OPER FRANKFURT 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

Dans mes promenades parmi les opéras européens susceptibles de valoir un petit voyage, j’ajoute cette année Francfort. Depuis longtemps, l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt) a tenu son rang parmi les opéras allemands, sans jamais vraiment accéder au tout premier rangs; et pourtant, c’est une salle à qui l’on doit des choix très clairs de répertoire, l’appel à des metteurs en scène novateurs (elle appela avant bien d’autres Ruth Berghaus ou Hans Neuenfels par exemple). Certes, Francfort est plus connue pour son aéroport ou ses banques que par son opéra et ce n’est pas une ville d’un agrément exceptionnel, même si ses Musées sont vraiment de ces musées qu’il faut avoir vus notamment le Staedel Museum au bord du Main et le MMK (Museum für Moderne Kunst) , et même si une soirée à Sachsenhausen est bien sympa.
L’opéra ancien fut détruit pendant la seconde guerre mondiale et reconstruit (pas formidable, la reconstruction des espaces intérieurs), c’est maintenant une salle de concert (Alte Oper), et le nouveau bâtiment (qui ressemble un peu  à Mannheim, métal, verre, béton) construit dans les années 60 abrite aussi le théâtre (Schauspielhaus) est situé très près du fleuve (le Main) et face à la Banque Centrale Européenne: pas de dépaysement, l’opéra, détruit après la guerre, joua aussi dans la grande salle de la bourse de Francfort!
La scène a brûlé en 1987, la reconstruction dura jusqu’en 1991. C’est aujourd’hui l’une des meilleures salles d’Allemagne, elle vient d’avoir le Opera Award du meilleur opéra du monde, qu’elle disputait avec trois autre nominés, Lyon, Stuttgart, Theater an der Wien. Son intendant Bernd Loebe a fait augmenter de 11000 le nombre d’abonnés. Il est vrai que Francfort aussi est un opéra de bonne tradition musicale: Georg Solti, Christoph Von Dohnanyi, Michael Gielen (ce fut l’âge d’or), Sylvain Cambreling, Paolo Carignani, et depuis 2005, c’est Sebastian Weigle qui en est le directeur musical. Avec une troupe très solide, beaucoup de chanteurs invités, un chef de bonne réputation, un intendant qui a débloqué une machine souvent en panne ou d’intendant ou de GMD, l’opéra de Francfort est aujourd’hui un théâtre qui fonctionne, qui compte, et surtout qui vit: 11 nouvelles productions et deux opéras sous forme concertante, 15 “Wiederaufnahmen”(reprises) soit 28 titres en tout et 8 récitals de chant, des concerts, des manifestations culturelles (un cycle de conférences, colloques, concerts, récitals autour de Verdi), un opéra studio, des lieux décentrés (Musée, Bockenheimer Depot). Bref, une belle fermentation culturelle.
Ce qui frappe dans cette programmation, c’est d’abord son équilibre, entre modernité et tradition, entre œuvres rares et grands standards, mais son constant souci de productions de qualité.
Les nouvelles productions (une par mois environ)  font apparaître des auteurs peu joués sur les scènes: Delius, Eötvös, mais aussi Telemann. En septembre, une production de Rusalka confié au metteur en scène hollandais Jim Lucassen, dirigée en septembre par Sebastian Weigle et reprise ensuite en juin par Johannes Debus (7 soirées en sept/oct, et 2 soirées en juin) avec Zoltán Nyári (le Prince) et Amanda Majeski alternant avec Karen Vuong (Rusalka); c’est un phénomène assez récent, mais le chef d’œuvre de Dvorak fait désormais partie des standards (affiché dans presque tous les opéras importants).
En octobre à partir du 5, et pour 10 représentations courant jusqu’à janvier et presque toutes dirigées par Sebastian Weigle, Ariadne auf Naxos dans une mise en scène de Brigitte Fassbaender avec Camilla Nylund (Primadonna), Brenda Rae (Zerbinetta) et Michael König (Bacchus): une bien intéressante distribution. Strauss sera aussi à l’honneur en fin de saison, en juin, pour deux représentations concertantes de Die Liebe der Danae avec une très belle distribution:  Anne Schwanewilms, Lance Ryan, Karen Vuong et Alejandro Marco-Buhrmester, le tout dirigé par Sebastian Weigle.
Christoph Willibald Gluck et Metastase à l’honneur en Novembre, avec Ezio, une œuvre rarement représentée, dirigée par le jeune britannique Christian Curnyn, claveciniste et spécialiste de ce répertoire dans une mise en scène de Vincent Boussard (et des costumes de Christian Lacroix) avec Sonia Prina, Max Emanuel Cencic et l’irlandaise Paula Murrihy (7 représentations du 10 novembre au 7 décembre).
En décembre et janvier (pour 7 représentations entre le 8 décembre et le 5 janvier) le très attendu et très rare Oedipe d’Enesco dirigé par Alexander Liebreich, qui vient de prendre l’orchestre national de la Radio de Pologne, premier chef allemand à la tête d’une formation polonaise depuis 1945. La mise en scène est assurée par Hans Neuenfels, ce qui est une garantie à la fois médiatique et qualitative, en tous cas elle sera très attendue, avec une distribution très équilibrée (Simon Neal dans Œdipe, Tanja Ariane Baumgartner comme Jocaste entre autres). Il faudra sans doute faire le déplacement!
Fin janvier et début février au Bockenheimer Depot, la scène alternative, la création à Francfort de Die Gespenstersonate (la Sonate des spectres) de Aribert Reimann (création à Berlin au Hebbel Theater en 1984), dirigée par Karsten Januschke qui commence depuis 2010 à diriger à l’opéra après avoir été solo-repetitor.La mise en scène est assurée par le très doué (et jeune) metteur en scène britannique Walter Sutcliffe (qui a déjà mis en scène à Francfort avec grand succès Owen Wingrave de Britten) avec notamment Anja Silja, Brian Galliford et Alexander Mayr.
Falstaff, de Verdi, pour 12 représentations (8 en février-mars dirigées par Bertrand de Billy et 4 en mai par Carlo Franci) dans une mise en scène de Keith Warner, une garantie là aussi, avec Zeljko Lucic et Giorgio Surjan en alternance dans Falstaff, et Artur Rucinski dans Ford, ainsi que l’américaine Leah Crocetto dans Alice, Grazia Doronzio en alternance avec Sofia Fomina (Nanetta), l’américaine Meredith Arwady, alternant avec Isabel Vera dans Quickly tandis que Meg Page sera alternativement Claudia Mahnke et Jenny Carlstedt.
Très belle distribution pour deux représentations concertantes d’Edgar de Puccini toujours en février (16 & 18) avec notamment Bryan Hymel et Angela Meade, le tout dirigé par Marc Soustrot tandis que la saison prévoit des reprises de Tosca (décembre-janvier, 11 représentations dans la mise en scène de Andreas Kriegenburg(!) et sous la direction de Leo Hussain (très bon) et Mark Shanahan avec notamment Lumilya Monastyrska et Erika Sunnegardh (Tosca), Dimitri Platanias et Giorgio Surjan (Scarpia), Alfred Kim et Calin Bratescu (Mario) et en avril et mai (8 représentations du 8 avril au 18 mai) La Fanciulla del West, direction Pier Giorgio Morandi (bon chef de répertoire) dans la mise en scène de Christof Loy (hum), avec notamment Barbara Haveman en Minnie et Ian Storey alternant avec Carlo Ventre en Dick Johnson, reprise d’une novuelle production de cette année(avec Eva Maria Westbroek cependant..).
Une relative rareté rossinienne suivra, la Gazza ladra, dirigée par Henrik Nánási (le directeur musical de la Komische Oper de Berlin) dans une mise en scène de David Alden (un bon metteur en scène) pour 8 représentations du 30 mars au 4 mai, avec Katarina Leoson , Sophie Bevan, Francisco Brito.
Du 11 mai au 25 juin pour 11 représentations dirigées par Sebastian Weigle (en alternance avec Karsten Januschke et Sebastian Zierer) Don Giovanni, mise en scène de Christof Loy, avec notamment le Don Giovanni de Christian Gerhaher (il faudra courir l’entendre!!) alternant avec l’autrichien Daniel Schmutzhard (de la troupe de Francfort) et Brenda Rae dans Donna Anna, Juanita Lascarro Elvira, le jeune Martin Mitterrutzner en Ottavio, le vétéran Robert Lloyd en Commendatore, et le couple Björn Bürger (tout débutant) et Grazia Doronzio en Masetto/Zerlina.
Du 25 mai au 8 juin (8 soirs) au Bockenheimer Depot, une rareté de l’époque baroque, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe de Georg Philipp Telemann, dans une mise en scène de Florentine Klepper, metteur en scène résidente à Bâle, qui commence à bien travailler à Dresde, à Stuttgart, et dirigé par Titus Engel avec Sebastian Geyer, Julian Prégardien (fils de…) et Kateryna Kasper en Eurydice.
Une autre très grande rareté (encore un motif pour faire le voyage), pour 7 représentations entre le 22 juin et le 12 juillet, Romeo und Julia auf dem Dorfe, de Frederick Delius, dirigé par Paul Daniel, dans une mise en scène de Eva-Maria Höckmayr, metteur en scène de 33 ans remarquée (notamment Pelleas à Aix la Chapelle), avec notamment Amanda Majeski et Johannes Martin Kränzle.
Dernière production de la saison pour 6 représentations au Bockenheimer Depot du 1er au 11 juillet, Der goldene Drache (le dragon d’or) de Péter Eötvös, qui dirigera la première le 29 juin et laissera le pupitre à Hartmut Keil pour les 6 représentations restantes, avec notamment Hedwig Fassbender, Simon Bode et Kateryna Kasper.
Dans les reprises de l’année, on compte en ouverture de saison (du 1er septembre au 11 octobre, pour 6 représentations) le seul Verdi, en français, Les Vêpres Siciliennes (enfin depuis quelques années revient sur les scènes la version originale de 1855) dans une mise en scène de Jens-Daniel Herzog (nouvelle production de cette saison à voir en juin 2013), dirigé par Giuliano Carella, dans la distribution suivante: Henri sera Burckhard Fritz. Henri demande un ténor de type français, avec un style très travaillé, une voix très mobile et je ne sais comment ce ténor habitué aux rôles plus lourds va pouvoir l’aborder. La duchesse sera Elza van den Heever, que les théâtres appellent pour du bel canto (en alternant avec Liana Haroutouninan), Procida sera Kihwan Sim, un très jeune baryton-basse qui était il y a à peine deux ans dans l’Opernstudio de Francfort et qui appartient depuis cette année à la troupe, et Montfort sera Quinn Kelsey, un baryton américain qu’on a vu à Rome dans Simon Boccanegra comme Paolo Albiani et à Zurich dans Rigoletto.
Première production mozartienne sur les trois prévues dans les reprises de l’an prochain, Idomeneo, mise en scène de Jan Philipp Gloger (qui a fait le dernier Fliegende Holländer de Bayreuth), pour seulement 4 représentations entre le 14 septembre et le 6 octobre, et qui sera dirigée par Roland Boër, un ex-Kapellmeister de Francfort aujourd’hui appelé un peu partout en Allemagne, à Bruxelles et à Copenhague et qui dirige le Cantiere Internazionale d’Arte de Montepulciano (Toscane). Idomeneo sera Daniel Behle, Idamante Jenny Carlstedt, Elettra Katie Van Kooten et Ilia la talentueuse Anne-Catherine Gillet.
13 représentations du 12 octobre au 20 décembre en revanche pour Die Zauberflöte, qui permettra de mettre en valeur tous les éléments de la troupe de Francfort et la plupart des chefs et Kapellmeister (Sebastian Weigle, Sebastian Zierer, Hartmut Keil, Karsten Januschke), dans une mise en scène d’Alfred Kirchner (Ring à Bayreuth des années 90, Khovantchina de Vienne avec Abbado-voir le DVD-), bref, un vieux routier de la mise en scène. Les distributions varient selon les soirées avec deux Sarastro de bonne facture, Alfred Reiter et Andreas Bauer, trois Tamino, Martin Mitterrutzner, Beau Gibson, et Simon Bode, et trois Pamina, Juanita Lascarro, Kateryna Kasper, Elisabeth Reiter, deux Königin des Nacht, Emily Hindrichs et Sofia Fomina, quant à Papageno, il sera Björn Bürger, Sebastian Geyer ou Daniel Schmutzhard. Une série de représentations “alimentaires”, aux coûts minimaux (essentiellement chanté par la troupe, ce qui ne coûte rien en cachets au théâtre) et qui, vu la popularité de l’œuvre, devrait assurer un bon remplissage.
Au printemps (pour 6 représentations du 7 mars au 10 avril), un troisième Mozart, Così fan Tutte, dans la mise en scène de Christof Loy et dirigé par Hartmut Keil et Sebastian Zierer, avec Brenda Rae (Fiordiligi) et Paula Murrihy (Dorabella), Joshua Hopkins et Sebastian Geyer (Guglielmo) , Paul Appleby et Martin Mitterrutzner (Ferrando) Barbara Zechmeister (Despina) et Simon Bailey en Don Alfonso.
Du 19 octobre au 9 novembre, cinq représentations de Tannhäuser dirigé par une des valeurs montantes des chefs germaniques, le jeune Constantin Trinks, qui fait ses débuts à l’opéra de Francfort, dans une mise en scène (2006/07) de la bulgare Vera Nemirova, à qui l’on doit notamment La Dame de Pique à l’opéra de Vienne ou Lulu au Festival de Salzbourg. La distribution, intéressante, mêle membres de la troupe et chanteurs invités: Annette Dasch en Elisabeth, Tanja Ariane Baumgartner  en Venus, Lance Ryan en Tannhäuser, Daniel Schmutzhard en Wolfram, Andreas Bauer en Hermann.
Pour 4 représentations entre le 16 novembre et le 15 décembre, un couple d’opéras inattendu, Dido and Aeneas de Henry Purcell et le Château de Barbe Bleue de Béla Bartók dirigés tous deux par Constantinos Carydis, mis en scène par Barrie Kosky (actuel directeur de la Komische Oper de Berlin, et metteur en scène décoiffant) avec pour Dido and Aeneas, Paula Murrihy en Dido, Sebastian Geyer en Aeneas, et pour le Château de Barbe Bleue, Johannes Martin Kränzle en Barbe Bleue et Claudia Mahnke en Judit.
On a évoqué plus haut la reprise de Tosca, mais pas la reprise pour cinq représentations du 11 janvier au 7 février de The Tempest (créée à Londres en 2004) de Thomas Adès, mise en scène de Keith Warner et dirigée par la britannique Sian Edwards avec Jenny Carlstedt, Brian Mulligan, et Cindia Sieden et Peter Marsh. La reprise des oeuvres contemporaines est un enjeu essentiel pour garantir un répertoire le plus large possible, ce n’est en effet pas la création de ces œuvres qui compte, mais leur reprise régulière pour garantir leur entrée en répertoire.
Du 15 janvier au 8 février (7 soirs), Werther dirigé par Maurizio Barbacini et mis en scène par Willy Decker avec Tanja Ariane Baumgartner en Charlotte, et le Werther de l’excellent John Osborn, l’Albert de Daniel Schmutzhard et la Sophie de Sofia Fomina. Pour John Osborn, peut valoir le voyage, notamment pour nos amis lorrains et alsaciens, assez proches.
Du 12 février au 14 mars, 7 représentations d’Orlando Furioso de Vivaldi dirigé par Felice Venanzoni, lié à Francfort depuis 14 ans et qui s’est spécialisé dans l’interprétation d’œuvres baroques, et mis en scène par David Bösch (un des jeunes metteurs en scène dont on parle de plus en plus, qui fera Simon Boccanegra à Lyon l’an prochain) avec notamment Lawrence Zazzo, Delphine Gallou et Daniela Pini.
Un autre opéra moins représenté sur les scènes, Daphné de Richard Strauss, mis en scène par Claus Guth en 2010, et dirigé pour ces 5 représentations du 28 février au 22 mars par Stefan Blunier, avec Maria Bengtsson, Tanja Ariane Baumgartner et Daniel Behle, à voir, évidemment!
Nous avons déjà évoqué plus haut en mars,  avril et mai les reprises de Così fan Tutte et de La Fanciulla del West, mais pas celle de Tristan und Isolde du 18 avril au 10 mai pour 4 représentations, dirigées par Constantinos Carydis,  dans la mise en scène de Christof Nel avec le couple Lance Ryan et Jennifer Wilson complété par Andreas Bauer (Marke), Simon Neal (Kurwenal) et Claudia Mahnke (Brangäne). J’avoue être tenté par l’Isolde de Jennifer Wilson, car j’ai toujours ce souvenir impressionnant de sa Brünnhilde à Valencia il y a quelques années.
Encore un opéra qu’on ne voit jamais en France,  Tiefland, d’Eugen d’Albert pour une belle reprise de 4 représentations  du 31 mai au 14 juin, dirigée par Sebastian Weigle dans une mise en scène d’Anselm Weber (2006) avec Heidi Brunner,  Johan Botha et Simon Neal, tout comme Les voyages de Monsieur Broucek (Výleti pánĕ Broučkovy) de Janacek pour 4 représentations du 5 au 13 juillet dirigé par Johannes Debus et mis en scène d’Axel Weidauer (production 2007-2008), assistant metteur en scène à Francfort de 2001 à 2008, avec le Broucek d’Arnold Bezuyen, Aleš Briscein, Juanita Lascarro, Andreas Bauer, Simon Bailey.

A revoir l’ensemble des titres rares proposés (plus d’un tiers), Ezio, Œdipe, Die Gespenstersonate, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe, Romeo und Julia auf dem Dorfe, The Tempest, Der goldene Drache, Les voyages de Monsieur Broucek, Tiefland, Daphné et en le mettant en perspective avec l’augmentation des abonnés, on comprend que cette politique très ouverte, un peu comme à Lyon, est une garantie et non un risque: le public a confiance dans son opéra et y vient; l’utilisation intelligente de la troupe, l’équilibre entre les nouvelles productions et le répertoire, le travail sur les productions, y compris les reprises, la présence d’une quinzaine de soirées d’opéra par mois en moyenne dans le calendrier (ce qui n’est pas peu, mais pas non plus excessif et n’épuise donc pas la troupe), tout cela garantit un excellent niveau moyen et une offre qui stimule la curiosité. Francfort, via l’avion ou le TGV Est est très accessible aux français: vaut le voyage et même plusieurs week ends.
[wpsr_facebook]