonctions de directeur musical des Münchner Philharmoniker. Cette information fait suite aux récentes décisions de la Philharmonie de Paris, Carnegie Hall et la Staatsoper de Munich d’annuler les contrats le concernant. Je continue de penser qu’on ne peut pas mettre sur un même plan des mesures de rétorsions diplomatiques, économiques et miliaires, avec des décisions concernant des artistes comme Gergiev, voire Netrebko (qui au moins a laissé une déclaration, même maladroite). De plus, cette attitude ne doit pas retomber sur tous les artistes russes présents actuellement dans les théâtres en Europe occidentale en exigeant d’eux de fournir un certificat de bonne conduite anti-Poutine. Gergiev a une notoriété et une surface médiatique qui aurait dû le pousser à se positionner (d’une manière ou l’autre) sans même attendre qu’on ne le lui demande. Kirill Petrenko et Vladimir Jurowski (dont les familles ont choisi l’exil) se sont exprimés en tant que russes et en tant qu’artistes, avec une netteté de conviction et d’humanité qui leur font aujourd’hui honneur.

________________________________________

Par un de ces hasards « malheureux », je me suis trouvé à la Première de « La Dame de Pique » qui était dirigée par un Valery Gergiev inspiré à la Scala le 23 février au soir, et dans la nuit du 23 au 24 février, Vladimir Poutine a lancé l’invasion de l’Ukraine.
Or tous ceux qui suivent la musique classique savent que Valery Gergiev compte parmi les amis de l’autocrate russe, et qu’il a plusieurs fois exprimé publiquement son soutien à sa politique, notamment quand il a annexé la Crimée, où il est venu diriger des concerts. Tout cela est connu, documenté, et l’intéressé ne s’en est jamais caché.  Quelques huées ont d’ailleurs été entendues lorsque le chef est monté au pupitre pour saluer le public au début de la représentation scaligère, mais plus rien à la fin de la représentation.
Or dans la matinée du 24 février, le maire de Milan, Giuseppe (dit Beppe) Sala intime à Valery Gergiev un ultimatum : ou bien il dénonce publiquement l’agression russe contre l’Ukraine et affirme son opposition à l’initiative de Poutine, ou bien il ne dirigera pas les quatre autres représentations prévues. Le maire de Milan étant le président du Conseil d’administration de la Scala, il est en droit de le faire, c’est lui le vrai patron. Suivant l’exemple milanais, à leur tour les managers du Münchner Philharmoniker se sont affirmés prêts à dénoncer le contrat de Gergiev leur directeur musical (les mauvaises langues affirment qu’ils n’attendent que ça), et Carnegie Hall qui devait accueillir le chef russe avec les Wiener Philharmoniker en tournée garde l’orchestre dirigé par un autre chef et interdit Gergiev, dont il annule aussi la venue avec le Mariinsky. Ah, mais !
Bien entendu, toutes ces dignes institutions n’avaient jusque-là aucun scrupule à inviter l’ami d’un autocrate qui avait déjà fait la guerre en 2008 à la Georgie et déjà annexé la Crimée et soutenu les séparatistes du Donbass en 2014. Et à Paris, tout le monde ignorait également sans doute  les liens de Gergiev avec Poutine puisque celui-ci avait triomphé à la Philharmonie de Paris avec un Ring et un Parsifal de Wagner, puis l’an dernier un cycle Stravinsky, et que Gergiev y a jusqu’à la fin de la saison sept dates avec des orchestres différents.
Mais visiblement puisqu’on ne peut tenir Poutine, on tient Gergiev, son hologramme en quelque sorte.
Même si évidemment, la situation d’aujourd’hui change forcément la donne de manière sensible pour les théâtres et institutions culturelles de tous ordres, tirer sur le pianiste au nom de ses amitiés ou de ses opinions se justifie-t-il quand pendant des années on a fermé pudiquement ou hypocritement les yeux sur des relations qu’aujourd’hui au nom de l’invasion de l’Ukraine on voue aux gémonies?

En Italie, l’attitude du maire de Milan a provoqué la polémique entre ceux qui pensent qu’il faut séparer l’homme et l’œuvre ou l’art de la politique (il y a toujours eu des artistes officiels des pouvoirs ou amis des pouvoirs, légitimes ou non autocratiques ou non, depuis la Renaissance et d’ailleurs, bien des artistes n’auraient pu survivre sans ces liens), et d’autres qui pensent qu’il est immoral que Gergiev, soutien officiel et affirmé d’un Poutine qui s’attaque sauvagement à un État souverain, se fasse applaudir çà et là pendant qu’en Ukraine des femmes et des hommes meurent sous les balles. En cette affaire, personne ne soutient ni Gergiev, ni Poutine, mais il est clair qu’un problème qui dépasse les individus et qui concerne plus généralement nos sociétés se trouve posé.
Aussi voudrais-je publier ci-dessous in extenso un « post » Facebook de mon ami Alberto Mattioli, l’un des critiques et musicologues de référence en Italie, auquel je souscris mot pour mot (avec une réserve cependant sur Furtwängler).

« Dernières considérations sur le cas Gergiev, aussi parce que la discussion est devenue, comme d’habitude, une série de cris d’opposition d’où la réflexion est bannie, donc sans intérêt.
Le cas de Furtwängler, qui ne s’est jamais dissocié du régime, est évoqué (sa position était bien plus complexe, mais simplifions et passons). Je pense que l’on pourrait et devrait demander à Furtwängler de justifier sa position. Mais à une condition : que ce soit fait par ceux qui ont réellement combattu le nazisme. Nous sommes en train de chasser un musicien de la Scala pour montrer que nous sommes (à juste titre, bien sûr) contre Poutine. Mais nous ne combattons pas du tout Poutine. Pas militairement, et ce serait peut-être trop demander. Mais pas même avec de vraies sanctions. En fait, l’Italie a été très claire dès le début en excluant le gaz. Et Biden, l’autre jour, a fait de même sur swift, dont je ne sais pas vraiment ce que c’est mais qui, dit-il, paralyserait l’économie russe. En d’autres termes : contre Poutine, nous sommes tout au plus capables de descendre dans la rue avec une lampe pour nous sentir tous comme des héros, mais nous ne sommes pas prêts à baisser le chauffage. Des héros, mais bien au chaud.
Le problème n’est pas Gergiev. Le problème, c’est nous, notre lâcheté, notre leadership craintif et lâche parce que c’est ce que nous sommes. Comme l’a dit Churchill après Munich : “Ils avaient le choix entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre” (et en fait, Dieu interdit que la prochaine étape du despote de Moscou soit de s’en prendre à un allié de l’OTAN, par exemple les pays baltes. Je peux déjà imaginer la réaction sévère de Sala & co : le 7 décembre, pas de Boris !).
Ce sont des gestes symboliques, rétorquent-ils. Mais dans le dictionnaire, le terme “symbole” est défini comme un “signe correspondant à un contenu”. Ici, il y a un symbole, mais pas de contenu. Il n’y a donc même pas de symbole, il n’y a que de la rhétorique. C’est comme si les États-Unis avaient fait la leçon à Furtwängler mais pas combattu Hitler. Les Ukrainiens, qui sont frappés à la tête par des bombes payées avec l’argent de notre gaz, seront certainement heureux d’apprendre que Gergiev ne dirige pas à la Scala ou que le Palazzo Marino (NdR : La Mairie de Milan) est peint aux couleurs de leur drapeau. Quel soulagement.

Comme je n’aime pas les moralisateurs, j’évite d’en devenir un. Je n’y mêle donc pas l’éthique. L’esthétique suffit. Ne serait-il pas plus élégant, plus civilisé, finalement plus digne, de s’abstenir de cette rhétorique de bas étage, de cette déconnexion totale entre la parole et l’acte, de cette apparence qui masque l’impuissance ? Nous avons déjà abandonné les Ukrainiens à leur sort. Évitons au moins de nous moquer d’eux. »

Sur la question, je pense d’Alberto Mattioli a reflété exactement ma pensée, je n’y reviens pas. On relira pour mémoire dans l’Éducation Sentimentale de Flaubert l’épisode de la « prise des Tuileries », qui dit de la relation des quarante-huitards à la révolution ce qu’est aujourd’hui notre relation à la guerre.
Et à ce propos je voudrais aborder une question plus large posée par nos attitudes, notre impuissance face à la situation. Cet épisode tragique de l’histoire en train de se faire oppose deux conceptions du pouvoir dont l’une met en question fortement le système démocratique. Et le soutien affiché de certains partis en France à la politique de Poutine (ils font un peu profil bas depuis deux jours d’ailleurs) en dit tout aussi long sur leur conception de la démocratie.
À travers les réactions à l’épisode Gergiev et notre apparente impuissance plus générale à répondre vraiment à l’invasion de l’Ukraine, il faut voir à notre avis deux éléments :

  • L’un que l’absence de guerre en Europe Occidentale (je ne parle pas des Balkans) a fini par faire penser que la guerre était dépassée comme forme de relation entre les États, voire qu’il n’y aurait plus de guerres. Une guerre de conquête au sein de l’Europe paraissait (et paraît) insensée. Mais la guerre est une forme habituelle, quotidienne même pas si loin de nous, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, en Arabie. Et la mort au quotidien n’a pas le même poids en France ou en Europe qu’en Syrie ou en Afrique.
    Si toute mort est déplorable, nous comptons nos morts militaires à l’unité, ailleurs elles se comptent par centaines ou par milliers. Toute mort d’un militaire est inacceptable, et c’est tout à fait légitime de le penser, mais nous sacralisons chacune de ces morts parce que nous en avons perdu l’habitude. Les millions de morts des deux guerres mondiales appartiennent en effet à l’histoire, puisqu’aucun des chefs politiques au pouvoir aujourd’hui (à l’exception d’Élisabeth II) ne les a connus mais il faut avoir en tête que c’est sur (et par le sacrifice de) ce tapis de morts que nous vivons ou nous survivons aujourd’hui.
  • Ayant vécu en paix parce qu’il y a eu derrière nous ces millions de morts, nous avons construit l’Union Européenne, toute brinquebalante qu’elle soit pour éviter que cela ne recommence, et nous avons donc les réactions de gens en paix, au chaud, tranquilles et, il faut le dire, comme des enfants bien gâtés par le destin. Si gâtés que la plupart des démocraties, et en Europe notamment, oublieuses des guerres ont négligé le militaire et oublié le fameux si vis pacem, para bellum que nous payons aujourd’hui face à un Poutine ou que nous paierons plus tard face à d’autres si nous n’y prenons garde. Préparer la guerre sans la faire coûte, mais puisque personne ne veut payer trop cher son gaz ou son blé à cause de cette guerre, et encore moins mourir pour Kiev, que quelques-uns, les infâmes, ont déjà peur de l’arrivée de nouveaux réfugiés, nous risquons un jour de payer un prix bien plus terrible. Mais dans un monde où le dire ouvertement ne se fait pas, nous prenons des positions radicales contre les Gergiev, voire les Netrebko. C’est piteux et moins cher.
    Est-ce à dire que les démocraties sont piteuses ? Nous savons ce que Churchill, toujours lui en disait, « La démocratie est le pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ». Elles sont piteuses et lâches, les démocraties, méprisées par les Poutine et les autres chantres de pouvoirs forts qui finissent toujours en tragédie, mais elles permettent aux gens de vivre tant bien que mal dans une médiocrité peu romantique, peu épique ni héroïque, mais d’aller au terme naturel sans les chaos de l’histoire et donc quelque part, ces démocraties sont heureuses. Nous avons les chefs que nous méritons, à notre image, et ne leur demandons surtout pas d’être des héros ni des romantiques que nous savons n’être pas, mais simplement des comptables précautionneux de notre futur. Car s’il y a héroïsme, il y a forcément tragédie. Nous n’aimons la tragédie que dans les livres, ou sur scène, ou à l’opéra, pas au seuil de notre porte. Et ce n’est pas si mal d’aimer le relatif. Il suffit d’en être conscient et de ne pas faire comme si.

IN MEMORIAM HANS NEUENFELS (1941-2022)

Hans Neuenfels signifie beaucoup pour mon parcours théâtral et lyrique, même si j’ai vu de ses spectacles sans avoir assidûment tout suivi de sa carrière.
Pour le lecteur qui ne suit pas la scène lyrique allemande, ce nom ne dira rien. Si je dis qu’il a été sans doute l’un des fondateurs du Regietheater, le lecteur comprendra… Considéré comme l’un des plus provocateurs dès les années 1979 ou 1980, notamment avec son Aïda, qui abordait toutes les problématiques dont on parle aujourd’hui, tellement en avance sur toutes les productions « modernes » du chef d’œuvre de Verdi, à commencer par la production de Lotte de Beer à l’Opéra-Bastille.
Dans ma tête de jeune mélomane fou de lyrique et dingue de mise en scène, tout baigné du Ring de Chéreau que je ne cessais de voir et revoir à Bayreuth, Neuenfels a été le premier connu de moi parmi les noms des ogres de la mise en scène qui étaient la terreur des traditionnalistes, à l’instar d’une Ruth Berghaus, l’autre nom repoussoir que les revues d’opéra toujours en avance sur leur temps (comme aujourd’hui…) citaient en maniant l’ail qu’on agite devant les vampires.
À une époque où le nom de Frank Castorf était encore inconnu du grand public, un parmi d’autres dans la riche école théâtrale de l’Allemagne de l’Est, Hans Neuenfels était déjà un brûlot qui créait les incendies dans les théâtres, car il s’attaquait effrontément au grand répertoire traditionnel. On n’y peut rien, il adorait Verdi. Il resta pendant la décennie 1980 très attaché à l’Opéra de Francfort, où régnait comme intendant le chef d’orchestre Michael Gielen à qui l’on doit l’une des plus riches périodes de l’histoire de ce théâtre: la plupart des nouvelles productions de cette époque faisaient ardemment discuter, et rendaient l’opéra vivant et essentiel.

À la différence d’autres représentants du Regietheater, Hans Neuenfels ne venait pas de l’Est, mais d’Allemagne de l’Ouest, bien à l’ouest d’ailleurs puisqu’il est né à Krefeld, quelque part entre Düsseldorf et la frontière néerlandaise. Il a été assistant de Max Ernst et a vécu auprès de lui pendant un an à Paris, et commence à travailler à la mise en scène au milieu des années soixante. Sa lecture des œuvres marquée par la psychanalyse et la politique déclenchera des scandales mémorables auprès d’un public qui ne désirait (désire ?) pas trop être dérangé dans sa volonté de divertissement et ses certitudes. Cela commence par Aida, évoquée ci-dessus, et cela se termine dans les années 2000 par deux productions qui firent du bruit, Die Fledermaus (La Chauve-souris) au Festival de Salzbourg que Gerard Mortier lui demanda pour un adieu au Festival en forme de pied de nez dans un pays où Johann Strauss est intouchable. En stigmatisant dans sa production la société viennoise  comme un terreau du nazisme, il protestait contre la présence de l’extrême droite de Jörg Haider en Autriche : on peut imaginer comment fut accueillie la production. L’autre scandale énorme fut la production d’Idomeneo en 2003 à la Deutsche Oper de Berlin qui fut carrément retirée de la scène, présentant en son final Poséidon, Jésus, Mahomet et Bouddha décapités et provoquant les plus vives des protestations au début d’un millénaire où les religions recommencent à empoisonner la vie des sociétés. Enfin sa personnalité, son rapport à l’alcool et au tabac en faisait un véritable exemple de mal-pensance dont le nom faisait frémir à l’avance.

Hans Neuenfels bien évidemment est quasiment inconnu en France où la mise en scène théâtrale est dans un état qu’on s’abstiendra de commenter, et où il n’a jamais été invité à ma connaissance, ce qui est étonnant pour l’une des deux ou trois figures majeures de la scène allemande des cinquante dernières années.
Les mélomanes ou les wagnériens connaissent son Lohengrin de Bayreuth (2010) le fameux Lohengrin « des rats » qui reste l’une des mises en scènes les plus fortes et les plus réussies de l’œuvre. Et il faut saluer Katharina Wagner d’avoir imposé à Bayreuth ces immenses figures du théâtre allemand, que sont Neuenfels et Castorf, qui n’y avaient pas encore eu accès au seuil du XXIe siècle, alors que leur carrière était très avancée et qu’ils constituaient des références incontestables du monde du théâtre.
Neuenfels a peu abordé Wagner (Meistersinger von Nürnberg et Lohengrin) et Mozart, sinon Idomeneo dont nous avons parlé, et Entführung aus dem Serail qu’on vient de revoir à l’Opéra de Vienne, parmi les nouvelles mises en scènes importées pour rafraîchir le répertoire par Bogdan Roščić qui a pris ses fonctions de directeur en 2020, reprise d’une production créée à Wiesbaden et qui a parcouru bien des opéras en Allemagne.  « Mise en scène d’une originalité intemporelle » comme l’a titré la presse autrichienne en octobre 2020 lors de la présentation viennoise. Entre les deux il fit Cosi fan tutte à Salzbourg, qui devait être dirigé par Claudio Abbado en 2000, mais les débats du chef avec les Wiener Philharmoniker firent qu’il y renonça (mais sa maladie l’en aurait empêché de toute manière). Une mise en scène vue comme une expérimentation entomologiste (l’intrigue se déroulait sur une boite translucide où deux abeilles énormes étaient prisonnières au cœur d’un décor de fleurs et plantes géantes) menée par un Don Alfonso savant fou. Alain Perroux, actuel directeur de l’Opéra du Rhin écrivait oh combien justement à son propos : « expérience à cœur ouvert, véritable dissection de l’âme humaine qui place quatre êtres dans un espace défini et attend de voir ce qui se passe ».

Neuenfels aimait les métaphores animalières : on se souvient aussi des abeilles (encore) de son Nabucco berlinois (2000) sur la Shoah repris en 2008.
Les dernières années il semblait s’être un peu assagi, sa Dame de Pique salzbourgeoise n’avait pas vraiment convaincu. Il reste cependant une figure essentielle de la scène lyrique, qui a fait évoluer définitivement la mise en scène d’opéra, à l’instar des Patrice Chéreau, des Ruth Berghaus, des Götz Friedrich, des Harry Kupfer.

Les spectateurs d’aujourd’hui pourront encore voir pour quelque temps ses productions, à Vienne (Entführung), Munich (La Favorite), Berlin (Ariadne auf Naxos) ou ailleurs, je ne saurais trop conseiller d’avoir cette curiosité. Pour ma part, j’eus l’incroyable chance de voir son Aida en 1980 à Francfort au moment où je découvrais comment la mise en scène pouvait approfondir une œuvre et changer mon regard, son Cosi fan tutte, sa Fledermaus et sa Dame de Pique à Salzbourg, son Entführung aus dem Serail à Stuttgart, sa Traviata à la Komische Oper de Berlin, son Lohengrin à Bayreuth. Son intelligence incisive contraignait le spectateur à la réflexion sur les œuvres, et imposait l’idée que l’opéra ne saurait être seulement divertissement.
Voilà encore un artiste qui a contribué à construire mon histoire, me faire voir les œuvres « derrière les yeux » . Voir disparaître l’un de ceux qui ont fondé mon éducation au théâtre et affiné mon regard de spectateur est éminemment douloureux.  Ma maison théâtrale se remplit de fantômes à foison, mais les artistes vivants qui la font vibrer encore sont hélas moins nombreux.

 

IN MEMORIAM BERNARD HAITINK (1929-2021)

 

Le dernier concert au Lucerne Festival © Lucerne Festival /Peter Fischli

Il y a des signes qui ne trompent pas, les médias « mainstream » audiovisuels français n’ont pas évoqué la disparition de Bernard Haitink, pourtant l’un des plus grands chefs d’orchestre de la planète classique. Haitink n’a jamais été médiatisé, n’a jamais passé le cercle des mélomanes, jamais invité à diriger le Concert du Nouvel An viennois – le précieux sésame qui fait passer un chef de l’anonymat médiatique à la « considération » grand-public. Il s’était retiré après un dernier concert le 6 septembre 2019 à Lucerne, à l’âge de 90 ans, un concert dont  Wanderer a rendu compte et où nous écrivions : Comme c’était aussi attendu, le maestro n’a pas voulu de manifestation particulière de reconnaissance et le concert s’est déroulé comme m’importe quel autre, sauf que chacun pensait à cette extraordinaire carrière faite de dignité, de modestie et de discrétion et à ce profil impassible et droit au geste mesuré qu’on ne reverrait plus. Et au programme, Beethoven, concerto pour piano no 4 avec Emanuel Ax et Bruckner, 7ème symphonie, une pierre de touche du parcours de Haitink.

Cette modestie que nous évoquions est un des traits essentiels de cette carrière, très régulière, dominée par un long mandat à la tête du Royal Concertgebouw Orchestra en 1961 et 1988 et un partage entre Amsterdam et Londres où il a dirigé le London Philharmonic Orchestra de 1966 à 1979, a été aussi été directeur musical du Festival de Glyndebourne de 1978 à 1988 puis directeur musical du Royal Opera House Covent Garden de 1987 à 2002.
Sa gloire auprès des mélomanes s’est développée dans les dernières années, dans la mesure où avec l’âge il atteignait le statut de chef mythique, comme c’est l’habitude avec les chefs ultra octogénaires. L’exemple d’Herbert Blomstedt est emblématique à ce propos. Rappeler cette carrière, c’est souligner qu’il a été un chef symphonique de très grande réputation, une référence dans Bruckner, et, moins mis en exergue, un chef de fosse d’expérience, et quelquefois surprenant.

Mon expérience personnelle de Bernard Haitink a été au disque assez rapide, parce que j’achetai très tôt son Ring enregistré entre 1988 et 1991 avec l’orchestre de la Radio Bavaroise (Symphonieorchestrer des Bayerischen Rundfunks) qui avait surpris à sa sortie et notamment son Rheingold. On sera peut-être surpris, mais dans ma jeunesse de mélomane, Haitink était une figure plutôt secondaire par rapport aux chefs en vogue dans les années 1970 ou 1980, comme Sir Georg Solti, Carlo Maria Giulini, Klaus Tennstedt, Lorin Maazel, Seiji Ozawa, Claudio Abbado et naturellement Herbert von Karajan. Considéré comme un chef très solide, à la tête d’un orchestre de grande référence (son nom est lié pour toujours au Royal Concertgebouw, symbole d’excellence régulière, de solidité et de permanence.

Et pourtant, Haitink m’a souvent étonné quand je l’ai entendu sur le vif, en concert comme en fosse. Le geste mesuré, le son plein, mais clair, et surtout l’emprise étonnante sur les orchestres. À ce titre, j’ai assisté à toutes ses « Master class » de direction d’orchestre à Lucerne, avec l’orchestre du Festival Strings de Lucerne. Cet homme à l’apparence paisible avait auprès des jeunes chefs un ton direct et sans concessions, respectueux mais quelquefois rude : alors quelquefois il prenait la baguette « pour montrer » et subitement, par un de ces mystères insondables de l’art du chef d’orchestre, le son de l’orchestre changeait, l’intensité incroyable naissait là où précédemment sous la baguette d’un aspirant chef rien n’avait émergé, avec une économie incroyable du geste ; alors Bernard Haitink ironisait  sur les jeunes chefs qui se déhanchaient en des gestes spectaculaires sans aucun effet réel sur le son. Un geste minimaliste et lui déclenchait un son au relief notable. J’ai découvert à cette occasion une personnalité directe, forte, à l’opposé de l’idée que je m’étais faite.
Autre souvenir à dire vrai incroyable, son Tristan und Isolde de 2010 à Zurich qui m’a profondément marqué. J’en ai rendu compte dans ce Blog et on peut s’y référer :
Cette fois-ci, à Zürich, le vétéran Bernard Haitink dirige la production maison de Claus Guth (créée l’an dernier par Ingo Metzmacher), qui fit couler beaucoup d’encre, avec une distribution non moins efficace et particulièment en forme ce dimanche soir. Ce fut là aussi à la fois une très belle soirée, et une surprise énorme tant la direction de Haitink impose un rythme et un style d’un dynamisme et d’une vitalité qui laissent rêveur. La salle relativement petite de l’Opéra de Zürich permet à des voix pas forcément grandes de se faire entendre. Elle permet aussi des interprétations plus “retenues” et un travail analytique de qualité. Haitink est très attentif à chaque inflexion de l’orchestre, qu’il mène avec une énergie peu commune, et ainsi propose une interprétation très dramatique, très tendue, laissant moins de place à l’attendrissement et beaucoup plus d’espace aux explosions de la passion. la présence permanente de l’orchestre, son engagement, une pâte sonore virulente en constituent les éléments essentiels. Le suivi des instruments (avec quelques problèmes sur les cuivres), la parfaite clarté de l’ensemble, la distribution du dispositif (le cor anglais solo, les trompettes en proscenium de troisième balcon), tout fait de ce Tristan un très grand moment. La relative discrétion médiatique de Bernard Haitink fait penser de manière erronée que cette discrétion se retrouve au pupitre, rien de cela et la performance orchestrale est une de celles dont on se souvient longtemps. C’est une interprétation d’une jeunesse et d’une passion peu communes ! Est-ce là le travail d’un chef qui a dépassé quatre vingts ans? Que nenni, c’est là un travail de jeune homme sauvage et échevelé : totalement inoubliable !
L’Isolde prévue (Waltraud Meier) avait déclaré forfait après un conflit avec le chef : deux caractères forts qui ne sont pas arrivés à pactiser. La mise en scène de Guth est forte, intelligente, reste encore au fil des années une des plus intéressantes du chef d’œuvre de Wagner. Mais en l’occurrence, ce soir-là, malgré les regrets dus à Meier et bien que le travail scénique fût vraiment stimulant, c’est l’interprétation du chef qui m’a à jamais marqué.
Ce Tristan est encore musicalement très vif en moi, 11 ans après à quelques jours près, et se range dans mes Tristan de l’île déserte.
Haitink, c’est la modestie, la rigueur, la régularité mais aussi la force d’invention et de surprise. Comme Abbado, comme Karajan, comme Bernstein, il quitte le monde comme s’il n’avait plus rien à y faire parce qu’il ne dirigeait plus.
Dernière évocation de l’abbadien que je reste, Haitink a plusieurs fois remplacé Claudio au moment de sa maladie en 2000 et en 2013, lorsqu’il était clair que Claudio ne dirigerait plus. Il avait cette disponibilité sans ostentation ni affectation. Un Monsieur en somme.

© Tolga AKMEN and Tolga AKMEN / AFP

 

 

LA SAISON 2021-2022 DE LA WIENER STAATSOPER

UNE NORMALITÉ DE TRÈS HAUT NIVEAU

Après une première saison 2020-21 tronquée par la pandémie, mais dont nous avons pu voir quelques moments clefs en streaming ou même en salle, la saison 2021-22 s’annonce un peu moins explosive. Cinq nouvelles productions et quelques « Wiederaufnahmen » de productions de répertoire rafraichies, et pour le reste des productions de répertoire plus ou moins habituelles font une année presque normale, que nous allons détailler.
La Wiener Staatsoper est une maison de grande tradition, et pour sûr le modèle du système de répertoire, nous l’avons souvent souligné. Dominique Meyer en avait fait d’ailleurs le pilier de sa politique, garantissant un niveau moyen élevé de ses représentations « ordinaires », plus élevé en tous cas que celui de son prédécesseur Ioan Holender.
Le nouvel intendant Bogdan Roščić devait donc marquer une ligne de rupture, notamment au regard de la politique de mises en scène menée depuis des années, qui faisait de Vienne un temple très traditionnel, ce qui n’est pas problématique, mais aussi d’une certaine médiocrité scénique, ce qui l’est plus. Un seul exemple, la production musicalement fabuleuse de Die Frau ohne Schatten en juin 2019 dirigée par un Christian Thielemann des grands soirs avec un cast à faire pâlir, dans une mise en scène plan-plan et sans aucun intérêt de Vincent Huguet, dont nous avions rendu compte dans le site Wanderer.

Bogdan Roščić a donc suivi une double ligne : des nouvelles productions faisant appel à des metteurs en scène plus inventifs, comme le Parsifal signé Kirill Serebrennikov  dont Wanderer a rendu compte, et d’un autre côté là où c’était nécessaire rafraîchir le répertoire rapidement en achetant des productions  qui avaient marqué ailleurs, c’est le cas de l’Eugène Onéguine vu par Dmitry Tcherniakov, ou du Faust de Frank Castorf, dont Wanderer a aussi rendu compte, mais aussi de l’Incoronazione di Poppea (de Jan Lauwers) pris à Salzbourg et du Macbeth (dont Wanderer a rendu compte en juin dernier) signé Kosky qui vient de Zurich (Wanderer a aussi rendu compte de la production zurichoise) sans jamais renoncer à l’excellence musicale, voir à l’exceptionnel (cf. Parsifal) qui fait partie de l’ADN de la maison, au moins pour les Premières et les grandes reprises. Le public viennois est en effet l’un des plus sensibles qui soient aux équipes musicales et aux voix.

Tout cela doit demander à Bogdan Roščić, et à ses équipes, notamment à son responsable-casting Robert Körner (qui officiait naguère à Lyon) un jeu subtil d’équilibres qui devrait à terme permettre à ce public d’évoluer dans ses habitudes et attentes. Un retournement de la sorte se fait progressivement et lentement.
C’est pourquoi cette deuxième année apparaît comme un peu moins bouleversée, mais avec des nouvelles productions qui stimulent les envies du mélomane voyageur…

 

Nouvelles productions :
Les cinq nouvelles productions donnent une belle visibilité sur les intentions de la direction du théâtre, qui loin de négliger le répertoire, veulent au contraire l’asseoir et le « ravaler » avec des productions correspondant un peu plus à notre modernité : Rossini (Il Barbiere di Siviglia), Mozart (Don Giovanni) Berg (Wozzeck), Wagner (Tristan und Isolde), Monteverdi (L’Orfeo) sont des productions-emblèmes qu’il faut à la fois considérer en soi, de simples nouvelles productions d’une saison, mais surtout par ce qu’elles disent derrière, entre les lignes, des intentions artistiques.

Septembre 2021/Juin 2022
Rossini, Il barbiere di Siviglia
(6 repr. du 28 sept au 14 oct/4 repr. du 4 au 12 juin) (MeS : Herbert Fritsch)
Avec

  • Dir : Michele Mariotti
    Florez/Berzhanskaja/Bordogna/Abdrazakov/Luciano/Brauer-Kvam
  • Juin Dir : Stefano Montanari
    Florez/Molinari/Bank/Kellner/Olivieri

La production de Gunther Rennert a fait son temps, qui fut particulièrement long (depuis 1966), mais elle n’a pas été reprise depuis 1990, ce qui est surprenant pour un titre aussi populaire. La nouvelle production est confiée à Herbert Fritsch, qui a fait ses classes chez Castorf à la Volksbühne de Berlin jusqu’en 2007. Voilà qui promet.
Du côté de la distribution, en octobre, du beau monde, avec Florez et Vasilisa Berzhanskaya (remplaçant Crebassa), mais aussi Bordogna et Abdrazakov, avec le Figaro d’Etienne Dupuis à découvrir remplaçant Davide Luciano, le tout sous la direction experte de Michele Mariotti, né dans les langes de Rossini.
En juin  un autre chef, Stefano Montanari, aussi excellent que Mariotti, sinon encore plus inventif, et une distribution où les basses sont celles de la maison (Bankl, Kellner) et où Etienne Dupuis laisse la place à Mattia Olivieri, l’un des meilleurs jeunes barytons de la péninsule qui vient de triompher dans le rôle à la Scala. Pour le reste, Florez répondra aussi présents en juin. Florez a été Faust dans la production de Frank Castorf, il peut affronter Herbert Fritsch dans Almaviva. Quant à Crebassa elle sera remplacée par Cecilia Molinari. Le public viennois n’est pas au bout de ses (bonnes) surprises.

Décembre 2021
Mozart, Don Giovanni
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Barrie Kosky)
Avec Ketelsen/Sly/de Barbeyrac/Anger/Kellner/ H.E.Müller/Lindsey/Nolz
Attention! Piège. La durée relative de la mise en scène fameuse de Franco Zeffirelli de 1972 à 1990 ne doit pas masquer les successives, Bondy (plutôt pas mal) dura deux saisons, puis De Simone pas beaucoup plus. La dernière, celle de Martinoty dura l’ère Dominique Meyer mais n’était pas de celles qu’on garde pour l’éternité.
L’échec récent de Castellucci à Salzbourg nous indique combien l’œuvre de Mozart est piégeuse.
Comme c’est la mode aujourd’hui, on confie la trilogie Da Ponte à un seul metteur en scène, Barrie Kosky, qui se lance dans l’aventure. S’il y réussit, tout le monde courra à Vienne pour voir.

Du côté musical, pas de risque en fosse où Philippe Jordan, mozartien devant l’Éternel, assure la direction musicale, mais sur scène, un plateau inhabituel avec Kyle Ketelsen en Don Giovanni, lui qui fut un extraordinaire Leporello, et en Leporello, Philippe Sly, qui ne fut pas un Don si convaincant. Un Ottavio de grand style, Stanislas de Barbeyrac, et deux dames qui devraient convaincre, -mais qui sait? – Hanna Elisabeth Müller en Anna et Kate Lindsey en Elvira. Sachant la difficulté à monter Mozart aujourd’hui, rien n’est assuré. Attendons.
(6 repr du 5 au 20 déc/5 repr. du 3 au 15 juin)

Mars 2022
Berg, Wozzeck
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Simon Stone)
Avec Gerhaher/Kampe/Panikkar/Schneider/Belosselsky
La mise en scène de Dresen a duré jusqu’à 2014, et c’était une très belle production dont il existe une vidéo avec Grundheber, Behrens et Abbado. Plusieurs dizaines de représentations plus tard, il peut s’avérer nécessaire de produire une nouvelle production, confiée à Simon Stone, dont l’Opéra de Vienne propose en début de saison la Traviata parisienne, avec Pretty Yende, Frédéric Antoun et Ludovic Tézier.
La distribution de ce Wozzeck est superbe, Gerhaher et Kampe ont déjà fait les beaux soirs de Munich dans ces rôles. Cela devrait valoir le voyage.
(5 repr. du 22 mars au 3 avril)

Avril 2022
Wagner, Tristan und Isolde (5 repr.  du 14 avril au 1er mai)
(Dir : Philippe Jordan/MeS : Calixto Bieito)
(Avec Schager, Serafin, Pape, Gubanova, Paterson)

Trois productions depuis 1967, Everding, qui a duré jusqu’à 2003, puis Gunter Krämer (celui qui commit le Ring parisien) et enfin depuis 2013 David McVicar, dont on connaît les productions sans sel ni poivre.

Cette fois-ci ce sera Calixto Bieito, qui peut être va réveiller un peu l’histoire des productions de l’œuvre à Vienne. Au fond, le travail de Bogdan Roščić est aisé pour le choix des metteurs en scène, comme aucun des noms importants de la mise en scène n’ont travaillé à Vienne depuis des années, il lui suffit de distribuer des productions à la bande des quatre ou cinq habituels, Bieito, Stone, Kosky, Tcherniakov et quelques autres et le tour est joué. En un an on aura aussi vu Castorf, Serebrennikov … L’Opéra de Vienne se « normalise », il rentre dans la ronde des opéras d’Europe qui ont depuis longtemps des spectacles signés de ces artistes, mais il faudra aussi trouver des noms nouveaux…
Du côté musical, on connaît le Wagner de Philippe Jordan, garantie de solidité, et la distribution est sans reproche, là aussi habituelle : Schager, Pape, Paterson, Gubanova : que de bons chanteurs. Bien sûr, c’est hélas Martina Serafin qui chante Isolde, mais on ne peut pas tout avoir.

Juin 2022
Monteverdi, L’Orfeo

(4 repr. du 11 au 18 juin 2022)
Dir : Pablo Heras Casado/MeS Tom Morris)
Avec Nigl, Lindsey, Zámečníková, Mastroni, Bock

Après L’Incoranazione di Poppea venue de Salzbourg (Lauwers) qui a très bien marché auprès du public, c’est au tour de L’Orfeo ; c’est Munich qui a à mon avis la meilleure production actuelle (David Bösch), et Bogdan Roščić table sur un autre style, celui de l’imagination anglo-saxonne, entre marionnettes et émerveillements scéniques de Tom Morris.
Wait and see, mais musicalement, même si je ne suis pas toujours convaincu par Heras Casado, c’est une distribution très séduisante, dominée par Georg Nigl, l’autre baryton (à côté de Gerhaher), qui devrait être très stimulant car l’autrichien Georg Nigl est l’un des plus intéressants de sa génération.

_____________________

Juin-Juillet 2022
Rossinimania
Du 28 juin au 8 juillet

Une nouveauté, une révolution même à l’Opéra de Vienne qui va rester ouvert après sa fermeture… pour accueillir une tournée de l’Opéra de Monte-Carlo et surtout Cecilia Bartoli, qui tenez-vous bien, n’a jamais chanté à l’Opéra de Vienne. Alors, c’est une semaine Bartolimania aussi bien que Rossinimania

 

28 juin
La Cenerentola
(Repr. semi-scénique)
Dir : Gianluca Capuano/ Real.sc. Claudia Blersch
Avec Bartoli, Rocha, Alaimo, Chausson, Coca Loza, Bove, Olvera
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Les Musiciens du Prince Monaco

Une réalisation qui a beaucoup tourné, toujours avec le même succès, avec les costumes de l’opéra de Zurich, et une distribution hyper-rodée. Ce devrait être le triomphe mérité habituel avec Capuano au pupitre des excellents Musiciens du Prince-Monaco.

Il Turco in Italia
(3 repr. les 3, 5 et 7 juillet 2022)
Dir : Gianluca Capuano/MeS : Jean-Louis Grinda
Avec Abdrazakov, Bartoli, Alaimo, Banks, Romeo ; Lo Monaco, Astorga
Les Musiciens du Prince-Monaco
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
La production qui sera créée en janvier à Monte-Carlo est présentée à Vienne pour trois soirs avec une distribution dominée par Cecilia Bartoli et Ildar Abdrazakov, et avec Barry Banks qui n’a pas convaincu à Pesaro.
Aucun souci du côté de l’orchestre, avec Capuano et Les Musiciens du Prince. On sait aussi déjà que la mise en scène de Jean-Louis Grinda ne sera pas révolutionnaire, cela reposera les viennois un peu secoués ces deux dernières années.

Rossini-Gala
8 juillet 2021

Dir : Gianluca Capuano
Les Musiciens du Prince-Monaco
Avec : Bartoli, Abrahamyan, Villazón, Levy-Sekgapane, Corbelli, Abdrazakov

Fin en feu d’artifice rossinien. Faisons confiance à Cecilia Bartoli pour animer la soirée et mettre la salle en délire avec cette brochette de chanteurs et remarquons la présence de Levy-Sekgapane, ténor aux aigus stratosphériques et au timbre lumineux. À suivre.

Voilà une saison aux Premières un peu plus normalisées que la saison dernière, avec des poids lourds du répertoire Barbier, Don Giovanni, Wozzeck, Tristan… Bogdan Roščić poursuit son travail de rafraichissement, voire de nettoyage et il faut reconnaître que cette maison en avait un peu besoin.
L’initiative rossinienne est aussi une excellente opération de communication envers le public viennois, l’impression produite par cette deuxième saison est celle d’une consolidation des principes affichés la saison dernière avec une sorte de rythme normal retrouvé.

Même si elles sont entrées au répertoire, certaines productions 2020, à cause du Covid, n’ont pas encore été vues en public, mais éventuellement en streaming, c’est le cas de Das verratene Meer, de Traviata et de Parsifal, nous les signalons en priorité, et puis il y a des Wiederaufnahmen, des reprises retravaillées (alors que les titres de répertoire ne le sont pas)..

Reprises post Covid de productions réalisées mais non représentées en public

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, La Traviata
(Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Simon Stone)
Avec Pretty Yende, Ludovic Tézier, Frédéric Antoun…
En ce début de saison, des titres d’appel, dont Falstaff et Tosca, pour réamorcer la pompe et attirer le public et puis la nouvelle production du Barbier de Séville en fin de mois. Ce spectacle est la production parisienne vue à Garnier avec comme à Paris Pretty Yende et Ludovic Tézier, mais avec Frédéric Antoun, nouveau venu en Alfredo. Distribution qui garantit des soirées de haut niveau vocal.
(5 repr. du 5 au 18 Septembre)
Coproduction Opéra de Paris

Septembre 2021
Hans Werner Henze, Das verratene Meer
(Dir.: Simone Young/Ms : Jossi Wieler/Sergio Morabito)
Avec Vera-Lotte Boecker, Bo Skovhus, Josh Lovell…
“La mer trahie”, titre du drame musical de Henze créé à Berlin en 1990 n’est pas le plus connu des opéras de Henze, tiré du roman de Mishima « Le marin rejeté par la mer » de 1963. Désespoir, déchirement face aux valeurs, bouleversement des individus, violence, tous les ingrédients de Mishima sont là, mis en musique par Henze qui a vécu les mêmes déchirements en faisant des choix opposés.
3 repr. les 19, 23, 27 septembre

Décembre 2021
Richard Wagner, Parsifal
(Dir. : Philippe Jordan/Ms : Kirill Serebrennikov)
Avec Brandon Jovanovich, Anja Kampe, Wolfgang Koch, René Pape
Reprise de la mise en scène dont Wanderersite a rendu compte, mais sans Elina Garanča ni Jonas Kaufmann ni Georg Zeppenfeld, mais avec Jovanovich,  Kampe et Pape, ce qui n’est pas si mal non plus. A noter que Wolfgang Koch chante Amfortas ET Klingsor, ce qui va encore accentuer la mise en abyme du travail de Serebrennikov. À voir évidemment, d’autant que la production succède à celle si médiocre d’Alvis Hermanis.
(5 repr. du 12 au 26 déc.)
A noter : avec le Don Giovanni de Kosky qui commence le 5 décembre, les Wanderer du lyrique devront jouer des dates pour combiner une riche virée viennoise car décembre est sans doute le mois le plus adapté à un voyage dans la capitale autrichienne si on y va pour l’Opéra.

Les « Wiederaufnahmnen »
Dans le système de répertoire, il y a des reprises directes, avec très peu de répétitions et puis les « Wiederaufnahmen » qui sont les reprises retravaillées scéniquement et musicalement, en général de productions qu’on n’a pas l’intention de remplacer à court terme.
On va donc retrouver des productions de l’ère précédente et de l’ère Holender, avec de nouvelles distributions et de nouveaux chefs. Il y a neuf reprises retravaillées, et une reprise retravaillée seulement musicalement (Capriccio).

Septembre 2021
Giuseppe Verdi, Falstaff (Dir : Nicola Luisotti/Gianpaolo Bisanti/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Wolfgang Koch/Gerald Finley, Josh Lovell/Frédéric Antoun, Boris Pinkhasovich, Eleonora Buratto…
Deux chefs italiens solides, dont le second (Bisanti) commence à être invité un peu partout en Europe, et une double distribution plutôt stimulante, notamment les deux Falstaff.
9 repr. (5 en sept 2021) /4 en juin 2022 (du 14 au 24 juin 2022)

 

Novembre 2021
Rihcard Wagner, Der fliegende Holländer (Dir. : Bertrand de Billy/Ms : Christine Mielitz)
Avec Anja Kampe, Bryn Terfel, Eric Cutler, Franz Josef Selig
Production de 2003 (de la période Holender), avec déjà 58 représentations au compteur. Distribution de très haut vol, à peu près ce qui se fait de mieux aujourd’hui.
5 repr. du 17 nov. au 2 déc. 2021

Décembre 2021
Giuseppe Verdi, Don Carlo (ital.) (Dir : Franz Welser Möst/Ms Daniele Abbado)
Avec Ain Anger, Boris Pinkasovitch, Fabio Sartori, Anita Rashvelichvili, Asmik Grigorian
Petite histoire : Franz Welser-Möst revient au pupitre d’une production qu’il a créée en 2012, avant de laisser la fonction de GMD en 2014. La distribution, correcte, vaut surtout par les deux dames, Gubanova et surtout Grigorian, Qui ne devrait pas manquer d’exciter toutes les curiosités des fans.
(4 repr. du 16 au 25 déc. 2021)
Notons qu’avec Parsifal et Don Giovanni, ce Don Carlo est une raison de plus d’un voyage à Vienne en décembre 2021, à vos agendas.

Janvier 2022
Tchaïkovski : La Dame de Pique (Dir. : Valery Gergiev/Ms : Vera Nemirova)
Avec Dmitry Golovnin, Boris Pinkasovitch, Elena Guseva, Olga Borodina
Reprise de la production de 2007, alors créée par Seiji Ozawa qu’on n’a pas vue à Vienne depuis 2015. C’est Valery Gergiev qui sera dans la fosse, voilà donc une reprise alla grande, d’autant que Gergiev est assez rare à Vienne car on ne l’a vu que pour Parsifal en 2019 et Lohengrin en 2020. Belle distribution avecla très intense Elena Guseva en Lisa.
(4 repr. du 21 au 30 janv. 2022)

Britten: Peter Grimes (Dir.: Simone Young/Ms: Christine Mielitz)
Avec Jonas Kaufmann, Sir Bryn Terfel, Lise Davidsen
Reprise de la première production viennoise de l’Opéra de Britten, entré au répertoire en 1996, par une étincelante distribution avec la prise de rôle de Jonas Kaufmann. Cela devrait fortement stimuler le public à voir ou revoir cette œuvre, qui en sera le 26 janvier 2022 à sa 42e représentation à Vienne.
(5 repr. du 26 janvier au 8 février 2022)

Février 2022
Giacomo Puccini : Manon Lescaut (Dir. : Nicola Luisotti/Ms : Robert Carsen)
Avec Asmik Grigorian, Brian Jagde, Boris Pinkasovich.
Se souvient-on que Carsen émergea à l’international par Manon Lescaut à l’Opéra-Bastille tout neuf, en 1991, dans une production venue de l’Opéra des Flandres, qui reste l’une de  ses meilleures. Le solide Nicola Luisotti en fosse, mais vaut évidemment par la Manon de Asmik Grigorian, plus connue pour ses rôles de répertoire germanique du XXe siècle. Grande curiosité …
(5 repr. du 1er au 13 février 2022)

Erich Wolfgang Korngold : Die tote Stadt (Dir. :Thomas Guggeis/Ms: Willy Decker)
Avec Klaus Florian Vogt, Vida Miknevičiūtė, Adrian Eröd, Monika Bohinec
Production de 2004, sous le mandat Holender, pas reprise depuis 2017, ici avec une belle distribution, Vogt, l’un des Paul de référence aujourd’hui, et dans le rôle de Marietta, la voix qui monte, qui vient de triompher à Salzbourg dans Chrysothemis Vida Miknevičiūté. En fosse, Thomas Guggeis, l’un des jeunes chefs remarqués à Berlin autour de Daniel Barenboim. Ce devrait être solide.
(4 repr. du 6 au 14 février 2022)

Gaetano Donizetti : Anna Bolena (Dir.:  Giacomo Sagripanti /Ms : Eric Genovèse)
Avec Erwin Schrott, Diana Damrau, Ekaterina Sementchuk, Pene Patti, Virginie Verrez
Une des productions réussies de l’ère Meyer, il est vrai qu’à la première en 2011, les deux dames étaient Anna Netrebko, déjà star  et Elina Garanča à l’aube de sa gloire. Au pupitre Giacomo Sagripanti, un chef italien qui conduit une belle carrière à l’international. Diana Damrau et Ekaterina Sementchuk ne devraient pas décevoir. À noter le ténor Pene Patti qu’on commence à voir un peu partout.
(3 repr. du 12 au 19 février 2022)

Mai 2022
Modest Mussorgski : Boris Godunov (Dir.: Sebastian Weigle/Ms: Yannis Kokkos)
Avec Ildar Abdrazakov, Vitalij Kowaljow, Dmitry Golovnin, Thomas Ebenstein, Tamuna Gochashvili
Production classique de l’ère Holender (2007). Kokkos avait déjà mis en scène Boris Godunov à Bologne. Distribution solide dominée évidemment par Ildar Abdrazakov.
(5 repr. du 11 au 27 mai 2022)


Reprise musicale
Juin 2022
Richard Strauss : Capriccio (Dir.: Philippe Jordan/Ms : Marco Arturo Marelli)
Avec Maria Bengtsson, Adrian Eröd, Daniel Behle, André Schuen, Christof Fischesser, Michaela Schuster.
C’est une reprise musicale, ce qui signifie que la mise en scène n’est pas retravaillée, il est vrai que la production Marelli qui remonte à 2008 (avant-dernière année de l’ère Holender) est passe-partout et ne nécessite pas forcément d’être revue. À noter que ce fut la première apparition de Philippe Jordan au pupitre de la Wiener Staatsoper. 13 ans après il en est le directeur musical. Distribution équilibrée, et de qualité.
(4 repr.du 20 au 30 juin 2022)

On le constate, tout ce qui est proposé est solide, bien distribué et devrait garantir un haut niveau moyen de représentations. Mais le cœur, l’ADN de ce théâtre est le répertoire, c’est à dire l’alternance serrée de représentations avec peu de répétitions, quelques « guest-stars » et la troupe. On joue pratiquement tous les soirs à Vienne et il y a toujours un opéra à voir, chaque soir différent.
Cependant, la nouvelle direction a limité le nombre de titres à 40, ce qui n’est déjà pas mal et dépasse la plupart des maisons comparables. Voici la liste des titres présentés, en dehors de ceux que nous avons détaillés :

Octobre 2021 :
Otello
L’Incoronazione di Poppea
Eugène Onéguine
Adriana Lecouveeur (Octobre et novembre) (à noter Elina Garanča en princesse de Bouillon)

Novembre 2021 :
Faust (première le 31 octobre)
Nabucco (ce devait être la prise de rôle d’Anna Netrebko en Abigaille, il faudra attendre parce qu’elle a annulé à cause d’une opération d’urgence, il reste Placido Domingo en Nabucco pour la dernière, les autres étant assurées par Amartuvshin Enkhbat) et les Zaccaria du remarquable Roberto Tagliavini, la basse italienne de référence aujourd’hui)
Carmen
L’Elisir d’amore (Novembre, décembre, février, mars)


Décembre 2021 :

Don Pasquale (Décembre 2021, avril, mai 2022)
Tosca (Décembre, février, mars)
Die Fledermaus (Décembre, janvier)

Janvier 2022 :
La Bohème
La Cenerentola
Werther
Macbeth

Février 2022: Voir ci-dessus Wiederaufnahmen

Mars 2022:
Salomé
Die Entführung aus dem Serail
Rigoletto
Wozzeck (mars-avril)

Avril 2022
Der Rosenkavalier
Tristan und Isolde (avril-mai 2022)
Lucia di Lammermoor

Mai 2022
Le nozze di Figaro
Das Rheingold
Die Walküre
Siegfried
Götterdämmerung

Juin 2022
I Puritani
Il Barbiere di Siviglia
Die Zauberflöte

Dans cette liste abondante, on remarque la Tétralogie de Richard Wagner, qui sera donnée deux fois au mois de mai dans la production bien connue de Sven Eric Bechtolf (2007-2008)
Nous donnons les principaux éléments de la distribution
Direction musicale Axel Kober
Avec John Lundgren, Daniel Behle, Monika Bohinec, Jochen Schmeckenbecher, Stuart Skelton, Lise Davidsen, Nina Stemme, Michael Weinius etc…

Cela mérite peut-être un petit voyage.

Vienne qui avait un peu disparu des radars, non pour le niveau musical, toujours haut, mais par les choix de productions et de mises en scène, revient sur le devant de la scène.  Sans proposer des choix d’une originalité marquée, l’Opéra de Vienne propose un choix de nouvelles productions comparables aux théâtres européens de même importance avec des distributions de très haut niveau. En deux saisons même tronquées, on reparle de Vienne et on a vraiment envie d’y découvrir des spectacles.  Donc on ne peut qu’encourager à bien étudier les périodes qui permettront à l’amateur de faire le plein d’opéra et en particulier décembre 2021.

Pour plus de détails, regarder le site très clair de la Wiener Staatsoper (https://www.wiener-staatsoper.at) et notamment la page de tous les titres présentés dans la saison (https://www.wiener-staatsoper.at/spielplan-kartenkauf/werke/)en cliquant sur le titre, vous y découvrirez les distributions notamment pour le répertoire)

Et dans quelques jours sur Wanderersite.com une interview passionnante de Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne.

Bogdan Roščić, Directeur de l’Opéra de Vienne ©WienerStaatsoper

 

 

 

 

 

 

IN MEMORIAM MIKIS THEODORAKIS

Μίκης Θεοδωράκης (1925-2021)

Mikis Theodorakis en 1997. Stringer/File Photo

Le lecteur habituel de ce blog sera peut-être étonné de trouver un In memoriam dédié à Mikis Theodorakis, au milieu des ombres tutélaires qui ont accompagné la vie lyrique du Wanderer. Mon propos n’est pas un autre témoignage de ce qu’il fut en Grèce et ailleurs, les grands médias l’ont rappelé.
Non, parce qu’il fait pour moi partie d’un recoin particulier de mon jardin personnel, une rencontre qui remonte à 1974, lorsque, jeune professeur de lettres classiques, j’effectuai ma première année de « guidage » au sein de l’association “Athéna”.
Cette disparition réveille en moi l’amour fou de la Grèce, de la langue grecque, ancienne et moderne, l’unique langue grecque, celle qu’à 15 ans, en 1968 je découvris en regardant des journaux lors de mon premier voyage en Grèce. J’apprenais alors le grec ancien et l’on m’avait laissé bizarrement entendre que le grec d’aujourd’hui n’avait rien à voir avec le grec ancien. Quand je découvris que je pouvais lire quelques phrases des journaux, que je comprenais en me promenant à Athènes à peu près tout ce qui était écrit, ce fut pour moi à la fois une surprise et une joie intense : je constatais que le grec, le grec que j’aimais et que j’apprenais au lycée comme une langue “morte”, se parlait et s’écrivait. Il est vrai qu’en 1968, existaient encore une langue orale, Dimotiki (δημοτική), et une langue écrite Katharevousa (« καθαρεύουσα » litt. « purifiée », création artificielle des XVIIIe et XIXe pour recréer une langue plus proche du grec byzantin et du grec ancien et débarrassée des influences turques et italiennes). Le mouvement philhéllène voulait retrouver en Grèce les traces du lointain passé antique. Du coup, la toute jeune Grèce indépendante du XIXe ne semblait pas s’appartenir culturellement mais appartenir aux philologues allemands et aux architectes bavarois qui édifièrent les bâtiments officiels de l’Athènes capitale. Mais du coup, en 1968, un très jeune helléniste pouvait plus ou moins lire les journaux, tous écrits en langue « savante ».
Ce n’est pas l’objet ici de revenir sur les décennies de combats politiques autour de la langue et de la reconquête de la langue authentique, la langue parlée, qui commença à être utilisée dès le XIXe et surtout au XXe en littérature, au milieu des polémiques.  Depuis 1976, la langue « dimotiki » est langue officielle.
Je suis néanmoins persuadé que si le grec avait été vécu dans notre école comme une langue millénaire encore parlée aujourd’hui, et si l’on ne s’était pas essentiellement limité au grec classique (Ve et IVe siècle avant J.C.) avec quelques incursions plus tardives (Plutarque), peut-être la langue grecque eût-elle acquis une autre valence auprès des élèves. Les tribulations de la langue grecque, les enjeux politiques et identitaires qu’elle a portés, la manière dont la langue moderne a été ignorée, voire méprisée par une certaine tradition “classique”, et l’absurde prononciation du grec ancien dans les classes, alors que les principes qui gouvernent la prononciation du grec aujourd’hui sont déjà bien installés à l’époque romaine, tout cela a contribué à fossiliser des études secondaires classiques qui eussent pu rester vives, passionnantes et apprendre beaucoup aux élèves sur ce qu’est une langue, ce qu’est une nation, ce qu’est une culture.
Que signifie ce long préliminaire à Théodorakis ? Simplement que  j’ai découvert la culture grecque « moderne » en 1974, jeune “Guide” de l’Association Athéna, qui drainait beaucoup de jeunes amoureux de la Grèce. J’étais alors tout jeune prof certifié, je préparais l’agrégation, et ce fut comme une illumination.
L’autre élément essentiel, c’est que j’ai connu la Grèce en 1968, au temps des colonels, de cette dictature qui régna dans le pays entre 1967 et 1974, où l’on voyait aux portes des villes des portails triomphaux « Vive L’armée », et où à flanc de montagnes on écrivait en lettres géantes « la Grèce aux grecs et aux chrétiens », et où les étudiants révoltés devant l’École Polytechnique d’Athènes en novembre 1973,  le début de la fin de ce régime, avaient été l’objet d’une féroce répression.
Tout jeune guide « Athéna » j’ai donc connu la Grèce libérée de la dictature, puisque je me suis trouvé en Grèce pendant les trois mois d’été de la libération, et le jour-même  le 24 juillet 1974, j’étais confiné dans un navire dans la rade du Pirée. J’ai donc vécu de très près le moment du retour de Constantin Karamanlis, leader charismatique jusque-là exilé en France et les tensions avec la Turquie après l’affaire de Chypre. Avec Karamanlis sont rentrés tous les exilés, dont Theodorakis, et tout l’été la Grèce a chanté ses chansons, interdites jusqu’alors par la dictature.
Chaque soir à Athènes j’allais donc écouter de la musique dans des boites, des cabarets où se produisaient tous les chanteurs interdits, et qui chantaient tous du Theodorakis. J’y fus entrainé par des amis qui m’ont plongé dans cette musique et cette culture, Xavier Coquebert de Neuville, son frère Antoine et Pierre Chuvin, (tous deux disparus) cet immense helléniste à l’incroyable culture, qui m’a initié à ces musiques, et aussi à l’Asie mineure et à la culture turque.
C’est ainsi que moi qui n’aimais que l’opéra et la musique classique me suis pris d’un amour fou pour la musique grecque, la chanson grecque, à travers et à partir de la musique de Theodorakis. C’est lui qui m’a aussi ouvert à la littérature grecque, à la poésie de Ritsos et d’Elytis, et puis peu à peu à d’autres auteurs, d’autres compositeurs à d’autres musiques.
Toute la profondeur culturelle de la Grèce d’aujourd’hui s’est découverte à moi à partir de Theodorakis.

Encore aujourd’hui, je connais par cœur certaines chansons, j’écoute encore fréquemment certains disques, dont l’un me bouleverse, les Dix huit Chansons de la patrie amère (Δεκαοχτώ λιανοτράγουδα της πικρής πατρίδας)(Encore aujourd’hui  la chanson Τη Ρωμιοσύνη μην την κλαις, ne pleure pas la Grécité m’émeut profondément) mais aussi le disque Ρωμιοσύνη  (Romiosini-Grécité), un des disques que j’écoute très souvent, chanté par le grand Grigoris Bithikotsis.
Paradoxalement, Ρωμιοσύνη désigne la “grécité” alors que le nom provient de « Romain », les grecs ayant été des romains (d’Orient) jusqu’à la fin de l’Empire byzantin.

Chantant des poèmes de Ritsos à partir des disques de Theodorakis, je me suis mis à lire Ritsos, écoutant son album To Axion esti (Το Άξιον Εστί) je me suis mis aussi à lire Elytis  et peu à peu aussi la poésie de Séfiris et enfin les grands romanciers grecs à commencer par Kazantzakis. Accessoirement je me suis mis à apprendre plus méthodiquement le grec (moderne).
Grâce à Théodorakis aussi et par imprégnation  je me suis mis à écouter d’autres disques, d’autres compositeurs, notamment Vasilis Tsitsanis (Βασίλης Τσιτσάνης),

Nikos Xilouris (Νίκος Ξυλούρης) le crétois, qui a puisé dans les airs populaires crétois dont cet air qui fut hymne des étudiants de polytechnique révoltés contre la dictature Πότε θα κάvει ξαστεριά, (quand il fera clair), mais aussi Grigoris Sourmaïdis (quel merveilleux disque que  Litania – Λιτανεία) .
J’ai une tendresse particulière pour Apostolos Kaldaras, dont j’aime beaucoup Vêpres Byzantines (Βυζαντινός Εσπερινός) écrit à partir de musique byzantine et surtout Mikra Asia (Μικρά Ασία) des chants qui évoquent la « Catastrophe » (Μικρασιατική Καταστροφή) de 1922 et l’exil des grecs d’Asie mineure vers la Grèce.


J’ai pu ainsi en 1974 et les années suivantes entendre en Grèce les chanteurs les plus célèbres d’alors, aujourd’hui légendaires, IAntonis Kaloyannis et Maria Farandouri, Giorgos Dalaras, Haris Alexiou, et surtout Grigoris Bithikotsis (Γρηγόρης Μπιθικώτσης) qu’il faut écouter dans Καυμός (Douleur). Certes, ma culture musicale grecque est « datée » et sans doute limitée, mais qu’importe puisqu’elle m’a permis de mieux pénétrer l’histoire et la culture moderne de ce pays tant aimé et tant labouré chaque été jusqu’au seuil des années 1990.
Voilà ce que réveille en moi la disparition de Theodorakis, j’étais moins stimulé par ses grandes machines symphoniques que par ses chansons, par la mise en musique de magnifiques poèmes, qui signifiaient tant en 1974, quand la Grèce entière se réveillait de la nuit dictatoriale. Il faut dire qu’entre les dictatures multiples, une monarchie sans gloire, une guerre civile atroce, la Grèce qui pourtant s’est libérée seule du joug nazi n’a pas été gâtée au XXe siècle, c’est pourquoi d’ailleurs je n’ai pas trop apprécié les leçons de rigueur donnés par Angela Merkel au moment de la crise grecque, c’était au minimum maladroit quand on connaît la violence de l’occupation nazie.
Il y a longtemps que je ne suis pas retourné en Grèce, et les années où j’y passai des étés entiers sont désormais lointaines. Mais j’ai dans le cœur ces textes-là, cette culture-là, et je le dois à la musique de Theodorakis. C’est pourquoi je voulais ici témoigner qu’il n’a jamais plus quitté mon univers, et a développé, approfondi, justifié mon amour de la Grèce, de sa culture de toutes les époques et de sa merveilleuse langue, d’hier comme d’aujourd’hui.

Mon très vieux LP de “Omorfi Poli – όμορφη πόλη” (très belle) où se trouve Καυμός (Douleur) chanté par Grigoris Bithikotsis (Γρηγόρης Μπιθικώτσης)

LA SAISON 2021-2022 DU TEATRO DI SAN CARLO DE NAPLES: CHI VA PIANO VA SANO

Après les péripéties de la saison dernière, l’arrivée fracassante de Stéphane Lissner à la tête du plus vénérable des opéras d’Europe, riche d’une tradition séculaire, nous voici revenus à l’ordinaire d’une saison, que comme partout, on espère au moins complète. L’histoire récente de ce théâtre n’est pas médiocre, on y a vu des productions intéressantes, et la période Purchia a été réellement une période qui a « remonté » le théâtre, qui comme toutes les institutions culturelles italiennes, a souffert des variations politiques de l’Etat, dont la culture n’était pas forcément la préoccupation essentielle.
La saison présentée à Stéphane Lissner, sans être un feu d’artifice, est solide et affiche au moins une brochette de voix telle qu’on n’en avait pas vues au San Carlo depuis longtemps comme Radvanovsky, Netrebko, Kaufmann, Oropesa, Abdrazakov, Rashvelishvili. Du point de vue des chefs, c’est un peu moins éclatant, comme si à l’opéra c’étaient seulement les voix qui comptaient : on va entendre Mariotti qui ouvre la saison, mais il ouvrira désormais à partir de 2023 celles de l’Opéra de Rome, et la ligne musicale et orchestrale est une question qu’il faut poser fortement : si la question du chœur est résolue depuis quelques mois par la venue de José-Luis Basso, celle de l’orchestre vient de l’être : Juraj Valčuha au pupitre depuis 2016 va laisser sa place à Dan Ettinger qui va lui succéder à partir de janvier 2023. C’est un choix de sécurité, de solidité, et de raison plus qu’un choix d’éclat artistique: Dan Ettinger, bon chef, est à la tête du Stuttgarter Philharmoniker mais a aussi été plusieurs années directeur musical au Nationatheater de Mannheim, cela signifie un répertoire lyrique important tout en ayant aussi un répertoire symphonique large, et c’est essentiel à Naples qui n’a pas d’orchestre autre que celui du San Carlo. Juraj Valčuha est un très bon chef, mais plus symphonique que lyrique: il dirige cette année seulement une production, et cinq programmes symphoniques.
Pour une phalange comme l’Orchestre du San Carlo, les concerts sont essentiels pour élargir le répertoire, aller de l’avant techniquement et devenir un orchestre plus “hybride” qui correspond mieux à la situation locale. En ce sens, Dan Ettinger a la double expérience symphonique (outre Stuttgart en Israël d’où il est originaire et au Japon notamment) et lyrique (il a dirigé dans la plupart des grands théâtres européens).

Enfin, Stéphane Lissner nous avait dit afficher une certaine prudence sur les mises en scène, et se donnait quelques années avant d’afficher des noms de la mise en scène plus incisifs. Cette année, le nom le plus intéressant est Barrie Kosky, qui vient avec sa production d’Eugène Onéguine, l’une des meilleures sur le marché (co-production Komische Oper, Opernhaus Zürich) avec celle de Tcherniakov au Bolchoï, et prudemment encore il affiche Barrie Kosky dans un titre russe, moins sensible qu’un titre italien.
En revanche, Barenboim a annulé sa venue cette année avec le WEDO, et l’on n’a pas encore de titre de baroque napolitain dans le théâtre de Cour, ce qui avait été annoncé. Sans doute aussi l’académie qu’il a créée n’est-elle pas encore vraiment opérationnelle: vu la situation des théâtres en 2020-2021, bien des projets ont été annulés ou repoussés partout .
Le San Carlo propose une offre qui marque une rupture nette par rapport aux distributions, d’un niveau décidément plus élevé que les années passées, c’est discutable encore pour les chefs et les metteurs en scène, mais la saison est complète, bien articulée, et fait une place importante au Bel Canto, tradition du théâtre, comme il avait été promis.

Les productions :

 

Novembre-décembre 2021
Giuseppe Verdi, Otello (MeS : Mario Martone/Dir : Michele Mariotti)
Avec Jonas Kaufmann (21 nov-4 déc)/ Yusif Eyvazov (7 déc-14 déc), Maria Agresta, Igor Golovatenko, Alessandro Liberatore etc….
Une ouverture de saison avec Jonas Kaufmann pour cinq représentations dans un de ses derniers grands rôles, c’est excitant. Maria Agresta est une Desdemona de bonne facture. On est plus surpris par Igor Golovatenko, très bon chanteur par ailleurs, dans Iago, mais acceptons-en l’augure. La direction de Michele Mariotti est une assurance de qualité et la mise en scène de Mario Martone une assurance de sagesse. Une production solide et sans aucun risque.
(8 repr. du 14 nov. au 14 déc.)

Janvier 2022
Gaetano Donizetti, Lucia di Lammermoor
(MeS : GiannI Amelio/Dir : Carlo Montanaro)
Avec Nadine Sierra, Pene Pati, Gabriele Viviani
Reprise de la production de 2012 qui avait fait parler d’elle, signée du cinéaste Gianni Amelio d’une œuvre créée pour le San Carlo : de ce point de vue Lissner tient parole. Le bel canto s’affirme dès la première reprise dans la saison.
Le plateau est flatteur, avec deux voix jeunes dont on parle, la délicieuse Nadine Sierra et le ténor samoan Pene Pati, qui circule de Vienne à San Diego, en passant par Paris et Berlin une belle recrue pour le bel canto. Direction de Carlo Montanaro, un des chefs qu’on a eu à Paris pour les reprises de répertoire.
(6 repr. du 15 au 29 janv.2022)

Vincenzo Bellini, La Sonnambula (Dir : Lorenzo Passerini)
Avec Jessica Pratt, Alexander Vinigradov, Lawrence Brownlee
Malicieuse soirée concertante avec un des grands chefs d’œuvre du belcanto, pour clore un janvier belcantiste et ainsi afficher une Jessica Pratt bien connue, machine efficace en acrobaties vocales, mais surtout Lawrence Brownlee, un des grands ténors rossiniens et belcantistes de l’époque sous la direction d’un jeune chef de trente ans à peine, Lorenzo Passerini, qu’on commence à voir un peu partout de Las Palmas à Francfort en passant par Turku. Une soirée qui ne coûte pas vraiment cher, et donne un signe…
(30 janvier 2022)

Février 2022
Giuseppe Verdi, Aida
(MeS : Franco Dragone / Dir : Michelangelo Mazza)
Avec Anna Netrebko/Yusif Eyvazov (3 repr. du 15 au 21/02) et Anna Pirozzi/Stefano La Colla (4 repr. du 17 au 26/02) Ekaterina Gubanova (4 repr. du 15 au 26/02)/Agnieszka Rehlis (3 repr. du 17 au 23/02), Franco Vassallo.
Un des coups de l’année, la présence pour trois représentations du couple glamour de l’opéra et de Ekaterina Gubanova en Amneris. Même la distribution B n’est pas si mal, assurée par Anna Pirozzi qui avait été une belle Aida en plein air la saison dernière sur la piazza Plebiscito.  La production est celle qui avait ouvert la saison en 2013 et qui a aussi servi à des représentations d’Aida dans des Zenith divers. Autant dire qu’elle ne sera pas dérangeante. La direction est assurée par Michelangelo Mazza, jeune chef qui ne m’avait pas convaincu à Bussetto, mais qui convainc régulièrement le couple Netrebko/Eyvazov qu’il accompagne souvent en concert, ce qui est un argument massue.
(7 repr. du 15 au 26 février 2022)

Sondra Radvanovsky, le « tre regine » (Concert ; Dir : Riccardo Frizza)
Scènes finales des trois opéras de Donizetti, Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux
Avec Sondra Radvanovsky, Eduardo Milletti, Antonio di Matteo, Giulio Pelligra, Martina Belli, Sergio Vitale, Caterina Piva.
Stéphane Lissner a annoncé des productions des trois opéras de Donizetti sur « les trois reines », dont deux ont été créés à Naples, Maria Stuarda sous un autre titre en 1834 et Roberto Devereux en 1837. Espérons que ce concert n’est que l’apéritif d’un festin donizettien futur, avec la reine du belcanto et du chant verdien Sondra Radvanovsky qui a été rare en Italie ces dernières années. Un joli cadeau d’hiver au public du San Carlo avec au pupitre le « donizettien » officiel d’Italie, Riccardo Frizza, par ailleurs directeur musical du Festival Donizetti de Bergamo.
(Les 19 et 22 février)

Mars 2022
Mozart, Cosi fan tutte
(MeS : Chiara Muti/Dir : Dan Ettinger)
Avec Mariangela Sicilia, Serena Malfi, Alessio Arduini, Giovanni Sala, paolo Bordogna, Damiana Mizzi.
Reprise de la production familiale d’un Cosi fan tutte conçu ad hoc pour le retour de Riccardo Muti au San Carlo il y a quelques années. Muti n’est pas là, mais Dan Ettinger, familier de Paris aux temps de Lissner. Une distribution équilibrée où l’on note la délicieuse Mariangela Sicilia en Fiordiligi et surtout le Don Alfonso de Paolo Bordogna, qui pour une fois sort du Rossini bouffe où il excelle pour un Mozart pas si bouffe… Wait and see.
(6 repr. du 23 mars au 2 avril 2022)

Avril-mai 2022
Giacomo Puccini, Tosca (MeS : Eduardo De Angelis/Dir : Juraj Valčuha)
Avec Oksana Dyka, Piero Pretti, Ildar Abdrazakov
Deux prise de rôles, le ténor très efficace Piero Pretti, solide et fiable, en Cavaradossi et Ildar Abdrazakov dans un rôle où il est inattendu, Scarpia. En face, hélas, il y aura la Tosca d’Oksana Dyka, l’une des pires Tosca de ma vie, entendue à la Scala et à jamais rayée de mes cadres. Comment Lissner peut-il afficher à Naples, un des temples du belcanto la reine du malcanto quand elle s’essaie au répertoire italien ? En fosse, le directeur musical pour sa seule production de l’année.
(5 repr. du 20 avril au 3 mai 2022)


Mai 2022
Marina Abramović/Marko Nikodijević, 7 deaths of Maria Callas
(MeS : Marina Abramović/Dir: Yoel Gamzou)
Avec Marina Abramović, Annalisa Stroppa, Kristine Opolais, Roberta Mantegna, Selene Zanetti, Zuzana Markovà, Nino Machaidze, Valeria Sepe
Brochette de belles chanteuses pour cet hommage performance à Maria Callas, conçu par la performeuse Marina Abramović dans un spectacle né à Munich qui fait le tour d’Europe.
Coproduction Bayerische Staatsoper, Teatro di San Carlo, Deutsche Oper Berlin, Greek National Opera Athens, Liceu de Barcelona, Opéra National de Paris
(5 repr. du 13 au 15 mai 2022) (2 repr. les 13 et 14 mai)

Juin 2022
Tchaïkovsky, Eugène Onéguine (MeS : Barrie Kosky/Dir : Fabio Luisi)
Avec Alexander Tsymbaliuk, Artur Rucinski, Michael Fabiano, Elena Stikhina, Monica Bacelli, Maria Barakova
Un chef d’œuvre de la mise en scène, l’un des très belles productions signées Barrie Kosky, vue à la Komische Oper et à l’Opernhaus Zürich. Avec la production Tcherniakov, c’est sans doute aujourd’hui la meilleure prod. d’Eugène Onéguine, qui vaut le voyage. De plus, c’est la deuxième apparition (comme me le fait remarquer un lecteur italien attentif) d’une mise en scène de Barrie Kosky en Italie, toujours à la traine quand il s’agit de (bonnes) mises en scène: on a vu en effet  à Rome la fameuse Zauberflöte coréalisée avec Suzanne Andrade, mais jamais de production 100% Kosky . Direction offerte au rigoureux Fabio Luisi, pas toujours imaginatif, mais toujours précis et propre, et distribution de bon niveau, sans être renversante. Il faut y aller… et juin à Naples est si agréable.
Production de la Komische Oper de Berlin
(5 repr. du 15 au 26 juin 2022)

Juillet 2022
Rossini, Il Barbiere di Siviglia 
(MeS : Filippo Crivelli/Dir : Riccardo Frizza)
Avec Davide Luciano, Carlo lepore, Aleksandra Kurzak, Xaber Anduaga, Riccardo Fassi
Pour la saison d’été, on actionne les tiroirs caisses, avec cette production historique, qui remonte à 1998, l’une des belles productions de l’histoire récente de ce théâtre, élégante, ignorant la vulgarité dans les décors d’Emanuele – dit Lele- Luzzati . Même si Riccardo Frizza n’est pas forcément la meilleure des idées pour Rossini, on ne se moque pas du monde au vu de la distribution qui affiche notamment le meilleur Figaro d’aujourd’hui, Davide Luciano, et l’Almaviva du futur, Xaber Anduaga. Allez, après un week end en juin, un petit week end en juillet à Naples ne fera pas de mal…
(5 Repr. du 6 au 16 juil. 2022)

 

Verdi, La Traviata (MeS : Ferzan Özpetek /Dir : Francesco Ivan Ciampa)
Avec Pretty Yende/Rosa Feola, Francesco Demuro/Yijie Shi, Carlos Alvarez/Simone del Savio, Daniela Mazzuccato.
Saison d’été signifie tourisme (si le Covid est oublié) et donc propositions populaires. Après un beau Barbiere di Siviglia, la reprise d’une Traviata maison (2017) qui fit parler, signée du réalisateur Ferzan Özpetek dans de beaux décors de Dante Ferretti. Avec deux distributions qui affichent deux jeunes vedettes du chant, Pretty Yende et Rosa Feola et notamment le grand Carlos Alvarez en Germont aux côtés de Yende. Au pupitre, le chef Francesco Ivan Ciampa, l’un des très bons chefs de sa génération. Une production solide, qui devrait attirer du public.
(8 repr. du 22 au 30 juillet 2022)

Septembre 2022
Bellini, I puritani
(MeS : Emilio Sagi /Dir : Giacomo Sagripanti)
Avec Lisette Oropesa, Xaber Anduaga, Davide Luciano etc…
Une reprise alla grande après l’été, pour la première apparition de Lisette Oropesa au San Carlo, et dans une prise de rôle, entourée des excellents Anduaga et Luciano. En fosse, Giacomo Sagripanti, qui semble entamer une très belle carrière de chef dans la péninsule et hors de la péninsule, même s’il ne m’a jamais vraiment pleinement convaincu, et une mise en scène d’Emilio Sagi, qui ne devrait pas choquer les bonnes âmes, venue du Teatro Real. Mais pour Oropesa et Anduaga, peut valoir un petit tour.
Production du Teatro Real de Madrid (2016)
(4 repr. du 7 au 16 septembre 2022)

Septembre-Octobre 2022
Saint-Saëns, Samson et Dalila
(MeS : Damián Szifron /Dir : Dan Ettinger)
Avec Anita Rashvelishvili, Brian Jagde, Ernesto Petti, Gabriele Sagona, Roberto Scandiuzzi.
L’accueil houleux à cette production lors de la création berlinoise en 2019 se reproduira-t-il à Naples ? Le cinéaste Damián Szifron a opté pour une reconstitution de l’épopée biblique qui semble avoir bien déplu, au point de provoquer des réactions violentes du public, malgré la belle distribution d’alors (Garanča, Volle, Jovanovich, Barenboim). Belle distribution aussi au San Carlo dominée par Anita Rasvelishvili, qui débute à Naples et Brian Jagde, solide ténor qui débute dans le rôle de Samson. En fosse, Dan Ettinger, un chef qui devrait convenir à ce répertoire ; wait and see…
Production de la Staatsoper Unter den Linden Berlin (2019)
(4 repr. du 29 sept. au 9 oct 2022)

Octobre-Novembre 2022
Wagner, Tristan und Isolde
(MeS : Lluis Pasqual/Dir : Constantin Trinks)
Avec Nina Stemme, Stuart Skelton, René Pape, Brian Mulligan, Okka von der Damerau
Brelan d’as pour cette dernière production de l’année, qui reprend pour la troisième fois la production ancienne mais correcte de Lluis Pasqual (2004), avec en fosse Constantin Trinks, l’un des bons chefs allemands d’aujourd’hui. Skelton et Pape (qui débutent au San Carlo), et Stemme, l’une des grandes Isolde de ces dernières années, seront pour le public du San Carlo un magnifique cadeau, avec à leurs côtés Okka von der Damerau qui vient de triompher dans le Tristan mythique de Munich, et l’excellent Brian Mulligan en Kurwenal. Un Tristan ne se manque pas.
(4 repr. du 27 octobre au 5 nov.)

Quatorze propositions dont deux sous forme de concert, et une première impression qui est une petite déception par rapport aux attentes, mais le contexte covidien oblige à la prudence, pour ne pas avoir sur les bras de nouvelles productions à reprogrammer. On compte donc une seule nouvelle production maison, l’Otello inaugural, trois nouvelles productions venues d’ailleurs, l’Eugène Onéguine, sans doute le clou de l’année en matière de mise en scène, Samson et Dalila et I Puritani. Le reste sont des productions maison qui ont laissé de bons souvenirs et qui pour la plupart bénéficient de distributions notables, voire excellentes.
Par ailleurs, une programmation de concerts régulière avec notamment un « Festival de piano » (22 avril- 5 mai) qui réunit rien moins que Daniel Barenboim, Alexandra Dovgan, Beatrice Rana, Bertrand Chamayou, Benjamin Grosvenor, Yuja Wang, Rafla Blechacz nous rappelle l’importance et la nécessité d’une saison musicale et symphonique à Naples, s’appuyant pour partie sur les chefs présents en fosse à l’opéra. Ainsi, outre les concerts du directeur musical  la saison affiche aussi des noms comme Fabio Luisi, Michele Mariotti, James Gaffigan, Ingo Metzmacher, Mark Elder, Dan Ettinger, Henrik Nánási

Stéphane Lissner est prudent, il assure des arrières et garantit d’abord des distributions solides voire exceptionnelles, pour montrer qu’il suit les indications qu’il avait données. Du point de vue des mises en scène, il reste très sage, en s’appuyant notamment sur les réserves locales qui est aussi une manière de rendre hommage à la mémoire du théâtre et au travail effectué précédemment. La mise en scène la plus « originale » est celle de Barrie Kosky avec Eugène Onéguine, une garantie de succès et en même temps une manière d’introduire à dose très mesurée des esthétiques nouvelles.
Sur les chefs, on ne sort pas globalement de ceux qui s’affichaient souvent à Paris, et je ne suis pas loin de penser que la nomination de Michele Mariotti à la direction musicale de l’Opéra de Rome a un peu perturbé des plans futurs, même si le successeur de Juraj Valčuha  a été désigné il y a quelques jours, comme on l’a dit plus haut
Sur les titres affichés en revanche, il affirme nettement une ligne belcantiste : on entendra Donizetti (Lucia, Sonnambula, les trois reines en concentré) et Bellini (I puritani), mais aussi par ailleurs Verdi (Otello, Aida, Traviata), Rossini (Il Barbiere) et Puccini (Tosca). Brèves incursions dans le répertoire allemand (Tristan), français (Samson) et russe (Onéguine) et une performance contemporaine autour de Callas par Marina Abramović : au total, une saison diversifiée, sans aucune prise de risque, moins inventive que prévue, mais sûrement pas médiocre, moins en tous cas que celle d’un autre théâtre de même importance historique plus au nord (suivez mon regard…). On attendra donc pour constater véritablement un « effet Lissner » la saison 2022-2023, mais on pourra faire le voyage de Naples, jamais désagréable, plusieurs fois dans l’année.