Juste une petite note sur quelques impressions fugitives de cette Aida.
La mise en scène de Charles Roubaud (qui transpose l’action au Caire en 1875 peu après la création, à l’occasion d’une guerre Egypte/Ethiopie) semble vue de l’écran intéressante et au moins originale. Pas d’Egyptomania galopante et c’est heureux. Impression positive, autant qu’on puisse en juger.
Du côté de la direction musicale de Tugan Sokhiev, une véritable approche marquée par une alternance de symphonisme et d’intimisme (rappelons qu’Aida a été créée dans un petit théâtre, et que sa réputation d’opéra “Zim boum boum” est totalement usurpée: rappelons aussi la mise en scène de Zeffirelli pour le minuscule théâtre de Bussetto: Aida est plutôt un opéra intimiste, où la scène du triomphe est la seule qui implique vraiment des masses, et encore: c’est Vérone qui fausse notre vision de l’œuvre). Une vraie direction musicale en tous cas, un vrai parti pris (autant que j’aie pu en juger à la TV). S’il y avait eu un cast à la hauteur…
Car du côté des chanteurs, c’est plutôt décevant, voire plus…Une Aida (Indra Thomas) totalement insuffisante, aussi belle (superbe) à voir que pénible à entendre: manque de volume, aigus toujours courts, incapacité à les tenir, notes filées quelquefois très hésitantes, à la limite de la rupture, et beaucoup de problèmes de justesse et de respiration. Une erreur de casting.
Un Carlo Ventre en Radamès qui s’en sort un peu mieux mais au style sans raffinement, au timbre affadi, à la tenue en scène particulièrement ridicule. Un Amonasro (Andrezj Dobber) qui semble fatigué, à la voix prématurément vieillie, en tous cas sans l’éclat habituel dans ce rôle. Seule Ekaterina Gubanova en Amneris est magnifique, à la hauteur du défi et du lieu, couleur sombre, timbre riche et voix charnue, implication: elle est la seule à s’en sortir vraiment sur le plateau (avec un Ramfis de luxe, Giacomo Prestia comme toujours bien à sa place).
Une fois de plus, c’est la preuve que distribuer Verdi devient une gageure. Et Aida est un ouvrage dangereux: pas de grande Aida depuis trente ans (sûrement pas la Urmana), seules Freni (avec Karajan à Salzbourg, totalement bouleversante, et pourtant que n’a-t-on pas dit à l’époque sur ce choix qui apparaissait hasardeux: j’ai encore dans l’oreille Carreras et Freni dans le troisième acte…) ou la grande Leontyne Price, ou Martina Arroyo: de vraies voix et de vraies interprètes. Maria Chiara, chanteuse injustement ignorée des maisons de disques, fut aussi une Aida très digne (voir la vidéo de la Scala avec Pavarotti).
Le rôle est difficile, il exige à la fois volume puissance et retenue, un grand contrôle vocal notamment dans la deuxième partie: en somme il faut un vrai lirico spinto (Radvanovsky?) avec une vraie couleur lyrique, qui sait ensuite donner du volume. Quant au ténor…beaucoup s’y sont frottés..et noyés…C’est un ouvrage qui n’a pas de chance, car il est malheureusement souvent galvaudé (donné dans les Zenith et autres Stade de France) où l’on exalte seulement le spectaculaire et le tape à l’oeil alors que c’est plutôt un ouvrage d’une grande finesse (la deuxième partie est une succession de moments d’une délicatesse marquée). Dommage pour cette soirée, Orange nous avait habitués à être plus soigneux sur les distributions.